HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — L'AFFRANCHISSEMENT DE L'ÉGLISE

CHAPITRE IV. — DE L AVÈNEMENT DE PASCAL II À LA MORT DE CALIXTE II. — LE CONCORDAT DE WORMS. — LE PREMIER CONCILE GÉNÉRAL DE LATRAN. (1099-1124).

 

 

Le grand et laborieux pontificat d'Urbain II produisit finalement tous ses fruits sous ses trois successeurs immédiats : Pascal II, Gélase II et Calixte II. Le concordat de Worms, en 1122, met fin à la querelle des investitures. Dans la Palestine conquise sur les Turcs, des Etats chrétiens s'organisent. Avec saint Bernard et Pierre le Vénérable, la vie monastique et les sciences sacrées refleurissent comme aux plus beaux jours de l'Eglise. Enfin, en 1123, le premier concile général de Latran, neuvième des conciles œcuméniques, consacre toutes ces réformes et tous ces progrès. Mais ces résultats bienfaisants ne se réalisent qu'au milieu de cruelles épreuves. Un empereur perfide et traître au Saint-Siège, l'épiscopat d'un grand pays un moment révolté, la division s'insinuant parmi les conquérants des Lieux Saints, l'hérésie relevant la tête avec-Abélard et Pierre de Bruys : tels sont les spectacles qui attristent les pontificats de Pascal II, de Gélase II et de Calixte II. Comme leur divin Maître, les Vicaires de Jésus-Christ n'arrivent au triomphe que par la Passion et la Croix.

 

I

Le cardinal Rainier, qui fut élu pape, le 29 juillet 1099, et intronisé[1] sous le nom de PASCAL II, était un moine[2], originaire de Toscane, que Grégoire VII avait remarqué lors d'un voyage d'affaires à Rome[3], et qu'à son lit de mort Urbain II avait recommandé au choix des électeurs[4]. Tout pouvait donc faire espérer qu'il continuerait avec zèle l'œuvre réformatrice commencée. Mais, si on remarquait en lui la pureté des principes de ces deux illustres pontifes, il n'avait pas au même degré cette connaissance des hommes et cette fermeté de caractère qui les avaient distingués l'un et l'autre. On lui a reproché, parfois avec aigreur, de s'être laissé trop facilement leurrer, dès le début de son pontificat, par les promesses d'Henri V, puis, plus tard, de n'avoir pas résisté assez énergiquement aux violences de l'empereur. Mais il mit fin au schisme d'Angleterre, prépara la solution de la querelle des investitures en Allemagne, rappela fermement à l'observation des lois de l'Eglise le roi de France, encouragea la lutte contre les hérésies, favorisa le développement de la vie religieuse, travailla à la réforme des mœurs, et, jusqu'à sa mort, qui eut lieu le 21 janvier 1118, ne perdit jamais de vue le grand objectif des croisades, dont il encouragea la reprise.

Son successeur, GÉLASE II, ne fit que passer sur le trône de saint Pierre, qu'il occupa du 24 janvier 1118 au 29 janvier 1119. Il s'appelait Jean de Gaète, et avait été moine du Mont-Cassin, puis cardinal-diacre et chancelier pendant quarante ans de l'Eglise romaine. Il était d'un âge avancé. Les violences de l'empereur Henri V, qui soutenait un antipape, l'obligèrent à deux reprises de quitter Rome. En septembre 1118, il quitta même l'Italie, et se rendit en France, où il eut une entrevue avec Louis le Gros, et où le peuple l'accueillit comme s'il avait vu saint Pierre en personne. Il mourut le 29 janvier 1159, dans l'abbaye de Cluny, où il fut inhumé. Gélase, par sa fuite opportune, n'avait pas seulement mis la papauté hors des atteintes de l'empereur allemand ; il lui avait appris à chercher désormais son appui sur la France.

Guy de Bourgogne, qui succéda à Gélase II, le 2 février 1119, sous le nom de CALIXTE II, eut la consolation et la gloire de sceller l'œuvre de paix et l'œuvre de réforme par le concordat de Worms et par le premier concile de Latran. Il avait des liens de parenté avec les rois d'Angleterre, de Germanie et de France. Il sut échapper aux pièges que lui tendit Henri V, intervint avec succès dans les conflits qui divisaient la France et l'Angleterre, mit fin au schisme de l'antipape Grégoire VIII, et, après les deux grands actes de son pontificat, le concordat de Worms et le premier concile général de Latran, mourut le 13 ou le 14 décembre 1124, au milieu des préparatifs d'une croisade.

 

Au moment de la mort d'Urbain Il, la situation de l'antipape Guibert, nous l'avons vu, était critique. De Ravenne, où il résidait, le faux Clément III avait vu successivement tomber aux mains de ses adversaires presque toutes les places de l'exarchat. Le retour d'Urbain II à Rome, la reprise de possession par la papauté du château Saint-Ange, le renouvellement, par le concile romain de 1099, de toutes les condamnations portées contre le schisme, achevèrent de ruiner son crédit. Vers le mois d'octobre 1100, à une date qu'il est impossible de fixer avec précision, il mourut subitement, frappé d'une maladie implacable, après avoir donné, suivant les uns, quelques marques de repentir[5], niais, suivant les autres, toujours obstiné, toujours impénitent, emportant, comme dit Domnizo[6], son anathème dans l'éternité.

Cette mort diminuait les forces du parti d'Henri IV. L'empereur était d'ailleurs, en ce moment, très préoccupé de sa situation politique en Allemagne. Après la déposition de son fils aîné, Conrad, il avait fait décerner au second, Henri, le 6 janvier 1099, la couronne royale. Il se désintéressa de l'élection que firent au mois de septembre, les partisans de Guibert, d'un antipape, Théodoric, lequel fut, du reste, aussitôt fait prisonnier par les partisans de Pascal et interné au couvent de la Cava[7]. Henri IV parlait même de se rapprocher du pape, de réunir en assemblée les princes allemands pour conclure un accommodement avec le Saint-Siège[8]. Mais la mort de Conrad, qui eut lieu à Florence, en juillet 1101, changea subitement l'attitude de l'empereur. Il redevint arrogant à l'égard de la papauté. Ekkéhard prétend qu'il conçut alors la pensée de soutenir le nouvel antipape, Albert, que les guibertistes venaient d'élire, et de renverser Pascal[9].

Le devoir du pape était tracé. Pascal convoqua au Latran, pour le carême de 1102, un grand concile. De nombreux évêques de la Campanie, de la Toscane, de la Sicile, de l'Apulie, et de presque toutes les régions de l'Italie, s'y rendirent. Plusieurs évêques d'au delà des Alpes s'y firent représenter. L'assemblée s'occupa du schisme, qu'elle déclara la plus détestable des hérésies, et dressa le formulaire suivant, que chacun des assistants dut signer : J'anathématise toute hérésie, en particulier celle qui trouble actuellement l'Eglise et qui déclare sans valeur l'anathème et les peines ecclésiastiques. Je promets obéissance au pape Pascal et à ses successeurs, acceptant ou rejetant ce que la sainte Eglise universelle accepte ou rejette[10]. Henri IV fut, de nouveau, personnellement anathématisé ; mais on ne s'occupa point de l'antipape. Albert, trois mois après son élection, avait été livré au Saint-Siège par un de ses amis, et enfermé au monastère de Saint-Laurent d'Aversa[11].

Un revirement subit s'opéra alors dans l'attitude de l'empereur. Il revint à ses protestations de paix et de fidélité au Saint-Siège. Dans une diète de l'Empire tenue à Mayence, au début de l'année 1103, il déclara vouloir abdiquer en faveur de son fils Henri V, et, après s'être réconcilié avec le pape, entreprendre une croisade[12] pour l'expiation de ses péchés. Il écrivit à Hugues de Cluny, son parrain, pour le prier de se faire l'intermédiaire de ses intentions auprès du Saint Père. Dans cette même diète de Mayence, Henri fit jurer à ses seigneurs une paix perpétuelle, dans laquelle on s'engageait à respecter et à protéger, non seulement les moines, les enfants, les femmes et les vieillards, mais aussi les juifs, alors persécutés par les croisés en Palestine[13].

Beaucoup de clercs et de laïques se laissèrent toucher par ces déclarations, et prirent la croix pour accompagner l'empereur en Terre Sainte[14]. Mais le pape, loin de croire à la sincérité de l'empereur, fit tout pour détourner les fidèles d'un pareil projet. Il écrivit au comte de Flandre : Il est un plus grand objet, que nous signalons à votre piété. Poursuivez partout, selon vos forces, Henri, chef des hérétiques. Nous ordonnons cette entreprise à vous et à vos vassaux pour la rémission de vos péchés et comme un moyen de gagner le Jérusalem céleste[15]. Le pape s'efforçait, en même temps, de détourner de la cause d'Henri IV plusieurs seigneurs, ecclésiastiques ou laïques, qui s'étaient ralliés à lui, entre autres les ducs Guelfe de Bavière et Berthold de Zähringen[16].

Mais un coup de théâtre vint tout à coup changer la situation politique de l'Empire, et, sembla-t-il, la situation religieuse elle-même de toute la chrétienté. Au mois de décembre t toi, le propre fils de l'empereur, Henri V, celui-là même qu'il avait naguère élevé à la royauté et à qui il se déclarait prêt à remettre la couronne impériale, quitta subitement le camp impérial, se retira à Ratisbonne, et, de là, écrivit à son père qu'il lui refusait l'obéissance. Réunissant autour de lui ses amis, il leur déclara qu'il ne pouvait servir plus longtemps la cause d'un excommunié. Puis, manifestant une délicatesse de sentiments religieux qu'on ne lui avait pas connue jusqu'alors, il écrivit au pape, pour le prier de le relever d'un serment, qu'il avait fait autrefois, de ne jamais aspirer à l'empire sans la permission de son père. Au fond, Henri V n'avait nul besoin d'être relevé de son serment ; Henri IV, depuis son excommunication solennelle par Grégoire VII, n'était plus, aux yeux de l'Eglise, un souverain légitime. Mais Henri V avait besoin d'être absous de l'excommunication qu'il avait encourue pour avoir gardé des relations avec son père excommunié. Le pape accueillit favorablement son recours au Saint-Siège. Il s'était méfié du vieux roi ; il crut à la sincérité du jeune prince[17], et lui déclara que Dieu lui pardonnerait ses fautes passées, s'il voulait être un roi juste et un fidèle défenseur de l'Eglise.

Fort de cette approbation. Henri V recruta de nombreux adhérents à sa cause. La Thuringe et la Saxe lui fournirent de puissants renforts. Durant l'été de I 105, il assista à un concile tenu à Nordhausen, en Thuringe, où son extérieur modeste, son attitude discrète, lui gagnèrent les sympathies du monde ecclésiastique Il prit à témoins Dieu et la cour céleste qu'il n'ambitionnait point le pouvoir, qu'il ne désirait que le rétablissement de la paix religieuse, si funestement troublée par son seigneur et père. Qu'il se soumette à saint Pierre, conclut-il, et je m'empresserai de me soumettre à lui. L'assemblée, fort touchée de ces paroles, chanta le Kyrie eleison et récita d'autres prières pour la conversion du malheureux Henri IV[18].

Mais celui-ci ne restait pas inactif. Aidé par quelques grands vassaux, il avait levé une armée importante, contre laquelle Henri V s'avança, à la tête de ses partisans. Des princes influents empêchèrent une bataille décisive. Henri V alors joua de ruse. Avec une duplicité sans égale, il se présenta au camp de son père, et, les larmes aux yeux, il lui promit de se conduire désormais envers lui en fils soumis et en fidèle sujet, s'il se réconciliait avec l'Eglise. Henri IV consentit au moins à délibérer sur ce point avec les évêques dans un concile qui devait bientôt se réunir à Mayence. Il s'y rendait, en effet, avec une faible escorte ; mais, le 23 décembre i ro5, il se vit tout à coup entouré par les hommes d'armes de son fils parjure, et conduit dans une citadelle près de Kreuznach, où il fut retenu dans une dure captivité. C'est en prisonnier que le souverain comparut devant l'assemblée de Mayence, qui, dominée par son fils, l'obligea à déposer les insignes de sa dignité. Le 5 janvier 1106, Henri V fut proclamé roi et couronné comme tel par l'archevêque de Mayence.

Dans le même temps, le parti impérial avait tenté à Rome, contre le pape, un coup de force semblable. Le 18 novembre 1105, le margrave Werner d'Ancône, profitant d'une absence de Pascal II, avait fait proclamer pape, au nom de l'empereur Henri IV, le prêtre Maginulf, qui avait pris le nom de Sylvestre IV.

Ni l'un ni l'autre des deux attentats ne furent couronnés de succès. Au bout de quelques jours, Pascal II parvint à s'emparer de l'intrus[19]. Quant à Henri IV, s'étant évadé de la prison où le retenait son fils, il publia partout la violence dont il avait été la victime, écrivit aux rois de France, d'Angleterre et de Danemark pour réclamer leur appui, rétracta son abdication comme lui ayant été extorquée par la violence, et marcha contre son fils à la tête d'une armée. Une grande bataille allait se livrer entre Liège et Aix-la-Chapelle, quand Henri IV mourut, après une courte maladie, le 7 août 1106. Avant de rendre le dernier soupir, il avait manifesté de profonds sentiments de repentir au sujet de sa conduite envers l'Eglise, et avait reçu les derniers sacrements avec piété. Mais la sépulture ecclésiastique ne put lui être donnée, dans la cathédrale de Spire, que cinq ans plus tard, lorsque la sentence d'excommunication portée contre lui eut été abrogée[20].

 

II

Par cette mort, Henri V devenait le chef incontesté de l'Empire. Mais le fils dénaturé qui avait empoisonné les derniers jours de son père, le prince parjure qui avait violé ses engagements les plus sacrés, ne pouvait être un protecteur de l'Eglise. Il s'était servi de la papauté tant qu'il avait eu besoin d'elle ; il s'en détourna dès qu'il fut parvenu à son but. Un mois ne s'était pas écoulé, qu'il levait impudemment le masque, déclarant qu'il n'avait pas d'autre politique religieuse que celle de son auguste père.

Henri V ne possédait point ces dons d'intelligence, de courage, d'autorité guerrière et administrative, qui eussent fait d'Henri IV, si une mauvaise éducation n'eût faussé d'aussi brillantes qualités, un des plus grands rois de l'Allemagne ; mais il avait plus de souplesse et de pénétration, ce qui pouvait le rendre plus redoutable à ses adversaires. Pascal II, de son côté, semblait incapable de cette inexorable inflexibilité dont Urbain II savait s'armer lorsqu'il voyait en péril les intérêts essentiels de l'Eglise. Il professait au contraire, comme une maxime de conduite, que lorsqu'on veut relever un homme qui est à terre, il faut se pencher vers lui sans perdre l'équilibre. Cette comparaison résume bien la politique de son pontificat.

Comme premier témoignage de sa paternelle condescendance, Pascal II fit proclamer, par un concile qui se tint le 22 octobre 1106, eu présence de députés royaux, dans la ville de Guastalla[21], qu'une grâce générale était accordée à tous les clercs de l'Empire déclarés schismatiques ou excommuniés pendant les derniers conflits. Le pape proposait même d'aller en personne en Allemagne porter au roi les décisions de l'assemblée, quand il eut vent du changement complet d'attitude d'Henri V. Au lieu de prendre le chemin de la Germanie, il se dirigea alors vers la France. Il eut, au printemps de 1107, à Saint-Denis, une entrevue avec Louis le Gros et son fils, qu'il supplia de protéger l'Eglise contre les tyrans, à l'exemple de Charlemagne[22]. Mais il fut rejoint, à Châlons-sur-Marne, par une ambassade impériale, qui venait le sommer de consentir aux investitures. A. la tête de cette ambassade, marchait le duc Guelfe de Bavière, ce second mari de la comtesse Mathilde, qui, déçu dans sa cupidité, venait d'abandonner à la fois sa vertueuse épouse et la cause du pape, pour se faire l'instrument des convoitises impériales. Il faisait porter partout une épée devant lui, dit Suger[23], et parlait très haut. Les ambassadeurs, par la voix de l'archevêque de Trèves, firent valoir que le droit d'investiture était inséparable de ces droits régaliens ou regalia, qu'évêques et abbés obtenaient sur les villes, châteaux et divers domaines, et qui constituaient pour l'Eglise une source très appréciable de revenus. Pascal, saris s'abaisser à discuter ce côté pécuniaire de la question, leur fit répondre par l'évêque de Plaisance : L'Eglise, rachetée par le sang du Christ, ne peut devenir une servante. Or elle le deviendrait si ses pasteurs ne pouvaient prendre possession de leurs charges sans l'assentiment du roi. Les Allemands, furieux, et à peine contenus par la présence des Français, repartirent : Ce n'est pas ici, c'est à Rome et à coups d'épée que se videra cette querelle[24]. Et ils s'en retournèrent auprès de leur maître.

Celui-ci continuait, nonobstant les protestations du pape, à donner l'investiture à ses protégés. Des guerres qu'il dut faire en Pologne, en Bohème, en Moravie et en Hongrie, l'occupèrent pendant tout le cours de l'année 1109. Mais au milieu de l'été 1110, il fit annoncer sa prochaine arrivée à Rome. Il y parut à la tête d'une grande armée, et suivi de nombreux savants, comme s'il voulait laisser entendre, dès son arrivée, qu'il défendrait sa cause par la dialectique et par l'épée. Les ambassadeurs d'Henri entrèrent en pourparlers avec une commission nommée par le pape. La question des investitures fut aussitôt abordée. Les représentants du roi reprirent, sous une forme plus adoucie, l'argument tiré des droits régaliens.

Nous reconnaissons, dirent-ils, que ces droits ne peuvent être aliénés, parce qu'ils sont infiniment respectables et nécessaires à l'Eglise. Mais comme ils ont leur assiette sur des domaines qui viennent de Charlemagne et de. ses successeurs, c'est aux successeurs de Charlemagne qu'il appartient d'en donner l'investiture. Le sophisme de ce raisonnement avait été déjà dénoncé. Yves de Chartres, Grégoire VII lui-même, y avaient déjà répondu en distinguant la collation des pouvoirs spirituels, de la transmission des droits féodaux. Mais les représentants du pape, se conformant aux idées bien connues de Pascal II, eurent une réponse plus fière : Qu'à cela ne tienne, dirent-ils. Les prélats rendront au roi les biens et les droits régaliens reçus de Charlemagne. Les serviteurs de l'Eglise sauront se contenter des dîmes et des oblations des fidèles. Stylés par leur maitre, les ambassadeurs allemands repartirent : Le roi ne souffrira pas qu'une telle violence soit faite à l'Eglise ; il ne supportera pas ce vol. Leur but, par ces paroles, était de rejeter sur le pape tout l'odieux d'une mesure, qu'on pressentait pleine de difficultés, et qu'on s'emploierait au besoin à rendre inexécutable. Les ambassadeurs pontificaux, sans voir le piège, répondirent : Dimanche prochain[25], le pape lui-même ordonnera aux prélats de renoncer aux droits régaliens.

Un traité fut conclu sur ces bases, et présenté à la signature du roi Henri, qui le ratifia à Sutri[26], le 12 février 1111. D'où le nom de concordat de Sutri qu'on lui donne. Le roi renonçait aux investitures et promettait, en outre, de respecter le patrimoine de saint Pierre, l'immunité du pape et des légats ; mais prenait acte, en même temps, de la promesse faite par le pape relativement à l'abandon des droits régaliens[27]. Ekkéhard ajoute qu'au dernier moment, le roi, pour rendre plus certainement illusoires ses engagements, posa une nouvelle condition et exigea une modification dans le texte du traité. Il ne fit plus dépendre, comme auparavant, sa renonciation aux investitures de la publication par le pape d'un édit prescrivant l'abandon des droits régaliens, mais de l'approbation de l'exécution de cet édit par les prélats allemands[28]. Une fois de plus, les ambassadeurs pontificaux étaient joués par l'astuce perfide du roi. La Chronique du Mont-Cassin ajoute un détail qui rendrait le monarque plus odieux encore et qui n'est pas invraisemblable. Elle prétend que le roi jura en allemand qu'il ferait ce qui lui plairait. Quelques Romains entendirent ces paroles, et se réfugièrent dans la ville[29].

 

III

Le couronnement du roi par le pape devait suivre la conclusion du traité. C'était le grand objectif d'Henri V. C'est pour y parvenir qu'il avait imaginé tant d'équivoques. Mais au moment de procéder à la cérémonie, le pape lui ayant demandé nettement si, oui ou non, il renonçait aux investitures moyennant les conditions stipulées par la première charte de Sutri, Henri essaya en vain d'esquiver la question par des paroles vagues, puis par des menaces, enfin par des diversions. Pascal se montra plus perspicace et plus énergique que le roi ne l'avait supposé. Un seul expédient lui restait : la violence brutale. Il y eut recours. Le pape fut arrêté et fait prisonnier. Mais aussitôt les Romains se soulevèrent. Le sang coula dans les rues de Rome. On se battit toute une journée. Les Romains, d'abord vainqueurs, puis repoussés, finirent par forcer les Allemands à rentrer dans leurs retranchements. Le roi jugea prudent de battre en retraite, mais il emmena le pape avec lui. On l'enferma dans la forteresse de Trabico, en Sabine. Défense fut faite à aucun Italien de lui parler. Il était gardé et servi par des Allemands.

Pascal se montra d'abord très ferme. Mais, au bout de deux mois, n'attendant plus de secours d'aucun de ses amis, sachant que la vaillante comtesse Mathilde elle-même avait été réduite à l'impuissance, obsédé par de continuelles et pressantes sollicitations, affligé par les douleurs des Romains et par les plaintes des prisonniers retenus comme otages, il prononça ces paroles : Pour la délivrance de l'Eglise, je cède à la force ; je fais ce que j'aurais voulu éviter au prix de mon sang[30].

C'était le 10 avril 1111. L'empereur promit de remettre en liberté dès le lendemain ou le surlendemain tous les otages, de restituer ce qu'il avait pris du patrimoine de saint Pierre et d'obéir en tout au Saint-Père, sauf l'honneur du royaume et de l'Empire. Pascal jura de pardonner à l'empereur tous les outrages qu'il en avait reçus, de ne jamais prononcer l'anathème contre lui et de ne jamais l'inquiéter au sujet des investitures[31]. Mais Henri ne se contenta pas de cette formule. Il fit venir, la nuit suivante, un notaire de Rome, et lui fit rédiger une formule que le pape signa aussitôt. C'est la célèbre formule connue sous le nom de privilège. Il y était dit que les évêques et abbés élus sans violence ni simonie recevraient l'investiture de l'empereur par la crosse et l'anneau, et que nul évêque élu ne serait consacré avant d'avoir été investi[32]. Le 13 avril, tandis que l'antipape Maginulf, le faux Sylvestre IV, renonçait solennellement, devant les portes de la ville, à la dignité pontificale, et jurait obédience à Pascal II[33], Henri V fut couronné dans la basilique de Saint-Pierre ; puis il rentra en Allemagne, où, après avoir fait célébrer les plus magnifiques obsèques à son père, il investit de l'archevêché de Mayence, le premier siège épiscopal de l'Empire, son chancelier Adalbert, le principal instrument de sa politique de ruses et de violences dans sa lutte contre la papauté.

Mais les récriminations prévues et provoquées par l'empereur ne tardèrent pas à éclater. Un parti considérable de fidèles reprocha au pape sa faiblesse. Les prélats allemands refusèrent de céder leurs droits régaliens. Des personnages considérables de l'Eglise, Jean, archevêque de Lyon, Guy, archevêque de Vienne, Gualo, évêque de Saint-Pol-de-Léon, Yves, évêque de Chartres, manifestèrent au pape leur profonde tristesse. Vers la fin de l'année 1111, Pascal se décida à retirer ses concessions. Il écrivit à Yves de Chartres, à Guy de Vienne qu'il n'avait obéi qu'à la force, qu'il réprouvait ce qu'il avait injustement concédé[34]. Dès lors, il ne pensa plus qu'aux moyens d'expier sa faute et de reprendre, par un acte officiel, les concessions qu'il avait faites à l'empereur. Pour expier son acte de faiblesse, il résolut d'abdiquer, puis de se retirer dans l'île de Portia, au sud de Rome, pour y vivre dans l'ascétisme. Son entourage le détourna de ce projet[35]. Pour retirer officiellement la concession, il convoqua un concile, qui se réunit au Latran le 18 mars 1112. Sur la proposition de l'évêque Gérard d'Angoulême, l'assemblée, composée de douze archevêques, cent quatorze évêques, quinze cardinaux-prêtres et huit cardinaux-diacres, signa unanimement la déclaration suivante : Le privilège, — qui serait mieux nommé pravilège, — extorqué au pape par le roi Henri, est rejeté par nous tous, unis dans ce saint concile avec le pape Pascal[36].

Gérard d'Angoulême se chargea de la mission délicate de notifier au roi la décision conciliaire. Comme il fit remarquer au monarque que cette déclaration n'annulait pas le serment prêté par le pape de ne jamais inquiéter l'empereur pour ses attentats contre le Saint-Siège et pour le droit qu'il s'arrogeait de donner des investitures, Henri s'abstint de toute récrimination, temporisa, et, suivant son habitude, chercha d'abord à reconquérir par la ruse le terrain perdu. Il voyait d'ailleurs le nombre de ses ennemis augmenter en Allemagne, et avait tout intérêt à se réconcilier avec le pape et avec l'Italie. On l'avait vu déjà se rendre en Toscane, pour y visiter la comtesse Mathilde, qu'il appela sa mère et qu'il constitua vice-reine d'Italie[37]. Il réunit dans la Haute-Italie une importante assemblée d'évêques et d'abbés, pour délibérer sur les moyens de rétablir une paix définitive entre le Sacerdoce et l'Empire. II faut croire que cette assemblée ne lui donna pas la satisfaction qu'il en espérait, car, au printemps de 1117, sous le prétexte de mettre fin à un conflit qui s'était élevé entre le pape et les Romains, il apparut brusquement devant Rome. Il y fut accueilli par les vivats de gens soldés d'avance ; mais le clergé le reçut avec froideur. Aux fêtes de Pâques, aucun cardinal ne consentit à lui placer la couronne sur la tète, comme c'était l'usage de le faire toutes les fois qu'un empereur se trouvait à Rome au jour d'une grande fête de l'Eglise. Henri dut avoir recours, pour cette cérémonie, à un archevêque de Braga, Maurice Burdin, venu à Rome à cause de ses difficultés avec le primat de Tolède. Quant au pape Pascal, il avait quitté la ville à l'annonce de l'approche de l'empereur, et s'était rendu à Bénévent, d'où il excommunia Burdin et appela les Normands à son secours. Mais la petite troupe normande qui répondit à son appel fut battue et dispersée[38]. Néanmoins, grâce au concours de plusieurs villes et surtout au dévouement des Romains, Pascal II put rentrer dans Rome en janvier 1118 ; mais, épuisé de fatigue, il y tomba malade et y mourut le 21 du même mois. Au moment de mourir, il convoqua autour de lui les cardinaux, leur recommanda l'union, puis les engagea à résister de toutes leurs forces à l'énormité teutonique, enormitati teutonicæ[39].

 

IV

Ce conseil fut entendu par les cardinaux et. par le pape qu'ils élurent, GÉLASE IL En vain Henri V employa-t-il tour à tour les promesses et les menaces pour obtenir du nouveau pape des concessions pareilles à celles qu'il avait un moment arrachées à Pascal II. En vain, pour l'effrayer, fit-il solennellement sacrer, le S mars r 118, et prétendit-il imposer à l'Eglise comme pape, sous le nom de Grégoire VIII, son fidèle Maurice Burdin ; Gélase, le 7 avril, prononça une sentence d'excommunication contre Henri et sa créature. Les partisans de Burdin eurent alors recours à la violence, engagèrent, dans Home même, contre les chrétiens fidèles au pape légitime, des luttes sanglantes. Gélase mit fin à ces tristes scènes en quittant Rome. Quittons Sodome, dit-il à ses amis ; et, passant par Pise et Gênes, il se rendit en France, où il arriva à la fin d'octobre 1118. Il se proposait d'y réunir à Reims, en un grand concile de paix, loin des provocations bruyantes et des controverses passionnées, les évêques de France et d'Allemagne, quand la mort le surprit à Cluny, le 29 janvier 1119.

Dès le lendemain, les cardinaux, les clercs et les laïques romains qui avaient suivi le pape Gélase dans son exil choisirent, pour le remplacer, l'archevêque Guy de Vienne. Ce choix ayant été agréé par les cardinaux restés à Rome et par le peuple romain, le nouvel élu fut couronné pape à Vienne le 9 février 1119, sous le nom de CALIXTE II. Son premier soin fut de réunir à Reims le grand concile de pacification qu'avait projeté son prédécesseur. Le roi de France, Louis le Gros, les principaux prélats de France, d'Allemagne, d'Italie et d'Angleterre, promirent de s'y rendre. La tactique était toujours, sans négocier avec l'empereur, ni avec l'antipape, ni avec aucun de leurs représentants, de leur opposer l'autorité d'une assemblée immense proclamant avec force le droit. Cette tactique avait d'autant plus de chance de réussir, que l'empereur, très préoccupé des luttes intestines qui désolaient de plus en plus son Empire, cherchait en vain un appui solide pour son trône. Ce fut lui qui prit l'initiative de proposer au pape une formule de conciliation. Il s'engagerait, disait-il, à renoncer à toute investiture sur les Eglises[40].

Le concile s'ouvrit le 20 octobre 1119. On y compta quinze archevêques, plus de deux cents évêques, et, en tenant compte de nombreux abbés et dignitaires ecclésiastiques, en tout quatre cent trente prélats. Après le règlement de plusieurs affaires particulières, et le vote de plusieurs décrets importants sur la Trêve de Dieu, on s'occupa de la grande question des investitures. Pour ne pas être dupe, une fois de plus, de la perfidie de l'empereur, le pape se rendit en personne au camp impérial, à Monzon, et lui demanda de nouvelles précisions sur ses intentions relativement aux investitures. Des entretiens qu'il eut avec l'empereur, Calixte demeura convaincu qu'on lui tendait un nouveau piège ; qu'en promettant de renoncer à investir les clercs, à titre de chefs des Eglises, le roi entendait bien les investir à titre de possesseurs de fiefs, et, par là, reprendre ses anciennes pratiques sans y rien modifier. Aussi, lorsque le pape, de retour au concile, eut rendu compte des conférences tenues à Mouzon avec l'empereur, les quatre cent trente membres du concile prononcèrent contre l'empereur un anathème solennel[41].

Le but du grand concile était atteint : Henri V avait compris qu'il était inutile d'essayer désormais de tromper le pape par des formules équivoques, et qu'il fallait compter désormais avec une opposition formidable des grandes Eglises de la chrétienté, toutes rangées autour du pontife pour défendre ses droits. Divers événements lui montrèrent par ailleurs qu'il ne s'agissait point là d'une manifestation passagère. L'opinion publique, lasse de tant de querelles, se rangeait du côté du pape. Au mois d'avril 1121, la population de Sutri s'emparait du malheureux antipape Burdin, le chargeait honteusement à rebours sur un chameau, et le conduisait dans cet accoutrement à Rome, où la foule l'aurait mis en pièces, si le pape ne l'avait fait arracher à la fureur populaire, puis enfermer dans le couvent de la Trinité, à la Cava. Au mois de décembre de la même année, l'empereur, ayant investi comme évêque de Würzbourg une de ses créatures, une grande partie du clergé et du peuple avait ouvertement résisté à l'élu impérial et fait aussitôt un autre choix. Les princes, qui, dans une diète tenue à Würzbourg au mois de septembre, avaient décidé que l'empereur promettrait obéissance au pape, prirent parti pour l'élu du clergé et du peuple. L'empereur était acculé. Une lettre très prévenante et très affable de Calixte lui facilita l'acte de franche et définitive soumission que tout lui imposait. L'Eglise, disait le pape[42], ne cherche pas à revendiquer quoi que ce soit de ce qui vous appartient. Que l'Eglise possède ce qui est à Jésus-Christ, que l'empereur garde ce qui est à lui, et que chacune des parties se contente de son office. Le pape proposa de délibérer sur les conditions d'un accord dans une diète, à laquelle prendraient part les évêques et les princes laïques de l'Empire. Le siège de l'assemblée fut fixé d'abord à Mayence, puis, pour mieux ménager la susceptibilité de l'empereur, à Worms, ville qui lui était tout particulièrement dévouée. Les discussions furent longues, et, plus d'une fois, pénibles. La patience et la bonne volonté des représentants du Saint-Siège surmontèrent enfin tontes les difficultés. Par le traité conclu le 23 septembre 1122, sous le nom de concordat de Worms, l'empereur renonça à l'investiture par la crosse et l'anneau, et promit de laisser l'Eglise choisir librement ses évêques et abbés ; niais le pape lui reconnut le droit de présider à ces élections et de donner ensuite à l'élu une investiture par le sceptre[43].

Ainsi se termina, par une paix loyale, et sur une formule très nette, la guerre commencée cinquante ans auparavant. On a dit que le concordat de Worms fut une transaction. C'est inexact. Ce fut le triomphe de la vraie doctrine catholique, et, au fond, des idées de Grégoire VII. On établissait une distinction entre l'évêque pasteur des âmes par son ordination, et l'évêque vassal de l'Empire par son fief. Au premier point de vue, il était investi par l'Eglise, au moyen de la crosse et de l'anneau, symboles de l'autorité spirituelle ; au second point de vue, il était investi par l'empereur, au moyen du sceptre, symbole de l'autorité temporelle. Le devoir du pontife en tant que pontife était ainsi, aux yeux de tous, soustrait à la juridiction d'une autorité humaine. On donnait à Dieu ce qui appartient à Dieu, sans rien enlever à César de ce qui revient à César. L'Eglise ne pouvait vouloir autre chose.

Bienfaisant pour l'Eglise, le Concordat de Worms ne l'était pas moins pour l'Empire lui-même, au simple point de vue politique et social. Le régime inauguré par ce grand acte assurait l'indépendance des principautés ecclésiastiques, mettait par là même un frein au pouvoir des empereurs, empêchait le Saint-Empire romain de s'édifier, comme il en avait eu plusieurs fois la tendance, sur le modèle de l'empire païen de Rome. En, cherchant avant tout le triomphe du royaume de Dieu, l'Eglise avait travaillé, comme toujours, à la prospérité de la cité terrestre.

 

En France et en Angleterre, la querelle des investitures aboutit à des solutions équivalentes.

En France, plusieurs causes rendaient le conflit moins aigu qu'en Allemagne. D'abord l'autorité politique y était moins centralisée, et un certain nombre de grands seigneurs, tels que les ducs d'Aquitaine et de Normandie, les comtes de Champagne et d'Anjou, s'arrogeant des droits d'investiture en concurrence avec le roi, celui-ci montrait naturellement moins d'âpreté à les défendre. Il n'y avait pas d'ailleurs en France de grandes seigneuries ecclésiastiques comparables aux riches fiefs d'Eglise des pays allemands, dont l'opulence excitait d'ardentes convoitises. Enfin le clair génie des canonistes français de ce temps avait entrevu de bonne heure une issue raisonnable au conflit. Nous avons vu déjà les idées d'Yves de Chartres. Un de ses contemporains, Geoffroy de Vendôme, disait, avec plus de précision encore que lui : Autre est l'investiture qui fait l'évêque, autre celle qui le nourrit. La première est de droit divin, la seconde de droit humain[44].

La querelle des investitures n'eut donc pas en France les épisodes dramatiques qui la caractérisèrent en Allemagne. On ne peut signaler l'acte public qui la termina, ni même la date où elle prit fin. L'accord se fit dans la pratique, peu à peu, par des modifications successives apportées aux rites, aux formules et à leurs interprétations, Il est difficile de suivre pas à pas cette marche ; en voici du moins les principales étapes.

L'intervention laïque et l'élection canonique se modifièrent parallèlement l'une et l'autre. Les rois et les seigneurs cessèrent d'en donner l'investiture par la crosse et l'anneau. Ils cessèrent même d'employer la formule : Donner l'évêché, dare episcopatum ; ils délivrèrent simplement les droits régaliens attachés à l'évêché, regalia dimittere. Enfin le serment de fidélité, prêté par l'évêque à Son souverain en qualité de sujet, remplaça l'hommage lige qui l'assimilait à un vassal. Il ne resta plus au roi et aux seigneurs que deux droits, que l'Eglise toléra : le droit d'administrer le temporel de l'évêché et d'en percevoir les revenus durant la vacance du siège, et le droit de présider à l'élection du prélat. C'est ce qu'on appela le droit de régale et le droit de patronat. L'Eglise se borna désormais à maintenir dans de justes limites, ordinairement déterminées par la coutume, ces droits de régale et de patronat. Quant aux formes de l'élection canonique, elles furent aussi modifiées. On cessa d'abord d'y admettre l'intervention des laïques ; puis on en exclut le clergé inférieur. Finalement on la réserva au chapitre de la cathédrale. Le roi se borna à la confirmer après enquête[45].

Il est plus facile de marquer les phases de la querelle en Angleterre. Elle se poursuivit presque tout entière entre le roi Henri Ier et saint Anselme.

Henri Ier, dit Henri Beauclerc, qui succéda à son frère Guillaume le Roux, au mois d'août de l'année 1100, ouvrit son règne par deux mesures, qui semblèrent inaugurer une ère de paix pour son royaume et de liberté pour l'Eglise d'Angleterre. Il fit jeter en prison le mauvais conseiller de son prédécesseur, l'odieux Raoul Flambard, et il rappela de l'exil saint Anselme. Mais on s'aperçut bientôt que les instincts despotiques de son père et de son frère revivaient en lui, d'autant plus redoutables qu'ils n'étaient pas tempérés, comme chez Guillaume le Conquérant, par la foi et la grandeur d'âme, ni accompagnés, comme chez Guillaume le Roux, d'une brutale franchise. Un désir effréné du pouvoir absolu, joint à une dissimulation hypocrite : tel fut le fond du caractère du nouveau roi.

A peine arrivé sur le sol de l'Angleterre, l'archevêque de Cantorbéry fut invité par le monarque à prêter le serment ordinaire de vassalité et à recevoir de sa main le bénéfice archiépiscopal. Anselme déclara nettement qu'il ne voulait ni ne pouvait obéir au roi en cela, alléguant que le pape Urbain II avait interdit à tout ecclésiastique de faire hommage à des laïques. Je ne suis pas rentré en Angleterre, ajouta-t-il, pour voir le roi désobéir au pape. En entendant ces paroles, dit le chroniqueur Eadmer[46], le roi fut saisi d'un grand trouble. Perdre l'hommage des prélats de son royaume, lui paraissait une grosse affaire ; mais laisser Anselme sortir du royaume avant qu'il ne s'y fût lui-même solidement établi, lui semblait aussi redoutable. L'archevêque de Cantorbéry ne serait-il pas capable d'aller en Normandie trouver son frère Robert et l'aider à se faire proclamer roi d'Angleterre ? Il ne montra donc aucune irritation envers le prélat. Mais Anselme devina ce que ce calme apparent cachait de rancune.

Le prélat eut bientôt l'occasion de montrer au roi son loyalisme. L'année suivante, Robert, duc de Normandie et frère aîné du roi, ayant envahi l'Angleterre, Anselme, au milieu de la défection de plusieurs seigneurs, resta inébranlablement fidèle au roi Henri. Il approuva aussi et favorisa le mariage du roi avec la princesse écossaise Mathilde, malgré l'avis de certains prélats, qui voyaient des empêchements canoniques à cette union[47]. Seulement il refusa de consacrer les évêques investis par le roi. Durant l'été de 1101, Henri essaya de peser de nouveau sur Anselme. Il le mit en demeure de quitter l'Angleterre, ou de prêter le serment de vassalité et de consacrer les évêques investis. Mais, comme l'archevêque se préparait à la déportation, le roi le pria de surseoir, comptant envoyer une ambassade au pape à ce sujet. Anselme dépêcha à Borne. de son côté, des envoyés chargés de fournir au Saint-Siège les explications nécessaires. Les négociations se poursuivirent au milieu d'incidents plus ou moins dramatiques. Un jour, en 1103, dans une audience publique, l'ambassadeur du roi Henri, voulant essayer de l'intimidation, s'écria fièrement : Mon maître ne se laissera pas arracher les investitures, dût-il lui en coûter son royaume. — Et moi, reprit le pape, je ne les lui donnerai jamais, dût-il m'en coûter la tête[48]. L'entretien se termina sur un ton plus pacifique ; mais le pape ne fléchit pas, et, par une lettre du 23 novembre 1103, informa le roi, eu termes pleins de douceur et de bienveillance, qu'il regrettait de ne pouvoir accéder à ses désirs. Anselme, placé dans l'alternative d'obéir à l'ordre royal ou de s'exiler, choisit ce dernier parti. Le roi mit sous séquestre les biens de l'archevêché, et même, vers la fin de 1104, en confisqua tous les revenus.

De nouvelles négociations s'engagèrent entre le Saint-Siège d'une part, le roi et l'archevêque de l'autre. La pieuse reine Mathilde, la comtesse Adèle de Blois, sœur du roi et admiratrice du prélat, s'entremirent auprès de l'un et de l'autre. Bref, le pape Pascal II, par une lettre datée du 23 mars 1106, déclara formellement consentir à tolérer l'hommage de vassalité, à condition que le roi renoncerait à l'investiture, et que désormais la liberté des élections serait rétablie. Sur ces hases, un concordat fut conclu, le 1er août 1107, entre le roi et l'archevêque, dans une diète qui se tint à Londres et où les barons siégèrent à côté des évêques. Aux termes de cet accord, aucun ecclésiastique ne put désormais recevoir l'investiture par la crosse et l'anneau ; mais, eu revanche, aucun élu à un siège ecclésiastique ne put être sacré sans avoir d'abord prêté au roi le serment de vassalité[49].

Les fruits de cette paix furent durables. Le monarque, non content d'observer religieusement les clauses du traité, s'appliqua à seconder le primat d'Angleterre dans son œuvre d'évangélisation. Ses longs rapports avec le saint, le spectacle de ses héroïques vertus, l'avaient transformé. Dans le choix des prélats, écrivait Anselme[50], le roi ne suit point sa volonté propre, mais il s'en remet au conseil de gens pieux. Pendant un séjour qu'il fit en Normandie, Henri Ier n'hésita pas à confier à l'archevêque de Cantorbéry l'administration de son royaume[51]. Nulle part la victoire de l'Eglise ne fut plus complète. La vieille brebis, pour employer la comparaison faite par saint Anselme lui-même, avait fini par l'emporter sur les taureaux indomptés qui étaient attelés avec elle à la charrue du gouvernement de l'Angleterre[52].

 

V

Ainsi, après tant de luttes, se termina, pour le bien de l'Eglis3 et pour celui de l'Etat, cette grande querelle des investitures, et le premier concile qui se réunit en Occident put, en 1123, s'assembler au milieu de la chrétienté pacifiée.

Mais la chrétienté avait, depuis la conquête de la Palestine, élargi son domaine. Elle débordait maintenant l'Occident. Autour de Jérusalem, une colonie chrétienne s'était établie, des Etats chrétiens s'étaient constitués. Même, à certains égards, cette nouvelle chrétienté semblait avoir une cohésion plus solide que l'ancienne. Ce n'était pas autour d'un pape et d'un empereur, souvent en désaccord, qu'elle se groupait, mais autour du pape seul. L'existence des Etats latins de l'Orient était due, en effet, aux efforts répétés d'Urbain II et de ses successeurs ; il n'était donc pas étonnant que la Terre sainte se rattachât étroitement à leur autorité[53]. Si une nation particulière pouvait réclamer quelque prépondérance au milieu de ces Etats nouveaux, c'était la France, qui avait fourni le plus gros contingent de la croisade. Mais le principal représentant de la France mettait précisément toute son ardeur à s'incliner devant la papauté.

Deux Français s'étaient distingués entre tous pendant la croisade : Raymond de Toulouse et Godefroy de Bouillon. Mais lorsqu'il s'était agi de choisir un chef pour organiser la conquête, aucune hésitation ne s'était produite. Le choix s'était porté sur Godefroy de Bouillon. Il réunissait en lui, à la fois, la vaillance et la piété. On lui offrit le titre et les insignes de roi de Jérusalem. Il refusa le titre, et ne voulut porter que le nom d'avoué du Saint-Sépulcre ; il écarta également la couronne royale, por ce qu'il ne vost porter corone d'or, dit un chroniqueur[54], là où le rei des reis Ihésu Crist, le fiz de Dieu, porta corone d'espines le jor de la Passion. Il exerça, en fait, toutes les fonctions de la dignité royale, et sut faire respecter son autorité par tous ; mais il aima à se considérer avant tout comme le serviteur du Christ et le mandataire de l'Eglise. Daimbert, qui fut élu patriarche de Jérusalem, était également convaincu que l'Eglise romaine, seule, pouvait être souveraine des Etats chrétiens d'Orient ; et le pouvoir du patriarche de Jérusalem était considérable ; il était le chef de qui dépendaient les quatre métropolitains de Tyr, Césarée, Bessan, Pétra, sept évêques suffragants et un grand nombre d'abbés. Mais, à côté du roi de Jérusalem, trois autres chefs avaient, comme symbole de leur indépendance politique, le droit de battre monnaie, c'étaient le prince d'Antioche, le comte d'Edesse et celui de Tripoli ; des villes italiennes exerçaient, sur les côtes, une grande influence ; et, somme toute, le chef suprême de la fédération féodale qui s'était établie en Palestine était moins le roi de Jérusalem que l'assemblée générale des feudataires, qui seule pouvait voter les assises, ou lois fondamentales, qui jugeait en suprême ressort et sans appel et de laquelle le roi lui-même était justiciable[55].

Ce furent là les premières causes de faiblesse de la fédération chrétienne des Etats latins d'Orient. Les attaques incessantes des Bédouins, la présence des Turcs sur quelques places maritimes, les progrès de l'empire byzantin en Asie Mineure, et surtout les rivalités qui s'accusèrent entre plusieurs princes croisés, les démêlés qui divisèrent Tancrède, Baudouin d'Edesse, Bertrand et Guillaume de Toulouse, furent des menaces plus sérieuses encore.

Le prestige personnel de Godefroy de Bouillon, son énergique fermeté, sa valeur connue de tous et son habile diplomatie maintinrent jusqu'à sa mort l'unité dans la colonie chrétienne d'Orient. Sa mort, à l'âge de quarante-deux ans, fut un deuil public. Au moment où son corps fut enseveli au pied du Calvaire, et tandis que le héraut d'armes s'écriait : Le roi Godefroy est mort, les Sarrasins eux-mêmes, dit le chroniqueur Albert d'Aix[56], mêlèrent leurs larmes à celles des chrétiens. Son frère Baudouin, qui lui succéda, eut une foi moins humble, une politique plus humaine. Loin de rejeter les insignes de la royauté, il s'en parait avec ostentation. Mais il eut les qualités essentielles du chef d'Etat : la vue nette des conquêtes réalisables, la suite et la persévérance dans les desseins, l'art de manier les hommes. Une de ses plus heureuses manœuvres fut celle qui consistait à attirer en Palestine, pour la repeupler, les chrétiens dispersés au delà du Jourdain. La plupart de ceux que l'hérésie avait jusque-là séparés de l'Eglise catholique, jacobites, nestoriens, monothélites du Liban, abjurèrent leurs erreurs, et formèrent, dans les villes, une bourgeoisie intelligente, dont on encouragea, par des privilèges sagement dispensés, l'activité industrielle et commerciale. Dans tous les ports, les commerçants génois, vénitiens, marseillais, jouirent de prérogatives plus grandes encore, si bien que bientôt les Italiens et les Marseillais possédèrent le monopole du commerce du Levant. Dès le début, Godefroy de Bouillon avait essayé de se concilier la population indigène elle-même, au moins par son élément le plus important, les Syriens, race agricole, marchande, industrielle. Baudouin continua et développa sa politique ; et peut-être faut-il chercher dans la sympathie qui unit les croisés aux Syriens indigènes, le secret de la longue résistance que les Etats chrétiens d'Orient surent opposer aux dangers qui les menaçaient de toutes parts[57].

Ces dangers venaient d'abord des musulmans, toujours établis au Caire, à Alep, à Damas, à Mossoul. Pour y parer Baudouin fait appel aux retardataires de la croisade. De nouvelles troupes de croisés italiens, français et allemands, sorte d'arrière-garde de la grande expédition, débarquent en Palestine, mais sans succès. Une première armée, plus tumultueuse, s'empare d'abord d'Ancyre ; mais, épuisée par la traversée du désert, elle est mise en déroute par les Turcs à Ramleh, le 31 mai r IO2. Une seconde armée, plus disciplinée, est presque entièrement massacrée peu de temps après. Les chrétiens trouvent un second danger dans leurs relations trop intimes avec les indigènes. Cette brillante civilisation de l'Orient, si nouvelle pour les chrétiens, si différente de la vie étroite et monotone que l'on menait dans les châteaux d'Occident, ne tarde pas à les conquérir. Le costume oriental, avec ses amples draperies, leur parait pins approprié au climat que leur vêtement national. Ils recherchent les habits de soie, garnis d'or ou de perles, s'habituent à la cuisine raffinée, au luxe de l'ameublement et aux fêtes somptueuses des Orientaux[58]. Le roi Baudouin, vêtu d'un burnous tissé d'or, la barbe longue, prend ses repas sur un tapis, les jambes croisées, à la mode orientale. Voilà donc, s'écrie un chroniqueur, Foucher de Chartres, voilà nos Occidentaux transformés en habitants de l'Orient ! L'homme de Reims ou de Chartres est devenu l'homme de Tyr ou d'Antioche. Nous avons déjà oublié nos pays d'origine ; personne n'en entend plus parler. Tel a pris déjà pour femme, non pas une compatriote, mais une Syrienne, une Arménienne, parfois même une Sarrasine baptisée. Celui qui était pauvre là-bas se trouve ici dans l'opulence. Pourquoi revenir en Occident, puisque l'Orient comble nos vœux ?

La prospérité matérielle, en effet, si habilement conquise par la politique de Godefroy et de Baudouin, devenait un troisième péril. Les barons établis en Terre Sainte ne se contenteront plus désormais d'oublier l'Europe et la grande cause qui les a mis en marche vers l'Orient. Ils chercheront avant tout à défendre et à augmenter leurs conquêtes personnelles, à détourner à leur profit le succès d'une expédition qu'ils avaient entreprise pour délivrer des mains des infidèles le tombeau de Jésus-Christ. Du moins telle sera la grande tentation des seigneurs établis en Palestine, et beaucoup d'entre eux y succomberont, au moins momentanément.

Une institution nouvelle contribuera, il est vrai, surtout à ses débuts, à relever leur idéal ; c'est celle des Ordres militaires. Cette création originale achève de donner leur physionomie propre aux Etats chrétiens de l'Orient. Elle comprend d'abord les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem et les chevaliers du Temple. Le chevalier de Saint-Jean et le Templier tiennent à la fois du moine et du guerrier. Leur costume même trahit ce double caractère. Ils portent l'un et l'autre l'armure du soldat, sur laquelle l'Hospitalier jette son manteau noir avec croix blanche ; le Templier, son manteau blanc avec croix rouge.

Une hôtellerie, construite à Jérusalem, en 1048, par quelques marchands d'Amalfi, et desservie par quelques seigneurs français, qui s'organisèrent en congrégation pour recueillir les pèlerins et soigner les malades : tel fut le berceau des Hospitaliers de Jérusalem. Des dons pieux, des quêtes organisées dans la chrétienté, furent les premières ressources de l'œuvre charitable. Godefroy de Bouillon lui céda une partie de ses domaines[59]. Baudouin, pour témoigner à Dieu sa reconnaissance après une grande victoire, leur fit des dons plus considérables encore.

Un noble Provençal, Gérard de Tenque, né dans l'île de Saint-Geniez, aujourd'hui Martigues, après avoir, pendant plusieurs années, dirigé l'œuvre dans un esprit de piété et de charité admirables, crut devoir lui donner une extension plus grande, en chargeant les Hospitaliers de défendre les pèlerins contre les infidèles. Beaucoup de ceux qui s'étaient consacrés au service pacifique des malades après avoir guerroyé contre les musulmans, reprirent alors avec bonheur la lance et l'épée qu'ils avaient déposées. En 1113, le pape Pascal II, dans une bulle adressée à son vénérable fils Gérard, confirma le nouvel ordre, sous le nom d'Ordre de Saint-Jean, et le plaça sous le patronage immédiat de l'Eglise romaine[60]. À cette époque, la maison de Jérusalem comptait déjà six maisons annexes sur les côtes de la Méditerranée : à Saint-Gilles de Provence, Pise, Bari, Otrante, Tarente et Messine[61]. On y soignait les pèlerins malades avec une compassion tendre et respectueuse, les appelant seigneurs, et les servant avant les Frères Hospitaliers, qui devaient se nourrir de leurs restes[62]. Mais les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, appelés dans la suite Chevaliers de Rhodes et Chevaliers de Malte, restèrent toujours des guerriers[63].

Tel fut aussi le rôle d'une autre congrégation de moines soldats, fondée en 1118, et qui ne reçut son organisation complète qu'en 1128, l'ordre des Templiers. Deux chevaliers, Hugues des Payens[64] et Godefroy de Saint-Omer, affligés de voir des voyageurs sans défense assaillis et souvent mis à mort par des bandes de brigands, crurent remplir le vœu qu'ils avaient fait en se croisant, s'ils consacraient leur courage et leurs armes à défendre les pèlerins contre ces dangers. Ils s'unirent donc avec six autres chevaliers, auxquels vint se joindre, quelques années après, Hugues de Provence. A. l'activité des chevaliers, ils voulurent unir la vie austère et humble des religieux Aux trois vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, ils ajoutèrent celui de consacrer leur vie à la protection des pèlerins. Le roi Baudouin leur assigna pour demeure une aile de son palais, bâti sur l'emplacement du Temple de Salomon : d'où le nom de Chevaliers du Temple ou de Templiers qu'on leur donna. Ils n'eurent pas d'abord de costume particulier, vivant dans la pauvreté la plus stricte, mettant indifféremment tous les habits qu'on leur donnait. Mais bientôt de riches seigneurs, tels que le comte Foulques d'Anjou, depuis roi de Jérusalem, en se faisant agréger à l'ordre, le dotèrent. En 1128 ; au concile de Troyes, saint Bernard leur donna une règle, composée d'après celle de Cîteaux. Leur premier grand maitre fut Hugues des Payens. L'ordre comprenait : des chevaliers, tous nobles, pour combattre ; des sergents, pris dans la bourgeoisie, qui faisaient fonctions d'écuyers ou d'intendants, et des clercs, qui servaient de chapelains. Le chevalier, en entrant dans l'ordre, prêtait serment de ne jamais fuir s'il n'avait devant lui que trois ennemis ; eu fait, il ne reculait jamais dans la bataille que sur l'ordre du maître.

Sur le modèle des Hospitaliers de Jérusalem et des Templiers, de nombreux ordres militaires se fondèrent dans la suite. Les plus célèbres furent les Chevaliers Teutoniques, qui s'établirent plus tard en Allemagne ; les Chevaliers de Calatrava et ceux de Saint-Jacques de l'Epée, qui défendirent l'Espagne et l'Europe contre les Maures. À la fin du XIIe siècle, les ordres militaires possédaient un nombre incalculable de fiefs et de châteaux en Palestine et en Europe. Toujours armés, toujours au guet, même pendant les trêves, ils formaient comme une croisade permanente contre les infidèles[65].

 

VI

Le commencement du XIIe siècle se signala d'ailleurs par un particulier développement de la vie monastique. En 1113, Guillaume de Champeaux établissait à Paris l'ordre des Chanoines réguliers de Saint-Victor, et en 1120, saint Norbert fondait près de Laon celui des Chanoines réguliers prémontrés, tandis que Pierre le Vénérable renouvelait la vie religieuse à Cluny, et que saint Bernard faisait revivre à Clairvaux les plus pures traditions de la vie cistercienne.

L'œuvre de Guillaume de Champeaux et de saint Norbert n'est pas sans analogie avec celle de Gérard de Tenque et d'Hugues des Payens. Ceux-ci avaient entrepris d'assouplir à la discipline monastique une élite de guerriers ; ceux-là tentèrent de grouper sous une règle semblable une élite de prêtres. Aux uns comme aux autres l'esprit monastique apparaissait comme un ferment capable de régénérer le monde.

En même temps qu'ils travaillaient à la réforme du clergé par la répression de l'inconduite et de la simonie et par la lutte contre les investitures laïques, les grands papes du XIe siècle n'avaient pas cessé d'encourager leurs prêtres à vivre en communauté auprès de leurs églises. Au concile romain de 1050, Nicolas II avait recommandé aux prêtres, diacres et sous-diacres revenus à l'observation des devoirs de leur état, de vivre ensemble auprès des églises pour lesquelles ils avaient été ordonnés, d'y avoir même table et même dortoir et de posséder en commun les revenus de leurs églises[66]. Alexandre II en 1063, Grégoire VII en 1078, Urbain II en 1096, avaient renouvelé des recommandations semblables[67]. Yves de Chartres[68] et plusieurs autres saints prêtres avaient travaillé à les faire triompher par la restauration, soit d'une antique règle, assez peu explicite, dite Règle des Apôtres, soit des directions données au clergé d'Hippone par saint Augustin, soit des constitutions promulguées à Metz, vers le milieu du vine siècle, par saint Chrodegand. Ces efforts n'avaient abouti qu'à des réformes partielles et peu stables. L'influence directe des moines, en particulier de ceux de Cluny, sur le clergé, n'avait pas eu de meilleurs résultats. La papauté, en exemptant le moine clerc de la juridiction épiscopale, l'avait mis hors des cadres de la hiérarchie. De là des conflits inévitables entre le monastère et la paroisse. La substitution, parfois brusque, sous prétexte de réforme, des moines aux simples clercs dans un certain nombre d'églises, dans des cathédrales mêmes, avait, çà et là, rendu très aigus ces conflits. Le simple clerc alléguait, non sans quelque raison, si l'on s'en rapporte à la discipline de ce temps, que le moine dérive de l'ordre laïque de l'Eglise ; que rien, dans sa nature ou ses traditions, ne le voue en définitive à la cléricature ; que rien, dans sa vocation, ne le destine, en règle ordinaire, à régir les âmes[69]. Enfin, pour ce qui concerne plus particulièrement l'ordre de Cluny, le clergé hiérarchique ne voyait pas sans quelque envie ses grandes possessions territoriales s'agrandir de jour en jour. Toutes ces raisons expliquent comment l'action directe des réformateurs clunistes, efficace sur l'épiscopat, atteignit à peine les rangs inférieurs du clergé hiérarchique.

Voilà pourquoi de bons esprits tentèrent de réformer ce dernier clergé par l'infusion de l'esprit monastique dans sa vie, niais sans l'intervention directe des moines. Ce procédé, nous venons de le voir, était de tous points conforme aux recommandations des papes. Le clerc des paroisses et des cathédrales aimait à opposer l'ordre canonique à l'ordre monastique[70]. On lui proposerait simplement de prendre une règle, telle que le clergé apostolique et le clergé formé par saint Augustin en offraient le modèle ; en d'autres termes, de devenir un chanoine régulier. Cette proposition serait faite avant tout aux chanoines proprement dits, à ceux qui composaient les chapitres des cathédrales, et dont l'importance était devenue si grande au XIe siècle, tant par les grands biens dont ils étaient propriétaires que par le droit de choisir l'évêque, qui leur était attribué en plusieurs endroits ; elle s'adresserait en même temps à tout prêtre chargé du service d'une église sous l'autorité d'un évêque.

C'est à Guillaume de Champeaux que revient l'honneur d'avoir, le premier, conçu et réalisé le type du chanoine régulier. L'homme n'est pas moins intéressant à étudier que l'œuvre.

Guillaume, né à Champeaux en Brie, près de Melun, vers l'an 1070, avait fréquenté fort jeune les écoles de Paris et de Compiègne, où il avait eu pour maître le célèbre Roscelin, le hardi philosophe qui, le premier, dit-on, dans son enseignement, osa franchir le cercle de la pure dialectique pour aborder la fameuse question des universaux, c'est-à-dire le problème métaphysique des relations du monde objectif avec le monde subjectif. Invité lui-même, en log5, à monter dans la chaire de dialectique de la cathédrale de Paris, puis promu archidiacre, et chargé en même temps, comme écolâtre, de la direction générale des écoles de la capitale, Guillaume aborde lui-même, mais avec plus de sagesse, devant une jeunesse enthousiasmée, les problèmes les plus ardus de la spéculation philosophique. Il compte là, parmi ses auditeurs, l'ardent et téméraire Abailard, qui nous a raconté plus tard, dans son Historia calamitatum, ses joutes dialectiques contre l'enseignement du maitre. Or, un jour de l'année 1108, une nouvelle étonnante circule dans le monde des écoles parisiennes : Maître Guillaume s'est démis de son archidiaconé et s'est réfugié, avec quelques-uns de ses disciples, dans un humble ermitage, dédié à saint Victor, pour s'y astreindre, tout en restant simple clerc, à une discipline régulière[71].

La petite chapelle de Saint-Victor, écrit le plus récent historien du monastère[72], s'élevait, non loin des bords de la Seine, dans une prairie où venaient mourir les dernières pentes de la Montagne Sainte-Geneviève, alors couvertes de bois et de vignes. Cette chapelle, élevée en cet endroit, dit une charte de Louis le Gros, en l'honneur du soldat martyr de Marseille, servait de retraite à quelques solitaires ou reclus qui menaient à son ombre la vie érémitique. Mais la jeunesse studieuse ne peut se résoudre à renoncer aux savantes leçons du maître. On voit, chaque jour, des groupes d'étudiants, clercs et laïques, frayer les chemins, si souvent battus depuis, qui mènent du quartier Notre-Dame ou du Mont à la docte retraite de Guillaume. Il ne sait pas résister à leurs sollicitations pressantes ; il continue à leur enseigner les principes de la dialectique et de la métaphysique, mais plus d'un écolier, touché de la vie de prière intime et de silence religieux qu'on mène à Saint-Victor, se range à sa suite et partage sa vie érémitique.

A l'été de 1113, Guillaume, après trois refus successifs de l'épiscopat, cède aux instances du roi et accepte l'évêché de Chalon ; mais, en dédommagement, il obtient de Louis le Gros une charte royale donnant une existence légale et accordant une dotation au nouveau monastère[73].

Les règles du couvent de Saint-Victor nous ont été conservées dans un précieux manuscrit, le Liber Ordinis[74]. L'habit ordinaire des Victorins est une longue tunique de lin, ou surplis à larges manches, tombant presque jusqu'aux pieds et recouverte d'une chape de drap noir, à laquelle s'adapte un capuce assez ample pour couvrir la tète et les épaules. Les convers ou frères lais ont une tunique de laine grise, venant à mi-jambe, et une chape de même couleur, plus courte d'une palme que la tunique. La hiérarchie du couvent comprend : un abbé, un grand prieur, nu chambrier, un cellérier, un grand hôtelier, un grand chantre, un armoirier ou bibliothécaire, etc. L'abbé est élu par six ou sept chanoines, choisis à cet effet par le chapitre ou assemblée générale des chanoines, qui ratifie ensuite l'élection.

La vie du chanoine régulier de Saint-Victor, ou victorin, comprend : les offices liturgiques, religieusement célébrés aux heures canoniques du jour et de la nuit, le travail manuel et le travail intellectuel. Une des occupations les mieux organisées est celle des copistes, qui travaillent, sous la direction de l'armoirier, dans un local à part, lumineux, tranquille et silencieux. De là sortiront plusieurs des plus précieux manuscrits du Moyen Age[75]. L'abbaye de Saint-Victor sera également une école de théologie et de mystique ; nous aurons à marquer sa place dans le mouvement intellectuel.

 

VII

Sortie de la même inspiration que la réforme de Saint-Victor, la réforme de Prémontré s'en distingua par une orientation diverse, Guillaume de Champeaux, en devenant chanoine régulier, était resté un homme de science, et son œuvre participa à ce même caractère ; saint Norbert, réformateur de Prémontré, fut plutôt un prédicateur et un apôtre, et il communiqua une empreinte analogue à son œuvre.

Saint Norbert, que le suffrage presque unanime de son siècle égalait à saint Bernard, et que saint Bernard lui-même n'hésitait pas à regarder comme son maître, naquit, disent les auteurs de l'Histoire littéraire de la France[76], à Santen, petite ville du duché de Clèves, vers l'an 1080. Sa maison était très ancienne, et pouvait aller de pair avec les plus illustres de l'Allemagne. À l'avantage de la naissance, il réunissait les qualités brillantes du corps et de l'esprit. Les maîtres aux soins desquels son éducation fut confiée perfectionnèrent ses talents, mais ils ne réussirent pas à lui inspirer un goût solide pour la vertu. Il cultiva les sciences en philosophe voluptueux. L'état ecclésiastique, qu'il embrassa par des vues humaines, ne produisit aucune réforme dans ses mœurs. La cour de l'empereur Henri V, son parent, où il se rendit ensuite, acheva de le pervertir. Il y exerça, durant plusieurs années, la charge de chapelain, et s'y distingua par tous les vices déliés dont les courtisans se font gloire.

Une grâce, pareille à celle qui convertit l'apôtre saint Paul, le transforma tout à coup. Il chevauchait joyeusement, dans une partie de plaisir, quand la foudre éclate devant lui, tue sa monture, et le laisse inanimé, sur le sol. Quand il reprend connaissance, la grâce, pour parler avec un de ses biographes[77], luit à ses yeux en même temps que la lumière. Cet aveugle aperçoit ses misères ; les illusions des créatures se dissipent, et l'amour divin succède à l'amour profane. Il rompt ses engagements avec la cour, se revêt d'un cilice, se retire au couvent de Saint-Sigebert, près de Cologne ; se fait ordonner prêtre (car il n'était que sous-diacre) et s'adonne désormais à la prière, aux veilles, aux jeûnes, à l'étude assidue de la Sainte Ecriture, trouvant une large compensation à toutes ses peines dans la seule célébration du Saint-Sacrifice. Bientôt l'œuvre de sa sanctification personnelle ne lui suffit pas. Il parcourt les campagnes, prêche dans les églises, sur les places, rappelant aux pécheurs l'heure de Dieu, l'heure de la mort et du jugement. On l'accuse de prêcher sans mission, de porter l'habit monastique sans être moine. Il quitte alors sa patrie, vient en France trouver le pape Gélase II, qu'il rencontre à Saint-Gilles, en Languedoc, et obtient de lui la permission d'annoncer partout où bon lui semblera la parole divine. Muni de ce pouvoir, il parcourt la France et le Hainaut, où sa parole produit les fruits les plus abondants. Lorsqu'il approche des villages ou des châteaux, les bergers quittent leurs troupeaux et courent annoncer son arrivée. Dès qu'il entre dans un bourg, on sonne les cloches. Mais ce qui réjouit le plus le cœur de l'apôtre, ce sont les conversions nombreuses qui suivent ses prédications. Ah ! que ne peut-il se multiplier pour prêcher les vérités évangéliques ?

Il se multipliera en associant à son œuvre des prêtres animés du même zèle que lui. L'évêque de Laon, Barthélemy, à qui le pape Calixte II l'a recommandé, lui offre de lui bâtir un couvent dans tel lieu qu'il indiquera. Norbert choisit, dans la forêt de Coucy, une vallée solitaire, nommée Prémontré (Premonstratum, Patrum monstratum). C'est là qu'il fonde, le jour de Noël de l'an 1121[78], avec quelques clercs du diocèse de Laon que sa parole a conquis, la première abbaye des Chanoines réguliers de Prémontré. Par l'austérité- de la vie, la promptitude de l'obéissance, l'esprit de prière et de recueillement, les Chanoines réguliers égalent les plus édifiants des religieux. Une robe de laine blanche leur rappelle qu'ils doivent être les représentants des anges sur la terre. Au moindre signe de leur maitre, qui ne leur passe pas un mot amer, pas un signe désagréable au prochain, ils tombent à genoux pour demander pardon. On les voit observer le silence, non seulement dans l'intérieur de leur couvent, mais au milieu même d'une foule épaisse et bruyante. Des vocations surgissent de toutes parts. Quatre ans ne se sont pas écoulés depuis la fondation de Prémontré, que Norbert se voit déjà le chef de neuf abbayes fondées par lui[79]. L'apparition de Prémontré, dit M. Achille Luchaire[80], et la multiplication rapide de ses succursales en France et en Europe, pendant les trente années qui suivirent l'an 1120, ont été un des prodiges de l'époque, aussi merveilleux presque que l'œuvre de saint Bernard et des cisterciens.

Le zèle insatiable de Norbert ne se contenta point cependant de ces premiers résultats. Il eut l'idée, que devaient si merveilleusement développer au XIIIe siècle les ordres mendiants, d'affilier à ses abbayes, des hommes et des femmes vivant dans le monde, et bénéficiant ainsi, d'une manière indirecte, des grâces attachées à la vie de communauté. Ainsi, sous ces formes diverses, par les ordres religieux proprement, dits, par les communautés de clercs qui s'inspiraient de leurs principes et de leurs disciplines, par les associations de laïques, ébauches des tiers-ordres futurs, qui bénéficiaient de leurs expériences spirituelles, un même esprit évangélique pénétrait la chrétienté. Mais il importait avant tout que cet esprit se conservât pur de toute altération à ses sources principales ; or, à la même époque où Guillaume de Champeaux et Norbert fondaient les Chanoines réguliers de Saint-Victor et de Prémontré, l'ordre de Cluny subissait une crise douloureuse. Par bonheur, la Providence suscitait en même temps, pour le renouveler, un grand réformateur, Pierre le Vénérable.

 

VIII

L'excès de puissance et de richesse, l'orgueil d'un abbé, la désunion des frères, suites presque inévitables d'une grandeur et d'un rôle longtemps soutenus[81] : telles furent les causes de la décadence de Cluny.

Au commencement du XIIe siècle, l'ordre de Cluny comptait dix mille moines[82]. Ses possessions, dont on trouve la longue énumération dans une bulle du pape Victor II, datée du 11 juin 1055[83], étaient immenses. L'église de Cluny, chef-d'œuvre de l'architecture romane, était la plus grande église du monde ; cinq cents ans plus tard, la basilique de Saint-Pierre de Borne devait à peine dépasser de quelques mètres ses colossales proportions. Les relations de l'ordre avec les papes étaient devenues intimes et presque habituelles. Grégoire VII était venu demander à Cluny l'inspiration de sa réforme ; Urbain II et Pascal II étaient sortis de ses cloîtres ; Gélase Il était inhumé sous ses dalles ; Calixte II avait augmenté ses privilèges, jusqu'à donner à ses abbés, en 1120. le droit de remplir les fonctions de cardinal, et à concéder à son église la faculté de célébrer l'office, même pendant un interdit, les portes fermées1. Un saint, comme les grands abbés qui avaient fondé et maintenu les austères traditions de Cluny, un Odon, un Mayeul, un Odilon, un Hugues, eût pu garantir les moines de son ordre contre la tentation des richesses et de l'orgueil. Mais celui qui reçut, jeune encore, en 1100, la crosse abbatiale de saint Hugues, Pons de Melgueil, n'avait point les fortes vertus de ses prédécesseurs. Issu d'une riche famille d'Auvergne, esprit brillant et distingué, il s'était d'abord montré digne de ses hautes fonctions par la régularité de sa vie, par la souplesse de son intelligence et par la haute distinction de sa culture littéraire. Dans les négociations, si souvent rompues et si souvent reprises, de la querelle des investitures, il avait servi d'intermédiaire habile entre le pape et l'empereur. Il avait aussi donné une forte impulsion aux études. L'histoire a gardé les noms de trois remarquables copistes de manuscrits encouragés par lui : Albert, Opizon et Duranne. Mais une humeur inquiète et orgueilleuse gâtait en lui ses brillantes qualités. Dès le début de son gouvernement, il sembla faire passer au premier rang de ses préoccupations la défense des privilèges de son ordre. Les nouvelles prérogatives qui lui furent concédées par Calixte II, semblent l'avoir troublé. Il dispute à l'abbé du Mont-Cassin la première place ; il ambitionne le titre d'abbé des abbés. Ill affecte, dans ses voyages, un train princier. Son luxe, sa prodigalité, son relâchement, amènent d'abord de sourds murmures, puis la discorde déclarée dans le monastère. Cluny, dont la vie austère a été le point de départ de la réforme des moines, des clercs et des fidèles, n'est plus le modèle de l'Eglise.

Hâtons-nous de le constater : le désordre des mœurs ne semble pas avoir pénétré, à cette époque, dans l'illustre monastère. Le silence de saint Bernard à ce sujet est le meilleur éloge qu'on puisse faire de la moralité de Cluny[84]. Mais, dans le tableau que le terrible censeur fait de la mollesse et du luxe des moines de son temps, il est impossible de ne pas reconnaître le fastueux abbé Pons : Je mens, dit saint Bernard[85], si je n'ai pas vu un abbé traîner après lui soixante chevaux et plus. Vous diriez, à voir passer ces chefs de monastères, non des directeurs d'âmes, mais des gouverneurs de provinces. Dès qu'ils sont à quatre lieues de chez eux, il leur faut tout leur mobilier : des coupes, des aiguières, des candélabres, de grands coffres remplis de tous les ornements de leurs lits... Pourquoi tout cet encombrement ? Serait-ce pour être moins à charge à vos hôtes ? Portez donc aussi votre nourriture avec vous, afin de leur épargner toute dépense.

Les divisions provoquées dans le monastère par les agissements de Pons allèrent si loin, que l'abbé, cédant à des conseils d'amis prudents, se rendit à Rome, et se démit de ses fonctions entre les mains de Calixte II. Les moines, délivrés de l'impérieuse légèreté de Pons, élurent d'abord à sa place un vieillard, Hugues II, qui mourut presque aussitôt ; puis, dans l'octave de l'Assomption de 1122, un jeune moine de trente ans, Pierre-Maurice de Montboissier, qui devait rester la plus haute personnification de l'ordre clunisien sous le nom de Pierre le Vénérable.

Malgré sa jeunesse, Pierre de Montboissier n'était pas un inconnu dans les diverses maisons de l'ordre, même les plus lointaines. La sagesse et la science avec lesquelles il remplissait, au monastère de Vézelay, depuis dix ans, les importantes fonctions de gardien de l'ordre et de docteur des anciens[86], avaient attiré l'attention sur lui. Comme gardien de l'ordre, il tenait la place du grand prieur absent, et veillait en tout temps au maintien de la discipline avec le zèle le plus édifiant. Comme docteur des anciens, il était chargé de diriger les études de tous les moines, et il s'acquittait si bien de cette fonction que, suivant les expressions de son biographe, sa parole douce et grave, semblable à une rosée, féconda la terre de Vézelay[87]. Il suffisait du reste, disent les contemporains, d'avoir vu une fois, pour la garder vivante dans son souvenir, la physionomie noble et douce de ce jeune moine, dont la taille imposante, l'attitude simple et digne, exprimaient si bien la parfaite ordonnance de son âme et de sa vie[88]. Aussi son élection fut-elle accueillie dans l'ordre par une joie universelle. Heureux olunistes, s'écrie Pierre de Poitiers[89], applaudissez et réjouissez-vous. Un nouveau saint Hugues vous est donné. Il égale les poètes de l'antiquité par la pénétration de son génie. Il est en prose un second Cicéron ; en vers, un nouveau Virgile ; et il discute comme Aristote, tandis- que sa parole a la douceur de celle de Grégoire, l'ampleur de celle d'Ambroise, et qu'il scrute avec un génie égal à celui d'Augustin les mystères les plus profonds.

Sous ces formules emphatiques, le panégyriste de Pierre le Vénérable nous indique bien le caractère distinctif de la science du nouvel abbé. Né en Auvergne, vers 1092[90], d'une noble famille peut-être originaire de Bourgogne[91], élevé, dès son plus jeune âge, en qualité d'oblat, dans le monastère bénédictin de Sauxillanges, où les branches les plus diverses des études profanes et sacrées étaient enseignées avec ardeur suivant le programme du trivium et du quadrivium, Pierre de Montboissier faisait son propre portrait quand il représentait saint Bernard se parant des dépouilles de l'égyptien et les mêlant aux richesses de l'hébreu[92]. On a pu dire que le surnom de Vénérable, que ses contemporains lui donnèrent, lui fut dû pour sa connaissance éminente des sciences divines et humaines autant que pour l'intégrité de sa vie[93]. Un écrivain du XIXe siècle l'a comparé à Fénelon[94]. S'il n'a pas dans son style l'exquise élégance de l'auteur du Télémaque, il a le même goût des lettres anciennes, la même noblesse de caractère et la même onction. Oh ! l'heureux temps, écrit-il à un ancien compagnon de sa vie monastique, où, dans de pieux entretiens, on s'exhortait au désir des biens éternels ! Oh ! l'ardente charité qui nous rendait tout de feu l'un pour l'autre ! Au commencement, le seul mouvement de la nature m'avait porté vers vous ; je ne vous aimais plus, à la fin qu'en Dieu et à cause de Dieu[95]. En effet, ce que Pierre avait surtout puisé dans sa formation monastique, c'était le goût d'une tendre piété, qui n'avait fait que croître depuis le jour où il avait été offert, encore enfant, à l'ordre de Cluny, et qui devait grandir encore.

Le nouvel abbé n'ignorait pas les difficultés de la tâche qui lui incombait. Le pape Calixte II, de son côté, dans la lettre qu'il écrivait aux moines de Cluny. pour confirmer l'élection de Pierre, témoignait qu'il ne méconnaissait pas la gravité de la situation. Il encourageait les religieux à se montrer dociles envers leur nouveau supérieur, et menaçait des pénalités ecclésiastiques ceux qui oseraient troubler la congrégation[96].

Pour l'aider dans son œuvre réformatrice. Pierre fit appel à un religieux dont il connaissait la grande expérience et la surnaturelle énergie, le prieur Mathieu, de Saint-Martin-des-Champs. Grâce â sa collaboration, il put remédier à bien des abus. Dans le boire et dans le manger, le superflu fut supprimé ; on renonça à bien des aises, dont plusieurs avaient pris une douce habitude. La paix était rentrée dans le monastère, quand, tout à coup, Pons, qui s'était retiré en Palestine, débarqua en Europe. Pour déjouer les calculs de ceux qu'il voulait tromper, il déclara qu'il voulait simplement changer de retraite. Au fond, le démon de l'ambition s'était de nouveau emparé de lui. Choisissant un moment où Pierre le Vénérable était absent de Cluny, il se présente au monastère, accompagné d'une troupe armée de ses partisans et de quelques bandits soudoyés, qui brisent les portes, envahissent les cloîtres, dispersent ou emprisonnent les religieux. Les châsses d'or et d'argent qui contiennent les reliques des saints, les vases sacrés eux-mêmes, rien n'est épargné. Les villages et les lieux fortifiés qui entourent le monastère, sont envahis, et, pendant trois mois, le pillage et le meurtre règnent à Cluny[97]. Une sentence du pape Honorius, déclarant Pons et ses complices sacrilèges, schismatiques et excommuniés, met fin à cet abominable désordre ; et celui qui avait porté pendant quatorze ans la crosse abbatiale de saint Odon et de saint Hugues, meurt, séparé de l'Eglise, sans vouloir se repentir ni se faire absoudre[98].

Le calme renaît à Cluny ; mais une pareille crise n'a pu se produire sans réveiller dans la communauté certaines dissensions intestines, que le zèle de Pierre avait momentanément apaisées. Il faut se remettre à lutter contre les vieux abus, qu'une effervescence de plusieurs mois a fait revivre. Pierre le Vénérable voit en songe saint Benoît se plaignant de l'oubli de sa règle. Hélas ! s'écrie-t-il[99], quand le saint patriarche a écrit ses constitutions, il vivait dans un âge robuste ; le monde a vieilli depuis lors ; évitons les brusques secousses, qui feraient périr les institutions ; elles chancellent sur leurs bases ; donnons-leur des bâtons pour les soutenir. Il recourt à la prudence. De peur de se tromper, il regarde autour de lui. Cîteaux, qui a sous sa dépendance soixante-cinq abbayes, dont les religieux n'ont pas de riches habits, observent strictement la clôture et jeûnent tous les jours, excepté le dimanche, depuis les Ides de septembre jusqu'à Pâques[100], lui parait un modèle à suivre. Mais une vague jalousie anime les deux puissants ordres. On reproche à l'abbé de Cluny d'aller emprunter aux cisterciens le principe d'une réforme qui ne doit s'inspirer que des traditions propres de l'ordre fondé par saint Odon. Un bref d'Innocent II, daté de 1137, mettra fin à ces difficultés, en donnant à Pierre le Vénérable la faculté de modifier les statuts de son ordre, de décréter tout ce qu'il jugera utile, sans que personne ait le droit de réclamer ni de faire appel[101]. Le vénérable réformateur pourra alors librement s'inspirer des exemples de Ciseaux.

 

IX

L'ordre illustre fondé par Robert de Molesmes, avait eu. lui aussi, dans ses origines, son heure de détresse.

Dans leur désir d'assurer dans leurs cloîtres une parfaite austérité. les supérieurs de Cîteaux avaient-ils dépassé les justes bornes ? Ce mouvement vers la sainte observance avait-il été trop dépourvu de cette onction pieuse qui en eût fait accepter les sacrifices arec joie ? On ne sait. Le fait est que de jour en jour le monastère se dépeuplait. Les vieux moines qui tombaient n'étaient point remplacés par de jeunes recrues. L'épreuve, pour être différente de celle qui affligeait Cluny, n'en était pas moins sérieuse. Elle pouvait se changer en désastre. Le vénérable abbé qui dirigeait Cîteaux depuis 1109, Etienne Harding, en était tristement préoccupé. Découragé, se reprochant peut-être d'avoir contribué pour sa part à la crise douloureuse par l'inflexibilité de son gouvernement, il en vint à douter de sa mission. Mais on raconte qu'ayant fait part de ses anxiétés à un de ses religieux prêt à paraître devant Dieu, il en reçut, peu de jours après, cette réponse prophétique : Console-toi, Dieu ne tardera pas à t'envoyer de nombreux disciples, parmi lesquels se trouveront des hommes nobles et grands ; et ils rempliront à tel point ta maison, qu'elle devra, comme une ruche trop pleine, envoyer ses essaims en diverses parties du monde[102]. Vers la fête de Pâques de l'an 1112[103], l'arrivée à Cîteaux de trente gentilshommes, ayant à leur tête un jeune seigneur bourguignon, Bernard de Fontaines, parut un gage de l'accomplissement de la prophétie céleste.

Devant Bernard de Fontaines, qui sera bientôt Bernard de Clairvaux, l'histoire doit s'arrêter, comme devant un des génies les plus complets, une des âmes les plus vibrantes et les plus sympathiques dont elle ait à faire le portrait. Orateur, polémiste, diplomate, poète mystique, réformateur, le dernier des Pères de l'Eglise dans l'ordre chronologique, sera aussi grand que les plus grands d'entre eux[104]. Sa doctrine, suivant les propres expressions du pape Alexandre III, illuminera l'Eglise universelle[105] ; la chrétienté tout entière s'ébranlera à sa voix ; des princes et des rois le choisiront pour arbitre de leurs différends ; quatre siècles après sa mort, Luther et Calvin chercheront à s'abriter sous son grand nom[106], et ses écrits garderont un parfum de piété si tendre et si pur, qu'il n'est pas de prières et de proses liturgiques que le peuple chrétien répète encore aujourd'hui avec plus de dévotion que telle prière et telle prose sortie de son cœur de saint[107].

Celui qui devait remplir une si haute et si pure destinée, était né, en 1090, au château féodal de Fontaines, en Bourgogne, tout près de la ville de Dijon, d'une famille illustre et opulente. Parmi les parents du seigneur de Fontaines, son père. les chroniques et les chartes signalent des vicomtes de Dijon, des seigneurs de Châtillon, et, parmi les ascendants de sa mère, les anciens ducs de Bourgogne[108]. Mais si, de ce haut et puissant lignage. Bernard tint la suprême distinction, le fier courage, qui caractérisent sa physionomie morale ; de sa mère, Aleth de Montbard, il tint surtout une aimable et solide piété. Dès son jeune âge, il fut, nous disent ses biographes, un grand méditatif[109]. Ecolier silencieux et timide. fuyant les compagnies bruyantes des jeunes gens, pour se recueillir dans quelque lieu solitaire, il ne faisait rien prévoir, aux yeux du monde, de cet ardent prosélytisme qu'il déploierait plus tard ; mais il en préparerait les bases, en cultivant en lui l'esprit de foi. Pour lui la religion fut bientôt le tout de la vie. Il a vingt-deux ans à peine ; le monde sourit aux grâces de sa jeunesse ; mais lui. non content de porter ses regards vers la vie du cloître, a déjà fait partager à l'un de ses oncles, à cinq de ses frères, à plusieurs de ses jeunes amis, son attrait pour une vie tout entière consacrée au service de Dieu. Deux traits distinguent déjà l'âme de Bernard à cette époque : une ardente dévotion envers la Vierge Marie, et une sorte de culte filial envers sa pieuse mère, qu'il a perdue de bonne heure, mais dont il porte en lui le souvenir constant[110], dont il cherchera toujours à suivre les inspirations à ses heures de doute. C'est en pensant à sa mère qu'un jour, un moment ébranlé dans sa vocation par les sollicitations de ses amis, il renonce pour jamais à toute carrière mondaine[111]. Peu de temps après, on trouve Bernard, entouré de trente jeunes seigneurs, à Châtillon-sur-Seine, menant avec eux une vie commune de prière et d'austérité. Six mois plus tard, au printemps de 1112, les trente gentilshommes demandent à partager la vie austère de Cîteaux. Avant son départ, Bernard est allé au château de Fontaines, embrasser son vénérable père et son dernier frère, Nivard, trop jeune encore pour qu'on ait pu lui proposer d'accompagner ses frères au couvent. Voici, lui dit Bernard, que désormais tout ce domaine sera pour toi seul. — Eh quoi ! répond l'enfant ; vous prenez le ciel, et vous me laissez la terre ! Nivard veut suivre ses frères ; son jeune âge l'en empêche ; mais dès qu'il aura atteint sa seizième année, les portes de Cîteaux s'ouvriront aussi pour lui[112].

A l'aide des indications fournies çà et là par les contemporains[113], il est possible d'esquisser un portrait du jeune Bernard, au moment où il entrait à Cîteaux. D'une taille élégante, un peu au-dessus de la moyenne, la chevelure blonde, la barbe naissante de même couleur, les yeux bleus, le regard clair, il avait en lui, dit un de ses biographes, une grâce qui venait de l'esprit, non de la chair[114]. Or c'est à Cîteaux, le couvent dont l'austérité effrayait les hommes les plus rudes, que le jeune fils du seigneur de Fontaines venait demander d'être admis. Tandis qu'ailleurs des tuniques de laine à manches étroites et des chaperons de fourrure protégeaient le religieux contre la rigueur du froid, le moine cistercien se contentait, pour tous vêtements, de la robe étroite en serge, enveloppant le corps jusqu'à mi-jambe, et de la coule en laine, qu'aux heures de travail manuel on remplaçait par le scapulaire, serré à la hauteur des reins par une ceinture de cuir. La nourriture, à Cîteaux, était des plus simples. Les légumes, secs ou verts, l'huile, le sel et l'eau, en faisaient tous les frais. Dans un dortoir commun, éclairé par une pâle chandelle, le moine de Cîteaux prenait son repos sur une simple paillasse, tout habillé et les reins ceints, afin d'être prêt à se lever au premier signal[115], au milieu de la nuit, pour chanter l'office nocturne en une froide et obscure chapelle. La prière publique prenait au cistercien environ six heures par jour ; le reste du temps était consacré au travail manuel. C'était une maxime scrupuleusement observée à Cîteaux que le moine doit vivre du travail de ses mains[116]. Mais tout le temps laissé libre par l'office les dimanches et les jours de fête, celui qui s'écoulait de la fin de Sexte au premier repas ou prandium, c'est-à-dire de neuf heures à onze heures du matin, et, de plus, pendant l'hiver, l'intervalle qui séparait le repas du soir ou cana, qui finissait à six heures, de l'office de Vêpres, qui commençait à neuf heures, tout ce temps était réservé à la lectio divina[117]. Cet exercice était conçu, à Cîteaux, plutôt comme une méditation que comme une simple lecture. Saint Bernard recommandera plus tard, non pas de lire, mais de ruminer les psaumes[118]. Il faisait allusion à la pratique qu'il avait suivie dans son monastère, pratique que nous révélerait d'ailleurs l'usage qu'il fait dans ses écrits des Livres saints. Au surplus, le geste familier du travail manuel, accompli dans le silence, favorisait encore, en dehors des heures de lecture méditée, la prolongation de cette rumination pieuse ; et quand Bernard nous déclarera qu'il n'a jamais eu d'autres maîtres que les hêtres et les chênes[119], voudra-t-il indiquer autre chose, que cette habitude de repasser en son cœur, au milieu des champs et des forêts, les paroles de Dieu ou celles des Pères qui l'avaient plus particulièrement touché dans la lectio divina[120] ?

L'arrivée de Bernard et de ses compagnons à Cîteaux, fut le point de départ du mouvement de renaissance et d'expansion qui avait été annoncé à l'abbé Etienne Harding[121]. Quand il fut prouvé aux yeux de tous, dit un chroniqueur, que la règle de Cîteaux, réputée impraticable, était accessible à tous ces jeunes seigneurs, des hommes de tout âge vinrent, de diverses contrées, demander leur admission au monastère[122]. Au mois de juin de 1115, tous les vides étaient comblés. Pour satisfaire aux nouvelles vocations qui s'annonçaient, Cîteaux essaimait. Après les fondations de la Ferté et de Pontigny, l'abbé Etienne chargeait Bernard lui-même d'aller fonder sur les bords de l'Aube, à Clairvaux, sur une terre offerte par la générosité du comte de Troyes, un nouveau monastère. La nouvelle maison fut bénite par l'évêque de Châlons-sur-Marne, l'illustre fondateur des Chanoines réguliers de Saint-Victor, Guillaume de Champeaux ; et, à partir de ce jour, une intimité, qui ne devait faire que grandir dans la suite, se forma entre l'éminent prélat et le saint fondateur de Clairvaux. Les débuts de la fondation furent rudes. Une noire détresse força Bernard à rendre plus dure qu'elle n'était à Cîteaux l'austérité du régime. Mais le courage des moines fut admirable. Il devint contagieux. En moins de trois années, Clairvaux témoignait de sa vitalité en fondant trois monastères : celui des Trois-Fontaines, dans la forêt de Luiz ; celui de Fontenay, dans le voisinage de Montbard, et celui de Joigny, près de Vervins.

Le 23 décembre 1119, une bulle du pape Calixte II confirma les progrès de tout l'ordre de Cîteaux, en approuvant la charte d'union, dite Charte de charité, établie entre toutes les maisons cisterciennes. À la différence des monastères clunisiens, qui reconnaissaient à la maison mère un pouvoir souverain, les monastères cisterciens conservaient leur autonomie d'administration et se soumettaient à l'autorité des ordinaires[123]. Sur d'autres points encore, les manières de voir se trouvèrent différentes ou opposées. Tandis que les églises de l'ordre de Cluny se distinguaient par leur splendide architecture et la richesse de leur ornementation, celles de l'ordre de Cîteaux se faisaient remarquer par leur simplicité et leur pauvreté. Ces divergences et ces oppositions furent l'occasion, entre les deux ordres, de controverses, dans lesquelles Pierre le Vénérable et Bernard de Clairvaux échangèrent leurs réflexions, parfois d'une manière vive, jamais au détriment d'une surnaturelle charité. L'autorité pontificale laissa librement se développer les deux tendances, pensant qu'elles avaient place l'une et l'autre dans l'Eglise de Dieu.

 

X

Une expansion de vraie vie monastique n'est jamais allée dans l'Eglise sans une expansion correspondante de progrès intellectuel et moral. Des hommes comme Guillaume de Champeaux, Pierre le Vénérable et Bernard de Clairvaux, n'avaient pas moins de vigueur d'intelligence que de vertu. Leur place est dans l'histoire de la civilisation générale comme dans celle de l'Eglise.

Depuis que saint Anselme, dans son enseignement et dans ses écrits, avait donné une si large place à la spéculation rationnelle, le mouvement scolastique ne s'était pas arrêté. On y peut distinguer, bien que souvent mêlés et confondus, deux courants : l'un, plus proprement philosophique, qui se manifeste surtout dans la discussion du problème des universaux ; l'autre, plus spécialement théologique ou mystique, qui se révèle dans les controverses soulevées par les hérésies d'Abailard et de Pierre de Bruys.

Un philosophe grec, mort au début du IVe siècle, Porphyre, avait écrit, dans son Izagoge, cette phrase : Je ne rechercherai point si les genres et les espèces existent en eux-mêmes ou seulement dans l'intelligence, ni s'ils existent séparés des objets sensibles ou dans ces objets et en faisant partie : ce problème est trop difficile[124]. Ce problème, qu'un des derniers philosophes du monde antique déclarait non encore résolu[125], fut celui qui passionna les premiers métaphysiciens du Moyen Age. Y a-t-il des réalités distinctes des êtres singuliers dont nous constatons l'existence ? Les êtres semblables par l'espèce ont-ils un élément réel, commun à tous, distinct, mais non séparé d'eux-mêmes ? En dehors des hommes que je rencontre, l'humanité est-elle quelque chose ? Ou bien n'est-ce qu'un vain mot P Problème dont plusieurs historiens ont souri, niais où plus d'un esprit sérieux a cru voir le problème inévitable de la métaphysique[126], le problème même de la philosophie[127]. Il est connu sous le nom de problème des universaux. Or, vers la fin du XIe siècle et au début du XIIe, trois hommes célèbres l'abordèrent, le discutèrent avec feu devant une jeunesse passionnée, et en donnèrent trois solutions différentes. Ces trois hommes furent Roscelin, Guillaume de Champeaux et Abailard.

C'est une étrange figure que celle de Roscelin, ce Breton novateur, qui, par les audaces de sa pensée et par les faux-fuyants de sa conduite, semble ébaucher à la fois, dans sa complexité déconcertante, Lamennais et Renan. On ignore le lieu exact de sa naissance en Bretagne. Pourvu d'un canonicat à Compiègne, il y enseigne publiquement, sans doute en qualité d'écolâtre de son chapitre ; et l'élégance de sa parole, l'étendue de ses connaissances, plus encore l'audace frondeuse de ses assertions, groupe autour de sa chaire un auditoire nombreux et attentif. A-t-il enseigné positivement que l'humanité n'est qu'une conception de notre esprit, que les genres et les espèces ne sont que des fictions, des noms, des mots sans réalités correspondantes, flatus vocis ? La pénurie de documents que nous avons sur lui[128] ne permet pas de l'affirmer. Il semble qu'il ait été surtout, suivant l'expression d'un historien de la philosophie médiévale, un démolisseur[129]. Il affecte pour l'abstrait et le transcendant un mépris qui lui donne une apparence de bon sens, qui le fait passer, auprès des jeunes gens, pour un esprit robuste, assez maître de lui-même pour ne compter qu'avec les réalités visibles et palpables[130]. Il devient le grand homme du jour[131] ; et, fort de sa popularité, ne craint pas de faire l'application de sa théorie aux dogmes fondamentaux du christianisme. D'après le témoignage de saint Anselme, il déclare que les trois Personnes divines sont trois êtres séparés, comme trois anges, et qu'on pourrait dire vraiment que ce sont trois Dieux, si l'usage le permettait[132]. En 1092, un concile de Soissons le condamne. Il abjure son erreur ; mais il reprend bientôt l'enseignement de sa première doctrine. Chassé de France, il répand ses erreurs en Angleterre et à Rome, revient à Paris, jouant de ruse et payant d'audace tour à tour, tantôt essayant de tromper ses supérieurs par des équivoques, tantôt les insultant avec brutalité. Si l'on en croit certains chroniqueurs, il serait mort, comme Bérenger, réconcilié avec l'Eglise, consacrant les dernières années de sa vie au service des pauvres[133] ; mais son œuvre reste, et le docteur du nominalisme[134] sera invoqué comme un ancêtre par plus d'un rationaliste dans l'avenir[135].

Mais, parmi les auditeurs du docteur de Compiègne, un prêtre avait été choqué de sa doctrine, au point d'embrasser, pour la combattre, un système diamétralement opposé. C'était Guillaume de Champeaux, le futur fondateur des Chanoines réguliers de Saint-Victor. À l'école du cloître Notre-Dame, où il eut une chaire, puis à Saint-Victor, Guillaume de Champeaux enseigna que, loin d'être une pure fiction de notre esprit, l'essence universelle, par exemple l'humanité, c'est-à-dire la nature humaine, l'espèce humaine, est la grande réalité, qui fait que tel homme est vraiment homme, et que tous les hommes forment un seul tout, une seule espèce, à la fois identiques par leur essence et multiples par leurs qualités individuelles[136].

Mais Guillaume de Champeaux rencontra, à son tour, dans un de ses élèves, un ardent contradicteur. Il s'appelait Pierre, et venait, comme Roscelin, de Bretagne, où il était né, en ion, dans la seigneurie du Palet, à peu de distance de Nantes, d'une race de gentilshommes. Il devait être bientôt connu sous le surnom d'Abailard (baiare lardum), dû à une plaisanterie d'un de ses maîtres, Thierry de Chartres[137]. C'était un élégant jeune homme, à l'intelligence vive et curieuse, à la parole ardente et facile, aux connaissances infiniment variées. On le voyait s'interrompre de ses études, pour chanter avec grâce des vers en langue vulgaire qu'il avait composés lui-même, ou pour rompre des lances dans les tournois. Il était un de ceux que les théories de Roscelin avaient séduits. Au pied de la chaire de Guillaume de Champeaux, il rêva de jouter contre celui qu'on appelait le premier dialecticien du monde[138]. Les premières objections qu'il souleva contre l'enseignement du maître, révélèrent son esprit téméraire et présomptueux. Un parti d'étudiants se groupa autour de lui. En 1102, il se crut assez fort pour fonder à Melun, résidence royale, une école indépendante, qu'il transféra bientôt à Corbeil. Les succès bruyants qu'y obtint son éloquence de tribun, la témérité même de son attitude, ne firent qu'exalter son orgueil. On vit ce jeune professeur de vingt-quatre ans aller harceler de ses disputes, dans sa solitude de Saint-Victor, son ancien maître, puis se rendre à Laon pour y établir une école rivale de celle d'Anselme[139]. Un triomphe plus grand l'attendait. En 1113, le successeur de Guillaume de Champeaux dans la grande école de Notre-Dame de Paris, céda à Abailard la chaire de son maître. Ce fut, pour l'écolâtre de trente-trois ans, le début d'une période de gloire, dont l'éclat, attesté par tous les contemporains, paraît fabuleux[140]. Des milliers d'auditeurs se pressent autour de sa chaire. Ces succès inouïs achèvent de l'enivrer. On connaît la passion coupable, cruellement expiée, qui le conduit à embrasser la vie monastique. Mais l'orgueil de son esprit ne fléchit pas. Il critique à la fois le nominalisme de Roscelin, qu'il trouve hésitant et timide, et le réalisme de Guillaume de Champeaux, qu'il essaye de ridiculiser en l'exagérant. La doctrine qu'il leur oppose, et qu'on baptisera plus tard du nom de conceptualisme, dénote, il est vrai, une réelle pénétration d'esprit. Abailard tient que l'universel existe dans l'individuel, mais il ne signale pas assez clairement le procédé abstractif de l'esprit qui l'en dégage ; et, par suite, on a pu dire que, si sa théorie est une étape définitive vers le thomisme, elle reste incomplète[141].

Mais c'est surtout dans le domaine de la théologie qu'Abailard s'égare. Sous prétexte de combattre le trithéisme de Roscelin, il enseigne le sabellianisme ; pour réfuter la théorie qui voit dans la Trinité trois Dieux, il identifie les trois personnes avec l'Essence divine. Il prétend rendre intelligibles tous les mystères, et déclare qu'on ne peut croire que ce qu'on a préalablement compris[142]. Par là, après avoir ruiné la notion catholique de la Trinité, il ruine le concept catholique de la toi. Aussi un concile de Soissons, en 1121, le condamne-t-il à brûler lui-même le fameux livre qui contient ces deux formidables erreurs, le Tractatus de unitate et trinitate divina[143].

Malgré tout, la controverse des universaux contribua au progrès des études philosophiques. Les réalistes, même outrés, par l'attention qu'ils ont portée à la réalité substantielle des choses, ont servi puissamment au développement de la métaphysique[144] ; et les nominalistes, dans l'ardeur qu'ils ont mise à chasser de la philosophie les entités chimériques, par l'étude critique qu'ils ont tentée des lois de l'abstraction et de la réflexion, ont donné un incontestable essor aux études psychologiques[145].

 

XI

Les hérésies de Roscelin et d'Abailard se rattachaient à des erreurs philosophiques ; il en était d'autres qui, nées sur le terrain même de la théologie et de la piété, ne troublèrent pas moins l'Eglise pendant le premier quart du XIIe siècle. Tandis que le nominalisme et le réalisme exagéré, transportés dans l'interprétation du dogme, en faussaient le sens dans le monde des écoles, l'hérésie manichéenne, secrètement propagée dans les masses populaires, y propageait les plus dangereuses doctrines.

Nous avons déjà rencontré plusieurs fois, et nous retrouverons plus d'une fois encore, dans la suite de cette histoire, la secte manichéenne. Bossuet a marqué, dans son Histoire des Variations[146], les principales étapes de cette funeste hérésie, qui, possédant à merveille l'art de se dissimuler, de se faire oublier même quand il en était besoin, passa d'Asie en Europe au IIIe siècle, et parvint en France par la Thrace et la Bulgarie. Lacordaire la compare à ces monstres qui suivent, au fond de l'Océan, des routes ignorées, et qui quelquefois élèvent leur tête séculaire au-dessus des flots[147]. Au commencement du XIIe siècle, l'hérésie apparaît à la fois au nord, autour d'Anvers et de Bruges, et au midi, dans le Dauphiné, la Provence et le Languedoc.

Dans le nord, un certain Tanchelm ou Tanchelin, simple laïque, mais qui se dit évêque sacré par le pape, pratique avec une grande habileté l'art de séduire les foules. Il commence par parler avec douceur, se sert surtout des femmes, qu'il endoctrine, pour propager ses erreurs parmi les hommes. Puis il se met à prêcher en plein champ : Fuyons, s'écrie-t-il, l'ombre des églises, propice à la fraude et au crime ! Les prêtres n'y consacrent pas le corps du Christ, et ils y commettent des forfaits. C'est auprès de Tanchelm, en pleine lumière, qu'il faut chercher la vraie doctrine, car Tanchelm porte en lui la plénitude du Saint-Esprit : comme le Christ, il est Dieu ! Quand Tanchelm monte en chaire, sur une place publique, il apparaît dans une pompe royale, tout couvert d'or et de pourpre. Des gardes portent devant lui un étendard et une épée. Une armée de trois mille hommes l'entoure. Le peuple, émerveillé, l'écoute comme un envoyé du ciel. L'hérésiarque lui déclare qu'il est urgent de rejeter la hiérarchie ecclésiastique et les sacrements. Mais on s'aperçoit bientôt que cet homme, abusant de la confiance de ses disciples, se livre aux plus infâmes débauches. Après un voyage à Home et en Allemagne, il tente en 1115 de reparaître en Flandre ; en y arrivant, il est assommé par un clerc[148]. Mais son parti subsiste, ardent, fanatisé. L'évêque de Cambrai appelle alors, pour éclairer les consciences, le vénéré fondateur de Prémontré, saint Norbert, qui, aidé de plusieurs de ses disciples, parvient à extirper l'hérésie. Il s'y prend avec une extrême douceur. N'ayez point peur, dit-il aux habitants d'Anvers ; vous n'avez erré que par ignorance ; écoutez la vraie doctrine. Cette mansuétude et les exemples de sainteté donnés par les missionnaires, touchent les cœurs. Hommes et femmes se convertissent et rapportent les saintes Hosties que, pour obéir à l'hérésiarque, ils avaient cachées dans des caves ou dans des trous[149].

Dans quelle mesure la doctrine de Tanchelm se rattachait-elle au manichéisme ? Il est difficile de le préciser. La négation de la hiérarchie et des sacrements, la prétention à une inspiration directe de l'Esprit-Saint, l'union d'un spiritualisme outré et d'une conduite immorale, sont au moins des traits de l'hérésie de Tanchelm qui lui sont communs avec l'hérésie manichéenne. Les attaches à la doctrine de Manès sont plus visibles dans la doctrine de l'hérésiarque qui troubla le midi de la France, Pierre de Bruys[150]. Celui-ci ne se contente pas d'attaquer la hiérarchie et les sacrements ; il condamne le baptême des enfants, refuse au sacrifice de la messe la valeur même d'un symbole, tourne en dérision les oraisons pour les morts, les prières et toutes les bonnes œuvres, et proscrit les croix, sous prétexte qu'elles rappellent le supplice du Christ[151]. L'hérétique provençal est, à la fois, plus sophiste et plus brutal que l'hérétique flamand. Il raisonne et cherche à appuyer toutes ses assertions sur des textes de l'Ecriture ou des principes de bon sens. De plus, joignant l'action à la parole, il fait saisir et fouetter les prêtres et les moines, renverse les autels, abat les crucifix. Pendant vingt ans, de 1104 à 1124, il parcourt les Pyrénées, la Provence, le Languedoc, la Gascogne, où il fait de nombreux adeptes. Mais ses fureurs d'iconoclaste finissent par le perdre. Près de la ville de Saint-Gales, en Provence, une foule, exaspérée par ses attentats sacrilèges, se précipite sur lui, le saisit, et l'entraîne au bûcher, où il périt. Il a pour successeur un ancien moine de Cluny, Henri de Lausanne, qui propage l'hérésie en Suisse, en Savoie et dans le diocèse du Mans. Les partisans de Pierre de Bruys et d'Henri, vulgairement appelés Pétrobrusiens et Henriciens, seront condamnés en 1148 par un concile de Reims Un certain nombre d'entre eux se convertiront à la voix de saint Bernard ; les autres feront alliance, en 1184, avec la secte des Vaudois.

Saint Norbert et ses Chanoines réguliers avaient combattu les erreurs de Tanchelm ; c'est à Pierre le Vénérable et à ses moines de Cluny qu'échut la tâche de lutter contre celles de Pierre de Bruys. Le saint abbé écrivit, à ce propos, aux archevêques d'Arles et d'Embrun, aux évêques de Die et de Gap : Il vous appartient de poursuivre l'erreur dans les repaires où elle se cache et de l'attaquer par la parole, ou même, s'il en est besoin, par le glaive séculier. Toutefois il est de la charité chrétienne de s'appliquer à convertir les hérétiques plutôt qu'à les exterminer. Essayons donc de leur parler au nom de l'autorité, au nom de la raison[152].

Ces conseils furent suivis. De nombreux prédicateurs, moines et clercs, pourchassant l'erreur partout où elle se manifestait, se firent entendre, non seulement dans les églises et dans les cloîtres, mais au milieu des places publiques et dans les champs. Pour mieux se faire comprendre des multitudes ils durent alors s'exprimer, non plus en latin, mais en langue romane[153]. L'éloquence sacrée y prit en même temps un caractère plus familier, plus vivant, plus dramatique. Dans telle circonstance, l'exhortation se transforme en dialogue. L'éloquence de la chaire perd quelque chose de sa gravité, mais elle s'assouplit, pénètre les masses ; et la langue française alors en période de formation, s'enrichit de locutions et de mouvements pittoresques qui seront des éléments de son originalité[154].

 

XII

Ainsi, du sommet à la base de sa hiérarchie, l'Eglise retrouvait, au milieu de tant de crises, non seulement l'ordre essentiel à son fonctionnement, mais une vitalité puissante ; et cette vitalité se manifestait par l'action prépondérante qu'elle exerçait sur la société civile. Tandis, en effet, que la papauté faisait preuve de son ascendant sur les seigneurs et sur les rois, en organisant les croisades, le clergé inférieur manifestait son influence sur le peuple, par la part qu'il prenait au mouvement communal.

Sans doute, le clergé des campagnes n'a pas créé le mouvement communal. Son origine remonte à des causes politiques et économiques historiquement assignables. On a pu reconnaître, dans les franchises communales de telle région de l'Italie ou du Midi de la France, la survivance des institutions communales romaines[155] ; et la prospérité commerciale de certains groupes régionaux à la suite des croisades, a été manifestement un des principaux stimulants qui les ont portés à s'organiser d'une manière autonome. La marche de l'émancipation communale a son point de départ dans les régions qui ont le plus subi l'influence romaine, et suit la direction des grands courants commerciaux. Il est juste aussi de remarquer que le haut clergé n'a pas toujours compris ni favorisé ce mouvement d'affranchissement. On a souvent cité le mot de l'abbé Fulbert de Nogent : Commune ! nom nouveau, nom détestable !, et celui de l'évêque Yves de Chartres : Un pacte communal ne saurait obliger, parce qu'il est contraire au droit canonique[156]. Les excès commis par certains soulèvements populaires ont nui au mouvement, jusqu'à faire porter la réprobation due à ces excès sur l'institution elle-même ; et tel seigneur ecclésiastique a pu voir surtout dans cette émancipation la suppression des droits féodaux qui lui revenaient. Mais tel ne pouvait être le point de vue du clergé rural, qui, vivant de la vie du peuple, confident journalier de ses souffrances, comprit sans peine que le moment était venu, pour telle ou telle agglomération, de s'organiser pour la défense de ses droits.

Deux laits paraissent avoir exercé une action importante sur le mouvement communal : la multiplication des confréries religieuses et les associations formées pour la Trêve de Dieu. Associé avec ses pairs pour bénéficier d'une entraide spirituelle, le commerçant, l'artisan, l'ouvrier, prend l'habitude d'une action commune, d'une solidarité professionnelle ou locale. C'est une confrérie de Saint-Eloi qui organisa la commune de Châteauneuf, près de Tours ; c'est dans une confrérie de Saint-Hilaire que se recruta, à Poitiers, le corps de ville ; et c'est une confrérie de l'Assomption qui suscita, dit-on, la commune de Mantes[157]. Quant à la formule du serment prêté pour le maintien de la Trêve de Dieu, elle créait entre les associés des engagements plus directement afférents à la défense mutuelle de leurs droits civils : En faveur de tout associé qui m'appellera à son aide, et contre tous ceux qui refuseront de garder la Trêve, je prendrai les armes ; je porterai secours à tous ceux que je pourrai aider. Au concile romain de 1102, il est décidé que le peuple, en présence des clercs, prêtera serment de poursuivre les violateurs de la paix. Le concile de Clermont, dans son IXe canon, porte une décision semblable. Guillaume, légat du pape et archevêque d'Auch, écrit en 1102 : Si quelqu'un tente de violer la paix, que son prince et son évêque, avec le clergé et le peuple, le forcent à réparer le dommage causé.

Souvent, dit M. Sémichon, en passant au pied des vieux donjons, dont les restes nous étonnent encore, et en jetant les yeux, du haut des murailles démantelées, sur les humbles chaumières que l'œil découvre à peine, cachées dans les buissons au pied des tours, nous nous étions demandé : Comment l'habitant de l'humble chaumière a-t-il pu conquérir l'égalité des droits avec le fier seigneur du donjon ? La réponse est dans notre histoire : l'Eglise et les associations. Désormais les bourgeois et les vilains sont forts : ils ont le droit, l'Eglise le leur a dit ; ils ont la force par l'association[158].

Un chroniqueur du XIe siècle, André, moine de Saint-Benoît, nous montre comment la Trêve de Dieu, dont l'initiative avait été prise par les évêques et les abbés d'Aquitaine, s'établit à Bourges.

L'archevêque de cette grande cité réunit les pauvres et les clercs, tous les faibles et les opprimés de son diocèse ; il les lie contre les oppresseurs par un serment dont il est le premier à prononcer la formule, et les exhorte à former une commune, ut commune faciant, c'est-à-dire une ligue, une communauté guerrière et armée dans un but d'agression et de défense. La ligue se forme, en effet, par les soins de l'archevêque Aimoin et de ses suffragants[159]. Dès lors, les conditions sociales se modifient. La guerre éclate-t-elle entre deux seigneurs ? S'ils veulent, comme autrefois, faire appel à la force et ravager la contrée, aussitôt le peuple crie vers l'évêque, et celui-ci, en vertu de la Trêve de Dieu, fait d'abord cesser la guerre pendant quarante jours, puis cite les deux seigneurs devant le tribunal de la paix ; car la paix a ses tribunaux, ses juges, ses impôts et sa force publique qui est tout le monde[160]. Mais si le seigneur refuse de comparaître devant ce tribunal ecclésiastique et populaire s'il veut, comme autrefois en appeler aux armes, il est excommunié ; et, dans le cas où cette peine, alors si terrible, ne suffit pas l'association plébéienne s'ébranle à la voix de l'évêque, et, sous la conduite des curés et des chefs élus, monte à l'assaut du manoir féodal[161].

C'était dans les premières années du XIIe siècle. Les gens de tous états, réunis sous les bannières de l'association de la Trêve de Dieu, assiégeaient le château du Puis, avec l'aide du roi Louis VI. L'assaut languissait, raconte le moine Suger, les chevaliers du roi faiblissaient, quand un pauvre prêtre chauve, venu avec les communautés des paroisses du pays, rendit possible ce que l'on croyait impossible. Cet homme, en effet, le front découvert et portant devant lui pour toute défense une mauvaise planche, monte avec rapidité, parvient jusqu'à la palissade, et l'arrache pièce à pièce, en se couchant sous les ais arrangés pour en couvrir l'ouverture. Reconnaissant avec joie qu'il y réussit aisément, il fait signe de venir l'aider à ceux de ses gens qui hésitaient à le suivre et restaient dans la plaine, sans prendre part au combat [162].

De l'association pour la Trêve à l'association pour la commune jurée, ou pour la liberté municipale, il n'y avait qu'un pas ; il fut aisément franchi. Le jour où l'on se réunit par commune et par paroisse, au lieu de s'assembler par contrée et par diocèse, le mouvement communal commence. Ce changement est sensible sous Louis VI. Alors, dit le chroniqueur Ordéric Vital, une communauté populaire fut établie en France par les évêques, et les prêtres accompagnaient le roi pour les combats ou les sièges avec leurs bannières et tous les paroissiens[163].

C'est à la même époque que le mot commune apparaît dans les actes publics ; mais le mot de paix persiste encore pendant longtemps, et nous le rencontrerons dans plusieurs villes Ce fait est très remarquable, car les premières communes se nomment indifféremment communes ou paix ; les jurés, paciarii, paiseurs, hommes de la paix ; le serment communal s'appelle le serment de paix. Enfin, pour rendre l'assimilation plus complète, l'apparition des premières communes coïncide exactement avec la généralisation, la consécration solennelle, par l'Eglise entière des associations de la paix[164].

 

XIII

La paix : telle est bien l'inspiration qui semble dominer les préoccupations de l'Eglise, dans les tendances de la piété des fidèles comme dans la législation canonique des papes, tandis que l'Eucharistie est de plus en plus en honneur, que Pascal II adoucit la pénitence et blâme la violence des mœurs, que les droits et les devoirs des clercs se précisent, et que Calixte II couronne cette œuvre de pacification générale par la réunion du concile œcuménique de Latran.

Il n'est pas exact de dire que l'élévation de l'hostie à la messe a été instituée, comme on le répète souvent, aussitôt après la condamnation de Bérenger de Tours et pour protester contre son hérésie[165]. Ce rite ne devait apparaître qu'à la fin du XIIe siècle. Mais on peut constater qu'au début du XIIe siècle l'Eucharistie a pris une grande place dans la vie chrétienne. Il est incontestable que l'hérésie de Bérenger a, par réaction, stimulé la foi des fidèles. La communion est mieux comprise. Elle est recommandée avec une chaleur et une délicatesse de sentiment qui annoncent les effusions de piété d'un saint Bonaventure et d'un saint Thomas d'Aquin envers le Sacrement de l'autel. En même temps les rites de la pénitence s'adoucissent. Au lieu de la formule déprécative de l'absolution, qui a généralement prévalu jusqu'à cette époque, la formule indicative se généralise. Je t'absous, dit le prêtre, et non plus : Que le Seigneur t'absolve[166]. Les concessions d'indulgences se multiplient. En 1116, le pape Pascal II accorde la première indulgence générale. Urbain II concède à l'église de Saint-Nicolas d'Angers le privilège à perpétuité d'une indulgence pour tous ceux qui la visiteront ; Calixte II accorde une faveur analogue à l'église de Fontevrault Les institutions de ce genre ne se comptent bientôt plus[167], Pour mettre fin aux querelles privées ou aux procès, un étrange procédé est encore en honneur : c'est le Jugement de Dieu. On est censé prouver son innocence ou son bon droit, en s'avançant à travers les flammes, en marchant pieds nus sur du fer rougi au feu, en se faisant précipiter, les membres liés, dans une cuve d'eau, froide ou bouillante. Pascal II déclare nettement réprouver toutes ces pratiques, empreintes d'une grossière superstition[168].

Dans l'organisation ecclésiastique elle-même, un élément d'ordre et de paix s'est progressivement constitué. Au cours des innombrables conflits qui ont rempli le XIe siècle, les occasions n'ont pas manqué de régler les droits et les devoirs respectifs des clercs entre eux et par rapport aux laïques. La condition juridique du curé, du chanoine, de l'évêque, est mieux déterminée, ainsi que l'autorité suprême du souverain pontife.

Les liens de vassalité qui existaient entre les chefs des paroisses et les seigneurs ont à peu près disparu. À la suzeraineté féodale a succédé le patronat, régime plus doux, qui confère seulement aux seigneurs le droit de présentation et parfois l'hommage[169]. La paroisse est gouvernée parfois par un chapelain, plus souvent par un curé, par un chapitre ou par un monastère. Depuis qu'on a brisé ses liens étroits de dépendance à l'égard des seigneurs laïques, le clergé paroissial a gagné en moralité et en considération. On requiert maintenant du curé certaines qualités morales et physiques, l'âge canonique un degré suffisant d'instruction[170]. En même temps, les biens-fonds des paroisses se sont accrus. Il y a eu restitution graduelle des biens usurpés par les seigneurs, et bien des donations pieuses sont venues augmenter le patrimoine paroissial. On voit moins de curés, pressés par l'exiguïté de leurs ressources, s'adonner au droit et à la médecine. Les communautés de clercs qui desservent les églises s'appellent chapitres ; leurs membres, chanoines. Les chapitres cathédraux desservent l'église cathédrale de la cité épiscopale ; les chapitres collégiaux sont chargés du culte et de la prière publique dans les autres églises de la cité et dans celles des villes et bourgs que ne dessert pas un curé[171]. En général, le chapitre a à sa tête un doyen ou prévôt, élu par lui, puis un chantre, un écolâtre, un chancelier, etc. Il est seigneur des terres qui constituent la mense capitulaire et qu'administre le prévôt. Un grand nombre de chapitres ont embrassé la règle de Saint-Victor ou de Prémontré ; mais d'autres résistent énergiquement : tel, le chapitre de Paris, soutenu dans la circonstance par Louis le Gros, et le chapitre de Compiègne[172].

Les chapitres cathédraux ont désormais une importance considérable. Depuis le milieu du XIe siècle, ils sont maîtres de l'élection épiscopale. Ils se recrutent parfois eux-mêmes, et constituent alors un pouvoir qui peut devenir rival de l'autorité de l'évêque. Mais l'évêque, en plusieurs endroits, a pu se réserver la nomination des chanoines, avec l'agrément du chapitre pour chaque promotion.

Le pouvoir épiscopal, dont les seigneurs et les rois avaient excessivement augmenté les attributions lorsqu'ils cherchaient à faire des évêques leurs hommes-liges, a perdu de son importance au début du XIIe siècle. Les chapitres d'une part, le pape de l'autre, ont repris quelques-unes de ses attributions ; mais ses droits essentiels sont fermement maintenus. Lors même que le curé est présenté par le seigneur en vertu d'un droit de patronat, c'est l'évêque qui l'institue, qui reçoit son serment de fidélité et qui le fait installer par le doyen. Le curé ne peut introduire aucun personnel, même laïque, dans l'administration de son église, ni prélever aucune dîme sans le consentement de son évêque.

L'autorité des métropolitains subit la même évolution que celle des évêques. Les métropolitains s'étaient arrogé le droit d'instituer les évêques sans recourir au pape, de juger leurs compétitions, de créer même des évêchés. La papauté maintient et confirme avec énergie leur droit de juridiction sur les évêques de leur province[173] ; elle leur reconnaît un droit de garde sur les églises vacantes, l'examen des élections, le droit de sacrer leurs suffragants ; mais elle leur retire les autres pouvoirs, qui les constitueraient prélats autonomes, au grand détriment de l'unité de l'Eglise.

Dans les circonstances extraordinaires, les papes confient des pouvoirs particuliers à des légats. Ces pouvoirs sont restreints à telle région, parfois à telle affaire déterminée[174]. Ces légats sont souvent choisis parmi les cardinaux.

Le corps cardinalice, organisé en 1059[175], comprend, au temps de Calixte II, six cardinaux évêques, vingt-huit cardinaux prêtres et dix-huit cardinaux-diacres. Il ressuscite, autour du pontife romain, l'antique presbyterium qui entourait les évêques d'autrefois[176]. Nous avons vu le rôle prépondérant qui lui appartient, depuis 1051, dans l'élection des papes.

Quant au pouvoir de la papauté, les crises douloureuses qu'il a dû traverser n'ont fait que le préciser et le confirmer. Au concile de Latran de 1102, Pascal II ne soulève aucune objection des évêques présents lorsqu'il leur demande de s'engager par serment à approuver et à condamner tout ce qu'approuverait ou condamnerait l'Eglise romaine. Le pape exerce désormais sans entraves son droit de déposer les évêques, de confirmer leur élection, de trancher leurs différends, de créer des évêchés, de conférer aux métropolitains leurs pouvoirs en leur remettant le pallium, d'établir des primats et d'envoyer des légats là où il le juge opportun pour le bien de l'Eglise. Ni les résistances de certains évêques et de certains rois, ni les faiblesses momentanées de Pascal II, n'ont empêché cette reconnaissance de l'autorité suprême du pontife romain.

Calixte II pense que l'heure est venue de faire consacrer par une assemblée plénière de l'épiscopat les résultats acquis pendant les longues luttes que l'Eglise vient de traverser. Le 18 mars 1123, troisième dimanche de Carême, il réunit au Latran trois cents évêques[177], venus de tous les pays de la chrétienté. C'est le neuvième des conciles œcuméniques, le premier qui se tient en Occident. On n'y promulgue aucun dogme nouveau, aucune loi disciplinaire nouvelle ; mais tous les progrès réalisés par l'Eglise au cours des derniers siècles y sont confirmés, précisés, sanctionnés. On y lit et on y rectifie le concordat de Worms, et l'on y publie vingt-deux canons. On y condamne de nouveau la simonie, le concubinage des clercs, les empiétements des laïques dans le domaine des affaires ecclésiastiques, les mariages défendus, les infractions à la Trêve de Dieu, la falsification des monnaies, la violation du serment de prendre les armes contre les infidèles et les attentats commis contre les pèlerins. On y règle aussi les rapports des moines avec les évêques, et plusieurs affaires particulières[178].

Calixte II survit peu à ce grand concile. Il meurt le 13 décembre 1124. L'empereur Henri V, le dernier de la race de Franconie, le suit dans la tombe, le 22 mai 1125, âgé de quarante-quatre ans.

 

 

 



[1] Le Liber Pontificalis donne, à propos de Pascal II, une description sommaire des cérémonies de l'élection et de la consécration pontificales au commencement du IIIe siècle. Voir ces cérémonies dans DUCHESNE, Liber Pont., t. II, p., 306, note 4. Cf., du même, Origines du culte chrétien, p. 348.

[2] On dit ordinairement que Pascal II avait été moine à Cluny. En fait, le plus ancien auteur qui nomme son monastère, Ordéric Vital (Hist. ecclés., X, 1), s'exprime ainsi : Robertas Vadis Brutiorum monachus. (DUCHESNE, Lib. pont., t. II, p. 306, note 3.)

[3] Liber Pontificalis, t. II, p. 296.

[4] EKKÉHARD, Chronicon universale, ad ann. 1099, P. L., t. CLIV, col. 976.

[5] HUGUES DE FLAVIGNY, Chronicon, l. II, P. L., t. CLIV, col. 380.

[6] DOMNIZO, Vita Mathildis, l. II, cap. III, P. L., t. CXLVIII, col. 1018.

[7] JAFFÉ, n. 6630.

[8] M. G., SS., t. III, p. 107.

[9] EKKÉHARD, Chronic., ad ann. 1102. P. L., t. CLIV, col. 985 ; JAFFÉ, n. 6630.

[10] MANSI, XX, 1147.

[11] JAFFÉ, n. 6630.

[12] Annales Augustani, dans M. G., SS., t. III ; EKKÉHARD, Chron. univ., ad ann. 1103, P. L., t. CLIV, col. 987.

[13] M. G., SS., t. VI, p. 224.

[14] EKKÉHARD, Chron. univ., ad ann. 1103, P. L., CLIV, 987.

[15] Cf. HÉFÉLÉ-LECLERCQ, t. V, p. 479-480. A. CAUCHIE, la Querelle des investitures dans les diocèses de Liège et de Cambrai, 2e partie, un vol in-8°, Paris, 1890 ; Dom G. MORIN, Un épisode inédit du passage de l'empereur Henri IV à Liège en 1103, dans la Rev. bénéd., 1910, t. LXXVII, p. 412-415.

[16] JAFFÉ, n. 5970-5973. P. L., t. CLXIII, col. 108-121.

[17] Henri V avait alors vingt-trois ans.

[18] M. G., SS., t. III, p. 108.

[19] Annales romani, dans M. G., SS., t. V, p. 477.

[20] Ce refus de sépulture religieuse a été un sujet de récriminations contre l'Eglise de la part de plusieurs écrivains rationalistes et protestants. Il n'est pas inutile de rappeler que l'excommunication, comme toutes les censures, n'a que des effets juridiques, ne prive le chrétien que des biens spirituels du for externe, et que ces effets ne peuvent être empêchés que par un acte juridique du for externe. Un excommunié peut donc mourir en des sentiments qui lui obtiennent le pardon de Dieu et être cependant légitimement privé de la sépulture ecclésiastique. Voir Dict. de théol., de VACANT, t. IV, col. 1738.

[21] Dans la Haute-Italie, entre Vérone et Mantoue.

[22] A. LUCHAIRE, Louis le Gros, Annales de sa vie et de son règne, un vol. in-8°, Paris, 1890, p. 26.

[23] SUGER, Vita Ludovici Grossi, cap. IX, P. L., t. CLXXXVI, col. 1269.

[24] Tel est le récit de Suger, témoin oculaire de cette discussion. SUGER, Vita Ludov. Grossi, cap. IX.

[25] C'était le dimanche de la Quinquagésime, 12 février 1111.

[26] Sutri, dans le district de Viterbe, province de Rome.

[27] M. G., Leges, t. II, p. 66-69.

[28] Le texte d'Ekkéhard est formel : Præbuit rex assensum, sed eo pacto, quatenus hæc transmutatio... concordia totius Ecclesiæ ac regni principum stabiliretur : quod etiam vix aut nullo modo fieri passe credebatur. (EKKÉHARD, Chronc. univ., ad ann. 1111, P. L., t. CLIV, col. 1021-1022.)

[29] M. G., SS., t. VII, p. 779 ; WATTERICH, t. II, p. 54.

[30] Annales Romani, dans M. G., SS., t. V, p. 475.

[31] M. G., SS., t. VI, p 250.

[32] Le texte se trouve dans BARONIUS, Annales, ad ann. 1111 ; la traduction française, dans HÉFÉLÉ-LECLERCQ, t. V, p. 525-526.

[33] WATTERICH, t. II, p. 68-90.

[34] MANSI, XX, 1008 ; BARONIUS, ad ann. 1111, n. 24 ; ad ann. 1112, n. 3. On peut rapprocher cette faiblesse momentanée de Pascal II, de la faiblesse momentanée du pape Libère à Bérée, au IVe siècle  et de celle du pape Pie VII à Fontainebleau. Il serait, d'autre part, intéressant de comparer l'abandon des droits régaliens, fait par le pape Pascal, pour obtenir l'indépendance de l'Eglise, avec l'abandon des biens ecclésiastiques si généreusement consenti, dans une même intention, par l'unanimité du clergé de France, en 1907.

[35] Voir SUGER, Vita Ludocici Grossi, cap. II, P. L., t. CLXXXVI, col. 1272 ; Gesta episcop. Engolismensium, cap. XXXV, M. G., SS., t. XXI, p. 52. Godefroy de Viterbe dramatise la scène, représente le pape déposant sa mitre et son manteau en plein concile de Latran, devant les Pères, qui repoussent son abdication.

[36] MANSI, XXI, 49-67.

[37] DOMNIZO, Vita Mathildis, II, 18.

[38] F. CHALANDON, Histoire de la domination normande en Italie, t. I, p. 310.

[39] Pierre DE PISE, Vita Paschalis II, n. 27, P. L., t. CLXIII, col. 27 ; Acta Sanctorum, mai, t. II, p. 314.

[40] M. G., Leges, sect. IV, Const. et Acta, I, n. 104, 105, p. 157 et s.

[41] MANSI, XXI, 233-255.

[42] CALIXTE II, Bullaire, t. II, p. 6.

[43] Voir les documents dans M. G., Leges, t. XI, p. 75-76. Voir la traduction dans HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. V, p. 619-620.

[44] P. L., t. CLVII, col. 219-220 ; Libelli de lite, t. II, p. 691.

[45] Cf. E. LESNE, au mot Investitures, dans le Dict. apilog de la foi, t. II, col. 1097-1098.

[46] EADMER, Hist nov., l. III, P. L., t. CLIX, col. 426.

[47] RAGEY, Hist. de saint Anselme, t. II, p. 272 et s.

[48] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. V, p. 485.

[49] MANSI, XX, 1227.

[50] EADMER, Hist. nov., l. IV.

[51] RAGEY, op. cit., t. II, p. 473-474.

[52] MONTALEMBERT, les Moines d'Occident, livre XIX, ch. VI.

[53] L. BRÉHIER, l'Eglise et l'Orient au Moyen Age, p. 89.

[54] Recueil des historiens des Croisades. Assises de Jérusalem. Livre de Jean d'Ibelin, ch. I, p. 22

[55] Les Assises de Jérusalem, rédigées au XIIe siècle, sont le recueil de sa jurisprudence.

[56] Albert D'AIX, Hist. Hierosol., I, VII, dans le Recueil des historiens des croisades, Histor. Occid., t. IV, p. 520-521.

[57] L. BRÉHIER, l'Eglise et l'Orient, p. 100.

[58] BRÉHIER, l'Eglise et l'Orient, p. 100 ; REY, les Colonies franques de Syrie aux XIIe et XIIIe siècles, un vol. in-8°, Paris, 1883, p. 11-12, Cf. Ibid., p. 8-10.

[59] VERTOT, Hist. des Chevaliers de Malte, t. I, p. 47.

[60] PASCAL II, Epist., 357, P. L., t. CLXIII, col. 314.

[61] PASCAL II, Epist., 357, P. L., t. CLXIII, col. 314.

[62] L. DE LA BRIÈRE, l'Ordre de Malte, un vol. in-12°, Paris, 1897, p. 2.

[63] Voir Vicomte de VILLENEUVE-BARGEMON, Monuments des Grands-Maitres de Saint-Jean de Jérusalem, et DELAVILLE-LEROULY, les Hospitaliers en Terre Sainte et à Chypre, un vol., Paris, 1904. Plusieurs villages de Provence prétendent posséder des reliques du vénérable Gérard de Tenque, fondateur des Hospitaliers. Le sculpteur Pierre Puget a ciselé en argent sa statue, dont la tête est conservée dans la principale église de Manosque.

[64] Le village des Payens est situé sur la Seine, au-dessus de Troyes.

[65] Sur les ordres milliaires, voir HURTER, Tableau des institutions de l'Eglise au Moyen Age, trad. Cohen, 3 vol. in-8°, Paris, 1843, t. III, p. 97-186.

[66] THOMASSIN, Ancienne et nouv. discipl., Ire partie, l. III, ch. XI ; MANSI, XIX, 897.

[67] Fourier BONNARD, Hist. des chanoines réguliers de Saint-Victor, in-8°, Paris, t. I, introduction, p. XVII-XIX.

[68] Fourier BONNARD, Hist. des chanoines réguliers de Saint-Victor, t. I, p. XIX.

[69] Fourier BONNARD, Hist. des chanoines réguliers de Saint-Victor, t. I, p. XV.

[70] Dom GRÉA, De l'Eglise et de sa divine constitution, un vol. in-8°, Paris, 1885, p. 438. Etymologiquement et historiquement, la signification primitive du mot chanoine, canonicus, est : inscrit au canon d'une église, attaché à une église.

[71] Recueil des historiens de la France, t. XIV, p. 279.

[72] Fourier BONNARD, Hist. des chanoines réguliers de Saint-Victor, t. I, p. 6-7.

[73] Fourier BONNARD, Hist. des chanoines réguliers de Saint-Victor, p. 13-14 ; A. LUCHAIRE, Louis le Gros, n. 150.

[74] Bibl. Ste Genev., Ms. 1636 et 1637 ; B. M. ms. lat. 14673 et 15059. Voir le résumé du Liber Ordinis dans F. BONNARD, Hist. des chanoines réguliers de Saint-Victor, p. 56-83.

[75] A. FRANKLIN, Recherches sur la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Victor de Paris ; L. DELISLE, Inventaire des mss. latins de Saint-Victor conservés à la Bibliothèque nationale.

[76] Histoire littéraire de la France, t. XI, p. 243-244.

[77] Louis-Charles HUGO, Vie de saint Norbert, un vol. in-4°, Paris, 1704, p. 31-32.

[78] On donne souvent, comme date de la fondation de l'Ordre de Prémontré, l'an 1120, qui est celle de la prise de possession de Prémontré ; mais la première profession religieuse de Norbert et de ses disciples est du 25 décembre 1121. (HUGO, Vie de saint Norbert, p. 100.)

[79] Hist. litt., t. XI, p. 246.

[80] A. LUCHAIRE, dans l'Hist. de France de LAVISSE, t. II, 2e partie, p. 255.

[81] Mgr BAUDRILLART, Cluny et la papauté, dans la Rev. prat. d'apol., 1910, t. XI, p. 22.

[82] HÉFÉLÉ, au mot Cluny, dans le Kirchenlexikon de WETZER et WELTE.

[83] P. L., t. CXLIII, col. 803.

[84] VACANDARD, Vie de saint Bernard, 2 vol. in-12°, 2e édition, Paris, 1897, t. I, p. 117.

[85] S. BERNARD, Apologie, cap. XI.

[86] RODOLPHE, Vita Petri Venerabilis, P. L., t. CLXX XIX, col. 17.

[87] RODOLPHE, Vita Petri Venerabilis.

[88] Bibl. clun., p. 589.

[89] Pierre DE POITIERS, Paneg., P. L., t. CLXXXIX, col. 49.

[90] Dom CEILLIER, Hist. des auteurs ecclés., t. XIV, p. 500.

[91] PIGNOT, Histoire de Cluny, t. III, p. 607.

[92] Pierre LE VÉNÉRABLE, Epist., I, 28, P. L., t, CLXXXIX, col. 112.

[93] Gallia Christiana, t. IV, col. 1137.

[94] RÉMUSAT, Abélard, t. I, p. 250.

[95] Pierre LE VÉNÉRABLE, Epist., I, 16, P. L., t. CLXXXIX, col. 85.

[96] CALIXTE II, Epist., P. L., t. CLXXXIX, col. 1256.

[97] Ordéric VITAL, XII, 15, P. L., t. CLXXXVIII, p. 894.

[98] Quelque temps après, Honorius, par respect pour l'illustre monastère, fit transporter la dépouille mortelle de Pons dans l'abbaye de Cluny (HONORIUS II, 48. P. L., t. CLXVI, col. 1266 et s.).

[99] Pierre LE VÉNÉRABLE, Epist., I, 34, P. L., t. CLXXXIX, col. 168.

[100] ORDÉRIC VITAL, VIII, 25, P. L., t. CLXXXVIII, col. 641.

[101] DEMIMUID, Pierre le Vénérable, un vol. in-8°, Paris, 1876, p. 107.

[102] Exordium magnum ordinis cisterciensis, Dist. I, cap. XVI, P. L., t. CLXXXV, col. 1013 ; Acta Sanctorum, aprilis, t. II, p. 499.

[103] Sur cette date, voir VACANDARD, Vie de S. Bernard, t. I, p. 32, note 2, et p. 34, note 1.

[104] Le mot est de Mabillon : Ultimus inter Patres, sed primis certe non impar (P. L., t. CLXXXII, col. 26).

[105] JAFFÉ, n. 12330, P. L., t. CLXXXV, col. 622.

[106] LUTHER dans ses Propos de table ; CALVIN, dans son Institution chrétienne, l. IV, ch. XI.

[107] Nous voulons parler surtout du Memorare, dont le début.est de saint Bernard, et de la prose Jesu, dulcis memoria, qui, si elle n'est pas de lui, s'inspire manifestement d'un de ses sermons (Sermon IV, De diversis, n. 1).

[108] JOBIN, Saint Bernard et sa famille, un vol. in-8°, Poitiers, 1891.

[109] GUILLAUME DE SAINT-THIERRY, Vita Bernardi, l. I, cap. I, n. 3, P. L., t. CLXXXV, col. 228.

[110] Il eut toujours ce que j'appellerai le sentiment de la présence réelle de sa mère auprès de lui (VACANDARD, op. cit., t. I, p. 18.).

[111] VACANDARD, op. cit., p. 23.

[112] GEOFFROY (GAUFRIDUS), Fragm., P. L., t. CLXXXV, col. 525.

[113] GUILLAUME DE SAINT-THIERRY, Vita Bernardi, l. I, cap. III, n. 6 ; l. III, cap. I ; P. L., t. CLXXXV, col. 230-303.

[114] Apparebat in carne ejus gratia quædam, spiritualis tamen potius quam carnalis. (GUILLAUME DE SAINT-THIERRY, Vita Bernardi, P. L., t. CLXXXV, col. 303.)

[115] Voir plus de détails dans VACANDARD, Vie de S. Bernard, t. I, p. 40-44.

[116] Règle de saint Benoît, ch. XLVIII.

[117] Règle de saint Benoît, ch. XLVIII ; Coutumes bénédictines, ch. LX et LXXI. Voir GUIGNARD, les Monuments primitifs de la Règle cistercienne, un vol. in-8°, Dijon, 1878, p. 158-159, 172-174.

[118] S. BERNARD, In festo SS. Petri et Pauli, Serm. II, n. 2.

[119] Experto crede : aliquid amplius invenies in silvis quam in libris. Ligna et lapides docebunt te (S. BERNARD, Epist., CVI, n. 2.) Ainsi parle saint Bernard. Le texte se passe de commentaires, si on le rapproche de celui de son biographe : Quidquid in Scripturis valet, quidquid in eis spiritualiter sentit, maxime in silvis et in agris meditando se confitetur accepisse. (GUILLAUME DE SAINT-THIERRY, Vita Bernardi, l. I, cap. IV, n. 23, P. L., t. CLXXXV, col. 240.)

[120] Si l'on réfléchit que la récitation lente et scandée de l'office, telle qu'elle se pratiquait à Cîteaux, était, elle aussi, une sorte de méditation (Règle de S. Benoît, ch. XIX, GUIGNARD, les Monuments primitifs de la Règle cistercienne, p. 271), on comprendra ce que l'attrait du grand méditatif dut trouver de satisfactions à Cîteaux.

[121] Acta Sanctorum, avril, t. II, p. 109.

[122] Exordium parvum cisterciense, cité dans les Acta Sanctorum, aprilis, t. II, p. 109.

[123] GUIGNARD, les Monuments primitifs de la Règle cistercienne, p. 82-83.

[124] Traduction de V. COUSIN, Fragments philosophiques, Philosophie du Moyen Age, p. 68.

[125] Platon, sans doute, avait considéré les universaux comme des idées préexistantes dans l'entendement divin, comme des archétypes, d'après lesquels tous les êtres corporels avaient été formés ; Aristote les avait considérés comme des formes créatrices qui, en s'unissant à la matière, donnaient naissance à tous les êtres ; mais le problème n'avait donné lieu à aucune grande controverse.

[126] CANTU, Histoire universelle, t. X, p. 490

[127] V. COUSIN, Fragments philosophiques, Philosophie du Moyen Age, p. 70.

[128] Les seuls documents contemporains que nous possédions sur la vie et sur les idées de Roscelin sont : 1° une lettre adressée à Abailard (P. L., t. CLXXV III, col. 357-372) ; 2° quelques passages de ses œuvres, cités par saint Anselme, Abailard, Jean de Salisbury et Otton de Friesingen. Voir PICAVET, Roscelin théologien et philosophe, in-8°, Paris, 1896, et les remarques critiques sur cet ouvrage par M. DE WULF, dans la Rev. Néo-Scol., 1898, p. 75.

[129] M. DE WULF, Hist. de la phil. médiévale, un vol. in-8°, Louvain, 1900, p. 177.

[130] MICHAUD, Guillaume de Champeaux et les écoles de Paris au XIIe siècle, un vol. in-8°, Paris, 1867, p. 76.

[131] D'ARGENTRÉ, Hist. de Bretagne, édit. de 1588, fol. 186.

[132] S. ANSELME, De fide Trinitalis, cap. III.

[133] Hist. littéraire de la France, t. IX, p. 363.

[134] Les expressions de nominalisme et de réalisme n'étaient pas encore en usage du temps de Roscelin, mais elles furent très usitées vers la fin du XIIe siècle. Voir Godfroid, cité par LEBEUF, Diss. sur l'hist. de Paris, t. II, p. 255. Roscelin a-t-il créé le nominalisme ? Ne l'a-t-il pas emprunté à un précurseur, Jean le Sourd ? Voir DE WULF, op. cit., p. 177.

[135] Voir surtout ROUSSELOT, Etudes sur la philosophie dans le Moyen Age, Paris, 1840, t. I, p. 109, Voir, dans le même sens, HAURÉAU, De la philosophie scolastique, Paris, 1850, t. I, p. 188.

[136] Telle est, dans ses grandes lignes, la théorie de Guillaume de Champeaux. Ne l'a-t-il pas modifiée au cours de son enseignement, de telle sorte qu'elle a été plus radicale au début et plus atténuée à la fin ? C'est possible. Comme les renseignements que nous possédons sur ce point nous viennent d'Abailard, son élève, et que celui-ci se glorifie d'avoir provoqué ces modifications successives, nous devons nous méfier de son témoignage. Cf. DE WULF, op. cit., p. 191-193 ; UBAGUS, Du problème ontologique des universaux, Liège, 1845, p. 8-13.

[137] A. CLERVAL, les Ecoles de Chartres au Moyen Age, un vol. in-8°, Paris, 1895, p. 193. Cette étymologie nous semble justifier l'orthographe Abailard, que nous adoptons, de préférence à Abélard.

[138] ABAILARD, Historia calamitatum, cap. II, P. L., t. CLXXVIII, col. 115 et s.

[139] Il s'agit d'Anselme de Laon, mort en 1117, désigné par le pape Eugène comme le restaurateur des études théologiques en France.

[140] Ch. DE RÉMUSAT, Abélard, t. I, p. 44.

[141] M. DE WULF, op. cit., p. 203.

[142] Historia calamitatum, cap. IX, P. L., t. XLXXVII, col. 142.

[143] Le livre condamné à Soissons était-il le Tractatus de unitate et trinitate divina, découvert et publié par Stolzle, en 189t, à Fribourg, ou bien un e opuscule sur la Trinité n désigné par Abailard dans sa lettre XIV (P. L., t. CLXXVIII, col. 357) ? Voir HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. V, p. 596-597.

[144] M. DE WULF, op. cit., p. 178.

[145] M. DE WULF, op. cit., p. 178.

[146] BOSSUET, Hist. des Variations, l. XI, 10, éd. Lachat, t. XIV, p. 463 et s.

[147] LACORDAIRE, Vie de S. Dominique, ch. I, édit. Poussielgue, p. 19.

[148] Epistola Trajectensis Ecclesiæ de Tanchelmo seductore, P. L., t. CLXX, col. 1312.

[149] Acta Sanctorum, Vita S. Norberti, 6 juin. Sur Tanchelm, voir BARONIUS, Annales, ad ann. 1126 ; Hist. litt. de la France, t. XI, p. 24.6 ; Collectio judiciorum, t. I, p. 11.

[150] Les attaches de Pierre de Bruys avec le manichéisme sont admises par DÖLLINGER (Beitrage zur Sektengeschichte, p. 75 et s.), MABILLON (Bernardi opera, præf. gen., n° 73) et par BOSSUET (Hist. des Var., l. XI, n. 36 et s.). Elles ont été mises en doute par VACANDARD (Vie de S. Bernard, t I, p. 229), pour ce motif, que rien ne prouve que Pierre de Bruys ait professé toutes les erreurs manichéennes, par exemple qu'il ait condamné l'usage de la viande. Mais on sait, et M. Vacandard reconnaît que Pierre de Bruys peut n'avoir dévoilé que la partie ésotérique de son système, c'est-à-dire la partie qu'il jugeait opportun de dévoiler à le foule à laquelle il s'adressait, car c'est bien là la méthode des manichéens (VACANDARD, loc. cit.). D'autre part, l'Exordium Magnum Cisterciense (Dist. I, ch. XVII, P. L., t. CLXXXV, col. 427, 1025), et les Gesta pontif. cenoman. (Hist. des Gaules, XII, 554), appliquent à Henri, disciple de Pierre de Bruys, la qualification de manichéen, et rien ne prouve qu'ils se soient trompés sur ce point.

[151] Tous les renseignements que nous possédons sur la doctrine de Pierre de Bruys nous sont fournis par une lettre de Pierre le Vénérable (Contra Petrobrusianos, P. L., t. CLXXXIX, col. 720 et s.).

[152] P. L., t. CLXXXIX, col. 721.

[153] Mabillon a établi que saint Bernard lui-même a parlé aux moines en latin, au peuple en roman (S. Bernardi opera, præf., § VIII-XV).

[154] L. BOURGAIN, la Chaire française au XIIe siècle, un vol. in-8°, Paris, 1879.

[155] CANTU, Hist. universelle, trad. AROUX 3e édition, Paris, 1862, t. X, p. 314 et s. ; A. GIRY et A. RÉVILLE dans l'Hist. générale de LAVISSE et RAMBAUD, t. II, p. 411-413.

[156] Hist. générale de LAVISSE et RAMBAUD, t. II, p. 427-428.

[157] Histoire générale, t. II, p. 431.

[158] SÉMICHON, la Paix et la Trêve de Dieu, p. 128.

[159] Comprovincialibus adscitis episcopis, suffraganeorum fretus consiliis (Archives des missions scientifiques et littéraires. Rapport au ministre de l'instruction publique, sur des documents inédits, par M. de Certain, Miracula Bened, I. V, cap. I, II.)

[160] SÉMICHON, op. cit., p. 315-330.

[161] Recueil des hist. de la France, t. X, p. 536, LABBE, t. IX, col. 781.

[162] SUGER, Vita Ludovici Grossi, cap. XVIII, P. L., t. CLXXXII, col. 1292.

[163] Ordéric VITAL, l. IX.

[164] E. DEMOLINS, le Mouvement communal et municipal au Moyen Age, un vol. in-12°, Paris, 1874, p. 45-49. M. Sémichon, dans son ouvrage la Paix et la Trêve de Dieu, auquel plusieurs des faits ci-dessus rapportés ont été empruntés, a établi, contre les hypothèses d'Augustin Thierry, que les communes ont été une transformation des associations pour la Trêve de Dieu plutôt qu'une survivance de la ghilde et du municipe romain, Cf. LUCHAIRE, les Communes françaises sous les Capétiens directs, nouvelle édition par Louis HALPHEN, un vol. in-8°, Paris, 1911 ; René BOURGEOIS, Du mouvement communal en Champagne aux XIIe et XIIIe siècles, un vol. in-8°, Paris, 1904.

[165] Voir Dict. de théol. de VACANT, t. IV, col. 2322. Cf. t. II, col. 740.

[166] E. VACANDARD, dans le Dict. de théol. de VACANT, t. I, col. 167-168.

[167] P. GALTIER, au mot Indulgences, dans le Dict. apol. de la foi cath., t. II, col. 7 3 734.

[168] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, t. V, p. 480-481.

[169] A. LUCHAIRE, Manuel des institutions françaises. Période des Capétiens directs, Paris, 1892, p. 7.

[170] A. LUCHAIRE, Manuel des institutions françaises. Période des Capétiens directs, p. 6.

[171] A. LUCHAIRE, Manuel des institutions françaises. Période des Capétiens directs, p. 51.

[172] A. LUCHAIRE, dans l'Hist. de France de LAVISSE, t. II, 2e partie, p. 251-259.

[173] P. L., t. CLI, col. 495.

[174] P. L., t. CXLVI, col. 1295 ; t. CLXIII, col. 241, 1186, 1323.

[175] Avant 1059, le mot cardinalis désigne le prêtre titulaire d'une église. Il désigne aussi parfois le clergé de la cité épiscopale, par opposition au reste du clergé diocésain.

[176] DUFOURCQ, l'Avenir du christianisme. Le passé chrétien, t. VI, p. 61.

[177] C'est le chiffre donné par Suger, qui avait assisté au concile. Le chiffre de 997, donné par Pandulfe, parait être une faute de copiste.

[178] Voir le texte latin et la traduction des vingt-deux canons dans HÉFÉLÉ-LECLERCQ, t. V, p. 631-639. Le XXIe canon est ainsi conçu : Presbyteris, diaconibus, subdiaconibus et monachis concubinas habere seu matrimonia contrahere penitus interdicimus : contracta quo que matrimonia ab hujusmodi personis disjungi et personas ad pænitentiam debere redigi, juxta sacrorum definitionem judicamus. On a parfois conclu de ce texte que, jusqu'au premier concile de Latran, la continence des clercs majeurs, bien que de précepte, n'était pas considérée comme un empêchement dirimant du mariage (VACANDARD, Etudes de critique et d'histoire, 2e édition, p. 119). Ainsi formulée, l'assertion parait trop absolue. Remarquons d'abord que le texte du concile prononce la nullité du mariage des clercs majeurs en s'appuyant sur les canons, juxta sacrorum definitionem (HÉFÉLÉ-LECLERCQ, V, 638). Il résulte d'ailleurs de l'étude comparée de plusieurs textes antérieurs à 1123, que le concile de Latran, en prononçant l'impedimentum ordinis pour les ecclésiastiques entrés dans les ordres majeurs, n'a fait que consacrer une opinion de plus en plus accentuée et déjà confirmée par des conciles provinciaux (Syn. de Troyes, sous Pascal II). Voir sur cette question CHOUPIN, Valeur des décisions du Saint Siège, un vol. in-12°, Paris, 1913, p. 393 et s.