HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — L'AFFRANCHISSEMENT DE L'ÉGLISE

CHAPITRE II. — LE PONTIFICAT DE SAINT GRÉGOIRE VII. - L'AFFRANCHISSEMENT DE L'ÉGLISE. (1073-1085).

 

 

I

Pendant le quart de siècle qui venait de s'écouler, de l'élection de Léon IX à celle de Grégoire VII, la papauté avait énergiquement entrepris et partiellement réalisé deux grandes tâches. Par les canons de ses conciles, par les prédications de ses moines, par des agitations populaires, surtout par l'initiative de ses papes, elle avait démasqué, poursuivi, parfois châtié d'une manière exemplaire les clercs incontinents et simoniaques et leurs puissants protecteurs. En second lieu, au milieu même de cette lutte, sa hiérarchie s'était plus fortement centralisée autour du Saint-Siège : c'est sous l'impulsion de la papauté que les conciles réformateurs avaient délibéré, sous son contrôle que les moines avaient dénoncé les abus ; le patriarche qui avait voulu opposer son autorité à celle du pontife de Rome n'avait abouti qu'à faire un schisme ; enfin l'autorité des métropolitains venait d'être nettement définie.

Cette double tâche avait été vigoureusement conduite dans toutes les nations : en Italie comme en Allemagne, en France comme en Angleterre, en Espagne comme dans les pays du nord. Mais si le scandale et le désordre avaient été combattus partout, nulle part ils n'avaient été complètement vaincus. Et de ce fait un danger nouveau surgissait. Traqués dans leurs derniers refuges, l'incontinence, la simonie, l'esprit d'insubordination, toutes les rancunes et tous les vices, étaient prêts à se coaliser pour tenter un effort suprême et désespéré.

Nul ne connaissait mieux cette situation qu'Hildebrand. Pendant vingt-cinq ans, il avait écarté obstinément de ses épaules le fardeau que la voix du peuple et du clergé lui avait offert à chaque vacance du Saint-Siège. Mais, après la mort d'Alexandre II, l'acclamation avait été irrésistible. Le 22 avril 1073, à l'issue même des funérailles du pontife, un cri unanime avait éclaté tout à coup : Hildebrand pape ! Les cardinaux évêques, les prêtres, les clercs de tous ordres, s'étaient alors écrié, suivant la coutume : Saint-Pierre a choisi Hildebrand pour pape ! Aussitôt le peuple s'était emparé de lui et l'avait entraîné dans l'église de Saint-Pierre-aux-Liens, où il avait été installé presque de force[1]. Mais cette élection lui avait inspiré une anxiété profonde. Il écrivait plus tard qu'à cette heure décisive une sorte de terreur le saisit et qu'il se vit tout à coup comme enveloppé de ténèbres. Sept ans après, il en gémissait encore[2]. Nous allons voir cependant que peu de chefs ont manifesté, dans leur gouvernement, une décision plus ferme, une assurance plus constante que Grégoire VII. C'est qu'en cette âme de saint, une confiance sans borne en l'appui divin se mêlait à la méfiance de ses propres forces. Le faible Hildebrand se sentait accablé ; mais le Vicaire de saint Pierre ne redoutait rien. Vous le savez, bienheureux Pierre, s'écriait-il dans une lettre écrite en 1080[3], vous m'avez assis sur votre trône malgré moi, en dépit de ma douleur et de mes larmes ; c'est vous qui m'avez appelé ; c'est vous qui, malgré mes gémissements, avez placé sur moi le poids terrible de votre Eglise.

Personnellement, petit, corpulent, court de jambes[4], Grégoire VII n'imposait pas par ses qualités physiques[5], mais seulement par sa valeur intellectuelle et morale. Cette valeur, nul ne l'a contestée. Les uns ont maudit Grégoire VII comme un despote ; les autres l'ont glorifié comme un héros ; personne n'a jamais mis en doute son génie. Le caractère propre de ce génie, c'est une indomptable fermeté dans la conception et dans la réalisation d'un plan de gouvernement qui subordonne toute chose au triomphe de la justice. La parole de son lit de mort : J'ai aimé la justice et j'ai haï l'iniquité, fut la devise de toute sa vie. Et ce triomphe de la justice, il ne le conçut que par l'indépendance de l'Eglise Libérer l'Eglise de ses ennemis intérieurs par la guerre à l'inconduite et à la simonie ; la libérer de ses ennemis extérieurs par la lutte contre les investitures laïques : c'est toute l'œuvre de son pontificat[6]. Mais cette œuvre de libération ne pouvait être alors accomplie que par l'exaltation du Saint-Siège au-dessus de tous les autres Etats. Pour arracher les ministres de l'Eglise à la suprématie temporelle, a écrit le protestant Voigt, il fallait élever l'Eglise au-dessus de l'Etat[7]. Au Moyen âge, dit un autre historien étranger à la foi catholique, l'indépendance de l'Etat n'était pas possible elle aurait entraîné la dépendance de l'Eglise, et la force brutale aurait dominé la puissance de l'âme[8]. Edgar Quinet est donc dans le vrai quand il montre Grégoire VII les yeux fixés sur un idéal spirituel et n'exerçant son autorité morale sur les royaumes politiques que dans la mesure où ceux-ci s'écartent de cet idéal spirituel[9].

Que tel ait été l'idéal de saint Grégoire VII, que telle ait été son œuvre, c'est ce que l'étude des événements de son règne va nous montrer.

 

II

Celui qui, sous six papes successifs, avait été l'âme de la réforme du clergé n'était encore que diacre. Le 22 mai 1073, il reçut l'ordre de la prêtrise[10] ; le 30 juin suivant, il fut sacré évêque de Rome, et intronisé à Saint-Pierre[11].

La première des plaies de l'Eglise, la plus urgente à guérir, parce qu'elle était un perpétuel scandale pour les âmes, était l'incontinence des clercs. Malgré les sanctions énergiques portées par le précédent pontificat, le mal sévissait toujours en Italie, en Allemagne, en France, en Espagne, en Hongrie[12], et il s'y étalait même d'une manière, en un sens, plus scandaleuse. Les clercs les plus compromis, payant d'audace pour donner le change à l'opinion, cherchaient à légitimer, à grand fracas d'arguments, leur conduite coupable, invoquaient tour à tour l'Evangile[13] et saint Paul[14], un mystérieux concile de Tribur et les déclarations de Paphnuce au concile de Nicée, l'exemple des Grecs et un prétendu privilège de l'Eglise milanaise ; bref, ils soutenaient que nul ne pouvait être tenu d'observer une loi contre nature, et taxaient d'hypocrisie quiconque n'affichait pas en public une conduite pareille à la leur. Le vice, démasqué, se faisait impudent et agressif.

L'insolence des clercs prévaricateurs alla plus loin. Alexandre II avait privé de leurs bénéfices et de leurs fonctions plusieurs d'entre eux. Ils contestèrent juridiquement ce pouvoir à la papauté. Leurs bénéfices et leurs fonctions spirituelles elles-mêmes étaient leurs biens, disaient-ils, et ils ne pouvaient en être dépossédés sans injustice. Ne les avaient-ils pas achetés de leurs deniers ? Nous avons déjà dit un mot des origines de la simonie. Il y a lieu de montrer ici comment le trafic des choses saintes, maudit dans la primitive Eglise à l'égal des crimes les plus honteux, en était venu à être considéré, au temps d'Henri IV, non seulement comme une pratique générale, mais encore, suivant les expressions de saint Pierre Damien, comme un droit légalement établi[15]. De cette lamentable altération du sens chrétien, les princes, les évêques et les abbés, quelques papes eux-mêmes portaient une part plus ou moins grande de responsabilité. L'ambition et l'avidité des princes laïques, désirant mettre la main sur les biens ecclésiastiques et capter à leur profit l'influence sociale des hauts dignitaires de l'Eglise furent les causes premières de cet abus. Mais ces ardentes convoitises se seraient-elles produites si l'appât des richesses excessives de certains évêques et abbés ne les avait provoquées ? Se seraient-elles maintenues, si la tolérance coupable de certains papes, qui avaient à se reprocher le même vice, ne les avait protégées ?

Quoi qu'il en soit, une fois introduit dans la hiérarchie ecclésiastique, le mal y avait tout envahi. Le haut prélat, qui avait chèrement payé son bénéfice au roi ou au seigneur, cherchait à rentrer dans ses débours en vendant à ses subordonnés les moindres fonctions. Ce triomphe universel de l'injustice avait profondément altéré la notion du droit, l'avait du moins voilée dans bien des esprits ; et les clercs simoniaques, dans leurs âpres polémiques, abusaient de cet obscurcissement général des consciences.

On comprend maintenant de quel courage fit preuve Grégoire VII, lorsque, vers la fin de la première année de son pontificat, dans le premier synode qu'il tint à Rome, durant le mois de mars de 1074, il édicta, contre les clercs scandaleux et simoniaques, les quatre dispositions suivantes[16] : 1° Quiconque s'est rendu coupable de simonie, c'est-à-dire a obtenu à prix d'argent un ordre sacré ou une dignité ecclésiastique, devient, par le fait même, inhabile à remplir une charge dans l'Eglise. — 2° Quiconque a obtenu à prix d'argent une église, perd cette église ; à l'avenir, il ne sera permis à personne de vendre ou d'acheter une église. — 3° Quiconque a sur la conscience le crime de fornication doit s'abstenir de dire la messe ou d'exercer à l'autel les fonctions des ordres mineurs. — 4° Le peuple ne doit, en aucune façon, assister aux offices des clercs qui ne tiendraient pas compte des précédentes ordonnances, identiques aux ordonnances des Pères ; la crainte du peuple et de son blâme fera ainsi rentrer dans le devoir ceux que l'amour de Dieu et le souci de la dignité de leur état laissent indifférents.

L'effet le plus immédiat de ces décrets fut une nouvelle explosion de colère de la part des nombreux coupables qu'ils atteignaient. Le vicaire de Jésus-Christ, prenant le fouet, comme son Maitre, pour chasser les vendeurs du Temple, souleva, du même coup, toutes les haines dont il devait être la victime un jour. Dès ces premiers temps, en effet, on voit un groupe de mécontents se former en Italie autour de l'archevêque de Ravenne Guibert. Guibert, le futur antipape Clément III, était, on l'a dit, à bien des points de vue, l'antithèse de Grégoire VII[17]. Les uns le font descendre d'une famille obscure ; d'autres lui donnent pour ancêtres les comtes d'Augsbourg. Esprit brillant, cultivé, éloquent, mais âme sans grandeur et sans droiture, pour qui la vérité, la justice et l'honneur n'étaient plus rien quand les intérêts de son ambition étaient en jeu, on l'avait vu passer du parti des princes italiens au parti de l'empereur quand il y avait vu son avantage[18]. Il avait mis dès lors toute son activité au service de la cause impériale. L'archevêché de Ravenne et la chancellerie de l'empire avaient été sa récompense. Sous Alexandre II, il avait été un des plus ardents champions de l'antipape Cadaloüs : toujours il s'était opposé, plus ou moins ouvertement, à la politique d'Hildebrand. Au synode romain de 1074, il avait voulu jouer un rôle ; réfuté et confondu par un contradicteur[19]. humilié et aigri par cet échec, il s'était aussitôt tourné vers le parti des clercs mécontents, que troublaient les réformes du nouveau pape.

Toutefois, pour endormir la vigilance de Grégoire VII, il avait habilement caché sa volte-face, promettant au pape de lui amener des troupes pour pacifier le midi de l'Italie. Grégoire paraît n'avoir pas vu d'abord la portée de ces menées hypocrites de Guibert, qui l'ont fait appeler par Bonizo un nouveau Catilina[20].

 

III

Rien, d'ailleurs, n'était capable désormais de détourner Grégoire de l'œuvre de réforme à laquelle il avait, en acceptant le souverain pontificat, voué sa vie.

Avant même de réunir le synode de 1074, et comme pour préluder aux lois par des œuvres, il avait, par sa personnelle intervention, coupé court à de nombreux abus, dont la ville de Rome et la basilique de Saint-Pierre étaient les théâtres. Quelques cardinaux eux-mêmes, dont l'esprit de lucre avait scandalisé les fidèles, durent se rendre à ses justes admonestations[21].

Après le synode, Grégoire agrandit le champ de son zèle, chercha à faire accepter et appliquer ses décrets réformateurs dans les diverses nations.

Il commença par l'Allemagne. Une ambassade pontificale, chargée d'assurer l'application des mesures votées à Rome, y arriva aux fêtes de Pâques, le 20 avril 1074, et y trouva un accueil assez favorable de la part du jeune roi de Germanie, Henri IV, qui venait de traverser de rudes épreuves. Combattu par les Saxons et trahi par les grands de son royaume, il ne demandait pas mieux que de se rapprocher du pape : il promit tout ce qu'on lui demanda[22]. Mais le clergé allemand, en apprenant que les légats pontificaux voulaient tenir un concile réformateur, s'insurgea. Ce fut un tolle général. Liemer, archevêque de Brême, se faisait remarquer entre tous par sa violence[23]. Quelques évêques courageux essayèrent alors, sur l'avis des légats, de réunir des synodes dans leurs provinces respectives ; mais ils y rencontrèrent les mêmes oppositions. Siegfried de Mayence convoqua ses suffragants et ses clercs à Erfurt, et donna six mois à ceux dont la conduite était irrégulière pour choisir entre leurs habitudes licencieuses et leurs fonctions sacrées ; mais le vacarme fut tel, que le prélat dut clore l'assemblée sans prendre de décision ferme[24]. Altmann, évêque de Passau, en Bavière, fit preuve de plus de courage. En présence d'une semblable révolte, il passa outre, et promulgua les décrets pontificaux ; mais il n'échappa au massacre que par le dévouement de quelques seigneurs, qui l'arrachèrent aux mains de ses ennemis[25]. Grégoire s'adressa alors aux princes séculiers. Il supplia Henri IV[26], Rodolphe de Souabe[27], Berthold de Carinthie[28], de l'aider à réprimer le scandale. Mais il s'aperçut bientôt qu'il ne pouvait compter sur leurs secours[29]. Devant les effrayantes difficultés de sa tâche, une immense tristesse, une sorte de découragement s'empara de lui. Il en fit part en ces termes à son ami Hugues, l'abbé de Cluny : Si tu savais à combien de tribulations je suis en butte, tu demanderais au Seigneur que ce pauvre Jésus, par lequel cependant tout a été fait et qui régit toute chose, daignât me tendre la main et me délivrer, moi misérable, avec sa charité habituelle... Lorsque, par la pensée, je considère l'Orient et l'Occident, le Midi et le Septentrion, c'est à peine si je vois quelques évêques qui gouvernent le peuple chrétien par amour du Christ et non par des motifs d'ambition personnelle. Quant aux princes chrétiens, je n'en connais pas qui préfèrent la gloire de Dieu à la leur et la justice au lucre. Si je rentre enfin en moi-même, je me sens tellement accablé par le poids de ma propre vie, qu'il ne me reste d'espoir de salut que dans la seule miséricorde du Christ[30].

En France, où le roi Philippe Ier, infidèle au serment que lui avait fait prêter son père, ajoutait au crime de l'investiture laïque celui de la simonie, sans parler de son immoralité notoire[31], le pape accrédita, comme légat du Saint-Siège et en vue de faire exécuter les lois répressives de la simonie et de l'incontinence, l'évêque Hugues de Die, prélat austère, et qui, dans un récent conflit avec le comte de Die, s'était montré capable d'énergie[32]. Grégoire VII fit parvenir, en même temps, à l'épiscopat français une encyclique pour stimuler son zèle. Par suite de l'affaiblissement du pouvoir royal, lui disait-il, affaiblissement qui, dans votre patrie, date de quelques années, les lois et le gouvernement sont impuissants à empêcher ou à punir les injustices. Votre roi, qui devrait être le défenseur des lois et de l'équité, est le premier à les violer. Quant à vous, mes frères, vous êtes en faute en ne résistant pas aux actions détestables de cet homme... Ne parlons pas de crainte ; réunis et armés pour la justice, vous seriez assez forts pour le détourner de sa mauvaise voie et pour mettre vos âmes en sûreté. Y eût-il sujet de crainte ou de péril de mort, vous ne devriez pas abdiquer l'indépendance de votre sacerdoce[33].

La dépendance du clergé de France à l'égard (lu roi était trop solidement établie pour que cette lettre obtint tout l'effet désiré. Un concile réuni à Paris en to74, pour opérer la réforme, y rencontra les mêmes oppositions violentes qui s'étaient produites à Erfurt et à Passau. Sûrs d'être appuyés par le roi, presque tous les évêques, abbés et clercs, mis en présence des ordonnances du pape touchant le célibat ecclésiastique, proclamèrent absurdes les ordres pontificaux, et déclarèrent qu'on ne pouvait ni ne devait s'y conformer. L'abbé de Pontoise, Gautier, eut seul le courage de protester. Il déclara que, d'après saint Grégoire, on devait toujours obéir à son supérieur, même quand on ne voyait pas bien les raisons de ses ordres. Les paroles de Gautier soulevèrent un véritable tumulte. De tous côtés, on se précipita sur lui. Il fut roué de coups, et traîné dans les prisons du roi, d'où quelques amis parvinrent ensuite à le faire sortir, et il regagna son abbaye de Pontoise[34].

Hugues de Die ne se laissa pas intimider. Usant des pleins pouvoirs que le pape lui avait conférés, il prononça la suspense, la déposition de plusieurs évêques simoniaques. Mais ceux-ci recoururent à Rome, implorèrent leur pardon. Grégoire, qui ne fut jamais inflexible que par devoir, et dont le cœur, facilement ému, fut toujours enclin à la confiance envers les hommes, se fia à leurs promesses et leur pardonna. Hugues s'en plaignit avec amertume. Les clercs déposés courent à Rome, écrivit-il, y obtiennent votre absolution, et reviennent pires qu'ils n'étaient. Grégoire lui répondit : C'est la coutume de l'Eglise romaine de tolérer certaines choses et d'en dissimuler d'autres, et voilà pourquoi nous avons cru pouvoir tempérer la rigueur des canons par la douceur de la discrétion[35].

En Angleterre, un synode, tenu à Rouen dans le courant de l'année 1074, probablement avant qu'on n'y connût les décisions du concile de Rome, proscrivit rigoureusement la simonie[36]. Le pape comptait beaucoup sur la bonne volonté de Guillaume le Conquérant, qui, en montant sur le trône, avait fait serment de faire respecter la loi canonique du célibat des prêtres. Mais quand l'archevêque Jean de Rouen, dans un nouveau synode, tenu dans sa ville archiépiscopale, vers la fin de 1074, communiqua à son clergé les décrets romains, il fut chassé de son église à coups de pierre[37], et le synode tenu à Winchester en 1076, sous la présidence de Lanfranc, n'osa pas appliquer la réforme dans toute sa rigueur. Le clergé collégial fut rigoureusement astreint à la chasteté ; quant aux prêtres des paroisses rurales, dont beaucoup avaient été ordonnés sans aucun rappel à la Ici du célibat, le concile, considérant que leur déposition entraînerait comme premier résultat la suppression du culte et la privation des sacrements dans la plus grande partie de l'Angleterre, décida de ne pas presser l'exécution de la loi, et de tolérer, pour le moment, le fait accompli[38].

Les efforts tentés par Grégoire VII pour faire observer dans toute sa rigueur la loi du célibat ecclésiastique en Hongrie, en Norvège, en Suède et au Danemark, ne paraissent pas avoir abouti à d'importants résultats[39]. Nous ne savons quelles furent les conséquences des démarches qu'il fit, dans les mêmes vues, en Russie, en Pologne et en Bohème. En Espagne, la campagne entreprise en 1056 par le concile de Compostelle[40], et poursuivie, en 1068, par les conciles de Gerundum, de Barcelone et de Leyra[41], avait déjà porté ses fruits, car on ne voit pas qu'elle ait soulevé au temps de Grégoire VII des tempêtes semblables à celles qui éclatèrent en Allemagne, en France et en Angleterre. Le pape se préoccupa plus particulièrement d'y régler la vie des chanoines[42].

 

IV

Grégoire VII n'ignorait pas qu'aucune réforme profonde ne peut s'effectuer par de simples mesures législatives ; il comptait beaucoup, pour la réalisation de son œuvre, sur l'influence bienfaisante que répandaient autour d'eux les monastères bien réglés, en particulier sur l'influence du monastère de Cluny.

Sous le gouvernement de son sixième abbé, Hugues, l'illustre abbaye avait vu sa discipline s'affermir et son influence s'étendre. Les plus purs exemples de sainteté y fleurissaient ; les lettres y étaient cultivées avec éclat ; un art nouveau, baptisé par quelques historiens du nom d'art clunisien, embellissait ses cloîtres et ses églises ; de tous côtés, pauvres et riches, manants et seigneurs, venaient se ranger sous sa loi, les uns pour trouver l'apaisement de leur vie agitée, les autres pour lui demander le secret de s'élever plus haut dans la voie de la contemplation mystique.

Dix mille moines[43] y pratiquaient ces Coutumes clunisiennes, qui, recueillies en 1085 par le moine Udalric[44], et réglant, pour chaque heure de la journée, la vie du religieux, ses prières, ses études, ses fonctions liturgiques, ses repas, son sommeil et ses récréations, trempaient les âmes, les habituaient à ne rien livrer au caprice, les formaient à la constance dans l'effort, et surtout les maintenaient dans une disposition de perpétuelle union à Dieu[45].

Autour de l'abbaye-mère, se groupaient une vingtaine de grandes abbayes. Moissac, Saint-Martial, Uzerches, Saint-Germain-d'Auxerre, Vézelay, Figeac, Montierneuf, Saint-Jean-d'Angély, Saint-Bertin, Baume, étaient les principales d'entre elles. De ces abbayes, les unes étaient gouvernées par un abbé nommé directement par Cluny ou avec son assentiment d'autres élisaient sans contrôle un pro-abbé ; mais tous ces chefs de monastères, dans une mesure plus ou moins stricte, rendaient compte à Cluny de leur gestion. La plupart de ces maisons, vassales à l'égard de l'abbaye-mère, étaient suzeraines à leur tour par rapport à des groupes de prieurés. Sous le gouvernement de saint Hugues, qui marqua l'apogée de l'institution, cette vaste hiérarchie, dont Cluny était le centre, compta plus de deux mille monastères, répartis dans toutes les provinces de la France, de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Espagne, de l'Angleterre, de la Pologne ; et il faut encore y joindre trois cent quatorze églises, collégiales ou monastères en rapport avec Cluny[46].

De cette puissante métropole, peuplée, vers la fin du XIe siècle, de quatre cents religieux environ, une vie intense rayonnait. Saint Pierre Damien, le grand ascète, le redoutable adversaire de toutes les corruptions, appelle Cluny un paradis sur terre, le jardin des lis et des roses, l'arène des combats célestes, la moisson du ciel. Saint Grégoire VII, dans un concile romain de 1077, déclare qu'il n'y a pas, dans le monde entier, de monastère qui puisse rivaliser avec Cluny : tous ses abbés, dit-il, ont reçu les honneurs de la canonisation, et l'on ne tonnait pas encore un seul de ses religieux qui ait fléchi le genou devant Baal. L'étude y était en honneur ; l'abbaye peuplait de ses professeurs les écoles cathédrales ; la philosophie, les mathématiques, la médecine, la musique, y étaient étudiées avec ardeur ; l'architecture, la sculpture et la peinture n'y étaient pas moins en honneur. Viollet-le-Duc, et plusieurs historiens de l'art, après lui, ont même soutenu que Cluny a été, par ses moines-architectes, le centre d'une école nouvelle d'architecture, dont on a relevé les caractères originaux[47].

Que les moines noirs[48] de Cluny, comme on les appela, aient exercé, sur le mouvement de réforme du XIe siècle, une influence prépondérante, en dehors même des monastères et prieurés qui dépendaient de l'abbaye-mère et des écoles auxquelles ils fournissaient des maîtres, c'est un fait attesté par un nombre infini de documents ; mais Grégoire VII donna au grand ordre clunisien un rôle plus important encore que ne l'avaient fait ses prédécesseurs. Trois moines clunistes : Anastase, noble vénitien qu'il chargea d'une mission en Espagne, le pieux et savant Gérauld, qu'il créa cardinal-évêque d'Ostie, et Odon, jeune seigneur champenois, qui, plus tard, fut pape sous le nom d'Urbain II, occupèrent le premier rang parmi ces infatigables légats, qu'il envoya propager et enraciner en Europe son œuvre réformatrice. Mais Grégoire VII accorda surtout sa confiance au vénérable Hugues. Même après saint Odon, saint Mayeul et saint Odilon, Hugues de Cluny, qui prit le gouvernement de l'abbaye en 1049, trouva le moyen d'élever plus haut que tous ses prédécesseurs le rôle de son ordre.

Il était né en 1024, à Semur, en Bourgogne, d'une famille de haute noblesse. Son père, le comte Dalmace, l'avait élevé pour le monde, tandis que sa mère, Aremberge, cultivait en lui ses dispositions natives pour la piété. À l'âge de quinze ans, Hugues sollicita et obtint son admission au monastère de Cluny. Il y apporta, avec les sentiments de la dévotion la plus tendre, la distinction suprême qu'il tenait de son éducation et de sa race. Il était, nous disent les contemporains, de haute stature et de beau langage. Il avait à peine atteint sa vingt-cinquième année, quand les suffrages unanimes de ses frères l'élevèrent à la dignité abbatiale. Depuis lors, Hugues prit part à presque toutes les affaires importantes de l'Eglise. Aux conciles de Reims et de Mayence, il combattit courageusement la simonie et l'inconduite des clercs. Au concile de Rome, qui condamna Bérenger, il tint, quoique le plus jeune des abbés, la seconde place. Député en Hongrie par le pape Léon IX, pour y ménager la paix entre le roi André et l'empereur, il réussit dans cette délicate mission. Au concile d'Autun, en 1055, il persuada à Robert II, duc de Bourgogne, de pardonner aux meurtriers de son fils. L'empereur Henri III, entre autres marques de son estime, le pria de tenir sur les fonts du baptême un de ses fils, le futur Henri IV. Sympathique aux princes et aux rois par sa haute sagesse et l'aménité de ses manières, il sut néanmoins leur faire entendre l'austère accent du reproche quand il les vit en défaut. Il écrivait à Philippe Ier, roi de France : Ouvrez votre âme à la crainte de Dieu. Changez de vie, corrigez vos mœurs. La mort se présente sous toutes sortes de formes, et il est terrible de tomber aux mains du Dieu vivant. À Guillaume te Conquérant, qui lui proposait de payer au poids de l'or les moines qu'il enverrait en Angleterre, il osait répondre : Très cher seigneur, que sert à l'homme de gagner l'univers, s'il vient à perdre son âme ? À aucun prix je ne veux vendre la mienne. Or ce serait la vendre, que d'envoyer, pour de l'argent, un seul de mes frères là où je suis convaincu qu'il se perdrait[49]. Grégoire VII n'entreprit jamais une œuvre importante sans consulter Hugues de Cluny ; il n'éprouva aucune peine profonde sans épancher son cœur dans celui de ce fidèle ami. Il le considéra, en quelque sorte, comme son légat permanent en France[50].

Cependant, à côté du grand ordre de Cluny, et s'inspirant du même esprit de réforme, des congrégations nouvelles se constituaient, prêtes à donner à leur tour à la papauté les auxiliaires dont elle aurait besoin. Grégoire VII vit grandir durant son pontificat les jeunes congrégations de Vallombreuse en Italie et de Hirschau en Allemagne, et, à la veille de quitter ce monde, il put bénir, comme le prélude d'une nouvelle régénération de vie chrétienne, la fondation par saint Bruno de l'ordre des Chartreux.

En 1039, à quelque distance de Florence et de Camaldoli, dans une riante vallée, pleine de bois et d'ombre, Jean Gualbert, seigneur de Pistole, avait fondé un ermitage, qui, en se développant, devint l'abbaye de Vallombreuse. Mais le saint fondateur ne se borna pas à rétablir dans son couvent l'austérité primitive de la règle de saint Benoît : il travailla avec ardeur à extirper, autour de lui, la lèpre de la simonie.

Les longues et pénibles luttes qu'il eut à soutenir, à ce sujet, avec l'évêque Pierre, de Florence, dont la conduite laissait à désirer, venaient de se terminer, quand Grégoire VII monta sur le trône apostolique, par la déposition du prélat prévaricateur. Jean Gualbert mourut peu de temps après ; mais son esprit se perpétua dans son ordre, qui devait donner à l'Eglise douze cardinaux, plus de trente évêques, plus de 100 religieux canonisés ou béatifiés, et presque autant d'écrivains de mérite[51].

Le monastère de Hirschau, fondé, ou plutôt restauré à peu près à la même époque, en Allemagne, en s'inspirant plus directement des règles de Cluny, eut une action non moins militante et féconde. Repeuplé, en 1066, après cinquante ans d'abandon, par douze moines d'Einsielden, Hirschau devint bientôt, sous la direction de l'illustre et saint abbé Guillaume, un des premiers établissements monastiques de l'Europe. Quatre-vingt-dix-sept monastères, fondés ou réformés par des moines de Hirschau, et tous situés dans le sud de l'Allemagne, formèrent autour de la grande abbaye souabe une puissante et magnifique congrégation. Vingt-trois de ces maisons de Dieu devaient leur création à Hirschau ; les soixante-quatorze autres déjà existantes furent régénérées par son action salutaire. Le saint abbé Guillaume, auteur de la plus grande partie de ces réformes et de ces fondations, réédifiait à la fois les édifices et les consciences monastiques, et, ne s'arrêtant pas là, il s'appliquait à établir un lien d'unité et de commune activité entre tous ces monastères[52]. Hirschau était, dit-on, dans tout l'univers chrétien, la maison monastique qui comptait le plus de nobles parmi ses religieux.

Ce fut un noble seigneur, comme Guillaume de Hirschau et comme Jean Gualbert, qui fonda, en 1084, l'ordre de la Chartreuse. Mais l'institution de Bruno d'Hartenfaust eut un caractère tout différent des fondations ou des restaurations monastiques de son époque. Tandis que les autres fondateurs ou réformateurs donnaient à leurs religieux ou prenaient eux-mêmes une attitude plus ou moins militante, faisaient sortir les moines de leurs cellules pour les employer à la prédication, à la polémique, ou même aux négociations diplomatiques auprès des grands, le nouvel ordre s'écartera le plus possible de la vie active, pour s'adonner le plus possible à la pure contemplation. Son idéal sera de se rapprocher de cette vie érémitique qui fut la première forme de la vie religieuse en Orient. Mais, pour éviter les inconvénients qui ne permirent pas à l'œuvre de saint Antoine de persister sous sa première forme, on tempérera la vie de la cellule par une certaine participation à la vie de communauté. Dans notre ordre, dit le pieux Lansperge, vous avez les deux vies érémitique et cénobitique, et l'une et l'autre tellement tempérées par le Saint-Esprit, que tout ce qui, dans l'une ou dans l'autre, pourrait être un danger, n'existe plus[53]. Le chartreux est un cénobite au chœur, au chapitre, au réfectoire, en récréation. En dehors de ces réunions, il est ermite. La vie en cellule est le principal devoir du chartreux[54]. À la porte de sa cellule expirent tous les bruits du monde extérieur.

Le fondateur du nouvel ordre, Maître Bruno, comme le nomment les anciens documents, était né à Cologne, vers 1032, de la noble famille des Hartenfaust ; mais il était venu de bonne heure en France, où, suivant une tradition assez fondée, il aurait eu pour professeur Bérenger de Tours. Nommé écolâtre dans l'Eglise de Reims, il eut devant les yeux le triste spectacle des désordres de l'archevêque de cette ville, Manassès de Gournay, prélat simoniaque. D'après Guibert de Nogent, ce furent les scandales de l'hérésie et de la simonie qui déterminèrent le brillant professeur à se retirer, avec quelques clercs nobles du diocèse de Reims, dans la solitude la plus profonde[55]. Une lettre touchante de Bruno, écrite plus tard au prévôt de l'Eglise de Reims, semble confirmer cette hypothèse. Te souviens-tu, lui dit-il, d'un entretien que nous eûmes dans le jardin attenant à la maison où tu recevais l'hospitalité ? Nous parlions des séductions de ce monde, et de ses biens périssables, et puis des joies de la gloire éternelle ; et, entraînés par le divin Amour, nous fîmes vœu de quitter ce siècle aux ombres fugitives, et de nous consacrer uniquement aux choses éternelles dans la vie monastique[56].

La retraite de Bruno au désert s'effectua comme par diverses étapes. Il se retira d'abord à Molesmes, sous la conduite de saint Robert, le futur fondateur de Cîteaux, et y revêtit l'habit bénédictin. Son attrait pour la vie solitaire le porta à se joindre ensuite à deux disciples de saint Robert qui, ayant les mêmes attraits, avaient fait un essai de ce genre d'observance. Mais cette solitude ne lui parut pas encore assez profonde ; il se dirigea vers Grenoble, dont saint Hugues, son ancien disciple, était évêque, et se fixa, avec six compagnons, dans un désert sauvage, appelé la Chartreuse. Il n'y élabora pas des règles écrites ; mais il y fixa les coutumes, que son quatrième successeur, le vénérable Guignes, devait rédiger. Ces coutumes ont ceci de particulier, qu'on ne peut les rattacher, dans leur ensemble, ni à la règle de saint Basile, ni à la règle de saint Augustin, ni à la règle de saint Benoît, quoique le saint Fondateur ait tiré parti de chacune de ces règles. Un autre caractère particulier de ces coutumes, c'est que tout y est conçu de manière à favoriser la vie la plus solitaire, la plus silencieuse et la plus contemplative.

Désormais, tandis que l'armée des moines prédicateurs combattra pour le respect des saintes lois de l'Eglise, sous l'autorité suprême de la papauté, des groupes de moines contemplatifs seconderont leurs efforts par le suffrage d'une prière ininterrompue.

V

Quand saint Bruno se fixa, avec ses six premiers disciples, à la Chartreuse, la campagne réformatrice de Grégoire VII était entrée dans une nouvelle phase, sur laquelle il est nécessaire de revenir.

Les violentes résistances que les premières mesures prises pour la restauration des mœurs du clergé avaient rencontrées en Allemagne, en France et en Angleterre, avaient montré qu'en s'attaquant à l'incontinence et à la simonie, on n'avait pas encore atteint la racine du mal. Cette racine du mal, un observateur perspicace, le cardinal Humbert, l'avait déjà montrée, en 1058, dans l'investiture laïque des dignitaires de l'Eglise.

On appelait investiture, dans la langue juridique du XIe siècle, la mise en possession d'une charge ou d'un bien quelconque. Cette investiture se faisait toujours, suivant un vieil usage, par la tradition symbolique d'un objet : d'une touffe de gazon ou d'une motte de terre, par exemple, pour la mise en possession d'un domaine ; d'une clef, pour la possession d'une maison. Pour la mise en possession d'un évêché ou d'une abbaye, les objets symboliques de la fonction étaient la crosse et l'anneau pastoral.

Par suite de situations juridiques que nous avons mentionnées plus haut, des rois et des seigneurs, bienfaiteurs insignes d'une chapelle, d'une église, d'une cathédrale, avaient mis en possession, par les symboles traditionnels, les titulaires de ces édifices religieux, d'ailleurs régulièrement élus par le clergé et par le peuple, et canoniquement confirmés par leurs supérieurs hiérarchiques. Mais peu à peu la volonté prépondérante du prince temporel réduisit l'élection et la confirmation canonique à n'être plus que de vains simulacres ou même les supprima tout à fait. Cette grave transformation juridique fut accélérée par ce fait que, dans l'intervalle, certains dignitaires ecclésiastiques, les évêques et les abbés, étaient devenus, par l'importance des domaines qu'ils possédaient et par les fonctions administratives et judiciaires qu'ils exerçaient, de vrais seigneurs féodaux. Un évêque avait, au cours du XIe siècle, au point de vue temporel, les pouvoirs d'un comte. Les rois, ne distinguant pas cette autorité temporelle de la charge pastorale, plaçaient l'une et l'autre sous le haut domaine, altum dominium, que le droit public leur accordait sur les biens et les fonctions de leurs vassaux.

Les conséquences de cet état de choses étaient graves. Par suite de cet abus, l'élection régulière et la confirmation canonique par le métropolitain, seul mode prévu par la loi de l'Eglise pour la désignation des évêques, étaient supprimées. La plupart du temps, dans l'esprit du roi qui nommait, comme dans l'esprit du clerc qui était promu, le souci de la charge pastorale s'éclipsait devant des préoccupations séculières. De là au trafic des fonctions sacrées et à l'inconduite de ceux qui eu étaient honorés, il n'y avait qu'un pas. Il fut vite franchi. La simonie et l'incontinence des clercs furent les résultats presque inévitables de l'investiture laïque.

La même cause rendait le mal presque irrémédiable. Pour résister aux décrets réformateurs de l'Eglise, les évêques et les abbés simoniaques trouvaient, derrière eux, pour les défendre, les princes et les rois qui les avaient nommés. Ils trouvaient même souvent, il faut le reconnaitre, pour se défendre contre les décrets réformateurs, une force dans leur bonne foi. Au cours des procédures conduites au XIe siècle contre les clercs simoniaques, beaucoup de ces derniers arguèrent de leur parfaite sincérité. N'avait-on pas vu, en 1045, un personnage très religieux, d'une sainteté notoire[57], donner de l'argent pour arracher, disait-il, le Saint-Siège aux indignes pontifes qu'établissaient les barons romains[58] ? Quant aux princes séculiers, comment leur persuader qu'ils devaient renoncer à leurs droits d'investiture sur des prélats qui, par leur situation temporelle et par leur influence politique, se trouvaient placés au rang des plus grands seigneurs ? La solution, le pénétrant génie du cardinal Humbert l'avait déjà vue et signalée en 1058. Elle consistait à proclamer et à faire admettre par tous que la charge spirituelle est l'essentiel de l'évêché, que le patrimoine attaché à cette charge en est une simple dépendance, et qu'il n'est pas équitable de renverser les termes, de régler le spirituel en fonction du temporel, comme le fait l'investiture laïque[59]. La dignité épiscopale, avait écrit le cardinal Humbert[60], réclame le temporel ; ce n'est pas le temporel qui appelle à sa suite la dignité épiscopale. Voilà pourquoi Grégoire VII, dans sa lutte contre les investitures laïques, ne séparera pas la question de la liberté de l'Eglise de la question de la prééminence du spirituel sur le temporel.

Sans se dissimuler l'immensité de la lutte qu'il allait entreprendre, Grégoire VII, dans un synode romain, tenu du 24 au 28 février 1075, promulgua le célèbre décret suivant, où la plupart des souverains virent comme une déclaration de guerre : Quiconque, à l'avenir, recevra de la main d'un laïque un évêché ou une abbaye, ne sera pas compté parmi les évêques et les abbés. Nous lui interdisons la communion du bienheureux Pierre et l'entrée de l'église tant qu'il ne renoncera pas à sa dignité. Nous faisons la même défense relativement aux charges inférieures. De même, si un empereur, duc, marquis, comte, ou quelque pouvoir ou personne laïque, ose donner l'investiture d'un évêché ou de quelque autre dignité ecclésiastique, qu'il sache qu'il est atteint par la même condamnation[61].

La lutte contre les investitures laïques eut trois principaux théâtres : la France, l'Angleterre et la Germanie.

En France, les deux légats pontificaux, Hugues de Die et Amat d'Oloron, se souvenant des oppositions violentes qu'avait rencontrées l'application des décrets du concile romain de 1074 contre la simonie, ne se pressèrent pas de publier les décrets du concile romain de 1075 contre les investitures laïques. Ils tinrent compte du conseil que leur avait donné, dans une lettre du 5 janvier 1075, le pape Grégoire : Il vaut mieux vous exposer à des reproches pour votre bonté, que de vous rendre odieux par une trop grande sévérité. Vos fils sont encore rudes et ignorants ; il faut les améliorer peu à peu[62]. Ni au concile qui se tint à Clermont en 1076, ni à celui qui s'ouvrit à Dijon en 1077, il ne fut dit un mot des investitures. Le décret pontifical ne fut promulgué par Hugues de Die qu'au synode d'Autun, en septembre 1077. Il y rencontra une opposition très vive ; mais le légat passa outre, et, en vertu de ses pleins pouvoirs, suspendit ab officio le puissant archevêque de Reims, Manassès Ier, convaincu de simonie et d'intrusion. Un nouveau concile, tenu à Poitiers en 1078, malgré l'opposition du roi Philippe Ier, mais avec l'appui du duc d'Aquitaine, rappela que l'évêque ne doit recevoir l'investiture que de son métropolitain, le clerc que de son évêque[63]. Plusieurs prélats, institués par la seule autorité du roi, furent déposés. Manassès protesta, essaya de mettre en mouvement la cour romaine et la cour de France, tenta même de se défendre par les armes ; mais, mal soutenu par Philippe Ier, qui ne voulut pas solidariser sa propre cause avec celle d'un personnage si suspect, il succomba. Victoire importante pour Rome et pour les légats. Ils avaient eu raison du primat des Gaules, de celui qui sacrait les rois : quel évêque pourrait désormais leur résister ?[64]

En Angleterre, Guillaume le Conquérant gardait, à l'égard du Saint-Siège, l'attitude qu'il avait déjà prise comme duc de Normandie. Respectueux dans ses relations diplomatiques avec la cour romaine, favorable à la réforme des mœurs dans le clergé, mais jaloux à l'excès de tout ce qui lui semblait un empiétement sur ses prérogatives royales, il se réserva le contrôle de toute décision rendue par un concile, la confirmation de toute censure prononcée contre un clerc relevant de la couronne, et nomma lui-même les évêques, après avoir pris l'avis du haut clergé. La situation resta toujours tendue entre le roi Guillaume et le pape. Grégoire VII eut la patience de supporter une telle situation ; Guillaume, qui, dans la guerre déclarée à Grégoire VII par l'antipape Guibert, avait d'abord défendu à ses sujets de reconnaître aucun pontife sans son autorisation préalable, adhéra ensuite à Grégoire et refusa le légat que lui envoyait Guibert[65] : mais les querelles religieuses allaient bientôt éclater en Grande-Bretagne avec une vivacité inouïe.

 

VI

Tout faisait prévoir, en Allemagne. un conflit aux proportions grandioses. Le chef du Saint-Empire n'invoquait pas seulement, comme un roi de France ou d'Angleterre, les prérogatives de sa couronne, l'indépendance de son autorité temporelle, les liens de vassalité qui liaient au trône des évêques-seigneurs ; il se regardait comme le chef de la société religieuse ; dépossédé par l'acte de Nicolas Il du droit d'intervenir dans les élections des pontifes romains, il ne défendait qu'avec plus d'énergie son prétendu droit d'intervention dans les élections épiscopales et abbatiales[66].

Le caractère du jeune roi de Germanie était de nature à envenimer le conflit. Né en 1050, proclamé roi en 1056, déclaré majeur en 1063, le jeune roi Henri IV comptait vingt-cinq ans d'âge et douze ans de gouvernement personnel, quand parut l'important décret de Grégoire VII sur les investitures des clercs. Il ne manquait ni d'intelligence ni de bravoure. On a dit que Il son premier malheur avait été de recevoir une détestable éducation. Encore bien enfant à la mort de son père Henri III, bientôt enlevé â la tutelle de sa mère, l'impératrice Agnès, il avait grandi entre Adalbert, archevêque de Brême, qui lui passait toutes ses fantaisies pour se maintenir au pouvoir, et Annon, archevêque de Cologne, dont l'austère vertu l'effarouchait. Après avoir été un enfant vicieux, Henri IV fut, de très bonne heure, un débauché. Son mariage avec une princesse de Savoie ne le rendit pas meilleur. Il fallut toute l'autorité du légat du Saint-Siège, saint Pierre Damien, pour l'obliger à reprendre son épouse, qu'il avait honteusement chassée. Sans aucun souci du bien-être de ses peuples, de la sécurité de ses Etats et de sa propre dignité, Henri IV a presque toujours suivi ses caprices, donné carrière à ses haines et à ses rancunes, jusqu'à exaspérer, non seulement ses sujets, mais ses propres enfants eux-mêmes. Rien ne fut plus incohérent que ses rapports avec le Saint-Siège[67]. Il s'en rapprochait toutes les fois que ses ennemis menaçaient sa couronne, et s'en détournait, oublieux de ses promesses et de ses serments, dès que le péril était passé. En août 1073, sous le coup de l'émotion que lui avait causée une redoutable révolte des Saxons, il écrivait au pape : Très cher Seigneur, nous avouons n'avoir pas toujours rendu au sacerdoce la justice et le respect auxquels il a droit. Touché par la miséricorde de Dieu, nous confessons nos fautes à votre très indulgente paternité[68].

Grégoire crut à la sincérité de ces déclarations. Aussi, après avoir promulgué le décret de 1075 sur les investitures, écrivit-il au roi de Germanie une lettre très bienveillante, pour lui dire qu'il était décidé à régler avec lui, d'un commun accord, et pour le meilleur avantage de l'Empire comme de l'Eglise, toutes les difficultés que pourrait soulever la réforme[69]. Henri IV avait un nouvel intérêt à se rapprocher du pape : il nourrissait le projet de se faire sacrer empereur. Il s'empressa d'envoyer à Rome deux ambassadeurs, chargés de traiter en même temps la question des investitures et celle du prochain sacre. Je désire, écrivait-il dans sa lettre, que personne ne sache ce que je vous mande par eux, excepté vous, Madame ma mère, ma tante Béatrice et sa fille Mathilde[70]. La mention de ces deux princesses, dont le dévouement au Saint-Siège était connu, était faite pour réjouir le cœur du pontife. Grégoire VII ouvrit son âme à tous les rêves les plus consolants. En réalité, ce secret, si étrangement demandé au Saint-Père, cachait une odieuse intrigue. Les négociations dont nous venons de parler avaient lieu en décembre 1075 ; or, dès le mois de septembre de cette même année. Henri IV avait décidé de ne rien conclure avec le Saint-Siège que moyennant le concours des grands de son royaume, c'est-à-dire de ceux qui avaient le plus grand intérêt à faire échouer les réformes du pape.

Le double jeu du monarque ne tarda pas à se révéler. Tandis qu'il s'abandonne aux plus radieuses espérances, Grégoire apprend que le roi de Germanie a investi de sa propre autorité l'évêque Huzmann à Spire, Henri à Liège, Tébald à Milan. Ce Tébald, noble clerc de Milan, dont Bonizo dit qu'il avait plus de corpulence que de vertus[71], reçoit l'investiture royale du vivant même de l'évêque légitime Gottfried. En même temps, Guibert de Ravenne se sépare publiquement de Grégoire, et un conseiller du roi, Eberhard de Nessembourg, envoyé en mission en Lombardie, déclare les Patares ennemis publics. Un odieux attentat vient mettre le comble à cette série de trahisons et d'intrigues. Pendant la nuit de Noël de 1075, taudis que le pape célèbre les saints mystères dans l'église, alors assez solitaire, de Sainte-Marie-Majeure, une troupe de gens armés se précipite sur lui en poussant des cris terribles, le frappe avec fureur, s'empare de lui, et le transporte, tout ensanglanté et lié à un cheval, dans une tour voisine du Panthéon, propriété de la famille des Cencius. Un Cencius, homme perdu de vices, connu d'ailleurs par ses relations avec Henri IV et avec Guibert de Ravenne, a été vu à la tête des bandits, les excitant de la voix et du geste. Mais, si rapide qu'ait été le drame, il a donné le temps aux fidèles qui assistaient à l'office de Sainte-Marie-Majeure de se répandre dans la ville et d'y annoncer la tragique nouvelle ; si bien qu'au point du jour, Cencius aperçoit, des fenêtres de sa tour, où il est venu rejoindre le pape, une foule immense, tumultueuse, se préparant à donner l'assaut à sa demeure, pour délivrer le pontife. Cencius se croit perdu. Son arrogance tombe. Il se jette aux pieds du pape, implorant le pardon et la vie sauve. Grégoire lui promet l'un et l'autre, parvient à l'arracher à la multitude, puis, escorté d'une foule immense qui l'entoure, se rend à Sainte-Marie-Majeure, pour y terminer, au milieu des actions de grâces universelles, le saint sacrifice interrompu.

Tant de crimes demandaient une prompte sanction. Dès les premiers jours de janvier 1076, trois messagers pontificaux sommèrent le roi, au nom du pape, de se rendre à Rome, le 22 février suivant, pour s'y justifier, devant un synode, de plusieurs attentats qui lui étaient imputés. S'il ne comparaissait pas, l'anathème apostolique le séparerait, le jour même, du corps de l'Eglise[72].

La colère d'Henri IV fut terrible. Pour devancer le pape, il convoqua, pour le dimanche de la Septuagésime, qui tombait cette année-là le 24 janvier, un concile national à Worms. Presque tous les évêques allemands s'y rendirent. Le but, non dissimulé, de l'assemblée, était la déposition du pape Grégoire VII. L'affaire fut menée par le roi et par ses conseillers avec une rare vigueur. On connaissait Grégoire, nature simple, confiante, très susceptible de se laisser gagner par une déclaration hypocrite, mais une fois que la justice d'une cause s'était clairement manifestée à lui, capable de la défendre avec une indomptable énergie. II fallait à tout prix enlever un vote à peu près unanime de déchéance contre lui. Rien ne fut négligé pour arriver à cette fin. Les prélats étaient à peine réunis dans leur salle de délibération, sous la présidence du roi, qu'on y vit entrer un cardinal de l'Église romaine. Il s'appelait Hugues Candide. C'était un homme de la race des grands traitres. Des historiens ont comparé son rôle à celui de l'amiral de Coligny au temps des luttes religieuses du XVIe siècle, et à celui du cardinal Loménie de Brienne sous la Révolution. Né à Remiremont, au diocèse de Toul, nommé cardinal par le saint pape Léon IX, en même temps que Pierre Damien, à cause de ses remarquables qualités d'intelligence, on l'avait vu soutenir l'antipape Cadaloüs, puis se rallier à Grégoire VII et obtenir même de lui une mission de confiance en Espagne, se retourner tout à coup contre son bienfaiteur, poursuivre avec Robert Guiscard, duc des Normands, des négociations suspectes, finalement se rallier à la cause de Tébald de Milan et de Guibert de Ravenne. En 1076, il venait d'être déposé pour son inconduite. Avec une assurance qui en imposait, une abondance et une précision de détails mensongers, que son habitude de la curie romaine lui rendait faciles, il fit, devant l'assemblée, suivant la pittoresque expression de Héfélé, une sorte de mélodrame sur les origines d'Hildebrand, ses prétendus écarts de jeunesse, ses crimes d'âge mûr, son usurpation du pontificat, son odieuse tyrannie, ses mœurs infâmes[73]. Dans une assemblée où nombre de prélats avaient tout à redouter du pape réformateur, ces calomnies trouvèrent un écho. Guillaume, évêque d'Utrecht et ami personnel du roi, se leva alors, et, d'une voix impérieuse, déclara que les membres de l'assemblée n'avaient qu'à choisir entre deux attitudes : condamner le pape ou abandonner le roi. Pour en finir plus promptement, et pour empêcher les évêques fidèles au pape de se retrancher derrière des restrictions, on soumit à la signature de chacun la déclaration suivante : Je N..., évêque de N..., notifie à Hildebrand que, dès ce moment, je lui refuse soumission et obéissance, et je ne le reconnaîtrai plus pour pape, et ne lui donnerai plus ce titre. Il n'y eut, dit le chroniqueur Bruno[74], que quelques personnes à souscrire de plein gré cette déclaration ; la plupart n'obéirent que par crainte, ainsi qu'ils le déclarèrent dans la suite au pape.

A la suite du conciliabule de Worms, Henri IV envoya à Grégoire VII une lettre qui débutait par ces mots : Henri, roi, non par usurpation mais par la volonté de Dieu, à Hildebrand, qui n'est plus pape, mais seulement un faux moine. En terminant, le roi s'écriait, sur un ton pathétique : Et maintenant, puisque tu es condamné par notre jugement et par celui de nos évêques, descends de ce Siège apostolique que tu as usurpé... Descends, descends, toi qui es condamné à tout jamais[75].

Quand les envoyés de l'empereur apportèrent cette lettre à Rome, le pape y tenait précisément, dans la basilique du Latran, le concile annoncé. L'un de ces envoyés, Roland, clerc de Parme, eut l'audace d'accompagner cette communication de graves insultes qui révoltèrent l'assemblée. Des laïques, présents dans le lieu des séances, se jetèrent alors sur Roland, et l'auraient massacré, si le pape ne l'avait couvert de sa personne[76]. Le concile déclara à l'unanimité qu'Henri avait amplement mérité l'excommunication. Grégoire ne pouvait différer davantage. En présence de l'impératrice Agnès, présente au concile, qui, le cœur désolé, déclara s'incliner devant une mesure que dictait au pape le devoir de sa charge suprême[77], Grégoire VII déclara le roi Henri excommunié, et, en conséquence, délia ses sujets du serment de fidélité. Plusieurs évêques compromis dans la cause du roi furent aussi excommuniés[78].

Le pontife crut devoir faire connaître au monde catholique un acte de cette importance par une bulle spéciale, qui expliqua aux fidèles les motifs et la portée de cette condamnation. Le pape y exposait que le roi avait mérité une telle sentence par une triple infraction aux lois de l'Eglise : Henri IV, en effet, non content de fréquenter des excommuniés notoires et de refuser obstinément de tenir compte de nombreux avertissements paternels, avait tenté de faire un schisme dans l'Eglise[79]. Par là, il s'était lui-même exclu de la société catholique. En agissant comme il l'avait fait, il avait placé le chef de l'Eglise dans l'alternative d'abandonner le Saint-Siège à ses caprices, ou d'agir comme il l'avait fait. Quant à la sentence qui déliait les sujets d'Henri de leur serment de fidélité, Grégoire, sans bien préciser s'il la portait en vertu d'un droit direct ou indirect, la fondait sur le pouvoir qui lui appartenait, de par le Christ, de lier et de délier les princes et les peuples[80].

 

VII

L'excommunication du roi de Germanie et des principaux de ses partisans fut comme un coup de foudre, qui, suivant l'expression de Bonizo, fit trembler le monde romain tout entier[81]. Henri IV était à Utrecht quand la nouvelle lui en parvint, le samedi saint de l'année 1076. L'évêque d'Utrecht, Guillaume, était un des plus chauds partisans d'Henri IV. Il monta aussitôt en chaire, déclara. au nom du roi, que l'excommunication lancée par le pape devait être considérée comme nulle, et se répandit ensuite en injures grossières contre Grégoire VII. Peu de temps après, le roi, dans une longue lettre, où il accusait le pape de vouloir réunir en ses mains les deux pouvoirs, spirituel et temporel, invita les évêques de son royaume à se réunir à Worms le 15 mai[82]. Mais tant de violences servaient mal la cause royale. H était manifeste, pour tout esprit réfléchi, qu'Henri IV avait été le premier à vouloir se servir des deux glaives, spirituel et temporel. La mort subite de l'évêque d'Utrecht, qui expira dans les remords, frappa l'imagination populaire, qui y vit une punition de Dieu[83]. L'acte du pape qui déliait les sujets du roi de leur serment de fidélité, fut un mot d'ordre respectueusement suivi par les croyants sincères ; pour la plupart des autres ce fut un signal de révolte. Le monde féodal reposait surtout sur la religion du serment ; c'était la barrière qui le séparait de la barbarie. La Saxe presque tout entière se souleva, et le nombre des évêques qui se rendirent à Worms fut tellement insuffisant, que le souverain fut obligé de renvoyer la solution du conflit à une autre assemblée, qui se réunirait à Mayence, le 29 juin de la même année.

L'assemblée de Mayence révéla surtout les anxiétés de conscience des évêques, qui consentirent bien à déclarer que l'excommunication du roi était nulle pour vice de forme, mais qui se refusèrent à nommer un successeur à Grégoire VII[84].

Cependant les ennemis d'Henri IV exploitaient à leur profit la sentence de déchéance prononcée contre lui Ses châteaux étaient pillés. La défection faisait la solitude autour de lui Grégoire VII saisit l'occasion de ramener, du même coup, la paix politique et la paix religieuse en Germanie. Il écrivit à tous ses frères dans le Christ, évêques, abbés, prêtres, ducs, princes et chevaliers domiciliés dans l'empire romain, une lettre pressante, où il leur disait : Nous vous supplions, comme des frères très chers de vous employer à susciter dans l'âme du roi Henri les sentiments d'une vraie pénitence, à l'arracher des mains du démon, afin que nous puissions le réintégrer dans le sein de notre commune Mère[85].

Ces instructions du pape arrivaient à propos. Presque toute la noblesse ecclésiastique et laïque, ayant à sa tête le duc Rodolphe de Souabe et le duc Welf de Bavière venait de décider de se réunir à Tribur le 16 octobre suivant, pour remédier à la situation, de plus en plus troublée, de 1 empire. Deux légats du pape, Sieghart d'Aquilée et Altmann de Passau, s'y rendirent, et y défendirent, au nom du pape, contre l'emportement des seigneurs, qui voulaient déposer immédiatement Henri IV, la cause de la modération. Il fut décidé, sur leurs instances, que la cause du roi serait jugée, après un débat contradictoire, dans une grande diète nationale, tenue à Augsbourg sous la présidence du pape, et qu'on ne procéderait à l'élection d'un nouveau roi que si Henri se refusait à tout accommodement.

C'était une splendide victoire pour la cause de la justice et de la papauté. Ainsi Grégoire, appelé par toute l'aristocratie du Saint-Empire, Souabes et Saxons, Bavarois et Lorrains, un moment réunis dans une pensée unanime, allait, au cœur même de la Germanie, au milieu de la sympathie générale du peuple, se prononcer en arbitre sur la cause de celui qui, quelques mois auparavant, avait soulevé l'Allemagne contre sa suprême autorité.

Avant de se séparer, l'assemblée de Tribur décida que si, dans un an Henri était encore par sa faute sous le poids de l'excommunication, il serait, selon l'ancien droit, déchu de toutes ses prétentions à la royauté. S'il préférait se soumettre, il devrait révoquer le pseudo-concile de Worms, donner au pape satisfaction par écrit, et, jusqu'à ce qu'une décision définitive fût portée, vivre à Spire comme homme privé, sans suite militaire, n'entrer dans aucune église, s abstenir de tout acte de gouvernement. S'il manquait à un seul de ces points, tes princes seraient affranchis de toute obligation envers lui.

Henri IV vit sa cause perdue. En poussant trop loin la violence, il avait retourné contre lui toutes les forces de l'Empire. Décidément, le plus exorable de ses adversaires était le pape. Dès ce moment sa résolution fut de tout faire pour remettre sa cause aux mains de Grégoire VII.

Une première démarche qu'il fit pour obtenir que sa cause fût jugée à Rome, et non à Augsbourg, fut repoussée par le pape, qui déclara s'en tenir aux décisions votées à Tribur le roi serait jugé à la diète d'Augsbourg, et non ailleurs[86]. Ayant écrit cette lettre le pape se mit en route pour l'Allemagne. Le 28 décembre 1076, il se trouvait à Florence Muni des sauf-conduits qui lui étaient nécessaires par la comtesse Mathilde, il traversa les Apennins aux premiers jours de l'année 1077. Le 8 janvier, il arrivait à Mantoue. Il atténuait dans cette ville l'escorte dont il avait besoin pour se remettre en marche, quand une nouvelle aussi grave qu'inattendue lui parvint. Le roi Henri IV, bravant la défense qui lui avait été faite de quitter Spire, s'était mis en marche, de son côté, pour se rendre à Rome. Il venait de traverser le Mont-Cenis, et se trouvait en Lombardie. Que faire ? Rebrousser chemin et se diriger vers Rome, c'était manquer à la promesse faite aux, princes de se rendre à la diète ; continuer sa marche vers Augsbourg, c'était abandonner Rome au roi de Germanie, qui était capable de révolutionner la ville, en s'unissant aux factions, peut-être même en s'alliant à ces terribles et mystérieux Normands, dont l'attitude équivoque avait toujours inquiété Grégoire VII. La comtesse Mathilde[87], témoin des perplexités du pape, lui proposa de se retirer dans son château-fort de Canossa et d'y attendre la suite des événements. Le pape accepta. Ni l'un ni l'autre ne songeaient qu'ils allaient ainsi fournir à l'astucieux monarque l'occasion de réaliser un plan plus perfide que tous ceux qu'il avait imaginés jusque-là.

 

VIII

La forteresse de Canossa, bâtie sur un rocher inexpugnable, à quatre lieues de Reggio, dans le marquisat de Toscane, avait déjà une histoire. La veuve du dernier roi lombard, la future impératrice d'Allemagne, sainte Adélaïde, s'y était réfugiée jadis, sous la protection d'un aïeul de la comtesse Mathilde, pour échapper à la persécution du dernier roi d'Italie, Bérenger IL Entourée d'une triple enceinte fortifiée, du sein de laquelle s'élevait un faisceau de tours, la forteresse de Canossa semblait prédestinée à devenir le théâtre d'une des scènes les plus dramatiques dont l'histoire fasse mention.

A peine installé dans le château, le pape y vit arriver un groupe d'évêques et de laïques allemands, naguère excommuniés pour leurs relations intimes avec Henri IV. Ils venaient lui demander d'être relevés de leurs censures. Le pape, après quelques jours de pénitence, leur accorda l'absolution sollicitée. Mais il apprit en même temps que ce groupe était précurseur du roi lui-même.

Effectivement, quelques jours après, un messager royal vint annoncer à Canossa que son maitre, retiré à quelque distance de la forteresse, demandait une entrevue avec la comtesse Mathilde et avec un de ses hôtes, l'abbé Hugues de Cluny L'entrevue fut accordée. Le roi excommunié s'y fit humble, pénitent, suppliant. Il sollicitait l'intervention de la pieuse princesse et du saint abbé, pour obtenir du pape son pardon. La situation de Grégoire était pleine d'angoisses. Par son caractère sacerdotal et par les sentiments intimes de son âme, il se sentait incliné vers la miséricorde ; mais pouvait-il devancer un jugement qui avait été réservé à la diète d'Augsbourg ? Le pape se souvenait aussi de l'inconstance de caractère du jeune roi. Il résista longtemps. La comtesse Mathilde redoubla ses instances.

Au matin du 25 janvier 1077, le roi résolut de brusquer le dénouement. Il vint frapper à la porte de la forteresse. Il était pieds nus, dans la neige, et vêtu de la robe de laine des pénitents. Il y resta jusqu'au soir, gémissant, pleurant, sollicitant son pardon. Les deux jours suivants, la même scène se renouvela. Au soir du troisième jour, il se rendit dans une petite chapelle, dédiée à saint Nicolas, où il trouva l'abbé de Cluny et la comtesse Mathilde en prières. Il redoubla auprès d'eux ses supplications. La comtesse Mathilde d'abord, puis l'abbé de Cluny, se laissèrent toucher, consentirent à intervenir auprès du pape. Grégoire se laissa lui-même gagner, et promit d'admettre, le lendemain, le roi Henri à la communion, mais aux conditions suivantes : t° Henri se présenterait à la diète des princes et y répondrait aux accusations portées contre lui ; 2° jusqu'au jour du jugement de sa cause, il ne prendrait aucune part au gouvernement du royaume, et fournirait toutes les satisfactions qu'on exigerait de lui. Le pape, prévoyant que sa décision pourrait donner lieu à des interprétations malveillantes à son égard, s'empressa d'envoyer aux princes allemands une relation exacte de tout ce qui venait de se passer[88].

La solution donnée au conflit par Grégoire VIII ne pouvait être plus sage. Elle déjouait à la fois le plan d'Henri IV, les convoitises de ses partisans et les ambitions de ceux de ses ennemis qui cherchaient plutôt dans cette affaire leur propre intérêt que le bien de la religion et la paix de l'Empire. Ni Guibert de Ravenne, ni le parti allemand en Lombardie, qui s'attendaient à voir le pape humilié, ne furent satisfaits On raconte que Guibert, irrité, conseilla au roi de s'emparer coûte que coûte, de Grégoire, par ruse ou par force[89]. Quant aux Lombards mécontents à la fois du pape et du roi, ils parlaient d'élire roi, sans tarder, le fils mineur d'Henri, et de marcher sur Rome, pour y nommer un autre pape[90]. Les barons allemands qui s'étaient rangés autour de Rodolphe de Souabe, et qui se préoccupaient beaucoup plus de la chute d'Henri IV que de la pacification politique et religieuse, ne cachaient pas leur mécontentement d'une solution qui avait visé un but tout opposé. Henri IV lui-même qui avait cherché à obtenir plutôt sa réhabilitation politique que sa réconciliation religieuse, constatait avec amertume que Grégoire n'avait cherché que cette dernière issue, au détriment même de la première. L'hypocrite habileté du roi se retournait contre lui, fut visible, dès les premiers jours qui suivirent l'entrevue de Canossa, que le roi de Germanie allait déchirer ses promesses, suivant l'expression de Lambert de Hersfeld, comme des toiles d'araignées[91].

Si l'opinion publique se détournait de lui, ses anciens conseillers, les plus compromis de ses partisans, les compagnons habituels de ses débauches, se groupaient plus étroitement que jamais autour de sa personne : les taureaux lombards le suppliaient de venir prendre à Monza la couronne de fer ; Cencius, le seigneur-bandit qui avait si cruellement maltraité le pape dans la nuit de Noël 1075, lui faisait ses offres de services[92], et Guibert dans l'ombre, en attendant l'heure de se faire élever au premier rang, lui soufflet la rancune et la haine. Dans les nombreux entretiens que le roi avait avec ses amis, écrit Lambert de Hersfeld, le roi s'emportait en récriminations contre le pontife romain, le rendait responsable de la tempête violente qui troublait l'Etat, et demandait qu'on se groupât sans exception autour de lui afin qu'il put tirer vengeance de tant d'injures[93].

De leur côté les amis dévoués du pape en Italie les adversaires politiques d Henri IV en Allemagne montraient un redoublement d'activité Les patares de Milan envoyaient une députation à Rome, et, encouragés par Anselme de Lucques, Girard d'Osta, Pierre Damien, faisaient triompher l'orthodoxie dans leur province[94]. Quant aux seigneurs allemands qui se groupaient autour de Rodolphe de Souabe, leur parti était pris Dans une assemblée tenue à Forchheim le 13 mars 1077, ils décidèrent qu'il y avait urgence à procéder à l'élection d'un nouveau roi.

L'entreprise était hardie. Les électeurs, tant laïques qu'ecclésiastiques avaient éprouvé le besoin de s'abriter sous l'autorité suprême du pape, et l'avaient convoqué à leur assemblée. Le pontife, défenseur-né de l'Eglise et du droit dans la société chrétienne, vit l'intérêt qu'il y avait à ne pas laisser s'accomplir un acte aussi grave en dehors de son contrôle, et députa deux légats à Forchheim. Il écrivit en même temps à Henri IV, pour lui demander d'aller présenter sa défense devant la diète. Celui-ci, jugeant peut-être sa cause déjà perdue, refusa de s'y rendre[95].

Le choix de l'assemblée se porta sur le duc Rodolphe de Souabe, qui fut élu roi de Germanie. L événement montra combien la présence des légats avait été utile. Ils exigèrent que le nouveau roi souscrivit aux deux conditions suivantes, d'une importance capitale : 1° Il ne distribuerait pas les évêchés à prix d'argent ni suivant son caprice ; chaque Eglise pourrait élire canoniquement son évêque parmi ses propres membres. — 2° La dignité royale ne se transmettrait plus par héritage, comme l'usage tendait à s'établir, mais, suivant l'ancien droit, par l'élection[96]. Par cette double réserve, le sens et la portée de l'élection de Forschheim étaient bien définis : ce n'était pas seulement un retour offensif de l'aristocratie contre la monarchie héréditaire, c'était une garantie nouvelle du respect de l'Eglise et de ses lois.

 

IX

Malheureusement les circonstances ne permirent pas à cet acte de porter ses fruits Cette brusque élection lésait trop d'intérêts l esprit de rancune apparaissait trop en plusieurs de ceux qui en avaient été les auteurs et la grave mission dont on chargeait Rodolphe de Souabe était trop lourde pour ses épaules.

D'autre part, Henri IV, après un moment de stupeur, se ressaisissait et menait la guerre contre son adversaire avec une vigueur peu commune. Il y déployait une activité, une vaillance, une habileté à exploiter les fautes de l'ennemi, bref une tactique d'homme politique et d'homme de guerre, qui montrent ce que ce prince eût pu devenir si une mauvaise éducation et un mauvais entourage ne l'avaient pas moralement dépravé Abandonné par une grande partie de la noblesse, il trouva un appui dans les grandes villes, qui lui fournirent une armée. La coalition qui avait porté Rodolphe au pouvoir manquait de cohésion solide. Plusieurs seigneurs n'avaient pas d autres liens entre eux que la rancune qui les animait contre le roi Henri. Des défections se produisirent. Les deux compétiteurs en vinrent aux mains avec d'égales forces. Après une bataille douteuse à Melrichstädt en 1078. Rodolphe fut vainqueur à Mühlausen en janvier 108o, mais, au mois d'octobre, sur les bords de l'Elster, il fut grièvement blessé, et mourut peu de temps après.

Grégoire VII évita, malgré les instances qui furent faites auprès de lui de part et d'autre, de se prononcer en faveur de l'un ou de l'autre concurrent. Dans un concile tenu à Rome, du 25 février au 3 mars 1073, il déclara que la meilleure solution lui paraissait être de réunir en Allemagne. sous sa présidence ou celle de ses légats. et hors de la présence des deux rois, une assemblée des prélats et des grands de l'Etat, en vue de secourir l'Empire si cruellement déchiré[97]. Dans un second concile romain, de novembre 1078, des ambassadeurs d'Henri et de Rodolphe jurèrent, au nom de leurs maîtres, de ne pas entraver la conférence projetée[98]. Dans un troisième concile, ouvert à Rome le 11 février 1070, le pape fit promettre aux ambassadeurs des deux partis que la sentence rendue par les légats après enquête, serait acceptée de part et d'autre, nous avons encore les formules des serments qui furent prêtés à cette occasion[99]. Enfin, le 7 mars de la même année, Grégoire VII constatant qu'Henri IV s était rendu coupable, entre autres méfaits, de s'être opposé à la réunion de la conférence décrétée pour assurer la paix de l'empire, le déclara déchu de ses droits[100].

Henri IV avait prévu cette éventualité d'une déchéance prononcée par le pape. Il s'était préparé de concert avec ses conseillers à y répondre aussitôt par une guerre à mort et sans merci, dont les principales étapes paraissent avoir été déterminées à l'avance. Parmi les conseillers du roi, il en était deux que nous avons rencontrés déjà aux moments les plus tragiques de la lutte contre Rome, et qui allaient jouer de nouveau sur la scène politique, un rôle prépondérant : le cardinal Hugues Candide et l'archevêque de Ravenne, Guibert. Quant au plan de la guerre future, il comprenait l'exécution rapide de trois actes décisifs ; l'élection d'un antipape, le sacre d'Henri IV comme empereur, et la prise de Rome. Un conciliabule, réuni le 25 juin 1080 à Brixen, petite ville de Norique, aujourd'hui dans le Tyrol autrichien, prononça la déchéance de Grégoire VII, accusé d'avoir bouleversé l'économie de l'Eglise, détruit I harmonie de l'empire, et fait une guerre à mort au corps et à l'âme d'un roi catholique et pacifique. Nous possédons le texte de l'acte d'accusation haineux qui contient ces outrages. Il porte, en tête de vingt-sept signatures d'évêques allemands ou lombards, celle du cardinal Hugues Candide, le traître, qui était sans doute le rédacteur du document. Les vingt-sept évêques tombèrent aussitôt d'accord pour élever, sur-le-champ, au souverain pontificat, l'archevêque de Ravenne, Guibert, qui fut séance tenante revêtu des insignes de la papauté et reçut les hommages dus au chef de la chrétienté[101]. Le roi plia le genou devant le nouvel élu, et annonça qu'il irait, au printemps prochain, avec une armée, recevoir du pontife la couronne impériale à Rome même.

Les qualités militaires dont Henri IV avait fait preuve dans sa lutte contre Rodolphe rendaient redoutable l'invasion de ses troupes en Italie ; Grégoire jugea que le moment était venu de faire alliance avec les Normands, fût-ce en sacrifiant quelques possessions de l'Etat pontifical. Par l'entremise de Didier, abbé du Mont-Cassin, il conclut avec le duc Robert Guiscard un traité qui assurait aux Normands les terres à eux accordées par les précédents papes et tolérait la possession par eux de Salerne, d'Amalfi et d'une partie de la marche de Fermo, quoique ces terres eussent été injustement acquises[102]. En retour, le duc renouvelait le serment, déjà prêté à Nicolas II, de défendre contre toute attaque le domaine de saint Pierre. Déjà assuré du concours de la comtesse Mathilde dans le nord de l'Italie, le pape comptait employer les Normands à réduire par la force l'antipape Guibert, qui, installé à Ravenne, y recrutait et y organisait son parti. Mais, par suite de diverses circonstances, l'expédition de Ravenne ne put avoir lieu. Quant aux troupes normandes, elles se mirent en campagne pour combattre l'empereur d'Orient.

Vers la fin de mars 108i, on apprit à Rome qu'Henri IV venait de traverser les Alpes à la tête de ses troupes. Grâce à la trahison de plusieurs vassaux de la comtesse Mathilde, il put traverser la haute Italie et se faire couronner, à Milan, roi de Lombardie. Dans ce péril suprême, Grégoire se montra héroïque, donnant son attention aux moindres besoins de l'Eglise, n'hésitant pas à frapper les grands, chaque fois que la justice le demanda, résistant à tous ceux qui le conjuraient de se réconcilier avec Henri. Il écrivit au contraire, le 8 avril 1081, aux habitants de la Vénétie, pour leur recommander de se garder de tout rapport avec les excommuniés[103].

Cependant Henri, après avoir ravagé les possessions de la comtesse Mathilde, et pris avec lui, à Ravenne, l'antipape Guibert, s'avançait vers Rome. Il y arriva le samedi avant la Pentecôte, 21 ou 22 mai 1081, mais une déception l'y attendait. Confiant dans les succès précédents de son armée, sûr de ne rencontrer, sous les murs de la Ville éternelle, ni les troupes toscanes, battues dans la haute Italie, ni les troupes normandes, occupées en Orient. il comptait que les Romains s'empresseraient de lui ouvrir leurs portes, et n'avait apporté aucune machine de siège. Mais, sur le conseil du pape, la population de Rome se barricada, et Henri IV dut se retirer dès le mois de juin 1081. Pour donner une satisfaction à ses soldats, il les avait laissés ravager les environs de Rome ; et, pour ne pas faire mentir sa parole, il s'était fait sacrer empereur par Guibert, au milieu de son camp, avec toute la solennité possible[104].

Un second mécompte attendait Henri IV en Allemagne. Ses adversaires y avaient élu un nouveau rai, le comte Hermann de Luxembourg, qui, le 11 août, battit l'armée impériale, à Hochstädt, sur le Danube ; mais Hermann ne sut pas soutenir son succès, et son parti se désagrégea bientôt.

Henri se dirigea alors de nouveau vers Rome, toujours accompagné de l'antipape, lequel avait pris le nom de Clément III. Cette fois-ci, tout fut mis en mouvement : des forces militaires considérables, qui lui permirent de semer les ravages et l'épouvante sur son passage, et des sommes d'argent, qui furent distribuées à profusion aux Toscans, aux Normands, aux Romains eux-mêmes, pour les gagner à sa cause. Henri ne parvint cependant qu'à s'emparer, le 2 juin 1083, de la cité Léonine, où il se fortifia, et de la basilique de Saint-Pierre, où il installa le pseudo-Clément III. Grégoire VII resta en possession du Transtevere sur la rive droite, et de la ville proprement dite sur la rive gauche, ainsi que du château Saint-Ange.

D'hypocrites négociations de paix furent alors entreprises par Henri 1V. La masse des Romains, gagnée par les largesses du roi, se ralliait à lui Grégoire, inébranlable renouvela, le 24 juin, la sentence d'excommunication prononcée contre Henri.

Celui-ci lui répondit, le 28, en faisant introniser l'antipape dans la basilique de Saint-Pierre. Le 21 mars 1084, d'abondants subsides, fournis par l'empereur d'Orient, permirent à Henri d'acheter des Romains, qui lui ouvrirent les portes de Rome Il y tint un synode qui prononça la déposition de Grégoire, et fit sacrer Guibert au Latran. Puis il poussa activement le siège du château Saint-Ange, dernier refuge où Grégoire résistait toujours. On arriva ainsi au mois de mai.

Tout à coup le bruit se répand que Robert Guiscard est aux portes de la ville, à la tête d'une armée formidable de Normands Henri sent fléchir la fidélité des Romains qu'il a gagnés à prix d'argent. Ses propres troupes sont fatiguées par une longue campagne, décimées par la maladie. Il ne se sent pas de taille à résister, et quitte Rome avec précipitation. Le pape est sauvé ; mais la population romaine expie cruellement la trahison dont elle s'est rendue coupable. La ville est mise à sac par les Normands ; des milliers de Romains sont massacrés ; des milliers sont vendus comme esclaves ; tandis que Grégoire VII adresse à l'Eglise universelle cet appel suprême : Pour l'amour de Dieu, vous tous qui êtes de vrais chrétiens, venez au secours de votre père saint Pierre et de votre mère la sainte Eglise si vous voulez obtenir grâce en ce monde et vie éternelle dans l'autre[105].

 

X

Jamais, même au plus fort de la lutte contre le roi de Germanie, Grégoire VII n'avait oublié qu'il se devait à toutes les Eglises du morde Nous avons parlé de son intervention en France et en Angleterre Les Etats scandinaves, la Pologne, la Russie, la Hongrie, la Bohème, l'Espagne, l'Afrique septentrionale, l'Arménie, et, d'une manière générale, les Eglises d'Orient, furent l'objet de ses sollicitudes pastorales.

Par plusieurs lettres affectueuses adressées au roi de Danemark, Svend Estrithson, et à son fils Harald Hein, il demande I établissement de rapports diplomatiques réguliers avec la nation danoise, et rappelle à ces souverains le rôle de la royauté, qui est de protéger la justice et de seconder l'œuvre de l'église. Un roi, dit-il[106], doit être le constant défenseur des veuves, des pauvres et des orphelins. Il supplie Olaf III, roi de Norvège, d'envoyer à la cour apostolique quelques jeunes nobles de sa nation, afin que, élevés avec soin dans les lois sacrées et divines, ils puissent ensuite les faire connaître dans leurs pays[107].

En Pologne, Boleslas II, dit le Cruel, après avoir proclamé l'indépendance politique de son royaume à l'égard de la Germanie, avait tué de sa propre main l'évêque de Cracovie, saint Stanislas. Grégoire VII l'excommunie pour ce crime. Puis il envoie des légats dans son royaume pour organiser les diocèses[108]. En Russie, il prend les intérêts de Dmitri Isiaslaf, qui a promis fidélité au Saint-Siège[109]. En Hongrie. il intervient pour maintenir les droits de la papauté sur ce royaume, pour y apaiser les guerres civiles, et, plus tard, pour encourager le saint roi Ladislas[110]. En Bohême, il entretient une correspondance affectueuse avec le duc Vratislas[111]. En Espagne, il maintient le respect du mariage, le célibat des prêtres, l'accord entre les chrétiens, rappelle les liens qui rattachent le royaume espagnol au Saint-Siège[112], exhorte le roi Alphonse de Castille à combattre les Sarrasins. Il détache de l'empire grec la Dalmatie et y envoie des légats. En Arménie, il veille au maintien de la pureté de la foi. Partout il lutte, il réprimande, il soutient, il négocie avec une indomptable énergie ; partout il poursuit le même but : rendre à l'Eglise la pureté de sa foi et de sa vie, en l'affranchissant de ce monde seigneurial qui l'enlace, l'asservit et la dégrade, en la rattachant à Rome qui donnera à sa hiérarchie la force et l'unité ; car, — il faut le dire,Grégoire VII n'est pas seulement un soldat, un logicien, un politique ; c'est un apôtre. De son zèle apostolique pour l'Eglise du Christ, la justice et la paix, ses lettres apportent maint témoignage, soit qu'il encourage ou consulte ses amis, soit qu'il lance l'anathème à ses adversaires[113]. Il est plus encore ; il est un saint. Telle de ses lettres respire la plus profonde et la plus tendre piété. Il écrit à la pieuse comtesse Mathilde : Parmi les armes qui nous servent à combattre le prince de ce monde, je vous ai déjà signalé les deux principales : la réception fréquente du corps du Seigneur et une confiance assurée, complète en sa sainte Mère... Je vous ai depuis longtemps recommandée à la Mère du Seigneur, et je ne cesserai pas de le faire, jusqu'à ce que nous ayons le bonheur de la voir là-haut, cette Reine que les cieux et la terre sont impuissants à louer dignement[114].

On comprend que la sollicitude d'une âme si apostolique se soit portée vers les missions. Depuis le début de son pontificat, Grégoire nourrissait le projet d'agrandir le royaume du Christ, d'en faire reculer les frontières en Afrique et en Asie.

En Afrique, le roi de Mauritanie, Anazir, l'avait invité à sacrer évêque, pour le siège de Buzéa, le prêtre africain Servand. Il s'empressa de lui répondre : Ta requête est juste et équitable. Je sais que tu as, d'ailleurs, racheté des chrétiens qui étaient en captivité dans ton pays. Cet acte de bonté t'a été certainement suggéré par Dieu, sans qui nous ne pouvons rien faire, ni rien penser de bien... Deux nobles Romains, avec qui nous sommes particulièrement lié, désireraient vivement nouer avec toi des relations d'amitié ; ils t'envoient quelques-uns de leurs hommes : nous les recommandons à ta magnificence... Nous prions Dieu du fond du cœur de te recevoir, après une longue vie, dans le sein de la béatitude du très saint patriarche Abraham[115]. Jamais peut-être, dit avec raison M. de Mas-Latrie[116], pontife romain n'a plus affectueusement marqué sa sympathie à un prince musulman.

Mais tandis que l'horizon se rassérénait du côté de l'Afrique septentrionale, il s'assombrissait du côté de l'Asie occidentale. En 1064, les Turcs avaient commencé à menacer les frontières de l'empire byzantin. En to68, ils s'étaient emparés de Césarée de Cappadoce ; en 1070, de Jérusalem. En 1071, ils battaient, en bataille rangée, l'armée de l'empereur Romain Diogène. Une à une, les métropoles asiatiques, illustrées par le souvenir de l'âge apostolique ou des grands docteurs de l'Eglise, tombaient aux mains des musulmans. Les Occidentaux ne pouvaient rester indifférents à ces catastrophes. Non seulement la sécurité des pèlerinages en Terre Sainte était compromise, mais l'existence même du Saint-Sépulcre et des établissements latins de Jérusalem pouvait paraître mise en question. Il semble que, dès les premiers désastres, l'idée d'une expédition au secours de Constantinople soit née en Occident. Cette idée fut d'ailleurs provoquée par les empereurs byzantins eux-mêmes. En 1073. Michel VII écrivit dans ce sens au pape Grégoire VII, en lui promettant la réunion de l'Eglise grecque au Saint-Siège[117]. Le pape accueillit d'abord favorablement cette invitation. Dans une lettre datée du 2 février 1074, il exhorte Guillaume, comte de Bourgogne, à aller défendre Constantinople menacée par les infidèles[118]. Le 1er mars, dans une encyclique adressée à tous les fidèles, il leur annonce le danger que court l'empire chrétien, et leur demande de lui faire connaître par des ambassades les résolutions qu'ils auront prises[119]. Le pape reçut immédiatement des propositions de secours, car, dans sa lettre à Guillaume VI, comte de Poitiers, il le remercie de ses offres, le bruit d'une victoire remportée sur les Turcs a fait ajourner l'expédition[120]. Au contraire, dans une lettre adressée, le 7 décembre à Henri, roi des Romains, respire un nouvel enthousiasme pour la guerre sainte ; il annonce qu'Italiens et Ultramontains ont répondu à ses demandes, et qu'il est prêt à marcher en personne à la tête d'une armée de 50.000 hommes, pour délivrer l'Orient et le Saint-Sépulcre, en faisant rentrer dans l'unité chrétienne les Eglises dissidentes[121]. On a vu avec raison dans la correspondance de Grégoire VII le premier plan de guerre sainte qui ait été conçu en Occident. Au milieu de la diversité et de la division qui caractérisent le monde féodal du XIe siècle, le pape a gardé seul la conscience de l'unité chrétienne et des intérêts communs à tous les fidèles. En face des dangers que présentent les agressions musulmanes, non seulement en Orient, mais en Sicile et en Espagne, il veut constituer une force capable de sauver la chrétienté, et il voit dans la réunion des Eglises dissidentes la condition nécessaire à une entente générale de toutes les puissances chrétiennes[122].

Malheureusement deux faits empêchèrent Grégoire VII de réaliser sa grande idée. La guerre contre les investitures laïques ne lui laissa pas le temps nécessaire pour organiser une pareille entreprise ; et les empereurs qui succédèrent à Michel VII, Nicéphore Botaniatès et Alexis Comnène, se montrèrent hostiles à la réunion des Eglises. Un projet semble avoir, un moment, traversé l'esprit de Grégoire : lâcher la bride à l'ambition de Robert Guiscard, qui rêvait de ceindre la couronne d'empereur d'Orient, et compter sur les Normands pour réaliser, sous la direction de la papauté, la double entreprise : l'expulsion des Turcs de l'Asie occidentale et l'union des Eglises chrétiennes. Mais les Normands avaient donné trop de preuves d'inconstance, d'égoïsme et de duplicité, pour qu'on pût faire fond sur eux désormais.

Après avoir chassé de Rome l'empereur et l'antipape, on les avait vus se livrer d'abord au brigandage le plus effréné. Ils avaient ensuite tenté un assaut contre Tivoli, où s'était réfugié le prétendu Clément III ; mais l'attaque avait échoué contre les fortes murailles de la ville. Alors, gorgé de butin, Guiscard, plutôt que d'entreprendre un siège en règle, avait jugé plus à propos de se retirer au sud de l'Italie avec ses troupes.

Rester à Rome dans ces conditions, alors que l'antipape était à Tivoli et qu'Henri IV n'avait pas encore .quitté la péninsule, parut imprudent à Grégoire VII. Il se décida à suivre dans l'Italie méridionale son terrible protecteur, se promettant de revenir dans sa Rome bien-aimée en des temps meilleurs. Mais la mort seule devait mettre fin à son exil.

En septembre ion Guiscard quitta de nouveau l'Italie, pour reprendre une fois de plus sa chimérique entreprise : la conquête de Constantinople. Vainqueur, il reviendrait, disait-il, la couronne impériale au front, donner à l'Eglise l'appui de son bras puissant. Il remporta, il est vrai, plusieurs victoires ; mais l'or byzantin, largement distribué à ses barons, en détacha plusieurs de sa cause. La désorganisation se mit dans son armée, qui dut regagner l'Italie. Une seconde expédition, entreprise et menée avec une rare ténacité, fut d'abord marquée par des victoires brillantes, mais fut interrompue, le 17 juillet 1085, par la mort de l'intrépide chef normand. Quand les débris de ses troupes rentrèrent en désordre dans la basse Italie, le pape Grégoire VII n'était plus de ce monde. Le 25 mai 1085, il mourut à Salerne, où il s'était réfugié, frappé d'un mal dont il s'était senti atteint dès le début de cette année, et n'aspirant plus, depuis lors, qu'à la possession de l'éternelle Justice, dont il espérait être rassasié là-haut, après en avoir eu faim et soif sur la terre. Au moment où il allait rendre le dernier soupir, on l'entendit prononcer ces mots : J'ai aimé la justice et haï l'iniquité ; c'est pourquoi je meurs en exil. Un évêque présent ne put s'empêcher alors de lui répondre : Seigneur, un pape ne peut mourir en exil, car il a reçu de Dieu toutes les nations en héritage. Il expira après avoir accordé l'absolution à tous ceux qu'il avait excommuniés, à l'exception de l'empereur Henri IV et de l'antipape Guibert[123].

Les historiens qui ne professent pas la foi catholique ont émis sur Grégoire VII des opinions contradictoires. Pour les uns, il a été le théocrate absolu, subordonnant tout à Bon ambition de domination universelle[124] ; d'autres se sont plu à saluer en lui un grand ancêtre de la Révolution française[125], s'appuyant sur les peuples pour briser le despotisme des rois. Les catholiques eux-mêmes n'ont pas toujours été d'accord dans leurs appréciations sur ce grand pape. Quelques-uns, dominés par l'esprit gallican et janséniste, lui ont reproché d'avoir empiété sur la puissance légitime des souverains[126]. Il semble que, de part et d'autre, on ait eu tort de faire de Grégoire VII un théoricien[127]. Il fut avant tout un homme de devoir, pénétré du sentiment de sa responsabilité, désireux d'obéir jusqu'au bout à sa conscience de chrétien, de prêtre et de chef de l'Eglise. Son naturel le portait à la confiance envers les hommes ; il le montra bien dans ses rapports avec Bérenger, lingues Candide, Henri IV, Guibert et Robert Guiscard. Il ne se résigna à les combattre ou à les condamner qu'après de douloureux conflits entre sa conscience et son cœur. Ces conflits furent le martyre de sa vie ; toute sa correspondance en fait foi. L'Eglise, qui l'a placé sur ses autels, l'honore comme un de ses plus intrépides champions[128] ; tout esprit sincère doit reconnaître en lui un grand défenseur de la justice.

 

 

 



[1] Le récit de cette élection a été fait par Grégoire VII lui-même, deux jours après l'événement, dans une lettre écrite à Didier du Mont-Cassin (P. L., CXVIII, 285). L'élection de Grégoire VII n'était pas très régulière dans sa forme ; mais c'est à tort qu'on en contesta plus tard la validité. Jamais le libre choix d'un corps électoral ne se manifesta d'une manière plus unanime et plus réfléchie. Le procès-verbal de l'élection qui se trouve en tête de Registrum de Grégoire VII (P. L., CXLVIII, 283-284) est d'une rédaction postérieure.

[2] Ep., I, 9 ; II, 49 ; III, 10 ; VII, 22 ; P. L., t. CXLVIII, col. 291, 400, 439, 566.

[3] Ep., VII, 14, dans JAFFÉ, Monumenta Gregoriana.

[4] Benzo l'appelle homuncio ventre lato, crure curto (M. G., SS., t. XI, p. 659).

[5] Dans un passage de Guillaume de Malmesbury, on voit Hugues de Cluny qualifier Hildebrand d'homuncio exilis naturæ (M. G., SS., t. X, p. 474).

[6] La grande idée de Grégoire, a dit Voigt (et il n'en avait qu'une seule), est devant nos yeux : c'est l'indépendance de l'Eglise. C'est là le point où venaient se grouper toutes ses pensées, tous ses écrits, toutes ses actions. (VOIGT, Hist. du pape Grégoire VII et de son siècle d'après des documents originaux, trad. JAGER, un vol. in-12°, 3e édition, Paris, 1842, p. 605.)

[7] VOIGT, Hist. du pape Grégoire VII et de son siècle d'après des documents originaux, p. 606.

[8] F. LAURENT, professeur à l'université de Gand, Etudes sur l'hist. de l'humanité, Paris, 1860, t. VI, p. 199.

[9] E. QUINET, Œuvres complètes, Paris, 1857, t III, p. 102.

[10] BONIZO, Ad amicum, l. VII. Monum. Gregor., p. 657.

[11] M. G., SS., t. III, p. 203.

[12] E. VACANDARD, au mot Célibat, dans le Dict. de théol. de VACANT, t. II, col. 2085.

[13] Non omnes capiunt istud (Matthieu, XIX, 11).

[14] I Cor., VII, 2, 25 ; I Tim., III, 2.

[15] P. L., t. CXLV, col. 140.

[16] Les actes du synode de mars 1074 sont perdus, mais plusieurs lettres du pape, poursuivant l'application des décrets qui y furent rendus, permettent de combler la lacune. Voir MANSI, t. XX, 404 ; P. L., CXLVIII, 752 et s. ; JAFFÉ, Mon. Greg., p. 525.

[17] DELARC, Saint Grégoire VII, t. III, p, 67.

[18] MORONI, Dizionario di erudizione storico-ecclesiastica, Venezia, 1840, t. II, p. 191.

[19] JAFFÉ, Mon. Gregor., p. 20.

[20] BONIZO, Ad amicum, l. VII.

[21] Sur ces diverses réformes, voir BONIZO, Ad amicum, l. VII.

[22] JAFFÉ, Monum. Gregor., p. 106 et s. ; P. L., CXLVIII, 357.

[23] JAFFÉ, Monum. Gregor., p. 140 ; P. L., CXLVIII, 382-383.

[24] LAMBERT, Annales, ad ann. 1074, P. L., t. CXLVI, col. 1168-1169.

[25] P. L., t. CXLVIII, col. 878.

[26] JAFFÉ, 4903, 4904, 4963.

[27] JAFFÉ, 4922.

[28] JAFFÉ, 4922.

[29] Il écrit à la duchesse Béatrice qu'Henri IV est ambigua fide (JAFFÉ, 4966).

[30] JAFFÉ, Mon. Greg., p. 163 et s. ; P. L., t. CXLVIII, col. 430.

[31] A. LUCHAIRE, dans l'Hist. de France de LAVISSE, t. II, 2e partie, p. 217.

[32] P. L., t. CXLVIII, col. 343-344.

[33] JAFFÉ, Mon. Greg., p. 113 et s. ; P. L., t. CXLVIII.

[34] Acta sanctorum, avril, t. I, p. 753 ; MANSI, XX, 437 ; Suppl., II, 6.

[35] Si l'on rapproche de cette maxime et du fait dont on vient de parler la condescendance de Grégoire VII envers Bérenger, la patience inlassable qu'il montra à l'égard du roi de France Philippe Ier (LUCHAIRE, dans Hist. de France de LAVISSE, t. II, 2e partie, p. 217), la facilité avec laquelle il accueillit le prétendu repentir de Guibert, on doit conclure, avec M. Luchaire, que rien n'est plus injuste que de taxer Grégoire VII d'intolérance fougueuse (op. cit., p. 216), et que sa politique réelle se résume dans la courte phrase, qu'on vient de citer, de sa correspondance avec Hugues de Die (op. cit., p. 217).

[36] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, V, 112-113.

[37] MANSI, XX, 442.

[38] MANSI, XX, 459 ; A. DU BOYS, Lanfranc et Guillaume le Conquérant, dans la Revue des questions histor., 1881, t. XXX, p. 352-354.

[39] JAFFÉ, Mon. Greg., p. 167, 199, 298, 364, 384, 412.

[40] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, IV, 1124.

[41] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, IV, 1268.

[42] Le décret de Grégoire VII sur la vie canoniale a été publié par Dom Germain MORIN, Règlements inédits du pape Grégoire VII pour les chanoines réguliers, dans la Revue bénédictine, 1901, t. XVIII, p. 177-183. Il se trouve reproduit dans HÉFÉLÉ-LECLERCQ, t. V, p. 94-96. Ce décret, signalé par Montfaucon, dans sa Bibliotheca bibliothecarum mss., comme une Regula canendi Gregorii papæ, avait été considéré comme ayant pour objet une réforme du chant liturgique. La confusion venait de l'interprétation d'un mot abrégé, csa, qu'on entendait du chant, et qui doit s'entendre des chanoines. On rattachait aussi ce décret à l'abrogation du rite mozarabique : c'était également à tort. M. FLOREZ (España sagrada, 2e édit., in-8°, Madrid, 1754, t. III, p 308-336) a raconté en détail l'histoire de l'abolition de ce rite par Grégoire VII et de son rétablissement au XVe siècle. Il rapporte même l'histoire d'un curieux duel liturgique où l'on vit un chevalier de Castille et un chevalier de Tolède se battre en champ clos pour la liturgie romaine et la liturgie mozarabique (op cit., p. 311). Cf. Duel judiciaire entre des communautés religieuses, dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 1840, t. I, p 552-564. À près des siècles de luttes et de péripéties diverses, la paix est faite aujourd'hui entre les deux liturgies. Celle de Rome est suivie généralement en Espagne, mais la vieille liturgie mozarabique, celle qui avait consolé le peuple espagnol durant les longs jours de sa servitude, celle qui avait célébré sa renaissance à la liberté et chanté ses premières victoires, fait encore entendre, avec l'approbation du Saint-Siège, dans la cathédrale de Tolède, ses belles prières et ses antiques mélopées. (DELARC, Saint Grégoire VII, t. III, p. 94. Cf. HÉFÉLÉ-LECLERCQ, V, 284.) On admet sans difficulté, dit Mgr Duchesne, que la liturgie mozarabique est identique à celle que l'on suivait dans les églises de Gaule avant Charlemagne et à celle qui régnait dans les Îles Britanniques avant les missions romaines du VIIe siècle. (DUCHESNE, les Origines du culte chrétien, 2e édit., p. 83.)

[43] Ordéric VITAL, l. XI.

[44] P. L., t. CXLIX, p. 73 et s.

[45] Voir un tableau résumé de la journée du moine à Cluny dans CHÉNON, l'Ordre de Cluny et la réforme de l'Eglise (la France chrétienne dans l'histoire, un vol. in-12, Paris, 1896, p. 193-197).

[46] Dom CABROL, dans les Etudes, 1910, t, CXXIV, p. 456-457.

[47] VIOLLET-LE-DUC, Dict. d'architecture, t. I, p. 130 et passim ; PIGNOT, Hist. de Cluny, 3 vol. in-8°, Autun-Paris, 1868, t. II, p. 490-565. M. de Lasteyrie, sans nier que Cluny ait donné une grande impulsion à l'architecture, conteste qu'il ait créé une école spéciale (R. DE LASTEYRIE, l'Architecture religieuse en France l'époque romane, un vol. in-4°, Paris, 1912, p. 235-238).

[48] Les moines de Cluny portaient, comme vêtements, en dessous, une chemise de laine, appelée étamine, et des fémoraux ou caleçons ; par-dessus, le scapulaire, dont les deux bandes tombaient jusqu'à terre, et auquel était attaché le capuchon. Le tout était recouvert de la coule ou froc. Les novices ne portaient pas de scapulaire, et attachaient le capuchon sur le froc. Ces derniers vêtements étaient noirs ; de là le nom de moines noirs donné par le peuple aux religieux de Cluny.

[49] P. L., t. CLIX, col. 927-932.

[50] Sur saint Hugues de Cluny, voir Acta sanctorum, au 19 avril ; MABILLON, Annales, l. LVII, LXXI ; Hist. littéraire de la France, t. IX, p. 465-487 ; Dom CEILLIER, t. XIV, p. 50-55.

[51] HURTER, Histoire d'Innocent III, t. IV, p. 163.

[52] MONTALEMBERT, les Moines d'Occident, t. VI, p. 484-485.

[53] LANSPERGE, Enchiridion, ch. XLIX.

[54] Dom AUTORE, dans le Dict. de théol. de VACANT, au mot Chartreuse, t. II, col. 2288.

[55] GUIBERT DE NOGENT, De vita sua, l. I. ch. XI ; P. L., t. CLVI, col. 853.

[56] P. L., t. CLII, col. 420 et s. Les Bollandistes ne regardent pas comme fondée la légende, immortalisée par le pinceau de Lesueur, de l'épouvantable déclaration faite par un docteur damné. La biographie de saint Bruno, qui rapporte ce fait, suppose l'existence à Paris, en 1082, d'une université en plein exercice (P. L., t. CLII, col. 483). Cette biographie ne remonte donc pas au delà du XIIIe siècle.

[57] Vir religiosissimus ac sanctitate perspicuus, dit Raoul GLABER, V, 25.

[58] Sur la question des investitures, voir E. LESNE, au mot Investiture, dans le Dict. apol. de la foi cath., t. II, col. 1090 et s.

[59] E. LESNE, Dict. apol. de la foi cath., t. II, col. 1095.

[60] HUMBERT, Contra simoniacos, l. III, 2, dans JAFFÉ, Mon. Greg., t. I, p. 200, et dans P. L., t. CXLIII, col. 1142. Saint Yves de Chartres devait, plus tard, compléter cette notion, en précisant que la suprématie de l'élément spirituel sur l'élément temporel n'était pas l'absorption de celui-ci par celui-là.

[61] HUGUES DE FLAVIGNY, Chronicon, dans M. G., SS., t. VIII, p. 412, et P. L., t. CLIV, col. 277. Tel est bien le sens, sinon la lettre même du décret, car il semble qu'Hugues de Flavigny ne nous ait pas conservé le texte authentique.

[62] SAINT GRÉGOIRE VII, Registrum, II, 14, dans JAFFÉ, Monum. Greg., p. 156, et dans P. L., t. CXLVIII, col. 394. Cette lettre était adressée à Hugues, évêque de Die, et ne visait directement que le gouvernement de son diocèse ; mais elle était une direction pour toute sa conduite.

[63] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, V, 231.

[64] A. LUCHAIRE, dans l'Hist. de France de LAVISSE, t. II, 2e partie, p. 214.

[65] Voir, sur la politique religieuse de Guillaume le Conquérant, LINGARD, Hist. d'Angleterre, trad. de ROUJOUX, t. II, p. 117-191.

[66] Sur les prétentions politiques des empereurs allemands, voir Ed. STENGEL, Den Kaiser macht dal Heer Studien Zür Geschichte eines politischen Gedænkens, 1 vol. grand in-8°, Weimar, 1900 (Résumé dans la Bibl. de l'Ecole des Chartes, t. LXXII, 1911, p. 100-106).

[67] DELARC, Saint Grégoire VII, t. I, p. LXXXIV-LXXXV.

[68] GRÉGOIRE VII, Registrum, I, 29, dans JAFFÉ, Mon. Greg., p. 46 et s., et dans P. L., t. CXLVIII, col. 312-313.

[69] Voir cette lettre dans Registrum, III, 10 ; Mon. Greg., p. 220 ; P. L., t. CXLVIII col. 439-442.

[70] DELARC, Saint Grégoire VII, III, 160.

[71] BONIZO, Ad amicum, VII, dans JAFFÉ, Mon. Greg., p. 664.

[72] M. G., SS., t. V, p. 251, 280, 431 et s.

[73] LAMBERT DE HERSFELD, Annales, ad ann. 1076, dans M. G., SS., t. V, p. 242, et dans P. L., t. CXLVI, col. 1211.

[74] BRUNO, De bello saxonico, dans M. G., SS., t. V, p. 351.

[75] BRUNO, De bello saxonico, dans M. G., SS., t. V, p. 352.

[76] Paul BERNRIED, Vita Gregorii VII, dans WATTERICH, t. I, p. 512, et dans P. L., t. CXLVIII, col. 71.

[77] Voir la lettre écrite à ce sujet par l'impératrice à l'évêque de Passau (HUGUES DE FLAVIGNY, Chronicon, P. L., t. CLIV, col. 308).

[78] Voir la formule solennelle de cette excommunication dans le Liber Pontificalis, édit. DUCHESNE, t. II, p. 282, et dans JAFFÉ, Monum. Greg., p. 222-224.

[79] Paul BERNRIED, Vita Gregorii VII, 68, dans WATTERICH, I, 517.

[80] Grégoire VII, Registrum, III, 6, P. L., CCLVIII, 454-455, cf. IX, 1. P. L., ibid., col. 451-453.

[81] BONIZO, Ad amicum, l. VIII ; Mon. Greg., p. 670.

[82] Mon. Greg., p. 106 et s.

[83] HUBERT DE FLAVIGNY, Chronicon, l. II, M. G., SS., t. V, p. 361.

[84] LAMBERT, Annales, ad ann. 1076, dans M. G., SS., V, 243 et s. ; P. L., CXLVI, 1218-1219.

[85] Grégoire VII, Registrum, IV, 1, dans JAFFÉ, Mon. Greg., p. 238, et P. L., t. CXLVIII, col. 451-453.

[86] BRUNO, De bello sax., M. G., SS., V, 361 ; MANSI, XX, 379 et s.

[87] Sa mère, Béatrice, venait de mourir, le 18 avril 1076.

[88] GRÉGOIRE VII, Registrum, IV, 12, dans JAFFÉ, Mon. Greg., p. 256 et s., et dans P. L., t. CXLVIII, col. 465-467. C'est cette relation qui nous a principalement guidé dans notre récit. Elle se trouve complétée par les relations de deux évêques italiens, Bonizo et Donizo, tous les deux en rapports intimes avec la comtesse Mathilde, et dont le dernier habitait à Canossa (voir BONIZO dans Monum. Greg., p. 672, et DONIZO dans M. G., SS., t. XII, p. 382). Il est absolument faux : 1° que Grégoire VII ait lui-même imposé la pénitence au roi : 2° que celui-ci ait été condamné à passer trois jours et trois nuits sans nourriture, en plein air, vêtu seulement d'une chemise, 3° que le pape se soit servi de l'Eucharistie comme d'un jugement de Dieu. De telles affirmations essayent en vain de s'appuyer sur une version de LAMBERT DE HERSFELD (M. G., SS., V, 256 et s.). Cette version est contredite par l'ensemble des autres documents. Elle jure avec les caractères de Grégoire VII et d'Henri IV. La plupart des historiens la rejettent (HÉFÉLÉ-LECLERCQ, V, 191-200. DELARC, Saint Grégoire VII, t. III, p. 267-278, HERGENRÖTHER, Hist. de l'Eglise, III, 555-557). Ce qu'on doit dire, écrit Héfélé, c'est que toute la scène de Canossa a été une scène da comédie jouée par le roi, lequel venait chercher à Canossa, non pas l'absolution, mais une issue à l'imbroglio politique où si s'était jeté (loc. cit., p. 200). Il n'est dit nulle part que le roi ait passé trois jours dans la neige revêtu seulement d'une chemise. La robe de laine des pénitents se portait sur les vêtements ordinaires.

[89] DONIZO, dans M. G., SS., 382.

[90] LAMBERT, dans M. G., SS., 260 ; Mon. Greg., 245.

[91] LAMBERT, Annales, ad ann. 1077, P. L., CXLVI, col. 1245.

[92] D'après BONIZO (ad Amicum, l. VIII) le roi eut avec le bandit plusieurs entretiens secrets. Mais la mort subite de ce dernier, en 1077, mit fin au complot.

[93] LAMBERT, Annales ad ann. 1077, dans M. G., SS., t. V, p. 261 et s., et dans P. L., t CXLVI, col. 1244-1245.

[94] ARNULFE, Gesta arch. medol., M. G., SS., t, VIII, p. 31.

[95] WATTERICH, I, 517 et s., BENRIED, Vita Gregorii VII, ch. VII ; P. L., t. CXLVIII, col. 87-90.

[96] BRUNO, De bello saxonico, 91, M. G., SS., V, 365.

[97] MANSI, XX, 603 suppl., II, 27 ; DELARC, III, 403-414.

[98] JAFFÉ, n. 5084.

[99] GRÉGOIRE VII, Registrum, VI, 17, Mon. Greg., p 352, DELARC, III, 461-462.

[100] GRÉGOIRE VII, Registrum, VII, 14, Mon. Greg., p. 401. Voir la traduction intégrale de la belle allocution de saint Grégoire, prononcée à cette occasion, dans DELARC, III 488-491. On s'est parfois autorisé d'une phrase isolée de cette allocution, pour soutenir que Grégoire VII s'arrogeait le droit de disposer des couronnes (Hist. Gén. de Lavisse et Rambaut, t. II, p. 101-102). Le sens du document, pris dans son ensemble, nous parait tout autre. Nous pensons avec GOSSELIN (Pouvoir du pape au Moyen Âge, nouvelle édition, Paris, 1845, p. 441), que la sentence du pape ne fut réellement qu'une confirmation du jugement déjà prononcé par les seigneurs allemands dans la diète de Forchbeim. Voir la discussion de cette opinion dans GOSSELIN, op. cit., p 441 et s.

[101] M. G., SS., VIII, 99 ; Mon. Greg., 676.

[102] Tels sont les termes du traité. Voir Grégoire VII, Registrum, VII, 7, Mon, Greg., p. 426.

[103] Registrum, VIII, 31 (alias, IX, 8) ; JAFFÉ, n. 5210.

[104] BENZO, M. G., SS., XI, 656, Mon. Greg., 677.

[105] JAFFÉ, n. 5273. Cf. Bibl. de l'École des Chartes, 1865, t. VI, p. 560.

[106] S. GRÉGOIRE VII, Registrum, II, 51, 75 ; V, 10 ; VII, 5, dans Mon. Greg., pp. 167, 199, 198, 384.

[107] Registrum, VI, 13, dans Mon. Greg., p. 343.

[108] Registrum, II, 73, Mon Greg., p 196.

[109] Registrum, II, 74, Mon. Greg., p. 198.

[110] Registrum, II, 63, p. 183 ; II, 70, p. 192 ; IV, 25, p. 179 ; VI, 29, p. 265.

[111] Registrum, II, 6, 7, 8, p. 118 ; II, 53, p. 171 ; II, 71, p. 193.

[112] Héfélé pense que Grégoire faisait allusion à la Donatio Constantini ; DELARC, qu'il avait en vue des traditions positives et incontestables, mais stout les titres ne sont pas venus jusqu'à nous (DELARC, Saint Grégoire VII, t. III, p. 21-23). Cf. Registr., III, 18.

[113] A. DUFOURCQ, l'Avenir du christianisme, t. VI, p. 28.

[114] GRÉGOIRE VII, Registrum, I, 47.

[115] Registrum, III, 21, dans Mon. Greg., p. 236.

[116] MAS-LATRIE, Traités de paix concernant les chrétiens et les Arabes au Moyen Age, un vol. in-f°, Paris, 1868, p. XXIII.

[117] La lettre est connue d'après sa réponse de Grégoire VII (9 juillet 1073). Registrum, I, 18, P. L., t. CXLVIII, col. 300.

[118] P. L., CXLVIII, 325. Sur les lettres et leur authenticité, voir RIANT, Archives de l'Orient latin, t. I, p. 56.

[119] P. L., CXLVIII, 329.

[120] P. L., CXLVIII, 360.

[121] L. BRÉHIER, l'Église et l'Orient au moyen âge, un vol. in-12°, Paris, 1907, p. 51-52.

[122] L. BRÉHIER, l'Église et l'Orient au moyen âge, p. 53.

[123] Paul BERNRIED, Vita Gregorii VII, dans WATTERICH, t. I, p. 340.

[124] G. MONOD, Revue critique, 1873, 2e partie, p. 176.

[125] E. QUINET, Œuvres complètes, Paris, 1857, t. III, p. 100.

[126] Sur l'opposition des jansénistes, des gallicans, du parlement de la France et de quelques gouvernements européens à l'introduction de l'office de saint Grégoire VII dans le Bréviaire, voir Dom GUÉRANGER, Dissert. sur l'off. de S. Grégoire VII, extrait des Institutions liturgiques, inséré dans P. L., t. CXLVIII, col. 234-280.

[127] Pour soutenir cette thèse, on a cité des formules qui se trouvent bien dans les œuvres de saint Grégoire VII, mais qui n'y ont pas, comparées à leur contexte, le sens absolu qu'on leur attribue. Ainsi, lorsqu'il se sert de la comparaison du soleil et de la lune pour exprimer les rapporta qui doivent exister entre l'Eglise et l'Etat (Reqistrum, VIII, 21, Cf. VII, 25 ; IX, 21 ; III, 8), lorsqu'il affirme que les princes doivent se soumettre à l'empire du Christ (IV. 3), et regarder l'Eglise comme une mère, il a surtout en vue les pouvoirs spirituels de l'Eglise, et, secondairement, l'autorité sociale qui découle de ces pouvoirs ou que le droit public du Moyen Age lui reconnaît. Quand il parle de l'origine diabolique des monarchies (lettres du 25 août 1071, du 15 mars 1081, etc.), il fait simplement allusion aux mauvaises monarchies ; peut-être aussi, dans un ou deux textes, à la forme monarchique en général, en ce sens que le pouvoir des rois, tel qu'il existait de son temps, avait la plupart du temps pour origine l'usurpation et la violence. (Voir, sur ce point, Analecta bollandiana, 1895, t. XIV, p. 220 et s. ; Stimmen aus Maria Lancia, 1891, p. 112 ; Rivista stance italiana, 1896, t. I, neuv. série, p. 185 et s.). Plus d'une fois cependant il invoque, en faveur de son droit de déposer les rois, des arguments qui semblent indiquer sa croyance à un pouvoir direct en cette matière. Au concile romain de 1080, il s'écrie : Si vous pouvez lier et délier dans le ciel, vous pouvez sur terre enlever et concéder à chacun les royaumes, principautés, marquisats... Reprenant une comparaison du cardinal Humbert, il déclare que, de même que l'âme domine le corps, de même la dignité sacerdotale est supérieure à la dignité royale. (Voir, à ce sujet, FLICHE, Etudes sur la polémique religieuse à l'époque de Grégoire VII, un vol. in-16°, Paris, 1916). Ce qui est certain, malgré tout, c'est que saint Grégoire professe expressément que le pouvoir civil vient de Dieu, comme le pouvoir spirituel, et que la loi qui doit régler les rapports des deux pouvoirs est la concorde. (Registrum, I, 19, 75 ; II, 31 ; III, 7 ; VII, 21, 23, 25 ; IX, 28.) Voir, sur cette question, A. CAUCHIE, dans la Rev. d'hist. ecclés., 1904, t. V, p. 588-596, et HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des conciles, t. V, p. 78-86, en note. On a souvent invoqué, pour attribuer à saint Grégoire VII un système politique, la série des 27 sentences célèbres connues sous le nom de Dictatus papa (Registr., II, 55-56.) Ce recueil a donné lieu à de nombreux débats. Plusieurs auteurs, tels que Héfélé (HÉFÉLÉ-LECLERCQ, V, 131) en ont contesté l'authenticité. Aucune des propositions qui y sont contenues, si on les interprète sans parti pris, n'est digne de blâme. Cf. F. ROCQUAIN, Quelques mots sur le Dictatus papa, dans la Bibl. de l'Ecole des Chartes, 1872, p. 378-385. Pour le, défenseurs et adversaires, voir HERGENRÖTHER-KIRSCH, Kirchengeschichte, édit. allemande, II, 369-372, édit, italienne, IV, 41-42.

[128] Acerrimus Ecclesia defensor (sixième leçon de l'office de saint Grégoire VII au Bréviaire romain, à la date du 25 mai).