HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — L'AFFRANCHISSEMENT DE L'ÉGLISE

CHAPITRE PREMIER. — DE L'AVÈNEMENT DE SAINT LÉON IX À LA MORT D'ALEXANDRE II. - L'ACTION DU MOINE HILDEBRAND. (1048-1073).

 

 

I

En deux ans, cinq papes s'étaient succédé sur le trône apostolique au milieu de circonstances tragiques : Benoît IX, Sylvestre III et Grégoire VI avaient été déposés ; Clément II et Damase H étaient morts d'une manière mystérieuse. La tranquillité de l'Empire était aussi intéressée que celle de l'Eglise au choix d'un pape qui donnât de sérieuses garanties de stabilité. L'empereur Henri III convoqua à Worms, pour le jour de Noël de 1048, une nombreuse assemblée. Nous savons que le moine Hildebrand, soit qu'il y eût été personnellement invité, soit qu'il s'y fût rendu de sa propre initiative en vue de mieux servir les intérêts de l'Eglise, y fut présent. Dès le début de la réunion, tous les regards se portèrent vers l'évêque de Toul, Brunon, comme vers le plus digne d'occuper le siège vacant.

Brunon, fils du comte Hugues d'Egisheim et d'Heilwige, fille unique du comte de Dagshourg, était le proche cousin de l'empereur, et son dévouement au Siège apostolique était connu de tous. De race allemande par son père, et de race gallo-romaine par sa mère, il semblait destiné à apaiser ces conflits de nationalité qui n'avaient pas peu contribué à troubler l'Eglise et l'Empire sous les régimes précédents. Né le 21 juin 1002, dans le pays de la douce Alsace, suivant l'expression de son biographe[1], il était dans la maturité de l'âge et capable de mener à bien la redoutable entreprise dont on le sollicitait de se charger. Un séjour de deux ans à la cour impériale, en qualité de chapelain de l'empereur Conrad II, l'avait initié aux affaires publiques. La part qu'il avait prise, en 1026, à une expédition contre les Milanais révoltés, avait révélé son courage, son esprit de prudence et de décision. Le gouvernement du diocèse de Toul, pendant plus de vingt ans, dans cet artificiel royaume de Lorraine, dont la région orientale ressortissait au Saint-Empire, tandis que celle de l'ouest gravitait dans l'orbite française[2], avait montré en Brunon l'administrateur énergique et sage, l'évêque austère et pieux, détaché des intérêts périssables, tout entier dévoué à ceux de Dieu et de son Eglise[3].

A la proposition qui lui fut faite, Brunon répondit : Je vais à Rome ; et là, si le clergé et le peuple me choisissent spontanément pour leur pontife, je m'inclinerai devant votre désir. Dans le cas contraire, je ne reconnais aucune élection[4]. Dans toute autre circonstance et de la part d'un autre que son proche parent, Henri III aurait peut-être manifesté son mécontentement d'une pareille réponse. Mais le choix de Brunon s'imposait. La voix unanime de l'assemblée l'acclamait[5]. Brunon, s'étant revêtu d'un simple manteau de pèlerin[6], se mit en marche vers la Ville éternelle, Il y arriva, après un mois de pénible voyage, vers la fin du mois de janvier 1049. On l'y connaissait déjà par les nombreux pèlerinages qu'il avait faits aux tombeaux des saints Apôtres durant son épiscopat[7].

Aussi quand le 2 février, jour de la Purification, le métropolitain de Trèves, Eberhard, le présenta, au nom de l'empereur, à l'immense assemblée réunie dans la basilique de Saint-Pierre, une acclamation unanime lui répondit. Dix jours après, le 12 février, qui était le premier dimanche de carême, Brunon fut solennellement intronisé et déclara prendre le nom de LÉON IX.

Le nouveau pape avait-il emmené à Rome avec lui le moine Hildebrand. Le fait est probable[8]. Il est du moins certain que celui qui devait être son meilleur conseiller se trouva dans la Ville éternelle presque aussitôt après lui[9], qu'il eut dès lors toute sa confiance et qu'il fut bientôt nommé par lui cardinal sous-diacre de l'Eglise romaine[10]. Le doux et ferme pontife, le moine ardent, énergique et tenace, allaient s'appuyer et se compléter l'un l'autre dans le dur combat qui s'engageait[11].

Si l'on veut se rendre compte de toute l'âpreté de ce combat, il faut lire le Livre de Gomorrhe[12], que Pierre Damien composa et dédia au pape Léon IX dans les premiers temps de son pontificat. Avec la crudité d'un langage qui ne saurait être traduit en français, l'austère camaldule, soulevant tous les voiles, débridant toutes les plaies, dénonçait au pape et au monde chrétien les crimes qui se commettaient parmi le clergé, se plaignait de l'insuffisance des répressions apportées à de pareils désordres, et suppliait Léon IX de déposer impitoyablement les clercs coupables de tels forfaits. Ce fut probablement à la suite de celte publication que le pape nomma Pierre Damien prieur du monastère d'Ocri, au pays de Saxeno[13]. Toutefois la fougue d'un pareil réformateur le destinait plutôt à jeter des cris d'alarme qu'à être intimement associé au gouvernement de l'Eglise, comme l'était déjà Hildebrand. Léon IX, tout en lui conservant son estime et en lui prodiguant les encouragements, l'écarta doucement de son entourage. Le rude ermite, se croyant victime d'injustes dénonciations, écrivit fièrement au pape : Je ne cherche la faveur d'aucun mortel ; je ne crains la colère de personne ; je n'invoque que le témoignage de ma propre conscience[14]. Cette franchise ne déplut pas à Léon IX ; mais l'heure n'était pas encore venue de faire entrer l'ardent réformateur dans les conseils de la papauté ; il fallait attendre que l'âge et l'expérience eussent modéré ses saints emportements.

Tout en refusant d'appliquer dans leur rigueur les sanctions proposées par Pierre Damien contre les désordres de l'Eglise, le souverain pontife l'avait félicité de son zèle, et sa conduite montra bien qu'il en comprenait toute l'opportunité. Le premier soin du nouveau pape fut de mettre vigoureusement la main à la réforme du clergé.

Dans son profond esprit de foi, le saint pontife voulut placer cette douloureuse campagne sous la protection de l'archange saint Michel, chef des milices célestes, et du patriarche de la vie monastique en Occident, saint Benoît. Pendant la semaine de la Passion, il se rendit en pèlerinage au Mont-Gargan, et en revint par le Mont-Cassin, où il pria sur la tombe de saint Benoît. Il avait déjà convoqué, pour la semaine qui suivrait le dimanche de Quasimodo, en cette même année 1049, tous les évêques d'Italie et plusieurs évêques des régions voisines à un synode ayant pour objet de pourvoir à la réforme des mœurs.

On y vit, avec un certain nombre de prélats et d'abbés italiens, le délégué de l'empereur, Eberhard, qui n'avait pas quitté Rome, et l'archevêque de Lyon, Halinard. Attaquant de front les deux grands vices dont souffrait la société chrétienne, la simonie et l'incontinence des clercs, le pape proposa d'abord à l'assemblée non seulement de prononcer la déposition de tous ceux qui auraient obtenu leurs fonctions sacrées par un pacte simoniaque, mais encore de déclarer nulle toute ordination conférée par eux. Une partie de l'assemblée hésita à accepter la seconde sanction. Grégoire VI, Sylvestre III, Benoît IX, avaient, à divers titres, et avec une responsabilité différemment graduée, donné de l'argent à l'occasion de leur élévation à la chaire apostolique. Pouvait-il s'ensuivre que toutes les ordinations d'évêques et de clercs faites par ces pontifes fussent nulles ? Après une longue discussion, le synode déclara s'en tenir à une décision de Clément II. lequel s'était contenté de soumettre à une pénitence de quarante jours les clercs ordonnés par des simoniaques. Mais les mesures prises contre ces derniers furent impitoyables. Sur l'ordre du pape, chaque membre de l'assemblée fut sommé de déclarer publiquement s'il avait reçu ou conféré les ordres moyennant une rétribution temporelle. Un évêque de Sutri, coupable de ce crime, allait essayer de se disculper en produisant de faux témoins ; mais, au moment où il commençait à parler, il s'affaissa tout à coup, nouvel Ananie, en présence du successeur de saint Pierre. Cet exemple frappa d'épouvante l'assemblée, qui déclara que tout clerc simoniaque serait déposé. On renouvela ensuite toutes les anciennes lois sur le célibat des clercs.

Mais il importait surtout que ces prescriptions ne restassent pas lettre morte, qu'elles franchissent les limites de la salle de l'assemblée et de la ville de Rome. Bien souvent la force d'inertie des uns, la timidité ou la faiblesse des autres, avaient rendu inefficaces de pareilles décisions conciliaires. Des évêques, des abbés, plus ou moins compromis dans ces désordres, auraient-ils le courage, la force, l'autorité morale, nécessaires pour les réprimer ? Qui serait capable de promulguer et de faire appliquer ces décisions en Italie, en France, en Allemagne, en Espagne, en Angleterre, en Hongrie ?

Léon IX prit une résolution énergique. Lui-même prendrait le bâton de pèlerin et parcourrait l'Europe pour faire connaître, respecter et exécuter les sanctions prononcées par le synode romain.

Peu de papes ont autant voyagé que Léon IX ; peu de voyages ont été aussi fructueux que les siens.

Dans la semaine qui suit la Pentecôte de l'année 1049, on le trouve à Pavie, groupant l'épiscopat de la Lombardie en un concile. Les procès-verbaux de cette assemblée ont disparu, mais tout indique que les canons du concile romain y furent renouvelés pour y être appliqués sans retard. Le 3 septembre de la même année, il est à Mayence, présidant une assemblée d'évêques allemands ; et, à peine y a-t-il fait rendre de semblables décrets, qu'il convoque les prélats francs à se rendre à Reims, où il se propose de consacrer l'église abbatiale de Saint-Remi et d'y tenir un nouveau concile. Il y arrive le 29 septembre, jour de la Saint-Michel. Une foule immense l'y attend déjà. Clercs et laïques, seigneurs et manants, Français de l'Ile-de-France, Normands, Lorrains et Champenois remplissent les rues de la ville. C'est à croire, dit un chroniqueur[15], que le monde entier avait envoyé des pèlerins. Le 2 octobre 1049, en présence de la châsse de saint Remi, que le pape a fait placer sur l'autel afin que le grand apôtre des Francs préside le concile, vingt évêques, cinquante abbés, un grand nombre de prêtres et de diacres commencent leurs travaux. Suivant la procédure inaugurée au synode romain, chaque évêque se lève à son tour, et déclare publiquement s'il a reçu ou conféré les ordres d'une façon simoniaque. Les grands coupables sont déposés ; ceux qui ont seulement profité d'un pacte qu'ils n'ont pas connu et qu'ils regrettent, bénéficient de l'indulgence du souverain pontife[16]. Le concile remet ensuite en vigueur des canons tombés en désuétude, en porte de nouveaux sur les saintes lois du mariage, sur le relâchement de la vie monastique, sur l'usurpation des biens d'Eglise par les laïques, sur le péché de Sodome, sur certains hérétiques nouvellement apparus dans les Gaules[17], sur l'oppression des pauvres, sur le goût immodéré de certains clercs pour les aventures et les combats[18].

Comprenant que tous ces décrets n'auront toute leur efficacité que si les princes les appuient de leur autorité, le pape fait appel au zèle du roi de France Henri Ier, de l'empereur d'Allemagne Henri III, du roi d'Angleterre Edouard le Confesseur, du roi de Castille Ferdinand. Henri Ier, circonvenu par des conseillers qui ont tout à redouter d'un concile réformateur, se dérobe à l'entrevue que le pape lui propose à Reims ; mais il ne contrarie pas l'exécution en France des décrets du concile ; Henri III d'Allemagne assiste, à Mayence, en lo5o, à un grand concile qui renouvelle les canons sur les devoirs des clercs ; Edouard d'Angleterre et Ferdinand de Castille favorisent le mouvement de restauration religieuse ; ce dernier réunit même à cet effet, en 1050, à Coyaca, les évêques de ses Etats.

Léon IX ne se contente pas de voyager pour presser partout la réforme ; il mobilise l'armée des moines. Sous son influence, le caractère de l'activité monastique se transforme. Les monastères, dit le P. Brucker, ressemblaient alors à ces forteresses défensives qui empêchent seulement l'ennemi de prendre possession du pays. Avec Léon IX, les citadelles monastiques ouvrent leurs portes ; les soldats qu'elles ont formés au combat pour Dieu en sortent munis des armes spirituelles et prennent l'offensive contre le mal. Ils ne se contentent plus de prier dans la solitude ; ils prêchent ; ils exhortent le peuple et les grands ; ils rappellent aux prêtres et aux évêques leurs devoirs oubliés ; ils font pénétrer en tout lieu les arrêts sans appel que le successeur de Pierre a prononcés et sanctionnés et que la mollesse intéressée de pasteurs infidèles laissait ignorer à leurs ouailles. L'ordre monastique devient une véritable armée, reconnaissant le pape pour son chef suprême et prête à marcher, sous la conduite de ses abbés, qui reçoivent eux-mêmes leur direction du Saint-Siège[19].

L'œuvre réformatrice de Léon IX fut puissamment aidée par l'apparition, en 1050, d'une collection de lois ecclésiastiques, connue sous le nom de Collection en 74 titres qui devait servir de base à l'importante Collectio canonum d'Anselme de Lucques, contemporaine de saint Grégoire VII, laquelle devait être largement utilisée par le Décret de Gratien. Cette collection, dont lus textes avaient trait aux droits et aux obligations des clercs, aux privilèges et aux servitudes des églises, à la procédure accusatoire, au droit d'appel et à la primatie du Siège apostolique, était la première manifestation d'un mouvement juridique dont les progrès allaient exercer une influence prépondérante dans la réforme de la discipline et des mœurs[20].

On doit rapporter à l'œuvre réformatrice de saint Léon IX ce qu'il fit pour la construction et l'embellissement des églises et pour la parfaite exécution des chants sacrés. Il fut honoré, dit-on, par ses contemporains, et surtout par les habitants de Bénévent, comme un médiateur céleste, à cause des églises qu'il fit construire[21]. Chanteur habile, particulièrement apte à exécuter les circonvolutions du quilisma[22], dit son épitaphe, il fut aussi compositeur. On lui fait honneur de répons pour les fêtes de saint Grégoire le Grand, de sainte Odile et de saint Gorgon. Les compositions de Léon IX furent longtemps célèbres dans les églises alsaciennes et lorraines[23].

 

II

La tâche entreprise par le saint pape était d'autant plus pénible qu'aux maux anciens de l'Eglise étaient venues s'ajouter des épreuves nouvelles. L'hérésie de Bérenger, le schisme des Eglises d'Orient et les violences exercées par les Normands dans la Basse Italie, furent les principales de ces épreuves.

En condamnant certains hérétiques nouvellement apparus dans les Gaules[24], le concile de Reims visait-il Bérenger et ses partisans ? Tout le fait supposer.

Le rhéteur habile, à l'esprit ondoyant, au caractère versatile, qui groupe autour de sa personne et qui rallie à sa doctrine, durant le de Bérenger. xi' siècle, cette masse d'âmes inquiètes, impatientes de tout joug et avides de toute nouveauté, qui forment le noyau de toutes les hérésies à toutes les époques de l'histoire, Bérenger, n'a rien de la personnalité puissante d'un Arius, d'un Pélage ou d'un Luther.

Né à Tours, vers l'an 1000, disciple de Fulbert de Chartres, mais discerné dès lors par ce maître comme un esprit faux et dangereux[25], il s'élève rapidement, par l'éclat de son talent et par ses intrigues, aux fonctions d'écolâtre de Tours et d'archidiacre d'Angers[26]. L'élévation de son ami Eusèbe Brunon au siège épiscopal d'Angers, en 1047, la protection que lui offre en même temps le comte d'Anjou, Geoffroy Martel, le succès de ses propres leçons, exaltent son ambition. Bérenger n'est point capable de concevoir et d'enseigner, comme l'ont fait avant lui, depuis les premiers docteurs de la gnose jusqu'à Jean Scot, la plupart des grands hérésiarques qui ont paru dans l'Eglise, une métaphysique nouvelle. Affecter une démarche théâtrale, s'attacher à faire remarquer en lui ce que la dignité de professeur a de plus éclatant bien plus que ce qu'elle a de sérieux, simuler des méditations prolongées, s'exprimer avec des modulations prétentieuses, bref, tromper les esprits inattentifs de manière à s'attirer la réputation d'un docteur sans en avoir le mérite : tel est, suivant le tableau que trace de lui un de ses contemporains[27], le plus clair de son talent. Le portrait est peut-être forcé. Mais ce que nous connaissons de la vie et des œuvres de l'hérésiarque montre bien que le fond en est vrai Que fera donc cet ambitieux ? Il essayera de combiner, avec les doctrines courantes que propagent autour de lui les nouveaux manichéens sur le baptême, le mariage et l'Eucharistie, les hardiesses les plus brillantes de Scot Erigène, il tentera de couvrir ses imprudentes assertions par des textes tronqués de saint Ambroise, de saint Jérôme et de saint Augustin, et il affectera un air d'indépendance hautaine à l'égard du Saint-Siège, appelant le pape pompifex et pulpifex[28]. S'il est vrai. après cela, qu'il ait, comme le raconte Guitmond, évêque d'Aversa, soudoyé et envoyé dans toutes les parties de la France des écoliers pauvres, afin qu'ils lui fissent une popularité, on se rend compte facilement de la promptitude et de la nature de son succès.

Par la bruyante propagande de ses adeptes et par l'audace de ses affirmations, l'hérésie de Bérenger apparaissait comme un des plus grands périls qui eussent menacé la société chrétienne. Le dogme de l'Eucharistie, que visaient les plus violentes attaques de l'hérésiarque, n'était pas seulement, au XIe siècle, le centre de la foi et de la piété catholique, il était aussi le centre de toute la vie sociale. C'est en l'honneur de l'Eucharistie que tant de chefs-d'œuvre de l'architecture s'élevaient, que la musique religieuse se rénovait ; c'est devant l'Eucharistie que les pactes conclus pour la paix des familles et de la société prenaient un caractère sacré ; c'est au jugement de Dieu présent dans l'Eucharistie qu'en appelait, avec une foi qui se mêlait parfois de superstition, l'accusé qui prétendait être victime d'une imputation injuste. Or Bérenger, s'il ne niait pas absolument le dogme eucharistique, attaquait obstinément le dogme de la transsubstantiation, donnait à celui de la présence réelle une interprétation tellement idéaliste qu'elle se traduisait dans l'esprit des simples par une négation, et repoussait avec tant de vigueur la théorie de la manducation matérielle du corps du Christ dans la communion que celle-ci n'apparaissait plus que comme le symbole d'une nourriture toute spirituelle[29].

Informé des proportions que prenait la nouvelle doctrine, le pape Léon IX jugea que la vague condamnation prononcée en 1049 par le concile de Reims était insuffisante. Dans un concile tenu à Rome en 1050, il prononça contre Bérenger une sentence d'excommunication. Toutefois il le cita à comparaitre devant un concile qui allait s'ouvrir à Verceil, au mois de septembre de la même année, afin de lui fournir l'occasion de se rétracter publiquement ou d'expliquer son opinion, s'il était possible, dans un sens orthodoxe[30].

Toujours attentif à se concilier l'appui des puissances temporelles, le premier soin de l'hérésiarque fut d'aller trouver le duc de Normandie. Guillaume, le futur conquérant de l'Angleterre, dont il espérait gagner la faveur. Il se rendit aussi à Paris, pour y solliciter la bienveillance du roi Henri Ier. Mais celui-ci, soit qu'il se méfiât du novateur, soit qu'il fût inspiré en cela par un simple calcul politique[31], ne le laissa point partir pour Verceil. Il l'emprisonna. Du reste, cet emprisonnement fut de courte durée. Bérenger s'en tira à prix d'or, et alla se réfugier auprès du comte d'Anjou.

Le concile de Verceil, après un mûr examen et une longue discussion, condamna à la fois la doctrine de Bérenger et le livre de Scot dont il se réclamait[32]. L'hérésiarque s'emporta contre la troupe de niais, contre le concile de vanité qui l'avait condamné, disait-il, sans l'avoir compris[33].

Le mouvement prenait une allure révolutionnaire. Le roi de France craignit pour la tranquillité de son royaume ; et, sans consulter le pape, réunit à Paris, le 16 octobre 1051, un concile national pour juger Bérenger. Celui-ci, prévoyant que le jugement de l'assemblée lui serait défavorable, s'abstint d'y venir, et y fut condamné.

Le pape ne pouvait cependant laisser sans une protestation, au moins implicite, cette ingérence du roi dans les affaires ecclésiastiques. Il eut recours, pour dénouer la situation, au moine Hildebrand. Celui-ci vivait à Rome, dans l'ombre et la retraite, s'employant avec son ardeur ordinaire à la restauration temporelle et spirituelle du monastère de Saint-Paul-hors-les-Murs, ne sortant de son couvent que pour remplir les missions qui lui étaient confiées par le pape. Léon IX le pria de se rendre en France, en compagnie du cardinal Gérard, pour y traiter les affaires du Saint-Siège. La principale de ces affaires était celle de Bérenger. La réconciliation du comte d'Anjou avec le pape venait de faire perdre à l'hérésiarque toute son assurance. Hildebrand, agissant avec sa décision ordinaire, convoque un concile à Tours. L'assemblée s'y réunit en 1054. Bérenger, sentant que la partie décisive va se jouer contre lui, s'y rend, prêt à user de tous les subterfuges, à invoquer tous les droits d'appel. Mais, dès le début, Hildebrand le met dans l'alternative, ou de recourir immédiatement au jugement direct du pape, ou de laisser l'assemblée française, réunie au nom du pape, se prononcer sur le fond. L'assemblée tout entière se décide pour ce second parti, et désire entendre les explications du novateur. Sous la vigoureuse direction d'Hildebrand, les débats s'engagent. Bérenger est mis en demeure de déclarer si, oui ou non, il souscrit à la proposition suivante : Après la consécration, le pain et le vin de l'autel sont le corps et le sang de Jésus-Christ. Bérenger, ainsi qu'il l'avoue lui-même, souscrivit cette formule, et prêta serment que telle était sa foi, du fond du cœur[34].

L'hérésiarque devait revenir sur cette affirmation, la dénaturer en prétendant l'expliquer, et commencer ainsi cette série embrouillée d'affirmations et de rétractations qui rempliront sa carrière jusqu'à son abjuration dernière, faite au concile de Bordeaux, en 1080, qui paraît avoir été sincère et définitive.

 

III

Le résultat final de l'hérésie de Bérenger fut, comme nous le verrons dans la suite, un accroissement de dévotion envers l'Eucharistie dans l'Eglise entière. Un douloureux conflit, qui éclata en cette même année 1054, à Constantinople, eut de tout autres conséquences ; il aboutit à retrancher de la communion romaine les Eglises d'Orient.

Jamais prétextes plus futiles ne furent allégués pour justifier une si grave scission. Au neuvième siècle, Photius avait déjà essayé de proclamer l'indépendance de l'Eglise de Constantinople eu reprochant aux Latins certaines pratiques liturgiques, surtout l'addition du Filioque au Credo. Grâce au concile tenu à Constantinople en 86g, grâce à la fermeté manifestée par l'empereur Léon VI après la réintégration de Photius sur le siège patriarcal, la tentative schismatique échoua. Mais les causes de mésintelligence entre l'Orient et l'Occident étaient loin d'avoir disparu. Constantinople regardait toujours d'un œil jaloux et méfiant Rome et ses pontifes ; et il faut avouer que la conduite de certains papes. depuis un siècle, n'était guère faite pour inspirer le respect. Les tendances schismatiques de l'Orient avaient une autre cause plus profonde. Le grand mal des Orientaux avait toujours été de confondre le spirituel et le temporel dans la personne, pour eux sacrée, de leur Basileus, faisant de leur monarque plus qu'un chef d'Etat et de leur patriarche plus qu'un chef d'Eglise. Or ils sentaient bien que cette confusion serait toujours combattue par Rome, qu'elle ne pourrait s'établir solidement que dans l'autonomie de leur Eglise[35].

La démarche faite, en 1024, solidairement par le patriarche Eustathe et par l'empereur Basile, auprès de Jean XIX, démarche heureusement déjouée par l'abbé de Saint-Bénigne, s'inspirait de ce double sentiment, de jalousie envers le Siège romain et d'autonomie césaropapiste.

Tout espoir d'entente cependant ne semblait pas perdu. Les rapports entre Orientaux et Latins s'étaient multipliés au cours du Moyen Age. Depuis que Charlemagne s'était fait le protecteur des Lieux Saints, on y allait beaucoup en pèlerinage. Des monastères latins s'étaient établis en Palestine et à Constantinople même, et des monastères grecs s'étaient bâtis en Italie. Léon IX, recevant notification de l'élection du patriarche Pierre III au siège d'Antioche, le remerciait et le félicitait de ses sentiments à l'égard de l'Eglise romaine[36].

Mais qu'un homme décidé et obstiné vînt réveiller les vieilles causes d'antipathie, la division pouvait se produire et aller jusqu'à la rupture définitive.

Cet homme se rencontra. Ce fut le patriarche de Constantinople Michel Cérulaire. Il était issu d'une noble famille byzantine, et toutes les rancunes, tous les préjugés de sa race semblaient être passés en lui. Le polygraphe Psellos, son contemporain et son familier, rapporte que dès sa jeunesse, il montra un esprit solitaire ; qu'apte aux méditations politiques, il annonçait déjà ce qu'il serait un jour[37]. Austère comme un ascète, rêveur, mystique, en même temps autoritaire et dogmatique, mais par-dessus tout ambitieux, il fut, en 1040, l'âme d'un complot destiné à renverser l'empereur Michel IV, dont il espérait prendre la succession. Le complot fut découvert, et Michel Cérulaire exilé. Les méditations de l'exil et la mort d'un frère unique, auquel il était très attaché, semblèrent un moment détourner toute son activité vers l'ascétisme religieux. Il se fit moine. Niais on s'aperçut bientôt que, sous le froc monastique, le vieil homme n'était point mort. Rentré de l'exil après le décès de Michel IV, il devint, sous Constantin IX Monomaque, le personnage le plus influent de l'empire. Consacré patriarche de Constantinople le 25 mars 1042, il prit dès lors le premier rôle à la fois dans l'Eglise et dans l'Etat[38].

A partir de ce moment, son humeur autoritaire ne connut plus, suivant les expressions de son panégyriste lui-même, ni mesure ni borne[39]. Toutefois les hostilités ouvertes contre Rome n'éclatèrent que onze ans plus tard, en 1053. À l'instigation du patriarche de Constantinople. Léon, archevêque d'Ochrida, en Bulgarie, publia un manifeste, destiné, disait-il, à tous les princes des prêtres, aux prêtres de France, aux moines, aux peuples et au révérendissime pape[40]. Quatre erreurs étaient imputées aux Latins : 1° l'usage du pain azyme dans la célébration de la Messe ; 2° la coutume de jeûner le samedi ; 3° l'usage des viandes étouffées ; 4° l'usage de ne pas chanter l'Alleluia pendant le carême. Quiconque garde ainsi le sabbat et les azymes, s'écriait le bouillant archevêque, n'est ni juif ni païen ; il est semblable au léopard... Pourquoi travaillez-vous à la réforme du peuple ? Travaillez d'abord à vous réformer vous-mêmes. Vers le même temps, un moine studite, Nicétas Stéthatos, ou, en latin, Pectoratus, l'homme à la large poitrine, répandait dans toute l'Eglise grecque une diatribe plus violente encore. Aux premiers griefs, qu'il reprenait pour son propre compte, il en ajoutait deux autres. Il reprochait à l'Eglise latine sa prétendue hérésie sur la filiation du Saint-Esprit et l'obligation du célibat qu'elle imposait aux prêtres. De qui tenez-vous, s'écriait le fougueux moine, la coutume de défendre et de dissoudre le mariage des prêtres ? Quel docteur de l'Eglise vous a enseigné cette abomination ?[41] C'était faire appel aux plus bas instincts pour défendre la cause de la séparation.

Michel Cérulaire était l'inspirateur du second manifeste comme du premier. Le plan de campagne avait été savamment gradué par lui. Il se réservait, à son tour, d'ajouter de nouvelles accusations à celles qui venaient d'être lancées par son ordre. En attendant, le moment lui sembla venu de mettre les fidèles et le clergé en face d'une situation irréparable. De sa propre autorité, sans aucun prétexte plausible, il fit fermer les églises latines de Constantinople. À tous les prêtres qui vivaient dans les monastères latins il ordonna de prendre immédiatement le rite grec, et, sur leur refus, les anathématisa. Il se passa alors des scènes de violence et de sauvagerie qu'il ne chercha pas du tout à empêcher. Le chancelier du patriarcat, Nicéphore, alla jusqu'à jeter à terre et à fouler aux pieds des hosties consacrées, sous prétexte qu'étant faites de pain azyme, leur consécration n'était pas valide[42].

Léon IX crut que le moment était venu d'élever la voix. Il le fit avec une dignité et une gravité qui contrastaient avec le langage amer des révoltés. Laissant de côté les petites querelles, il alla droit à la question essentielle : quelle était donc l'Eglise dont les usages avaient le plus de droit au respect de tous ? N'était-ce pas cette Eglise romaine, si vénérable dans ses origines, toujours indéfectible dans sa doctrine, et si tolérante dans son gouvernement, qu'on la voyait, en Italie, non seulement permettre aux monastères grecs de garder leurs coutumes et leurs rites, mais les exhorter même à les conserver[43] ?

Le principe de la primauté romaine, que le pape rappelait ainsi, était précisément celui que Cérulaire voulait détruire. Il dut cependant se soumettre, au moins pour l'instant. Les Normands disputaient en ce moment aux Byzantins la possession de la Cassa Italie. Les troupes impériales venaient d'être battues, le 17 juin 1053, à Civitella. Le moment sembla mal choisi à l'empereur pour faire une scission avec l'Occident. Il agit, on ne sait par quels moyens, sur le patriarche, qui envoya à Rome une lettre respectueuse et conciliante.

Le pape le félicita de ses protestations de fidélité, mais ne fut pas dupe de ses promesses. Il envoya à Constantinople trois légats, chargés de régler avec l'empereur et le patriarche toutes les difficultés soulevées. L'un de ces légats était le chancelier de l'Eglise romaine, Frédéric, destiné à devenir un jour pape sous le nom d'Etienne IX.

Quand les plénipotentiaires arrivèrent à Constantinople, en juin 1054, Léon IX n'était plus de ce monde. Michel Cérulaire les recul avec insolence, déclara persister dans toutes ses positions, et alla même, comme s'il eût été le pontife suprême de l'Eglise universelle, jusqu'à ordonner au patriarche d'Antioche de rayer de ses diptyques le nom du pape.

Le 16 juillet I o54, les légats prononcèrent solennellement, dans l'église de Sainte-Sophie, une sentence de déposition et d'excommunication contre Michel Cérulaire. Quatre jours après, celui-ci, réunissant en synode à Constantinople un certain nombre d'évêques prononça à son tour l'anathème contre le pape. Le schisme était consommé.

Jusqu'à sa mort, qui survint en 1059, l'existence de Michel Cérulaire fut très agitée. Mais il avait constitué pour des siècles l'Eglise orthodoxe. Moins savant, mais plus pratique que Photius, il laissa au second plan les querelles théologiques, qui touchaient peu la masse des fidèles ; mais il donna un relief beaucoup plus grand à toutes les divergences extérieures, disciplinaires et rituelles, celles qui frappent le peuple. Il sut exciter l'imagination de la foule en interprétant dans le sens le plus abominable les usages occidentaux. En second lieu, il capta une force qui, jusque-là, avait été de préférence au service de l'Eglise catholique et de la papauté : celle des moines, si nombreux à Constantinople et dans tout l'Orient. Au cours du Xe siècle, quelques manœuvres regrettables des représentants de Rome avaient pu les scandaliser ; Michel acheva de les gagner et de les tourner contre Rome. Les moines seront désormais les partisans les plus fanatiques de l'autonomie byzantine et les ennemis les plus furieux de tout ce qui est romain... C'est pour ces diverses raisons que l'œuvre de Michel Cérulaire dure encore[44].

 

IV

Les dernières années du pontificat de saint Léon IX furent occupées par diverses questions de politique extérieure.

On vit tour à tour la république de Pise, le roi d'Angleterre, le roi d'Ecosse, le roi de Hongrie, la duchesse de Toscane, le roi de France et l'empereur d'Allemagne recourir à Léon IX pour lui demander conseil, arbitrage ou appui.

En 1050, un redoutable corsaire sarrasin, Muset, venait de prendre la Sardaigne à la république de Pise, et menaçait toutes les cités maritimes. Les Pisans, alors en lutte avec les Lucquois, ne pouvaient songer à faire face à deux ennemis à la fois. Ils firent connaître leur détresse au pape, qui ménagea une trêve entre les deux Etats de la péninsule et permit à Pise, non seulement de reprendre la Sardaigne, mais encore de battre le terrible Sarrasin, de le faire prisonnier et de délivrer l'Europe d'un pressant danger.

L'année suivante, au mois d'avril 1051, Léon IX reçut une ambassade solennelle envoyée par le roi d'Angleterre Edouard le Confesseur. Ce prince, que l'Eglise vénère comme un saint, s'il n'a pas obtenu devant l'histoire le nom de grand roi[45], a mérité au moins celui de monarque juste et bon. Les Anglais, dit David Hume[46], aimaient en lui son humanité, sa justice, sa piété, et le sang de leurs anciens souverains dont il descendait. Banni de son pays durant les règnes de Canut le Grand et de Canut II, les conquérants danois, il avait fait le vœu, pour obtenir la restitution du royaume de ses pères, de garder la continence parfaite, et, une fois rétabli dans ses Etats, de faire en reconnaissance un pèlerinage au tombeau des saints Apôtres. Dieu écouta sa prière. À la mort du roi Hardicanute, en 1041, les Anglais, secouant le joug du Danemark, appelèrent au trône le descendant de la vieille race royale saxonne. Le nouveau roi se montra digne de cette confiance. Le cœur bienveillant d'Edouard sut compatir aux misères de son peuple ; il saisissait avidement tous les moyens qui s'offraient pour détruire ou adoucir ses souffrances[47], et le recueil de lois qu'il publia sert encore de base à la constitution du peuple britannique ; mais lorsque le souverain parla de faire, en exécution de son vœu, un pèlerinage à Rome, ses conseillers, craignant les désordres que pourrait provoquer son absence, le supplièrent d'obtenir du pape une dispense de son engagement. L'ambassade qui se présentait en son nom aux pieds du souverain pontife accomplissait cette mission. Léon IX lui remit, pour être transmise au roi, une lettre pleine de paternelle bonté. Comme il est constant, disait-il, que votre présence est nécessaire au milieu de la nation anglaise, nous vous délions du vœu fait par vous et de l'obligation de l'accomplir. Mais en échange nous vous ordonnons, au nom de la sainte obéissance, de distribuer aux pauvres les sommes d'argent que vous aviez mises en réserve pour votre voyage à Rome, et de construire et doter, en l'honneur du Prince des apôtres, dans votre ville capitale, un monastère, pour la gloire de Dieu, l'instruction et l'édification de vos peuples[48]. En exécution de cet ordre, le roi Edouard entreprit de rétablir l'ancien monastère de Saint-Pierre, fondé près de Londres dès les commencements du christianisme en Angleterre. On le nomma Westminster, ou monastère de l'Ouest, à cause de sa situation[49]. Telle fut l'origine de la célèbre abbaye de Westminster, qui successivement agrandie et embellie par les successeurs du roi Edouard, et réservée à la sépulture des souverains et des grands hommes, est devenue comme le Saint-Denis et le Panthéon de la Grande-Bretagne.

Un autre souverain fit en personne, vers la même époque, le pèlerinage de Rome. C'était Macbeth, roi d'Ecosse. Le roi dont les tragiques aventures devaient fournir au plus grand des poètes anglais le sujet de son plus pathétique chef-d'œuvre, vint, bourrelé de remords, expier ses forfaits sur le tombeau des Apôtres, et, à cette occasion, répandit d'immenses aumônes dans la ville[50].

En 1052, ce fut le roi de Hongrie qui, assiégé dans Presbourg par l'empereur d'Allemagne, se tourna à son tour vers Léon IX, le priant de servir de médiateur entre lui et son terrible adversaire. Depuis la mort du saint roi Etienne, en 1038, le royaume de Hongrie avait subi de pénibles secousses. Le roi Pierre n'avait pu se maintenir sur le trône qu'en faisant un serment de vassalité à l'Empire allemand. Démarche imprudente, car, depuis ce temps, les empereurs n'aspirèrent qu'à faire de la terre des Magyars un fief du Saint-Empire. Le roi André, que le parti national hongrois porta au pouvoir en 1041, ne put s'y maintenir à son tour qu'en souscrivant à des conditions humiliantes pour sa patrie. En 1050, une incursion soudaine et brutale des Allemands en Hongrie déchaîna une guerre ouverte. Assailli dans Presbourg par une armée que commandait Henri III en personne, André se souvint que le roi saint Etienne avait placé son royaume sous la suzeraineté du Saint-Siège ; il écrivit à Léon IX pour mettre sous la sauvegarde de la papauté son royaume en péril. Nous savons que le pape répondit à cet appel en se rendant aussitôt en Hongrie, et qu'il alla trouver Henri III dans le camp impérial. Nous sommes moins exactement renseignés sur l'issue de cette affaire. Tandis qu'Hermann Contract prétend que le roi André refusa d'adhérer aux conditions de paix proposées par le Saint-Père[51], Wibert affirme que le royaume de Hongrie reconquit son autonomie[52]. Ce qui est certain, c'est que la Hongrie se développa dans la voie que saint Etienne avait ouverte, et que, lorsque, en 1077, il trouva dans Ladislas le Saint un successeur digne de lui, une période de puissance et de progrès s'ouvrit pour l'Etat magyar[53].

Ce n'était point un roi qui gouvernait la Toscane ; c'était une duchesse, une simple femme ; mais Béatrice, duchesse de Toscane et de 'Mantoue, la digne mère de la comtesse Mathilde, avait l'âme noble et virile à l'égal des plus grands rois. En 1053, au concile de Mantoue, un certain nombre de prélats de Lombardie, ceux que l'histoire a stigmatisés sous le nom de taureaux lombards, enhardis par la mort du duc Boniface, et craignant une réforme qui les aurait obligés de changer complètement leur vie, avaient envahi l'assemblée et y avaient déterminé une rixe sanglante. Béatrice n'était pas femme à laisser compromettre l'autorité ducale ni celle de l'Eglise. Elle se préparait à châtier les coupables ; mais elle voulut d'abord prendre l'avis du pape. Léon IX demanda et obtint pour les coupables une amnistie complète. C'est contre son autorité personnelle que la manifestation avait été principalement dirigée ; il voulut pardonner.

En revanche, il fut inflexible dans la solution d'un litige où la justice lui parut manifestement lésée. Un archidiacre de Mende, Bertrand, prêtre simoniaque, mais puissamment soutenu par le comte de Toulouse et par le roi de France Henri Ier, disputait la crosse à Pierre, évêque légitimement élu du Puy-en-Velay. Le pape n'hésita pas à se prononcer contre le protégé du roi de France, pour celui qui avait en sa faveur le droit[54].

Aux fêtes de Noël de l'année 1052, Léon IX avait conclu à Worms avec l'empereur un traité important au point de vue du développement du pouvoir temporel du Saint-Siège. En retour de l'abandon consenti par le pape des droits qui lui revenaient, par fondation, sur l'évêché de Bamberg et le monastère de Fulda, l'empereur abandonnait au domaine de saint Pierre, Bénévent et les autres possessions de la couronne de Germanie situées au sud de Rome[55]. En outre, l'empereur s'engageait, pour garantir la tranquille possession de ces domaines, à mettre un contingent de troupes à la disposition du Pape[56].

Outre les grands avantages que ce traité assurait à la papauté pour l'avenir, il permettait au pape de réprimer aussitôt, dans l'Italie méridionale, les incursions tumultueuses des Normands. La nation normande, qui devait, dans la suite, rendre au Saint-Siège d'éminents services, — services intermittents, il est vrai, entrecoupés de bien des tracasseries et des révoltes, — n'avait pas cessé, depuis ses établissements sur la côte italienne en 996, de s'y fortifier et de s'y agrandir[57]. Tout bouillants encore d'une sève barbare mal comprimée, les guerriers normands se livraient fréquemment à des scènes de pillage et de dévastation. Léon IX s'en attristait ; mais ne croyant pas qu'il fût dans son rôle d'entreprendre, sans y être poussé à bout, une expédition guerrière, il compta longtemps sur l'intervention des troupes grecques pour la répression de ces excès[58]. Mais les scènes de pillage se multipliaient. Au rapport de Bruno de Segni, des habitants de l'Apulie venaient à Rome, les yeux crevés, le nez coupé, les pieds ou les mains mutilés, témoins lamentables d'une barbarie sans nom[59]. Aux derniers jours de mai de l'année 1053, Léon IX jugea que le moment était venu de prendre lui-même la direction d'une expédition contre les Normands.

Malheureusement les troupes que l'empereur mit à sa disposition furent intentionnellement composées d'aventuriers, de gens sans aveu, qui ne virent, dans la campagne où on les engageait, qu'une occasion de lucre. À la première grande bataille, qui fut livrée près de Civitella, les troupes pontificales cédèrent. Du moins le pontife, se présentant, après la défaite, aux terribles vainqueurs, sut leur imposer le prestige de sa majesté. Il fit appel à leur loyauté, et obtint d'eux, dit un témoin, non seulement la promesse de cesser leurs brigandages, mais l'engagement même, qu'ils prirent par serment, de lui rester fidèles, de remplacer auprès de lui les soldats qu'il venait de perdre[60]. De tels retours n'étaient point rares en ces siècles de violents contrastes. La dignité de Léon IX dans son épreuve, sa fermeté tempérée de mansuétude, son intrépidité calme de père et de pontife, lui avaient ainsi procuré, pour le Saint-Siège, plus qu'il ne pouvait espérer d'un succès ; à la place d'ennemis insaisissables, toujours prêts à la révolte, c'étaient des vassaux qui venaient à lui spontanément[61]. Il paraît cependant que le saint pape garda, de la défaite de ses troupes à Civitella, une profonde tristesse. Il s'y mêlait sans doute une amertume à l'égard de l'empereur, qui l'avait si mal servi, et quelques doutes aussi sur la persévérance de ceux qui venaient de se donner à lui. Peu de jours après ces événements, comme si le grand effort physique et moral qu'il venait de faire l'avait brisé, il se sentit frappé à mort.

Il voulut revoir Rome, et s'y rendit péniblement. Le 19 avril, après avoir renouvelé sa confession, entendu la messe et reçu la sainte communion, il remit saintement son âme à Dieu[62].

 

V

A la première nouvelle de la mort de Léon IX, Hildebrand, qui était alors à Tours, revint à Rome. Il avait un rôle important à y remplir. Il devenait de jour en jour plus évident que, si l'aide de l'empereur pouvait rendre des services réels à l'action des papes, son ingérence abusive dans leur élection était de nature à les placer à son égard dans un état de dépendance humiliante pour l'Eglise, nuisible à la légitime liberté de leur mission spirituelle. Les Romains le sentaient si bien, que leur idée était de nommer, cette fois, en se passant de tout recours à l'empereur, un pape de nationalité italienne. Le nom d'Hildebrand était sur toutes les lèvres. D'autre part, il était incontestable qu'un tel procédé irriterait au plus haut point Henri III. Apaiser les deux susceptibilités rivales : d'un côté, obtenir du clergé et du peuple de Rome le recours à l'empereur et l'abandon d'un candidat national ; de l'autre, obtenir de l'empereur la renonciation à l'exercice de son droit de patrice de Rome et, par là même, à l'imposition de son propre candidat : telle fut la mission que s'imposa Hildebrand. Il fallut tout le prestige, toute la confiance dont le moine jouissait auprès des Romains, la promesse que le nouveau pape serait proposé par Hildebrand lui-même, et la garantie que l'autorité impériale ne pèserait point sur la liberté de leurs votes, pour leur arracher les sacrifices demandés. Henri III, de son côté, finit par renoncer à l'exercice abusif de son droit de patrice, sous la condition que le pape serait de nationalité germanique. L'habile négociateur lui fit sans doute comprendre qu'une rupture avec Rome, au moment où l'Italie méridionale lui échappait. et où, en Allemagne même, son étoile commençait à pâlir, serait désastreuse pour son autorité personnelle. Mais quand Hildebrand mit en avant son candidat, de nouvelles difficultés surgirent. Celui qu'il proposait n'était autre que le conseiller le plus apprécié de l'empereur, Gebhard, évêque d'Eichstädt, de la race des comtes bavarois de Tollenstein et d'Hirschberg. C'était un homme à la fleur de l'âge. Vrai homme d'Etat, rompu au maniement des affaires, il s'était, sur plusieurs questions d'intérêt international, trouvé en désaccord avec Léon IX, mais son dévouement absolu à l'Eglise, la parfaite correction de sa vie, ne faisaient doute pour personne. Henri III prétendit qu'il ne pouvait se passer d'un tel conseiller. Gebhard lui-même, connaissant plus qu'aucun autre les difficultés redoutables de la charge où on voulait l'élever, résista pendant cinq mois à toutes les sollicitations, et ne céda qu'à la diète des princes tenue à Ratisbonne en mars 1055. Henri III dut consentir à son tour aux conditions que lui posa nettement le futur pape. Je me donne corps et âme à saint Pierre, dit l'évêque d'Eichstädt à l'empereur, et je m'incline devant vous ; mais à la condition que vous aussi vous rendrez à saint Pierre ce qui lui appartient. Il faisait certainement allusion, par ces paroles, non seulement aux biens de l'Eglise romaine, mais encore à ses droits et à ses libertés, et surtout à la participation du clergé et du peuple à l'élection du pape[63]. Gebhard, après avoir été canoniquement élu par les Romains, fut sacré à Rome le 13 avril 1055 sous le nom de VICTOR II.

De tous les succès diplomatiques remportés par Hildebrand dans sa carrière de moine et de pape, il n'en est pas de plus caractéristique. La claire vue des difficultés, la décision, la souplesse, la persévérance, le parfait désintéressement, tous les dons qui devaient caractériser saint Grégoire VII dans son gouvernement, s'étaient révélés à la fois dans ces longues négociations qui-aboutirent à l'élection de Victor II[64].

Dans son court pontificat, de deux ans à peine, le nouveau pape réalisa les espérances qu'on avait mises en lui. Il sut, dans ses rapports avec les princes, faire respecter la liberté de l'Eglise romaine, et, dans la réforme du clergé, réprimer d'une main ferme les abus de son temps,

Il profita d'un voyage que l'empereur fit en Italie pendant l'été de 1055, pour lui rappeler ses engagements relatifs à la protection des domaines du Saint-Siège. Il obtint de lui, non seulement la restitution de certains biens indûment retenus, mais aussi la concession du duché de Spolète et du comté de Camerino[65] ; puis, chargeant Hildebrand de relever les finances pontificales, il réduisit lui-même à l'obéissance plusieurs châteaux qui prétendaient s'y soustraire, ne craignant pas en cela de résister à l'empereur lui-même[66].

L'année suivante, Victor II se rendit lui-même en Saxe, à Goslar, auprès de l'empereur, afin d'obtenir de lui des troupes suffisantes pour tenir en respect les Normands et les Tusculans, qui recommençaient à s'agiter. Dans cette entrevue, plusieurs autres affaires importantes furent traitées[67] ; entre autres, un vif conflit qui avait éclaté entre Henri III et le duc de Lorraine fut apaisé. L'empereur, l'année précédente, avait été mécontent de voir la duchesse de Toscane, Béatrice, sa parente, épouser le duc de Lorraine, Gottfried, dont les intérêts politiques étaient opposés aux siens. Il avait cru voir dans ce mariage une sorte de complot pour enlever à la Germanie sa prépondérance dans l'Italie septentrionale. Son irritation avait même été si violente qu'il avait emmené en Allemagne, et retenu prisonnières à sa cour, la duchesse Béatrice et sa jeune fille Mathilde. L'intervention de Victor II dissipa les préjugés de l'empereur. Les deux cousines de l'empereur retournèrent en Italie. Mais la comtesse Mathilde devait faire expier plus tard au fils d'Henri III les procédés de son père[68].

Le pape et l'empereur nourrissaient de nouveaux projets pour le bien de l'Etat et de l'Eglise. Mais, le 5 octobre 3056, après quelques jours seulement de fièvre, Henri III mourut. Il était âgé de trente-neuf ans. Il expira pieusement, entre les bras du pape, demandant hautement pardon à ceux qu'il avait offensés. Il laissait, pour lui succéder, sous la tutelle de l'impératrice Agnès, un enfant de six ans, Henri IV, né le 11 novembre 1050, et sacré le 37 juillet 1054. Préoccupé de l'avenir de la mère et de l'enfant dans des circonstances si critiques et avec une noblesse si turbulente, le mourant les recommanda à son ami le pape Victor. Ce fut, en effet, le pape qui, dès le lendemain de la mort du souverain, gouverna pendant quelque temps au nom de l'impératrice et du jeune Henri IV, et sa présence en un tel moment fut pour le pays un bienfait inappréciable. Si, à cette époque, la Germanie échappa à l'anarchie et à la guerre civile, elle le dut à la sagesse et à l'autorité du pontife[69].

Ce qu'il vit en Allemagne, à l'occasion de cette intervention dans les affaires politiques de ce pays, lui fit comprendre qu'il devait compter de moins en moins sur la couronne de Germanie pour venir au secours du Saint-Siège. C'est pourquoi on le vit, à son retour en Italie, resserrer les liens d'amitié qui l'unissaient au duc Gottfried et à la duchesse Béatrice. Les Lorrains et les Toscans lui parurent de plus sûrs appuis. Entrevoyait-il déjà l'attitude hostile que prendrait un jour Henri IV ?

Victor II tint, par lui-même ou par ses légats, de nombreux conciles ayant pour but la réforme de l'Eglise, en particulier la suppression de la simonie. On doit citer, entre autres, les conciles de Chalon-sur-Saône et de Toulouse en France, de Llandaff, au pays de Galles, de Saint-Jacques de Compostelle en Espagne, et de Latran à Rome[70]. Hildebrand, Pierre Damien, l'archevêque d'Arles, Raimbaud, et l'archevêque d'Aix, Ponce, furent, dans cette œuvre de réforme, ses principaux auxiliaires. Hildebrand racontait plus tard à son ami Didier, abbé du Mont-Cassin, le futur Victor III, comment, dans l'un de ces conciles, Dieu lui-même seconda par un miracle la campagne entreprise par le pape contre la simonie des clercs. C'était en Gaule. L'évêque de la ville où j'avais réuni un concile passait pour avoir acquis son évêché à prix d'argent. Comme il niait obstinément, je l'adjurai en ces termes : Je te somme de déclarer, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, si tu es, oui ou non, coupable du crime dont tu es accusé ; et, si tu es vraiment coupable, fasse le Ciel que tu ne puisses prononcer le nom du Saint-Esprit, dont tu as acheté les dons. L'évêque commença à dire : Au nom du Père, du Fils... Mais il ne put aller plus loin. Tous les assistants demeurèrent alors convaincus que le malheureux s'était souillé du crime de simonie. Lui-même avoua sa faute en tremblant[71].

D'après Bonizo, le concile dont il est ici question se serait tenu à Embrun en 1057[72] ; c'est, en effet, en 1057 que Hugo, archevêque d'Embrun, cessa d'administrer ce diocèse et aussitôt fut remplacé par Winimann[73]. Quoi qu'il en soit, Hildebrand dut quitter la Gaule bientôt après, car on le trouve à Arezzo, le 28 juillet 1057, auprès du lit de mort de Victor II.

 

VI

Aussitôt que la nouvelle de la mort du pape se fut répandue dans Rome, le clergé et le peuple se réunirent pour lui donner un successeur. Hildebrand n'étant point encore revenu de Toscane, plusieurs proposèrent d'attendre son arrivée. D'autres mettaient en avant plusieurs noms, parmi lesquels celui d'Hildebrand lui-même. Le troisième jour, l'accord se fit unanimement sur le nom du cardinal Frédéric de Lorraine. Comme c'était la fête de saint Etienne, pape et martyr, il prit le nom d'ETIENNE IX[74].

Cette élection, faite sans préoccupation de l'assentiment de l'empereur, n'était pas seulement significative par sa spontanéité ; elle l'était aussi par le choix de l'élu. Le cardinal Frédéric de Lorraine, abbé du Mont-Cassin, était le frère : du duc Gottfried, le beau-frère de la duchesse Béatrice ; il représentait la grande maison de Toscane, où les papes précédents avaient reconnu une aide puissante, et l'empereur Henri III une rivalité. Le passé du nouveau pape était irréprochable ; son dévouement à la réforme de l'Eglise était connu de tous ; plusieurs missions diplomatiques, particulièrement celle qu'il avait remplie à Constantinople au moment du schisme de Cérulaire, avaient montré la sagesse et la fermeté de son sens politique.

Le pontificat d'Etienne IX fut très court ; il ne dura pas huit mois ; mais il marque un moment important dans l'histoire de la lutte contre la simonie, et on a pu y voir, semble-t-il, avec raison, le vrai point de départ de la lutte contre les investitures[75].

La nomination de Pierre Damien au cardinalat et à l'évêché d'Ostie fut comme le signal d'une vigoureuse entrée en campagne contre les clercs concubinaires et simoniaques. Par sa nouvelle dignité, le solitaire de Fonte-Avellana, le courageux auteur du Livre de Gomorrhe, devenait le premier dignitaire de la cour pontificale[76]. On a quelquefois cherché, en invoquant quelques expressions un peu vives empruntées à la correspondance de Pierre Damien, à le représenter comme un rival d'Hildebrand. Rien n'est moins justifié. Dans tous tes combats, écrivait à son illustre ami l'austère camaldule[77], dans toutes tes victoires, je me suis jeté à ta suite, non pas seulement comme un compagnon d'armes, ou un écuyer, mais comme un foudre de guerre. Ta volonté a tenu lieu pour moi de l'autorité des canons. Ce qui est vrai, c'est que Pierre Damien fut avant tout un grand agitateur ; Hildebrand, un grand diplomate. Le premier, plus confiant dans les mesures autoritaires, fut toujours plus disposé à chercher un secours du côté de l'empire ; le second, plus passionné pour la liberté de l'Eglise, mit plus d'espoir dans l'emploi des armes spirituelles. Pierre Damien, comme on l'a dit en se servant d'expressions qui ne devaient être employées que plus tard, fut plutôt gibelin, et Hildebrand fut plutôt guelfe ; mais l'unité de leur but fut parfaite, et, par ce qu'ils eurent de divers dans leur manière d'agir, ils se complétèrent l'un l'autre.

A peine revêtu de sa haute dignité, le cardinal Pierre Damien écrivit à ses collègues du Latran la lettre suivante, tout aussi rude que celles qu'il envoyait naguère de son désert[78] : Excusez mon audace mes frères ; mais puisque cette église du Latran est considérée comme l'Église des églises, que notre vie soit un rayonnement. Annonçons aux peuples des paroles de vie, non pas seulement de bouche, mais par l'austérité de nos mœurs... Ce ne sont pas les bonnets en forme de tours et composés de fourrures de zibelines ou d'animaux d'outre-mer qui font l'évêque, pas plus qu'une nombreuse escorte de soldats maîtrisant avec peine des chevaux blancs d'écume. Non, ce qui fait l'évêque, c'est la sainteté de sa conduite, ce sont les efforts incessants pour acquérir les vertus de son état.

Dans le Sacré Collège même, la voix de Pierre Damien trouva des échos. Un des événements les plus importants du pontificat d'Etienne IX fut l'apparition d'un écrit composé contre la simonie par le savant cardinal Humbert, évêque de Silva-Candida[79]. Allant plus au fond de la question qu'on ne l'avait fait jusqu'ici, Humbert, après avoir décrit les ravages de la simonie, et lui avoir opposé les considérations théologiques les plus solides, les textes scripturaires les plus formels, montrait la source de ce mal dans la part concédée aux laïques dans les élections des clercs, dans la coutume prise par les seigneurs et les rois d'investir les évêques et les abbés de leur choix par la crosse et l'anneau[80]. C'était montrer le remède du mal dans la lutte contre les investitures laïques.

Etienne IX avait-il inspiré cet écrit Ou ne sait. Lui-même était si convaincu du mal produit par l'immixtion des empereurs d'Allemagne dans les affaires de l'Eglise, qu'il fut sur le point de s'engager dans la plus audacieuse des tentatives. Etienne IX, même après son élévation au souverain pontificat, avait voulu conserver le titre d'abbé du Mont-Cassin. Au mois de mars 1058. il manda à Jean, prévôt du monastère, de lui porter en secret et sans aucun retard tout ce que le trésor de l'abbaye renfermait d'or et d'argent. Selon la Chronique du Mont-Cassin, dont le témoignage pour tout ce qui regarde Etienne IX est digne de foi, le pape se proposait d'aller rejoindre en Toscane son frère Gottfried, de lui donner la couronne impériale, puis, de concert avec lui, de faire régner l'ordre en Italie[81]. Les religieux du Mont-Cassin furent contristés de la demande du pape, mais force leur était d'obéir. Ils prirent donc le chemin de Rome avec leur trésor. En le recevant, Etienne, d'après la Chronique, se mit à trembler, et, apprenant que les religieux du Mont-Cassin ne lui obéissaient qu'avec douleur, il se repentit de leur avoir fait une pareille demande[82]. Ce qui faisait trembler le pape, c'étaient peut-être aussi les chances de l'entreprise, et la responsabilité d'un si formidable projet. Il est possible, comme l'a conjecturé le savant historien d'Étienne IX, que le succès de Gottfried eût changé la face des choses ; que, par reconnaissance pour Rome, qui lui eût donné la couronne impériale, il fût devenu le défenseur de l'Eglise, et qu'ainsi la querelle des investitures eût été, sinon pour toujours étouffée dans son germe, du moins ajournée pour longtemps[83]. La piété sincère de la duchesse Béatrice et de sa fille Mathilde étaient des garanties sérieuses de l'heureuse issue d'une pareille transformation politique ; la faiblesse du gouvernement impérial, sous la régence de l'impératrice Agnès, offrait des chances de réussite ; mais le pape jugea définitivement plus sage de ne pas engager l'autorité du Saint-Siège dans une semblable aventure, et de se borner à lutter pour la réforme de l'Église sur le terrain que les circonstances actuelles lui offraient.

A coup sûr, le peuple était pour lui. Partout où un orateur paraissait, prêchant contre les abus qui souillaient le sanctuaire, il soulevait les foules. À Milan, un jeune prêtre, Anselme de Baggio, en prêchant en plein air contre les clercs prévaricateurs, au nom des règles de Cluny, au nom de son maitre Hildebrand, réunissait autour de lui des multitudes[84]. Dans cette même ville de Milan, sous la direction de deux clercs, Ariald et Landulf, une ligue se forma en vue de chasser de leurs postes, soit sous la pression de l'indignation populaire, soit même par la force, tous les clercs scandaleux. Comme les ligueurs étaient, pour la plupart, des gens du peuple, des clercs compromis et les seigneurs qui les protégeaient les appelèrent dédaigneusement les patares, c'est-à-dire les manants, les  loqueteux[85]. Mais ceux-ci leur causaient de terribles paniques. Ils pénétraient dans les maisons des clercs pour en expulser à coups de bâton les personnes suspectes ; ils les poursuivaient même dans leurs églises, qu'ils saccageaient. À Capoue, les bourgeois de la ville enlevèrent aux moines l'église de Saint-Vincent, qu'ils possédaient, et la donnèrent à un prêtre qu'ils jugèrent plus digne. Un concile de Rome prononça l'interdit contre les bourgeois de Capoue[86] ; et un concile de Fontanetto, dans la province de Novare, excommunia Ariald et Landulf, chefs des patares. Le pape Etienne IX fit faire une enquête, blâma les excès commis par les disciples d'Ariald et de Landulf, réprimanda ceux-ci, mais il cassa la décision du concile de Fontanetto, et permit à la ligue de poursuivre la lutte pour la réforme des mœurs, à la condition d'éviter les excitations violentes et les voies de fait[87].

Pendant qu'Etienne IX travaillait ainsi à calmer les conflits en Italie. tout en y propageant la réforme, son légat Hildebrand parcourait l'Europe, y accomplissant une pareille mission. Aux fêtes de Noël de 1057, dans une entrevue à Goslar, en Saxe, avec l'impératrice Agnès et le roi Henri IV, il obtenait enfin des souverains allemands la reconnaissance officielle de l'élection d'Etienne IX[88]. Une lettre du pape fait supposer qu'il eut à remplir ensuite une seconde mission en France[89]. En rentrant en Italie, il trouva Rome veuve de son pontife. Etienne IX était mort à Florence le 29 mars précédent. Prévoyant qu'une réaction violente des mauvais clercs et de leurs puissants protecteurs se produirait après son décès, il avait prescrit aux Romains d'attendre le retour d'Hildebrand pour élire un autre pape. Je sais, dit-il, qu'après ma mort il s'élèvera, parmi vous, des hommes pleins d'eux-mêmes, qui chercheront à s'emparer de ce Siège avec l'aide des laïques et en contradiction avec les décrets des anciens[90].

 

VII

La crainte suprême du pontife ne tarda pas à se réaliser. Dans la nuit du 4 au 5 avril 1058[91], le comte Grégoire de Tusculum s'introduisit, avec une bande d'hommes armés, dans la ville, puis, le lendemain, après d'amples distributions faites dans les auberges, fit proclamer pape un membre de sa propre famille. Jean Mincius, évêque de Velletri, sous le nom de Benoît X. Le parti de Tusculum et celui des Crescentius s'étaient, cette fois-ci, coalisés, entrainant après eux toute la noblesse. Compter sur l'empire pour réprimer le scandale était inutile : l'impératrice régente, débordée par les factions qui s'agitaient autour d'un roi de six ans, ne pouvait offrir aucun secours ; une agitation de la Pataria eût été, pour le moment, trop compromettante. Mais la révolution triomphante trouva en face d'elle deux hommes qui n'avaient pas l'habitude de fuir devant un devoir à remplir, si redoutable qu'il leur parût : Pierre Damien et Hildebrand. Pierre Damien, à qui sa situation de cardinal-évêque d'Ostie donnait une influence prépondérante sur le clergé et sur le peuple[92], resta dans la ville, s'y fit le chef d'un parti d'opposition, qui comprit les meilleurs membres du clergé, la masse du peuple et quelques membres de la noblesse[93]. Avec sa verve intarissable, il éclairait les uns, encourageait les autres, démasquait les manœuvres des factieux, ces satellites de Satan, disait-il, qui ont forcé un prêtre d'Ostie d'élever au sommet de l'apostolat un homme si nul, si peu intelligent, qu'il n'a pas dû se rendre compte de ce qui se passait autour de lui. Pour qui connaît les canons de l'Eglise, ajoutait-il, une telle ordination est frappée de nullité radicale[94]. Pendant que Pierre Damien déconsidérait ainsi le pape intrus, Hildebrand se hâtait de préparer l'élection canonique d'un pape digne du souverain pontificat, capable de continuer l'œuvre réformatrice entreprise par les trois pontifes précédents. Il jeta les yeux sur l'évêque de Florence, Gérard, que l'intégrité de sa vie et l'étendue de sa science rendaient respectable à tous. Il s'assura, par une ambassade, expédiée sans retard à la cour de Germanie, que l'impératrice régente ne lui ferait pas d'opposition[95], obtint de Gottfried, duc de Lorraine et de Toscane, que ses troupes l'appuieraient au besoin, rallia les cardinaux qui, dans le premier moment d'affolement, s'étaient enfuis de Rome, puis réunit à Sutri les représentants du clergé et du peuple romains, qui élurent solennellement l'évêque Gérard comme pape sous le nom de NICOLAS II[96]. Les partisans de l'antipape résistèrent quelque temps, retranchés dans un quartier de Rome, espérant lui faire remplir le rôle jadis joué par Benoît IX, harceler le nouveau pape, lui disputer la fidélité du peuple romain ; mais ils comptaient sans l'énergie d'Hildebrand.

Celui-ci avait un plan très net : grouper autour de la papauté, à défaut de l'Allemagne et au besoin contre elle, les deux jeunes forces qui venaient de se former en Italie : les Toscans et les Normands ; en même temps, arrêter définitivement les règles de l'élection pontificale, de manière à en assurer l'indépendance à l'avenir. L'alliance de la Toscane était acquise ; les deux principaux actes du pontificat de Nicolas II furent l'alliance avec les Normands en 1059, et, au cours de la même année, le célèbre décret du concile de Latran sur l'élection des papes.

Les tribus normandes établies dans le sud de l'Italie y avaient trop souvent apporté le trouble ; Etienne IX avait même songé à reprendre la lutte contre elles. Mais briser leur puissance, au point où elle était parvenue, paraissait désormais impossible. Les Normands, reconnus maîtres du pays par la papauté, n'auraient-ils pas intérêt à favoriser l'action de l'Eglise romaine ? Ils étaient turbulents, mais catholiques sincères, et, de plus, trop avisés pour ne pas voir que les réformateurs romains, emportés dans une lutte sans merci contre l'aristocratie indigène et le clergé simoniaque, ne se soucieraient plus de rendre l'Italie aux Byzantins[97]. L'intermédiaire entre le pape et les Normands fut Didier, abbé du Mont-Cassin. Dans un synode tenu à Melfi, en juillet 1059, Robert Guiscard, chef des Normands, reçut du pape le titre de duc et la reconnaissance de sa souveraineté sur la Calabre, l'Apulie et quelques domaines du Latium. Puis il prêta le serment suivant : Je jure d'être constamment fidèle à l'Eglise romaine et au seigneur pape... Je prêterai constamment mon appui à la sainte Eglise romaine pour maintenir et revendiquer les droits régaliens de saint Pierre et ses possessions, et je resterai fidèle vassal à l'égard de tous les véritables successeurs du seigneur pape Nicolas, qui confirmeront l'investiture qui vient de m'être accordée[98]. Un des premiers résultats de cette alliance fut l'abdication de l'antipape. Celui-ci recevait à Galeria, à quinze milles au sud de Rome, l'hospitalité de l'un de ses partisans, le comte Girard. À la nouvelle de l'approche du pape, escorté par l'armée des Normands, Girard pria son hôte de fuir. Celui-ci, disent les Annales romaines, monta sur le rempart, et, aussitôt qu'il aperçut les Romains : C'est malgré moi, leur cria-t-il, qu'on m'a fait votre pontife. Promettez-moi la vie sauve, et je renoncerai à la papauté. Trente représentants de la ville de Rome jurèrent que l'on respecterait sa vie. Le pape Nicolas regagna alors Rome avec son armée, et l'antipape, s'étant dépouillé de ses insignes pontificaux, vint habiter la maison de sa mère[99], près de Sainte-Marie-Majeure.

Cette scène, disent les Annales romaines, se passait au temps de la moisson. Quatre mois auparavant, en avril, sans attendre l'issue de ses négociations avec les Normands, Nicolas II avait réuni à Rome un grand concile où la question des élections pontificales fut réglée.

On peut réduire les dispositions essentielles du décret à cinq points principaux : 1° À l'avenir, le droit de choisir le pape appartiendra exclusivement aux cardinaux. Après la mort du pape, est-il dit, les cardinaux-évêques traiteront ensemble de l'élection ; ils appelleront ensuite les cardinaux-clercs, et enfin le clergé et le peuple y donneront leur consentement. 2° Le nouveau pape devra être choisi parmi le clergé romain, hors le cas où l'on ne trouverait dans ce clergé aucun sujet capable. 3° Si l'élection ne peut se faire à Rome, elle aura lieu dans l'endroit que les cardinaux jugeront convenable. 4° Si, par quelque empêchement, la cérémonie de l'intronisation est retardée, le pape élu n'en jouira pas moins d'une juridiction complète. 5° On devra toujours sauvegarder soit l'honneur et le respect dus au roi Henri, en vertu de concessions à lui faites, soit l'honneur et le respect qui pourraient être dus à ses successeurs en raison de concessions éventuelles et personnelles[100].

Dans ces importantes décisions, Nicolas II ne visait pas seulement les procédés violents des princes italiens et les mesures d'intimidation des empereurs allemands, il avait aussi en vue l'ingérence possible dans les élections papales des nouveaux protecteurs de la papauté, les Toscans et les Normands. Au moment où l'Eglise se donnait de nouveaux alliés, elle se prémunissait contre les dangers de ces alliances. L'acte législatif d'avril 1059 était comme une étape de cette politique fortement calculée et compensée qu'inspirait le cardinal Hildebrand.

On doit également attribuer à Hildebrand l'attitude prise par Nicolas II à l'égard de la France. Un esprit pénétrant comme le sien ne pouvait méconnaître l'avenir réservé à cette nation, qui tout en se refusant obstinément à entrer dans l'organisation du Saint-Empire, se n'outrait prête à jouer le rôle de chevalier de Dieu. À la suite de négociations, dont nous n'avons pas le fil, mais qui se révèlent par leurs résultats, on voit les dispositions méfiantes d'Henri Ier s'atténuer et se transformer. Il fait promulguer les décisions du concile de 1059[101], favorise la tenue de synodes réformateurs à Vienne, Tours, Avignon et Toulouse[102], et quand, le 23 mai 1059, il fait sacrer à Reims et associe au trône son jeune fils Philippe, âgé de sept ans, il lui fait faire, en présence des légats du Saint-Siège et de nombreux évêques, la déclaration suivante : Moi, Philippe, bientôt, avec le secours de Dieu, roi des Francs, je promets de maintenir, pour chacun de vous et pour lei Eglises qui vous sont confiées, les privilèges canoniques[103].

Il ne faut pas oublier, en effet, que le but dernier des mesures dont nous venons de parler, c'est la réforme de l'Eglise, dans sa discipline, dans son dogme et dans ses mœurs. Le concile romain de 1059 avait, après le vote de son décret sur l'élection des papes, réorganisé la vie canoniale[104], affirmé de nouveau, contre de nouvelles arguties de Bérenger, le dogme de la présence réelle[105], et porté des sanctions sévères contre l'inconduite et la simonie des clercs[106].

Nicolas II, non content de communiquer au monde chrétien les décrets du concile de 1059 par une encyclique[107], en pressa l'exécution par des lettres adressées aux évêques de la Gaule, de l'Aquitaine, de la Gascogne[108], de la métropole d'Amalfi[109], et par l'envoi de légats spéciaux dans certaines provinces où la réforme devait être suivie de plus près. C'est ainsi que Pierre Damien, envoyé à Milan, pour y porter remède à la déplorable situation du clergé, groupé autour d'un archevêque simoniaque, Guido, et soutenu par une foule surexcitée, eut à y déployer toutes ses qualités de courage et de sang-froid, tenant tête à l'orage avec une intrépidité incroyable, se portant au-devant des plus furieux, les haranguant, et parvenant enfin à faire signer à l'archevêque et aux principaux membres du clergé une déclaration, par laquelle ils s'engageaient à ne plus recevoir de redevances pour la collation des saints ordres et à ne plus tolérer dans le diocèse la présence de clercs d'une inconduite notoire[110].

Pendant ce même temps, un autre orage, soulevé en Normandie, était apaisé par la prudence du Saint-Siège. Le duc Guillaume, le futur conquérant de l'Angleterre, excommunié pour avoir épousé, sans dispense de parenté, sa cousine Mathilde, fille de Baudouin V, comte de Flandre, refusait obstinément de se soumettre, bravait l'interdit jeté sur ses Etats. Des négociations entreprises par Lanfranc, prieur du Bec, aboutirent à une solution pacifique. Nicolas II accorda une dispense pour légitimer le mariage de Guillaume, lequel s'engagea à établir et à doter deux monastères. Telle fut l'origine des deux chefs-d'œuvre de l'architecture du XIe siècle qui décorent aujourd'hui encore la ville de Caen : l'église de Saint-Etienne et celle de la Trinité[111].

Le mouvement d'hostilité qui se manifesta, en même temps, en Allemagne, fut moins violent, mais, au fond, plus durable. Sans doute Henri II ne pouvait s'en prendre qu'à sa politique et à celle de ses prédécesseurs du revirement que la papauté opérait au détriment de sa suprématie. L'alliance conclue avec les Normands, le rapprochement opéré avec la France, la sympathie manifestée au duc Gottfried, le décret du concile romain sur les élections pontificales, étaient autant de manifestations qui détournaient le Saint-Siège du Saint-Empire. Enfin, Nicolas II, de race bourguignonne, n'avait pas les mêmes attaches que ses prédécesseurs avec la Germanie. Aussi le cardinal Etienne, envoyé comme légat en Allemagne, y rencontra-t-il un échec. Un conciliabule schismatique, tenu par quelques évêques et quelques représentants du gouvernement allemand, y déclara nuls tous les décrets rendus par le pape Nicolas II[112].

Cette attitude pouvait faire présager les grandes luttes qui se préparaient du côté de la Germanie. Le pape, et surtout son conseiller et principal inspirateur, Hildebrand, les envisagèrent courageusement et persistèrent dans leur ligne de conduite.

Peu de temps après, vers la fin de juillet 1061, Nicolas II mourut à Florence. Nous manquons de détails sur ses derniers moments. Son testament politique avait été fait, lorsque, à l'automne de 1059, il avait donné à Hildebrand une marque de confiance suprême, en le nommant cardinal archidiacre de l'Eglise romaine, c'est-à-dire son coadjuteur pour le gouvernement du diocèse de Rome et son représentant le plus autorisé pour traiter les affaires de la chrétienté[113].

 

VIII

La mort de Nicolas II fut le signal, pour les factions italiennes, de relever la tête. Pour soutenir l'antipape Benoît X, les deux maisons rivales de Tusculum et de Crescentius s'étaient coalisées ; pour lutter contre le nouveau pape, quel qu'il fût, que choisiraient les cardinaux, elles se tournèrent l'une et l'autre, suivies en cela par la plupart des grandes familles romaines, vers l'ennemi héréditaire, l'empereur allemand.

Il n'y avait pas de temps à perdre. Il fallait à tout prix prévenir l'arrivée à Rome d'un pape imposé par la noblesse romaine et par le roi de Germanie. Hildebrand jeta les yeux sur l'évêque de Lucques, Anselme, le lit accepter par les cardinaux, et, tandis qu'une troupe de Normands étaient appelés à Rome pour y maintenir l'ordre, se rendit à Lucques, et en ramena son candidat, qui fut élu pape, le 30 septembre 1061, par l'unanimité des cardinaux évêques, sous le nom d'ALEXANDRE II.

Le nouvel élu était à la fois un homme de piété et de science, un diplomate et un homme d'action. Né à Reggio, près de Milan. il avait été le premier instigateur du mouvement populaire qu'on avait vu combattre avec tant de fougue la simonie et l'inconduite du clergé. Ancien élève de Lanfranc à l'abbaye du Bec, il avait gardé, des leçons de l'illustre maître, le goût des études sacrées. Eloigné de Milan par l'archevêque Guido, qui redoutait sa propagande réformatrice, il avait su, dans une mission diplomatique qui lui fut confiée à la cour de Germanie et dans le gouvernement de l'évêché de Lucques, se montrer l'ami du duc Gottfried de Toscane et de la duchesse Béatrice, sans froisser Henri III. Avec lui, la redoutable association des patares, maintenue dans les limites de la prudence, formerait, avec les Normands et les Toscans, l'armée puissante prête à défendre la papauté en temps de crise. Pierre Damien et Hildebrand resteraient d'ailleurs, l'un comme cardinal-doyen du Sacré Collège, l'autre comme archidiacre de l'Eglise, tous deux comme amis personnels du nouveau pape, les conseillers attitrés d'Alexandre II. Ainsi, sous la main prudente et ferme d'Hildebrand, toutes les forces catholiques s'organisaient autour du pontife romain. La hardiesse d'un tel plan pouvait faire craindre le choc d'une opposition violente, désespérée, de la part des ennemis du Saint-Siège ; mais elle pouvait faire espérer, en même temps, un pontificat fécond en œuvres de réforme et d'affranchissement. Ces craintes et ces espérances se réalisèrent.

Vingt-huit jours après l'élection d'Alexandre II, le 28 octobre 1061, Henri IV, entouré d'un certain nombre d'évêques lombards, donna l'investiture pontificale, par la croix et par les autres insignes de la papauté, à l'évêque de Parme, Cadaloüs, qui prit le nom d'Honorius II. C'était, dit le chroniqueur Bonizo, un homme riche en argent et pauvre en vertus. Un autre assure, avec quelque ironie, que l'épiscopat lombard avait voulu choisir un pape qui saurait compatir à l'humaine faiblesse.

Le schisme ne devait prendre fin qu'à la mort de l'antipape, en 1072 ; mais il ne parut redoutable et ne troubla profondément l'Eglise que pendant quelques mois. Une première tentative, faite par Cadaloüs, pour s'emparer de Rome de vive force, échoua, à la fin de 1061, devant les troupes de Toscane, commandées par le duc Gottfried et par sa femme Béatrice. Une seconde expédition, tentée eu avril 1062, fut plus favorable à l'antipape. Son armée pénétra dans Rome par la Cité léonine et franchit le Tibre. On se battit dans les rues de la ville. Alexandre se fortifia dans le monastère du Capitole, et Cadaloüs prit position dans la tour de Cencius, près du pont Saint-Pierre[114]. Mais, en ce moment même, une révolution de palais s'accomplissait à la cour d'Allemagne. L'archevêque de Cologne, Annon, tuteur du jeune roi Henri IV, supplantait l'impératrice régente, qui se retirait dans un monastère, et, abandonnant la cause de Cadaloüs, ouvrait des pourparlers favorables au pape Alexandre. Le 27 octobre 1064, un synode allemand et italien, réuni à Mantoue, reconnaissait le pape légitime et excommuniait Cadaloüs, dont l'obédience se restreignit finalement à son diocèse de Parme[115].

Alexandre II n'avait pas attendu cette issue du conflit pour travailler activement à la réforme. Son œuvre réformatrice se distingue de celle de ses prédécesseurs en ce que, non content de notifier ses décrets aux coupables, il en poursuit vigoureusement l'exécution. On le voit déposer l'archevêque simoniaque de Milan, expulser un évêque intrus de Chartres, destituer des clercs concubinaires à Capoue. Son œuvre a aussi ce caractère, d'atteindre toutes les classes du clergé et des fidèles. Il force les métropolitains à prendre contact avec la cour romaine[116] ; il réclame la liberté des élections épiscopales[117] ; il défend d'assister à la messe d'un prêtre scandaleux[118] ; il défend aux clercs de recevoir aucune église des mains des laïques, même sans simonie[119] ; il veille à faire observer rigoureusement les règles relatives aux mariages entre parents[120]. L'appui qu'il rencontre du côté des Normands, des Toscans et des patares lui permet de parler et d'agir avec cette vigueur.

Son autorité personnelle et la valeur des hommes qu'il sait choisir comme légats lui permettent aussi de parler aux princes avec une autorité que n'ont pas eue les papes qui l'ont précédé. Il écrit à Philippe Ier, roi de France, de considérer les décrets des papes à l'égal des canons, il enjoint à Harold, roi de Norvège, de veiller à ce que les évêques de son royaume soient consacrés par l'archevêque de Hambourg. vicaire du Saint-Siège pour le nord, et non par un autre[121] ; il réclame un tribut à Swein, roi de Danemark[122]. Il encourage, en Italie, le comte Roger de Sicile dans sa lutte contre les Sarrasins, et envoie à Guillaume de Normandie un étendard bénit pour sa campagne de conquête en Angleterre. Il obtient, en 1069, du roi de Germanie Henri IV, qu'il ne rompe pas son mariage avec Berthe de Savoie[123], et l'en félicite mais, en 1073, les conseillers Il excommunie du jeune souverain ayant trafiqué des dignités ecclésiastiques et installé sur le siège de Milan un archevêque imposé par le roi, il ne craint pas de lancer contre eux une sentence d'excommunication[124].

Cette dernière mesure, que le pontife crut devoir prendre pour obéir à son devoir de gardien suprême de la discipline, raviva toutes les vieilles haines des courtisans impériaux contre la papauté réformatrice. De tristes pressentiments assombrirent les derniers jours d'Alexandre II. Parmi les prélats que la faveur du gouvernement germanique avait portés au pouvoir, était l'archevêque de Ravenne. Ce Guibert, qui avait naguère, comme chancelier du royaume d'Italie, puissamment contribué à l'élection de l'antipape Cadaloüs, avait toujours, malgré ses protestations ultérieures de fidélité, paru suspect au pontife ; mais il était parvenu à tromper la confiance d'Hildebrand. C'est en cédant aux instances de son archidiacre qu'Alexandre avait enfin consenti à l'accepter comme archevêque de Ravenne. Il ne s'en consola pas. Peu de jours avant sa mort, miné par une lente maladie, dont il prévoyait la prochaine issue, Alexandre II, revenant sur l'incident de Guibert, disait à son fidèle conseiller ces paroles, qui revinrent plus tard à la pensée de Grégoire VII : Je vais mourir le moment est proche pour moi de la délivrance des tristesses de ce monde mais toi, tu sauras ce qu'il y a d'amer dans cet homme[125]. Le 21 avril 1073, Alexandre II allait recevoir de Dieu la récompense de ses travaux et de ses peines. Deux jours après, Hildebrand était nommé son successeur, et prenait ce nom de Grégoire VII qu'il allait immortaliser.

 

 

 



[1] In dulcis Elsatiæ finibus, dit WIBERT, Vita S. Leonis, l. I, c. I ; P. L., t. CXLIII, col. 457.

[2] E. MARTIN, Histoire des diocèses de Toul, de Nancy et de Saint-Dié, Nancy, 1900-1902, 3 vol. in-8°.

[3] E. MARTIN, Saint Léon IX, Paris, 1904, pp. 33, 68.

[4] BRUNO DE SEGNI, Vita S. Leonis IX, dans WATTERICH, t. I, p. 96.

[5] BRUNO DE SEGNI, Vita S. Leonis IX, t. I, p. 96.

[6] WIBERT, l. II, 2, dans WATTERICH, t. I, p. 150. Bonizo et Otto de Freising se trompent quand ils disent que Léon revêtit à Worms les insignes de la papauté. Voir O. DELARC, Saint Grégoire VII, t. I. pp. 106-108 et note.

[7] L'assertion de son biographe, qu'il faisait chaque année le pèlerinage de Rome, peut n'être pas prise tout à fait à la lettre. Elle indique tout au moins la fréquence de ses pèlerinages. Cf. E. MARTIN, Saint Léon IX, p. 63.

[8] Il est admis comme certain par O. DELARC, Saint Grégoire VII, I, 109, note 2.

[9] Voir les témoignages dans DELARC, Saint Grégoire VII.

[10] P. L., CL, 821 ; MANSI, XIX, 911.

[11] E. MARTIN, Saint Léon IX, p. 74

[12] P. L., t. CXLV, col. 159-190. Cf. Dom CEILLIER, Hist. gén. des auteurs ecclés., éd. de 1863, t. XIII, p. 312.

[13] DELARC, Saint Grégoire VII, t. I, p. 127. L'opuscule de Pierre Damien, Liber Gomorrhianus ad Leonem IX, ne porte pas de date, mais tout porte à croire qu'il parut tout à fait au début du pontificat de saint Léon IX. C'est l'opinion de DELARC (I, 126-127) et de BAREILLE (au mot Damien, dans le Dict. de théol. de VACANT, t IV, col. 42).

[14] Voir la lettre écrite par Léon IX à Pierre Damien pour le féliciter de son Liber Gomorrhianus, P. L., t. CXLV, col. 159-160.

[15] ANSELME, Historia dedicationis ecclesia Sancti Remigii, dans WATTERICH, t. I. p. 113, et dans MIGNE, P. L., t. CXLII, col. 1410-1442.

[16] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, t. IV, pp. 1019-1023.

[17] P. L., CXLII, 1437.

[18] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, t. IV, pp. 1023-1024.

[19] BRUCKER, S. J., l'Alsace et l'Eglise au temps de S. Léon IX, Strasbourg, 1889, vol. in-8°, t. I, p. 227.

[20] La Collectio 74 canonum, dont les Ballerini et le P. Theiner avaient simplement signalé l'existence et mentionné les rubriques, a été étudiée par M. P. FOURNIER dans le tome XIV des Mélanges d'archéologie et d'histoire publiés par l'Ecole française de Rome, en 1894. M. THANER en a publié à Innsbruck, en 1906, le premier fascicule. La Bibliothèque Nationale de Paris en possède un manuscrit du XIe siècle, qui parait avoir été fait pour l'abbaye de Saint-Denis (Bib. Nat., nouv. acquis., Latin, 326).

[21] HERGENRÖTHER, Hist. de l'Eglise, trad. Bélet, t. III. p. 269.

[22] Neume ornemental, correspondant à une sorte de gruppetto.

[23] A. GASTOUÉ, l'Art grégorien, p. 89. On attribue aussi à Léon IX le Gloria in excelsis qui est placé comme n° 1 ad libitum dans l'édition vaticane du graduel romain.

[24] P. L., t. CXLII, .col. 1437.

[25] Abbé CLERVAL, les écoles de Chartres au Moyen Age, Chartres, 1895, p. 105.

[26] L'Anjou historique, Angers, 1901, t. II, p. 3-18.

[27] GUITMOND, évêque d'Averea, De corporis et sanguinis Christi veritate in Eucharistia, l. I, P. L., t. CXLIX, col. 1428.

[28] P. L., t. CXLVIII, col. 1456 ; t. CXLIX, col. 1421 ; t. CL, col. 426, 442.

[29] Telle est l'interprétation qui ressort de l'étude attentive des écrits de l'hérésiarque. Voir l'étude très complète de ces écrits, à ce point de vue, dans VERNET, au mot Bérenger dans le Dict. de théologie de VACANT, t. II, col. 728-736. Voir aussi la savante étude de Dom RENAUDIN, l'Hérésie anti-eucharistique de Bérenger, dans l'Université catholique, 1902, t. XL, p. 415-447, et l'étude de R. HEURTEVENT, Durand de Troarn et les origines de l'hérésie bérengarienne, un vol. in-8°, Paris, 1912.

[30] P. L., t. CXLVIII, col. 1454 ; t. CL, col. 413.

[31] Henri Ier était alors en hostilité avec son puissant vassal le comte Geoffroy d'Anjou. Il savait que Bérenger était un protégé du comte. Peut-être fut-ce simplement pour irriter ce dernier qu'il fit enfermer le novateur. Voir J. EBERSOLT, Bérenger de Tours et la controverse sacramentaire au IXe siècle, dans la Rev. de l'hist. des rel., 1903, p. 32. Les deux motifs ont dû coexister dans l'esprit du roi Henri Ier. La suite nous montrera qu'il n'aimait pas Bérenger, qu'il redoutait les troubles que son hérésie pouvait soulever dans le royaume. Mais il préférait le condamner lui-même que de le voir juger par le pape. Henri Ier fut toujours jaloux à l'excès de son autorité à l'égard de celle du Saint-Siège.

[32] L'Eucharistie, avait dit Jean Scot, est la figure, le signe et le gage du corps du Christ. Les savants ne sont pas d'accord sur la vraie doctrine de Jean Scot dans son De corpore et sanguine Domini (P. L., t. CXXI, col. 125-170). Bossuet (Hist. des Var., IV, 32, édit. Lachat, t, XIV, p. 167) qualifie ce livre d'ouvrage ambigu, où l'auteur ne s'entendait pas toujours lui-même. Cf. VERNET, op. cit., col. 731.

[33] De sacra cœna, p. 46 et s. ; HÉFÉLÉ-LECLERCQ, IV, 1058-1059.

[34] BÉRENGER, De sancta Cœna, édition VISCHER, Berlin, 1834, pp. 49-53. Le concile de Tours est certainement de l'année 1054. Lanfranc est dans l'erreur quand il retarde cette assemblée jusque sous le pontificat de Victor II. Il confond le concile de Tours de 1054 avec un concile tenu en 1055 par Hildebrand dans une ville de la province de Lyon. (HÉFÉLÉ-LECLERCQ, IV, 1109, note 2.)

[35] Cette tendance est donnée par le célèbre philosophe russe, Vladimir Soloviev, comme la cause essentielle du schisme oriental ; bien plus, comme l'explication de toute l'histoire de Byzance. On a confondu, dit-il, le divin et l'humain dans la majesté sacrée de l'empereur... C'était là un principe de mort pour l'empire byzantin. C'est la vraie cause de sa ruine. Il était juste qu'il périt, et il était encore juste qu'il périt par l'Islam. L'Islam, c'est le byzantinisme conséquent et sincère, délivré de toute contradiction intéressée. (Vladimir SOLOVIEV, la Russie et l'Eglise universelle, introduction, p. XLVI.)

[36] JAFFÉ, n. 4297 ; P. L., t. CXLIII, col. 769.

[37] P. G., t. CXXI.

[38] J. BOUSQUET, l'Unité de l'Eglise a le schisme grec, un vol. in-12°, Paris, 1913, pp. 173-175.

[39] PSELLOS, Oraison funèbre, P. G., t. CXXI.

[40] P. L., t. CXLIII, col. 929. Cf. P. G., t. CXX, col. 385 et s.

[41] P. L., t. CXLIII, col. 981.

[42] J. BOUSQUET, l'Unité de l'Eglise et le schisme grec, p. 178.

[43] P. L., t. CXLIII, col. 764.

[44] J. BOUSQUET, l'Unité de l'Eglise et le schisme grec, pp. 187-188.

[45] Acta sanctorum, jan., t. I, p 391.

[46] David HUME, Hist. d'Angleterre, année 1041.

[47] LINGARD, Hist. d'Angleterre, trad. de ROUJOUX, t. I, p. 466.

[48] S. LÉON IX, Epist. LVII, P. L., t. CXLIII, col. 674.

[49] Henri III et Edouard Ier avaient déjà commencé les travaux du monastère qui devait devenir l'abbaye de Westminster (HÉFÉLÉ-LECLERCQ, t. IV, p. 1069, note 2).

[50] BARONIUS, Annales, ad ann. 1050, n. 15.

[51] H. CONTRACT, Chron., ad ann. 1052, M. G., SS., t. V, p. 131.

[52] WIBERT, Vita Leonis IX, l. II, ch. VIII.

[53] Ernest DENIS, dans l'Hist. gén. de LAVISSE et RAMBAUD, t. I, p. 722.

[54] E. MARTIN, Saint Léon IX, p. 164.

[55] M. G., SS., t. VII, p. 685.

[56] P. PONCELET, Anal. bolland., 1906, t. XXV, p. 284. Ces troupes, dans la suite, furent peu à peu retirées au pape par l'empereur. Cf. F. CHALANDON, Hist. de la domination normande en Italie et en Sicile, Paris, 1907, t. I, pp 134-135.

[57] Sur l'établissement des Normands en Italie, voir O. DELARC, Saint Grégoire VII, t. I, pp. 48-72.

[58] P. L., t. CXLIII, col. 779.

[59] BRUNO DE SEGNI, Vita S. Leonis IX, P. L., t. CLXV, col. 1116.

[60] Anonymus benevetensis, dans WATTERICH, t. I, p. 102.

[61] E. MARTIN, Saint Léon IX, p 169.

[62] BRUNO DE SEGNI, Vita S. Leonis IX, P. L., t. CLXV, col. 1119.

[63] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, t. IV, p. 1116.

[64] Sur cette élection, voir HÉFÉLÉ-LECLERCQ, t. IV, pp. 1113-1116 ; DELARC, op. cit., t. II, p. 5-10.

[65] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, IV, 1119, note 2.

[66] Anonyme d'HASENRIED, M. G., SS., VII, 265.

[67] DELARC, II, 17.

[68] DELARC, II, 12.

[69] DELARC, II, 19.

[70] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, IV, 1120-1125.

[71] VICTOR III, Dialogi, l. III, P. L., t. CXLIX, col. 1013.

[72] BONIZO, Ad amicum, I. VI, P. L., t. CL, col. 826.

[73] JAFFÉ, n 4369 ; BOUCHE, Hist. de la Provence, t. II, p. 74.

[74] D'autres disent Etienne X, parce qu'ils comptent comme pape le successeur de Zacharie, Etienne, qui, élu en 752, mourut trois ou quatre jours après son élection sans avoir été sacré.

[75] Le rôle que ce pape a joué dans la querelle des investitures parait avoir échappé à tous ceux qui, dans ces derniers temps, ont eu à traiter cette question... Grégoire VII a tellement attiré sur lui l'attention de son époque, que, dans cette lutte, le rôle des autres papes, à l'exception de Calixte II, est tout à fait effacé. (Ulysse ROBERT, le Pape Etienne X (IX), dans la Rev. des Quest. hist., 1876, t. XX, p. 49).

[76] L'évêque d'Ostie était déjà, à cette époque, le premier des cardinaux évêques de l'Eglise romaine.

[77] S. Pierre DAMIEN, Epist., II, 8, P. L., t. CXLII, col. 273.

[78] S. Pierre DAMIEN, opusc. XVIII, P. L., t. CXLV, col. 409. Les sept cardinaux de l'Eglise romaine se rattachaient à la basilique du Latran.

[79] HUMBERT, Adversus simoniacos, P. L., t. CXLIII, col, 1007 et s.

[80] HUMBERT, Adversus simoniacos, P. L., t. CXLIII, col, 1148 et s.

[81] Chronicon Montis Cassini, dans MURATORI, Scriptores Rerum italicarum, t. IV, p. 411.

[82] Chronicon Montis Cassini, dans MURATORI, Scriptores Rerum italicarum, t. IV, p. 411.

[83] Ulysse ROBERT, Etienne IX, dans la Revue des quest. hist., 1876, t. XX, p. 78.

[84] Sur les prédications de Baggio, voir LANDULFE, Hist. mediol., M. G., SS., t. VII, p. 76.

[85] A moins que ce nom ne leur soit venu du quartier où ils se réunissaient. Il ne faut pas confondre les patares du XIe siècle avec les patarins du XIIe.

[86] MANSI, XIX, 865.

[87] C. PELLERINI, I senti Arialdo e Erlembalda, Storia di Milano nella meta del secolo XI, in-8°, Milano, 1897 ; Acta Sanctorum, juin, t. V, col. 279-381 ; Anal. bolland., 1897, t, XVI, p. 537-539.

[88] LAMBERT, Annales, ad ann. 1058, M. G., SS., t. V., p. 159.

[89] P. L., t. CXLIII, col. 870 et s.

[90] GEISEBRECHT, Kaiserzeit, t. III, p. 1085.

[91] Sur cette date, voir NEUKIRCH, Das Leben des Petrus Damiani, in-8°, Göttingen, 1875, p. 64.

[92] Par son titre, il avait le privilège de consacrer le nouveau pape. Il refusa de donner la consécration au prétendu Benoît X.

[93] Entre autres les Pierleoni, qu'on rencontrera dans l'histoire du siècle suivant.

[94] P. L., t. CXLIV, col. 291. Ce passage ne s'applique pas à l'élection de Cadaloüs, comme l'indique le texte de Migne, mais à celle de Mincius. Cf. P. L., t. CXLIV, col. 104.

[95] M. G., SS., t. V, p. 159, 470.

[96] P. L., t. CL, col. 827.

[97] Jules GAY, l'Italie méridionale et l'Empire byzantin, in-8°, Paris, 1904, p. 516.

[98] BARORIUS, Annales, ad ann. 1059, n. 70. Ce texte est emprunté au Liber censuum. Voir DUCHESNE, le Liber censuum, 2 vol. in-4°.

[99] Annales romani, dans WATTERICH, t. I, p. 217 et s. Cf. DELARC, le Pontificat de Nicolas II dans la Rev. des quest. hist., 1886, t. XL, p. 391-392.

[100] Il subsiste de ce décret deux rédactions : celle où les droits de l'empereur sont les plus accentués figure, d'après la Vatic. 1984, dans les M. G., Leges, t. II, app., p. 177, et dans WATTERICII, t. Il, p. 229 ; l'autre a été conservée par les canoniales du us siècle et se trouve dans les collections des conciles. C'est la meilleure. Celle du Vat. 1984 n'est qu'un texte retouché par les partisans de l'antipape Guibert. (DUCHESNE, les Premiers Temps de l'État pontifical, p. 399.) Voir une savante confrontation des deux textes dans HÉFÉLÉ-LECLERCQ, t. IV, p. 1139-1165. Le résumé des canons du concile se trouve dans l'encyclique par laquelle le pape en a promulgué les décisions (MANSI, XIX, 897), dans la lettre pontificale aux évêques dépendant de la métropole d'Amalfi (MANSI, XIX, 907) et dans une autre lettre adressée aux Eglises de la Gaule, de l'Aquitaine et de la Gascogne (MANSI, XIX, 873). Ces trois résumés ne coïncident point parfaitement, le pape choisissant dans les décrets ce qui intéresse plus particulièrement le pays. — On s'est demandé si l'assentiment du peuple, quoique secondairement demandé, était rigoureusement exigé à peine de nullité. Héfélé parait soutenir l'affirmative. On trouvera la négative adoptée et appuyée sur un texte important de S. Pierre Damien dans ORTOLAN, au mot Élection des papes, dans le Dict. de théol. de VACANT, t. IV, col. 2313. — Les cardinaux-évêques étaient alors au nombre de sept, et leurs évêchés étaient ceux d'Ostie, d Albano, de Porto, de Silva-Candida ou Sainte-Rufine, de Sabine, de Préneste ou Palestrina, de Tusculum ou Frascati. Calixte II réunit plus tard Sainte-Rufine à Porto. Ces évêques étaient déjà en relation très étroites avec le pape ; ils étaient très souvent appelés à l'aider dans ses fonctions. Le décret de Nicolas II augmenta leur importance.

[101] DELARC, Saint Grégoire VII, II, 136.

[102] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, IV, 1192-1204.

[103] Historiens des Gaules, t. XI, p. 32.

[104] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, t. IV, p. 1172.

[105] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, t. IV, p. 1169-1177.

[106] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, t. IV, p. 1167-1169.

[107] P. L., L. CXLIII, col. 1315-1316.

[108] P. L., L. CXLIII, col. 1314.

[109] P. L., L. CXLIII, col. 1317.

[110] P. L., t. CXLV, col. 89-98.

[111] Vita Lanfranci, P. L., t. CL, col. 35 et s.

[112] P. L., t. CXLIX, col. 463 et s. ; M. G., SS., t. XI, p. 672 ; P. L., t. CXLV, col. 79.

[113] DELARC, Saint Grégoire VII, t. II, p. 146 ; P. L., t. CXLIII, col. 1525.

[114] M. G., SS., t. V. p. 472 ; HÉFÉLÉ-LECLERCQ, IV, 1224.

[115] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, IV, 1234-1255.

[116] JAFFÉ, n. 4507.

[117] JAFFÉ, n. 4535.

[118] JAFFÉ, n. 4501.

[119] GRATIEN, Decretum, caus. XVI, qu. VII, can. 20.

[120] JAFFÉ, n. 4525.

[121] JAFFÉ, n. 4471.

[122] JAFFÉ, n. 4495.

[123] DELARC, Saint Grégoire VII, t. II, p. 490 et s.

[124] DELARC, Saint Grégoire VII, t. II, p. 525.

[125] BONIZO, ad amicum, l. VI, P. L., CL, col. 835.