HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

PREMIÈRE PARTIE. — LE PROTECTORAT IMPÉRIAL

CHAPITRE III. — DE LA MORT DE SYLVESTRE II À L'AVÈNEMENT DE SAINT LÉON IX. - LA DOMINATION DES FACTIONS ITALIENNES. (1003-1049).

 

 

I

Parmi les familles puissantes dont l'ambition avait troublé jusque-là le gouvernement des papes, on remarquait surtout deux grandes maisons rivales : celle des Crescentius et celle de Tusculum. L'une et l'autre se rattachaient au grand Albéric, et, par lui, à Théophylacte et à Marozie.

Aussitôt après la mort d'Otton III, un Jean Crescentius s'était fait décerner par les Romains le titre de patrice. Il est à croire que ce Crescentius, fils du supplicié de 998, n'avait pas été étranger à la révolte de cool, et que dès lors les Romains lui avaient remis l'autorité suprême. La tradition se continuait : depuis trente ans, on passait alternativement d'Otton à Crescentius, de Crescentius à Otton. Ce n'était pas toujours le même Crescentius ni le même Otton ; mais c'était toujours le même conflit entre le chef national et le prince étranger.

En face des Crescentius, se dressait l'influence croissante des comtes de Tusculum. Grégoire, le chef de la maison, figure au temps d'Otton III avec le titre de præfectus navalis. C'est sans doute lui qui avait restauré l'acropole de la vieille cité latine, abandonnée depuis des siècles, et l'avait transformée en un véritable château-fort. Il avait trois fils, Albéric, Romain et Théophylacte ; celui-ci était cardinal. Depuis longtemps sans doute, cette puissante famille aspirait à succéder aux Crescentius dans le gouvernement de l'Etat romain. Mais cela était difficile. Les Crescentius avaient la possession du pouvoir ; ils représentaient la tradition d'indépendance, autant qu'il était possible de la faire valoir depuis l'apparition des rois saxons sur le théâtre de l'Italie. Suivant que l'autorité germanique était forte ou faible, présente ou absente, les Crescentius savaient ployer ou se raidir, se résigner ou protester. D'une façon on de l'autre ils donnaient une expression aussi exacte que possible au sentiment de la population, ou plutôt de l'aristocratie, la seule classe qui comptât alors. Les Tusculans, pour leur faire échec, affectèrent un dévouement spécial aux intérêts germaniques. Au fond, ils ne s'en souciaient pas beaucoup plus que leurs rivaux ; mais il est sûr qu'ils étaient mieux vus au delà des Alpes[1].

Nous connaissons mal les événements qui, après la mort de Sylvestre II, portèrent sur le trône pontifical, d'abord le pape Jean XVII[2], qui ne régna que six mois, puis Jean XVIII, qui tint le siège jusqu'en 1009, et enfin Serge IV, qui mourut le 12 mai de l'année 1012. Tout porte à croire que ces trois pontifes furent nommés sous l'influence des Crescentius. Tous les trois jouirent d'ailleurs d'une bonne renommée. JEAN XVII, qui se nommait Sico, fut élu le 13 juin 1003[3]. Suivant une inscription trouvée en 1750 à Santa-Maria de Ripagnano, dans la Marche d'Ancône, ce pape était né de parents nobles, au château de Ripagnano, et avait fait ses études à Rome, dans la maison d'un consul nommé Petronius. L'inscription ajoute qu'il ne fit que passer sur le siège apostolique et alla bientôt régner dans les cieux[4]. Aucun autre document ne nous renseigne sur son pontificat. JEAN XVIII, nommé Fasan, fut sacré pape le 25 décembre 1003. Il fut l'ami dévoué des moines, à qui il accorda de nombreux privilèges[5]. Il fonda à Bamberg, à la demande d'Henri II, un évêché destiné à rendre, dans le sud-est de l'Allemagne, les mêmes services que Magdebourg, Mersebourg et Meissen dans le nord-est de l'Empire[6]. Sous son pontificat, l'union des Eglises romaine et grecque fut rétablie, car le nom du pape, comme le prouve Baronius[7], fut inséré de nouveau, en mot, dans les diptyques de l'Eglise de Constantinople. Mais nous ignorons totalement dans quelles conditions fut conclue cette union. Jean XVIII ne mourut pas sur le trône pontifical. Après cinq ans et demi de règne, dit un vieux catalogue romain[8], il se retira dans le monastère de Saint-Paul-hors-les-Murs, et y finit ses jours sous l'habit religieux. L'épitaphe de Jean XVIII le qualifie de pieux et de savant.

Le successeur de Jean XVIII, qui fut élu au mois de juillet 1009, sous le nom de SERGE IV, s'appelait auparavant Buccaporci. Les mérites de sa vie privée et publique[9] l'avaient élevé au rang d'évêque d'Albano. Son épitaphe, qu'on peut lire encore aujourd'hui dans la basilique de Saint-Pierre de Rome, encastrée dans l'un des piliers de la nef latérale de droite, non loin de celle de Sylvestre II, rappelle qu'il fut le pain du pauvre, le vêtement des nus, le docteur du peuple, le pasteur vénéré de tous[10].

Son avènement coïncida avec un désastre qui eut un grand retentissement dans la chrétienté et dont le souvenir ne contribua pas peu à déterminer plus tard le mouvement des croisades : la destruction du Saint-Sépulcre.

Il ne semble pas que la révolution qui avait placé la Palestine sous la domination des califes fatimites d'Egypte, en 969, ait modifié d'abord la situation des chrétiens ou compromis la sécurité des pèlerinages. Au début du XIe siècle, les relations entre les Occidentaux et l'Orient étaient en pleine activité, lorsqu'un événement inattendu vint mettre fin au régime pacifique établi depuis Charlemagne. Un fou couronné, le calife Hakem, célèbre par la cruelle extravagance de ses édits, ordonna brusquement au gouverneur de Syrie, le Turc Yarouk, de démolir le Saint-Sépulcre, de faire disparaître de Jérusalem tous les emblèmes chrétiens et d'anéantir toutes les reliques. Youssouf, fils de Yarouk, partit pour la Ville sainte, s'empara de toutes les offrandes accumulées dans la basilique du Saint-Sépulcre, renversa le monument de fond en comble, sans pouvoir cependant parvenir à en arracher les substructions. Sa fureur n'épargna même pas le Golgotha. Le monastère de religieuses fondé près du Saint-Sépulcre et l'église Sainte-Marie Latine eurent le même sort. La population fut invitée au pillage. Les moines furent chassés, et tous les bâtiments monastiques détruits. En même temps, une violente persécution, qui dura plusieurs années, atteignait tous les chrétiens soumis au calife fatimite. Les pèlerins occidentaux ne furent pas épargnés. L'évêque de Verceil, Pierre, fut arrêté en Egypte et jeté en prison. Il ne dut son salut qu'à l'intervention d'un moine italien, saint Bononius, établi depuis plusieurs années en Orient, qui réussit, on ne sait par quel moyen, à obtenir la délivrance de son compatriote. Puis brusquement les dispositions d'Hakem changèrent. Soit par un nouveau caprice, soit pour des raisons politiques, telles que le désir de rétablir les relations rompues avec l'empire byzantin, il cessa de persécuter les chrétiens et accueillit même leurs demandes avec bienveillance. La situation des chrétiens de Terre Sainte redevint donc tolérable, mais la persécution d'Hakem n'en porta pas moins un coup funeste à l'influence des Latins en Orient. Le protectorat franc établi par Charlemagne était détruit, et une autre puissance, celle des empereurs de Constantinople, allait en recueillir momentanément l'héritage[11].

Cette persécution eut deux autres conséquences : elle ranima la dévotion des chrétiens au Saint-Sépulcre, vers lequel les pèlerinages se multiplièrent, et elle fut l'occasion d'un soulèvement populaire contre les juifs, qu'on soupçonna d'avoir provoqué les mesures persécutrices d'Hakem.

Dès que la nouvelle se fut répandue, écrit le chroniqueur Raoul Glaber[12], que la mère d'Hakem, Marie, chrétienne fervente, avait obtenu de son fils l'ordre de rebâtir l'église du Saint-Sépulcre, des transports d'allégresse éclatèrent dans tout l'Occident. De toutes parts, des multitudes incroyables de pèlerins se mirent en route pour Jérusalem, emportant des offrandes pour aider à la reconstruction de la maison de Dieu. L'impulsion une fois donnée, ce fut, dit le même chroniqueur, un mouvement général, tel qu'on ne l'aurait pas cru possible. Les masses populaires avaient pris l'initiative ; les personnes d'une condition plus élevée suivirent ; puis les rois eux-mêmes, les comtes, les évêques, s'ébranlèrent à leur tour. La foi des pèlerins était si vive que plusieurs d'entre eux demandaient au Seigneur la grâce de mourir près du Saint-Sépulcre, faisant ainsi le sacrifice de leur vie au Dieu qui avait voulu donner son sang pour la rédemption du monde. Il en fut ainsi pour un pèlerin de Burgondie, nommé Lethbold, du diocèse d'Autun, qui allant à Jérusalem pour y trouver la patrie céleste, s'y endormit dans une bienheureuse mort[13].

Raoul Glaber raconte aussi que les Juifs furent accusés et convaincus d'avoir excité le calife Hakem à détruire le Saint-Sépulcre. Un Juif, porteur d'une lettre compromettante écrite à ce sujet par ses coreligionnaires, aurait avoué son crime et subi, de ce chef, la peine du feu. Les Israélites étaient fort puissants à cette époque. La possession de la terre leur était interdite, mais le commerce et la banque avaient mis en leurs mains des capitaux considérables. De grands armateurs juifs frétaient de nombreux navires à Marseille, à Arles, à Narbonne. Leurs vaisseaux allaient chez les Bretons et les Slaves, en Afrique, en Asie, jusqu'en Chine. Ils achetaient des épices et vendaient des esclaves. Ce commerce des esclaves avait soulevé contre eux les populations chrétiennes vers la fin du IXe siècle. Beaucoup d'entre eux furent dépouillés d'une partie de leurs biens. Le mouvement qui éclata contre eux au commencement du Xe siècle fut plus général et plus terrible. Des haines nationales, la jalousie excitée par leurs immenses richesses, le souvenir des exactions commises par un grand nombre d'entre eux dans leurs opérations de banque, se mêlèrent à l'indignation du sentiment religieux. On les chassa des villes, on les traqua dans les campagnes ; ou les fit périr par le fer et par le feu ; quelques-uns se firent baptiser pour échapper à la mort ; d'autres se tuèrent de désespoir[14]. Des scènes pareilles se reproduiront au cours du Moyen Age, et plus d'une fois les papes devront intervenir pour en réprimer les excès[15].

Mais au moment où la fureur populaire se déchaînait ainsi, la papauté subissait une crise douloureuse. À quelques semaines d'intervalle, le patrice Crescentius et le pape Serge IV étaient morts. L'Italie qui, depuis le décès d'Otton III, s'était donné un roi national, Arduin, marquis d'Ivrée, était tout en effervescence. Les deux partis rivaux qui briguaient la tiare s'agitèrent plus que jamais. Les Crescentius mettaient en avant un certain Grégoire ; les Tusculans poussaient le troisième fils du comte de Tusculum, Théophylacte. Au fond, dans l'état actuel des choses, la grande puissance était encore, même à Rome, celle de l'empereur. Le parti des Crescentius et celui des Tusculans se tournèrent en même temps vers le successeur que les seigneurs allemands avaient donné à Otton III.

 

II

La transmission du pouvoir impérial ne s'était pas faite sans difficultés. Otton III, en mourant, avait laissé l'Allemagne dans une perturbation inquiète. La noblesse y était profondément divisée, et les règles de succession au trône y étaient encore mal définies. En principe, le souverain devait tenir sa couronne de l'élection, mais le principe électif tendait de plus en plus à céder devant le droit héréditaire. Henri Ier, Otton Ier et Otton II avaient transmis le royaume à leurs fils sans soulever de réclamations. On commençait, d'ailleurs, à s'apercevoir, par l'exemple de la France, des avantages du système héréditaire, qui épargnait au pays les compétitions et les troubles que soulève d'ordinaire une élection.

Trois candidats se présentèrent néanmoins. Eckhard, margrave de Misnie, en Saxe, fameux par ses exploits guerriers accomplis en Pologne et en Italie, se réclamait à la fois de sa renommée et de sa nationalité saxonne ; Hermann, duc de Souabe, également réputé pour sa vaillance et qui venait de contracter un brillant mariage avec la fille du roi de Bourgogne, se croyait autorisé, par ses hautes alliances, à briguer le premier rang. Mais la situation, dès le début, se dessinait plutôt en faveur du duc Henri de Bavière, qui joignait, à sa réputation de sagesse, de droiture et de bravoure, l'avantage de descendre en droite ligne du roi Henri Ier, et qui était, par conséquent, le propre neveu d'Otton le Grand.

Henri, toutefois, hésita tout d'abord à se mettre sur les rangs. Soit défiance de lui-même, soit crainte d'entrer en lutte ouverte avec des candidats qui pourraient l'emporter sur lui, il lui sembla que de plus dignes devaient se concilier la majorité des suffrages[16]. Mais les fermes avis de plusieurs membres de la haute noblesse et de l'épiscopat firent taire ses scrupules. Il posa sa candidature avec la conscience de défendre la cause du droit et celle de la tranquillité de l'Empire.

Henri de Bavière, à qui la voix du peuple et celle de l'Eglise devaient décerner le titre de saint, était le fils de cet Henri le Querelleur qui avait jadis, sous Otton II, brigué la couronne de Germanie. À ce titre, il avait été suspect dès sa naissance. Mais sa mère Gisèle, se rendant compte du danger, l'avait prudemment fait élever dans un monastère. Suivant une coutume de ce temps, qui laissait à l'enfant le libre choix de sa vocation lorsqu'il parvenait à l'âge du discernement suffisant, elle l'avait voué à la vie des chanoines réguliers dans Son éducation. le couvent d'Hildesheim, en Saxe. L'enfant ne devait pas suivre la vocation religieuse, mais de cette formation monastique il acquit une profonde et tendre piété. Par ailleurs, les appréhensions d'Otton II tombèrent. La conduite ultérieure du jeune prince ne fut pas de nature à les raviver. Après avoir suivi, sous la direction de saint Wolgang, évêque de Ratisbonne, le cycle des études les plus sérieuses, vécu dans le commerce des plus grands auteurs, dans le culte des lettres sacrées et profanes, Henri de Bavière avait uni sa vie à une compagne digne de lui par sa piété profonde, Cunégonde, fille de Siegfried, comte de Luxembourg, au duché de Haute-Lorraine. Pendant les sept années qu'il avait gouverné le duché de Bavière, il s'était montré seigneur loyal et dévoué, apaisant, par son influence, les turbulences des féodaux autour de lui, accompagnant l'empereur Otton III dans ses expéditions guerrières.

Dans une diète tenue à Werla, en 1002, les seigneurs reconnurent que le duc Henri devait régner avec l'aide du Christ et en vertu de son droit héréditaire. Ses rivaux essayèrent de lui opposer d'autres diètes, mais Eckhard fut assassiné le 29 avril de la même année. Le duc de Souabe prit les armes, et le duc de Bavière l'imita ; mais avant que rien ne fût décidé par le sort des batailles, Henri se fit élire, sacrer et couronner, au mois de juin, à Mayence. Il employa les mois suivants à faire reconnaître sa royauté[17].

Par certains côtés de son caractère, Henri II formait un contraste frappant avec son prédécesseur Otton III. Utopiste et rêveur, ce dernier, dans la poursuite de ses projets grandioses, avait mécontenté l'Allemagne et perdu l'Italie ; Henri, esprit sage et pratique, n'agissait qu'après avoir mûrement réfléchi. La foi religieuse d'Otton était mêlée de démonstrations bruyantes et de procédés pleins de hauteur ; celle d'Henri était à la fois discrète et solide, cherchant toujours à concilier, par des combinaisons sagement étudiées, les intérêts de l'Eglise avec ceux de l'État.

Les premiers actes du nouveau roi de Germanie manifestèrent l'idée dominante qui devait gouverner sa politique. Il s'empressa de doter de nombreux monastères en Bavière, d'en fonder même de nouveaux. Qu'on ne s'imagine pas, écrit son plus récent biographe[18], qu'il n'y eût là de sa part que de simples œuvres pies. À cette époque, l'ordre monastique se présentait comme un organisme merveilleusement adapté à l'œuvre de la civilisation Le monastère était une cité vivante, autour de laquelle se groupaient des populations entières, à qui les moines assuraient le bien-être par le travail. Les propriétés monastiques bornaient et séparaient les grands domaines des comtes et autres vassaux du royaume, empêchant ces seigneurs d'acquérir une prépondérance territoriale menaçante pour le souverain. Enfin chaque centre monastique constituait un foyer de prière, d'étude, d'activité civilisatrice. Par sa vie régulière, mortifiée, laborieuse, au milieu même des plus grands biens, le moine ne cessait de donner au paysan cette grande leçon de choses, que l'homme a un autre avenir à préparer que celui de la terre, et qu'il faut tenir les yeux levés vers le ciel pour avoir l'intelligence de la vie présente. Le roi Henri se rendit compte de la puissance morale des moines, et, en l'utilisant, il fit œuvre de bon politique.

Ces vues générales ne pouvaient faire oublier à un esprit aussi net que celui d'Henri II les difficultés concrètes que son autorité allait rencontrer dans le gouvernement de l'Empire. Ces difficultés pourraient lui venir de trois côtés à la fois : de la Pologne, où le roi Boleslas Chobry groupait autour de sa personne tous les mécontents ; de sa propre maison, où les cinq frères de sa femme, convoitant déjà sa succession, remplissaient le palais d'intrigues ; enfin de l'Italie, où le roi Arduin essayait de soulever contre l'Empire le sentiment national.

Dès l'année 1003, une lutte s'engagea entre le roi de Germanie et le redoutable chef des Polonais. Deux premières expéditions furent favorables à Henri II ; la troisième eut une issue moins heureuse. Henri réussit pourtant à conclure, en 1018, une paix qui lui donnait une suffisante satisfaction : on cédait à Boleslas plusieurs provinces entre l'Elbe et l'Oder, mais il devait renoncer à la couronne royale, qui avait été le principal but de son ambition.

Henri eut aussi beaucoup de peine à déjouer les intrigues de ses beaux-frères et de plusieurs autres membres de sa famille. Ceux-ci, d'accord avec l'évêque de Würzbourg, avaient habilement combiné le plan d'une répartition des diocèses qui arracherait à l'archevêque de Mayence la suprématie sur les régions frontières de la Bohème. Cette mesure n'était pas seulement la ruine de l'œuvre de saint Boniface ; elle était, dans leur idée, le prélude d'un morcellement de l'empire à leur profit. Ce fut pour ruiner ces calculs que le roi négocia avec le pape l'érection de l'évêché de Bamberg, qui fut placé sous la protection directe du Saint-Siège, mais sans être soustrait à la juridiction de la métropole de Mayence[19]. La concession du titre et de la puissance de duc à l'évêque de Würzbourg, en 1017, finit par l'apaiser ; et l'entrée dans les ordres du frère de l'empereur, Bruno, en qui on voyait un prétendant au trône, contribua aussi beaucoup à mettre fin aux conflits nés de ce chef.

Une campagne dans l'Italie du Nord, en 1004, n'avait pas eu raison d'Arduin et de ses partisans. Cependant le prétendu roi national mécontentait beaucoup de ses sujets par ses brutalités et ses maladresses. Les populations italiennes commençaient à tourner les yeux du côté du roi Henri. Celui-ci, prudemment, attendait, pour intervenir à coup sûr, une occasion favorable. Cette occasion se présenta quand les partisans de la famille de Tusculum et ceux de la famille des Crescentius lui demandèrent son appui. Henri réserva d'abord sa décision, et s'informa. Théophylacte avait été élu le premier, sous le nom de Benoît VIII, dans des conditions qui paraissaient normales, et son autorité s'affermissait de jour en jour. Le roi de Germanie se prononça alors pour Benoît VIII, et entra en Italie. On était à la fin de 1013. Arduin, voyant sa cause perdue, se retira dans son château d'Ivrée, et promit de renoncer à la couronne pourvu qu'on voulût bien lui donner un comté.

Les partisans de l'antipape Grégoire l'avaient abandonné. BENOÎT VIII gouverna dès lors sans contestation. Quand Henri arriva à Rome, aux premiers jours de février io14, le pape, entouré d'un nombreux cortège de prélats, lui présenta un globe d'or, orné de pierres précieuses et surmonté d'une croix. C'était le symbole du pouvoir que le souverain devait exercer sur le monde en loyal soldat du Christ. Henri prit le globe, l'admira, et dit : Nul n'est plus digne de posséder un tel présent, que ceux qui, loin du monde, s'appliquent à suivre la loi du Christ. Et il envoya le globe aux moines de Cluny.

Le roi manifesta les mêmes sentiments chrétiens quand, le 14 février, dans la basilique de Saint-Pierre, le pape, le couronnant, ainsi que son épouse Cunégonde, le sacra empereur. Le souverain fit aussitôt don de sa couronne à la basilique, demandant qu'elle fût placée sur l'autel du Prince des apôtres[20].

 

III

A partir de ce moment, le souci de la défense de l'Eglise, la préoccupation de la pureté et de la propagation de la foi chrétienne prirent une place plus grande dans la vie du souverain.

Son premier acte fut de délivrer au pape Benoît VIII une charte de privilèges qui reproduisait exactement celle qu'Otton le Grand avait accordée au pape Jean XII. Entre autres clauses, cette charte stipulait que tout le clergé et toute la noblesse de Rome s'engageraient par serment à ne procéder à l'élection des papes qu'en observant les règles canoniques, et que le nouvel élu, avant d'être sacré, s'engagerait lui-même, en présence des envoyés de l'empereur ou en présence de tout le peuple, à conserver les droits de tous[21]. On ne doit pas voir, dans cette formule, comme l'ont fait bien à tort certains historiens, la consécration du principe d'une tutelle impériale exercée sur la papauté, mais seulement la confirmation du droit, réservé par les papes aux empereurs, de veiller, comme défenseurs de l'Eglise romaine, à ce que l'élection du pape se fît canoniquement et à ce que le nouveau pape jurât de conserver les droits de tout le monde. Les tristes événements dont on venait d'être les témoins, les prétentions des familles des Crescentius et de Tusculum justifiaient un pareil contrat. Dans les circonstances où l'on se trouvait, la puissance seule d'un empereur paraissait capable de tenir en respect les factions italiennes[22].

La bonne entente, ainsi scellée entre le pape et l'empereur, ne se démentit pas un instant pendant toute la durée de leur commun gouvernement. Elle leur permit de travailler efficacement ensemble au bien de la chrétienté. L'Italie s'apaisait Le parti des Crescentius semblait avoir renoncé à toutes ses prétentions. Le roi détrôné de Pavie, Arduin, instruit par l'infortune, se retira, en 1015, dans le monastère de Fruttuaria, fondé près de Turin, l'année précédente, par un de ses neveux, l'abbé Guillaume, et y mourut trois ans plus tard dans des sentiments de piété[23]. Des incursions des Sarrasins sur les côtes d'Italie, en 1016, furent rapidement réprimées par une expédition navale, et des troubles suscités par les Grecs au sud de la péninsule prirent fin après une descente de l'armée impériale.

Le pape Benoit VIII s'était déchargé du gouvernement temporel des Etats de l'Eglise sur son frère Romain, à qui il conféra le titre et les pouvoirs de consul et sénateur des Romains. Son dessein était de se consacrer tout entier au gouvernement spirituel del Eglise. Convaincu de l'inefficacité de toute réforme religieuse entreprise au milieu des commotions politiques et sociales qui désolaient l'Europe, il méditait le grand dessein de publier, de concert avec 1 empereur d'Allemagne, le roi de France et le roi de Bourgogne, une paix universelle ; on travaillerait ensuite à une réforme radicale des mœurs par un concile général célébré en Occident[24]. Benoît VIII ne put qu'ébaucher cette gigantesque entreprise, mais il s'y dévoua avec toute l'ardeur de son zèle, et il y fut puissamment aidé par l'empereur Henri II, par le roi de France Robert le Pieux, par le roi de Bourgogne Rodolphe III.

Dans un concile tenu à Poitiers, en février ou mars de l'an 1000, une décision importante avait été votée, à savoir qu'à l'avenir toute contestation entre particuliers serait réglée d'après le droit, et non plus par la force brutale[25]. C'était proclamer hautement. au nom de l'Eglise, le principe de la Paix et de la Trêve de Dieu[26]. L'Eglise s'était aperçue que les prescriptions dés premières assemblées étaient demeurées insuffisantes, faute d'action d'ensemble et de stricte sanction La disposition votée à Poitiers en l'an i000 fut le point de départ d'une ligue formée pour le maintien de la paix et appelée pactum pacis. Chaque ligueur s'engageait à déférer à la justice de l'évêque ou du comte toute transgression de la paix commise sur son territoire ; et, en cas de déni de justice de la part du comte ou de l'évêque, à provoquer une intervention de tous les ligueurs associés, pour faire triompher le droit. Pour mieux assurer l'exécution du pacte, on demanda aux membres de la ligue un serment solennel et explicite, juré sur les reliques des saints[27].

Telle fut l'œuvre de l'Eglise pour l'obtention de la paix. Cette œuvre ne pouvait avoir de résultat sérieux et définitif que si elle était appuyée par l'autorité des souverains. Dès les premières années du XIe siècle, on vit Henri II parcourir les provinces d'Allemagne, proclamant la paix locale, Landfrieden, dans de grandes assemblées, comme à celles de Zurich en 1005, de Mersebourg en 1012. Où tous, depuis le plus humble jusqu'au plus puissant, jurèrent qu'ils maintiendraient la paix, qu'ils ne seraient point complices de brigandages. Beaucoup de seigneurs et d'évêques suivirent cet exemple. Burkhard, évêque de Worms, publia un édit de paix, afin de soumettre ses sujets riches et pauvres, disait-il, à la même loi. D'autres s'opposèrent au mouvement. L'empereur, jugeant qu'il s'agissait là d'une question du plus haut intérêt public, sévit contre eux avec sévérité, alla jusqu'à dépouiller des margraves de leur charge.

En France, avec une énergie peut-être moins sévère, mais avec une patience non moins tenace, le roi Robert passait son temps à réunir des assemblées de paix[28]. On ne s'y contentait plus d'interdire aux belligérants les violences contre les églises, les clercs, les travailleurs des champs ; on y demandait le respect de toutes les personnes inoffensives. À Verdun, les engagements pour la paix étaient de sept ans ; à Beauvais, de six ans. Il semble même que, dans un concile, on se soit engagé pour une durée illimitée[29].

Dans le royaume de Bourgogne, plus généralement appelé alors royaume d'Arles, le mouvement pour la paix remontait aux dernières années du Xe siècle. Mais il paraît que le souvenir des serments jadis prêtés commençait à s'effacer, car, dans plusieurs conciles réunis aux environs de 1020, et notamment au concile de Verdun-sur-le-Doubs, où s'assemblèrent, en 1016, les grands de Bourgogne et les évêques de la première Lyonnaise, en se proposa de rétablir et confirmer la paix[30]. Depuis ce concile, l'usage se généralisa de prêter un serment contenant une énumération détaillée des choses défendues. On lit dans le serment de paix soumis au roi Robert, en 1023, par l'évêque de Beauvais, Warin : Je n'envahirai d'aucune manière les églises ou les celliers des églises, sinon pour y saisir le malfaiteur qui aura violé la paix ou commis un homicide... Je n'assaillirai pas les clercs et les moines qui ne portent pas des armes séculières. Je n'enlèverai ni bœuf, ni vache, ni aucune autre bête de somme. Je ne saisirai ni le paysan, ni la paysanne ni les marchands ; je ne leur prendrai pas leurs deniers, et je ne les obligerai pas à se racheter. Je ne ferai pas en sorte qu'ils perdent leur avoir à cause de la guerre de leur seigneur. Depuis les calendes de mai jusqu'à la Toussaint, je ne saisirai ni cheval, ni jument, ni poulain dans les pâturages. Je ne détruirai ni n'incendierai les maisons ; je ne déracinerai ni ne vendangerai les vignes, sous prétexte de guerre[31].

La paix de Dieu fut accueillie avec enthousiasme par tous les opprimés. Raoul Glaber montre la multitude affluant aux conciles et criant, les mains tendues vers le ciel : Paix, paix, paix ! tandis que les évêques levaient leurs crosses. L'institution grandissait, prenait des proportions imprévues. Non contente d'excommunier le noble qui violait la paix, l'Eglise jeta l'interdit sur toute l'étendue de son ressort féodal[32]. Dans une conférence qu'ils tinrent dans l'abbaye de Monzon, au diocèse de Reims, l'empereur Henri II et le roi de France Robert étudièrent le moyen de rendre cette paix universelle. Mais bien des seigneurs étaient encore récalcitrants. La papauté elle-même ne put prendre la direction de l'entreprise que dans la seconde partie du XIe siècle.

Dans cette chrétienté à demi pacifiée, Benoît VIII ne put réaliser qu'une demi-réforme. Le concile général de l'Occident, qu'il s'était proposé de réunir avec le concours d'Henri II, ne put se tenir ; mais il réussit à assembler à Pavie, en 1018[33], un important concile.

Le concile de Pavie, dit Héfélé[34], occupe une place considérable dans l'histoire de la réforme de l'Eglise au XIe siècle. Le pape le présida en personne, et l'empereur paraît y avoir assisté. Les sept canons qui y furent promulgués ont tous trait à la réforme des mœurs dans le clergé, et en particulier à l'observation du célibat ecclésiastique[35]. L'empereur fit de ces canons des lois de l'Etat[36], et en poursuivit l'application en s'appuyant sur l'épiscopat et sur les monastères.

On a reproché à Henri II une ingérence abusive dans la nomination des évêques. En vertu du droit et des usages alors en vigueur, le privilège d'élire les chefs des diocèses appartenait aux principaux membres du clergé local ; mais le désir du souverain faisait ordinairement loi pour les électeurs, et leur choix était ensuite confirmé par le même souverain, qui remettait à l'élu les insignes de sa charge : la crosse et l'anneau. Cette intervention du prince temporel s'expliquait par ce fait que les évêques concentraient alors dans leurs mains le pouvoir spirituel et une notable partie de la puissance temporelle ; qu'ils étaient à la fois chefs des diocèses et seigneurs des territoires attribués à leurs sièges. Les Ottons avaient, presque toujours, usé de leur influence avec sagesse ; et le droit d'investiture ne pré-. sentait guère que des avantages aux mains d'un prince comme Henri II, soucieux avant tout de l'honneur de l'Eglise et du bien des âmes. Presque tous les élus de son temps furent des hommes de haute valeur et de vie exemplaire. On cite, parmi eux, les noms de Tagino de Magdebourg, de Meinwerk de Paderborn, d'Eberhard de Mersebourg, de Méginaud de Trèves, de Thietmar de Mersebourg[37].

Les monastères fournirent à l'empereur des collaborateurs non moins utiles dans son entreprise de régénération sociale. Dans ses courses à travers son empire, il aimait à séjourner dans les couvents au milieu des moines. Il s'édifiait de la régularité des bons ; mais il ne craignait pas, quand il y rencontrait des abus, d'intervenir hardiment pour y faire pénétrer la réforme. Il entretint dès relations survies avec les grands moines réformateurs de son époque. Une amitié particulière le liait à l'illustre abbé de Cluny, saint Odilon, et l'on a pu dire que si, dans l'œuvre de la réforme monastique, Odilon fut la tête, en Allemagne Henri fut le bras droit[38]. Grâce à cette assidue collaboration de deux saints, la pureté de la règle clunisienne pénétra dans la plupart des monastères de Lorraine ; les puissants couvents de Hersfeld, de Reichenau, de Fulda, de Corvei, durent l'accepter, Fort de l'approbation d'Odilon, Henri n'hésita pas, quand il le fallut, à briser les résistances, à destituer les prélats indignes et à imposer aux moines récalcitrants les religieux qu'il savait capables de les gouverner suivant l'esprit de leur état. Ainsi fit-ii au dont-Cassin, et aux deux grands monastères de Stavelot et de Malmédy, au diocèse de Liège, qu'il plaça tous les deux d'office entre les mains d'un moine de Saint-Waast, Poppo, dont il connaissait la science et la sainteté.

En agissant ainsi, le saint empereur travaillait également au bien de ses Etats et à celui de l'Eglise. L'Allemagne, à peine tirée de la barbarie, placée sur les frontières de la civilisation chrétienne, et restée en contact avec des peuples imparfaitement gagnés à la doctrine de 1 Evangile, avait besoin, plus que toute autre nation, de garder intact le dépôt de la foi et de la morale chrétienne. Henri II le comprit. Il pensa aussi qu'il ne remplirait pas tout son rôle de sergent du Christ s'il ne cherchait pas à étendre le domaine de l'Evangile. En demandant au pape de fonder l'évêché de Bamberg, il avait eu en vue de détruire le paganisme des Slaves, et si les soucis du gouvernement intérieur de son empire-lui en eussent laissé le loisir, il aurait cherché à ouvrir de nouvelles voies aux missionnaires de Jésus-Christ.

Ce sont des inspirations si pures qui ont valu à l'empereur Henri IF le titre de saint que l'Eglise lui a décerné. Ce sont aussi les admirables vertus de sa vie privée.

Le noble prince avait rencontré une épouse digne de lui. L'un et l'autre, en s'unissant par le mariage, avaient fait le vœu de sanctifier leur union par la pratique d'une absolue pureté. La mention de cette vertu royale, chez les vieux chroniqueurs, a provoqué le scepticisme de quelques historiens, le sourire ironique des autres. Mais le fait a toute la certitude que donne l'histoire[39], et toute âme soucieuse de régénération chrétienne doit reconnaître qu'une telle vertu fut à sa place sur le trône d'un empereur et d'une impératrice au début du XIe siècle. À cette époque, où les passions des sens envahissaient jusqu'au sanctuaire, il fut bon de voir briller, au milieu même de la cour, la vertu qui fait ressembler l'homme à l'ange. Le saint empereur mourut le 13 juillet 1024. Avec lui s'éteignit la maison de Saxe. Par son premier représentant, Henri le Grand, elle avait puissamment travaillé à grouper autour d'elle les peuples germaniques[40] ; par son dernier représentant, Henri le Saint, elle avait noblement servi l'Eglise.

En France, le roi Robert le Pieux, sans donner le spectacle de vertus aussi héroïques que l'empereur allemand, mettait au service de l'Eglise une ardente piété et un dévouement sincère. Nous l'avons vu multiplier ses efforts pour réunir partout des assemblées de paix. Il eut un grand souci de faire écarter de l'épiscopat les candidats indignes. Lorsqu'un siège l'épiscopal venait à vaquer dans ses Etats, dit Raoul Glaber[41], il se préoccupait uniquement, pour le choix du nouveau titulaire, du mérite et des vertus, non de la naissance et du rang. Il eut souvent à lutter à ce sujet contre les grands de son royaume. Le maintien de la pureté de la foi n'excitait pas moins son zèle. Vers 1019, le duc de Normandie, Richard V, lui révéla l'existence à Orléans d'une secte mystérieuse, qui, admettant la coexistence éternelle d'un principe bon et d'un principe mauvais, méconnaissant l'autorité de l'ancien Testament, niant la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie et la virginité de la Mère de Dieu, semble avoir été un des chaînons qui ont relié le vieux manichéisme à l'hérésie albigeoise[42]. Le roi Robert convoque à Orléans un concile, y fait comparaître les hérétiques enchaînés, et, après les avoir convaincus de leurs pernicieuses erreurs, en fait condamner treize à la peine du feu. Le pieux roi pensait que tout ce qui attaquait le dogme et la morale catholiques, fondements de l'édifice social, était un attentat contre la société tout entière. Sa sévérité envers ceux qu'il considérait comme les corrupteurs des âmes n'était qu'une forme de sa charité. Celle-ci, nous dit son biographe contemporain, était ardente et tendre. Il avait une prédilection particulière pour les lépreux. À l'exemple du divin Maître, il les admettait près de sa personne, et quand on lui demandait où il puisait son courage : Je me souviens, répondit-il, que moi-même je suis poussière et que je retournerai en poussière. Dieu, continue le biographe, récompensa cette vertu héroïque par le don des miracles. Il rendit la santé à des lépreux en faisant sur eux le signe de la croix[43]. On fait remonter à Robert le Pieux la tradition d'après laquelle les rois de France, à certains jours, touchèrent les malades scrofuleux, en leur disant : Le roi te touche, Dieu te guérisse. Malgré l'opposition de certains intérêts politiques, Robert le Pieux et Henri II s'unirent toujours quand il s'agit de promouvoir le bien du peuple et le respect de la religion. En 1023, les deux souverains se réunirent à Ivois, en Lorraine, pour s'entendre sur les moyens d'assurer la paix universelle et d'aider l'Eglise à réformer son clergé. Les deux souverains, entourés d'une suite nombreuse, se donnèrent le baiser de paix, entendirent ensemble la messe, dînèrent à la même table, et si leur noble idéal ne put être réalisé, ils y consacrèrent jusqu'à la fin de leur vie le meilleur de leurs efforts.

Un an après l'entrevue d'Ivois, le pape Benoît VIII cessait de vivre. Des calculs chronologiques fixent avec probabilité sa mort au 11 juin 1024[44]. Le dernier fils du comte de Tusculum fut un pape irréprochable, à la hauteur des grands devoirs de sa charge. On n'a guère que du bien à dire du pape Benoît VIII, écrit Mgr Duchesne[45]. Le pontificat de son frère Jean XIX, et surtout celui de son neveu Benoît IX, devaient être moins heureux pour l'Eglise.

 

IV

La situation faite par Benoît VIII à son frère Romain rendait l'élection de son successeur délicate. Dépouiller brusquement le Sénateur des Romains de son titre et du gouvernement temporel de l'Eglise, c'était mécontenter gravement la maison la plus puissante de l'Italie, soulever peut-être une révolution. Elever au trône pontifical un membre du Sacré Collège, c'était le mettre en tutelle ou le condamner à de perpétuels conflits. Une troisième combinaison se présentait : conférer le pouvoir spirituel à celui qui détenait déjà le temporel. Mais Romain était simple laïque. N'importe, cette circonstance, qui rendait l'élection irrégulière, ne la viciait pas d'une manière irrémédiable, rendait possible sa ratification par un consentement implicite et subséquent à son ordination. Cette dernière solution parut la moins chargée d'inconvénients, la seule pratiquement réalisable. Romain, fils puîné du comte Grégoire de Tusculum, fut élu, et, après avoir reçu rapidement tous les ordres sacrés, intronisé sous le nom de JEAN XIX[46].

On ne peut refuser à Jean XIX les qualités d'un administrateur habile, d'un politique avisé. Il en avait donné des preuves pendant plusieurs années, sous la conduite de son frère. Ses mœurs étaient à l'abri de tout soupçon. On l'a accusé de cupidité, d'insouciance à l'égard des choses religieuses. Disons seulement, pour être plus juste, que, privé des conseils de son frère, il laissa trop souvent dominer, dans sa politique, les calculs humains, et languir l'œuvre réformatrice si courageusement poursuivie sous le précédent pontificat.

L'avènement d'un tel pape, coïncidant avec la vacance de l'Empire par la mort d'Henri II, réveilla les ambitions de l'empereur d'Orient Basile II, qui convoitait toujours l'hégémonie dans l'Italie méridionale, et n'avait pas renoncé à élever le siège patriarcal de Constantinople au niveau de celui de Rome. Les grandes victoires que le potentat byzantin avait remportées sur les Russes et sur les Sarrasins, le grand massacre qu'il venait de faire des Bulgares et qui lui avait valu le surnom de Bulgarochtone, avaient singulièrement exalté son orgueil et celui de ses sujets. Deux ans plus tôt, ceux-ci, assiégés dans Troja par l'armée allemande, avaient menacé leurs ennemis de la prochaine arrivée du grand monarque de l'Orient, en déclarant que l'empereur des Romains serait forcé de lui baiser les pieds[47]. Or, vers l'an du Seigneur 1024, dit Raoul Glaber, le chef de l'Eglise de Constantinople[48] et l'empereur Basile décidèrent que, de même que le pontife de Rome s'appelait pontife universel dans le monde entier, le pontife de Constantinople s'appellerait œcuménique dans le monde grec. Mais il fallait obtenir l'assentiment du pape. Ils envoyèrent donc à Rome des ambassadeurs chargés de nombreux et riches cadeaux, tant pour le pape que pour tous les personnages qu'ils pensaient pouvoir servir leur cause. Hélas ! s'écrie ici le chroniqueur, nous vivons en un temps où l'or est le roi du monde, et c'est à Rome que ce potentat semble avoir fixé le siège de sa puissance Les riches présents des Grecs troublèrent le cœur des Romains, qui cherchèrent quelque subterfuge pour accorder ce qui leur était demandé. Mais ce fut en vain. On ne saurait faire mentir la parole de vérité, qui a dit de la chaire apostolique : Les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. Les intrigues qui s'agitaient dans le conclave transpirèrent promptement au dehors ; ce fut dans toute l'Italie une rumeur générale. Les clameurs indignées, les cris de révolte, qui éclatèrent de toutes parts, ne peuvent se dire. Le vénérable Père Guillaume, abbé de Saint-Bénigne de Dijon, écrivit à ce sujet au pape Jean XIX la lettre suivante, brève, mais éloquente et vive : L'apôtre des Gentils nous apprend à respecter les personnes constituées en dignité ; ce qui ne l'empêche pas de s'écrier ailleurs : Je sors peut-être des limites de la prudence, mais c'est vous qui m'y avez contraint[49]. Nous aussi, nous nous sentons pressé par un sentiment d'amour filial d'exhorter votre paternité à se rappeler en ce moment la conduite du Sauveur, et à poser à quelqu'un de vos amis la question que Notre-Seigneur fit à saint Pierre quand il lui demanda : Que disent de moi les hommes ?[50] La réponse que vous obtiendrez, pourvu qu'elle soit sincère, méritera toute votre attention. Si elle est nettement favorable, prenez garde à la justifier par votre conduite ; si elle est embarrassée et obscure, priez le Père des lumières de dissiper toutes les ombres, afin que vous guidiez dans la plénitude de la lumière et dans la voie des commandements divins tous les fidèles enfants de l'Eglise. Il nous est venu une nouvelle qui scandalise tous ceux qui l'entendent, et qui trouble profondément les âmes. Bien que l'ancien empire romain, qui s'étendait autrefois sur l'univers entier, soit aujourd'hui partagé en un nombre infini de monarchies particulières, la puissance suprême de lier et de délier sur la terre comme au ciel est restée une ; elle appartient maintenant comme toujours, par le don du Seigneur, au magistère inviolable de Pierre. C'est donc une présomption complètement injustifiable de la part des Grecs d'avoir revendiqué un privilège qu'ils auraient, dit-on, obtenu de vous. Nous vous supplions de montrer plus de vigueur pour la correction des abus et le maintien de la discipline au sein de l'Eglise catholique et apostolique. C'est le devoir d'un pontife universel. Ainsi puissiez-vous régner heureusement ici-bas et dans l'éternité[51]. Il ne paraît pas que le pape eût déjà, comme le croyait saint Guillaume, cédé aux instances des ambassadeurs byzantins ; il rompit du moins les négociations[52]. À la suite de cette rupture, le patriarche de Constantinople effaça, dit-on, des diptyques le nom du pape, et les ferments de schisme, qui subsistaient toujours en Orient, s'agitèrent. Ainsi la politique de Jean XIX, dans ses rapports avec l'Orient, avait mécontenté à la fois l'opinion publique et le monarque oriental ; sa diplomatie à l'égard de l'empereur d'Occident, malgré les brillants résultats apparents de ses débuts, ce fut pas moins malheureuse pour l'Eglise.

Au dernier empereur de la maison de Saxe avait succédé le premier monarque de la maison de Franconie Le fondateur de la nouvelle dynastie. Conrad II descendait du mariage d'une des filles d'Otton le Grand avec un des plus vaillants guerriers de l'empereur. Conrad le Rouge. Il avait épousé lui-même une fille de Rodolphe III, roi de Bourgogne, qui descendait de Charlemagne. Personnellement le nouvel empereur était brave, croyant soucieux d orthodoxie, mais ami de la magnificence et de l'éclat. Des deux grandes races qu'il prétendait représenter, il avait surtout les ambitions gigantesques ; on eût cherché vainement en lui l'humble piété d'Henri II. Déjouer les projets de l'empereur byzantin dans la basse Italie, conquérir la Bohême, s'annexer la Bourgogne, briser la haute noblesse d'Allemagne en se faisant le protecteur de la petite féodalité : tels furent ses premiers projets. Il devait les réaliser en partie. Mais avant même qu'il n'y fût parvenu, on le vit descendre en Italie en 1026 pour y ceindre, à Pavie, la couronne royale ; puis demander au pape, pour le jour de Pâques de 1027, qui tombait cette année le 26 avril, la bénédiction impériale. Jean XIX fit pour Conrad II ce que Benoît VIII avait fait pour saint Henri, Jean XII pour Otton le Grand, saint Léon III pour Charlemagne. La cérémonie du sacre dépassa en splendeur tout ce qui s'était vu jusque-là. En sortant de la basilique de Saint-Pierre, dit le chroniqueur Wippo[53], l'empereur et l'impératrice Gisèle étaient escortés par deux rois, Rodolphe de Bourgogne et Canut le Grand d'Angleterre, qui les conduisirent en grande pompe au triclinium du Latran. Jean XIX avait vu dans le nouvel empereur et dans la dynastie une grande force, et s'était empressé de se l'associer ; mais l'ancien Sénateur des Romains, improvisé prêtre et pape au lendemain de la mort de son frère, était-il à même de comprendre qu'un protectorat dominé par l'orgueil ne pouvait, si dévoué qu'il se proclamât, travailler au bien de l'Eglise ? Etait-il capable de prévoir que la puissante maison de Franconie engagerait bientôt, contre la papauté, la lutte la plus violente que l'Eglise eût eu à subir depuis les persécutions des premiers siècles, et que Conrad II lui-même poserait les préliminaires de cette lutte ? L'empereur Conrad II, dit Héfélé, eut pour politique de mettre l'Eglise au service de l'Empire... Sous ce prince brutal et tyrannique, l'épiscopat allemand fut réduit absolument sous la dépendance de la couronne, et détourné de sa vocation dans un but politique ou militaire. Il en résulta que le talent fut un titre plus sérieux que la vertu pour arriver à l'épiscopat, et l'empereur fut plus préoccupé d'obtenir pour l'Eglise un lustre extérieur que d'y faire pénétrer cette réforme intérieure que prêchait l'ordre de Cluny. L'investiture l'aida à enrichir le fisc, et il donna rarement une charge sans la faire payer. Cette manière de régenter l'Eglise portait en germe l'épouvantable lutte que son fils et son petit-fils eurent ensuite à soutenir contre l'Eglise romaine[54].

Aucun sentiment d'hostilité systématique, — il est peut-être bon de le répéter ici, — n'animait le premier empereur franconien, tandis qu'il asservissait ainsi l'épiscopat. L'idée de briser une haute puissance féodale parait avoir été son principal motif ; son tort fut de subordonner à ce motif, d'ordre purement politique, et d'ailleurs insuffisamment justifié, les intérêts sacrés de la religion, dont, par la déclaration même du jour de son sacre, il s'était proclamé le défenseur. La religion souffrit beaucoup de cet état de choses. Les vieux abus, quelque temps réprimés par les efforts combinés de Benoît VIII et d'Henri II, reprirent une force nouvelle.

L'Allemagne ne fut pas seule à en souffrir. Une nouvelle apparition des hérétiques manichéens motiva, en 1025, la réunion d'un concile à Arras. Au début de l'année 1025, Gerhard, évêque de Cambrai, visitait, selon sa coutume, son second siège d'Arras, lorsqu'il apprit que des hérétiques, venus d'Italie, s'étaient fixés dans le voisinage. Ils rejetaient le baptême et l'Eucharistie, reniaient l'utilité de la pénitence, avaient horreur du mariage, annulaient l'Eglise, déclaraient qu'en dehors des apôtres et des martyrs aucun saint n'était digne de vénération, et faisaient dépendre le salut uniquement des bonnes œuvres. L'évêque Gerhard les fit saisir sans délai[55] et comparaître le dimanche suivant devant un concile à Arras. Il vit surtout en eux des pélagiens, parce qu'ils insistaient beaucoup sur les bonnes œuvres, et ils l'étaient en effet jusqu'à un certain point ; mais la véritable base dogmatique de leurs erreurs était ce spiritualisme malsain déjà constaté à Orléans, et qui, pendant des siècles, allait troubler tant de provinces en Occident[56]. Les actes du concile d'Arras exposent comment l'évêque Gerhard réfuta, point par point, les doctrines des hérétiques. Ceux-ci s'avouèrent vaincus, abjurèrent leurs erreurs, firent une profession de foi orthodoxe, et la signèrent de leur propre main en y apposant une croix[57].

Les conciles tenus vers la même époque en 1026, 1027, 1028 et 1029, en Orient, témoignent en même temps de la triste situation de l'Eglise dans cette région Les conciles se plaignent de l'épouvantable cupidité qui dépouilla les églises et rend déserts les monastères ; ils stigmatisent les évêques qui administrent dans leur intérêt personnel les biens ecclésiastiques, et ils menacent d anathème quiconque prendrait part à une émeute ou à une révolte[58].

 

V

Telles étaient les plaies de l'Orient et de l'Occident. A défaut de l'empereur, qui oubliait les maux de l'Eglise pour ne songer qu'aux intérêts de son pouvoir personnel ; à défaut du souverain pontife, qui ne se rendait compte qu'à moitié de la gravité du péril, qui remédierait à de pareilles misères ? La Providence, qui n'abandonne jamais l'Eglise, y pourvut Le pontificat de Jean XIX si triste sous certains aspects. vit naitre, à côté de t ordre de Cluny, dont l'influence continuait à rayonner dans de nombreux monastères, un ordre nouveau, plus austère encore celui des Camaldules ; du sein d'une féodalité tour à tour turbulente ou asservie, surgirent les premiers éléments de la chevalerie ; et, dans les églises, trop abandonnées, la musique sacrée, renouvelée par le génie d'un moine bénédictin, Guy d'Arezzo, ranima la piété des foules.

L'ordre des Camaldules, qui devait être pour l'Italie ce qu'était l'ordre de Cluny pour la France, un foyer de régénération religieuse, fut fondé, vers 1024, par saint Romuald La vie du saint patriarche, telle que nous l'a racontée son disciple saint Pierre Damien, est particulièrement révélatrice de l'époque agitée où il vécut. Né à Ravenne dans la famille ducale des Honesti Romuald, jusqu'à l'âge de vingt ans, laisse flotter son cœur et sa volonté entre les plus vives passions de la jeunesse et les inspirations de la grâce qui l'attirent vers une vie de solitude et de prière La part qu'il prend, au mous comme assistant, à un duel terrible, où il voit son propre père tuer son adversaire d'un coup d'épée, éveille en lui un remords qui le fait pencher définitivement vers l'appel de la grâce. Il se retire au Mont-Cassin, où il ne tarde pas à prendre l'habit monastique. Mais dans le monastère même il retrouve l'esprit du monde, Des moines relâchés, pour qui sa conduite et ses maximes sont un continuel reproche, le persécutent, forment même le projet de l'assassiner. Romuald se réfugie aux environs de Venise, auprès d'un saint ermite, nommé Marin, où des compagnons, désireux de partager avec lui sa vie austère, viennent le rejoindre et le choisissent pour leur maître. Il fonde avec eux, dans une solitude des Apennins, appelée Camaldoli, près d'Arezzo, une communauté, qui sera le berceau de son ordre. Ses premiers disciples mènent avec lui la vie érémitique, jeûnent au pain et à l'eau, s'abstenant absolument de viande et de vin, la barbe longue, la tête rasée, les pieds nus, vêtus d une robe blanche. La règle bénédictine, surchargée de pratiques plus austères, fait le fond de leurs observances. Plus tard, à côté des ermites camaldules, s'établiront des cénobites, avec une règle mitigée Romuald, après avoir assisté aux premiers développements de son œuvre, quitte ce monde, dans la paix du Seigneur, le 19 juin 1027. Quand, en 1072, le pape Alexandre II confirmera la fondation de l'ordre des Camaldules, cet ordre comptera déjà neuf monastères, rangés sous le gouvernement du prieur de Camaldoli. Il aura déjà donné à l'Église le savant Guy d'Arezzo et le grand réformateur du clergé, saint Pierre Damien[59].

La période qui vit naître et se développer l'ordre des Camaldules vit les premières origines de la chevalerie. Sans doute il est impossible de fixer à ces débuts une date précise. La chevalerie, comme l'a dit son savant historien, n'a rien, dans ses origines, qui rappelle celles d'un ordre religieux. Le grand ordre bénédictin a jailli de l'intelligence d'un saint Benoît, et le grand ordre franciscain du cœur de saint François. Rien de pareil dans la chevalerie. Ce qu'un grand archéologue a dit de l'architecture romane est scientifiquement applicable aux commencements de la chevalerie. Elle est née partout à la fois, des mêmes aspirations et des mêmes besoins. Il y eut un moment où les chrétiens de l'Occident sentirent la nécessité d'abriter leur prière sous des églises voûtées en pierre et qui ne brûlassent plus ; et l'on vit alors, suivant la gracieuse parole de Raoul Glaber, le sol chrétien se couvrir partout de la robe blanche des églises nouvelles. De là, l'architecture romane. Il y eut un autre moment où l'on sentit partout la nécessité de tempérer les ardeurs du sang germain et de donner un idéal à cette fougue mal dépensée. De là la chevalerie[60].

Quand l'Eglise, après tous les efforts qu'elle venait de faire pour établir la paix de Dieu, eut acquis la conviction qu'elle ne pouvait empêcher absolument la guerre, elle entreprit de christianiser le soldat. On a écrit de longs volumes sur ce sujet, dit Léon Gautier[61], et il semble que peu de mots auraient suffi pour définir nettement la chevalerie et le chevalier : la chevalerie, c'est la forme chrétienne de la condition militaire ; le chevalier, c'est le soldat chrétien. Mais comment christianiser le soldat ? L'Eglise y arriva en christianisant un vieux rite qui remontait aux origines des peuples germains. Tacite raconte que lorsque l'enfant germain était parvenu à l'âge d'homme, on l'amenait au milieu d'une assemblée de guerriers, où le chef de la tribu lui remettait solennellement une framée et un bouclier. Telle est la robe virile de ces peuples, ajoute Tacite[62]. Le rite barbare fut le point de départ de tout un cérémonial militaire, chrétien, liturgique, qui comprit la veillée d'armes, la bénédiction de l'épée, celle du chevalier lui-même, et l'engagement, pris par celui-ci, de ne viser qu'au bien et à l'honneur de la religion[63]. Les cérémonies du sacre des rois et des empereurs eurent peut-être aussi une influence sur l'origine de la chevalerie. Si un souverain pouvait se vouer à la défense de l'Eglise, pourquoi pas le simple vassal ? pourquoi pas tout homme d'armes[64] ?

L'institution de la chevalerie n'empêcha point d'ailleurs l'Eglise de poursuivre l'établissement de la paix de Dieu. C'est précisément de l'an 1027 que date la Trêve de Dieu proprement dite, interdisant la guerre pendant certaines périodes soigneusement fixées. Le concile d'Elne, réuni cette année, confirma les clauses ordinaires sur la protection des clercs, des moines et des femmes, mais il y ajouta la disposition suivante : Dans tout le comté ou évêché d'Elne, il est interdit à tout habitant d'assaillir son ennemi depuis la neuvième heure du samedi jusqu'à la première heure du lundi, et le concile donna la raison de cette défense : C'est afin que tout homme puisse rendre ce qu'il doit à Dieu pendant la journée dominicale. Voilà la Trêve de Dieu en germe, limitée au dimanche. L'idée ne tarda pas à faire son chemin, et la Trêve à s'allonger[65].

En même temps qu'elle protégeait ainsi l'observance des prières dominicales, l'Eglise donnait à ses offices un nouvel éclat par la rénovation du chant sacré. Un disciple de saint Romuald, un moine camaldule, Guy d'Arezzo, fut le promoteur de ce nouveau progrès.

Au début du XIe siècle, dit un historien de l'art grégorien, on ne trouve dans l'Italie tout entière qu'un nom d'artiste à citer, mais ce nom a rempli de son importance les siècles qui ont suivi : Guy d'Arezzo[66]. Ce personnage naquit vers l'an 990, très probablement à Arezzo, où on le retrouve dans sa vieillesse. Quelques auteurs l'ont cru d'origine française. Il paraît probable qu'il doit une partie de sa science à l'enseignement musical de l'abbaye parisienne de Saint-Maur-les-Fossés, au temps où y enseignait Odon le Jeune. Un séjour de Guy en Angleterre est aussi vraisemblable. Il revint ensuite en Italie. Abbé des Camaldules d'Avellana, près de Pompose, il est appelé à Arezzo par l'évêque Théodule pour y enseigner sa méthode à la schola épiscopale, et va offrir au pape Jean XIX un exemplaire de l'antiphonaire grégorien noté sur lignes pour la première fois. On retrouve enfin Guy à Pompose, où il termine sa carrière agitée, le 17 mai 1050.

La part de Guy dans la réforme de l'enseignement et de la notation musicale est énorme. Dans son Micrologue, il se fait le propagateur de la méthode d'Odon, la débarrassant le plus possible des considérations philosophiques qui l'encombraient. Le procédé d'adaptation des six notes de l'hexacorde majeur, aux syllabes empruntées à l'hymne Ut queant laxis, dont Guy préconise et répand l'usage, n'est pas de son invention, bien qu'on lui en fasse souvent honneur. Les deux innovations capitales de Guy sont la fixation de la portée musicale, avec la disposition, sur des lignes convenablement espacées, des signes de notation, puis la suppression absolue de tout ce qui n'était pas diatonique dans les chants d'église. Le réformateur a si bien réussi dans son œuvre ; la notation des sons instables et, fluctuants, qu'il avait proscrits, a si bien disparu, après lui, des traités et des livres, qu'un grand nombre de musiciens en sont venus à douter que le chant liturgique ait jamais été réglé par d'autres genres que le diatonisme rigide où Guy l'avait fixé[67].

 

VI

La rénovation partielle du clergé par la fondation des Camaldules, le relèvement moral de la féodalité par les débuts de la chevalerie, la pacification des campagnes par la Trêve de Dieu, l'édification des fidèles par la restauration du chant d'église, étaient des faits providentiels, au moment où l'Eglise allait avoir à subir l'épreuve la plus humiliante peut-être qu'elle ait connue au cours des siècles : le spectacle d'un enfant de douze ans, perdu de mœurs, porté par l'intrigue sur le siège de saint Pierre, et le scandale d'une famille ambitieuse et rapace mettant la main sur le gouvernement de la chrétienté, cherchant à capter à son profit le prestige extérieur ajouté naguère par les pontificats de Sylvestre II et de Benoît VIII à l'autorité suprême du pontife romain.

Des trois fils de Grégoire de Tusculum, le plus jeune, Théophylacte, puis le second, Romain, avaient successivement occupé le souverain pontificat. Restait le premier, qui portait le nom du fameux ancêtre, Albéric. Albéric ne se soucia pas de prendre pour lui le pouvoir, il préféra le partager entre deux de ses fils. L'un d'eux aurait, comme l'avaient déjà eu plusieurs membres de sa famille, le gouvernement temporel sous les titres de sénateur et de consul ; l'autre ceindrait la tiare. Ce dernier, appelé, comme son ancêtre lointain et comme son oncle Benoît VIII, Théophylacte, avait douze ans. À cet âge, il avait déjà scandalisé son entourage par la licence de ses mœurs. Mais un enfant corrompu pouvait être un instrument docile entre les mains du comte de Tusculum et de l'empereur allemand, coalisés pour la circonstance. L'or répandu à profusion par les uns, l'intimidation exercée par les autres, eurent raison de toutes les résistances[68]. Théophylacte de Tusculum fut élu pape, à une date incertaine de l'an 1033[69], sous le nom de BENOÎT IX. Horrible début, s'écrie le moine Raoul Glaber, d'un pontificat qui devait finir plus misérablement encore ![70] Les conséquences lamentables d'un tel scandale ne tardèrent pas, en effet, à se produire. Depuis le pontife suprême jusqu'au dernier des portiers, dit le même chroniqueur, on vit le trafic et le marchandage envahir le clergé à tous ses degrés[71]... À l'exemple des grands, les petits et ceux des classes moyennes s'abandonnèrent aux plus détestables excès[72]. Que faire ? La peste venait du siège de Rome, où l'on venait d'élire, contre tout droit, contre toute règle, un enfant de douze ans, où l'or et l'argent avaient prévalu sur l'âge et sur la sainteté[73].

Un tel personnage, élu dans de telles conditions, par de tels moyens, fut-il un pape légitime ? On l'a contesté[74]. L'Église, qui a conservé son nom dans ses listes officielles, et qui a déclaré antipapes ceux qui ont voulu plus tard lui contester le pouvoir, a sans doute considéré comme une ratification tacite l'acceptation prolongée de son autorité par le clergé et le peuple de Rome, ses légitimes électeurs, et par l'Église chrétienne tout entière. Telle est l'interprétation du savant cardinal Baronius. L'univers chrétien, dit-il[75], en reconnaissant la juridiction de ce pape, lui conféra après coup une autorité qu'il n'avait pas dans le principe. Tant était grande, à cette époque, la vénération du monde catholique pour l'Eglise romaine ! Il suffisait qu'un titulaire quelconque fût promu sur le trône de saint Pierre, pour qu'on honorât dans sa personne le Prince des apôtres qu'il représentait.

Le pouvoir suprême ne changea pas les mœurs du nouvel élu. Dans sa vie privée, la poursuite des plaisirs, l'amour des richesses, restèrent ses grandes passions ; dans sa vie publique, il se fit l'instrument docile des convoitises de sa famille et du despotisme de l'empereur. Mais, il faut le reconnaître, pas plus que Jean XII. Benoît IX ne chercha jamais à légitimer doctrinalement sa conduite. Son enseignement officiel fut la condamnation de sa vie. Dieu, qui, pour faire toucher du doigt sans doute les funestes conséquences de l'immixtion des pouvoirs civils dans le choix de ses pontifes, laissa la corruption monter jusqu'au trône de saint Pierre en la personne d'un pape indigne, ne permit pas que l'Église eût à rougir d'une seule ligne de son bullaire. La bulle rédigée par Benoît IX pour décerner les honneurs de la canonisation au Bienheureux reclus Siméon de Trèves, est écrite, dit Papebroch, en un style vraiment apostolique[76]. L'acte par lequel il étendit la juridiction de l'archevêque de Hambourg, Adalbert, sur les régions septentrionales de l'Europe, le Danemark, la Suède, la Norvège, l'Islande et les îles voisines[77], avait pour but et eut pour heureux effet de faciliter l'évangélisation des peuples du Nord. La décision qui plaça toutes les Eglises de Pologne sous la dépendance de l'évêque de Cracovie[78] fut inspirée par un souci intelligent des besoins religieux de ce pays. La dispense des vœux de religion accordée au fils de Miécislas II, Casimir, pour permettre à ce prince de sauver la Pologne de l'anarchie en acceptant la couronne royale, ne dépassait pas le droit de la chaire apostolique ; elle répondait à des vœux dont saint Odilon de Cluny s'était fait l'interprète, et aboutit à de bienfaisants résultats : Casimir Ier garda sur le trône les vertus qui l'avaient fait aimer de saint Odilon, et mérita l'honneur de voir son nom inscrit sur le ménologe bénédictin avec le titre de Bienheureux[79]. Benoît, dit le cardinal Hergenröther[80], était suffisamment doué du côté de l'esprit, montrait souvent beaucoup de sens pratique, et, mieux élevé, accoutumé à tenir ses passions, serait devenu peut-être un excellent pape. Malheureusement ceux qui étaient chargés de l'élever le dépravèrent ; ceux qui devaient lui apprendre à réprimer ses passions les stimulèrent à plaisir. Aussi vit-on sa vie livrée tout entière aux plus tumultueuses agitations

A deux reprises, en 1036[81] et en 1044[82], il est chassé de Rome par l'émeute ; it y rentre à la tête des vassaux de Tusculum. La seconde fois, il se barricade, lui et les siens, dans le Transtevere, tandis que la ville est au pouvoir des révoltés. Les vieilles dissensions qui ont jadis mis en face les maisons de Crescentius et de Tusculum, se raniment. Le sort des armes favorise d'abord Benoît ; mais ses adversaires, grâce à d'abondantes largesses, font élire un antipape, Jean, évêque de Sabine, qui prend le nom de Sylvestre III. Les partisans de Benoît investissent alors Rome de tous côtés, et le 10 avril 1044, le réintègrent par la force dans le palais du Latran, tandis que Sylvestre, après 49 jours d'un pouvoir éphémère, regagne en vaincu son évêché de Sabine. Un an plus tard, le 1er mai 1045, Benoît IX, craignant une nouvelle révolte, abdique en faveur de son parrain, l'archiprêtre Jean Gratien, que tous les contemporains représentent comme un homme recommandable, et qui, accepté par le peuple et par le clergé, prend le nom de GRÉGOIRE VI. Toutefois, Benoît ne se retire qu'après avoir stipulé, de son successeur, à titre de dédommagement, une forte somme[83], que celui-ci, pour prévenir des maux excessifs et pour faire cesser la honte de l'Eglise, se résout à payer. Ce contrat, simoniaque en soi, n'empêchera pas Benoît, deux ans plus tard, après la mort de Clément II, de s'emparer une fois encore du pouvoir et de s'y maintenir, du mois de novembre 1047 jusqu'au 16 juillet 1048, où l'empereur Henri ILI le chassera de Rome par la force. Les circonstances de sa mort sont mystérieuses. Les uns prétendent que, touché de repentir, il prit le froc dans l'abbaye de Grotta-Ferrata, où il ne tarda pas à mourir ; d'autres pensent qu'il mourut impénitent et que sa fin prématurée fut la suite de ses désordres[84].

 

VII

Le mode par lequel Grégoire VI avait été élevé au souverain pontificat devait être exploité contre lui, dans la suite, par ses ennemis ; mais les personnages les plus éminents de l'Église applaudirent à son élection. De sa solitude de Fonte-Avellana, où il était venu cacher sa gloire naissante sous la robe blanche du Camaldule, Pierre Damien lui écrivit : Je rends grâce au Christ, roi des rois. Dieu seul peut ainsi changer les temps et transférer les royaumes. Que les cieux se réjouissent et que la terre tressaille. La tête du serpent venimeux est écrasée. Le faussaire Simon ne bat plus de fausse monnaie dans l'Eglise. Revienne maintenant l'âge d'or des apôtres, et puisse, sous votre prudence, refleurir la discipline de l'Eglise. L'heure est venue de réprimer l'avarice de ceux qui aspirent à la dignité épiscopale, de renverser les chaires des vendeurs du Temple[85]. Celui qui parlait ainsi était né à Ravenne, en 1007, de parents fort pauvres ; ce futur cardinal de l'Eglise romaine avait été réduit, dans son enfance, à garder les pourceaux. Le dévouement d'un de ses frères, qui remarqua en lui des dispositions pour l'étude, lui permit de s'instruire dans les écoles. Pierre en avait à peine quitté les bancs, qu'on l'appelait à y professer à son tour, et que sa réputation se répandait dans toute l'Italie. Mais la vertu, dans le jeune professeur, égalait au moins le talent. La vie austère des moines camaldules l'attira, et, au milieu du bruit que faisait sa renommée grandissante, il se retira, suivant l'expression poétique de Dante, sur ces rochers qui, entre les deux rivages de l'Italie, s'élèvent si haut, que souvent la foudre gronde au-dessous d'eux[86].

Les paroles du moine de Fonte-Avellana traduisaient les sentiments de ce qu'il y avait de plus noble dans la chrétienté ; mais les abus accumulés sous le précédent régime avaient multiplié les causes de trouble. Quand le pape Grégoire, homme de grande religion et de grande austérité, prit le gouvernement de l'Eglise, dit le chroniqueur Guillaume de Malmesbury[87], il se trouva, par suite de l'incurie de ses prédécesseurs, presque sans ressources. Les villes et les biens appartenant à l'Eglise avaient été la proie des ravisseurs. Dans toute l'Italie, les chemins étaient infestés de brigands. Dans Rome même, sur le Forum, se promenaient les sicaires. Les glaives étaient dégainés jusque sur les corps des saints apôtres ; et les offrandes, à peine déposées, étaient enlevées des autels sacrés.

Grégoire essaya d'abord de remédier à ces maux par des procédés de douceur, par des admonestations. Ces moyens furent inutiles. Il prit alors des mesures plus sévères : il excommunia les plus grands malfaiteurs, et ceux qui auraient désormais quelque rapport de société avec eux. Ceux-ci s'emportèrent, organisèrent des émeutes, levèrent des troupes. Grégoire fut obligé de repousser la force par la force. Aidé d'un jeune moine, Hildebrand, il acheta des armes, et des chevaux, équipa une véritable armée. avec laquelle il occupa la basilique de Saint-Pierre, débusqua les révoltés des positions qu'ils occupaient dans Rome, et, encouragé par ces premiers succès, poussa son expédition en dehors de la ville, et s'empara de plusieurs châteaux-forts ravis naguère au domaine de l'Eglise[88].

Le moine qu'on voit ici apparaître pout la première fois, et qui devait, avec Pierre Damien, être un des premiers ouvriers de la réforme de l'Eglise, appartenait à un monastère fondé par saint Odon sur l'Aventin[89]. Il était né, vers 1020[90], dans la petite ville de Sovana, au sud de la Toscane, à peu de distance de la ville et du lac de Bolsène. Son père, au rapport de Benzo, évêque d'Albe, était un pauvre chevrier marié à une femme de la campagne romaine[91]. Confié à un oncle, abbé du monastère de Sainte-Marie sur l'Aventin, lequel se chargea de l'élever et de l'instruire, il eut pour condisciples plusieurs jeunes gens de l'aristocratie romaine, et connut de bonne heure, au moins par quelques lointains contrecoups, cet esprit d'intrigue qui agitait la haute société romaine au temps de Benoît IX. Mais, à Sainte-Marie de l'Aventin, il apprit surtout à connaître et à aimer la vie monastique, que des relations suivies du monastère romain avec l'ordre de Cluny y maintenaient dans toute sa pureté. S'il faut eu croire le cardinal Benno, le jeune Hildebrand y suivit les leçons du savant archevêque d'Amalfi, Laurent, dont Pierre Damien vante la haute culture[92], et de l'archiprêtre Jean Gratien, devenu pape sous le nom de Grégoire VI. Ces deux hommes étaient eux-mêmes des élèves de Sylvestre II, et par eux le jeune étudiant s'initiait à tout le mouvement intellectuel de son époque. Devenu adolescent, dit Paul Bernried[93], Hildebrand partit pour la France, et il se peut qu'il ait alors séjourné à Cluny. Il visita ensuite l'Allemagne, et eut même l'occasion de prêcher devant la cour de Germanie, où le roi fut, dit-on, frappé de son éloquence De retour à Rome, il ne songea plus qu'à travailler à sa perfection. Ce fut peut-être à cette époque qu'il embrassa la vie monastique[94]. Mais bientôt, dit un de ses plus anciens biographes, il constata qu'il avait à Rome des ennemis  dangereux. Il éprouva la vérité du proverbe, que nul n'est prophète en son pays, et voulant couper court à la jalousie, il se décida à retourner en Germanie et dans les Gaules. Il ne dépassa pas cependant Acquapendente en Etrurie. Un songe qu'il eut dans cette ville, et dans lequel l'apôtre saint Pierre lui apparut, le décida à rentrer définitivement à Rome[95]. Les oppositions et les jalousies dont parle ici le biographe furent sans doute provoquées par quelque protestation de l'austère moine contre les mœurs du temps. Il était impossible que le futur Grégoire VII eût sous les yeux sans les flétrir les scandales du temps de Benoit IX.

Telles sont, déclare le plus complet des historiens de saint Grégoire VII[96], les données les plus certaines sur l'origine de la jeunesse d'Hildebrand. Il en existe quelques autres, mais d'un caractère légendaire, ou qui ne peuvent s'harmoniser avec !es dates les plus certaines de la vie d'Hildebrand.

En acceptant le souverain pontificat, Grégoire VI se souvint de son ancien élève, et lit du jeune moine toscan son secrétaire particulier, son homme de confiance, ou, comme on disait alors, son chapelain[97].

Fort de l'appui qu'il venait de rencontrer dans Pierre Damien et dans Hildebrand, sûr de répondre aux vœux de saint Odilon, avec qui nous le voyons entrer aussitôt en relation[98], et de tout l'ordre de Cluny, dont il s'empressa de confirmer les droits et privilèges[99], Grégoire VI se préoccupa d'abord de relever les églises de Rome, que la négligence de ses prédécesseurs avait laissées tomber en ruines, et en particulier la basilique de Saint-Pierre. Nos très chers frères, disait-il dans la lettre qu'il adressa à l'Eglise entière à cette occasion, des empereurs, des rois, des princes, des personnes d'un autre rang, entraînés par une misérable cupidité, ont envahi les biens de la sainte Eglise romaine, et s'en sont servis pour leur usage. Voici que l'église qui possède les corps des bienheureux apôtres Pierre et Paul, l'église dont le rayonnement éclaire l'univers entier, est, hélas ! menacée de ruine. Des clercs remplis de religion, des laïques, ont offert de nous donner tous les ans, pour restaurer l'église de Saint-Pierre, une partie de leurs offrandes[100]. Le pontife promettait ensuite le suffrage de ses prières et la bénédiction de Dieu à tous ceux qui contribueraient à cette œuvre sainte.

Mais l'œuvre entreprise par le courageux pontife ne tarda pas à être entravée par des difficultés de toutes sortes Tandis que le pieux duc d'Aquitaine. Guillaume, entendait l'appel de Grégoire et faisait faire des quêtes parmi ses sujets, la plupart des autres princes restaient sourds à la voix du pape. Plusieurs même, comme le comte Gehard de Saxe, comme les chefs de la maison de Crescentius, faisaient au nouveau pape une opposition non dissimulée.

Grégoire se tourna vers le prince qui, par les titres qu'il s'arrogeait, devait être le protecteur et le défenseur de l'Eglise romaine, vers celui qui, se donnant comme le successeur de Charlemagne, devait en continuer les services.

L'empereur Conrad II était mort en 1039. Son successeur, Henri III le Noir, âgé de vingt-deux ans à son avènement, et doué dès lors d'une maturité rare, devait élever l'Empire au point culminant de sa puissance. Mais sa conduite à l'égard de l'Eglise offrit un singulier contraste. Adonné à toutes les pratiques de piété, ami du clergé et des moines, ennemi déclaré de la simonie, il se rapprocha de l'Eglise, mais pour la gouverner et ne débusqua la famille de Tusculum du rôle qu'elle s'était assigné à l'égard de l'Eglise romaine que pour essayer de confisquer à son profit la papauté[101].

L'empereur s'empressa de répondre à l'appel que lui adressait le pontife romain. Son désir de réformer les abus de l'Eglise pouvait être sincère ; mais il désirait surtout se rendre à Rome pour s'y faire couronner.

Il se rendit d'abord à Pavie, où il réunit, les 25 et 26 octobre 1046, un concile nombreux. Beaucoup d'évêques allemands, de la suite du roi, y siégèrent à côté des évêques italiens. C'est là qu'il paraît avoir prononcé[102] le fameux discours contre la simonie dont certains historiens lui ont tant fait gloire[103], et qui mériterait toute notre admiration s'il avait réglé la conduite de l'empereur dans la suite de son règne : C'est en pleurant que je vous parle, s'écria-t-il[104], ô vous qui tenez dans cette Eglise la place de Jésus-Christ... En envoyant ses apôtres évangéliser le monde entier, le Verbe de Dieu leur avait dit : Ce que vous avez reçu gratuitement, donnez-le gratuitement. Pourquoi donc vous laisser dominer, au contraire, par l'avarice et la cupidité ? Mon père, sur le salut de qui je suis très inquiet, a aussi fait preuve, dans sa vie, d'une avarice condamnable... Demandez à Dieu de vouloir bien lui pardonner. Pour moi, de même que, par le seul effet de sa miséricorde, le Seigneur m'a gratuitement donné sa couronne, de même je donnerai gratuitement ce qui a trait au culte du Seigneur. Je veux que vous agissiez de même.

Peu de temps après, le roi Henri III et le pape Grégoire VI eurent une entrevue à Plaisance. Ils se rendirent ensemble à Sutri, à huit lieues de Rome, où, pour se conformer au désir du roi, Grégoire convoqua un nouveau concile, qu'il présida lui-même, le 30 décembre 1046. Ce désir du roi était un piège, que ni le pape ni son confident Hildebrand ne surent discerner au premier abord. Hildebrand ne devait apprendre que plus tard, par l'expérience de la vie, à se défier des paroles des hommes, et encore l'excès de confiance en ses ennemis resta-t-il toujours la noble faiblesse de ce grand caractère. Le but du roi était, en réunissant ce concile, d'y faire son secrétaire régler suivant ses propres vues la question de la légitimité de l'élection de Grégoire, et de donner au pape, dans l'assemblée que celui-ci devait présider par ses fonctions, l'attitude d'un accusé. On commença par déclarer nulle l'élection de Sylvestre III. La cause de Benoît IX, qui avait refusé de se rendre à l'assemblée, fut réservée. Puis on en vint à l'élection de Grégoire VI. Le pontife, homme très simple, dit le chroniqueur Bonizo, exposa sans détours l'histoire de son élection. Il jouissait d'une grande fortune, qu'il voulait employer pour le bien de l'Eglise ; ayant vu comment la tyrannie du parti de la noblesse disposait du Saint-Siège au mépris des règles canoniques, il avait cru faire une bonne œuvre en rachetant à prix d'argent et en rendant au clergé et au peuple de Rome le droit d'élire le pape Les membres du concile lui représentèrent qu'une telle subtilité lui avait été dictée par le serpent, et que ce qui pouvait être acheté ne devait pas être considéré comme saint. Grégoire répondit : Dieu m'est témoin qu'en agissant comme je l'ai fait, je croyais mériter le pardon de mes fautes et la gloire de Dieu. Les évêques repartirent : Il aurait mieux valu pour toi être pauvre comme Pierre qu'être riche comme Simon le Magicien. Prononce toi-même ta condamnation. Grégoire prononça alors contre lui-même la sentence suivante : Moi, Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, je juge que, m'étant rendu coupable du crime, honteux et de l'hérésie de simonie, je dois être déposé de l'épiscopat romain[105].

Après une pareille sentence, Henri III dut être satisfait. Ce prétendu défenseur des canons et des mœurs, qui, pendant sept ans avait gardé le silence en présence des scandales de Benoît IX, venait de briser le pouvoir d'un pape animé des intentions les plus pures ; mais il avait fait prévaloir sa volonté dans une cause d'élection pontificale. Dans une assemblée qui se tint à Rome les 23 et 24 décembre I 046, Benoît IX fut déposé à son tour. Le 24 décembre, Henri désigna au clergé et au peuple de Rome le candidat de son choix, Suidger, évêque de Bamberg. qui fut consacré le lendemain sous le nom de CLÉMENT II. Le même jour, le nouveau pape couronna solennellement à Rome l'empereur Henri III et l'impératrice Agnès. Le monarque allemand reçut en même temps le titre de patrice romain. Quant à Grégoire VI il fut conduit en Allemagne avec son chapelain Hildebrand, et traité en prisonnier d'Etat, sous la surveillance de l'archevêque de Cologne.

Le but d'Henri III était atteint : il s'était substitué aux comtes de Tusculum, et se tenait prêt à jouer le rôle que cette famille avait trop longtemps rempli dans les élections à la papauté. Successivement, on verra quatre papes transalpins imposés à Rome : les évêques de Bamberg, de Brixen, de Toul et d'Eichstädt : Clément II, Damase II, Léon IX et Victor II. Hâtons-nous toutefois de le dire : aucun de ces papes ne renouvellera le scandale des papes issus de Tusculum ; tous, au contraire, dans une mesure plus ou moins efficace, travailleront à la réforme ; mais le principe de la suprématie impériale n'en restera pas moins un danger, que l'esprit perspicace d'un Hildebrand ne perdra pas de vue et dont il cherchera à libérer l'Eglise de Dieu. Quand, le 22 avril 1073, Hildebrand sera appelé au souverain pontificat. il voudra s'appeler Grégoire VII, pour protester contre la radiation de Grégoire VI du catalogue des papes et contre la décision du concile de Sutri[106].

 

VIII

S'il est certain que le nouveau pape, Clément II, fut choisi sur la proposition de l'empereur Henri III, il est prouvé du moins que cette élection se fit suivant les règles canoniques. Le consentement du peuple et du clergé fut, dit-on, unanime ; et Suidger, évêque digne et pieux, ne consentit à accepter la tiare, sur les instances du roi, qu'après que le concile de Rome eut manifesté très énergiquement sa volonté.

Dès le 5 janvier 1047, Clément II réunit à Rome, en la présence de l'empereur, un grand concile contre divers abus, et en particulier contre la simonie. Quiconque recevra de l'argent pour consacrer une église, ordonner un clerc, conférer un bénéfice, une dignité ecclésiastique, une abbaye, une prévôté. sera frappé d'anathème. Celui qui, sans commettre personnellement de simonie, aura reçu les ordres d'un évêque simoniaque, fera une pénitence de quarante jours. mais il pourra conserver sa charge. Pour mettre un terme aux discussions entre les archevêques de Ravenne et de Milan et le patriarche d'Aquilée, le pape Clément II décida qu'en l'absence de l'empereur, l'évêque de Ravenne prendrait la première place à la droite du pape[107].

Clément II mourut le 9 octobre 1047. Le pontificat de son successeur fut plus court encore. Prié par les Romains de leur désigner un nouveau pape, Henri III leur indiqua Poppo, évêque de Brixen, qui fut élu sous le nom de DAMASE II. C'était le troisième Allemand qui montait sur le siège de Pierre. Son sacre ne put avoir lieu que six mois après son élection. À peine élu, il se vit obligé de se mettre à la tête d'une armée pour expulser le pape déposé, Théophylacte, l'ex-Benoît IX, qui s'était de nouveau intronisé à Rome. La famille de Tusculum tentait un dernier effort pour ressaisir le pouvoir. Moins d'un mois plus tard, le 10 août 1048. Damase II mourait d'une mort mystérieuse. Le parti des Tusculans, Théophylacte lui-même, furent accusés de l'avoir empoisonné. Ce serait là le dernier forfait de Benoît IX[108].

Les épreuves de l'Eglise n'étaient donc pas finies. Bien plus, on pouvait se demander si elles n'allaient pas devenir plus redoutables que jamais. Le pouvoir impérial, qui venait d'affirmer si audacieusement son prétendu droit d'immixtion dans les élections des papes, venait en même temps d'être porté par Henri III, nous l'avons dit, à son apogée. À l'heure où le joug d'une telle puissance paraîtrait insupportable, quelle force serait capable de le secouer ?

Précisément, à côté de Pierre Damien, qui gouvernait toujours le monastère de Fonte-Avellana, et d'Hildebrand, qui, revenu d'exil, étudiait la règle de Cluny pour en faire la base de ses réformes futures, Dieu faisait grandir, en Italie, deux forces nouvelles : la maison de Toscane et le peuple normand.

La maison de Toscane avait la prééminence dans l'Italie du Nord. Fondée au siècle précédent par le châtelain de Canossa, Azzo, le généreux protecteur de la reine Adélaïde, enrichie plus tard par la munificence des empereurs de Saxe des territoires de Mantoue, Ferrare, Brescia, Reggio, Modène, et finalement de l'important marquisat de Toscane, elle était représentée alors par un homme d'énergie, le marquis Boniface, qui, dans les récents événements politiques, n'avait pas craint de se prononcer contre l'empereur Henri III.

Les Normands occupaient le sud de la péninsule. Solides guerriers, âpres au gain, peu scrupuleux, arrivés dans le pays par bandes successives, ils n'avaient cessé de travailler, tout en s'employant pour qui les payait, à se faire à eux-mêmes des établissements sérieux. Ils étaient déjà parvenus à en fonder deux, à Aversa, près de Capoue, et à Melfi, entre Bénévent et l'Apulie byzantine[109].

Ces deux puissances nouvelles, les Toscans et les Normands, joueront un grand rôle dans la lutte que soutiendront les papes du XIIe et du XIIIe siècle, pour la liberté de l'Eglise, contre les empereurs allemands. De la maison de Toscane sortira la comtesse Mathilde ; du peuple normand. Robert Guiscard.

 

 

 



[1] DUCHESNE, les Premiers temps de l'Etat pontifical, p. 368-371.

[2] Les historiens diffèrent dans la désignation de ce pape et des deux suivants qui portèrent le nom de Jean, selon qu'ils comptent ou non Jean XV, fils de Robert, et Jean Philagathe. Ce n'est qu'avec Jean XXI que tous les historiens se retrouvent d'accord. Voir R. POUPARDIN, Note sur la chronologie du pontificat de Jean XVII, dans les Mélanges d'arch. et d'hist. de l'École française de Rome, 1901, t. XXI, p. 387-390.

[3] JAFFÉ, n. 3940.

[4] NOVAES, t. II, p. 209.

[5] JAFFÉ, n. 3941, 3944, 3945, 3948, 3950, 3952, 3956, 3962, 3963, 3965.

[6] HÉFÉLÉ, Hist. des Conciles, t. IV, p. 909-910 ; JAFFÉ, n. 3954, 3955.

[7] BARONIUS, Annales, ann. 1009, I, II.

[8] Liber Pontificalis, t. I. p. 266.

[9] Liber Pontificalis, t. I, p. 267.

[10] Voir le texte de l'épitaphe dans le Liber Pontificalis, t. I, p. 267.

[11] Louis BRÉHIER, l'Eglise et l'Orient au Moyen Age, un vol. in-12, 2e édition, Paris, 1907, p. 35-37. Cf. SCHLUMBERGER, l'Épopée byzantine, t. II, p. 449-444.

[12] Raoul GLABER, Hist., l. III, ch. VII, P. L., t. CXLII, col. 659.

[13] Raoul GLABER, Hist., l. IV, 6, P. L., t. CXLII, col. 680.

[14] Raoul GLABER, Hist., l. III, 7.

[15] L'accusation des chrétiens était-elle fondée dans la circonstance ? Les durs traitements que le calife Hakem fit subir aux juifs, les confondant avec les chrétiens dans la persécution, semblent absoudre les Israélites du crime que le peuple leur avait imputé.

[16] H. LESÈTRE, Saint Henri, un vol. in-12, 2e édit., Paris, 1899, p. 33.

[17] H. LESÈTRE, Saint Henri, p. 42-51.

[18] H. LESÈTRE, Saint Henri, p. 50-51.

[19] H. LESÈTRE, Saint Henri, p. 91-92.

[20] R. GLABER, Hist., I, 5 ; P. L., t. CXLII, col. 626. Cf. THIETMAR, VII, I ; JAFFÉ, n. 4000.

[21] P. L., t. CXL, col. 236-237.

[22] Henri II, dit M. BAYET (Hist. gén. de LAVISSE et RAMBAUD, t. I, p. 560), porte dans l'histoire le surnom de saint, et, de fait, c'est un roi d'Eglise, si l'on entend par là, non point qu'il accepte le gouvernement de l'Eglise, mais qu'il veut au contraire la gouverner et se servir d'elle. Ni le document que nous venons de citer ni l'attitude générale d'Henri II dans les questions de politique religieuse n'autorisent une pareille assertion.

[23] TIETMAR, VII.

[24] LESÈTRE, p. 161 ; A. LUCHAIRE, dans l'Hist. de France de LAVISSE, t. II, 2e partie, p. 137.

[25] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. IV, p. 893 ; MANSI, XIX, 265.

[26] La Paix de Dieu avait pour but de soustraire aux violences certaines catégories de victimes ; la Trêve interdisait la guerre pendant certaines périodes déterminées.

[27] A. LUCHAIRE, Hist. de France de LAVISSE, t. II, 2e partie, p. 134.

[28] A. LUCHAIRE, Hist. de France de LAVISSE, t. II, 2e partie, p. 137.

[29] Ch. PFISTER, Etudes sur le règne de Robert le Pieux, un vol., Paris, 1885, pp. 170-171.

[30] B. POUPARDIN, Le royaume de Bourgogne (888-1038). Etudes sur les origines du royaume d'Arles, un vol. in-8°, Paris, 1907, p 301.

[31] A. LUCHAIRE, op. cit., pp. 134-135.

[32] A. LUCHAIRE, op. cit., pp. 134-135.

[33] Mgr Duchesne dit 1020, mais les arguments donnés par Héfélé, pour maintenir la date de 1018, paraissent concluants (HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. IV, p. 919).

[34] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. IV, p. 919.

[35] MANSI, XIX, 343.

[36] MANSI, XIX, 381.

[37] H. LESÈTRE, Saint Henri, p. 170-171.

[38] H. LESÈTRE, Saint Henri, p. 173.

[39] On a contesté à saint Henri et à sainte Cunégonde l'honneur d'avoir atteint ce sommet où l'homme se rencontre avec l'ange. Les chroniqueurs du XIe siècle, dit-on, n'en parlent pas. Bien plus, dans les actes de la fondation de Bamberg, Henri déclare que n'ayant pas l'espoir d'avoir quelqu'un de sa race pour lui succéder, il choisit le Christ comme héritier. Mais les historiens contemporains du saint auraient-ils pu parler ? Le plus complet de tous, Thietmar, évêque de Mersebourg, mourut six ans avant saint Henri. De l'œuvre d'Adalbold, évêque d'Utrecht, nous ne possédons qu'un fragment. Les autres annalistes de l'époque, fort succincts du reste, ne mentionnent guère que les événements extérieurs. Leur silence sur le point en question s'explique d'autant plus naturellement que saint Henri n'était pas homme à faire parade de sa vertu et à mettre tout venant dans la confidence de sa conduite. Il y avait là ce secret du roi qu'il est bon de cacher, comme parle la sainte Ecriture. La manière dont le prince en fait mention dans l'acte de Bamberg est assez discrète pour ne rien révéler du motif supérieur qui lui avait dicté sa résolution. Mais, par la suite, pour l'édification de l'Eglise, le mystère fut révélé, soit que, comme le veulent quelques récits, Henri s'en soit ouvert à son lit de mort, soit que le dépositaire des secrets de sa conscience ou que sainte Cunégonde elle-même en aient parlé à la gloire du saint. Dès la fin du XIe siècle, Léon, cardinal d'Ostie, consigne le fait dans la Chronique du Mont-Cassin. D'autres écrivains le mentionnent ensuite... Enfin, dans la bulle de canonisation, le pape Eugène III déclare, en 1145, qu'une enquête sérieuse a été faite... et loue Henri II d'avoir sanctifié son mariage par une chasteté conservée intacte jusqu'à la fin de sa vie. (H. LESÈTRE, Saint Henri, pp. 187-188.)

[40] Nous disons : avait travaillé, et non pas : avait réussi. L'ambition de la maison de Saxe avait été trop vaste. L'Empire, au temps de saint Henri, comprenait, en dehors des pays germaniques, la Belgique, les Pays-Bas, presque toute la Suisse, quelques provinces de l'Italie et de la France. Une telle agglomération était essentiellement instable, et l'union même des pays germaniques était destinée à périr.

[41] Raoul GLABER, Hist., III, 1 ; P. L., t. CXLII, col. 649.

[42] Voir J. GUIRAUD, le Consolamentum cathare, dans la Rev. des quest. hist., 1904, LXXXV, p. 112 ; HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. IV, pp. 924-934 ; PFISTER, Etudes sur le règne de Robert le Pieux, pp. 325-331.

[43] HELGAUD, Vita Roberti, P. L., CXLI, 931.

[44] JAFFÉ, I, n. 4059.

[45] DUCHESNE, les Premiers temps de l'Etat pontifical, p. 312.

[46] L'intronisation eut lieu du 24 juin au 15 juillet (JAFFÉ, I, n. 4059).

[47] R. GLABER, Hist., III, 1 ; P. L., t. CXLII, col. 667.

[48] Il s'agit du patriarche Eustathe, qui gouverna l'église de Constantinople de 1019 à 1025.

[49] II Cor., XII, 11.

[50] Marc, VIII, 27.

[51] Raoul GLABER, Hist., IV, 1, P. L., t. CXLII, 671. La lettre de saint Guillaume a été reproduite avec plus de correction, d'après divers manuscrits, par Pertz dans les Monum. Germ., t. VII, p. 66.

[52] BRÉHIER, le Schisme oriental du XIe siècle, Paris, 1899, p. 8-12.

[53] WIPPO, Vita Conradi, P. L., t. CXLII, col. 1235.

[54] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. IV, p. 977.

[55] P. L., t. CXLII, col. 5270.

[56] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t IV, pp. 940-941.

[57] MANSI, XIX, 423-460 ; PFISTER, Études sur le règne de Robert le Pieux, pp. 335-336.

[58] MANSI, XIX, 461-478, 491.

[59] HÉLYOT, Hist. des ordres rel., t. V, p. 236 et s. ; S. Pierre DAMIEN, Vitæ S. Romualdi, P. L., t. CXLIV, col, 953 et s. MABILLON, Annales ord. S. Ben., Paris, 1706-1707, t. III, IV. Revue bénédictine, t. IV, 1887, pp. 356-363.

[60] Léon GAUTIER, la Chevalerie, un vol. in-4°, Paris, 1883, p. 2.

[61] Léon GAUTIER, la Chevalerie, p. 2.

[62] TACITE, Germania, XIII, éd. Lemaire, t. IV, p. 28-29.

[63] L. GAUTIER, la Chevalerie, p. 326.

[64] La chevalerie, dit Léon Gautier, est nettement distincte de la féodalité. La féodalité n'a pas tardé à devenir héréditaire, la chevalerie ne l'a jamais été... La féodalité a cent fois dépouillé l'Eglise, que la chevalerie a défendue cent fois. La féodalité, c'est la force ; la chevalerie, c'est le frein (la Chevalerie, p. 21-22). C'est donc à tort que Montalembert et plusieurs autres historiens ont confondu la chevalerie avec la féodalité.

[65] A. LUCHAIRE, dans l'Hist. de France de LAVISSE, t. II, 2e partie, p. 136.

[66] Depuis quelques années, la vie et les œuvres de ce musicien ont donné lieu à un certain nombre de travaux. Voir Dom Germain MORIN, dans la Revue de l'art chrétien de 1888, p. 133 et s., et dans la Revue des Quest. hist. du 1er avril 1891, p. 547 et s. ; Michel BREVET, dans la Tribune de Saint-Gervais d'avril 1902, p. 126 ; Henri STEIN, dans le Bull. des antiq. de France de 1900, 3e partie, p. 237 ; l'abbé TERRASSE, dans la Rev. du clergé français du 15 avril 1902, p. 439 ; l'abbé VACANDARD, dans la Rev. du clergé français du 15 mai 1902, p. 550 ; Dom VIVELL et A. GASTOUÉ, dans la Tribune de Saint-Gervais de 1910, n. 7 et 8.

[67] Les ouvrages de Guy d'Arezzo sont : Micrologus de disciplina artis musicæ ; Regula rythmicæ ; la lettre au moine Michel De ignoto cantu ; le Tractatus cornetorius, qui est peut-être interpolé ; Quomodo de arithmetica procedit musica ; De modorum formulis, et enfin une révision du tonaire d'Odon le Jeune. Les œuvres de Guy d'Arezzo ont été réimprimées par Migne, P. L., t. CXLI, col. 375-444.

[68] Sur le caractère de cette élection, tous les chroniqueurs contemporains, Raoul Glaber, Bonizo, saint Pierre Damien, l'auteur des Annales romaines, le pape Victor III, sont d'accord. Voir P. L., t. CXLII, col. 679-698 ; t. CXLV, col. 428 ; t. CXLIX, col. 1003 ; M. G., SS., t. V, p. 468 ; t XI, p. 575.

[69] Sur la date de l'élection de Benoît IX, voir JAFFÉ, I, 4107.

[70] P. L., t. CXLII, 698.

[71] P. L., t. CXLII, 697-698.

[72] P. L., t. CXLII, 679.

[73] P. L., t. CXLII, 698.

[74] DARRAS, Hist. générale de l'Église, t. XX, pp. 572-583.

[75] BARONIUS, Annales, ad ann. 1033.

[76] Acta sanct., juin, t. I, p. 97, Voir cette bulle dans P. L., t. CXLI, col. 1362.

[77] JAFFÉ, 4119.

[78] JAFFÉ, 4119.

[79] MABILLON, S. Oddonis elogium, P. L., t. CXLII, col. 885.

[80] HERGENRÖTHER, Hist. de l'Eglise, trad. Belet, t. III, p. 260.

[81] JAFFÉ, n. 4107.

[82] JAFFÉ, n. 4116.

[83] Les données sur l'importance de cette somme varient entre 1.000, 1.500 et 2.000 livres. Voir MURATORI, Scriptores rerum italicam, t. III, p. 345 ; WATTERICH, Vitæ Rom. Pontif., Leipzig, 1862, t. I, p. 70 ; Liber Pontificalis, t. I. p. 270 ; Mon. Germ., SS., t. XX, p. 244.

[84] Bonizo, évêque de Sutri, ajoute au récit de ces faits une histoire étrange. L'effronterie de Benoît IX serait allée jusqu'à vouloir se marier quoique pape et épouser la fille de son cousin le comte Gerhard de Saxe. Mais, le comte ayant exigé la résignation de sa charge, Benoît avait vendu la papauté à Grégoire VI. Le comte Gerhard ayant ensuite refusé de lui donner sa fille, le parti de Tusculum avait de nouveau établi Benoit sur le siège pontifical (BONIZO ou BONITHO, Ad amicum ; JAFFÉ, Monum. Gregoriana, p. 68). Ce récit de Bonizo est très contestable (HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. IV, pp. 983-984).

[85] P. L., t. CXLIV, col. 203.

[86] Divine Comédie, Paradis, c. XXI.

Tra due liti d'Italia surgon sassi...

Tanto, che i tuoni assai suonan piu bassi,

C'est en parlant de saint Pierre Damien lui-même que Dante s'exprime ainsi.

[87] P. L., t. CLXXIX, col. 1183.

[88] G. DE MALMESBURY, P. L., t. CLXXIX, 1183. La participation du moine Hildebrand à cette expédition guerrière, en compagnie de Grégoire VI, devait lui être amèrement reprochée dans la suite par ses ennemis. Voir GUIDO DE FERRARE, De scismate Hildebrandi, M. G., SS., t. XII, p. 169.

[89] Aujourd'hui Santa Maria del Priorato. Sur la fondation de ce monastère, voir M. G., SS., t. XI, p. 536.

[90] Sur la date de la naissance d'Hildebrand, sa famille, sa patrie, son nom, voir O. DELARC, Saint Grégoire VII, 3 vol. in-8°, Paris, 1889, t. I, pp. 393-397.

[91] M. G., SS., t. XI, p. 660.

[92] Saint Pierre DAMIEN, Vita Oddonis, P. L., t. CXLIV, col. 944.

[93] P. BERNRIED, Vita Gregorii VII, dans WATTERICH, Rom. Pontif. vita, t. I, p. 477.

[94] W. MARTENS (Greg. VII, sein Leben und Werken, 3e édit., Leipzig, 1894, t. I) a soutenu qu'Hildebrand ne fut jamais moine. Son argumentation n'a pas convaincu tous les savants. Avec Mgr Duchesne, Dom Leclercq et la plupart des historiens, nous croyons devoir maintenir à Hildebrand la qualification de moine. Voir U. BERLIÈRE, Grégoire VII fut-il moine ? dans la Revue bénédictine, 1893, t. X, pp. 337-341 ; O. DELARC, Hildebrand jusqu'à son cardinalat, dans le Correspondant, 1874, t. LX ; GRISAR, Una memoria di S. Gregorio VII, e del suo stato monastico in Roma, dans la Civittà cattolica, 1895, t. III, pp. 305-210. La profession monastique de Grégoire VII, dit Dom Leclercq, est certaine. (HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. IV, p. 992, note 5.)

[95] BERNRIED, Vita Gregorii VII, dans WATTERICH, Rom. Pontif. vita, t. I, p. 477.

[96] O. DELARC, Saint Grégoire VII, t. I, p. 9.

[97] On aurait tort de donner à ce titre le sens qu'il a aujourd'hui. A. cette époque, Hildebrand n'était pas encore sous-diacre. Le chapelain d'un évêque, capellanus episcopalis, était primitivement le clerc chargé de prendre soin de la chapelle de l'évêque et de l'assister dans les cérémonies ; mais plus tard il prit le rôle d'homme de confiance, de secrétaire particulier. On voit des capellani représenter leur évêque dans les conciles, dans des missions importantes et dans d'autres graves affaires. Voir WETZER et WETTE, Kirchenlexikon, au mot Kaplan. Cf. DU CANGE, au mot capellanus.

[98] JAFFÉ, Ire édition, n. 3136. Nous ne savons pourquoi la seconde édition a omis de mentionner la bulle de Grégoire VI citée en cet endroit.

[99] JAFFÉ, Ire édition, n. 3136.

[100] MANSI, XIX, 621.

[101] James BRYCE, le Saint empire, pp. 195-196 ; HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, IV, 977 et s. ; O. DELARC, Saint Grégoire VII, t. I, p. L-LII. Héfélé et Delarc portent un jugement plus favorable cet à empereur. Nous ne pensons pas que ce jugement soit fondé : Héfélé reconnaît qu'Henri III s'est regardé comme le maitre de l'Eglise, ayant le droit de donner et de reprendre les charges des évêques et du pape (op. cit., p. 978).

[102] C'est l'opinion de STEINDORFF (Iahrb. des deutschen Reichs enter Heinrich III, 1874, t. I, p. 307 et s.) à laquelle se range HÉFÉLÉ, Hist. des Conciles, t. IV, p. 985.

[103] O. DELARC, Saint Grégoire VII, t. I, p. L-LII.

[104] R. GLABER, Hist., V, 5 ; P. L., t. CXLII, col. 697.

[105] JAFFÉ, Monumenta Gregoriana, p. 626 et s. Une vive controverse s'est élevée entre les historiens pour savoir si Grégoire VI avait été déposé au concile de Sutri, ou s'il avait abdiqué. Il semble que le simple récit de Bonizo fournit la solution de la question. Grégoire a abdiqué, comme ont abdiqué, dans le courant des siècles, tant de rois qui ont dû s'incliner devant une insurrection triomphante. C'est pourquoi saint Pierre Damien, qui assistait au concile de Sutri, a pu dire, en allant au fond des choses, que Grégoire fut déposé.

[106] Cf. O. DELARC, Hildebrand jusqu'à son cardinalat, dans le Correspondant de 1874, t. LXXXVI, p. 587. Dans le récit que nous venons de faire des événements qui ont précédé et suivi le concile de Sutri, nous nous sommes écarté de la chronologie suivie par un grand nombre d'historiens, pour nous ranger à celle que Mgr Héfélé a adoptée et qu'il nous parait avoir justifiée dans la seconde édition de son Hist. des conciles, t. IV, pp. 983-990.

[107] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des conciles, t. IV, 991. Cf. MANSI, XIX, 617-627, supplem., t. I, col. 1275-1278.

[108] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Histoire des Conciles, t. IV, 993.

[109] DUCHESNE, les Premiers temps de l'Etat pontifical, p. 386.