HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

TROISIÈME PARTIE. — LE SAINT EMPIRE ROMAIN

CHAPITRE V. — SAINT NICOLAS Ier (858-867).

 

 

Le nouveau Pape, que l'empereur traitait en ami[1], était le fils d'un magistrat et se trouvait allié à la haute aristocratie romaine. Il avait, dit son plus ancien biographe[2], le port noble, les traits pleins de distinction, la parole docte et l'air modeste. Dur à lui-même, il aimait à vivre dans la prière et les jeûnes ; il était généreux envers les pauvres, et les intérêts du peuple trouvaient toujours en lui un ardent défenseur. En lui faisant cortège, de Saint-Pierre au Latran et du Latran à Saint-Pierre, au milieu d'acclamations enthousiastes, le peuple comprit qu'il avait obtenu de la Providence le chef énergique, le père bienfaisant, le saint, dont le monde chrétien avait besoin à cette heure.

Au péril impérial, toujours menaçant, au péril féodal, sans cesse grandissant, était venu se joindre en effet, depuis l'élévation de Photius sur le siège de Constantinople, un péril byzantin d'une gravité toute nouvelle.

Nicolas Ier devait faire face à ces trois dangers.

 

I

Après tant de négociations, couronnées par plusieurs pactes solennels, les situations respectives de la Papauté et de l'empire restaient en fait mal déterminées et prêtaient à des interprétations équivoques. Quand l'empereur tenait si ardemment à confirmer l'élection du Pape, quand le Pape réclamait si vivement le privilège de sacrer l'empereur, ce qui était en question, en définitive, c'était de savoir qui des deux était le vassal de l'autre ; et il semblait bien, sous les derniers Papes, alors que les fonctions de légat et d'apocrisiaire du Saint-Siège étaient exercées par une créature de l'empereur, que le rôle de souverain appartînt à celui-ci.

Dès les premiers jours de son pontificat, Nicolas Ier, par sa seule manière d'agir, sans rien briser, en ménageant toutes formes diplomatiques, prend une attitude indépendante, qui écarte toute idée de vassalité de sa part.

Il semble, dit son dernier historien, que le passé ait laissé une vive impression sur son âme, et qu'en montant sur le trône pontifical, il ait juré 'd'en finir réellement avec l'équivoque dans laquelle on avait vécu jusqu'alors... L'empereur est à Rome... c'est son influence qui a décidé de l'élection. Mais le Liber Pontificalis relève l'attitude supérieure et indépendante prise aussitôt par le Pape. La ville se couronne de fleurs. Le nouveau Pape admet l'empereur dans son intimité, l'invite à dîner, le comble de marques d'affection et l'embrasse comme un fils bien-aimé. Tout le passé semble oublié ; il n'y a plus rien dans cette scène qui rappelle les relations de vassal à suzerain.

Ou plutôt, s'il y a un vassal, c'est l'empereur. Non seulement il va au-devant du Pape, mais il tient son cheval par la bride, la distance d'un trait d'arc, au moment de son arrivée comme à celui de son départ. C'est la première fois depuis Hadrien Ier, qu'un Pape reçoit d'un empereur pareil honneur : toute la noblesse de Rome est présente et elle sait comprendre que ce Pape beau de figure, grand de taille, de mœurs sévères et d'habitudes généreuses vient de prendre le rang qu'il veut occuper dans le monde entier[3].

Ce n'est là pourtant que le geste initial, pour ainsi dire, d'une politique qui aboutira bientôt à des actes plus efficaces.

Lothaire, roi de Lorraine, fils de l'empereur Lothaire Ier et par conséquent neveu de l'empereur Louis le Germanique, avait répudié sa femme Teutberge, fille de Boson, pour épouser Waldrade. Il prétendit, pour justifier sa conduite, que son premier mariage était frappé de nullité par suite de relations incestueuses de Teutberge avec un de ses frères. Rien n'était moins prouvé que cette accusation. Le roi voulait pourtant la faire triompher à tout prix. Lothaire gagne à sa cause une partie de la noblesse franque. Un tribunal composé des grands du royaume condamne, en 859, la reine Teutberge à l'épreuve de l'eau bouillante. Mais cette épreuve lui est favorable[4]. Lothaire parvient alors à séduire par des promesses deux évêques, Gunther de Cologne et Tietgand de Trèves, qui corrompent à leur tour plusieurs de leurs collègues. En 860, une assemblée épiscopale, réunie à Aix-la-Chapelle, arrache à la malheureuse reine l'aveu de son prétendu crime et la condamne à la réclusion dans un monastère. Mais bientôt Teutberge réussit à s'échapper, rétracte son aveu, dénonce les manœuvres de pression qu'on a exercées sur elle et en appelle au Pape. Un bon nombre d'évêques indépendants s'honore en blâmant les procédés d'intimidation abusivement employés contre la reine. Hincmar de Reims, dont on connaît l'attachement à la dynastie nationale, a le courage de porter la question devant l'opinion publique par la publication de son livre De divortio Lotharii, où il prend la défense de la reine Teutberge et déclare hautement qu'en une affaire de cette nature rien ne peut être décidé sans l'assentiment de l'Église romaine, mère et maîtresse de toutes les églises[5]. Le Pape en effet envoie deux légats, qui prennent part au concile national, réuni à Metz par Lothaire pour trancher la question. La tactique de pression gouvernementale, qui a fait plier presque tous jusqu'ici, a raison des légats eux-mêmes. Ils font cause commune avec les évêques. Le jugement prononcé à Aix-la-Chapelle est confirmé. La cause de la morale publique semble perdue.

On avait compté sans l'énergie du Pape Nicolas. Le Souverain Pontife évoque la cause à son tribunal et réunit un concile à Rome, qui casse les décisions de celui de Metz. Les évêques de Cologne et de Trèves, Gunther et Tietgand, sont évêques déposés. Ni les instances de Lothaire, à qui l'ardeur d'une passion coupable inspire les supplications les plus pressantes, ni l'arrivée à Rome d'une armée que l'empereur Louis commande en personne et qui bloque la ville, n'ébranlent l'inflexibilité du Pontife. Lothaire renvoie Waldrade et reprend son épouse légitime.

Mais, hélas ! bientôt c'est la malheureuse Teutberge elle-même qui, abreuvée d'injures et de mauvais traitements pat son époux, demande au Pape de prononcer la rupture d'un lien qu'elle juge insupportable. Nicolas se souvient que ce n'est pas pour la tranquillité d'une reine, mais pour la sauvegarde d'un principe supérieur de justice, qu'il a pris la défense du lien conjugal de Lothaire. Il ne cédera pas. Jusqu'à sa dernière heure, il combattra. Il mourra dans la lutte. Et après sa mort, Lothaire viendra faire amende honorable au Mont-Cassin.

Dans l'affaire du divorce de Lothaire, le Pape avait eu pour lui la partie la plus saine de l'épiscopat, notamment l'illustre Hincmar de Reims, la gloire de son siècle : c'est contre ce grand évêque qu'il va avoir à lutter dans l'affaire de Rothade.

En 861, dans un concile provincial, l'archevêque de Reims avait suspendu de ses fonctions l'évêque de Soissons, Rothade, fait son suffragant, coupable d'avoir déposé injustement un prêtre et mal géré les biens de l'Église. Rothade en appelle à Rome. Nicolas Ier, malgré une défense très habile et très savante d'Hincmar, malgré l'appui prêté à l'archevêque de Reims par Charles le Chauve, non seulement oblige Hincmar à réintégrer Rothade, mais le force à proclamer qu'un évêque ne peut jamais être déposé sans l'assentiment du Saint-Siège. En rédigeant dans ses Annales le récit de cet incident, Hincmar ne peut se défendre d'un ressentiment plein d'amertume[6]. Mais une fois de plus la cause de la Papauté et de la justice a triomphé.

On a parfois appelé Hincmar de Reims le père du gallicanisme et le Bossuet du ixe siècle. Ne pourrait-on pas considérer l'issue de ces deux affaires du divorce de Lothaire et du procès de Rothade, comme la victoire de la Papauté sur les deux premières manifestations du gallicanisme ? Ne reconnaît-on pas le gallicanisme césarien dans l'affaire du divorce royal, le gallicanisme épiscopal dans le procès de l'évêque de Soissons ?

Plus près du Pape, en Italie, les seigneurs féodaux laïques et parfois les seigneurs féodaux ecclésiastiques profitaient de l'anarchie pour terroriser le pays, se battre les uns contre les autre et rançonner les pauvres gens. Le plus redoutable de tous était ce Jean, archevêque de Ravenne, qui avait plutôt les allures d'un guerrier que celles d'un prélat. Il s'emparait suivant son caprice des biens des clercs et des laïques, dépouillait les bénéficiaires de leurs titres, déposait les ecclésiastiques sans aucune forme de procès, faisait main basse sur les biens du Saint-Siège, refusait obstinément de se rendre aux conciles et narguait l'autorité du Pape en se vantant de l'appui de l'empereur. Nicolas n'hésite pas à se mesurer avec ce potentat. Sur un refus réitéré de celui-ci de se rendre à un synode, le Pape lance contre lui l'excommunication majeure. Le Liber Pontificalis nous a laissé de la ville de Ravenne, au lendemain du décret pontifical, un tableau qui nous montre quelle était alors l'autorité morale du Souverain Pontife et le respect des peines spirituelles infligées par le Saint-Siège. Chacun s'écarte de l'excommunié et lui ferme sa porte ; ses fournisseurs lui refusent leurs services ; d'aussi loin qu'on l'aperçoit, dans une rue ou sur une place, escorté des gens de sa suite, on s'écrie : Voici les excommuniés[7]. Jean recourt alors à l'empereur qui l'invite d'abord à s'incliner devant le Pontife, à qui l'Église entière obéit. Louis II consent pourtant, sur les instances de Jean, à intercéder pour lui auprès du Pape. Mais c'est en vain. Jean feint alors de se soumettre. Vil et rampant, comme tous ceux en qui l'ambition a étouffé la conscience, il fait, en des termes d'une exagération calculée, une soumission que le Souverain Pontife daigne accepter. Mais on apprend bientôt que rien n'a été changé dans le gouvernement de Ravenne. De nombreux groupes de Ravennates opprimés viennent porter leurs doléances à Rome. C'est alors que Nicolas prend une décision énergique. Il se rend en personne à Ravenne, et là, usant de ce droit de directe et immédiate intervention que l'Église a toujours reconnu aux Papes sur les divers diocèses, il écoute les plaintes des laïques et des clercs, juge en dernier ressort les causes portées devant lui, ordonne la restitution des biens volés, change le personnel administratif là où il le juge utile, bref, commande en maître dans Ravenne. Accablé par ce coup d'audace, Jean se soumet encore une fois. Mais il paraît bien que cette seconde soumission ne fut pas plus sincère que la première. La déposition solennelle de Jean de Ravenne par le concile de Latran eut seule raison de son obstination.

 

II

En même temps qu'il faisait trembler les indignes princes de l'Église, saint Nicolas devenait de plus en plus cher aux fidèles. Le peuple, comprenant que l'amour de la justice était la seule inspiration des jugements du Pontife, accourait de partout pour lui exposer ses griefs ou pour lui demander une direction. Saint Nicolas fut un grand justicier, comme saint Grégoire le Grand et saint Louis.

Mais il semblait dit que ce saint Pape verrait se dresser devant lui toutes les grandes puissances du monde. De récents travaux sur l'empire byzantin ont montré comment, à mesure que l'empire carolingien se désagrégeait, celui de Constantinople brillait d'un nouvel éclat. Quand, en 856, après la pacification de la querelle iconoclaste par la grande impératrice Théodora, Michel l'Ivrogne, son fils indigne, lui succéda sur le trône, une véritable renaissance politique, littéraire et artistique donnait à l'empire byzantin comme un élan nouveau. Tandis que les politiques rêvaient, à la faveur de la décadence occidentale, de ressaisir l'empire du monde, les lettrés prétendaient restaurer la haute culture de l'hellénisme antique. Le César Bardas, frère de Théodora, se fit le protecteur des études savantes. Platoniciens et aristotéliciens se livraient d'ardents combats. Le plus brillant, le plus actif des habitués de ces joutes littéraires était, à l'avènement de Michel III, un jeune diplomate de 39 ans qui s'appelait Photius. Fils d'un officier de la garde impériale, petit neveu du patriarche saint Taraise, allié à la famille de l'empereur par un de ses oncles qui avait épousé la sœur de Théodora et de Bardas, Photius jouissait par sa famille et par ses relations d'une influence considérable. Mais il était beaucoup plus fier du prestige que lui donnait sa science. Les ouvrages qui nous restent de lui, cette prodigieuse Bibliothèque des dix mille livres, comme il l'appelait, analyse sommaire, générale et critique de tous les ouvrages qu'il lisait, sorte de journal littéraire qui a servi de modèle à bien des savants et qui n'a jamais été dépassé, nous donne une idée de l'étendue de ses connaissances, de la puissance de son travail et de la pénétration de son esprit. Les circonstances l'engagèrent dans la politique. Les infinies ressources que devait y déployer son intelligence souple et tenace ont pu faire dire que la politique et l'ambition avaient été les grands ressorts de son existence. Il ne parait pas qu'il en soit ainsi. Photius est l'homme qui se considère avant tout comme le savant infaillible, l'esprit supérieur, dont l'admiration s'impose à tous. On peut croire qu'il a été sincère lorsqu'il a dit n'avoir jamais ambitionné le patriarcat. La grande passion de son âme est un besoin d'être estimé et admiré, mais pour ses qualités personnelles, et non pour l'éclat qui lui peut venir du dehors. Il est si convaincu qu'il honore le siège patriarcal, bien plus que le siège patriarcal ne l'honore ! Si cet homme a menti impudemment, s'il a falsifié les textes, s'il a fait entrer l'hypocrisie dans ses moyens d'action, c'est plus pour justifier tous ses actes et toutes ses idées, pour éviter une humiliation à son amour-propre, pour ne pas perdre une parcelle de l'admiration qu'il juge lui être due, que pour gravir un échelon dans la carrière des honneurs : incommensurable et irréductible orgueil de l'esprit, qui n'opère pas moins de ravages dans une âme, ni de troubles dans les sociétés, que les folies de la passion sensuelle ou les âpres convoitises de l'ambition[8] !

L'homme vraiment perdu de mœurs, le vulgaire ambitieux, ce n'est pas l'eunuque Photius, c'est le César Bardas. Intelligent, mais sceptique, doué de vraies qualités d'homme d'État, mais vindicatif, haineux, et poussant la débauche jusqu'au cynisme, il se donne pour mission de corrompre son royal neveu. La cour de Constantinople devient le théâtre d'orgies impossibles à décrire[9]. Bardas, élevé par Michel aux plus hautes dignités, affiche publiquement ses relations incestueuses avec sa belle-fille. Le jour de l'Épiphanie de l'année 857, le patriarche de Constantinople, saint Ignace, nouveau Jean-Baptiste, lui reproche son crime, et lui refuse, suivant les règles de l'Église, la sainte communion. La vengeance de Bardas éclate. Il arrache au jeune empereur un décret d'exil contre l'impératrice mère Théodora, qu'il accuse d'être de connivence avec le courageux patriarche, obtient la relégation de saint Ignace dans une île de la Propontide et fait désigner, pour prendre sa place, Photius. Celui-ci a toujours protesté qu'il avait fait tout au monde pour se dérober à cette dignité. Comblé d'honneurs, protospathaire, c'est-à-dire officier supérieur dans la garde, conseiller intime de l'empereur, universellement honoré pour sa science, Photius savait en outre, en sa qualité de canoniste exercé, que son élection à un siège non légalement vacant serait frappée de nullité. Les démarches faites auprès d'Ignace pour obtenir de lui sa démission se heurtaient à un refus obstiné. Finalement Photius consentit. Il était simple laïque, il est vrai ; mais on avait déjà vu plusieurs fois des laïques élevés par les empereurs au siège patriarcal[10]. Le successeur désigné d'Ignace fut tonsuré le 20 décembre 857 et reçut, les jours suivants, successivement tous les ordres. L'avant-veille de Noël, il fut officiellement élu patriarche par un conciliabule tenu dans le palais impérial. On trouva, pour le sacrer, le jour de Noël, un évêque interdit qui s'appelait Grégoire Asbesta. Fils de l'ancien empereur Léon l'Arménien, ce Grégoire Asbesta faisait plutôt remarquer en sa personne la hautaine fierté du grand seigneur que l'humilité de l'apôtre. Archevêque de Syracuse, il avait abandonné son poste à la suite des invasions des Sarrasins. Retiré à Constantinople, il fut froissé de voir Ignace lui interdire de coopérer à son sacre. En pleine église de Sainte-Sophie, on l'avait vu jeter violemment à terre, par dépit, le cierge qu'il tenait à la main. A partir de ce moment, Grégoire Asbesta ne fit plus que conspirer. Chef d'un petit clan de mécontents, dont Photius faisait partie[11], il n'avait plus cessé de faire opposition au gouvernement du saint patriarche ; d'où son interdiction ab officio par le pape Benoît III[12]. Le prélat révolté profita d'une occasion nouvelle qui s'offrait à lui, de se venger de son ancien patriarche en consacrant l'usurpateur.

Une fois sacré, Photius, s'il est vrai qu'il eût accepté sa nouvelle dignité à son corps défendant, changea complètement de tactique. Nul homme n'a soutenu ses prérogatives avec plus d'acharnement, nul n'a poursuivi ses desseins avec plus d'hypocrisie et un plus grand mépris de la probité et de la justice.

La majorité des évêques, si l'on en croit Métrophane[13], se déclara d'abord contre le nouvel élu. Les droits d'Ignace étaient trop évidents pour qu'il n'en fut pas ainsi. Mais par toutes sortes de moyens on les gagna l'un après l'autre. Cinq opposants luttaient encore. Photius désarma leur opposition en proclamant et en déclarant par écrit qu'il tenait Ignace pour le plus irréprochable des hommes, et qu'il ne ferait jamais rien contre lui. La première assertion était une hypocrisie, la seconde était une équivoque, laissant entendre que Photius reconnaissait les droits d'Ignace et ne se considérait que comme un coadjuteur soumis. Ignace, en effet, par amour de la paix, venait de dire qu'il consentirait à s'incliner devant la force, si on lui donnait un coadjuteur régulièrement nommé[14]. Cette équivoque peut seule expliquer le grand scandale d'un épiscopat tout entier se rangeant, à un moment donné, autour de l'usurpateur.

Mais, enivré par son triomphe, Photius viole sa parole. Il prononce la déposition d'Ignace. L'épiscopat grec se scinde alors en deux partis. Tous les moines suivent le parti fidèle à Ignace ; et le saint évêque fait entendre le cri qui doit mettre fin à toute querelle dans l'Église : J'en appelle au Pape, Ad Papam provoco ![15] L'habile Photius ne veut pas rester en retard. L'appel au Pape ! il l'adresse à son tour dans une lettre chaleureuse, chef-d'œuvre d'hypocrisie, où, après une profession de la plus pure foi catholique, il emprunte à saint Grégoire le Grand les expressions les plus pathétiques pour déplorer sa propre indignité et se jette aux pieds du Pontife de Rome en lui demandant ses prières. Photius est peut-être le plus irrésistible charmeur d'hommes qui ait paru dans l'histoire. Il le sait. Il a pu se vanter que ses amis l'aient aimé plus que leurs parents[16]. Un saint comme Cyrille, l'apôtre des Slaves, pour avoir été son élève et avoir subi la captivante influence de sa parole, ne se déprendra jamais d'une vive sympathie personnelle pour cet homme, dont il déplore les erreurs. Photius connaît sa force. Ce qu'il a obtenu de l'épiscopat grec, ne pourrait-il pas l'obtenir du Pape lui-même ? Tandis qu'une ambassade, envoyée au nom de l'empereur et au nom du patriarche, part pour Rome, chargée de riches présents, Michel III informe mensongèrement le Souverain Pontife que le malheureux Ignace, sous le coup de vagues soupçons qui pèsent sur lui, s'est retiré dans un couvent. Bref, on laisse entrevoir au Pape que de terribles divisions, contrecoups de la querelle iconoclaste, sont sur le point d'éclater à Constantinople, qu'un concile y sera nécessaire, qu'il est urgent d'y envoyer deux légats. La machination est savamment ourdie. S'il est impossible de circonvenir le Pape, on saura bien, pense-t-on, gagner ses deux représentants.

L'avisé Pontife, on le voit bien dans sa réponse, ne sait pas encore, du premier coup, démêler ce qu'il y a de vrai et ce qu'il y a de faux dans ces lettres habilement imprécises. Il loue Photius de son orthodoxie, mais il lui reproche d'avoir violé les canons, et il envoie à Constantinople deux évêques spécialement chargés de s'informer de l'affaire d'Ignace, dont il se réserve la solution[17].

La grande affaire pour Photius était maintenant de corrompre les légats, Rodoald de Porto et Zacharie d'Anagni. Il y parvint, mais non sans peine. Présents, ruses, menaces, tout fut mis en œuvre ; les deux évêques résistaient à tout. L'hypocrisie et les sophismes eurent enfin raison de leur fermeté. Au printemps de 861 ils étaient passés au camp de l'usurpateur. Les présents de l'empereur et du César Bardas couronnèrent leur défection. Ces lâches serviteurs du Saint-Siège allèrent jusqu'à permettre la falsification de la lettre du Pape dont ils étaient porteurs. Photius se hâte alors de réunir un concile de trois cent dix-huit évêques, qu'il induit en erreur en leur faisant donner lecture des lettres falsifiées de Nicolas. Celui-ci est censé approuver la déposition d'Ignace et l'élection de Photius. Dans ce concile, que l'empereur comparera au premier concile de Nicée, Photius est déclaré patriarche légitime, et Ignace est condamné comme ayant violé les canons de l'Église. Des mesures sévères y sont édictées contre les moines, qui sont restés les plus fidèles soutiens du légitime patriarche. En même temps qu'il tente ainsi de paralyser l'activité de ses plus redoutables adversaires en Orient, l'astucieux Photius cherche à nouer des relations avec les évêques d'Occident censurés par le Pape Nicolas. Quelques moines de Sicile, gagnés à sa cause, parcourent l'Europe. Un écrit injurieux pour le Souverain Pontife circule à Rome en 865. C'est comme un siège en règle contre la Papauté, habilement mené par l'inépuisable et malfaisant génie de Photius.

Mais le grand Pape, averti de ce qui s'est passé au prétendu concile de 861, a déjà saisi l'empereur, le faux patriarche et l'épiscopat d'Orient de sa protestation indignée. Dans une première lettre, adressée en 862 à tous les évêques et métropolites d'Orient, Nicolas Ier rétablit la vérité des faits, condamne fa déposition d'Ignace et l'intrusion de Photius[18]. Dans une lettre à Photius, il se plaint de la falsification de ses écrits et maintient les droits de sa primauté[19]. Dans une troisième lettre, adressée à l'empereur, il déclare refuser toute confirmation de ce qui s'est fait en Orient, jusqu'à ce que la vérité ait pu se faire jour[20].

La tactique de ruse, de fourberie et de faux avait échoué. Restait la violence et l'injure. On y eut recours. Michel l'Ivrogne écrit au Pape une lettre insolente dans laquelle, tantôt railleur, il accuse l'évêque de Rome de parler un langage barbare et scythique, et tantôt menaçante il jure de raser jusqu'au sol la Ville Éternelle.

Pas plus que la perfidie, la violence ne peut faire fléchir l'intrépide Pontife. La réponse de saint Nicolas Ier à l'empereur Michel l'Ivrogne est un chef-d'œuvre[21]. Dans une première partie, le Pape se prononce avec fermeté sur l'affaire pendante : il déclare que le jugement de l'empereur est absolument incompétent en ce qui concerne les affaires intérieures de l'Église. Qu'on lui expédie à Rome les pièces du dossier, qu'on les soumette à une procédure régulière, et un tribunal indépendant se prononcera. Puis sa pensée s'élève à des considérations de la plus grave éloquence : Ne vous étendez pas en menaces contre nous, ô empereur, dit-il, car, avec l'aide de Dieu, nous ne les craignons pas... Considérez plutôt ce que vous avez à faire. Pensez aux temps passés, songez à l'éternité. Examinez ce que sont devenus les empereurs qui ont persécuté l'Église de Dieu et surtout l'Église romaine Voyez Néron, Dioclétien : Combien leurs noms sont exécrables parmi les chrétiens ! Voyez au contraire Constantin, Théodose le Grand, Valentinien. Avec quel respect leur souvenir est rappelé dans nos saints mystères ! Le devoir incombe aux souverains, dit-il de ne pas s'ingérer dans les affaires intérieures de l'Église et de la protéger dans la libre expansion de son autorité spirituelle, et de ce devoir le grand Pape donne deux raisons : premièrement, l'Église est indépendante dans son domaine ; depuis Jésus-Christ, l'Église et l'État, ayant chacun leur office propre, ne doivent pas empiéter l'un sur l'autre : à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ; en second lieu, l'Église n'est-elle pas une source de paix pour l'État ?...

Saint Nicolas ne se faisait sans doute pas illusion sur le résultat immédiat de cette missive. On n'en tint aucun compte à Byzance. L'année suivante, en 866, Nicolas profita d'une légation qu'il envoyait en Bulgarie, pour la charger de lettres pressantes écrites à l'empereur, à l'impératrice et à plusieurs grands personnages de l'empire. Photius empêcha les légats de passer la frontière et les renvoya brutalement à Rome, chargés de leurs lettres[22].

Un peu plus tard, l'usurpateur alla jusqu'à faire proclamer la déposition du pape Nicolas par une assemblée d'évêques orientaux. Mais son triomphe fut de courte durée. Ce pseudo-concile est de 867. Cette même année, au mois de septembre, le chambellan Basile, qui avait fait assassiner en 806, sous les yeux de l'empereur, le César Bardas, faisait mettre à mort l'empereur lui-même et, s'emparant de son trône, inaugurait une politique nouvelle. Photius eut beau se rallier publiquement à l'assassin de son bienfaiteur Bardas[23], il fut disgracié et relégué dans un couvent, tandis qu'Ignace était réinstallé le 26 novembre 867 sur le siège de Constantinople.

Saint Nicolas Ier était mort treize jours auparavant, sans avoir eu connaissance de cette victoire du droit[24]. Le rôle de ce grand Pontife paraît d'ailleurs avoir été moins de triompher des ennemis de l'Église, que de proclamer, au lendemain d'une époque pleine de troubles et à la veille d'une période plus tourmentée encore, les droits imprescriptibles de la Papauté. C'est cette doctrine de Nicolas ter qu'il nous reste à esquisser, pour donner la vraie physionomie de son pontificat.

 

III

Saint Nicolas n'a pas exposé dans un traité spécial sa conception du Pouvoir pontifical au Moyen Age. Mais en parcourant son bullaire et sa correspondance on se convainc bientôt que cette conception est la plus complète que nous puissions rencontrer de saint Grégoire le Grand à Boniface VIII. Ce qui caractérise ses vues, c'est qu'elles émanent d'un esprit dont les tendances pratiques se trouvent harmonieusement complétées par les aptitudes philosophiques. Il expose la plupart du temps ses idées à propos d'une affaire particulière, mais il cherche toujours à les rattacher à un grand principe de religion ou de gouvernement.

Les théologiens et les canonistes ramènent généralement à trois les prérogatives qui constituent la primauté pontificale : ce sont la primauté du sacerdoce, la primauté de l'enseignement doctrinal et la primauté du gouvernement, ou, pour employer les expressions classiques, la primauté dans le ministère, dans le magistère et dans le pouvoir disciplinaire (in ministerio, magisterio et imperio).

Saint Nicolas a affirmé ces trois pouvoirs avec la plus grande précision.

En face de Photius et des évêques orientaux, comme en présence de l'épiscopat d'Occident, il proclame la suprématie de son ministère sacerdotal avec une force et une clarté sans égales : Le Pape tient la place de Jésus-Christ dans l'Église universelle, écrit-il ; la Providence divine l'a mis à la tête de l'Église universelle et a fait de son apostolat comme la pierre angulaire de l'Église ; l'Église romaine est la mère de toutes les églises[25].

Quant à la primauté dans l'enseignement doctrinal, qui a soulevé de son temps plus de difficultés, il l'affirme, sinon avec plus d'énergie, au moins avec plus d'insistance. Dans toutes les controverses qui agitent l'Église à son époque, il invoque son droit d'intervention suprême. Dans la querelle des images, que quelques-uns veulent raviver, il rappelle avec autorité les décisions de ses prédécesseurs. Dans celle de la prédestination, il ordonne au moine Gottescalc et à Hincmar de Reims de comparaître devant les légats du Saint-Siège ; pour les difficultés que soulèvent les écrits de Scot Erigène, il réclame le droit de les vérifier et de les juger[26].

C'est dans l'exercice de sa primauté de gouvernement qu'il rencontre les plus grands obstacles. On sait que dans l'Église les trois branches de l'autorité gouvernementale, le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif ont des organes distincts, mais se rattachant tous au Chef suprême, qui les possède dans leur source et dans leur plénitude. Saint Nicolas s'affirme comme le législateur, non pas unique, mais suprême de l'Église. Il revendique, devant les chefs de l'État comme devant les évêques, le pouvoir de faire et de promulguer des lois obligeant toute la chrétienté[27].

Comme juge suprême des causes ecclésiastiques, saint Nicolas affirme les trois principes suivants : 1° dans toute cause ecclésiastique, chaque intéressé a le droit d'en appeler au Pape, et le Pape a toujours la faculté d'évoquer l'affaire à son tribunal, qu'il s'agisse de procès jugés devant des tribunaux séculiers ou devant des tribunaux ecclésiastiques, par des évêques ou par des métropolitains, par des primats ou par des patriarches ; c'est l'application de l'ancien principe : le Pape juge tout le monde et n'est jugé par personne ; 2° les causes des évêques, comme causes majeures, peuvent être jugées à Rome par le Pape, même en première instance ; 3° les décisions des conciles généraux eux-mêmes, qu'il s'agisse de condamner une personne ou de censurer une doctrine, n'ont aucune valeur sans l'assentiment du Pape[28].

Saint Nicolas édicte des règlements sur l'organisation des tribunaux, les droits respectifs des juges, des accusateurs, des témoins et de l'accusé, la marche de la procédure, la publicité des audiences, la valeur des preuves et le droit d'appel[29].

Chef du pouvoir exécutif, saint Nicolas, tout en favorisant la tendance à l'adoucissement des peines, maintient son droit d'ordonner des pénitences canoniques[30]. On voit sous son pontificat persister l'usage, si hautement désapprouvé plus tard par saint Louis, de faire exécuter les sentences ecclésiastiques par le pouvoir civil. Cet usage devait devenir une loi civile, deux ans après la mort de saint Nicolas, en vertu d'un capitulaire de Charles le Chauve (869)[31]. Le saint Pape cherche d'ailleurs à adoucir ces pénitences. Une lettre de Nicolas Ier à Rodolphe, évêque de Bourges, en 861, contient ces lignes : Les pénitents qui retournent au service des armes agissent contre les règles ; mais, puisque vous témoignez que cette défense en pousse quelques-uns au désespoir et les autres à se réfugier chez les païens, nous vous laissons la liberté de faire, à cet égard, ce qui vous paraîtra le plus convenable suivant les circonstances particulières[32]. Il écrivait trois ans plus tard, en 867, à la veille de sa mort, à un autre évêque, à propos d'un parricide condamné à la pénitence publique : Si sa vie, si son repentir plein de larmes aboutissent à de vraies œuvres de bien, que votre sollicitude se montre humaine et douce à son égard[33]. De telles indications, de tels encouragements donnés aux évêques, devaient peu à peu aboutir à faire compenser la pénitence publique par des aumônes, des prières, des mortifications et des pèlerinages, puis à la faire disparaître complètement[34].

Un des monuments les plus précieux de l'œuvre législative, judiciaire et administrative de Nicolas Ier, est le recueil de décisions publié sous le titre de Réponses aux Bulgares. Le roi Boris, nouvellement converti, s'était adressé au pape Nicolas, pour mettre sa législation en rapport avec les lois et les traditions de l'Église. La réponse du Souverain Pontife touche aux questions les plus variées[35]. On y trouve, par exemple, l'énumération des fêtes qu'on doit chômer, des indications précises sur la manière d'observer le jeûne, l'aumône et le repos du dimanche. Le Pape insiste encore sur la liberté absolue qui doit être laissée aux jeunes gens, soit pour entrer dans un monastère, soit pour s'établir dans l'état du mariage. Il y rappelle que le mariage est indissoluble. Il défend l'union conjugale entre tous parents, à quelque degré que ce soit, du moment que la parenté est constatée[36]. Cependant, en un autre endroit, il fixe au septième degré la prohibition du mariage pour cause de parenté ; preuve évidente que le droit n'était pas encore bien fixé sur ce point. L'aveu d'un homme accusé d'un crime doit être libre, dit le Pape ; c'est une injustice de le soumettre à la question, qui ne produit qu'une confession forcée et qui souvent porte même un pauvre malheureux à se déclarer coupable, quoique innocent. Il n'y a ni loi humaine ni loi divine, dit-il, qui puisse permettre une telle pratique[37].

On ne s'étonne pas de voir un Pontife si plein de sollicitude pour les malheureux, professer pour les pauvres un amour de prédilection. Il avait fait dresser, dit son biographe, une liste de tous les aveugles, boiteux, paralytiques auxquels leurs infirmités ne permettaient point de se rendre aux divers établissements où se faisait la distribution des vivres et des aumônes. Des personnes désignées par le Pape leur portaient des secours à domicile[38]... La pieuse attention du Pontife s'étendait sur toutes les églises de l'univers, protégeant partout les faibles, défendant les opprimés, soulageant toutes les munit de misères. La ville d'Ostie ne semblait pas assez fortifiée ; on pouvait craindre quelque surprise de la part des Sarrasins ; le grand Pape la munit de fortifications et d'engins de guerre ; en sorte que la cité devint pour toute la contrée voisine un refuge assuré contre toutes les attaques ennemies[39].

 

IV

Saint Nicolas Ier n'oublia pas, au milieu des préoccupations politiques de son pontificat, de protéger les progrès des sciences et des arts. Il est certain, dit un historien allemand[40], que Nicolas conserva cet amour pour les arts et la science, qu'il tenait de son père. Comme en Grèce, on s'occupait sous son règne à enluminer et à orner de peintures d'or les magnifiques exemplaires des Saintes Écritures. On peut citer un abbé du Mont-Cassin, Berthaire, qui a laissé des ouvrages sur l'Ancien et le Nouveau Testament, sur la grammaire et la médecine. Saint Berthaire, né, dit-on, de race royale, mourut martyr, tué par les Sarrasins, en 884. Il fut une des lumières de son siècle, mais nous avons peu de détails sur sa vie. Plus illustres furent Hincmar de Reims, Ratramne de Corbie, Paschase Radbert et Scot Erigène. Saint Paschase Radbert précéda de deux années saint Nicolas dans la tombe. Hincmar, Ratramne et Scot Erigène lui survécurent quelque temps. Par eux la Renaissance carolingienne se raviva.

Nous avons déjà rencontré Hincmar de Reims. D'abord Hincmar de moine de Saint-Denis, puis élu archevêque de Reims en 844, il fut pendant près de quarante ans comme l'arbitre intellectuel de l'Église de France. On l'a comparé à Bossuet. Moins grand par le génie, il se fait, comme l'évêque de Meaux, le défenseur perpétuel de la tradition. La défense infatigable de la tradition sous toutes ses formes, est peut-être ce qui caractérise le mieux toute la vie et toute l'œuvre d'Hincmar. Qu'il découvre dans la doctrine d'un moine allemand, Gottescalc, une doctrine empreinte d'un esprit de nouveauté, il poursuivra la doctrine et l'homme avec une ardeur parfois excessive, mais toujours sincère. Placé sur le siège de Reims, qui conserve le souvenir de l'onction royale de Clovis par saint Remi et du couronnement de Pépin et de Charlemagne par deux Papes, il voudra perpétuer les traditions de son siège épiscopal en se faisant en quelque sorte le tuteur de la royauté franque. Ainsi s'explique-t-on qu'il soit tantôt, en face du Pape, le défenseur de l'Église de France groupée autour de son roi, tantôt, en face du roi, le pasteur chargé de lui adresser des admonestations salutaires au nom de l'Église. Il écrit à Louis III : L'empereur Louis n'a pas tant vécu que son père Charles ; Charlemagne votre aïeul n'a pas vécu autant d'années que son père ; votre père a moins vécu que votre aïeul ; quand vous serez dans l'état où votre père et votre aïeul ont été à Compiègne, inclinez vos yeux vers la place où est couché votre père. Vous et les vôtres disparaîtrez bientôt ; et la sainte Église, avec ses chefs, continuera d'exister sous le gouvernement du Christ, conformément à sa promesse. C'est par amour de la tradition qu'Hincmar défend la pénitence publique, en dépit des mœurs qui l'abandonnent, et cherche à justifier les ordalies contre saint Agobard de Lyon, qui maudit ces épreuves sanguinaires comme étant la contradiction vivante de l'Évangile. C'est sans doute encore par un culte mal entendu de la tradition qu'Hincmar fait valoir contre le Pape les prétendus droits des évêques métropolitains ; mais c'est par un zèle louable en faveur des coutumes traditionnelles de l'Église qu'il réagit contre la décadence de la vie ecclésiastique. Il nous reste cinq capitulaires de l'archevêque de Reims. Ils ont ceci de particulier, qu'ils ont été promulgués après enquêtes et réunions de synodes. Hincmar passe à bon droit pour être l'auteur ou du moins le premier promulgateur des lois synodales en France[41].

Le renouvellement des études, la réforme des mœurs, la décence du culte, tels sont les objets principaux des règlements synodaux de l'archevêque de Reims, et son esprit éminemment pratique entre dans de tels détails, qu'il serait possible, à l'aide de ces règlements, de reconstituer la vie journalière d'un prêtre à cette époque.

Chaque matin, après les Laudes, les prêtres, qui vivent ordinairement sous la conduite d'un ancien, font chanter dans l'église les heures de Prime, de Tierce, de Sexte et de None. Ils célèbrent ensuite la sainte messe, puis s'en vont vaquer aux travaux des champs. Ils restent à jeun jusqu'à l'heure du repas qu'ils prennent au milieu du jour. Cette heure varie suivant les saisons. Ce jeûne est nécessaire, dit Hincmar, afin que le prêtre soit en état de secourir les malades, les pèlerins qui passent et d'enterrer les morts. Nous savons en effet, par des capitulaires antérieurs, que le prêtre devait être à jeun pour accomplir la plupart de ses fonctions, notamment pour administrer le baptême. Cette règle se relâchait cependant peu à peu à cette époque.

Les prêtres se réunissaient aux calendes de chaque mois pour conférer entre eux. C'est l'apparition de la coutume des conférences ecclésiastiques. Hincmar veille à ce que ces réunions ne deviennent pas l'occasion de repas, où l'on viderait trop de coupes en l'honneur des anges et des saints. Il se préoccupe davantage des repas célébrés à l'occasion de l'anniversaire d'un défunt, où l'on représentait parfois des spectacles bouffons, avec un ours, des danseurs, et des figures de démons appelés talamasques. De grandes difficultés surgissaient à propos des églises qui avaient été bâties sur les terres des seigneurs. Ceux-ci avaient le droit d'élection. Il en résultait des abus, contre lesquels Hincmar proteste avec force. Les prêtres seront surveillés par leurs doyens, les doyens par les archidiacres, ceux-ci par les évêques, et les évêques par leur métropolitain.

Hincmar, mort en 382, n'est ni un philosophe, ni un grand écrivain Son style est diffus, et sa méthode théologique consiste surtout à rattacher un certain nombre de notions à des textes patristiques. Mais, malgré ses défauts et ses erreurs, Hincmar est justement considéré comme une des gloires de l'Église de France.

Tout autre est son célèbre adversaire, Ratramne de Corbie. Esprit vif et aventureux, prompt à embrasser les opinions nouvelles, sa vaste érudition et l'élégance de son style lui valent l'amitié des hommes les plus célèbres, de Loup de Ferrières, d'Odon de Beauvais et d'Hildegaire de Meaux. On sait peu de choses sur sa vie. Toujours en lutte contre Hincmar, à qui il reproche d'accepter sans critique toutes les vieilles traditions[42], il abuse, dit-on, de son crédit à la cour de Charles le Chauve pour y discréditer l'archevêque de Reims. Mais cette attitude, si elle a vraiment été la sienne, ne paraît pas avoir détruit la confiance qu'on avait en lui. En 868, peu de temps avant sa mort, le pape saint Nicolas avait demandé à tous les évêques de France et même de l'Occident, de rédiger une réponse à Photius, qui, dans un manifeste adressé aux Bulgares en 866, puis dans les actes du pseudo-concile de Constantinople en 867, avait habilement résumé tous ses griefs contre l'Église romaine. Ratramne, simple moine, est, désigné pour prendre la parole au nom de l'Occident. Son ouvrage, divisé en quatre livres, est remarquable de verve, d'érudition et de dialectique. Il ne passe sous silence aucune des neuf accusations portées contre l'Église romaine par Photius ; mais il s'attache avant tout au dogme de la procession du Saint-Esprit par le Père et par le Fils, qu'il démontre dans les trois premiers livres. Il défend ensuite le célibat des prêtres, l'insertion du Filioque dans le Symbole et la primauté de l'évêque de Rome. 11 termine ainsi : Nous avons répondu comme nous avons pu à ce que vous nous avez écrit. Si vous en êtes content, rendons grâces à Dieu ; si cela vous déplaît, j'attends votre critique[43]. Photius ne put relever le défi. Au moment où paraissait l'œuvre de Ratramne, il était exilé dans un couvent par Basile le Macédonien. Ratramne ne survécut lui-même que peu de temps à la publication de son ouvrage, et mourut la même année (868)[44].

Ratramne avait voulu rester simple moine pour pouvoir se livrer plus complètement à la science et à la piété. Son abbé, Paschase Radbert, s'était démis de sa charge en 851 pour la même raison. Dans la célèbre abbaye de Corbie, où, sous la direction de saint Adalard et de Wala son frère, s'étaient rencontrés Ratramne, le savant moine, Anschaire, l'apôtre des Scandinaves, Warin, l'abbé de la Nouvelle-Corbie, Hildemann et Odon de Beauvais, une ardeur égale enflammait alors les moines pour la science et pour l'apostolat. Théologien précis et pénétrant, écrivain sobre, clair, mais sans envolée, Paschase Radbert est peut-être l'homme qui représente le plus exactement la science théologique de son temps, science faite encore de compilations, de récapitulations et de soudures, qui s'appuie surtout sur l'autorité de l'Écriture et des Pères, sans grand élan pour l'invention et pour la philosophie, mais où l'esprit interrogateur s'éveille parfois et poursuit avec avidité des problèmes pratiques. Les commentaires de saint Paschase Radbert sur saint Mathieu et sur le prophète Jérémie, ses traités Du corps et du sang de Jésus-Christ et De l'enfantement de la Vierge, ses biographies de saint Adalard et de Wall, sont marqués au coin d'un esprit solide, érudit et plein d'onction.

Un seul homme, au IXe siècle, ouvre la voie aux spéculations métaphysiques, et il le fait avec une impétuosité et une hardiesse qui déconcertent les esprits de son temps et le conduisent lui-même sur les confins de l'hérésie : c'est Scot Érigène. Ce génie solitaire, qui ne fonde aucune école, construit un système dont la puissante originalité étonne encore aujourd'hui les penseurs.

Le début et la fin de la vie de Scot Ériugène ou Érigène sont pleins de mystères. Venu d'Écosse ou d'Irlande, reçu avec faveur à la cour de Charles le Chauve, auprès de ce prince instruit de bonne heure par une mère dont l'érudition étonne les évêques, à côté de ce Franc énergique et d'une imagination byzantine, qui se plaît aux subtiles discussions de la théologie comme aux dessins des manuscrits enluminés de pourpre et d'or[45], le génie spéculatif, subtil et mystique de Scot Érigène se déploie librement. Il traduit du grec les œuvres du Pseudo-Denis l'Aréopagite ; et cette traduction du profond philosophe néo-platonicien du Ve siècle[46], excite les inquiétudes du Pape saint Nicolas, qui réclame le contrôle de l'ouvrage, et qui n'ose pourtant sévir. Elle provoque l'étonnement des hommes les plus éminents de l'époque : Comment, dit le savant Anastase, un homme né sur les confins du monde, a-t-il pu si bien comprendre le sens de ce livre, autrement que par une inspiration de l'Esprit-Saint ?[47] Dans son ouvrage capital De divisione nature, Scot expose un gigantesque système, d'allure panthéiste, qui a pu le faire regarder par les uns comme le père de l'anti-scolastique[48], par les autres comme le précurseur de la philosophie allemande[49], par d'autres enfin comme l'initiateur du mysticisme orthodoxe au Moyen Age[50]. Il y a un moyen sûr d'arriver à Dieu, dit Scot Erigène[51], c'est d'étudier notre pensée. Considérons notre âme, cherchons-y pieusement le Dieu suprême ; et, plein de bonté, Il nous sourira. L'Église condamna le De divisione nature. Une légende fait mourir Scot dans un âge très avancé, en 877, assassiné par ses propres élèves. De là l'insertion de son nom dans quelques martyrologes[52].

 

V

Hincmar, Ratramne, Paschase Radbert et Scot Erigène devaient se trouver en conflit dans deux grandes querelles, par lesquelles on peut mesurer le progrès de la pensée théologique, de Charlemagne à Charles le Chauve : la querelle sur la présence réelle et la querelle sur la prédestination.

La controverse sur la présence réelle n'est autre chose que la transposition au Moyen Age d'un conflit qui avait divisé dans l'antiquité la pensée chrétienne en deux courants au sujet de l'Eucharistie : le courant ambrosien et le courant augustinien. Comment le corps et le sang de Jésus-Christ sont-ils présents dans le sacrement ? D'une présence réelle, avait dit saint Ambroise, sans nier les conditions spéciales de cette réalité ; d'une présence spirituelle, avait dit saint Augustin, qui tenait seulement à repousser une interprétation capharnaïte trop grossière, sans nier la réalité du corps et du sang de Jésus-Christ. Or, Paschase Radbert compose en 831 et publie en 844, avec une épître dédicatoire à Charles le Chauve, un traité Du corps et du sang du Seigneur, où suivant le courant ambrosien, il semble, dans sa dialectique de barbare moins nuancée que celle du docteur milanais, peut-être aussi avec un esprit plus naïvement curieux, dépasser son maître. Ce qui est présent dans l'Eucharistie, dit-il, c'est vraiment le corps et le sang qui sont nés de la Vierge, c'est la chair qui a été suspendue au bois de la croix, c'est le sang qui a coulé du côté du Christ[53]. Ce qui manque à cette chair et à ce sang, c'est seulement l'apparence visible et tangible[54]. Cette chair et ce sang sont vraiment en contact avec nos entrailles, sont notre vrai aliment, comme disent les textes liturgiques[55]. Et quand on lui demande ce que devient cet aliment dans notre corps, Paschase, sans aller jusqu'à la théorie grossière des stercoranistes, écarte la question plutôt qu'il ne la résoud[56].

Cette doctrine soulève aussitôt les contradictions les plus vives. Le savant Raban Maur, moine du monastère du Fulda, futur archevêque de Mayence, ne pouvant accepter que le corps du Christ puisse être digéré, va jusqu'à nier qu'il soit le même qui est né de la Vierge Marie[57]. Scot Erigène va jusqu'à dire que l'Eucharistie n'est qu'une figure[58].

Le traité de Ratramne, De corpore et sanguine Domine, est dédié, comme celui de Paschase Radbert, à Charles le Chauve., qui encourage la controverse. Pour Ratramne, le pain et le vin ne subissent pas la moindre mutation. Ils demeurent ce qu'ils étaient. Ce sont eux et eux seuls qu'on digère et qui nourrissent[59]. Quant au corps et au sang de Jésus-Christ, ils surviennent et ils persistent en substance, mais spiritaliter, tandis que le pain et le vin y subsistent corporaliter. Ratramne invoque des textes de saint Augustin, qu'il interprète avec une logique trop étroite. Et il en vient à admettre que ce corps impalpable et invisible n'est pas le corps historique du Christ ; qu'autre chose est ce qu'on voit et autre chose ce qu'on croit.

C'est alors un nouveau scandale. Eh quoi ! s'écrie le défenseur de la tradition, le savant Hincmar, dont la spéculation n'est pas le fort, mais qui tient à conserver toute la doctrine traditionnelle, celle de saint Ambroise  comme celle de saint Augustin, sans bien voir comment ces deux doctrines s'accordent ; eh quoi ! si ce qu'on voit n'est pas ce qu'on croit, ce qu'on voit n'est donc qu'une figure, qu'un souvenir commémoratif du corps et du sang, et non plus le sang et le corps du Christ ![60]

Finalement les esprits se rangèrent du côté de Paschase Radbert, mais la langue théologique n'avait pas atteint sa perfection. Plus tard, une doctrine plus achevée de la transsubstantiation, la distinction de l'identité quoad essentiam et de l'identité quoad speciem, l'admission d'une présence sacramentelle, qui tient le milieu entre la présence simplement naturelle et la présence purement symbolique, — sans expliquer un mystère qui reste au-dessus de toute compréhension humaine, — feront disparaître les scandales provoqués par les affirmations trop téméraires d'une théologie à ses débuts.

Pendant que la controverse eucharistique préoccupait les esprits, un débat plus passionnant encore se poursuivait au milieu de péripéties tragiques.

Vers le milieu du IXe siècle, le bruit se répandit qu'un moine saxon, à la parole enflammée, jetait le trouble dans diverses contrées de l'Allemagne et de l'Italie, ne craignant pas de soulever devant le peuple les problèmes les plus redoutables de la prédestination, du libre arbitre et de la grâce, et les résolvant par les affirmations les plus désespérantes. Nous savons, écrivait le savant abbé de Fulda, Raban Maur, au comte de Vérone, Hébérard, nous savons qu'un certain demi-savant (sciolum), du nom de Gottescalc, s'est arrêté chez vous et y dogmatise, soutenant que la prédestination divine est tellement nécessitante, que celui-là même qui veut être sauvé et qui travaille par une foi droite et par ses bonnes œuvres à obtenir la vie éternelle avec l'aide de la grâce de Dieu, perd son temps et sa peine, si Dieu ne l'a pas prédestiné à la vie : comme si Dieu pouvait prédestiner des hommes à la mort éternelle, lui qui est l'auteur de notre salut et non de notre perte ![61]

Les protestants et les jansénistes ont invoqué Gottescalc Caractère da comme un ancêtre. Jansénius, Guizot, Ampère et Michelet cette doctrine l'ont représenté comme un martyr, victime de l'inflexible rigueur d'Hincmar de Reims[62]. Parmi les catholiques, tandis que les Bénédictins de saint Maur[63], le cardinal Noris[64] et le savant théologien Berti[65], prétendent disculper le célèbre moine de toute erreur consciente, d'autres théologiens et critiques, tels que Sirmond[66], Petau[67], Noël Alexandre[68] et Tournely[69], s'efforcent de démontrer qu'il a réellement professé l'hérésie prédestinatienne.

Il faut bien reconnaître que les doctrines et la vie de Gottescalc ne sont pas sans analogie avec celles de Luther. Fils du comte saxon Bernon, voué dès son enfance à la vie monastique dans l'abbaye de Fulda, Gottescalc, devenu homme, supporte avec peine le joug du monastère, qu'il n'avait peut-être pas reçu par vocation. Il attaque et fait annuler ses vœux par le concile de Mayence en 829. Mais son abbé Raban Maur le contraint, avec l'appui de Louis le Débonnaire, à demeurer moine[70], en le faisant seulement changer de couvent. Il se retire en France, clans l'abbaye d'Orbais, au diocèse de Soissons. Ardent à l'étude, il s'adonne alors à la lecture des œuvres de saint Augustin, et recueille, dans les traités polémiques du saint Docteur contre le pélagianisme, les affirmations les plus rigides sur la faiblesse de l'homme et de son libre arbitre, sur l'efficacité toute puissante de la grâce et de la prédestination divine. Dans un pèlerinage à Rome, qu'il obtient de faire en 817, il prêche le peuple sur son chemin, cherche à gagner des disciples à sa sombre doctrine, et sollicite l'appui du comte Hébérard.

C'est alors que Raban Maur, son ancien abbé, fait condamner Gottescalc en 818 par un concile de Mayence, qui le renvoie devant Hincmar, archevêque de Reims, son métropolitain. Une occasion se présentait à l'ardent défenseur de la juridiction métropolitaine d'en exercer les droits dans toute leur plénitude. Un concile se réunit en 819 à Kiersy-sur-Oise, déclare le moine d'Orbais hérétique, incorrigible, et le condamne à être fustigé publiquement, suivant la règle de saint Benoît[71]. Mais la sanction dont le saint patriarche n'avait voulu faire qu'une correction paternelle, est appliquée, paraît-il, avec la dernière brutalité. Suivant la relation de saint Remi, archevêque de Lyon, on ne cesse de frapper le moine hérétique que lorsque, à demi-mort, il consent à jeter de sa propre main ses écrits dans les flammes. Le moine demande alors que l'épreuve du feu décide de la querelle entre Hincmar et lui. C'était l'ordalie la plus solennelle. On élevait deux bûchers dont les flammes se touchaient presque. L'accusé et son accusateur devaient, l'hostie en main, traverser l'étroit sentier qui séparait les bûchers.

La demande de Gottescalc est repoussée. Mais la rigueur excessive de la répression et surtout la crainte de voir envelopper, dans la condamnation du moine infortuné, la doctrine de saint Augustin, engagent alors plusieurs puissants personnages à prendre la plume contre l'archevêque de Reims. De ce nombre sont Servat Loup, abbé de Ferrières, saint Prudence, évêque de Troyes, et surtout Ratramne, moine de Corbie. Hincmar, plus familier avec les règles canoniques qu'avec les notions de la théologie dogmatique, avait effectivement, pour combattre les doctrines de Gottescalc, commis plusieurs erreurs. Il avait eu de plus l'imprudence de prendre comme défenseur de l'orthodoxie un allié fort subtil, mais compromettant, Scot Érigène. Celui-ci réfutait le prédestinianisme de Gottescalc d'une étrange façon. Comment Dieu, disait-il, peut-il prédestiner un homme au péché et au mal, puisque le péché et le mal n'existent pas ? Simples négations de l'être, comment peuvent-ils être les résultats de la volonté de Dieu ? La seule cause du péché, c'est la liberté déficiente de l'homme et son seul châtiment, c'est le remords.

Un concile de Valence, tenu en 855, se prononça contre les thèses erronées d'Hincmar de Reims et contre ce qu'on appela le salmigondis écossais, pultes Scotorum, de Scot Érigène.

La question religieuse allait avoir désormais son retentissement dans la politique. La cause qu'un concile du Nord et du ressort de Charles le Chauve avait approuvée, un concile du Midi, et de la dépendance de Lothaire, la condamnait. En face d'Hincmar, le métropolitain de Reims, se dressait Remi, le métropolitain de Lyon. Dans un grand concile national franc, réuni à Savonnières, près de Toul, et auquel assistèrent les trois rois de France, de Lorraine et de Provence, en 859, on essaya, conformément aux désirs du Pape saint Nicolas, de ménager un accord. Les esprits étaient encore très agités. On se contenta de renvoyer la solution à des temps plus tranquilles.

Plus tard, en effet, la théologie scolastique devait résoudre, autant qu'il est possible à l'humaine raison, les questions brûlantes soulevées par l'imprudent moine d'Orbais. Dieu a-t-il prédestiné certains hommes à la damnation ? Non, devait répondre une théologie mieux informée, si l'on entend parler d'un décret divin absolu ; oui, si l'on parle d'un décret conséquent à la prévision du péché ? S'il faut en croire le P. Petau, cette distinction n'était pas éloignée de la pensée intime de Gottescalc[72]. Il eut le tort de la soutenir avec des accents de désobéissance et de révolte. Il mourut, inflexible, en 868 ou 869, sans avoir jamais voulu se rétracter, dans les prisons du monastère d'Hautvillers, au diocèse de Reims, nourrissant  jusqu'à ses derniers moments une haine violente contre Hincmar et raillant avec une ironie amère les inexactitudes échappées à sa plume de théologien peu profond.

Quand, en 867, le pape saint Nicolas reprochait à Hincmar sa cruauté, peut-être faisait-il allusion, non seulement à certains procédés employés contre Rothade, mais aussi à sa conduite envers Gottescalc. Ainsi, au-dessus des agitations politiques et des controverses doctrinales, l'âme du saint Papeete cessait de planer dans les sereines régions de la justice impartiale. Entre saint Grégoire le Grand, qui a posé les bases de la Chrétienté du Moyen Age, et saint Grégoire VII, qui en a couronné l'édifice, il n'y a pas, dans l'histoire des Papes, de plus grande figure que celle de saint Nicolas Ier, qui a donné ses lois.au monde nouveau.

 

APPENDICE. — LES FAUSSES DÉCRÉTALES.

Suivant certains historiens, le pape saint Nicolas aurait eu, dans son œuvre législative, le double tort de changer de fond en comble la constitution de l'Église et de s'appuyer, pour exécuter son dessein, sur un faux, expressément composé clans l'intérêt de la Papauté. Nul n'a soutenu cette opinion avec plus d'érudition et d'éclat que le fameux auteur du pamphlet Rome et le Concile, paru en 1869 sous le pseudonyme de Janus. Vers le milieu du IXe siècle, dit-il[73], vint à surgir la monstrueuse fabrication des Décrétales d'Isidore. Cette fourberie amena lentement la transformation complète de la constitution et du gouvernement de l'Église... Le Pape Nicolas Ier s'empara avec avidité de ces prétendues décrétales, et les fit servir de base, comme documents authentiques, aux nouvelles prétentions élevées par lui et ses successeurs.

C'est la célèbre question des Fausses Décrétales. On appelle ainsi un recueil de droit ecclésiastique prétendant donner les décrets des conciles et les Décrétales des Papes des sept premiers siècles. Le Moyen Age, à partir du IXe siècle, a cru généralement à l'authenticité de cette collection et l'a attribuée à saint Isidore de Séville. Cependant, dès le XIIe siècle, Pierre Comestor, Etienne de Tournai et Godefroid de Viterbe émirent des doutes à ce sujet. Le caractère apocryphe du recueil est aujourd'hui démontré sans contestation possible. Mais on peut établir : 1° que les Fausses Décrétales n'ont rien innové en matière de droit pontifical, 2° que les Papes ont été étrangers à leur composition et que le seul tort de saint Nicolas Ier, si c'en est un, a été de se servir quelquefois, pour défendre ses droits traditionnels, d'expressions empruntées à la nouvelle collection.

I. Il serait facile de montrer d'abord que saint Nicolas et les Papes du IXe siècle n'avaient nul besoin de recourir à l'aide du Pseudo-Isidore pour établir leurs droits de souveraineté soit sur la hiérarchie ecclésiastique, soit, en matière spirituelle, sur la société civile, soit, dans le domaine temporel, sur l'État pontifical romain. Leur droit de juger en dernier ressort toutes les causes ecclésiastiques et de n'être jugé par personne était de tradition immémoriale dans l'Église : les Papes l'avaient affirmé, les évêques l'avaient reconnu, et les princes l'avaient proclamé. Innocent Ier et Léon Ier avaient réclamé le droit de juger les causes majeures, suivant l'ancienne coutume[74]. L'évêque patriarche saint Cyrille d'Alexandrie[75], saint Avit de Vienne[76], le synode de la Palme à propos du Pape Symmaque et l'assemblée épiscopale tenue à Rome sous le Pape Léon III, avaient hautement constaté le droit de juridiction suprême de l'évêque de Rome. Les empereurs Gratien et Valentinien en avaient accepté le principe[77], et Charlemagne avait inséré dans ses capitulaires cet ancien canon : le Souverain Pontife ne sera jugé par personne[78]. La suprématie du Pape sur les princes en matière spirituelle était en droit admis par tous. Charlemagne s'appelle le défenseur dévoué et l'humble auxiliaire de la sainte Église[79]. Celui qu'on appelle le père du gallicanisme, Hincmar de Reims, écrit[80] : Dieu a voulu que les rois chrétiens eussent besoin des Pontifes pour la vie éternelle, et que les Pontifes se servissent des empereurs pour la vie temporelle. Nous avons suffisamment établi plus haut les antiques origines du droit du Pape sur son domaine temporel pour n'être plus obligé d'y revenir ici.

II. L'opinion autrefois embrassée par Theiner et Eichorn, que les Fausses Décrétales avaient été composées à Rome, est aujourd'hui universellement abandonnée. C'est clans l'empire franc qu'on en cherche l'origine. On l'a placée d'abord à Mayence, où Benoit Lévite composait en ce moment même les Faux Capitulaires, un monument juridique qui a été pour la législation civile ce qu'ont été les Fausses Décrétales pour la législation ecclésiastique ; puis aux environs de Reims, où l'on supposait que les procès de Rothade de Soissons, d'Ebbon de Reims ou d'Hincmar le Jeune de Laon, en auraient suggéré l'idée. Mais les travaux récents de M. Paul Fournier semblent avoir éliminé ces deux suppositions. Il y a entre les Fausses Décrétales et certaines pièces apocryphes certainement composées au Mans vers le milieu du ixe siècle, des rapports si étroits, que le savant auteur n'hésite pas à les attribuer au même faussaire. Quel est ce faussaire ? On a écrit, mais avec hésitation, le nom d'un diacre Léobald. Il est possible, dit Mœhler[81], que cet homme si puissant ait vécu inconnu et solitaire... Il fut à coup sûr un homme de grand savoir, le plus savant peut-être de ses contemporains, un esprit pénétrant, sagace et initié à un degré rare à l'esprit et aux besoins de son temps. Sauvegarder l'indépendance des évêques contre les empiètements de la puissance temporelle, soustraire aux tribunaux laïques la connaissance des causes ecclésiastiques, réagir contre les droits exorbitants que s'attribuaient certains métropolitains, augmenter la force et la cohésion intérieure des églises, éliminer les chorévèques, dont la juridiction vague, indéterminée, contestée, était une source de troubles, empêcher surtout la spoliation des évêques, dont la destitution, obtenue par une procédure arbitraire, était le prélude, et, pour assurer tous ces résultats, grouper fortement toute la hiérarchie autour du Pape : tel fut le but poursuivi par le grand érudit, le clairvoyant politique que fut l'auteur des Fausses Décrétales. Il ne fabriqua point les matériaux qu'il mit en œuvre : il les emprunta à des documents authentiques. Il crut seulement que la raison d'État, ou, si l'on peut dire, la raison d'Église, lui conférait le droit de rehausser l'autorité de ces documents en leur donnant une antiquité qu'ils n'avaient pas. Il les fit remonter aux Papes des premiers siècles, comme on faisait alors remonter aux premiers siècles l'origine de tel ou tel monument, de telle ou telle légende, quand on voulait rendre plus vénérables les traditions d'une église. Est-il besoin de dire que la conscience chrétienne, tout en faisant la part des mœurs barbares de cette époque, ne saurait approuver de pareils procédés ?

Ils n'étaient d'ailleurs pas nécessaires. La critique place la composition des Fausses Décrétales à une époque antérieure au pontificat de saint Nicolas. Or, le grand Pape n'a jamais eu besoin de s'appuyer sur la collection nouvelle pour faire prévaloir ses droits. Jamais, dit le P. de Smedt, Nicolas Ier ne s'est avisé de recommander la collection pseudo-isidorienne ou de lui emprunter la moindre citation. Bien plus, écrivant à Hincmar en 863, il mentionne les Papes dont les constitutions doivent servir de règle dans les jugements des évêques. Or, le plus ancien dans cette liste est saint Sirice, dont les lettres sont parfaitement authentiques. Voici qui peut sembler plus remarquable encore. Dans bon nombre de lettres écrites postérieurement à la restitution de Rothade, et par conséquent lorsqu'il devait avoir certainement entre les mains le recueil complet du faux Isidore, Nicolas Ier cite des phrases qui se lisent à peu près textuellement dans ce recueil, mais toujours en les attribuant à leurs véritables auteurs et non aux Papes beaucoup plus anciens sous le nom desquels les avait publiées le faussaire[82]... Pourquoi, dira-t-on, se contenter de ce silence, fort significatif sans doute, mais complètement inefficace pour empêcher le succès de l'imposture ? Pourquoi ne pas faire un pas de plus, en protestant solennellement contre l'abus fait des noms vénérables des premiers Papes et en livrant le faussaire au mépris du monde chrétien ? Ce n'est pas un érudit sérieux qui fera cette question. La réponse est d'ailleurs bien simple. Nicolas Ier vivait dans la seconde moitié du IXe siècle, et il ne pouvait venir à l'idée d'un homme de ce temps d'entreprendre, à propos d'une publication telle que celle des Fausses Décrétales, le travail auquel on ne manquerait pas de se livrer à l'époque actuelle et qui eut eu pour résultat la constatation irrécusable de la fraude. On aurait mauvaise grâce à reprocher à saint Nicolas et à ses successeurs de n'avoir pas fait ce à quoi n'ont pas même songé Hincmar et Gerbert, qui avaient sans contredit tout autrement de ressources et de loisirs pour cette œuvre critique. (P. de Smedt, Les Fausse Décrétales, l'épiscopat franc et la Cour de Rome, 1870). En résumé, suivant M. Paul Fournier, le recueil du Pseudo-Isidore a pu aider chez les Francs le mouvement de concentration autour du siège de Rome[83] ; il n'a pas été un élément utilisé par Nicolas Ier pour l'accélérer, moins encore pour le justifier. L'influence littérale des Fausses Décrétales sur Nicolas Ier est incontestable : mais il n'est pas prouvé qu'elles aient exercé une influence sur ses idées. Jusqu'au XIe siècle, les Papes, quoiqu'ils n'aient pas répudié l'œuvre d'Isidore, ont observé à l'égard de la célèbre compilation une réserve extrême : Ce n'est qu'à partir de la fin du XIe siècle, que celle-ci, répandue dans toute l'Europe, devient un véhicule commode pour plusieurs des idées maîtresses sur lesquelles est fondée l'œuvre entreprise à cette époque par la Papauté (Étude sur les Fausses Décrétales, Revue d'hist. ecclésiastique, 15 janvier 1907, p. 56). M. Ferdinand Lot, dans la Revue historique, de juillet-août 1907, croit que les Fausses Décrétales sont d'origine rémoise et pourraient avoir pour auteur Wulfrad, le plus savant des clercs déposés par Hincmar. M. A. Villien, dans le Dictionnaire de Théologie catholique de Vacant, au mot Fausses Décrétales, pense que le débat paraît bien circonscrit entre la province de Reims et celle de Tours, et qu'il est impossible actuellement de faire, en faveur de l'une des deux opinions, une démonstration qui exclue toute probabilité pour l'autre.

 

 

 



[1] Le Liber Pontificalis raconte que l'empereur, après la cérémonie de la consécration, mangea avec lui, et qu'ils s'embrassèrent avec une grande affection, t. II, p. 152.

[2] Liber Pontificalis, II, 162.

[3] Jules ROY, Saint Nicolas Ier, p. 11-13.

[4] L'épreuve de l'eau bouillante consistait à plonger le doigt, ou la main, ou le bras dans une chaudière d'eau chaude, pour en retirer une bague ou tout autre objet qu'on y avait jeté. On pouvait faire subir l'épreuve par un autre. Ce fut le cas de Teutberge, qui trouva un répondant. Ces épreuves, que Charlemagne recommandait pour mettre fin aux guerres et aux querelles, dont Hincmar se fit le champion, mais qu'Arobart attaqua vigoureusement, furent nettement condamnées par les Papes au XIIe siècle. VACANDARD, L'Église et les Ordalies, dans Études de critique et d'hist. rel., p. 191-215.

[5] P. L., CXXV, 623.

[6] Annales de Saint-Bertin, ann. 865, p. 144.

[7] Liber Pontificalis, II, 156.

[8] Cette psychologie de Photius, un peu différente de celle qu'on lui attribue ordinairement, semble résulter de l'étude minutieuse faite sur sa vie et ses écrits par le P. Lapôtre. Voir L'Europe et le Saint Siège à l'époque carolingienne, p. 65-66.

[9] L'abbé Rohrbacher y a fait allusion dans la première édition de son Histoire de l'Église. On a dû effacer le passage dans les éditions suivantes.

[10] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, V, 440.

[11] MANSI, XV, 415.

[12] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, V, 442.

[13] MÉTROPHANE, dans MANSI, XVI, 415. Métrophane, évêque de Smyrne et contemporain de Photius, est connu par un fragment d'ouvrage sur la Trinité et par une lettre importante sur les événements de son temps.

[14] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, V, 444.

[15] Cf. WOUTERS, t. II, Dissert. XXVIII, p. 235.

[16] P. G., CII, 601.

[17] Saint Nicolas appelle ces évêques des légats a latere. C'est la première fois que cette expression se rencontre. On appelle encore aujourd'hui légat a latere un légat choisi dans l'entourage du Pape, a latere Pontificis, un légat cardinal. Le cardinal Caprara, en 1801, fut légat a latere. JAFFÉ, 2681, 2682, 2683.

[18] JAFFÉ, 2690. P. L., CIX, 783.

[19] JAFFÉ, 2691. P. L., CIX, 785.

[20] JAFFÉ, 2582. P. L., CIX, 790.

[21] P. L., CIX, 926 et s.

[22] Ces lettres sont conservées. Elles portent la date du 13 novembre 866. JAFFÉ, 2813, 2821.

[23] HERGENRÖTHER, Hist. de l'Eglise, III, 393.

[24] Le rédacteur de la notice sur saint Nicolas Ier insérée au Liber Pontificalis, probablement Anastase le bibliothécaire, n'a pas encore une connaissance certaine de la réintégration d'Ignace. Il le mentionne comme un bruit, sicut fama se habuit. Liber Pontificalis, II, 165 et 180, note 80.

[25] P. L., CIX, 813. Cf. col. 785, 821, 865, 909, 915.

[26] P. L., CIX, 786, 1019, 1119.

[27] P. L., CIX, 828.

[28] P. L., CIX, 882, 947. Cf. 821-822.

[29] Pour les détails, voir Jules ROY, Saint Nicolas Ier, p. 101 et s.

[30] Jules ROY, Saint Nicolas Ier, p. 112 et s.

[31] BALUZE, II, 213. Un grand nombre de capitulaires antérieurs ont trait à l'exécution de la pénitence publique sous la contrainte du pouvoir civil, par exemple le capitulaire de 822, ap. BALUZE, I, 629. L'innovation du capitulaire de Charles le Chauve consiste à donner à l'Église le droit de requérir le pouvoir civil.

[32] P. L., CIX, 884.

[33] P. L., CIX, 1129.

[34] GOSSELIN, P. S. S., Pouvoir des Papes au Moyen Age, 2e édition, p. 404 et s.

[35] P. L., CIX, 978 et s.

[36] P. L., CIX, 994.

[37] P. L., CIX, 1010.

[38] Liber Pontificalis, II, 161.

[39] Liber Pontificalis, II, 184.

[40] BAXMANN, Die Politik der Papste von Gregor I bis Gregor VII, p. 3.

[41] Abbé VIDIEU, Hincmar de Reims, Paris, 1875, p. 167 et s.

[42] Par exemple la tradition de la Sainte Ampoule, de Reims, dont il est fait mention pour la première fois dans les écrits d'Hincmar.

[43] P. L., CXXI. 346.

[44] Histoire littéraire, V, 332 et s.

[45] Saint-René TAILLANDIER, Scot Érigène, p. 48-49.

[46] Le Pseudo-Denis n'a pu paraitre que vers 500.

[47] USSERIUS, Antiquitates rerum britannicarum, p. 45.

[48] DE WULF, Histoire de la philosophie médiévale, p. 182.

[49] Die Lehre vom göttlichen Ebenbilde im Menschen. Tübinger Quarialschrift, 1830 ; cité par Saint-René TAILLANDIER, Scot Érigène, p. 269.

[50] Staudenmayer, professeur de théologie à l'université catholique de Fribourg-en-Brisgau, Scot Erigena und die Wissenschaft seiner Zeit.

[51] De divisione nature, l. II, ch. XXIV. P. L., CXXII, 579.

[52] Perpétuité de la foi, l. XII. Saint-René TAILLANDIER, Scot Érigène, p. 47.

[53] Ici Paschase Radbert invoque un texte qu'il croit de saint Augustin et qu'une critique mieux informée attribue à un inconnu bien postérieur. Cf. BATIFFOL, Etudes de théologie positive, 2e série, 3e édition, p. 367.

[54] De corp. et sang., XIII, 2. P. L., CXX, 1315.

[55] P. L., LXXII, 215. P. L., LV, 86.

[56] De corp. et sang., I, 1 et 3. P. L., CXX, 1267, 1275.

[57] Epistola ad Heberardum. P. L., CXII, 1554.

[58] D'après un ouvrage perdu cité par BÉRANGER, De sacra causa adversus Lanfrancum. BATIFFOL, Etudes de théologie positive, p. 347.

[59] De corp. et sang, 14. P. L., CXXI, 133.

[60] HINCMAR, De prœdestinatione, c. XXXI.

[61] P. L., CXII, 1554.

[62] GUIZOT, Histoire de la civilisation en France, II, 549.

[63] Histoire littéraire, tomes V et VI, passim, et surtout dans la Notice sur Hincmar, V, 544 et s.

[64] Historia Gotteschalci.

[65] De theologicis discplinis, l. VI, c. XIV, prop. 3.

[66] Hist. prœdestinatiana, cap XI.

[67] De incarnatione, lib. XIII, cap. IX.

[68] Dissertat. V, sec. IX.

[69] De gratia, I, p. 244 et s.

[70] Histoire littéraire, V, 352.

[71] Regula S. Benedicti, art. 28. Édition de Solesmes, p. 101.

[72] PETAU, De Incarnatione, lib. XIII, c. IX, n° 9.

[73] JANUS (Dœllinger), Le Pape et le Concile, trad. Giraud Teuton. Paris, 1869, p. 106-107.

[74] Sicut beata consuetudo exigit. HARDUIN, I, 1000.

[75] MANSI, IV, 1012.

[76] P. L., LIX, 248.

[77] HARDUIN, I, 843.

[78] LABBE, I, 1535.

[79] BALUZE, I, 475.

[80] HINCMAR, De potestate regia et pontificia, cap. L.

[81] MŒHLER, Histoire de l'Eglise, t. II p. i56,

[82] Les Fausses Décrétales ont pourtant fourni à saint Nicolas des expressions, des métaphores, qu'on trouve dans sa correspondance. M. Fournier en cite des exemples. Revue d'Hist. ecclés., 1907, p. 24-25.

[83] Si l'influence des Fausses Décrétales à Rome n'est pas démontrée, leur influence dans le monde franc est incontestable. Les textes du Pseudo-Isidore sont cités par Hincmar de Reims, Hincmar de Laon, les Conciles de Marey, Cologne, Mayence, Metz, etc. Cf. A. VILLIEN, Dict. de Théologie, au mot Fausses Décrétales.