HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

TROISIÈME PARTIE. — LE SAINT EMPIRE ROMAIN

CHAPITRE PREMIER. — LA FORMATION DE L'ÉTAT PONTIFICAL (741-757).

 

 

La tâche imposée aux Pontifes romains par la conversion de tant de peuples était accablante. Se tenir en relations par une correspondance incessante avec les missionnaires et avec les princes convertis, résoudre les cas de conscience les plus imprévus que suscitaient des situations toutes nouvelles, juger en suprême ressort les conflits d'ordre ecclésiastique, intervenir même, à la demande des princes et des peuples, dans des conflits de droit privé, de droit public et de droit international : ce fut la mission que dut assumer la Papauté après les premières conversions des peuples barbares. Saint Nicolas Ier et saint Grégoire VII exposèrent plus tard et codifièrent en quelque sorte cette mission de la Papauté du Moyen Age[1] ; dire qu'ils l'ont inaugurée, serait donner à l'histoire le  plus formel démenti. Elle fut déterminée par des circonstances providentielles et des besoins sociaux que les Papes n'avaient ni créés ni prévus. Une pareille mission était d'ailleurs pour eux aussi délicate que redoutable. La haute impartialité qu'on était en droit d'attendre de cette juridiction suprême impliquait une indépendance morale difficile à concilier avec la dépendance politique à laquelle le loyalisme conservateur des évêques de Rome ne voulait pas se soustraire. La situation devenait des plus critiques le jour où les devoirs de leur charge les mettaient en demeure de se prononcer pour ou contre les empereurs d'Orient, leurs maîtres officiels, pour ou contre les Ostrogoths, les Lombards, telle autre nation à la merci de laquelle se trouvait en fait leur domaine temporel. L'exercice de la juridiction spirituelle des Papes, qui leur venait de Jésus-Christ, aussi bien que l'accomplissement de leur mission civilisatrice, qu'ils tenaient de la confiance des peuples, exigeait leur indépendance territoriale. Mais cette indépendance territoriale, quelle épée pouvait la garantir ? Mettre le glaive aux mains du Pape ou aux mains d'un roi quelconque, c'était retomber dans le péril qu'on voulait éviter. Un protecteur puissant, très haut placé, qui se ferait le défenseur temporel de l'Église, non à titre de roi, mais à un titre demi-sacré qu'il tiendrait du Pape lui-même, dont un pacte solennel réglerait l'exercice et que la confédération des nations chrétiennes sanctionnerait : telle était la solution. C'était là toute la conception du Saint Empire Romain. Les Papes et les évêques des VIe, VIIe et VIIIe siècles eurent-ils la vision de cet idéal ? Rien ne nous autorise à le conjecturer. Ni saint Grégoire s'étonnant de se trouver prince temporel en prenant possession du Saint-Siège, ni saint Avit saluant en Clovis le futur empereur d'Occident, ni saint Léandre célébrant au concile de Tolède la fraternité des peuples chrétiens, n'ont la vision nette du Saint Empire. Un concours d'événements, que la Papauté et l'épiscopat auront subis plutôt que provoqués, réalisera cette œuvre, qui se poursuivra comme en trois moments différents. Sous Étienne II, l'État pontifical se constituera comme le noyau autour duquel viendra s'organiser le monde nouveau. Sous saint Léon III, l'Empire sera rétabli en la personne de Charlemagne. Plus tard, à partir du Xe siècle, la féodalité presque tout entière se rangera hiérarchiquement sous la double autorité suprême du Pape et de l'Empereur.

 

I

Si l'on voulait chercher, en dehors des causes multiples et anonymes qui ont réalisé peu à peu l'indépendance temporelle du Saint-Siège, quelque ouvrier conscient de cette grande œuvre, c'est du côté du peuple de Rome qu'il faudrait porter ses regards.

Comme l'a fort bien dit, en s'autorisant des savants travaux de Mgr Duchesne, un historien récent[2], les Papes du VIIIe siècle, venus à Rome des provinces les plus diverses, tantôt italiens, tantôt grecs[3], parfois syriens, appelés au pouvoir à un âge avancé, ne l'exerçant que peu d'années, semblent s'être résignés assez facilement au statu quo... En revanche, on ne parle pas assez du rôle du peuple de Rome dans ces événements, de ce peuple dont le Pape était le pasteur religieux, mais qui ne laissait pas d'avoir ses aspirations politiques propres et de peser en ce sens sur la ligne de conduite de la Papauté.

Depuis que Rome avait cessé d'être le centre d'un empire, on n'y trouvait plus cette foule immense et cosmopolite, ramassis de provinciaux et d'affranchis, que la conquête du monde faisait sans cesse refluer dans ses murs. Ici, comme ailleurs, une génération nouvelle avait surgi, retrempée dans les luttes et les épreuves qui avaient accompagné la chute de l'empire. Rome avait cessé d'être la cité des Césars ; elle demeurait la ville du Prince des apôtres ; et, à une époque où la pensée religieuse primait toute autre pensée, c'était encore une supériorité enviable que de posséder dans ses murs le tombeau de saint Pierre et le siège de ses successeurs. Les Romains de Rome ne tardèrent pas à y voir affluer un flot nouveau d'étrangers, venus de ces contrées lointaines où les aigles romaines n'avaient jamais pénétré. Ce n'étaient pas des pèlerins seulement ; mais des colonies étrangères, établies à demeure autour de la basilique de Saint-Pierre, Saxons, Francs, Frisons, Langobards[4], attestaient par leur présence l'étendue de cet empire nouveau des âmes ; qui valait bien l'autre. Puis, avec les fidèles, affluaient des largesses sous toutes les formes, mais surtout en terres, largesses qui faisaient du Prince des apôtres le plus grand propriétaire de l'Italie, avec des patrimoines non moindres en Sicile, en Corse, dans les Alpes et jusqu'en Gaule. Des revenus immenses de ces patrimoines, le Pape avait la libre disposition ; mais c'était le peuple de Rome qui en tirait le principal profit. La plupart des dépenses faites pour le culte, construction et réparation des sanctuaires, fabrication des ustensiles sacrés, fournissaient du travail et des salaires à tout un peuple d'artisans. Au trésor de l'Église incombait encore l'entretien des plus pauvres, qui en recevaient des pensions alimentaires. Mais, de plus en plus, le Pape, en bon pasteur, ne pouvait se désintéresser des autres besoins de ses ouailles. Il assumait une bonne part des services administratifs de Rome : entretien et réparation des fortifications de la ville, travaux de voirie et d'aqueduc, approvisionnement des marchés, protection des petits contre l'oppression des fonctionnaires impériaux, toutes occupations dispendieuses et absorbantes[5], comme le constatait déjà saint Grégoire le Grand, se plaignant que son siège apostolique fût assailli par ce flot croissant des affaires séculières. L'Église de nome n'exerçait encore aucune des prérogatives du souverain, qu'elle en supportait déjà toutes les charges.

On devine le dévouement passionné dont le peuple de Rome devait entourer une autorité aussi bienfaisante. On s'explique l'indignation avec laquelle il assistait aux coups de force tentés par les empereurs contre la personne de ses pasteurs. Cette indignation ne pouvait pas rester toujours passive. En présence du péril lombard, les habitants des villes s'étaient forcément réappliqués au métier des armes, dont les Romains de la décadence avaient perdu l'habitude. Des milices urbaines étaient partout organisées : c'était à Rome l'exercitus romanus, dont les douze scholæ ou corps répondaient aux douze quartiers de la ville. Cette révolution militaire était un pas nouveau et considérable dans la voie de l'autonomie politique. Sans doute l'armée obéissait à des ducs et tribuns militaires envoyés ou nommés par l'empereur ; mais, à la suite des édits iconoclastes, lorsque les officiers impériaux voulurent se porter à des voies de fait contre le Pape, les habitants les chassèrent, affranchissant du même coup Rome et la Papauté. Ils se groupèrent autour du Pape sous des ducs et tribuns indigènes. Ils se firent les défenseurs de l'orthodoxie et de saint Pierre qui en est le gardien.

De là, selon une conception familière au Moyen Age, incarnant l'institution dans son patron, ils en vinrent à considérer le Prince des apôtres comme le prince des Romains ; le peuple de Rome fut réputé le peuple spécial de saint Pierre[6].

C'est alors en effet qu'apparaissent, dans la correspondance des Papes et des princes chrétiens, dans les diplômes de l'époque, des expressions toutes nouvelles pour désigner le duché de Rome et les patrimoines du Saint-Siège. Rome, le duché que l'entoure, les colonies agricoles qui en dépendent en Italie et au dehors, c'est la Respublica romana, la Respublica Romanorum, la Sancta Respublica.

Le mot Respublica, dit M. Lavisse[7], a une curieuse histoire. Seul, il signifie l'État, par conséquent l'empire... mais l'épithète sainte que le Pape y ajoute n'est peut-être pas un simple terme de chancellerie : Sancta Respublica, c'est autre chose déjà que Respublica tout court. Avec le temps, le terme s'enveloppe et se complique de plus en plus : on trouve sainte république romaine, ou bien sainte république des Romains, ou bien encore sainte république d'Italie. Il serait téméraire de chercher ici des définitions exactes, car les hommes qui parlaient ainsi n'entendaient pas au juste ce qu'ils voulaient dire. Ils sentaient que quelque nouveauté allait si produire, mais ils ne la voyaient pas ; ils cherchaient leur route à tâtons dans l'obscurité ; leur langue était obscure comme les choses.

Cette Respublica, cet État, quel en est le vrai souverain ? C'est l'apôtre saint Pierre. Les Papes et les princes sont bien d'accord sur ce point. Quand Grégoire III écrit à Luitprand pour réclamer quatre places fortes qu'on lui a enlevées, il fait sa réclamation au nom de saint Pierre[8]. Quand le roi lombard remet au Saint-Siège la place de Sutri, c'est aux apôtres saint Pierre et saint Paul qu'il déclare faire sa donation[9]. Étienne II ira plus loin. Pour appeler Pépin le Bref à son se-

s cours, il fera, par une prosopopée célèbre, descendre saint Pierre du ciel sur la terre, il rédigera sa lettre comme sous la dictée du Prince des Apôtres ; et, la campagne finie, le roi franc répondra aux envoyés de l'empereur d'Orient qu'il n'a combattu que pour saint Pierre et pour la rémission de ses péchés. Je ne crois pas, dit Mgr Duchesne[10], qu'il y ait eu là un artifice oratoire. C'est bien ainsi que le Pape devait parler à son monde. Il en avait sûrement le droit. Au fond, c'est bien ainsi que les Romains eux-mêmes l'entendaient. Ils sentaient bien que, dans les crises qui se préparaient, ils avaient plus à attendre du Pape et de saint Pierre que du lointain et peu sympathique empereur de Constantinople.

Si le Pape en effet a le droit de gouverner cet État, c'est uniquement en sa qualité de successeur légitime et de représentant de saint Pierre. Mais, à ce titre, sa situation politique est hors ligne. En théorie, dit encore Mgr Duchesne, il n'y a pas de doute, le Pape est un sujet, car on est sujet ou souverain, et, dans l'empire, il n'y a pas d'autre souverain que l'empereur. Mais en réalité ! En réalité, l'empereur ne le nomme pas ; il se borne à ratifier son élection, faite à Rome et par les Romains... L'autorité qu'il exerce ne lui vient pas de l'empereur... La succession de saint Pierre, le siège de saint Pierre, l'autorité de saint Pierre, voilà de quoi se réclame le Seigneur apostolique et ce qui fait son prestige. Et, à ce titre, à une époque où l'on n'était pas si jaloux qu'à présent de délimiter le spirituel et le temporel... on le voit souvent mêlé à des affaires terrestres, à des négociations de traités, à des nominations de fonctionnaires, à la garde des finances de l'État, à des entreprises d'ordre municipal... On le voit intervenir dans les affaires, même politiques, même militaires de Ravenne et de Naples... Il parle, par-dessus les frontières, aux Visigoths, aux Francs, aux Anglo-Saxons et aux Bavarois[11]. Mais le domaine sacré proprement dit, l'État de saint Pierre se délimite, comme par la force des choses, autour de Rome. Autour du sanctuaire apostolique, on voit se former comme une banlieue spéciale, les limites se tracent toutes seules, fournies par la frontière du duché de Rome, lequel avait été délimité lui-même par l'arrêt de l'invasion lombarde[12].

Telle est, avant l'intervention de Pépin le Bref, la situation politique de l'évêque de Rome, chef de l'Église universelle. On ne doit donc pas s'étonner de voir, au milieu du VIIIe siècle, le Pape saint Zacharie exercer sans trouble toutes les attributions de la souveraineté. Ce Pontife d'une si grande douceur de caractère et d'un si parfait désintéressement, qui semblait n'avoir d'autre politique que de vivre en paix avec tout le monde[13], gouverne l'État de saint Pierre, ainsi qu'on l'a dit, avec la même indépendance que son Église[14]. Ordonné presque aussitôt qu'élu, il se passe de la confirmation impériale. Les Lombards menacent-ils Rome, l'exarchat de Ravenne ? C'est lui, Zacharie, qui, de son propre chef, sans songer à prendre l'avis de Constantinople, trouve tout naturel de négocier une trêve avec Luitprand sous les murs de Rome. Il obtient du roi l'évacuation de l'exarchat, et de son successeur Ratchis la levée du siège de Pérouse. Encore moins se soucie-t-il d'en référer à l'empereur pour administrer le duché de Rome, l'État de Bienfaisants saint Pierre, auquel il assure, pendant dix ans, selon les expressions du Liber Pontificalis, une ère de sécurité prospère et joyeuse[15], telle qu'on n'en avait pas connue depuis longtemps. C'est ce même doux et pacifique Pontife qu'on voit exercer le premier un acte de juridiction suprême sur Ta légitimité des rois[16] : tant les qualités personnelles des hommes étaient peu de chose dans ce grand mouvement qui venait d'aboutir, en fait, à la constitution de la Souveraineté pontificale !

 

II

Peu de temps après la mort de saint Zacharie, un attentat, qui sembla d'abord devoir arrêter le développement de l'autorité des pontifes de Rome, en amena au contraire la reconnaissance juridique, officielle et définitive, et transforma en institution de droit international public ce qui n'avait été jusque-là qu'une situation de fait. Ainsi voit-on les hérésies, en essayant d'ébranler les croyances traditionnelles, déterminer des précisions nouvelles dans le dogme de l'Église.

Nous connaissons déjà la situation politique faite à l'Italie par l'invasion des Lombards. On distinguait désormais T'Italie lombarde, qui se développait au milieu de la péninsule, et l'Italie byzantine, qui, de jour en jour refoulée, comprimée par l'expansion des envahisseurs barbares, comprenait néanmoins encore la plus grande partie du littoral, et, au centre, quelques enclaves dont la principale était le duché de Rome. Or, en 750, le roi lombard Aistulf ou Astolphe, qui venait de succéder, l'année précédente, à Ratchis, jugea que le moment était venu de profiter de l'impuissance de l'empereur d'Orient et d'envahir les possessions byzantines. L'armée impériale n'était-elle pas recrutée d'indigènes ? Les ducs n'étaient-ils pas électifs ? L'autorité de l'exarque n'avait-elle pas perdu tout son prestige ? Astolphe crut pouvoir s'emparer d'un territoire presque en déshérence. Il paraît avoir occupé sans coup férir les positions impériales entre le Pô, l'Adriatique et l'Apennin. Aucun document historique n'a conservé le souvenir de cette campagne militaire. L'exarque Eutychius s'était enfui au premier bruit de la prise de Ravenne. En 751, le roi lombard était installé dans le palais des exarques impériaux[17]. Mais l'opinion publique s'émut lorsque, au mois de juin 752, on vit l'armée d'Astolphe, enivrée par ses succès, menacer le duché de Rome. Le duché de Rome, c'était toujours la terre impériale sans doute, mais c'était aussi la terre sacrée, le domaine intangible de l'apôtre saint. Pierre. Les Romains n'avaient jamais, du reste, aimé le peuple lombard. Ni la protection que ses chefs avaient souvent accordée aux souverains. Pontifes, ni les dons royaux qu'ils avaient faits à l'État de saint Pierre, n'avaient pu vaincre l'antipathie profonde nourrie par les Romains contre ces hommes à la barbe inculte, à l'accoutrement étrange, qui sentaient mauvais, disait-on, et par qui se propageait la lèpre[18]. Il n'y avait pas de mariages entre Romains, et Lombards. Cette répulsion populaire, loin, de s'atténuer, s'avivait au contraire à mesure que le peuple lombard se mêlait davantage à la vie romaine. Le bruit se répandit qu'Astolphe avait la prétention de transporter de Pavie à Rome sa capitale. L'exaspération populaire fut à son comble. C'est au milieu de ces conjonctures qu'en 752, fut élu par le peuple, en l'Église de Sainte-Marie-Majeure, en remplacement du pape Zacharie, un homme capable de comprendre mieux que tout autre la gravité de la situation et d'imprimer à la politique pontificale l'orientation que les événements commandaient. C'était le diacre Étienne, qui fut, sur le siège pontifical, le second de ce nom[19]. ÉTIENNE II était un Romain de race. Orphelin depuis son enfance, il avait été élevé dans le palais même du Latran, dans l'entourage des Papes ses prédécesseurs. Le Liber Pontificalis résume son caractère en quelques traits d'une grande précision : défenseur énergique et passionné des églises de Dieu et du peuple chrétien, conservateur décidé des traditions ecclésiastiques, le diacre Étienne était en même temps une âme charitable et tendre aimant à visiter les veuves et les orphelins[20]. Le premier soin du nouveau Pontife fut de négocier avec Astolphe, comme son prédécesseur l'avait fait avec Luitprand et Ratellis, la cessation des hostilités. Une légation, composée du diacre Paul, frère du Pape, et du primicier des notaires, Ambroise, obtint du roi lombard une trêve de quarante ans. Mais quatre mois ne s'étaient pas écoulés, qu'Astolphe, parjure à son serment[21], rompait la trêve et prétendait imposer aux habitants de Rome le tribut personnel d'un sou d'or par tête. La population romaine s'indigna. Le Pape, pour bien montrer au roi que les intérêts dont il prenait la défense n'étaient point ceux d'une nationalité, mais les intérêts généraux de l'Église, dépêcha à Astolphe deux nouveaux ambassadeurs, choisis cette fois, non dans le clergé romain, niais parmi les clercs sujets du roi des Lombards : c'étaient l'abbé du Mont-Cassin et celui de Saint-Vincent de Vulturne. Astolphe les reçut avec insolence, leur intimant l'ordre de regagner immédiatement leurs Monastères, sans aller à Rome rendre compte au Pape de leur mission[22].

Cependant l'empereur de Constantinople, qui était alors Constantin Copronyme, se décidait enfin à agir. Mais sa démarche, si elle n'était pas inspirée par une ignorance complète de la gravité du péril, était le plus humiliant aveu de sa faiblesse. La nouvelle de l'échec des abbés du Mont-Cassin et de Saint-Vincent était à peine parvenue à Rome, qu'un envoyé de l'empereur y arrivait. C'était un haut fonctionnaire, le silentiaire[23] Jean, qui venait supplier le Pape d'intervenir auprès du roi lombard, pour arrêter ses incursions. Étienne II essaya de détromper l'ambassadeur impérial sur l'efficacité d'une intervention diplomatique ; il consentit, pour lui faire toucher du doigt la vérité de ses avis, à faire accompagner le silentiaire par son frère Paul auprès d'Astolphe. Après l'échec prévu de cette nouvelle mission, il notifia nettement à l'empereur qu'il eût à prendre, pour arrêter les insolences des Lombards, le seul moyen efficace, à savoir l'envoi d'une armée en Italie.

Cependant la consternation était de plus en plus grande à Rome et se transformait en véritable panique. Des bruits sinistres arrivaient de Ravenne. L'atroce roi des Lombards, disait-on, frémissant comme un lion, ne cessait de proférer les plus terribles menaces contre les Romains ; il parlait de faire couper la tête à tous les habitants de Rome[24].

Dénué de tout secours humain, le saint Pontife convia son peuple à recourir à Dieu par des prières publiques. On multiplia les processions et les litanies. On portait en grande cérémonie, dit l'Annaliste romain, les mystères les plus sacrés, c'est-à-dire les reliques et les statues les plus précieuses et achéropite[25] du Christ. Il faut sans doute entendre par là la Sainte-Face, conservée en l'église du Latran. Arrivé à Sainte-Marie-Majeure, chacun se couvrait la tête de cendres en signe de pénitence et on adressait des prières à Dieu devant la croix stationale, au pied de laquelle on avait fixé un exemplaire du traité violé par le roi des Lombards[26].

Cependant l'armée impériale, demandée par le Pape à l'empereur Constantin Copronyme, n'arrivait pas.

C'est alors qu'Étienne II crut pouvoir faire une première démarche du côté des Francs. Déjà ses prédécesseurs, Grégoire III et Zacharie, avaient demandé à Charles-Martel, à Pépin et à Carloman de se faire leurs auxiliaires dans l'œuvre de la civilisation chrétienne. La situation actuelle était autrement grave et le service sollicité autrement important. Dans une première lettre, qui fut portée à Pépin par un pèlerin, Étienne II exposa au prince franc la situation de l'Église de Rome. Puis, après avoir reçu sans doute une réponse favorable, il lui envoya une seconde lettre dans laquelle il lui disait : Envoyez-moi des ambassadeurs à Rome, et je partirai avec eux pour aller vous trouver[27].

Pépin le Bref avait une dette de reconnaissance à payer à la Papauté. C'est grâce à elle qu'il avait pu réaliser, deux ans auparavant, une évolution politique réclamée par le bien de la France. Depuis longtemps, dit Éginhard[28], la famille des Mérovingiens ne faisait preuve d'aucune vertu. Le prince se con tentait d'avoir des cheveux flottants, la barbe longue, de S'asseoir sur son trône et d'y donner des réponses qui lui étaient dictées ou même commandées par d'autres. Or, ajoutent les Annales des Francs, en l'an 751, Burchard, évêque de Wartzbourg, et Fulrad, prêtre, furent envoyés à Rome au Pape Zacharie, afin de consulter le Pontife touchant ces rois, qui ne possédaient que le nom de rois sans en avoir la puissance. Le Pape répondit qu'il valait mieux que celui qui avait l'autorité eut aussi le titre et enjoignit que Pépin fût fait roi[29]. L'annaliste raconte ensuite comment, Pépin ayant été sacré par la main de saint Boniface, archevêque et martyr d'heureuse mémoire, puis élevé sur le trône suivant la coutume des Francs en la ville de Soissons, le dernier des Mérovingiens, Chilpéric, fut enfermé dans le monastère de Saint-Bertin, à Saint-Orner. Le changement de dynastie s'opéra ainsi sans aucun trouble. Le roi des Francs se doutait-il qu'il allait avoir à résoudre, à propos du pouvoir temporel des Papes, un cas de conscience semblable, à savoir, si une longue continuité de services peut fonder une légitimité de puissance, et s'il n'est pas des abandons de devoirs qui équivalent à des abdications ?

Quoi qu'il en soit, l'empereur de Constantinople se dérobait de plus en Plus à ses devoirs de protection sur le duché de Rome, et en rejetait toute la charge sur le Souverain Pontife.

Presque en même temps qu'arrivaient à Rome les deux représentants envoyés par Pépin le Bref, l'évêque de Metz, Chrodegang et le duc Autchaire[30] ; une ambassade byzantine, ayant à sa tête Jean le Silentiaire, y parvenait aussi. Elle avait mission, non point, hélas d'annoncer au Pape l'arrivée prochaine de l'armée impériale tant désirée, mais de supplier encore une fois Étienne II de vouloir bien intervenir au nom de l'empereur auprès d'Astolphe, pour obtenir de lui la restitution de Ravenne et des villes qui en dépendaient. D'autre part, les ambassadeurs francs conviaient le Souverain Pontife à se rendre auprès du roi Pépin. On était à l'automne de 753. Après avoir mûrement réfléchi, le prudent et courageux pontife prit une résolution qui effraya d'abord son entourage, mais à laquelle il se tint énergiquement : se rendre à l'invitation du roi franc, mais auparavant se présenter en personne devant Astolphe, à Pavie, accompagné des deux ambassades. Vainement lui objecta-t-on les pièges que le perfide roi lombard ne manquerait pas de lui tendre, le péril de mort auquel il s'exposait. Le 14 octobre 753 (le Liber Pontificalis a consigné cette date mémorable) le Souverain Pontife, accompagné du légat impérial Jean le Silentiaire, de l'évêque de Metz Chrodegang, du duc franc Autchaire et d'une suite de grands personnages de Rome et des villes voisines, fit des adieux touchants à son peuple et se mit en route. Une foule immense l'accompagna quelque temps sur le chemin, pleurant, sanglotant, disent les Annales de la Papauté, et cherchant à le retenir, car ils prévoyaient bien les grands dangers qui l'attendaient à Pavie[31].

 

III

Le péril était réel. Astolphe, informé de la prochaine arrivée du Pape, envoya à sa rencontre, et le fit prier de ne pas lui dire, un mot au sujet des conquêtes lombardes en Italie. Etienne passa outre. Arrivé à Pavie, il ne craignit pas de présenter ses  réclamations tant au nom de l'empire qu'au nom de l'Église. Astolphe, peu intimidé sans doute par le représentant impérial, mais autrement impressionné par l'attitude des deux envoyés francs, qui surent appuyer le discours du Pontife de quelques mots brefs et nets, laissa parler Étienne. Il opposa aux demandes de l'empereur relatives à l'exarchat un refus catégorique. Il essaya ensuite, par tous les moyens, de détourner le Pape de son voyage auprès du roi Pépin. Mais ni les exhortations ni les menaces n'ébranlèrent la constance d'Étienne, qui, donnant congé à l'ambassade impériale et à tous les laïques de sa suite, prit seulement avec lui quelques clercs et se dirigea vers la France. Le Liber Pontificalis, dans une relation qui paraît être l'œuvre d'un des membres de l'escorte pontificale, nous le montre, partant de Pavie le 15 novembre 753, atteignant le val d'Aoste, franchissant le Saint-Bernard et descendant à l'abbaye de Saint-Maurice en Valais, où il avait espéré s'aboucher avec Pépin. Il n'y trouva que deux envoyés du roi franc, qui le prièrent d'aller plus avant, et firent route avec lui jusqu'aux environs de Langres. Là, on remontra d'abord le jeune fils du roi, Charles, âgé d'environ douze ans, celui qui devait être Charlemagne, puis le roi lui-même, Pépin, qui s'avança jusqu'à trois milles de sa demeure, vers la villa de Ponthion[32].

Le récit que nous donne de cette entrevue le Liber Pontificalis, doit être complété par les chroniques franques. L'annaliste pontifical insiste surtout sur les hommages que Pépin rendit à Etienne, descendant de cheval à la vue du Pape, se prosternant, puis prenant l'étrier du cheval du Pape et marchant quelque temps à côté de lui, à la manière d'un écuyer[33].

Plusieurs chroniques franques, celles de Moissac, de Metz et du continuateur de Frédégaire, insistent plus particulièrement sur les hommages rendus au roi par le Pape. Étienne et ses clercs, disent-elles, se prosternèrent devant Pépin, vêtus de cilices, couverts de cendres et implorant miséricorde[34].

Les deux récits ne sont pas nécessairement contradictoires. On conçoit qu'il y ait eu des prostrations de part et d'autre, et que, suivant leur nationalité, les chroniqueurs aient plus ou moins insisté sur celles du roi ou sur celles du Pape.

Les cérémonies achevées, le Pape formula ses revendications. Il supplia le roi des Francs de prendre en main la défense de la cause de saint Pierre et de la République des Romains[35] ; mais il lui demanda aussi de faire restituer l'exarchat de Ravenne à son légitime possesseur[36]. Ce fut l'acte suprême de la condescendance du Souverain Pontife à l'égard de Constantinople.

Pépin accéda volontiers à ces demandes, et, pour se conformer à l'avis d'Étienne, à qui répugnait, dit son biographe, l'effusion du sang, essaya de résoudre la question par la voie diplomatique. Trois ambassades successives, l'offre généreuse de 12.000 sous d'or à Astolphe ne purent décider celui-ci à abandonner ses prétentions. Le rusé Lombard essaya même d'exploiter contre Pépin et contre le Pape des conflits de famille et le prestige qui s'attachait à l'ancien duc d'Austrasie, Carloman, devenu moine du Mont-Cassin. Il obtint de l'abbé de ce monastère, sujet du royaume lombard, que le prince-moine sortirait de son couvent pour défendre contre Pépin et Étienne ses droits prétendus. Ce fut un étonnement et même un scandale que de voir reparaître sur la scène politique, en conflit avec le Pape, le prince qui avait voulu ensevelir sa vie dans l'obscurité d'un monastère. L'étonnement et le scandale durèrent peu. Carloman fut prié et peut-être forcé de reprendre la vie religieuse, mais cette fois hors des frontières lombardes. Il dut s'enfermer dans un monastère de Vienne en Dauphiné, où il mourut l'année suivante[37].

Une action militaire devenait urgente. Elle fut décidée, malgré quelques oppositions, dans une assemblée nationale tenue au mois de mars 754 aux environs de Soissons[38]. Une seconde assemblée, tenue le 14 avril de la même année à Kiersy-sur-Oise, précisa le but de l'expédition, qui était de donner, ou plutôt de restituer à l'apôtre saint Pierre une certaine zone de territoire, dont les limites étaient sans doute bien déterminées, car on se référera longtemps au pacte de Kiersy ; mais la perte de cet acte important nous empêche d'en préciser aujourd'hui la teneur[39]. Dans une troisième assemblée, tenue le 28 juillet suivant, à Saint-Denis, le Pape renouvela le sacre de Pépin, y associa ses deux fils, qui avaient signé avec lui le pacte de Kiersy, et les déclara tous les trois patrices des Romains. Ce sacre d'un roi et de ses fils par le Pape, sans précédent dans l'histoire, non seulement confirmait la légitimité de Pépin et de sa race, mais semblait élever la royauté des Francs au-dessus des autres royautés de l'Europe[40]. Ce titre de patrice, qui avait été donné souvent par les empereurs, mais sans addition, et comme pure distinction honorifique, suggérait, dans cette expression de patrice des Romains, l'idée d'un droit de protection effective sur l'état pontifical. Désormais, la fonction du duc de Rome devenait inutile, et, de fait, à partir de 754, on ne la vit plus apparaître[41]. La restauration d'un exarque n'avait pas plus de raison d'être. Le Saint Empire Romain était en germe dans les actes de l'assemblée de Saint-Denis[42].

 

IV

Après une dernière sommation, l'armée franque se mit en marche. Astolphe voulut résister ; mais battu au val de Suse, mis en déroute, assiégé dans Pavie, il dut céder et jura de restituer les territoires envahis. Ce serment du roi lombard ne devait pas plus tenir que les précédents. A peine Pépin était-il rentré en France, qu'il reçut du Pape des lettres pleines d'alarmes et plus pressantes que jamais. Astolphe, non content de garder les provinces conquises, assiégeait Rome par trois corps d'armée. On était au cœur de l'hiver de l'année 756, au moment où une nouvelle expédition des Francs paraissait difficile.

Les Romains résistaient héroïquement depuis deux mois, et siège de orne l'époque de l'assemblée, que les Francs tenaient au printemps, approchait, quand une légation pontificale, composée de l'évêque d'Ostie et de deux nobles romains, ayant réussi à franchir les lignes d'investissement, parvint à la cour de Pépin. Elle apportait trois lettres. La première était adressée au roi par le Pape ; la seconde était envoyée la nation franque par le peuple romain ; la troisième, plus solennelle et plus pressante, était censée avoir été rédigée par saint Pierre lui-même et adressée au roi et à la nation. Quand l'assemblée nationale des Francs entendit ce cri de détresse, poussé par le peuple opprimé vers la nation puissante, et cet appel du Prince des Apôtres promettant à ses défenseurs de les assister comme s'il était vivant parmi eux, une explosion d'indignation souleva les Francs, qui s'élancèrent de nouveau sur la route des Alpes, taillèrent en pièces les Lombards, leur rendirent ravages pour ravages, dégagèrent Rome et bloquèrent Pavie. Astolphe se sentit perdu. Il s'estima heureux d'acheter la paix en abandonnant à Pépin le tiers de son trésor royal, et en lui promettant une rente annuelle de 1.200 sous d'or. L'observation du traité précédent fut garantie.par la cession de plusieurs otages et par un contingent d'urinée franque que Pépin laissa sur les lieux, sous le commandement de ses meilleurs officiers.

C'est au moment où Pépin assiégeait Pavie, qu'une nouvelle ambassade byzantine, toujours présidée par Jean le Silentiaire, se présenta au roi des Francs, lui demandant avec instances la restitution de l'exarchat à l'empire. Pépin répondit : Je ne me suis armé que pour l'amour de saint Pierre et la rémission de mes péchés, et, passant outre, il fit rédiger la célèbre donation, par laquelle il transférait au Pontife romain, représentant du Prince des apôtres, la plupart des terres devenues siennes par le droit de conquête. Nous n'avons plus le texte de la donation de Pépin. Mais nous savons par le Liber Pontificalis que Pépin restitua à l'État de saint Pierre à peu près toutes les villes conquises par lui sur les Lombards : l'exarchat de Ravenne et la Pentapole[43], c'est-à-dire le pays situé entre l'Apennin et la mer, depuis le cours du Pô jusqu'à Ancône, en d'autres termes, le duché de Rome, plus les pays de l'État de saint Pierre envahis par Astolphe.

Désormais un État nouveau existait dans le droit international de l'Europe. On commençait à l'appeler dans les actes pontificaux officiels l'État de l'Église, Sanctæ Ecclesiæ Respublica[44]. D'autre part, le protecteur de ce nouvel État, le patrice des Romains, le roi Pépin venait de s'acquérir par ses brillantes victoires un ascendant qui le faisait l'arbitre de l'Italie. Astolphe étant mort peu de temps après sa défaite, en 756, et une lutte s'étant ouverte entre deux candidats, qui étaient Ratchis, frère d'Astolphe, devenu moine, et Didier, duc de Toscane, l'influence de Pépin et du Pape firent choisir Didier. Ratchis rentra dans son monastère, et Didier témoigna sa reconnaissance à l'Église en lui rendant tous les pays conquis à ses dépens par le prédécesseur d'Astolphe, Luitprand.

 

Telle fut l'origine du pouvoir temporel du Saint-Siège. Ce n'est pas sans raison que Pépin appelait son acte de cession une restitution. La révolution qui substituait le Pape à l'exarque, dit M. Charles Diehl[45], touchait plus aux formes théoriques qu'à l'état réel des choses. Cet État, dont les papes avaient dû depuis longtemps assumer la charge et la responsabilité dans des circonstances difficiles et qu'ils avaient plus d'une fois sauvé des invasions barbares, l'abdication effective des empereurs byzantins leur en avait décidément abandonné le gouvernement. Cette terre sacrée, ces monuments bâtis en l'honneur des saints Apôtres, ces trésors lentement accumulés par la piété des fidèles en vue des besoins de l'Église et des pauvres, la volonté unanime et bien expresse des fidèles de Rome et de l'Italie ne voulait les voir administrer que par le successeur légitime de saint Pierre. Le plus régulier des traités, intervenu après la plus légitime des conquêtes, venait consacrer officiellement cette situation. La plupart des souverains, dit le gallican Fleury[46], n'ont pas d'autres titres de légitimité. Il n'y a pas en Europe, dit Joseph de Maistre[47], de souveraineté plus justifiable. Dieu, dit Bossuet[48], qui voulait que l'Église romaine, la Mère commune de tous les royaumes, dans la suite ne fût dépendante d'aucun royaume pour le temporel et que le Siège où tous les fidèles devaient garder l'unité, à la fin, fût mis au-dessus des partialités que les divers intérêts et les jalousies d'État pourraient causer, jeta les fondements de ce grand dessein par Pépin et Charlemagne. C'est par une heureuse suite de leur libéralité que l'Église, indépendante dans son chef de toutes les puissances temporelles, se voit en état d'exercer plus librement cette puissance céleste de régir les âmes ; et que, tenant en main la balance droite, au milieu de tant d'empires souvent ennemis, elle entretient l'unité dans tout le corps, tantôt par d'inflexibles décrets, et tantôt par de sages tempéraments. Rendez sacré et inviolable l'ancien et nécessaire domaine de l'Église, dit Montesquieu[49] ; qu'il soit fixe et éternel comme elle.

Le conseil de Montesquieu n'a pas été suivi. On sait comment ce domaine pontifical que, pendant onze siècles, nul Pape, même parmi les moins papes, pour parler comme Joseph de Maistre[50], n'avait songé à agrandir, est tombé aux mains du roi d'Italie. Mais la question romaine n'est point close. Depuis que Charlemagne a déposé sur le tombeau de l'apôtre Pierre la page de donation, écrit M. Ernest Lavisse, onze siècles se sont écoulés. Mais onze siècles ne comptent pas dans l'immutabilité de l'Église... L'Italie est dé-venue grande puissance. Mais elle n'est point tout à fait chez elle comme lés autres nations. Entre les Alpes et les pointes de Sicile, tout le sol n'est pas italien. Au centre est un palais entouré d'un jardin : c'est le domaine de saint Pierre. Ici n'entre pas le roi d'Italie...

Cependant l'apôtre ne cesse de récriminer et de se lamenter. La plainte de l'immortel vieillard sonne comme tut gras sans trêve au-dessus de Rome capitale. Elle inquiète et elle irrite rois et ministres. A quoi sert-il d'être à Rome, pour qu'il y ait encore une question romaine ?[51]

 

 

 



[1] M. Henri MARTIN, dans son Histoire de France, 4e édition, t. II, p. 455, écrit, à propos de l'œuvre de saint Nicolas Ier : La papauté n'avait encore rien tenté de si hardi : c'était le renversement de la discipline ecclésiastique tout entière au profit d'un despotisme tout nouveau. L'opinion ratifia une usurpation qui agissait au nom de la justice et de la morale chrétienne. Toute l'histoire des Papes, telle que nous venons de la raconter d'après des documents authentiques dans notre 1re et notre 2e partie, proteste contre une pareille affirmation. Voir dans la vie de saint Nicolas Ier, par Jules Roi, Paris, 1899, Introduction, p. XXX-XXXIII, l'énumération des principaux faits qui établissent que l'autorité suprême des Papes s'est exercée dès le début pans les nations barbares converties.

[2] Ch. MŒLLER, Histoire du Moyen Age, Louvain, 1905, p. 497 et s.

[3] Dans le cours d'un siècle et demi, treize papes helléniques ont gouverné l'Eglise latine. Ch. DIEHL, Etude sur l'administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, p. 159.

[4] Ces quatre scholæ d'origine germanique formaient le Borgo de Saint Pierre, situé hors de l'enceinte de la ville.

[5] Ch. DIEHL, Étude sur l'administration byzantine..., p. 332.

[6] Sancti Petri pecu liaris populus. C'est l'expression qui revient sans cesse dans les lettres du pape Grégoire III à Charles Martel, du pape Étienne II à Pépin. Voir JAFFÉ, Monumenta carolina, Berlin, 1867. Codex Carolinus, p 14, 16, 17, 58, etc. MIGNE, P. L., t. XCVIII, col. 66, 68. Cf. col. 106, 120, 248, 262.

[7] Revue des Deux-Mondes, 15 décembre 1886, p. 874, 875.

[8] JAFFÉ, 1734. En faisant cette donation Luitprand entendait-il soustraire la place de Sutri à l'empereur : nous ne le pensons pas. Mais il constituait cette place forte dans une condition juridique toute spéciale ; il en faisait dans l'empire une terre sacrée.

[9] Liber Pontificalis, t. I, p. 407.

[10] DUCHESNE, Les premiers temps de l'état pontifical, p. 28, 29.

[11] DUCHESNE, Les premiers temps de l'état pontifical, p. 21, 22, 23.

[12] DUCHESNE, Les premiers temps de l'état pontifical, p. 23, 24. Voir, p. 24, la délimitation détaillée du duché de Rome.

[13] Liber Pontificalis, I, 426.

[14] MŒLLER, Histoire du Moyen Age, p. 503.

[15] Liber Pontificalis, t. I, p. 435.

[16] Voir plus loin la consultation de Zacharie sur la légitimité de Pépin le Bref.

[17] Reg. Farf., n° 18, cité par DUCHESNE, Les premiers temps de l'état pontifical, p 35.

[18] P. L., XCVIII, 256.

[19] C'est à tort que Jaffé, dans son admirable collection des Regesta Pontificum, en comptant comme Étienne II un élu de ce nom mort avant d'avoir été consacré, appelle notre pape Étienne III. Cette nomenclature de Jaffé n'est pas suivie par les historiens ecclésiastiques. Mais il est utile de se souvenir de cette erreur pour éviter les confusions quand on consulte les Regesta d'un pape du nom d'Étienne.

[20] Liber Pontificalis, I, 440.

[21] Liber Pontificalis, I, 441, JAFFÉ, 2307.

[22] Liber Pontificalis, I, 441.

[23] Les silentiaires étaient primitivement les trente officiers du palais impérial chargés d'y maintenir le silence. Pratiquement, ils étaient devenus des sortes de chefs de division ; le 1er silentiaire remplissait les fonctions d'un chef de cabinet.

[24] Liber Pontificalis, I, 442.

[25] Liber Pontificalis, I, 413. Achéropite, c'est-à-dire non touchée par la main des hommes (ά privatif, χείρ, main, άπτομαι, je suis touché).

[26] Liber Pontificalis, I, 443.

[27] JAFFÉ, 2311.

[28] ÉGINHARD, Vita Karoli, c. I ; Historiens des Gaules, V, 89.

[29] Ann. Franc. Hist. des Gaules, V, 63. L'authenticité de cette consultation de Zacharie repose sur les témoignages concordants de quatre textes littéraires indépendants : le continuateur de Frédégaire, les Annales Francorum, la Vita Caroli et un texte de 767 retrouvé par les Bollandistes en 1836, la Clausula de unotione Pippini.

[30] Le duc Autchaire, si célèbre dans les Gestes du Moyen-âge sous le nom d'Oger ou d'Ogier et dont le jeu de cartes a rendu le nom populaire.

[31] Liber Pontificalis, I, 445.

[32] Liber Pontificalis, I, 447.

[33] C'est le premier exemple de l'officium stratoris, qui devait être invoqué plus tard comme un précédent dans la querelle des Papes et des empereurs.

[34] Histoire des Gaules, V, 2, 67.

[35] Liber Pontificalis, I, 448.

[36] Liber Pontificalis, I, 448.

[37] Annales regii, anno 755, Histoire des Gaules, V, 63.

[38] Chronique de Moissac, anno 754. Frédégaire, c. 120. ÉGINHARD, Vita Karoli, c. 6. Hist. des Gaules, V, 2, 67, 89.

[39] La teneur de ce pacte de Kiersy, appelé tantôt la donation, tantôt la restitution, tantôt la promesse de Kiersy a donné lieu, en France et en Allemagne, à d'interminables discussions. Voir Jean MŒLLER, Hist. du Moyen Age, p. 506-507. Cet acte a la forme d'une donation, puisque Pépin donne et ne réclame en retour que des prières ; c'est nue restitution, car ce qu'il donne était en fait possédé par saint Pierre, c'est-à-dire par le Pape ; et c'est une promesse, car ce que Pépin donne, il ne l'a pas encore conquis.

[40] Étienne II appellera Pépin l'oint de saint Pierre. JAFFÉ, Codex carolinus, n° 6, p. 26 ; n° 7, p. 41. P. L., XCVIII, 105.

[41] DUCHESNE, Les premiers temps de l'état pontifical, p. 65.

[42] Plusieurs questions se sont posées au sujet de ces assemblées de 754. Martens les a considérées comme une fiction. Mais comment alors expliquer l'accord des sources indépendantes qui en parlent, les Annales de Metz, le continuateur de Frédégaire, le Liber Pontificalis et Éginhard ? Il est vrai que ces sources ne distinguent Iras nettement les deux premières assemblée, ce qui a porté certains auteurs à les réduire à une seule (KLEINCLAUSZ, dans l'Histoire de France de LAVISSE, t. II, 1re partie, p. 273). D'autres auteurs ont prétendu, en s'autorisant de M Fustel de Coulanges, que ces assemblés n'avaient aucun pouvoir délibératif et ne faisaient qu'enregistrer les volontés du roi. Dans cette opinion, le secours porté au Pape ne serait pas l'ouvre de la représentation nationale de la France, mais le fait de la volonté personnelle du roi La lettre d'Étienne II, adressée aux Seigneurs de l'assemblée, ad proceres Francorum (SIRMOND, Concilia antiqua Galliæ, II, 10) semble donner un démenti à cette opinion. La pensée de M. Fustel de Coulanges, n'est point d'ailleurs, nous le verrons plus loin, aussi absolue qu'on le prétend.

[43] On appelait Pentapole une province formée de cinq villes principales : Rimini, Pesaro, Fano, Sinigaglia et Ancône.

[44] JAFFÉ, Monumenta carolina. Codex Carolinus, n° 6, p. 35 ; n° 11, p. 65. Toutefois, jusqu'à la conquête de l'Italie par Charlemagne, les Papes continuèrent à donner aux empereurs d'Orient des marques extérieures de dépendance officielle. La première médaille pontificale fut probablement frappée vers 786. H. DE LPINOIS, Le gouvernement des Papes au Moyen Age, 2e édition, p. 14.

[45] Cité par A. BERTHELOT dans l'Histoire Générale de LAVISSE et RAMBAUD, I, 301.

[46] Histoire de l'Église, t. XVI, 4e dis., n° 10.

[47] Du Pape, l. II, ch. VI.

[48] Discours sur l'unité de l'Église.

[49] Esprit des lois, LXXX, 5.

[50] Du Pape, l. II, ch. VI.

[51] Ernest LAVISSE, Vue générale sur l'histoire de l'Europe, p. 210-212.