HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — L'ÉGLISE CHEZ LES PEUPLES BARBARES

CHAPITRE VI. — L'ÉGLISE ET LES PEUPLES ARIENS.

 

 

Au moment où dans les glaces du Nord les derniers groupes de la race teutonique se convertissaient à l'Église, prêts à former une grande et puissante nation, les derniers débris de la race gothique, minés par l'hérésie arienne, achevaient de disparaître sur les bords de l'Adriatique et de la Méditerranée.

On les rencontrait en Italie, en Gaule et en Espagne.

 

I

Trois peuples de race gothique et de religion arienne s'étaient succédés en Italie depuis la chute de l'empire romain, les Hérules, les Ostrogoths et les Lombards.

Odoacre, roi des Hérules, semblait tout indiqué pour prendre en Italie la place laissée vacante par l'empire qu'il venait de renverser. H n'en fut rien. On eut dit que tout le rôle providentiel de ce géant inculte et audacieux avait été de donner au grand édifice impérial le petit choc qui devait amener sa ruine définitive. Le royaume des Hérules dura peu. Les troupes de Turcilinges, de Rugiens et de Scires, mêlés aux Romains, qui formaient l'armée d'Odoacre, ne constituaient pas un corps homogène. Ces barbares, prématurément mêlés à une civilisation raffinée, dont ils adoptèrent plus facilement les vices que les qualités, furent bientôt plus dégénérés que les Romains de la décadence. Un autre peuple barbare devait leur porter le coup de grâce. Ce furent les Ostrogoths. Ceux-ci se trouvaient à l'étroit en Pannonie, où ils s'étaient établis au moment de la chute de l'empire des Huns (451). Ils avaient pour chef, depuis 474, un homme remarquable, Théodoric, qui avait été élevé à la cour de Zénon à Constantinople et qui y avait, embrassé l'arianisme. Théodoric demanda à l'empereur l'autorisation de s'établir en Italie et d'en chasser Odoacre. Il trouvait dans cette entreprise en même temps que le moyen d'étendre sa domination, l'occasion de venger une injure faite par le roi des Hérules à son parent Frédéric, fils du roi des Rugiens. Zénon, heureux de pouvoir faire à peu de frais un acte de souveraineté sur l'Italie, accorda facilement la permission demandée, et toute la nation des Ostrogoths, les guerriers emmenant dans des chariots leurs familles, se mit en marche à travers le pays des Gépides et les Alpes juliennes. Odoacre leur opposa une résistance acharnée. Après quatre années de luttes, de 489 à 493, un traité fut signé, qui laissait à Théodoric ses conquêtes et maintenait le titre de roi à Odoacre. Mais peu de temps après, Théodoric, ayant invité le roi des Hérules à un festin, le tua de sa propre main.

A partir de ce moment, on n'entend plus parler du royaume des Hérules. Ils se dispersent et se fondent dans les autres peuples. Ils n'existent plus comme nation.

L'Église n'eut pas trop à regretter Odoacre. Malgré des protestations de bienveillance et des témoignages de réelle bonne volonté, il avait synthétisé en sa personne les défauts du barbare mal dégrossi et ceux du Romain dégénéré.

L'Église espéra davantage du peuple qui venait de triompher et surtout de son roi Théodoric. La période de domination des Ostrogoths marque, en effet, dans l'histoire de l'Italie, une époque de civilisation brillante. Peut-être cet éclat est-il dû moins au génie de Théodoric qu'il son habileté à employer les hommes de talent qui gouvernèrent sous son autorité suprême. Les actes de brutalité sauvage qui ensanglantèrent les débuts et la fin de son règne semblent justifier cette conjecture. Les grandes réformes seraient le fait du principal ministre de Théodoric, le Romain Cassiodore. Le roi des Ostrogoths parait avoir été avant tout un homme de gouvernement. Ce barbare, cet arien eut le grand sens de respecter les deux institutions qui lui apparurent comme la meilleure garantie de l'ordre social, la législation romaine et l'Église catholique. L'Edictu Theodorici est entièrement emprunté au droit romain. Quant à l'Église, il ne se contenta pas de lui laisser la liberté, il la protégea maintes fois contre la violence et contre le schisme. Il se prononça pour le pape Symmaque contre son compétiteur l'antipape Laurent ; en 502, il favorisa la réunion du concile qui vengea le Souverain Pontife des accusations portées contre lui. Son règne vit fleurir saint Benoît de Nursie, saint Ennodius de Pavie, Denys le Petit, Cassiodore et Boèce.

Nous avons parlé du fondateur des moines d'Occident. Ennodius, évêque de Pavie, à ne considérer que ses œuvres littéraires, est un rhéteur, le plus cultivé des rhéteurs, dont la prose, farcie de citations de Salluste et de Cicéron, est souvent tourmentée jusqu'à en être inintelligible[1] ; mais qu'une émotion vraie le saisisse, on retrouvera, sous le vain rhéteur, l'homme, le chrétien et l'évêque. Il aura, pour défendre le pape Symmaque, des accents d'une indignation pleine de noblesse, et, persécuté pour son dévouement au Saint-Siège lors de sa seconde ambassade à Constantinople, il supportera les injures et les mépris avec la patience héroïque d'un vrai ministre de Jésus-Christ[2].

Le moine Denys, qui se donna lui-même, par humilité, le surnom de Petit, Dionysius Exiguus, est célèbre par l'introduction de l'ère chrétienne[3]. On lui doit aussi les premières collections de documents conciliaires. Le recueil s'ouvre par les fameux Canons des Apôtres, qui, insérés plus tard par Gratien dans son Decretum, eurent au Moyen Age la valeur de documents vraiment apostoliques. On s'accorde aujourd'hui à reconnaître qu'ils furent composés au Ve siècle, vraisemblablement en Syrie ou en Palestine. Denys les avait trouvés en Orient, et, chose curieuse, il déclare douter de leur authenticité[4]. Mais leur place d'honneur dans la collection les avait fait accepter sans contrôle.

Cassiodore, issu d'une illustre famille de Calabre, successivement questeur, secrétaire particulier du roi, préfet du prétoire et consul, fut l'âme du gouvernement de Théodoric. C'est à lui principalement qu'on doit rapporter le mérite du développement donné, sous le régime, du roi Ostrogoth, à la civilisation générale. Les études ecclésiastiques et la vie chrétienne ne lui sont pas moins redevables. Vers 540, âgé d'environ soixante ans, il se retira dans son domaine de Vivarium en Calabre, pour y vivre dans la solitude, l'étude et la prière, au milieu de moines qu'il avait attirés auprès de lui. Peut-être fit-il lui-même profession de vie monastique. En tout cas l'influence de ce grand homme sur le développement de l'institution monastique fut considérable. C'est lui qui le premier a conçu le monastère comme un foyer d'études en même temps qu'un asile pour la vie intérieure. Dans son passage aux affaires, Cassiodore avait formé, de concert avec le pape Agapit, le projet de fonder une école supérieure des sciences chrétiennes[5]. Les circonstances ne lui ayant pas rénovation des permis de réaliser ce dessein, il voulut y suppléer en quelque sorte par l'organisation des études dans son monastère de Vivarium. Le programme s'en trouve tracé dans son célèbre ouvrage, Institutiones divinarum et scecularium lectionum, véritable Introduction à l'étude des sciences sacrées et profanes, qui devint, pour les écoles du Moyen Age, le guide des études supérieures.

Une de ses innovations les plus originales et les mieux adaptées aux besoins de ce temps, fut la formation d'écrivains ou spécialement adonnés à la transcription des livres anciens. Ils formaient une catégorie à part dans cette sorte d'académie monastique ; ils reçurent de Cassiodore leur règlement et leur méthode technique. Pour lui, de tous les travaux manuels, celui-ci est le plus noble, le plus utile ; il y voit quelque chose de sacré. Satan, s'écrie-t-il, reçoit autant de blessures que l'écrivain transcrit de paroles du Seigneur[6].

Moins puissant par le génie, mais plus illustre par l'infortune, fut un autre haut fonctionnaire de l'état de Théodoric, Boèce. Son livre, De la consolation de la philosophie, fut le livre de chevet de plus d'un docteur et de plus d'un saint du Moyen Age. Alfred le Grand traduisit en anglo-saxon et saint Thomas d'Aquin commenta ce fier et mélancolique testament d'un philosophe, qui, réservant pour l'intimité du cœur à cœur avec Dieu les pensées de la foi[7], cherche, devant les hommes, à trouver dans sa seule conscience d'homme, la force de rester calme et ferme devant la mort. Dante qui, comme tous ses contemporains lettrés, s'était nourri de la Consolation de la philosophie, s'imagine voir, dans le Paradis, parmi les plus hauts représentants de la pensée humaine, entre saint Ambroise et le Vénérable Bède, un globe de pure lumière,

Où tressaille d'amour, voyant le bien céleste,

L'âme sainte, qui sait rendre si manifeste

La fausseté du monde à qui veut l'écouter !

Le corps, dont elle fut cruellement chassée,

A Cieldauro repose, et Filme trépassée,

De l'exil, du martyre a monté vers la paix[8]

Le poète fait ici allusion à la fin tragique de Boèce, odieusement mis à mort par Théodoric. Un incident avait suffi pour réveiller et pour déchaîner les instincts les plus cruels dans cette âme de barbare. L'empereur Justin, par une de ces mesures excessives dont le pouvoir civil est coutumier quand il s'ingère sans mission dans les questions religieuses, avait privé de leurs églises et de l'exercice de leurs droits civils ses sujets ariens. Irrité d'une pareille mesure prise contre ses coreligionnaires,   effrayé   peut-être   aussi   de   voir   un   grand  nombre de ses propres sujets se convertir au catholicisme, Théodoric devient tout à coup persécuteur. Il use de représailles avec fureur. Il somme le pape Jean Ier de se rendre à Constantinople et d'y obtenir de Justin la rétractation de son édit et le retour à l'arianisme des ariens récemment convertis. Le saint Pontife ne refusa pas de se faire messager de conciliation et de paix. Ce fut la première fois qu'un Pape entre dans Constantinople. Il y fut reçu avec une magnificence sans égale, et obtint sans peine la restitution des églises ariennes à leurs propriétaires et la réintégration des ariens dans l'exercice de leurs droits de citoyens. Quant à demander leur retour à l'hérésie, le Pontife ne pouvait y songer[9]. Furieux de l'échec partiel de cette mission, blessé des honneurs rendus au Pape par l'empereur d'Orient, Théodoric s'exaspère.

Dans un accès de frénésie, il fait mettre à mort Boèce et le vieux sénateur Symmaque, beau-père de Boèce, qu'il accuse de trahison. Il guette le retour du pape Jean, le fait arrêter à Ravenne et jeter en prison. Le Pontife, exténué par les tortures morales et physiques, ne tarde pas à rendre l'âme dans son cachot, martyr de son devoir. Sur sa tombe, où des guérisons miraculeuses ne tardèrent pas à témoigner de sa sainteté, les chrétiens gravèrent ces vers : Pontife du Seigneur, tu tombes victime du Christ ; c'est ainsi que les Papes plaisent à Dieu.

Antistes Domini procumbis victima Christi ;

Pontifices summo sic placuere Deo[10].

Le saint Pontife était mort le 18 mai 526. Après avoir pesé de tout son pouvoir pour faire élire le candidat de son choix, Félix[11], et publié un édit de persécution, le roi Théodoric rendit le dernier soupir le 30 août 526, sans avoir eu le temps d'appliquer son édit.

Pendant les dernières années de sa vie, Théodoric s'était aliéné les deux grands pouvoirs avec lesquels il fallait compter : l'Eglise catholique par la persécution du pape Jean, le parti romain par le meurtre de Boèce et de Symmaque. Dans la puissance des Ostrogoths les populations de l'Italie ne virent plus qu'un pouvoir hérétique et barbare. Ses jours désormais étaient comptés. Il prit fin avec Teïas (553) : il avait duré soixante ans (493-553).

Il s'agissait de savoir qui prendrait la place du royaume condamné. En 555, on put croire un moment que ce serait l'empereur. Narsès, général byzantin, après une bataille où il défit les Ostrogoths, déclara l'Italie province de l'empire d'Orient. Mais l'empire n'était point en mesure d'exercer sur l'Italie une autorité efficace. Treize ans plus tard, en 568, un peuple barbare plus vigoureux, à qui Narsès avait demandé son concours pour son expédition et qui avait été mis en appétit de conquête pour son propre compte, les Longobardi, les hommes à la longue barbe ou Lombards, conduits par leur roi Alboin, s'emparèrent de la plus grande partie de la péninsule. Du royaume des Ostrogoths, pour lequel Théodoric avait rêvé la succession de l'empire romain, il ne resta guère que les œuvres catholiques dont le grand ministre Cassiodore avait su se faire l'intelligent protecteur, les collections et les réformes de Denys le Petit, les moines de Saint-Benoît et les écrits de Boèce.

 

II

L'invasion des Lombards fut des plus terrifiantes. Ils pillaient et massacraient tout sur leur passage. Comme une épée tirée du fourreau, — écrivait saint Grégoire le Grand[12], environ vingt-cinq ans après l'entrée d'Alboin en Italie, — ces  hordes sauvages s'abattirent sur nous, et partout les hommes tombaient comme moissonnés. Les villes furent dépeuplées, les églises rasées. Les campagnes furent changées en déserts, parce qu'il n'y eut plus personne pour les cultiver. L'aspect seul de ces hommes dont la longue barbe, au dire de Paul Warnefrid[13], tombait sur une robuste poitrine, était effrayant. Ils avaient, dit le même chroniqueur[14], la nuque et l'occiput ras, mais le reste de la tête était couvert de cheveux, avec une raie au milieu du front. Ces cheveux tombaient le long de leurs joues jusqu'à la bouche. Leur vêtement était ample, le plus souvent de lin, comme celui des Anglo-Saxons, et orné de larges bandes de couleur. Abominablement idolâtres[15], ils pratiquaient le culte d'Odin, offraient des sacrifices au dieu des chèvres et avaient pour les vipères un culte superstitieux[16]. C'est à l'époque de cette invasion que, au témoignage de saint Grégoire le Grand, Redemptus, évêque de Ferentum au nord de Rome, faisant la visite de ses paroisses, fut surpris par la nuit près du tombeau du martyr Eutychius. Il s'y réfugia pour y attendre le jour. Or, vers minuit, le saint lui apparut et lui dit : Veilles-tu ? Sur la réponse affirmative de Redemptus, il ajouta : La fin de toute chair est arrivée[17]. Les populations italiennes, saisies de panique, s'enfuirent : les uns cherchèrent un refuge dans les lagunes de la Vénétie, les autres dans les îles voisines de la côte, d'autres sur le littoral, prêts à partir. Les populations du centre se massèrent dans quelques villes fortifiées, dans Rome et dans Naples[18].

Une fois fixés dans le pays, les Lombards, qui n'élisaient un roi qu'en temps de guerre, reprirent le régime républicain[19]. Dans chaque tribu, un chef élu rendait la justice. Ils n'eurent une dynastie de rois que plus tard. En 535, ayant à repousser une attaque des troupes impériales, ils élurent Autharis. Le mariage d'Autharis avec Théodelinde, princesse bavaroise d'origine et catholique de religion, eut une grande influence sur les destinées du peuple lombard. C'est à la reine Théodelinde que l'Église doit l'érection d'un grand nombre d'églises, entre autre celle de saint Jean-Baptiste de Monza, où devait être placée la couronne de fer des rois lombards. Elle lui doit aussi la fondation du célèbre monastère de Bobbio, où saint Colomban vint finir ses jours, et peut-être la conversion de son second mari, le roi Agidulfe[20]. L'avènement de son neveu Aripert, en 653, détermina l'arrivée au pouvoir d'une branche catholique, qui mit fin à l'arianisme et rétablit l'unité de la foi dans l'Italie[21]. Le royaume lombard était cependant destiné à disparaître. L'aversion que ce peuple, par son aspect extérieur, inspirait aux habitants de l'Italie, les défauts de sa constitution politique, trop favorable à la formation de duchés indépendants, et par là trop réfractaire à l'unité nationale, par-dessus tout l'ambition de ses princes qui, désireux de s'emparer de la ville de Rome, s'aliénèrent la Papauté et la forcèrent de chercher un appui auprès des princes francs ; telles furent les causes multiples qui mirent fin à la domination lombarde. Elle avait duré deux siècles (568-774).

Mais celle-ci, de même que la domination des Ostrogoths laissait une trace profonde dans l'histoire. Des institutions monastiques telles que l'érection du monastère de Bobbio et la restauration de l'abbaye du Mont-Cassin, des monuments juridiques comme l'Edit royal de Rotharis, une évolution politique et sociale comme celle que le séjour des Lombards en Italie venait de déterminer, méritent d'arrêter notre attention[22].

C'est en 612 que saint Colomban, exilé de son abbaye de Luxeuil à cause de la fière liberté de sa parole, puis des bords du lac de Constance par suite d'un excès de zèle d'un de ses moines, arrivait en Italie et recevait de la grande reine Théodelinde l'accueil le plus empressé. Dans la vallée de la Trébie, le domaine de Bobbio lui fut concédé pour qu'il y bâtît un monastère. La renommée de sainteté qui s'attachait aux pas du célèbre moine irlandais, le bruit de l'ascendant qu'il avait exercé sur la vieille reine Brunehaut et des invectives courageuses qu'il avait lancées contre le roi Thierry, la forte discipline de sa colonie monastique, qui l'avait suivi d'Irlande en Burgondie, de Burgondie en Austrasie, d'Austrasie en Italie, et au milieu de laquelle il apparaissait plutôt comme un chef de clan que comme un père de famille, tout cela donnait à Colomban comme une physionomie de prophète, à la manière des voyants d'Israël. Chez les Lombards, qui furent de tous les peuples goths les plus pénétrés d'esprit germanique, l'apparition de l'apôtre anglo-saxon, qui semblait incarner tout ce qu'il y avait de fierté nationale et d'audace un peu sauvage dans les races du Nord, ne tarda pas à porter des fruits. Le couvent de Bobbio fut bientôt un foyer d'ardent prosélytisme au milieu des païens, un centre de lutte énergique contre les derniers tenants de l'arianisme. Colomban y établit, et jusqu'à sa mort, arrivée en 615, y maintint dans toute sa rigueur cette fameuse Règle, empruntée en grande partie aux moines de Bangor, qui semblait ne tenir aucun compte de la faiblesse humaine, qui punissait les infractions par des jeûnes, des emprisonnements et des coups de verge, qui donnait aux supérieurs des pouvoirs sans appel, qui supposait chez tous, abbés, prieurs et moines, une abnégation et un dévouement sans mesure, des corps de fer et des âmes de héros[23]. Mais Colomban mort, sa Règle parut dure, et quand au début du IXe siècle, les Lombards se furent mêlés aux populations d'Italie, elle devint inapplicable. Tous les monastères qui se fondaient sous l'influence de Luxeuil et de Bobbio prenaient la plus grande partie de la Règle bénédictine. En 817, le Concile d'Aix-la-Chapelle prescrivit dans tous les couvents de l'empire carolingien l'adoption de la Règle de saint Benoît. Luxeuil et Bobbio finirent par l'embrasser. La Règle de saint Colomban avait rempli sa mission providentielle. Comme l'avait fait l'étonnante vie des Pères du désert au milieu du monde gréco-romain, comme le ferait un jour la sublime folie de la pauvreté de saint François d'Assise en pleine féodalité, l'austère Règle de saint Colomban avait montré, au sein du monde barbare, égoïste et jaloux de ses droits personnels, jusqu'où pouvait aller l'enthousiasme de l'héroïsme dans l'obéissance et dans l'oubli de soi. Ceux-là mêmes qui ne purent supporter cette forte discipline conservèrent avec un soin jaloux les reliques sacrées du grand moine, son calice et son bâton de palmier épineux. On les vénère encore à l'église de San Colombano de Bobbio. Comblée des faveurs des rois de France et des empereurs d'Allemagne, l'abbaye de Bobbio devint au Moyen Age un des plus importants foyers de la vie intellectuelle. C'est sur les manuscrits de Bobbio que se sont appuyées beaucoup de découvertes littéraires et historiques des temps modernes[24].

On a attribué à saint Colomban et à sa Règle une influence plus importante encore sur les institutions ecclésiastiques. On a prétendu que l'Église lui doit l'introduction de la pénitence et de la confession privées.

Celles-ci ne seraient que l'extension d'un usage monacal, la coulpe faite par les moines à leur abbé. L'influence du célèbre moine irlandais l'aurait introduite dans le monde laïc, puis transformée en une institution ecclésiastique universelle[25]. Cette thèse, dit Mgr Duchesne[26], échoue devant les deux considérations que voici : d'abord elle ne rend pas compte de la pénitence privée chez les Grecs et les Orientaux, qui n'ont point été atteints par les influences irlandaise et anglo-saxonne ; on peut en dire autant de Rome, de la basse Italie et de l'Espagne ; en second lieu, il est impossible d'admettre que le clergé épiscopal des pays francs, généralement peu favorable à saint Colomban et à ses moines, se soit laissé imposer par eux un changement disciplinaire aussi grave. Ce qui paraît plus vraisemblable, c'est que saint Colomban et ses moines se firent les apôtres de la confession privée, peu pratiquée autour d'eux, et que, pour en faciliter l'exercice, ils remplacèrent la pénitence par l'imposition des mains et la réconciliation publique par la pénitence privée, usitée dans les monastères[27].

Tandis que la Règle bénédictine s'étendait sur tous les pays d'Europe, le berceau de la famille bénédictine, le Mont-Cassin, ruiné par les invasions, restait désert. Les restes vénérés de saint Benoît et de sainte Scholastique en avaient été enlevés en 679[28]. En 716, un riche habitant de Brescia, Pétronace, aidé de quelques moines de Rome, entreprit, avec les encouragements du pape Grégoire II et l'appui du duc lombard Gisulph de Bénévent, de relever l'abbaye du Mont-Cassin de ses ruines. Dieu bénit l'œuvre pieuse. Pétronace mourut abbé du monastère. En 748, le pape saint Zacharie consacra la nouvelle église, exempta le couvent de toute juridiction épiscopale, et y déposa l'exemplaire original de la Règle de saint Benoît. On sait les grandes destinées de l'illustre abbaye. Le roi lombard Ratehis et le frère de Pépin, Carloman, vinrent chercher un asile dans son cloître. C'est là aussi que le moine Paul Warnefrid, plus connu sous le nom de Paul Diacre, écrivit vers la fin du vine siècle son Historia Longobardorum qui, dit M. Molinier[29], jouit au Moyen Age d'une faveur extraordinaire et, à tout prendre, méritée. Nul autre peuple, dit Kurth[30], n'a trouvé dans son historien national un si fidèle écho de sa vie, un interprète si ému de ses sentiments.

Ces traces de la domination lombarde se rencontrèrent aussi dans le style original des églises de cette époque. Dérivé alourdi du style byzantin, le style lombard, dit Moeller[31], a sa place dans l'histoire de l'art.

Le peuple lombard se survécut aussi dans sa législation. L'Édit Royal de Rotharis, promulgué en assemblée nationale dans le courant de l'année 683, en 388 articles[32], se distingue des autres lois barbares par des particularités remarquables. Il les dépasse toutes par son étendue et par la complexité de ses dispositions. Il embrasse non seulement le droit public et le droit criminel, mais encore le droit privé qui, dans l'Edit de Théodoric, n'existait pas pour ainsi dire, chacun devant être jugé suivant les lois de son propre pays. Aucune loi de cette époque n'est empreinte d'un caractère plus foncièrement germanique[33]. La loi nationale des Lombards a survécu à la plupart des autres législations nationales. Complétée et amendée par les successeurs de Rotharis et par les souverains carolingiens, elle se perpétua bien avant dans le Moyen Age. Grâce à sa merveilleuse adaptation au peuple pour lequel elle avait été faite, elle garda longtemps, à côté de la législation romaine et de la législation canonique, son caractère propre. Interprétée par les jurisconsultes, elle entretint en Italie une activité juridique[34], qui valut aux écoles italiennes, lors de la renaissance du droit romain, un rang distingué parmi les autres écoles de l'Europe. Ce fut là, semble-t-il, son principal rôle, car le droit romain, tel que l'avait promulgué l'empereur Justinien, ne cessa jamais d'exercer en Italie une influence prépondérante. Les ecclésiastiques le suivaient et le réclamaient comme leur droit, subsidiairement aux règles canoniques. En 887, Léon IV, écrivant à l'empereur Lothaire Ier, se félicitait de ce que la loi romaine était jusqu'à ce moment restée à l'abri des tempêtes universelles et demandait qu'elle persistât à être maintenue dans sa force et dans sa vigueur[35].

Ainsi peu à peu, en même temps que les races se mêlaient, les institutions les plus fortes et les législations les plus autonomes se fondaient, chez les peuples gothiques, dans l'unité de l'Église et des traditions romaines.

Un résultat plus persistant et bien plus grave de la domination lombarde fut la profonde modification qu'elle avait apportée dans la géographie politique de l'Italie et dans sa situation sociale. Désormais on distingua dans la péninsule deux régions : l'Italie lombarde qui occupait le nord et le centre, et l'Italie byzantine qui comprenait le littoral et quelques villes du centre dont la principale était la ville de Rome. De plus, dans l'Italie lombarde comme dans l'Italie byzantine, la nécessité de la défense contre les barbares et l'ambition des fonctionnaires impériaux avait fait surgir une féodalité nouvelle, puissante et agitée. Nulle part plus qu'à Rome, enclave byzantine au milieu de l'Italie lombarde, ne se firent sentir les difficultés inhérentes à cette situation : impuissance radicale du pouvoir impérial à maintenir l'ordre, rivalités incessantes des familles seigneuriales, conflit perpétuel de l'aristocratie militaire et de l'aristocratie ecclésiastique. Rome souffrira longtemps de ce malaise intérieur. La puissante épée de Charlemagne y mettra fin pour un temps, mais les troubles renaîtront avec une violence extrême au Xe siècle sous l'influence néfaste de la maison de Théophylacte, au XIVe siècle par l'agitation de tribuns tels que Rienzi. Il faudra, pour l'en délivrer tout à fait, l'établissement d'un pouvoir temporel très puissant et très solide. Les Papes et les princes chrétiens y pourvoiront.

Quand les armes des rois de France abattirent la puissance des Lombards, les royaumes brillants et éphémères des Burgondes et des Visigoths avaient depuis longtemps disparu du sol de la Gaule, mais ils se survivaient, eux aussi, par leurs grands hommes et par leurs législations.

 

III

Les Visigoths et les Burgondes, de race gothique et de religion arienne comme les Hérules, les Ostrogoths et les Lombards, eurent ceci de particulier, qu'ils ne s'introduisirent point de force dans les régions qu'ils devaient occuper ; ils y furent appelés par le pouvoir impérial lui-même[36].

Au début du Ve siècle, les habitants de Rome, à trois reprises différentes pour le moins, en 406, en 408 et en 409, avaient vu passer une cohue de barbares pillards, de haute taille, des septipedes, des hommes de sept pieds, comme les appelle Sidoine Apollinaire, qui jetèrent l'épouvante parmi eux. C'était les Visigoths, conduits par leur roi Alaric Ier. Il paraît démontré qu'ils avaient été appelés en Italie, d'abord par Stilicon, premier ministre d'Honorius empereur d'Occident, pour combattre Arcadius, puis par Rufin, premier ministre d'Arcadius empereur d'Orient, pour se défendre contre les troupes d'Honorius. Ces barbares, qui touchaient de l'argent des deux côtés, rêvèrent dès lors de prendre pour eux cet empire que les deux frères se disputaient. En 414, le successeur d'Alaric, Ataulf, revêtu des insignes de maître de la milice, paraît avoir eu l'idée de se fixer à Rome. Mais il reçut de l'empereur une nouvelle mission, celle d'aller combattre, au nom de l'empire, les  barbares qui menaçaient les provinces romaines de Gaule et d'Espagne. Il s'y rendit, chassa les barbares, et s'établit fortement pour son propre compte entre le Rhône, la Garonne et les Pyrénées. Sa capitale fut Toulouse. Les Visigoths furent un peuple sans cesse agité. Jusqu'au moment où Clovis les rejeta au-delà des Pyrénées, ils demeurèrent dans la Gaule méridionale une cause de troubles. Les empereurs utilisèrent ce besoin d'action. Ils les employèrent soit à combattre les Huns et les Vandales, soit à réprimer les révoltes dans l'empire. Le plus grand des rois Visigoths fut Euric. Sous son règne, le royaume des Visigoths, qui s'étendait en Gaule et en Espagne, atteignit l'apogée de sa puissance. Euric, dit un historien[37], eût peut-être assuré aux Visigoths l'empire de la Gaule, s'il eût gagné l'Eglise à sa cause.

Euric fut en effet un persécuteur de l'Eglise. Parvenu au trône par un fratricide, il gouverna avec intelligence et suite dans les idées, mais il se déshonora par la déloyauté, la trahison et le meurtre. Il fut surtout sectaire. Euric, roi des Goths, dit saint Grégoire de Tours, fit peser dans les Gaules une cruelle persécution sur les chrétiens. Il ordonnait de décapiter tous ceux qui ne voulaient pas se soumettre à sa perverse hérésie et jetait les prêtres dans des cachots. Il avait ordonné de fermer avec des épines l'entrée des églises, afin que l'absence du culte divin fit tomber la foi en oubli : la Novempopulanie et les deux Aquitaines furent surtout en proie à ces ravages. Il existe encore aujourd'hui à ce sujet une lettre du noble Sidoine à l'évêque Basile, dans laquelle ces détails sont consignés[38]. Dans la lettre dont Grégoire de Tours fait mention, Sidoine Apollinaire dit qu'on eût pu prendre Euric pour un chef de secte plutôt que pour un chef de peuple[39]. Euric, se rendant compte de l'inefficacité des mesures sanglantes, imagina dans la suite un procédé plus perfide, la désorganisation et l'extinction graduelle du clergé. Il défendit de pourvoir à la vacance des sièges. Il multiplia les obstacles au recrutement des clercs. Le culte dut être interrompu en plusieurs endroits. Euric mourut en 484. Son fils Alaric II et ses successeurs ne poursuivirent pas l'exécution de ses mesures tyranniques. Mais le royaume était aux mains des ariens, enhardis par la protection que leur avait accordée le règne précédent. On voyait, çà et là, dans les villes, une poignée d'hérétiques opprimer les catholiques fidèles. Ce fut l'ère des persécutions locales. Il est raconté dans la vie de saint Césaire que, sous prétexte de chasser le sanglier, les Visigoths sectaires ravageaient les terres des couvents, s'installaient chez les paysans des monastères et les employaient à leurs chasses, mettaient le trouble dans les communautés monastiques. L'évêque d'Arles, en présence de la mauvaise volonté du pouvoir, essaya en vain de se faire protéger par les Romains. Il s'adressa alors à Dieu par la prière. Les sangliers disparurent des terres monastiques, comme par miracle[40]. Ce fut une accalmie relative, dont le saint bénit Dieu.

La persécution populaire prenait parfois un caractère politique. Après la conversion des Francs, on accusa les catholiques de pactiser avec eux. Saint Grégoire de Tours a raconté l'émeute qui faillit coûter la vie à Quintianus, évêque de Rodez[41]. Césaire lui-même, le grand évêque qui, dans la ville d'Arles, était entouré de la vénération générale, ne put échapper à leur suspicion. Il était burgonde d'origine ; on l'accusa de trahison au profit de ses anciens rois : Césaire voulait, disait-on, livrer aux Burgondes la ville d'Arles. Il fut enlevé à son siège et exilé à Bordeaux[42]. Ces persécutions servirent à leur manière la cause de l'Église. Les populations méridionales de la Gaule, indolentes et vives, amies des longs repos et des plaisirs bruyants, s'étaient trop facilement accommodées de la venue des nouveaux maîtres. Elles se redressèrent sous l'affront. On vit bien alors que chez elles l'insouciance n'était que de surface. Leur fond de générosité native se réveilla : Leur foi leur devint chère, dit Godefroid Kurth[43], quand ils la virent opprimée, et les plus indifférents retrouvèrent pour elle une certaine ardeur politique. Et puis les Aquitains tenaient à leurs évêques. La guerre faite à l'épiscopat réveilla tout ce qu'il y avait de plus généreux et de plus fier dans leurs âmes. Les Visigoths, battus à Vouillé par les troupes de Clovis, s'en allèrent sous le coup de l'exécration générale.

On ne peut refuser à Euric, et même à Alaric, un vrai sens politique, qui, toutes les fois que la passion sectaire ne les égara pas, aboutit à des résultats utiles à la civilisation générale. Tel fut le Code de lois connu sous le nom de Lex Visigothorum ou de Breviarium Alaricianum. Il est difficile de préciser dans ce Code, modifié par les rois Visigoths d'Espagne Léovigilde et Reccarède, la part qui revient à Euric. Bluhme, Brumær et Esmein ont cependant cru pouvoir le faire[44]. Ce qui est certain, c'est que la Lex Visigothorum, telle qu'elle est, se trouve être la plus douce des lois barbares[45]. On n'y rencontre pas de trace du duel judiciaire. On peut conjecturer que l'influence religieuse s'est exercée sur la législation d'Euric lui-même. A cette époque, comme on l'a dit justement, il n'était en Gaule qu'un pouvoir vraiment fort, c'était l'épiscopat[46]. Quand l'Eglise constitue de fait, dans un Etat, une force sociale, un politique comme Euric en tient compte ; quand l'esprit chrétien est dans l'atmosphère ambiante, les persécuteurs eux-mêmes s'en pénètrent.

Or, l'esprit chrétien avait déjà, dans la Gaule méridionale, un foyer puissant, grâce au grand évêque que l'on a justement appelé le précepteur de l'Église franque[47], saint Césaire d'Arles. Césaire, dit M. Paul Lejay[48], est un de ceux qui ont donné à l'Église mérovingienne une doctrine, une prédication, une discipline et une culture. Non point que l'évêque d'Arles soit un théologien de grande envergure. Sa doctrine est celle de saint Augustin, son maître. Il s'y tient avec une fidélité scrupuleuse, presque obstinée. Il aime à la condenser en maximes claires, brèves et didactiquement disposées. Mais il tempère la rigueur des formules par un sens rare de la vie pratique. Saint Césaire est un catéchiste. La qualification qui lui conviendrait le mieux serait peut-être celle de catéchiste de l'Église des temps mérovingiens. Du catéchiste, rompu au labeur de l'éducation religieuse des masses populaires, il a le langage simple, familier, la définition facile à retenir ; il en a aussi le sens de la vie réelle. Nous avons de lui plusieurs documents qui ont la teneur d'un symbole de foi, et Dom Germain Morin a fait valoir les raisons sérieuses qui porteraient à lui attribuer la rédaction du Symbole dit de saint Athanase[49]. Il aurait été alors le catéchiste de l'Église universelle. Ses sermons d'ailleurs, pris par les tachygraphes au moment où il les prononçait, étaient prêchés dans toute l'Église franque et même au-delà[50]. C'est sur les grandes questions de la grâce, de la prédestination, de la Trinité et de l'Incarnation, que l'évêque d'Arles a eu à se prononcer dans les six conciles qu'il a présidés ou qu'il a inspirés : Agde (506), IVe d'Arles (524), Carpentras (527), IIe d'Orange, IIe de Vaison (529), Marseille (533). Mais ce sont les questions les plus ordinaires de la vie journalière qu'on rencontre dans ses sermons. Vivant au milieu de son troupeau, quotidiennement mêlé au peuple qu'il catéchise, il multiplie les conseils les plus pratiques, fondés sur les observations les plus précises. Son œuvre oratoire devient ainsi le tableau authentique de la vie chrétienne à cette époque. Il mentionne la réception de l'Eucharistie à l'approche des grandes fêtes[51]. Il menace du refus de la bénédiction d'un mariage comme d'une peine ecclésiastique[52], preuve qu'à cette époque la bénédiction nuptiale était regardée comme absolument indépendante de la validité. Il nous fournit une des premières mentions authentiques que nous trouvions dans l'antiquité sur le sacrement de l'Extrême-Onction[53]. On rencontre dans ces sermons des préceptes absolus sur l'obligation de l'aumône, fixée à la dîme au moins des revenus[54]. On y découvre une des premières énumérations des œuvres de miséricorde, présentées comme effaçant les péchés menus (peccata minuta)[55]. Césaire a trouvé autour de lui l'usage de la pénitence privée et il en recommande la pratique[56]. Sa doctrine sur le purgatoire a une précision qu'on ne lit guère avant lui[57]. Et toutes ces leçons, tous ces conseils sont donnés avec une bonté, une condescendance pour la faiblesse humaine, un souci du détail, un ton de finesse malicieuse, une bonhomie bourguignonne, qui font de ce gallo-romain, né sur le territoire de Chalon-sur-Saône, une des figures les plus attachantes de l'époque mérovingienne[58].

La vie chrétienne de cette époque s'est-elle exprimée au sud de la Gaule par une architecture spéciale, par une sorte d'art pré-roman, qui en se développant aurait abouti à l'art gothique ? On l'a soutenu avec beaucoup de science et de talent[59]. Mais cette théorie ne paraît pas démontrée. Il reste probable que le qualificatif de gothique n'a été donné à l'art du Moyen Age que parce qu'il était synonyme de barbare[60], et que les Visigoths n'ont eu qu'un rôle insignifiant dans l'évolution de l'architecture religieuse.

 

V

Les moins barbares, les plus facilement assimilés à la civilisation romaine, de tous les hommes de race gothique, paraissent avoir été les Burgondes. Déjà au Ive siècle, au rapport d'Ammien Marcellin, ils étaient fiers de se dire issus de la même famille que les Romains, sobolem se esse romanam Burgundii sciunt. Les empereurs, qui en avaient un grand nombre à leur solde, les avaient échelonnés le long du Rhin pour protéger Trèves ; ils les placèrent ensuite le long des Alpes, pour garantir la Provence. Or, de distance en distance, ces barbares, ayant construit des châteaux-forts ou burgs, en prirent, dit Paul Orose, le nom de Burgondes ou hommes des burgs[61]. L'histoire des événements qui les déterminèrent à occuper le sud-est de la Gaule est obscure. Ils y furent probablement amenés par les gallo-romains et s'y fixèrent. Autant qu'on peut en juger, écrit M. Bayet, le royaume burgonde était limité du côté des Francs par le plateau de Langres ; du côté des Alamans par la trouée de Belfort, l'Aar et le Jura septentrional ; du côté des Ostrogoths par les Alpes ; à l'ouest, par une partie du cours inférieur du Rhône, le cours supérieur de la Loire, les monts du Morvan et la Côte d'Or ; au sud, la Durance le séparait de la Provence gothique, mais à diverses reprises les Burgondes la franchirent[62]. Les Burgondes furent de bonne heure convertis à la foi catholique. Leur conversion doit dater de l'époque de leur séjour aux environs de Trèves, où ils se trouvèrent en contact avec les premiers missionnaires de la Germanie[63]. Leur arianisme leur vint de leurs rapports avec les Visigoths. Il atteignit surtout la haute classe de la société. Mais il y eut toujours en Burgondie une partie notable de la population très attachée à la foi catholique. C'est la burgonde Clotilde qui convertit le roi des Francs à la fin du Ve siècle ; cent ans plus tard le chapelain de la reine Berthe, l'évêque Luidhard, qui contribua à la conversion du roi d'Angleterre Ethelbert, était burgonde. Nous savons que saint Césaire était originaire de Burgondie. Le roi Gontran de Burgondie est honoré du titre de saint[64]. C'est uniquement par peur de ses sujets, dit Grégoire de Tours, que le roi Gondebaud n'abjura pas l'arianisme[65]. Son fils Sigismond fut converti par saint Avit, mais, esprit faible, il se laissa conduire par le romain Avitus, et le roi franc Clodomir le fit périr avec sa famille en 524. Le royaume des Burgondes était dès lors condamné. En vain le frère de Sigismond, Gondemar, essaya-t-il de relever la cause de son pays par les armes. Il fut battu en 534 par les rois francs Clotaire et Childebert. C'était la fin de la Burgondie. Ce royaume n'avait guère vécu plus d'un siècle, de 413 à 534.

Ce n'est donc point par la durée de sa vie nationale ni par la gloire de ses armes que ce peuple s'est acquis un renom dans l'histoire, c'est plutôt par l'éclat de sa vie intellectuelle. Une race qui a donné aux VIe et VIIe siècles leurs meilleurs historiens, qui a possédé les plus célèbres écoles de rhétorique de la Gaule, qui a inspiré et sans doute ébauché l'épopée des Niebelungen, qui a su comprendre les hautes pensées d'un saint Avit et qui a exprimé sa vie et ses mœurs dans la loi Gombette, était un apport précieux pour la Chrétienté.

Né dans le pays d'Autun vers 530, mort en 593, le chroniqueur Marius d'Avenche se tient au courant des menus faits de la politique grecque, interroge les pèlerins, les marchands de passage et nous laisse une œuvre sèche, concise, mais de haute valeur[66]. C'est à la Burgondie qu'appartiennent également les trois auteurs de la Chronique dite de Frédégaire, écrite de 584 à 642, et qui, dans un latin extraordinairement barbare, renferme, au dire d'un juge compétent, presque autant de renseignements utiles que de mots[67].

La Burgondie a ses écoles de rhéteurs. La plus célèbre est celle que Viventiolus tient à Lyon. Celle de Valence, dirigée par Sabaudus, que loue Sidoine Apollinaire, a probablement formé à l'éloquence saint Avit.

Le pseudo-Frédégaire déclare qu'il écrit ses mémoires ab illustro viro Niebelungo[68]. C'est le nom qui donnera son titre à l'épopée allemande du XIIe siècle. Les Niebelungen, récit épique des gestes de Burgondie, ont été composés sur des chants populaires dont l'antiquité remonte probablement jusqu'à l'époque qui suivit immédiatement la ruine du royaume burgonde.

Mais le grand poète du royaume fut l'évêque de Vienne, saint Avit[69]. Alcinius Ecdicius Avitus, né probablement à Vienne vers 450, mort vers 520, n'est pas seulement le clairvoyant homme d'Etat qui, dans ses lettres à Clovis, augure avec tant de précision le rôle futur de la monarchie franque, l'évêque plein d'initiative qui devient l'âme du concile d'Epaone, le défenseur du Saint-Siège dont la protestation vigoureuse se fait entendre au milieu de la lutte de l'antipape Laurent contre Symmaque : saint Avit, c'est le poète éloquent dont l'œuvre remarquable, De spiritalis historiæ Gestis, forme, dit Guizot, comme un Paradis perdu qui mérite l'honneur d'être comparé de près à celui de Milton[70] ; c'est le théologien de valeur, qui défend la procession du Saint-Esprit a Patre et Filio[71], et qui affirme avec tant de précision la divinité de Jésus-Christ, qu'Agobard de Lyon se réclamera de lui pour combattre l'adoptianisme de Félix d'Urgel[72] ; c'est le canoniste éclairé qui gémit de l'ingérence abusive des séculiers dans les élections épiscopales[73], qui ne veut pas que les clercs dépendent de la justice laïque[74], et qui lutta pour faire abolir les ordalies[75].

La vie d'un peuple ne se révèle pas seulement par ses grands hommes ; elle se manifeste aussi par ses institutions juridiques.

L'historien Socrate nous dit que les Burgondes étaient des hommes d'esprit sage et de bonne humeur[76]. Paul Orose nous apprend qu'ils vivaient tout doucement et tout bonnement[77]. C'est bien l'impression que donne la lecture de leur Code, chef-d'œuvre de bon sens et de modération pour l'époque. Saint Avit ne réussit pas, il est vrai, à en faire effacer la coutume du duel judiciaire, et au IXe siècle saint Agobard s'élèvera contre les restes de barbarie que ce code sanctionne[78], mais il n'en reste pas moins un monument important, marquant une étape considérable dans le progrès du droit civil et criminel.

Le prologue de la loi contient une protestation énergique contre la vénalité de la justice. Le juge qui aura reçu de l'argent à l'occasion de l'exercice de ses fonctions sera puni de mort[79]. Le magistrat qui se rendra coupable d'un déni de justice, c'est-à-dire qui aura refusé de juger, sera passible d'une amende[80]. Parmi les peines les plus sévères se trouvent celles qui concernent l'infidélité conjugale. En cas d'adultère, l'homme et la femme coupables sont également punis de mort[81]. La femme qui aura abandonné son mari sera étouffée dans la boue[82]. La plupart des autres sanctions n'ont pas ce caractère terrible. L'homme libre accusé d'un crime se disculpera en affirmant par serment son innocence et en faisant jurer avec lui douze hommes libres. Si l'adversaire refuse le serment, on tranche la question par le duel[83]. Ceux qui n'ont pas de bois pourront en couper dans les forêts, à la condition d'épargner les arbres fruitiers et les sapins. Certaines pénalités révèlent un peuple d'humeur très gauloise, par exemple la peine infligée aux voleurs de chiens[84].

La loi de Gondebaud ou loi Gombette (lex gundobada) fut rapidement populaire. Après la fusion des Burgondes avec les Visigoths, certains groupes continuèrent à professer en justice la loi Gombette ; on les appela Gundobadi ; c'est contre eux qu'écrivit Agobard au IXe siècle. La Burgondie nous offre un exemple remarquable d'un peuple politiquement aboli qui se survit par sa législation et par ses traditions nationales. A la fin du VIe siècle et au VIIe siècle, pendant la grande lutte qui divise la France en Neustrie et Austrasie, ce sont les Burgondes qui font, presque à leur gré, pencher la balance : du jour où ils abandonnent le parti de Brunehaut, Brunehaut est perdue[85]. Près de trois siècles plus tard, quand l'empire de Charlemagne se désagrège, c'est la Bourgogne qui a la première assez de cohésion pour former un royaume ; et, pendant deux siècles, ce royaume brille d'un grand éclat[86]. Quand le restaurateur de l'empire, Otton Ier, au Xe siècle, épousera la bourguignonne Adélaïde, la sainte fille du roi Rodolphe étonnera la cour impériale d'Allemagne par l'étendue de son savoir autant que par l'éminence de ses vertus.

 

V

Cependant, de l'autre côté des Pyrénées, où les armes de Clovis et la réprobation populaire de la Gaule méridionale les avaient relégués, les Visigoths poursuivaient sur la terre d'Espagne ce rêve d'un grand royaume gothique et arien, qui avait hanté vainement, en Italie et en Gaule, les ambitions de Théodoric, d'Autharis, d'Euric et de Gondebaud. Mais ni les Visigoths d'Espagne, ni leurs voisins, les Vandales d'Afrique, ne devaient fonder rien de stable, et le rêve allait se dérober une fois de plus à la race que l'hérésie arienne avait atteinte. Troisième

Sur ce sol ibérique, où l'influence romaine était depuis longtemps prépondérante, d'où étaient sortis le philosophe Sénèque, les poètes Lucain et Martial, le rhéteur Quintilien et quatre empereurs romains, Trajan, Hadrien, Marc-Aurèle et Théodose, les Visigoths avaient d'abord rencontré des rivaux, les Vandales, et s'étaient unis aux Romains pour les attaquer. Les Vandales, en effet, accompagnés des Alains et des Suèves, avaient envahi l'Espagne au commencement du Ve siècle. Ce peuple, dont le nom est devenu synonyme de dévastateur, et qui semble avoir eu surtout une activité exubérante à dépenser, venait de traverser la Gaule en la ravageant avec une fureur qu'aucune horde barbare n'égala jamais. Mais à peine les Vandales avaient-ils cru pouvoir s'installer en liberté sur la terre espagnole, qu'on les avait vus quitter l'épée pour la charrue. Au bout de peu de temps, au témoignage d'un contemporain, Paul Orose[87], l'aspect des terres qu'ils occupaient fut transformé. Elles se couvrirent de moissons, se peuplèrent de troupeaux, et, chose plus extraordinaire, si les récits de Paul Orose et de Salvien ne sont pas exagérés, ces barbares introduisirent dans les lois et dans les mœurs unetelle équité, surtout un tel respect de la parole donnée, que le peuple vaincu s'attachait à eux et ne regrettait pas le gouvernement des Romains[88].

Un tel peuple aurait été un rival redoutable pour les Visigoths. Un événement imprévu l'écarta de la péninsule. En 422, le dernier comte d'Afrique, Boniface, fit appel aux Vandales dans sa lutte contre les troupes romaines. Ceux-ci accoururent en masse et envahirent l'Afrique comme ils avaient envahi l'Espagne. Les écrivains du temps, Procope de Césarée, Possidius, Victor de Vite, saint Augustin lui-même nous ont Persécution raconté la terrible persécution de Genséric, qui appartient à l'histoire ancienne de l'Eglise. Hunéric, fils de Genséric, qui monta sur le trône au lendemain de la chute de l'empire romain en 477, avait accordé d'abord quelque liberté aux catholiques, mais bientôt, sous l'influence de l'évêque arien Cyrilla, il édicta contre eux les peines les plus sévères. Le chroniqueur Victor de Vite, dans son style archaïque et vibrant, nous a laissé le tableau des atrocités sans nombre au milieu desquelles l'Église d'Afrique, trop affaiblie par le bien-être et les plaisirs, retrouva le courage des martyrs  des premiers siècles. Il faut lire le tableau de cet entassement de martyrs dans une prison infecte, où il fut donné au chroniqueur de pénétrer. On les avait jetés là, dit-il, comme on jette à la pelle des tas de sauterelles, ou plutôt, je me trompe, comme les grains d'un précieux froment. Ils étouffaient, et quand nous pénétrâmes dans ce lieu, nous faillîmes suffoquer nous-mêmes[89]. Ailleurs, c'est la description d'un exode lamentable de chrétiens, exilés au pays des Maures. L'évêque de Vite entendit une vieille femme, qui traînait péniblement par la main son petit-fils encore enfant, l'exhorter à se hâter gaiement dans sa marche. Quand elle aperçut l'évêque : Bénissez-moi, lui dit-elle, et priez pour mon petit-fils. Je me rends en exil avec cet enfant de peur que le diable, le trouvant tout seul après ma mort, ne le fasse choir du grand trépas. Nous ne pûmes l'entendre sans pleurer, dit Victor[90], et nous ne souhaitâmes rien d'autre, sinon l'accomplissement de la volonté de Dieu. Victor de Vite nous donne encore le récit du célèbre miracle de Typasa, où des hommes à qui on avait coupé la langue jusqu'à la racine, recouvrèrent la parole. S'il s'en trouve qui ne croient pas à mon témoignage, ajoute le chroniqueur, qu'ils se rendent à Constantinople : ils y pourront voir un survivant, le sous-diacre Reparatus, qui parle encore aujourd'hui très correctement sans le moindre effort[91].

Après une période de paix sous le roi Gontamond, le roi Thrasimond, de 496 à 523, renouvela les anciennes cruautés contre les catholiques. Cent vingt évêques d'Afrique furent exilés en Sardaigne. De ce nombre fut saint Fulgence, évêque de Ruspe. Fulgence, issu d'une des familles les plus considérables, avait d'abord servi le royaume vandale dans la carrière administrative. La lecture d'une page de saint Augustin l'arracha au monde[92]. Moine, abbé, évêque, Fulgence resta fidèle à la doctrine de saint Augustin. C'est pour s'être attaché à saint Augustin et à saint Prosper, écrit Bossuet, que saint Fulgence, évêque de Ruspe, a été si célèbre parmi les prédicateurs de la grâce. Ses réponses étaient respectées. Quand il revint de l'exil, qu'il avait souffert pour la foi de la Trinité, toute l'Afrique crut voir en lui un autre Augustin, et chaque église le recevait comme son propre pasteur[93].

La paix était en effet revenue avec le fils de Thrasimond, Hildéric. Mais peu de temps après, en 534, une expédition de Bélisaire mettait fin à la domination vandale, qui avait duré cent ans[94]. Elle avait eu un moment l'apparence d'un grand empire. Dans l'intervalle des persécutions, les rois vandales avaient développé prodigieusement leur marine. Ce peuple qui avait été en Espagne un peuple agriculteur de premier ordre, était sur le point de devenir en Afrique une puissance maritime redoutable. Il tomba sous le poids de ses fautes, de la rivalité des Maures d'Afrique, des représailles des Romains et sans doute de la Justice divine. Il avait été, lui aussi, le fléau de Dieu à sa manière. Les résultats purificateurs de cette terrible mission providentielle, les œuvres théologiques de saint Fulgence de Ruspe, les dramatiques récits du chroniqueur Victor de Vite, le poème de Dracontius et une trace du nom vandale laissé en Espagne dans la province d'Andalousie, c'est tout ce qui nous reste de la domination de ce peuple barbare, qui fut doué d'une si puissante vitalité.

 

VI

Le passage des Vandales en Afrique semblait devoir permettre aux Visigoths de s'établir plus fortement en Espagne. Mais des vices intérieurs ne cessèrent de troubler ce dernier royaume. De la mort d'Alaric II, en 507, à l'avènement de Reccarède, en 586, presque tous ses rois moururent poignardés La plupart d'entre eux, avant de mourir si tristement, avaient tristement vécu. Le successeur immédiat d'Alaric, Gisaldic, fils naturel du roi, était, selon saint Isidore, aussi odieux par sa lâcheté que vil par sa naissance[95] ; un autre roi, Theudiscle, fut assailli et massacré au milieu d'un festin par les grands du royaume dont il avait déshonoré les foyers[96].

Les Goths, dit à ce propos Grégoire de Tours, avaient cette détestable habitude de poignarder les rois qui ne leur convenaient pas pour les remplacer par ceux qui leur convenaient[97]. Quand on pense que ces monarques, en vertu de l'organisation des Églises ariennes, étaient les chefs de l'épiscopat et du clergé, on n'a pas de peine à s'expliquer le désordre intérieur du royaume.

Cependant, à côté du peuple hérétique, de nombreux catholiques, fruits de l'ancienne évangélisation romaine, lui faisaient contraste par l'ardeur de leur foi. En 542, dans une guerre contre les Francs, les catholiques avaient sauvé Saragosse par l'intercession de saint Vincent[98]. Quelques années plus tard était arrivé en Galice un saint missionnaire de Pannonie appelé Martin, comme son illustre compatriote l'évêque de Tours. Saint Grégoire de Tours vante sa science et sa sainteté. Peu de temps après, le roi des Suèves, Théodomir Ier ou Carraric[99], à la suite de la guérison miraculeuse de son fils par une relique de saint Martin de Tours[100], abjurait l'arianisme et nommait saint Martin archevêque de Braga, où se tenait en 572 un concile[101]. La conversion du chef de ce royaume éphémère des Suèves, qui devait disparaître moins d'un demi-siècle plus tard, n'avait point par elle-même une grande influence sur les destinées de l'Église en Espagne. Mais le mouvement était donné. Après saint Martin de Braga, un moine, Donat, prêcha à son tour la vie parfaite en Espagne et fonda un monastère à Xativa[102]. C'est vers cette époque que se multiplièrent en Espagne les solitaires, dont le plus célèbre fut saint Emilien l'encapuchonné, Œmilianus cucullatus, que le peuple espagnol honore sous le nom de saint Milan[103]. Une expansion de vie catholique de plus en plus puissante enserrait, pour ainsi dire, l'église arienne désorganisée, épuisée et sans sève. La conversion du roi des Visigoths devait lui donner le dernier coup.

L'histoire de cette conversion est mêlée à une sanglante tragédie de famille que les chroniqueurs Jean de Blicar, Isidore de Séville et Grégoire de Tours, tous contemporains des événements, nous ont longuement racontée.

Herménégilde, fils du roi Léovigilde, qui, par ses guerres heureuses et par son œuvre législative, fut un des plus grands souverains de l'Espagne wisigothique, avait épousé une princesse franque, Ingonde, fille du roi Sigebert et de Brunehaut. La présence de la jeune princesse catholique à la cour d'Espagne, puis, peu de temps après, la conversion du prince Herménégilde sous l'influence de son parent saint Léandre, archevêque de Séville, excitèrent la fureur de la reine Goswinde, seconde femme de Léovigilde, arienne fanatique[104]. Poussé par sa femme, le roi décréta une persécution violente. La constance des chrétiens devant les menaces fut d'abord admirable. Grégoire de Tours mentionne la torture d'un prêtre qui confessa dans les tourments le dogme de la Trinité[105]. Cependant, gagnés par les libéralités du roi, quelques chrétiens fléchirent. De ce nombre fut Vincent, évêque de Saragosse. Alors la tactique de Léovigilde changea. On ne rebaptisa plus de force. On renonça même à rebaptiser. On se contenta d'exiger une formule ambigüe : Gloire au Père, par le Fils, dans le Saint-Esprit[106]. Beaucoup de défections se produisirent. C'est alors qu'Herménégilde, non sans un combat intérieur, prit une résolution grave[107]. Des groupes de catholiques fidèles, désolés de voir la foi catholique se perdre, brûlaient de secouer le joug de la tyrannie. Herménégilde se met à leur tête, gagne à sa cause les Suèves de la Galice, les Basques des Pyrénées, les garnisons romaines du littoral, et, à la tête d'une puissante armée, marche contre son père[108]. Mais, saisi par trahison dans une église[109], il est jeté dans un cachot, où, ayant refusé de recevoir l'Eucharistie de la main d'un évêque arien, il a la tête fendue d'un coup de hache[110]. L'Église, qui l'honore du titre de martyr, célèbre, le 13 avril, la fête de saint Herménégilde.

On raconte que quelque temps après, en 586, le roi Léovigilde, près de mourir et touché de remords, appela l'évêque Léandre, lui demanda pardon de ses crimes et le sollicita de faire pour son second fils Reccarède ce qu'il avait fait pour Herménégilde, c'est-à-dire de le convertir à la foi catholique[111]. Le saint évêque s'acquitta de sa mission. Il instruisit Reccarède qui, à l'encontre de son père, dit saint Isidore, était doué d'un caractère très doux, d'un esprit sage et prudent. Le dixième mois de son règne, en 587, il abjura solennellement l'hérésie, confessa l'égalité des trois Personnes divines[112] et reçut le Saint-Chrême[113]. A cette occasion, le roi rendit aux catholiques les églises que Léovigilde leur avait enlevées et en fit bâtir plusieurs à ses propres frais. On le vit s'entourer de sages conseillers, dont le principal fut saint Léandre, son oncle[114]. Léandre, issu d'une famille de la haute noblesse de Carthagène, était l'aîné d'une famille de saints : il avait pour frères saint Isidore, qui lui succéda sur le siège de Séville et saint Fulgence, qui devint évêque de sa ville natale, pour sœur sainte Florentine, à l'intention de laquelle il composa son Institutio virginum. Cet ouvrage de saint Léandre est, avec un magnifique discours prononcé au IIIe concile de Tolède, tout ce qui nous reste de ses écrits. Il est de nature à nous faire regretter la perte de ses deux livres de polémique contre les ariens et de sa correspondance avec saint Grégoire le Grand. Mais son œuvre politique nous est connue. On l'a appelé avec raison le saint Remi de l'Espagne. Jusqu'à sa mort, survenue en 596, il soutint de ses conseils le roi Reccarède.

C'est Léandre qui fut l'âme de ce grand concile de Tolède, troisième dans la série des conciles de ce nom, dans lequel la nation espagnole, représentée par son roi, sa reine, soixante-quatre évêques, sept représentants d'évêques et les grands personnages du royaume, primores gentis gothicæ, abjura solennellement l'hérésie arienne. Dans une profession de foi que l'assemblée entière souscrivit et que le procès-verbal du concile nous a conservée, le roi Reccarède affirma sa croyance non seulement à l'égalité des Personnes divines, mais aussi à la procession du Saint-Esprit a Patre Filioque. Cette nouvelle précision du dogme, exprimée par le mot Filioque, qui devait être l'occasion de tant de disputes, commençait donc à être regardée comme essentielle à la foi[115]. D'Espagne elle devait passer à la France et s'imposer plus tard à l'Eglise universelle.

Ce concile de 589 devait être suivi de quinze autres conciles nationaux de. Tolède dont on a pu dire qu'ils ont fait l'Espagne[116].

 

VII

Les conciles espagnols de Tolède avaient ceci de particulier qu'ils tenaient de l'assemblée nationale, ou plutôt qu'ils étaient, en même temps que des conciles, des assemblées nationales. On y traitait ordinairement les questions de dogme et de discipline ecclésiastique pendant les trois premiers jours. Les évêques et les abbés y assistaient alors seuls[117]. Mais le matin du quatrième jour on ouvrait les portes aux grands officiers, ducs, comtes et juges, et le jugement du peuple, comme on disait, venait se joindre au jugement de Dieu ; après la vox Dei, se faisait entendre la vox populi[118].

M. Guizot, dans ses leçons sur L'histoire de la civilisation en Europe, a résumé en quelques traits l'œuvre des conciles de Tolède au point de vue de la civilisation générale. En Espagne, dit-il, c'est l'Église qui essaie de recommencer la civilisation. Au lieu des anciennes assemblées germaines, des mâls de guerriers, l'assemblée qui prévaut en Espagne, c'est le concile de Tolède ; et, dans le concile, quoique les laïcs considérables s'y rendent, ce sont les évêques qui dominent. Ouvrez la loi des Visigoths (telle qu'elle a été modifiée par les conciles) ; ce n'est pas une loi barbare. Elle abonde en idées générales, en théories, et en théories pleinement étrangères aux mœurs barbares. Ainsi vous savez que la législation des Barbares était une législation personnelle ; c'est-à-dire que la même loi ne s'appliquait qu'aux hommes de la même race. Eh bien, la législation des Visigoths n'est point personnelle[119]. Tous les habitants de l'Espagne, Romains ou Visigoths, sont soumis à la même loi. Continuez votre lecture. Chez les Barbares, les hommes avaient, suivant leur situation, une valeur déterminée : le Barbare, le Romain, l'homme libre, le leude, etc., n'étaient pas estimés au même prix ; il y avait un tarif de leurs vies. Le principe de l'égale valeur des hommes devant la loi est établi dans la loi des Visigoths. Regardez au système de procédure ; au lieu du serment, des compurgatores, ou du combat judiciaire, vous trouverez la preuve par témoins, l'examen rationnel du fait tel qu'il peut se faire dans une société civilisée. En un mot, la loi des Visigoths tout entière porte un caractère savant, systématique, social. On y sent l'ouvrage de ce clergé qui prévalait dans les conciles de Tolède et qui influait si puissamment sur le gouvernement du pays[120].

De tels principes d'égalité devant la loi et de respect de la justice ne pouvaient que favoriser l'abolition de l'esclavage. L'Église d'Espagne n'abandonna pas à la seule influence des idées et des principes généraux le progrès de l'œuvre d'émancipation qu'elle avait commencée au concile d'Elvire, dès le début du IVe siècle. Les conciles de Tolède intervinrent directement pour défendre la cause des esclaves. Des juifs en faisaient le trafic. Les conciles défendirent de vendre aux Juifs les esclaves baptisés et tantôt autorisèrent tout fidèle à les racheter, tantôt les déclarèrent libres sans rachat. On ne peut ignorer, dit le Xe concile de Tolède, que ces esclaves ont été rachetés par Jésus-Christ. On devrait plutôt les acheter que les vendre[121]. Les IVe et IXe conciles de Tolède déclarent que les esclaves ou serfs des domaines ecclésiastiques seront affranchis par l'évêque avant de recevoir les ordres sacrés[122].

Dès lors paraît avoir été usitée cette touchante formule, découverte et publiée dans le dernier siècle : Qu'il soit connu de tous les habitants de cette province que moi N., du lieu appelé N., pensant au salut de mon âme, à celui de mes parents et de mes proches pour l'amour du Christ qui nous délivre de la tyrannie de Satan, j'ai résolu de délivrer du joug importun de la servitude humaine un de mes esclaves, appelé N., afin que, lié au service divin, d'une âme libre et tranquille il ne cesse de prier pour la rémission de ses péchés, pour moi et pour les miens, et que, montant successivement les degrés de la sacrée hiérarchie, chaque jour de plus près et plus familièrement il ait moyen de solliciter pour nous la miséricorde divine. Et afin que cet acte de ma volonté soit plus valide, fixe et de perpétuelle durée, je l'ai signé en présence de témoins capables[123]. Peu à peu le clergé se remplit de ministres d'origine servile. Cette circonstance, dit M. Guizot, n'est peut-être pas une de celles qui ont le moins contribué aux efforts de l'Église pour améliorer la condition des serfs[124]. Sans doute, plus tard, au début des guerres féodales, les seigneurs, — et les évêques et abbés seront aussi des seigneurs, — auront une tendance à ne pas se dépouiller de leur personnel de serfs et d'esclaves[125], mais en présence de cet intérêt temporel, l'idée de justice et de fraternité, toujours prêchée par l'Église, prévaudra. L'histoire est là pour l'attester. Seigneurs et rois entendront proclamer par l'Église cette définition du pouvoir donnée au VIe siècle par saint Isidore de Séville, passée dans le droit du Moyen Age par les capitulaires de Charlemagne, les traités canoniques de Jonas, d'Hincmar et d'Abbon, les conciles de Paris en 829 et de Trosly en 909, invoquée au ne siècle par saint Grégoire VII : L'office spécial du roi est de gouverner son peuple avec équité et justice. Il doit être le défenseur des églises, des serviteurs de Dieu, des veuves, des orphelins, de tous les pauvres, de tous ceux qui sont sans appui. Tant qu'il le peut, il doit mettre son zèle, sa crainte, à empêcher l'injustice, et, si elle se commet, à la réprimer. Aussi doit-il, lui qui est le juge des juges, laisser monter vers lui la plainte des pauvres, de peur que ceux qui sont établis par lui et le remplacent auprès des peuples, n'oppriment les petits par leur négligence ou leur iniquité[126]. C'est la même pensée que nous avons déjà vue proclamée si haut par saint Grégoire le Grand : celui qui commande est avant tout le serviteur du droit et de la justice.

L'œuvre de l'Église espagnole eut donc, au VIe siècle, au point de vue des institutions sociales, une portée durable et très haute. Les lois élaborées par les conciles de Tolède contribuèrent à former le recueil considérable d'édits connu d'abord sous le nom de Forum judicum, qui, traduit en castillan au XIIIe siècle par le roi saint Ferdinand sous le titre de Fuero juzgo, est resté longtemps la base du droit espagnol.

Certes, nous ne voulons pas dissimuler qu'il y a des ombres au tableau. Sur cette terre espagnole, qui dans l'antiquité avait élevé le premier autel à la divinité des empereurs, et qui, plus tard, devait donner à l'inquisition un caractère trop politique et trop impitoyable, on regrette de trouver une fusion trop complète entre l'Église et l'État. La composition même des conciles de Tolède favorise cet abus. L'évêque est trop homme politique et le politique est trop mêlé aux choses d'Église. L'Église continue à être proclamée catholique, mais souvent on agit comme si l'on pensait qu'elle est espagnole ; et l'État espagnol, avec une candeur qui surprend, n'hésite pas à faire usage de la force pour maintenir la foi, comme il le ferait pour défendre une institution nationale. Le roi Sisebut oblige les juifs convertis de force à rester catholiques. Il est vrai que saint Isidore de Séville s'insurge contre cette politique et que le IVe concile de Tolède, tenu en 633, blâme nommément Sisebut et proteste de son respect pour la liberté de conscience[127]. Les Juifs n'en sont pas moins, comme l'a dit le plus récent historien de l'Espagne chrétienne, Dom Leclercq[128], les souffre-douleurs perpétuels de l'État espagnol. On les poursuit, on les traque. Si coupables qu'ils soient en plus d'une circonstance, on ne peut s'empêcher de compatir à leur sort ; et si sincères que soient ceux qui les persécutent, on ne peut éviter de reconnaître que, poussée à ces limites, la répression des infidèles n'est autre chose que la survivance en pays chrétien d'une conception païenne de la religion[129].

On doit admirer sans restriction l'œuvre des conciles de Tolède quand, dans leurs canons purement ecclésiastiques, ils proclament, en un langage d'une grande élévation, l'obéissance qui est due aux dogmes catholiques et cherchent à restaurer chez tous, évêques, prêtres et fidèles, le respect de la plus pure morale chrétienne. Le premier canon du concile de 589 qui suivit de près l'abjuration de Reccarède, propose, comme la règle de foi de l'Espagne catholique, le maintien, dans toute leur vigueur, de tous les canons des conciles et de toutes les lettres synodales des évêques de Rome[130]. Immédiatement après il donne l'ordre de chanter à la messe, avant la communion, le symbole de Nicée et de Constantinople[131]. Cette coutume avait été jusque-là propre à l'Orient. C'est par l'Espagne qu'elle s'introduisit en Occident.

Suivent des canons relatifs à la vie des évêques et des clercs à qui on rappelle surtout le saint devoir de la continence cléricale[132], et des prescriptions aux simples fidèles, qu'on s'efforce de ramener aux antiques règles de la pénitence. On leur ordonne, avant de rentrer en communion avec l'Église, de faire pénitence de leurs péchés[133]. Les Pères du IVe concile de Tolède, en 633, n'hésitent pas à rappeler leurs devoirs aux rois eux-mêmes, et ils le font avec un sens politique remarquable. Ils supplient, avec l'humilité qui leur convient, les souverains présents et futurs de l'Espagne de se souvenir crue leur pouvoir est limité : 1° par les droits supérieurs de la justice et de la charité[134] ; 2° par des lois constitutionnelles intangibles[135], et 3° enfin par le contrôle du peuple ou de ses représentants, dans l'exercice d'une justice publique et régulièrement constituée[136].

Pendant que les évêques et les abbés, dans les conciles de Tolède, inspirent des lois chrétiennes, des savants et des saints donnent de grands exemples. Nul homme de génie ; mais les noms de saint Léandre de Séville, de saint Fulgence de Carthagène, de saint Fructueux de Braga, de saint Braulion de Saragosse ne peuvent être passés sous silence. Le plus éminent de tous ces évêques est saint Isidore de Séville. Le VIIIe concile de Tolède l'a proclamé le grand docteur de son siècle et la gloire de l'Eglise[137] et la science d'aujourd'hui n'infirme pas ce jugement. En fait, dit Bardenhewer, saint Isidore a parcouru et sillonné en tous sens le champ de la science du vue siècle, et, parmi les auteurs ecclésiastiques de l'Espagne dans l'antiquité, pas une plume ne saurait rivaliser de fécondité avec la sienne[138].

Il ne faut pas se faire illusion pourtant. Isidore de Séville, travailleur infatigable, est avant tout un compilateur. Son principal ouvrage est une vaste encyclopédie, à laquelle il a travaillé presque toute sa vie, jusqu'à la veille de sa mort. Il l'a intitulé Le livre des Etymologies[139]. Il commence, en effet, par donner du mot qu'il étudie une étymologie souvent bizarre ; puis, par-delà le mot, il va à la chose. Isidore a dû dépouiller des bibliothèques entières. Il donne l'état de la science de son temps. Les auteurs scolastiques ont puisé largement dans cet ouvrage. On a appelé saint Isidore le dernier des Pères de l'Eglise[140]. Après lui, en effet, et jusqu'à saint Bernard, la grande science va se taire pendant quatre siècles. Il serait plus juste peut-être de dire qu'il forme, avec Cassiodore et Boèce, qui l'ont précédé en Italie, Bède, qui le suit en Angleterre, Hincmar de Reims, Paschase Radbert et Raban Maur, qui continuent son œuvre en France au IXe siècle, le principal anneau d'une chaîne qui relie la littérature des Pères à celle des écrivains scolastiques. Pour accréditer sa fameuse collection, l'auteur des fausses Décrétales ne croira pouvoir mieux faire que de la placer sous le nom de saint Isidore de Séville[141].

 

VIII

Quand le saint évêque mourut, en 636, tout semblait donc préparer au royaume visigoth d'Espagne de brillantes et durables destinées. On est étonné de le trouver, un demi-siècle plus tard, en pleine décadence. Les divisions se multiplient parmi les grands, le pouvoir passe et repasse, au gré des factions, dans des mains indignes. Le libertinage ne connaît plus de bornes[142]. Les conciles continuent à légiférer, mais ils manquent de mesure. Le XVIIe concile de Tolède décrète contre les Juifs, même baptisés extérieurement, la confiscation, la réduction en esclavage, l'enlèvement de leurs enfants. La corruption a gagné le clergé ; et peut-être faut-il chercher dans la décadence des mœurs cléricales l'origine de tout le mal. L'Église, dit le cardinal Bourret, est profanée par des intrusions coupables et la dépravation de ses ministres ; le sel de la terre s'est affadi ; le clergé s'avilit en sacrifiant à toutes les ambitions et en sanctionnant toutes les violences[143]. Les malheurs de l'Espagne, écrit le cardinal Pitra, viennent également de la décadence rapide de ses institutions monastiques. Des essais informes, des monastères doubles et mêlés, des familles se séquestrant en masse par égoïsme et par cupidité, ta rareté des vocations sérieuses et le vide des cellules rempli de force par des novices mercenaires, tous ces désordres sont signalés par les monuments du temps[144]. Faut-il attribuer cette décadence cléricale et monastique à un imprudent recrutement des clercs et des moines, qui fit passer trop prématurément l'autorité épiscopale et abbatiale des mains de la race hispano-romaine, dont le christianisme était éprouvé, aux mains de la race wisigothique, encore trop imprégnée des mœurs barbares et infectée du venin d'Arius ? On peut le conjecturer. Quoi qu'il en soit, lorsque en 711, sous le roi Rodérik ou Rodrigue, un seigneur révolté, le comte Julien, aidé d'un évêque traître à sa patrie, Oppa, appela les Sarrazins en Espagne, le pays n'offrit aucune résistance. A la grande bataille de Xérès les partisans du Roi Vitizza, prédécesseur de Rodrigue, se retirèrent sans combattre, les Juifs trahirent, et l'armée espagnole se débanda[145]. Seul le vaillant Pélage resta indompté avec quelques braves dans la caverne de Notre-Dame de Catalonga, où il commença la grande lutte qui devait durer huit siècles, pour aboutir à l'expulsion des Maures et à la reconstitution du royaume espagnol. Mais dans quelle mesure cette seconde conquête est-elle l'œuvre de la race wisigothique ? Il serait difficile de le déterminer.

Ainsi, tandis que les peuples de race teutonique fondaient la France, l'Angleterre, l'Allemagne et les trois États de Scandinavie, de tous les peuples de race gothique aucun n'avait réussi à se constituer en une organisation stable. Les succès les plus brillants des Hérules, des Ostrogoths, des Lombards, des Burgondes, des Vandales et des Visigoths avaient été suivis de catastrophes lamentables. Faut-il attribuer de pareils destins à l'influence d'événements extérieurs et fortuits ? Je ne sache pas qu'on l'ait jamais prétendu. Les nations ne meurent guère que par des causes internes. Dans un peuple qu'anime un idéal commun, la volonté de vivre fait la vie. Devons-nous, avec l'école du comte de Gobineau, ramener tout le problème à une question d'inégalité de races[146] ? Vaut-il mieux, à la suite de l'abbé Rohrbacher, ne voir dans ces événements que l'effet de l'influence dissolvante de l'arianisme, en opposition avec la vertu vivifiante de l'Église catholique[147] ?

N'y aurait-il, en tout cela, qu'une question d'organisation sociale, la race teutonique ayant triomphé uniquement parce qu'elle avait acquis, par un long séjour sur les côtes de Norvège, cette forme particulariste qui fait les nations puissantes et prospères ? Ainsi le voudraient, en invoquant le Play, Henri de Tourville et Edmond Demolins[148]. M. Kurth est-il plus proche de la vérité en ajoutant à l'influence de l'arianisme celle d'un contact prématuré avec la civilisation raffinée de l'empire[149] ? Faut-il faire appel, en se souvenant de l'hégémonie des Assyriens sur les Babyloniens, des Macédoniens sur la Grèce méridionale, des Castillans en Espagne, des Piémontais en Italie et des Prussiens en Allemagne, à cette loi de l'histoire qui amènerait infailliblement dans tout conflit de peuple le triomphe de celui qui a vécu sous le climat le plus rude et de la vie la plus dure[150] ? Tout se réduirait-il enfin à une question d'idéal national, plus ou moins fort, plus ou moins cohérent, qui est l'idée force d'un peuple[151] ? Il est vraisemblable que chacune des causes invoquées a exercé quelque influence sur le phénomène historique qui nous occupe. Il semblerait pourtant que la cause primordiale doit être recherchée dans le contact pacifique des Goths avec la civilisation romaine. S'il est vrai que, sur un champ de bataille, au milieu des fatigues d'un siège ou d'une campagne, c'est le peuple le plus endurant, et donc ordinairement le plus endurci par le climat, qui a toutes les chances de triomphe, il n'en va pas de même dans le contact pacifique d'un peuple barbare avec un peuple civilisé, je veux dire avec un peuple qui a une littérature, une philosophie et une administration quelconque. Le premier perd très rapidement ce qui fait sa force, et ne gagne que très lentement ce qui constitue la puissance du peuple civilisé, lequel, suivant que sa civilisation est bienfaisante ou délétère, l'élève dans son ascension ou l'entraîne dans sa chute. Ce dernier cas fut celui des peuples gothiques, trop tôt mêlés à l'administration et à l'armée romaine et contaminés ainsi par les mœurs de la décadence. Pas plus que les individus, les peuples ne brûlent impunément les étapes.

Amollis par la civilisation décadente de l'empire, les Goths embrassèrent facilement ce christianisme amoindri que fut l'arianisme ; et l'arianisme devint pour eux un nouvel élément d'atrophie et de dissociation. Cette doctrine qui niait l'incarnation de Dieu, la divinité de Jésus-Christ et la réalité de la survivance du Christ dans l'Église et dans l'âme humaine, ne pouvait ni faire naître un vrai prosélytisme ni donner lieu à un mouvement théologique. Les peuples ariens n'eurent ni l'un ni l'autre. Des discussions sans terme et des persécutions violentes ne sont pas une théologie et un apostolat. Ces petites églises nationales, dont les évêques étaient nommés et révoqués par le pouvoir civil, n'avaient rien de l'ampleur et de l'indépendance de la grande Église universelle, obéissant au représentant de Jésus-Christ. Les églises souffraient de tous les malaises des États, et les États de tous les malaises des églises.

Voilà pourquoi, peu à peu, églises ariennes et royaumes gothiques disparurent, les uns après les autres, étouffés par la vie catholique[152].

 

 

 



[1] G. BOISSIER, La fin du paganisme, I, 251 et suivantes.

[2] Voir ses œuvres, dans les Monum. Germ. hist., Auct. antiquiss., t. VII. Migne a reproduit l'édition du P. Sirmond, P. L., t. LXIII, col. 13-364.

[3] On sait qu'il se trompe de plusieurs années, en faisant naître le Sauveur en l'an de Rome 754. Il naquit au moins cinq ans plus tôt.

[4] MANSI, I, 59 et s.

[5] Institutiones, Præfatio. P. L., t. LXX, col 1105-1106.

[6] Institutiones, l. I, c. XXX. P. L., t. LXX, col. 1145.

[7] Depuis la publication par Usener, en 1877, d'un fragment de Cassiodore où il est fait mention expresse des écrits théologiques de Boèce, le christianisme de Boèce ne peut plus être contesté. Cf. BARDENDEWER, Les Pères de l'Eglise, III, 161.

[8] DANTE, Paradis, chant V. Trad. Ratisbonne.

[9] Liber Pontificalis, I, 277, note 5.

[10] Cette épitaphe a été découverte et publiée par M. DE ROSSI, Inscript. Christ., II, 57.

[11] La première édition du Liber Pontificalis, la leçon préférée par Mommsen porte : ordinatus est in jusso Theodorici regis (Liber Pontificalis, édit. Mommsen, I, 138). Voir un autre témoignage dans le même sens dans DUCHESNE, Liber Pontificalis, I, 280, note 5. L'élection de saint Félix fut d'ailleurs confirmée canoniquement dans la suite par le consentement général. Il clôt la série, ininterrompue jusqu'à lui, des papes canonisés.

[12] Dial., l. III, c. XXXVIII.

[13] Histor. Longobard., l. III, c. XIX.

[14] Paul DIACRE, IV, 23.

[15] JAFFÉ, n° 1018. GRÉGOIRE, Dial., II, 17 ; Registr., II, 4.

[16] Le culte des vipères se perpétua à Bénévent. Voir l'hymne à saint Barbat, BORGIA, Memorie storiche di Benevento, t. II, p. 277.

[17] Dial., l. III, c. XXXVIII.

[18] Le récit de cette invasion forme le livre II de l'ouvrage de Paul DIACRE (Paul WARDEFRID) De gestis Longobardorum. MIGNE, P. L., t. XCV.

[19] Paul DIACRE, II, 27-32. P. L., XCV, 498-502.

[20] Les documents contemporains sont contradictoires. L'Epistula Columbani, n° 5 (P. L., t. LXXX, col. 259 et s.) suppose que le roi est catholique. Une lettre de Sisebut, roi des Visigoths, semble indiquer qu'il était arien, (Epist. Visigoth., n° 9).

[21] En dehors de l'arianisme, cette unité de foi avait été rompue en Italie par le schisme d'Aquilée. Après les troubles théologiques où s'était compromis le pape Vigile, le métropolitain d'Aquilée avait rompu la communion avec Rome. Théodelinde, mal informée, avait été un moment séduite par le schisme. Saint Grégoire n'eut pas de peine à l'en détacher. Cf. M. G. H, Reg Gregor., IV. 4, 38. Le schisme d'Aquilée ne prit fin qu'en 628, sous le pape Honorius. Cf. JAFFÉ, n° 2016, Liber Pontificalis, I, 325, 381.

[22] Vie de saint Colomban, par Jonas DE SUZE, qui fut moine à Bobbio en 618. P. L., t LXXXVII, col. 1011-1046. Edition critique par KRUSCH dans les M. G. H., Script. rerum merowingicarum, IV, 108 et s. Cf. Saint Colomban, par l'abbé E. MARTIN, Paris, Lecoffre.

[23] Voir la Règle de salut Colomban dans MIGNE, P. L., LXXX, col. 209-224. Cf. la thèse de doctorat de M. MALHORY, Quid luxovienses monachi ad regulam monasteriorum contulerint.

[24] TIRABOSCHI, Storia della letteratura italiana, t. III, p. 376.

[25] Edgard LŒNING, Geschichte des deutschen Kirchenrechts, Strasbourg, 1878, tome II.

[26] Bulletin critique, 1883, p. 366-367.

[27] E. MARTIN, Saint Colomban. Dict. de Théol., au mot Colomban, t. III, col. 374.

[28] C'est Paul Diacre qui raconte le fait, Hist. Long., VI, 2. Le corps de saint Benoît fut-il transporté au monastère de Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire) ? Est-il actuellement à Saint-Benoît ou au Mont-Cassin ? C'est un sujet de controverse entre les Bénédictins d'Italie et les Bénédictins de France. V. MABILLON, Dissertatio in translatione S. Benedicti. Act., SS. O. S. B., t. II, p. 337. Don CHAMARD, Les reliques de S. Benoît, Paris, 1881. CUISSART, De risliquiis S. Benedicti, dans les Benedict. Studien, 1884.

[29] A. MOLINIER, Les sources de l'Histoire de France, t. I, p. 82.

[30] G. KURTH, Histoire poétique des Mérovingiens, p. 37.

[31] MOELLER, Hist. du Moyen-âge, p. 308. Sur l'architecture lombarde, voir RIVOIRA, Le Origini della architettura lombarda, 2 vol. in-4°, Rome, 1903-1907.

[32] PERTILE, Storia del diritto italiano, t. I, p. 131, note 10 (2e édition, 1896) ; M. G. H., Leges, tome IV.

[33] Il ne faudrait cependant pas exagérer ce caractère. On a relevé dans cet Édit de Rotharis des traces de droit romain. Voir : DEL GIUDICE, Le tracce del diritto romano nelle leggi longobardi. Rendiconti del Inst. lomb., 1886.

[34] Au Xe siècle, alors que les études juridiques semblent délaissées partout, on étudie encore la loi lombarde. Les moines du couvent de la Cava, prés de Salerne, ont publié, en 1871, un manuscrit du Xe siècle contenant les lois lombardes, Monum. Germ. Hist. codex diplom. cavensis. Il se trouve reproduit dans les Leges, IV, 31. PERTILE, Storia del diritto italiano, Torino, 1896, 2e édit., t. I, p. 133-139.

[35] Corp. jur. can., Decret. 1a pars, dist. 10, cap. 13.

[36] Avant l'appel des empereurs, les Visigoths avaient déjà pénétré en Gaule. D'après M. Fustel de Coulanges, cette pénétration avait été pacifique et presque insensible (Hist. des Instit., 347-351). Julien Havet pense qu'elle avait eu un caractère guerrier et conquérant (Revue hist., IV, Ire partie, p 88 et s.).

[37] C. BAYET dans l'Hist. de France de LAVISSE, t. II, Ire partie, p 83.

[38] Greg. DE TOURS, Hist. des Francs, l. II, ch. XXV. Trad. Guizot, tome I, p. 93 94.

[39] Sid. APOLLINAIRE, Epist., VII, 6. P. L., LVIII, col. 570, 571.

[40] Vita S. Cesarii, I, c. IV, 36. P. L., LVII, 1019.

[41] Greg. DE TOURS, II, 31. Trad. Guizot, t. I, p. 110.

[42] Vita S Cesarii, l. I, c. II, 16. P. L, LXVII, 1008, 1009.

[43] G. KURTH, Clovis, p. 403.

[44] ESMEIN, Histoire du droit français, p. 98. — BLUHME, au 3e volume des Leges, dans les M. G. H.

[45] GAUTIER, Histoire du droit français, p. 109.

[46] Hist. de France de LAVISSE, t. II, Ire partie, 92.

[47] Paul LEJAY, Le rôle théologique de Césaire d'Arles, Revue d'hist. et de litt. rel., 1905, tome X, p. 616.

[48] Paul LEJAY, Le rôle théologique de Césaire d'Arles, Revue d'hist. et de litt. rel., 1905, tome X, p. 616.

[49] Dom GERMAIN MORIN, Le symbole d'Athanase et son premier témoin, saint Césaire d'Arles, dans la Revue bénédictine, tome XVIII (1901) p 337-363.

[50] Saint Césaire, de son côté, n'hésitait pas à emprunter un sermon tout fait à quelque confrère, si besoin en était. Nul souci n'apparaît alors de ce que nous appellerions la propriété littéraire. P. LEJAT, R. H. L. R., X, 611, Revue bénédictine, XVI, 342.

[51] P. L., XXXIX. App., col. 1974.1915 Les sermons de saint Césaire sont donnés par Migne dans l'appendice des sermons de saint Augustin.

[52] P. L., XXXIX, App., col. 2291.

[53] P. L., XXXIX, App., col. 2228-2239. Cf. BOUDINHON, Revue catholique des Eglises, II, 403 (1905).

[54] P. L., XXXIX, App., col. 2263.

[55] P. L., XXXIX, App., col. 1948, 2219. On ne trouve le chiffre sacramentel de sept que plus tard. P. PONCELET, Analecta bollandiæ, 1903, t. XXII, 187.

[56] P. L., XXXIX, col. 2227.

[57] P. L., XXXIX, col. 2212.

[58] Césaire, né en 470 ou 471, est mort en 543, MALNORY, Saint Césaire, évêque d'Arles, Paris, 1894.

[59] M. COURAJOD, dans ses leçons professées à l'Ecole du Louvre, t. I, 1899. M. BRUTAILS a combattu la thèse de M. Courajod dans l'Archéologie du Moyen Age et ses méthodes, Paris, 1900. Cf. Dom LECLERCQ, Manuel d'archéologie chrétienne, tome II, p. 128.

[60] Rabelais a été l'un des premiers à donner au mot gothique le sens méprisant que ce terme a longtemps gardé. H. LEMONNIER, Hist. de France de LAVISSE, V, I, 312.

[61] Paul OROSE, Hist., l. VII, c. XXXII, P. L., XXXI, col. 1144. Ainsi les chrétiens des Asturies qui, regagnant pied à pied le terrain envahi par les musulmans, construisaient des châteaux forts pour assurer leurs conquêtes, en reçurent le nom de Castillans. Ainsi la race guerrière chargée de défendre les abords de l'Allemagne y gagna le nom de Habsbourg.

[62] Hist. de France de LAVISSE, t II, Ire partie. p. 87. C'est à tort que des historiens tels que Dom Pitra affirment, d'après saint Grégoire de Tours, que les Burgonde, se sont emparés de la Provence. Au concile d'Agde, en 506, siègent les évêques d'Aix, d'Arles, de Digne et de Fréjus. Or, Agde était certainement soumise aux Visigoths, et comme il est inouï à cette époque que des évêques soient sortis de leur royaume pour prendre part à un concile, il est certain Arles, Digne et Fréjus étaient en pays visigoth et non burgonde Les tenues des conciles donnent ainsi les meilleures indications géographiques.

[63] Providentia Dei, dit Paul Orose en 417, omnes (Burgundii) modo facti catholica fide. P. L., XXXI, col. 1144

[64] Sur ce roi Gontran, voir GREG. DE TOURS, l. IX, c. XX, XXI.

[65] GREG. DE TOURS, l. II, c. XXXIV. On sait que le prétendu colloque organisé à Lyon par Gondebaud entre catholiques et ariens n'est pas authentique. C'est une invention de Jérôme Vignier. Julien HAVET, Bibl. de l'Ecole des chartes, 1885, t. XLVI, p. 233-250.

[66] A. MOLINIER, Les sources de l'Hist. de France, I, 170, V, page VIII.

[67] A. MOLINIER, Les sources de l'Hist. de France, I, 63.

[68] Historiens de la Gaule, II, 456. P. L., LXXII, 683.

[69] Les œuvres de saint Avit se trouvent au tome LIX de la Patrologie de Migne. Une édition critique a été publiée dans le M. G. H., Script. antiquiss., t. VI. M. le chanoine Ulysse Chevalier semble en avoir donné l'édition définitive. U. CHEVALIER, Œuvres complètes de S. Avit, Lyon, 1890.

[70] GUIZOT, Hist. de la civilisation en France, II, 2e édition, p. 68 et suivantes. M. Guizot, après avoir cité la description de l'Eden faite par saint Avit et celle de Milton, ajoute : La description de saint Avit est plutôt supérieur. La description des beautés de la nature m'y parait à la fois plus variée et plus simple.

[71] P. L., LIX, 386. CHEVALIER, p. 278.

[72] P. L., CIV, 65, 97.

[73] P. L., LIX, 274-275. CHEVALIER, p. 210.

[74] P. L., LIX, 272. CHEVALIER, p 220. Les conciles avaient rigoureusement maintenu le droit électoral du clergé et du peuple. Tous les clercs et tous les fidèles étaient électeurs en droit Mais, en fait, les habitants des villes et les clercs supérieurs dirigeaient les opérations électorales, ce qui amenait parfois des réactions violentes : la masse populaire imposait alors son candidat Ces abus amenèrent le pouvoir civil à intervenir. Puis, des abus analogues conduisirent les Papes à limiter les pouvoirs des princes. Cf. VACANDARD, Etudes de critique et d'histoire religieuse, p. 121-187. (Les élections épiscopales sous les Mérovingiens).

[75] P. L., CIV, 124-125.

[76] SOCRATE, Hist. ecclésiastique, VII, 30.

[77] OROSE, VII, 19. 32. P. L., XXXI, 1144.

[78] P. L., CIV, 125.

[79] Lex burg. Præfatio. Hist. des Gaules, IV, 256. M. G. H., Leges, III 527.

[80] Lex burg. Præfatio. Hist. des Gaules, IV, 256, M. G. H., III, 527.

[81] Lex burg., § 68. Hist. des Gaules, IV, 274. M. G. H., Leges, III, 561.

[82] M. G. H., Leges, III, 546.

[83] M. G. H., Leges, III, 536, 537 et § VIII.

[84] Hist. des Gaules, IV, 280. Lex Burgond., § X. M. G. H., Leges, III, 572.

[85] Dom PITRA, Histoire de saint Léger, p. 262.

[86] HERDER, Philosophie de l'histoire de l'humanité, III, 244, 245.

[87] Paul OROSE, Hist., c. XL. P. L., XXXI, 1165, 1166.

[88] Paul OROSE, c. XLI. P. L, XXXI, 1168. Dom LECLERCQ, L'Afrique chrétienne, II, 169-171.

[89] Victor VITENSIS, De persecutione vandalica, II, 10. P. L., LVIII, 211. Victor de Vite donne des détails intraduisibles en français.

[90] Victor VITENSIS, II, 9. P. L., LVIII, 210.

[91] Victor VITENSIS, V, 6. P. L, LVIII 245. Dom LECLERCQ, Les Martyrs, III, 392. Dom Leclercq, dans ce volume, a donné la traduction française complète de l'ouvrage de Victor de Vite : De persecutione vandalica. Sur le miracle de Typasa et sur des faits analogues, d'ordre naturel, qui auraient été observés, voir NEWMAN, Hist. de mes opinions religieuses, p. 485 et suivantes.

[92] Explication du psaume XXXVI de la Vulgate.

[93] BOSSUET, Défense de la Tradition, l. V, ch. XXI. Une autre victime de la persécution fut le poète Dracontius qui, dans sa captivité, composa un poème en trois chants, Carmen de Deo, lequel, dit M. Gaston Boissier, soutient la comparaison avec le poème de saint Avit. Il a même par moments plus d'éclat et un sentiment plus vif des beautés de la nature. G. BOISSIER, L'Afrique romaine, Paris, 1901, p. 309 et suivantes.

[94] L'Eglise d'Afrique appela cette période la captivité de cent années. LABBE, Concil., IV, 1755.

[95] P. L., LXXXIII, col. 1067 et suivantes.

[96] Greg. DE TOURS, Hist. Franc., III, 30.

[97] Greg. DE TOURS, Hist. Franc., III, 30.

[98] Greg. DE TOURS, Hist. Franc., III, 29.

[99] Saint Grégoire de Tours dit Carraric ; saint Isidore de Séville mieux placé pour être bien informé, dit Théodomir, successeur de Carraric.

[100] Greg. DE TOURS, De miraculis S. Martini, I, 11. P. L., LXXI, col. 923 et suivantes.

[101] VILLANANO, Summa Conciliorum, I, 126.

[102] MARIANA, Hist. de l'Espagne, t. I, l. V, ch. LV.

[103] MARIANA, Hist. de l'Espagne, t. I, l. V, ch. LI.

[104] Greg. DE TOURS, Hist. Franc., V, 39.

[105] Greg. DE TOURS, De glor. martyr., I, 82. P. L., LXXI, 778, 779. Saint ISIDORE DE SÉVILLE, P. L., LXXXIII, 1071.

[106] Cette formule avait été autrefois orthodoxe, et même courante chez les Pères grecs. On la trouve dans saint Basile (V. P. de RÉGNON, Études de théologie positive sur la Trinité, tome III, page 31). Mais l'interprétation que lui donnaient les ariens la rendait inacceptable.

[107] Greg. DE TOURS, Hist. Franc., III, 43.

[108] C'est à cette occasion que saint Léandre se rendit à Constantinople, où il se lia d'amitié avec saint Grégoire le Grand.

[109] Greg. DE TOURS, Hist. Franc., V, 39.

[110] Greg MAGN., Dial., III, 3. Paul DIAC., III, 214.

[111] Greg. MAGN., Dial., III, 31.

[112] Greg. DE TOURS, IX, 15.

[113] Sur cette cérémonie de l'onction par le Saint-Chrême des ariens convertis, voir DUCHESNE, Origines du Culte chrétien, p. 313.

[114] Saint Léandre était le frère de la première femme de Léovigilde.

[115] C'est la seconde fois qu'elle se trouve dans une profession de foi. On la rencontre dans un concile de Galice, tenu en 447.

[116] En France il semble que la source principale de la civilisation ait Mi l'influence personnelle de quelques grands évoques. En Allemagne, on remarquerait plutôt l'action bienfaisante de quelques grands monastères, et en Angleterre on noterait, surtout, de Bède à Alcuin, l'influence des écoles. En Espagne, la part prépondérante dans l'œuvre civilisatrice appartient sans contredit à l'œuvre des conciles nationaux. Le 18e et dernier concile de Tolède a été tenu en 701. C'est le seul dont on ait perdu les actes.

[117] C'est au IIIe concile de Tolède, en 589, qu'on voit pour la première fois les abbés siéger dans une assemblée conciliaire.

[118] GIBBON, Histoire de la Décadence, c. XXVIII.

[119] Cette législation personnelle se trouve bien dans la loi d'Euric (ESMRIN, Histoire du droit français, p. 57). Mais les conciles de Tolède l'ont fait disparaitre, au moins dans le droit civil.

[120] GUIZOT, Hist. de la Civilisation en Europe, 3e leçon, p. 89, 90.

[121] Xe concile de Tolède, canon 7, MANSI, XI, 37. IIIe concile de Tolède, MANSI, IX, 996.

[122] MANSI, X, 637 ; XI, 29.

[123] Revue historique du droit français, 1863, p. 422.

[124] GUIZOT, Histoire de la Civilisation en France, leçon XII, t. I, p. 325.

[125] L'Eglise eut aussi à sauvegarder les droits de la propriété et de la justice que des rébellions des serfs et des esclaves compromettaient parfois. M Marcel Fournier, s'appuyant sur des textes et sur des faits que ces préoccupations expliquent, a publié dans la Revue historique de janvier-février 1883 une étude intitulée : Les affranchissements du Ve au XIIIe siècle. La conclusion, est celle-ci : L'Église ne fut pas favorable aux affranchissements et aux affranchis. Voir la réfutation de cette thèse dans Paul ALLARD, Esclaves, serfs et mainmortables, chapitre XI. Renan avait déjà écrit : La condition de l'esclave d'Église fut empirée par une circonstance, savoir, l'impossibilité d'aliéner le bien de l'Église. Qui était son propriétaire qui pouvait l'affranchir ? La difficulté de résoudre cette question éternisa l'esclavage ecclésiastique (Marc-Aurèle et la fin du Monde antique, p. 609). La réponse est facile. Si l'Eglise ce pouvait vendre l'esclave, ce qui d'ailleurs n'était pas désirable, elle pouvait l'affranchir ; et le concile d'Agde, tenu en 506, sous les Visigoths, déclarait déjà que si l'évêque a donné la liberté à quelques esclaves... son successeur doit respecter cette décision.

[126] P. L., LXXXIII, 718-725. Comparez ce que dit saint AUGUSTIN, dans la Cité de Dieu, l. V, ch. XXIV, P. L., t. XLI, col. 170, 171.

[127] C. Tol. IV, § LVII, MANSI, X, 663.

[128] Dom LECLERCQ, L'Espagne chrétienne, Introduction, p. XXXIV.

[129] Cette survivance de la conception païenne et son utilisation par les conciles espagnols sont dignes d'attention, dit Dom Leclercq. On pourrait montrer les transitions, et, pour ainsi dire, la généalogie de cette conception. L'Espagne chrétienne, p. XXXIII.

[130] MANSI, t. IX, 992.

[131] Cap. II, MANSI, IX, 992.

[132] Cap. III, V, VII, VIII, XIII, XVIII, MANSI, IX, 993-997. Les clercs y sont appelés religiosi. Religiosus est, à cette époque, souvent synonyme de clericus.

[133] Cap. XI, MANSI, IX, 995.

[134] MANSI, X, 640.

[135] MANSI, X, 640.

[136] MANSI, X, 640. Sur les conciles de Tolède et en général sur les conciles d'Espagne, voir la grande collection du cardinal de AGUIRRE, Collectio maxima conciliorum omnium Hispaniæ... cum notis et dissertationibus, Rome, 1753.

[137] MANSI, X, 1215.

[138] BARDENHEWER, Les Pères de l'Eglise, III, 218.

[139] Etymologiorum seu Originum libri XX. Cet ouvrage forme le t. LXXXII de la Patrologie latine de Migne.

[140] RAUSCHEN-RICARD, Éléments de patrologie et d'histoire des dogmes, p. 341 et suivantes.

[141] L'œuvre de saint Isidore est très utile à consulter pour l'histoire du dogme, du droit canonique et de la liturgie. Dans ses Etymologies, il compte trois sacrements : le Baptême, le Chrême et l'Eucharistie (P. L., LXXXII, 255). La Pénitence est rangée ailleurs, entre le Jeûne et les Litanies. Dans le De officiis, il énumère, sur la même ligne, le Baptême, le Sacre des rois et la Confirmation.

[142] AGUIRRE, Concil Tolet., XVI.

[143] Cardinal BOURRET, L'école chrétienne de Séville, Paris, 1855, p. 196.

[144] Cardinal PITRA, Vie de saint Léger, p. XIX. Cf. AGUIRRE, Dissertatio de antiqua discipina ecclesiæ Hispaniæ circa clericus lapsos in peccatum carnis. Collectio maxima, t. IV, p. 163 et s.

[145] Hist. Générale de LAVISSE et RAMBAUD, I, 475-477. Dom LECLERCQ, L'Espagne chrétienne, p. 383.

[146] Le comte de GOBINEAU, De l'inégalité des races humaines, passim, surtout ch. XIV, et dédicace au roi de Hanovre, t. I, p. VI, VII, et VIII.

[147] ROHRBACHER, Hist. universelle de l'Eglise.

[148] La science sociale (1930), t. XXIX, p. 124, t. XXX, p. 511-516.

[149] G. KURTH, Les origines de la civilisation moderne, t. I, ch. VII, p. 415-450.

[150] HUBAULT, Histoire générale, p. 31.

[151] A. FOUILLÉE, Psychologie des peuples européens, passim.

[152] Cf. E. MAGNIN, L'Église Wisigothique au VIIe siècle, Paris, 1912.