HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — L'ÉGLISE CHEZ LES PEUPLES BARBARES

CHAPITRE IV. — L'ÉGLISE CHEZ LES GERMAINS.

 

 

I

Celui qui devait vouer sa vie à la conversion de la Germanie, organiser les chrétientés situées au delà du Rhin, exercer sur cette région une sorte de vice-papauté[1] et dont l'influence sur les destinées du peuple allemand ne devait avoir d'égale que celle de Charlemagne[2], était né vers la fin du VIIe siècle dans le royaume de Wessex en Angleterre. On ne sait pas au juste le lieu et la date de sa naissance. On conjecture qu'il naquit vers l'an 680 dans la ville de Crediton ou Kirton. Il s'appelait Winfrid. Sa famille devait être de race noble, car ses lettres nous montrent qu'il était allié à des personnages d'un rang élevé. Winfrid n'avait pas plus de cinq ans lorsqu'il manifesta pour la première fois sa vocation de moine missionnaire. Les églises étaient rares alors dans le royaume de Wessex et il ne paraît pas qu'il y ait eu, dans l'Angleterre méridionale, à cette époque, des prêtres attachés à un poste fixe. De grandes croix, plantées par les seigneurs sur leurs domaines, étaient les centres ordinaires du culte. Les fidèles venaient y prier. Des moines passaient de temps en temps, prêchaient le peuple au pied de ces calvaires et y administraient les sacrements. L'imagination de l'enfant fut saisie par ces spectacles. A l'âge de cinq ans, il déclara vouloir partager la vie apostolique de ces prêtres errants. A sept ans, il entra comme oblat dans l'abbaye d'Exeter, d'où il passa, quelque temps après, à celle de Nursling, près de Winchester. Il y étudia avec succès les lettres et les sciences. Il y excella, dit son plus ancien biographe[3], dans l'interprétation de la Sainte Écriture et dans la poésie. Bientôt Winfrid devint professeur brillant dans cette même abbaye de Nursling, où il avait été brillant élève. Mais l'idée de son enfance le poursuivait toujours. Peut-être entendit-il parler de ce monastère de Melifont[4], situé au fond de l'Irlande, dont une colonie de jeunes Anglo-Saxons, épris du zèle de l'apostolat et du goût des voyages, avaient fait comme un séminaire de missionnaires[5]. L'un de ces moines, le plus ardent, saint Egbert, avait fait le vœu de ne jamais remettre le pied sur le sol de son pays natal. L'objectif des jeunes apôtres était cette terre des Frisons, réputée l'une des plus païennes de toutes, où les navires anglais, qui partaient de la Tamise ou de l'Humber à destination du continent, allaient atterrir d'habitude[6]. C'est vers cette plage humide et marécageuse de la Frise que les regards du jeune professeur de Nursling se dirigeaient obstinément. C'est la terre des aïeux, disait-il. Plus tard, arrivé sur les frontières de la Saxe, il recommandera aux prières de ses amis d'Angleterre, ces frères païens qui sont du même sang et de la même chair. La sagesse des supérieurs du jeune moine laissa mûrir cette vocation, et quand, vers l'âge de trente ans, le moine Winfrid eut reçu l'onction sacerdotale, il put partir avec trois de ses frères en religion.

C'était en 716. La situation politique de la Saxe était aussi défavorable que possible à l'entreprise d'une mission. Les chrétientés, que le zèle de quelques moines anglo-saxons, entre autres de saint Wilfrid et de saint Willibrod, avait fondées sous la protection de Pépin d'Héristal, venaient d'être balayées comme par un orage. En 711, le duc des Frisons, Radbod, avait profité de la mort de Pépin pour soulever le peuple contre les Francs. Les églises chrétiennes avaient péri et Willibrod avait été obligé de retourner en Angleterre.

La plupart des historiens supposent que la pensée de Winfrid fut d'aller faire en Frise un simple voyage de reconnaissance. En toute hypothèse, il dut se rendre compte, avec l'esprit positif de sa race, qu'une action efficace ne lui serait possible que lorsqu'il serait muni d'une mission formelle du chef de 1'Eglise et appuyé par l'autorité puissante du chef des Francs[7]. Ce fut aussi l'avis de ses supérieurs. Deux ans plus tard, au début de l'hiver de 718, le moine Winfrid, porteur d'une lettre de son évêque, Daniel, de Winchester[8], partit de la Grande-Bretagne avec une caravane de pèlerins qui se rendaient à Rome et se présenta au pape Grégoire II.

Digne successeur de saint Grégoire le Grand, le pape saint GRÉGOIRE II, qui venait d'être élu en 715, en remplacement du pape Constantin, était fait pour comprendre le projet du moine anglo-saxon. Ses mœurs étaient pures, dit le Liber Pontificalis, son esprit cultivé, son courage plein de constance, son intrépidité remarquable à défendre les droits de l'Église contre les attaques de ses ennemis[9]. Le romain temporisateur écouta l'ardent missionnaire, le pria de revenir, le retint à Rome pendant une année entière, eut avec lui de fréquents entretiens, puis, lorsqu'il eut compris ce qu'il pouvait attendre d'un tel auxiliaire, lorsqu'il eut acquis la conviction que Winfrid était l'homme destiné par la Providence à la conversion des derniers peuples germains : Va, lui dit-il, tu t'appelleras désormais Boniface, celui qui fait le bien, et il lui remit une Bulle qui lui conférait tous les pouvoirs nécessaires pour organiser la mission de la Germanie. Boniface — c'est ainsi que nous l'appellerons désormais, parce que c'est de ce nom qu'il signera désormais toutes ses lettres —, Boniface avait eu tout le loisir d'étudier auprès de Grégoire II, dans cette antique Rome, qui semblait avoir conservé le génie administratif du vieux peuple romain, les sages traditions de la politique pontificale. A la ténacité de l'Anglo-Saxon, il saurait joindre, dans l'accomplissement de la grande mission qui lui était confiée, l'esprit organisateur du Romain. Il prenait d'ailleurs la résolution de ne rien décider d'important sans en avoir référé au Saint-Siège.

Vaste et pénible mission, en effet, que celle d'achever l'évangélisation de la Germanie proprement dite, d'organiser l'Église germanique, de réorganiser l'Église franque, de porter la foi dans la Frise et, si Dieu le permettait, dans la Saxe.

 

II

Les Romains appelaient strictement Germanie la portion de territoire qui s'étend entre le cours du Rhin et celui du Danube. On lui donnait aussi le nom de Germanie romaine. Elle comprenait trois nations : au centre la Thuringe, à l'ouest l'Alemanie, qui occupait les deux rives du Rhin, au sud-est la Bavière, qui débordait de l'autre côté du Danube. Cette partie orientale, située au-delà du fleuve, avait échappé à l'influence romaine. Le christianisme avait été prêché en Thuringe par le moine irlandais, saint Kilien, en Alemanie par des disciples de saint Colomban, dont le plus célèbre fut saint Gall, en Bavière, par des évêques francs, tels que saint Emmeran, de Poitiers, et saint Corbinien, de Chartres. Mais une réaction païenne, provoquée par le voisinage de la Saxe, favorisée par des dissensions et des guerres, avait détruit en grande partie l'œuvre de ces missionnaires. Le christianisme ne subsistait plus dans la Germanie romaine qu'à l'état sporadique, pour ainsi dire, et les églises y étaient dépourvues de toute organisation hiérarchique sérieusement constituée. Dans la Germanie barbare, c'est-à-dire dans la Frise et dans la Saxe, la situation était plus déplorable. Un apaisement relatif avait permis à saint Willibrod de retourner en Frise pour essayer d'y reconstituer les débris de sa petite chrétienté. La Saxe, par sa situation reculée à l'extrémité septentrionale de la Germanie et par ses relations fréquentes avec les peuples de la presqu'île scandinave, était restée le pays classique du paganisme.

Boniface n'hésita pas devant le péril. Directement il se rendit au pays qui avait tenté son premier zèle, en Frise. Il y trouva Willibrod, qui voulut le prendre comme évêque coadjuteur ; mais, soit que cet honneur l'ait effrayé, soit qu'il ait pensé, pour toute autre raison, que son œuvre était prématurée en Frise, il jugea à propos, le Pape lui ayant donné des pouvoirs pour toute la Germanie, de se retirer, au moins provisoirement, dans la Germanie centrale.

La biographie de saint Boniface, écrite par Willibald, nous donne peu de détails sur cette première période de sa mission, qui s'étend de 719 à 722. Mais sa correspondance nous le montre en butte à deux préoccupations dominantes : lutter contre le paganisme et recruter des collaborateurs. Une précieuse lettre de son vieil évêque, Daniel, de Winchester, que l'apôtre de Germanie consultait dans toutes ses perplexités de conscience, nous informe de la méthode suivie par Boniface dans l'évangélisation des païens. Elle se résume en trois règles : 1° Ne point s'élever violemment contre les erreurs païennes, mais, après avoir laissé les infidèles expliquer librement les dogmes de leur religion, leur en montrer tranquillement les contradictions et les lacunes. 2° Opposer à ces dogmes une simple vue d'ensemble de la religion chrétienne, afin qu'ils demeurent confus plutôt qu'exaspérés. 3° Veiller à ne prendre jamais le ton de la provocation ou de l'insulte, mais celui de la douceur et de la modération[10].

Le recrutement des ouvriers évangéliques dut être difficile. Nous voyons Boniface faire appel à deux indigènes, Dettic et Déoric. Chrétiens par le baptême, mais à moitié idolâtres par la pratique de leur religion,ils mirent au service de Boniface une réelle bonne volonté, que le missionnaire utilisa. Il paraît en avoir fait ses catéchistes.

Tout près de Trèves, l'apôtre bénéficia d'une vocation tout à fait providentielle. Ce fut celle d'un jeune prince du sang de la famille mérovingienne. Les nombreux pèlerinages entrepris par les chrétiens de la Grande-Bretagne avaient donné lieu à la fondation, sur les grandes routes de la Germanie, de monastères dont la principale charge était de donner l'hospitalité aux pieux voyageurs qui se rendaient à Rome ou qui en revenaient. Dans la vallée de la Moselle, une de ces maisons hospitalières avait pour abbesse une fille du roi Dagobert II, Abdula. Un jour que Boniface s'était arrêté au monastère, il trouva, auprès de la pieuse et noble abbesse, un de ses petits-fils, adolescent de 11 à 15 ans. De même que la vue des moines errants de l'Angleterre avait suscité la vocation du jeune Winfrid, la vue et les entretiens de Boniface touchèrent le cœur du jeune prince franc. Je veux, dit-il à sa grand'mère, suivre mon père Boniface, devenir son disciple et apprendre de lui l'explication des livres divins. Comme l'abbesse faisait des objections : Si tu ne veux pas me donner un cheval, reprit-il, je partirai à pied. L'insistance de l'enfant l'emporta. Il partit avec Boniface et ne le quitta plus désormais. Ils travaillèrent ensemble, dit son biographe, jusqu'au jour où le martyre vint couronner la carrière glorieuse de l'apôtre[11]. L'enfant s'appelait Grégoire : l'Église l'honore comme saint. Il y a bien des taches de sang et de boue sur la dynastie mérovingienne, dit M. Godefroid Kurth, mais une page comme celle de la vocation de cet enfant y fait briller le sourire de la grâce divine[12].

Boniface avait passé trois ans à peine en Germanie, quand le pape le pria de revenir à Rome. Les premiers résultats de son apostolat avaient prouvé au Souverain Pontife que le missionnaire anglo-saxon était prêt à travailler sur un champ plus -vaste et avec une autorité plus grande. Grégoire H le sacra évêque de Germanie, sans siège épiscopal déterminé, comme saint Grégoire le Grand avait fait pour saint Augustin. Boniface prêta le serinent des évêques suburbicaires, qui l'établissait dans une subordination directe et toute spéciale avec l'évêque de Rome, et, muni d'un recueil des canons des conciles et de lettres de recommandations pour les princes et les évêques dont il allait traverser les territoires, il se dirigea plus avant, vers le nord-est de la région qu'il avait évangélisée, vers la Hesse et la Thuringe, où le paganisme était plus puissant et le désordre des chrétientés plus grave.

 

III

Cette seconde mission, plus importante, plus pénible et plus longue que la précédente, dura de 723 à 745.

Boniface comprit, dès son arrivée, que les moyens d'apostolat qu'il avait employés jusqu'ici seraient insuffisants. Deux procédés nouveaux caractérisent cette seconde phase de sa vie apostolique : l'appel à la protection des princes francs et la fondation de monastères.

Arrivé dans la Hesse. à la vue des obstacles humainement insurmontables qui se dressaient devant lui, le nouvel évêque de Germanie parait avoir été un moment effrayé par la perspective de son isolement et par la crainte de son impuissance. Il se demanda si l'intervention du pouvoir séculier ne lui serait pas nécessaire pour corriger les mauvais chrétiens et pour réprimer l'audace des païens. Un des fils naturels de Pépin d'Héristal, le duc Charles, plus tard surnommé Charles Martel, venait de refouler les Saxons jusqu'aux bouches du Wéser. C'est vers lui que le regard de Boniface se tourna. Il écrivit à son directeur de conscience, le vieil évêque de `Winchester, Daniel : Sans le patronage du prince des Francs, je me sens incapable de gouverner mon peuple ; sans m'abriter sous son commandement et l'ascendant redoutable de son nom, je ne pourrai jamais mettre un terme aux rites sacrilèges des païens[13]. Le prudent évêque lui répondit qu'il fallait mettre son espoir au-dessus des princes de la terre, en Dieu seul, et lui rappela les exemples des apôtres, des martyrs et de Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même[14].

Boniface ne tarda pas à comprendre combien le conseil était sage. C'est avec raison qu'on voit dans Charles Martel le champion armé de la cause chrétienne, et peut-être mérite-t-il le nom de sauveur de l'Église de France et de Germanie : que serait-il advenu s'il n'avait arrêté l'invasion de l'islamisme au midi et les incursions des païens au nord ? Mais ce qui n'est pas moins avéré que ses services, c'est sa mainmise brutale sur les biens et sur les personnes d'église, c'est l'influence corruptrice de sa cour sur les prélats et sur les prêtres qu'il y attirait. Boniface ne tarda pas à s'en rendre compte par lui-même. Reçu à la cour du prince, il fut épouvanté des libres propos et des scandales de toutes sortes dont il était le témoin. Dans une lettre à Daniel, il se demande s'il lui est permis de remettre les pieds en ce mauvais lieu[15]. Son pieux conseiller le mit en garde contre ce second excès[16]. Dans la mesure discrète où elle fut sollicitée ou acceptée par Boniface, la protection de Charles Martel fut utile à l'Église. Un ancien évêque du pays, qui n'avait rien fait avant l'arrivée du nouveau missionnaire, cherchait maintenant à profiter de ses travaux et lui disputait sa juridiction : Charles Martel mit son autorité au service du droit et fit triompher Boniface[17]. Ce fut aussi grâce au prestige que lui donnait le patronage de Charles Martel que le saint put, dès le début de sa mission dans la Hesse, frapper un grand coup, faire abattre un arbre sacré, cher aux païens, le chêne de Geismar. Lui et ses compagnons auraient peut-être payé cher leur audace, sans le sauf-conduit du maire d'Austrasie, qui fit trembler les païens[18].

Jamais d'ailleurs le saint missionnaire ne voulut employer la force du prince franc pour déterminer les conversions. Son procédé habituel fut la fondation pacifique de monastères, dont les religieux défrichaient les terres, ouvraient des écoles, assistaient les pauvres, les malades et les voyageurs, donnaient du travail aux habitants des environs. Peu à peu la population se groupait d'elle-même autour du couvent. Un village, une ville étaient fondés.

Tel fut le plan d'évangélisation poursuivi par Boniface au cours de sa seconde mission. Mais pour le réaliser il lui fallait un personnel nombreux de collaborateurs. Il le demanda à son pays natal. Ses compatriotes répondirent à son appel. Pendant plusieurs années, de l'Angleterre méridionale à la Thuringe et à la Hesse, ce fut un exode calme et continu de prêtres, de simples moines, de maîtres d'école. De là lui vint Lull, son cher petit Lull, comme il l'appelait, son ancien élève à l'abbaye de Nursling, qui devait être son successeur sur le siège de Mayence. De là lui vinrent Burchard, qu'il fera évêque de Wurtzbourg, et Denehard qui sera son infatigable messager, et tant d'autres encore.

Avec l'aide de ces précieux auxiliaires, il fonda plusieurs monastères d'hommes : les plus importants furent celui d'Amœneburg en Hesse et celui d'Ohrdruff en Thuringe.

Ce n'étaient pas seulement des hommes, c'étaient des femmes, veuves ou jeunes filles, qui accouraient d'Angleterre, désireuses de participer à l'apostolat de la Germanie. Elles fondèrent, sous la direction de Boniface, trois grands monastères. Le plus célèbre fut celui de Bischoffsheim, dont l'abbesse fut une jeune parente de l'apôtre, la pieuse et savante Lioba.

Lioba, dont nous possédons des lettres charmantes et des vers latins d'une bonne facture[19], apporta au milieu de la Germanie semi-païenne un parfum de grâce aimable et d'exquise douceur. C'est à elle que paraît avoir été dédié un poème de deux cents vers composé par saint Boniface, où sont mises en scène les principales vertus chrétiennes[20].

Ces monastères d'hommes et de femmes répandirent en Germanie le goût des lettres. On envoyait en Angleterre des produits du pays, des tissus de poil de chèvre, une fourrure pour le vieil évêque de Winchester, des boucliers et des faucons pour le roi Ethelbald, un peigne d'ivoire et un miroir d'argent pour la reine[21] ; mais, en revanche, les abbés, les abbesses, et Boniface lui-même demandaient qu'on leur communiquât la copie des ouvrages de science, de poésie et de piété qui se publiaient en Angleterre. Transcrivez-moi, écrivait Boniface, quelques écrits de Bède ; envoyez-moi quelques étincelles du flambeau qui brille dans votre pays[22].

Un échange de lettres plus graves était celui que l'évêque de Germanie entretenait avec le pape Grégoire II, le tenant au courant de tous ses travaux, le consultant sur toutes les questions douteuses. Une réponse de Grégoire II, datée du 22 novembre 726, résout douze cas de conscience ; et rien ne nous fait entrer plus avant dans l'intimité de la vie religieuse, liturgique, familiale et sociale de ces premières chrétientés d'Allemagne[23]. Moins importante que la correspondance de saint Grégoire le Grand avec saint Augustin, la correspondance de saint Grégoire II avec saint Boniface mérite de lui être comparée. Elle avait le même objet ; elle eut le même résultat : la conversion et la civilisation chrétienne d'une grande nation.

Saint GRÉGOIRE III, qui occupa le siège pontifical, de 731 à 741, et saint ZACHARIE, qui lui succéda de 741 à 752, continuèrent à aider Boniface de leurs conseils et à le soutenir de leurs encouragements. En 732, Grégoire III lui envoyait le pallium et le chargeait de créer de nouveaux diocèses en Germanie[24]. Boniface sacra évêques ceux de ses moines qui avaient donné les meilleures preuves de zèle et d'intelligence dans leur apostolat ; et les sièges de ces évêchés furent si bien distribués, que l'organisation ecclésiastique de l'Allemagne n'a subi, depuis lors, que des modifications de minime importance. L'Église de l'Allemagne centrale, dit l'historien protestant Hauck, est l'œuvre de saint Boniface[25].

 

IV

Au titre de fondateur de l'Église de Germanie, Boniface allait ajouter celui de réformateur de l'église franque. Charles Martel était mort en octobre 741, laissant l'église franque rassurée contre les périls extérieurs d'une invasion musulmane ou saxonne, mais en proie à des désordres intérieurs lamentables. Les troubles qui suivirent la mort du grand guerrier franc, la lutte qui se livra entre les derniers représentants de la race mérovingienne agonisante et les précurseurs de la race carolingienne qui se précipitaient au pouvoir, les soulèvements de la Bavière et de l'Aquitaine, qui faillirent un moment déchirer la nation franque, aggravèrent l'intensité de la crise. La culture intellectuelle fut forcément abandonnée ou négligée. Un curieux document de ce temps, connu sous le nom d'Indiculus superstitionum[26], et qu'on a pu appeler le Syllabus des erreurs populaires du VIIe siècle, nous fait voir combien de grossières superstitions avaient, grâce à l'ignorance, gagné les âmes des fidèles. Les lettres de saint Boniface nous ont laissé le lugubre tableau des désordres du clergé : La religion est foulée aux pieds, s'écrie-t-il. Voici plus de quatre-vingts ans, s'il faut en croire les vieillards, que les Francs n'ont plus réuni de concile[27]. Ils n'ont pas d'archevêque métropolitain. La plus grande partie des sièges épiscopaux sont livrés à des laïques cupides, ou à des clercs adultères. Et ceux qui se vantent de n'avoir pas ces défauts sont souvent des ivrognes, des chasseurs, des soldats, qui répandent le sang des chrétiens comme celui des païens[28]. La lettre qui contenait ces lignes était adressée, en 742, au Pape Zacharie, qui venait de succéder à Grégoire III. Les deux princes à qui Charles Martel avait laissé un pouvoir sans titre défini[29], mais réel, Carloman et Pépin, avaient demandé à Boniface de réorganiser l'église d'Austrasie[30]. Carloman et Pépin avaient été élevés dans un monastère ; Carloman portait en lui une âme profondément religieuse, qui devait, quatre ans plus tard, le conduire du trône au couvent du Mont-Cassin ; Pépin était un politique avisé, comprenant l'importance d'une église bien ordonnée dans un Etat qu'il aspirait déjà peut-être à gouverner un jour à titre de roi. Boniface, dans la lettre que nous venons de citer, réclamait au Pape Zacharie les pouvoirs nécessaires pour répondre à l'appel des princes francs. Ces pouvoirs, accompagnés de paternels encouragements, ne se firent point attendre[31]. Mais la lutte fut rude. Deux intrigants, le Scot Clément et le Franc Aldebert, fanatisaient les foules en s'autorisant des pouvoirs les plus extraordinaires. Aldebert invoquait en sa faveur une lettre de Jésus-Christ, tombée du ciel à Jérusalem. Il trouva un évêque ignorant pour le sacrer. Des multitudes, délaissant les églises, se rassemblaient autour des croix plantées par Aldebert sur le bord des fontaines et criaient : Que les mérites d'Aldebert nous soient en aide ! On se disputait les reliques de ses ongles et de ses cheveux[32]. Boniface poursuivit les deux aventuriers avec une ardeur infatigable jusqu'à ce qu'il les eût fait mettre en prison[33] ; puis dans plusieurs conciles, les uns provinciaux, les autres pléniers ou nationaux, il fit décréter la stabilité du clergé des campagnes, sa subordination à l'évêque, la dépendance de celui-ci à l'égard du métropolitain et de ce dernier à l'égard de l'évêque de Rome. Comme insigne de cette organisation et du rattachement de toute la hiérarchie au Saint-Siège, le pallium, qui était simplement en Orient la marque des pouvoirs archiépiscopaux, prit une signification symbolique, celle d'une juridiction reçue de Rome avec l'insigne[34]. Deux autres mesures d'une grande portée doivent être remarquées parmi les décisions de ces conciles. Ce fut d'abord une sorte de consolidation des paroisses rurales, au profit desquelles on établit ou on généralisa les dîmes foncières[35]. C'était les affranchir de la dépendance dans laquelle elles se trouvaient jusqu'alors à l'égard des seigneurs et des grands propriétaires qui les avaient établies ; ce fut ensuite le règlement de la contribution du clergé aux charges de l'État en cas de guerre ou de besoin urgent. L'État aurait le droit, en de telles circonstances, de retenir une portion des revenus des églises, mais seulement à titre de précaires, c'est-à-dire à charge de restitution à la mort du bénéficiaire et avec obligation de payer, pendant cette jouissance, une rente récognitive d'un sol d'argent par ménage servile[36]. C'était prendre des mesures préventives contre l'envahissement des biens ecclésiastiques, dont Charles Martel avait tant abusé, en prétextant des nécessités financières. On a pu dire de cette décision, prise dans une assemblée mixte d'évêques et de seigneurs laïcs, que c'était le premier des concordats[37]. Cette sage libération des biens d'Église et par suite de l'Église elle-même, par rapport aux grands propriétaires et à l'État, était d'une importance capitale. De telles règles bien observées eussent épargné bien des abus au Moyen Age. Quand saint Grégoire VII voudra remédier aux plaies de l'incontinence des clercs et de la simonie, il ne procédera pas autrement que saint Boniface : il secouera le joug de l'ingérence abusive du pouvoir civil dans l'Église. D'ailleurs, l'indépendance que réclamait Boniface n'avait rien qui ressemblât à l'insoumission ou à l'hostilité. Dans la création de nouveaux diocèses et la désignation des titulaires des nouveaux évêchés, il rechercha toujours l'entente préalable avec les puissances séculières, et le pape Zacharie l'approuva d'agir ainsi[38].

La guerre aux superstitions populaires fut un autre objet des décisions conciliaires. Les actes du concile de Leptines, tenu en 7i3, sont à peu près entièrement consacrés à combattre ces vaines croyances , ils en donnent le détail fort curieux. Le péril de ces extravagances rendit Boniface très vigilant à réprimer toutes les opinions singulières. Il apprit qu'un prêtre d'origine irlandaise, nommé Virgile, troublait les imaginations en prêchant l'existence, sous la terre, d'un autre monde ayant un autre soleil et une autre lune. Il en écrivit au pape Zacharie qui lui répondit : S'il est bien établi que Virgile a ainsi parlé, il faut réunir un concile et l'expulser de l'Église... Nous adressons à ce même Virgile des lettres évocatoires, afin que, s'étant présenté devant nous et soumis à une enquête minutieuse, s'il est trouvé coupable d'erreur, il soit condamné aux peines canoniques[39]. On ne voit pas qu'il ait été donné suite à ce procès, soit qu'on ait abandonné l'accusation, soit que Virgile se soit disculpé. Nous savons seulement que Virgile fut élevé plus tard à la dignité d'évêque de Salzbourg et que le pape Grégoire IX le canonisa. Sa fête est fixée au 27 novembre[40].

L'action de Boniface sur l'église franque porta ses fruits. On vit bientôt arriver aux grandes charges de l'Église et de l'État des prélats et des abbés ne ressemblant en rien à ceux qui avaient fréquenté la cour de Charles Martel. Nous devons mentionner parmi eux l'abbé de Saint-Denis, Fulrad, qui joua un rôle politique important dans la substitution de la dynastie carolingienne à celle des Mérovingiens, et l'évêque de Metz, Chrodegang, dont la Règle célèbre, publiée en 755, devait influer si profondément sur l'avenir du clergé de France[41].

 

V

Depuis 745, Boniface avait sa résidence fixe à Mayence. Il avait rêvé de siéger à Cologne, ville plus rapprochée de cette Germanie barbare dont l'évangélisation l'obsédait toujours. Des intrigues mystérieuses, basse revanche des prélats prévaricateurs dont la reforme de Boniface avait ruiné l'autorité, firent échouer ce projet, comme aussi l'organisation hiérarchique des diocèses des Gaules, qu'il avait commencé à réaliser. Le saint archevêque eut du moins la consolation de couronner son œuvre par la fondation de l'abbaye de Fulda. Il est, dans le désert d'une vaste solitude, écrivait-il au pape Zacharie, au milieu des nations que j'ai évangélisées, un endroit calme et recueilli, où j'ai bâti un monastère. J'y ai réuni des moines qui, soumis à la règle de notre Père saint Benoît, vivent heureux du travail de leurs mains. C'est là qu'avec la permission de votre Piété je voudrais aller donner quelque repos à ma vieillesse et dormir après ma mort. Les quatre peuples auxquels j'ai, par la grâce de Dieu, prêché la parole du Christ, sont dans les environs. Avec le secours de vos prières, je pourrais encore leur être de quelque utilité[42].

Cette lettre est datée de 751. Quatre ans plus tard, le vœu de Boniface devait se réaliser en partie. Sa glorieuse dépouille, ensanglantée par le martyre, serait ramenée en triomphe au monastère de Fulda pour y dormir du dernier sommeil. Les dix ans qu'il passa dans le gouvernement de l'Église de Mayence furent dix ans d'un travail silencieux et assidu. Il consacra à la rédaction de ses sermons, et à l'administration de son diocèse ses dernières forces. Il conféra l'ordination épiscopale à son cher disciple Lull et en fit son chorévèque[43]. L'entrée de Carloman au monastère du Mont-Cassin avait laissé Pépin seul maître du peuple franc ; la mort du pape Zacharie avait été suivie de l'élection d'Étienne II. Boniface écrivit à Étienne et à Pépin pour leur demander l'autorisation de se choisir Lull comme successeur. Une lettre qu'il écrivit au Pape en 753 est comme son testament : Je prie votre Sainteté, disait-il, de m'accorder l'amitié et l'union avec le Siège apostolique. Au cours des trente-six années pendant lesquelles j'ai rempli ma légation romaine, j'ai pu rendre quelques services à l'Église de Dieu. Pour les fautes et les erreurs que j'ai pu commettre, je déclare me remettre au jugement de l'Eglise.

Cependant une tristesse emplissait son âme d'apôtre. Le vœu de sa jeunesse ne s'était pas accompli. La Saxe et la Frise, vers lesquelles il avait autrefois dirigé les premiers efforts de son apostolat, n'étaient pas encore converties. Et pourtant, c'était le pays des ancêtres ! Il écrivait à ses compatriotes anglo-saxons : Ayez pitié de ces hommes, qui vous disent : Nous sommes de votre chair et de votre sang. Et un évêque d'Angleterre lui répondait : J'apprends que vous pensez nuit et jour à la conversion des Saxons... hâtez-vous de recueillir une moisson aussi belle[44].

Le vieil archevêque de Mayence, qui comptait alors environ 75 ans, n'eut sans doute pas l'espoir d'achever la moisson. Il rassembla toutes ses forces. Il écrivit pour Lull, son chorévèque, ses dernières instructions, que le moine Willibald nous a conservées[45] ; puis il s'embarqua sur le Rhin, accompagné d'une cinquantaine de prêtres, de clercs, de moines, et de quelques serviteurs armés. La flottille arriva au milieu de ces plaines marécageuses qui, quatre siècles plus tard, devaient être en partie englouties et former le golfe du Zuyderzée. Les petites barques naviguaient sur les canaux et les cours d'eau qui sillonnaient le pays, et les missionnaires évangélisaient en passant les habitants à peu près incultes de ces contrées. Aux premiers jours de juin 755, la flottille mouilla dans le voisinage de Dokkum, où Boniface avait donné rendez vous aux nouveaux baptisés de la région pour leur administrer le sacrement de la confirmation[46]. Mais le jour fixé, aux premières lueurs de l'aube, au moment où l'apôtre s'apprêtait à célébrer le saint sacrifice, voici qu'au lieu des néophytes attendus une armée de païens surgit tout à coup, proférant des cris de mort. Les quelques serviteurs qui escortaient la mission se précipitèrent sur leurs armes. Boniface les arrêta. Puis, se tournant vers ses compagnons : Courage, leur dit-il, tous ces fers ne peuvent rien sur les âmes. Comme il parlait, les païens fondirent sur les missionnaires et les massacrèrent. Un historien oculaire raconte qu'au moment de recevoir le coup mortel, Boniface éleva au-dessus de sa tête un livre qu'il tenait à la main. La hache du barbare fendit du même coup le livre et la tête du martyr.

Ainsi mourut l'apôtre de la Germanie. Son désir s'était en partie réalisé. Il n'avait pas vu la conversion de la Saxe ; c'est sous la dure épée. de Charlemagne que cette œuvre s'achèvera ; mais, sur cette terre saxonne, que de terribles exécutions allaient bientôt ensanglanter, il lui avait été donné de verser le sang pur et pacifique du martyr, prémices de la future chrétienté.

 

 

 



[1] C'est ce que disent, en termes équivalents, plusieurs papes. Grégoire III l'appelle : Bonifacium, nostrum agentem vivem (JAFFÉ, n° 2247). Le pape Zacharie lui écrit : Tua sanctitas sedis apostolicæ et nostram præsentat vicem. JAFFÉ, Monumenta moguntina, p. 110.

[2] G. KURTH, Saint Boniface, p. 173.

[3] Le moine Willibald, qui a écrit la vie de saint Boniface à la demande et sur les indications de saint Lull, disciple et successeur de l'apôtre de la Germanie. MIGNE, LXXXIX. MABILLON, Act. Sanct. ord. S. Ben., sav. III.

[4] BÈDE, Histoire ecclésiastique, V, 9.

[5] Saint Boniface avoue que la passion des voyages s'unissait en lui au zèle religieux : Nos timor Christi et amor peregrinationis separavit. JAFFÉ, II, 86.

[6] MŒLLER, Histoire du Moyen Age, p. 445.

[7] KURTH, Saint Boniface, p. 18, 19.

[8] M. G. H. Epistolæ merovingici et Karolini œvi, Edit. Dümmler, t. I, p. 237.

[9] Liber Pontificalis, I, 325.

[10] Non insultando aut irritando, sed placide et magna cum moderatione, MIGNE, P. L., t. LXXXIX, col. 707, 708, 709. Monum. Germ. hist. Epistolæ merovingici et Karolini œvi, Edit. Dümmler, p. 212.

[11] Monumenta germaniæ historica. Scriptores, t. XV, 1a pars, p. 63.

[12] G. KURTH, Saint Boniface, p. 26.

[13] M. G. H., Epistolæ mer. et Kar. œvi, I, 329.

[14] M. G. H., Epistolæ mer. et Kar. œvi, I, 300-333.

[15] P. L., t. LXXXIX, col. 700, 701, 702. M. G. H., Epist. Dümmler, I, 329.

[16] P. L., t. LXXXIX, col. 703 et s. M. G. H., Epist., I, 331, 332.

[17] P. L., t. LXXXIX, col. 706. M. G. H., Epist., I, 274.

[18] P. L., t. LXXXIX, col. 699. M. G. H., Epist. 270-271.

[19] P. L., t. XCIX, col. 720. M. G. H., Epist. merow. et Karol. œvi, I, 280-281.

[20] Œnigmata de virtutibus, quæ misit Bonifacius ad sororem suam, P. L., t. XCIX, col. 887-892.

[21] P. L., t. XCIX, col. 750-751. M. G. H., Epist., I, 337.

[22] P. L., t. XCIX, col. 780. M. G. H., Epist., I, 347.

[23] P. L., t. XCIX, col. 524-526. M. G. H., Epist., I, 275, 277. Ces cas de conscience sont relatifs aux empêchements de mariage, à l'administration des sacrements de baptême et de confirmation, à la procédure à suivre dans les cas de dénonciations portées contre un ecclésiastique, au régime des lépreux, à la fréquentation des chrétiens scandaleux, etc. Les réponses du Pape sont en même temps très fermes et empreintes d'une paternelle condescendance.

[24] P. L., t LXXXIX, col. 577-578 M. G. H., Ep., I, 278. La création de nouveaux évêchés n'a été réservée au Pape que depuis l'an mille (THOMASSIN, Anc. et nouv. discipl., t. I. p. 371. C'étaient les métropolitains qui les érigeaient auparavant. Mais les souverains pontifes s'étaient toujours réservé un droit de contrôle et de juridiction supérieure. (THOMASSIN, loc. cit., p. 311).

[25] HAUCK, Kirchengeschichte Deustchlands, 2e édition, t. I, p. 466.

[26] BALUZE, Capitularia regum francorum, t. I, p. 150, et s.

[27] Cette assertion, que saint Boniface ne donne que comme un écho de la tradition populaire, est exagérée. Quelques conciles ont été tenus en Gaule pendant la seconde partie du VIIe siècle. Cf. VACANDARD, Vie de saint Ouen, p. 222, en note.

[28] P. L., t. LXXXIX, col. 744. M. G. H., Epist., I, 300.

[29] Dans leurs capitulaires ils prennent le titre de dux et princeps Francorum.

[30] D'après Willibald, c'est Boniface lui-même qui aurait suggéré cette demande à Carloman, c. VII, p. 478.

[31] DÜNZELMANN, HAHN et KURTH admettent en effet que la réponse du Pape est fautivement datée du 1er avril 743 et qu'elle est en réalité de 742. KURTH, Saint Boniface, p. 23. DÜNZELMANN, Forschungen zur deutschen Geschichte, t. XIII, p. 8. HAHN, même recueil, t. XVI, p. 52.

[32] P. L., t. LXXXIX, col. 751-753. M. G. H., Epist., I, 314-318.

[33] P. L., t. LXXXIX, col. 753-754. M. G H., Epist., I, 314.

[34] DUCHESNE, Les Origines du culte chrétien, p. 370-372.

[35] JAFFÉ, n° 2288, P. L., LXXXIX, col. 944.

[36] Concitium Germanicum I, P. L., t. LXXXIX, col. 807, 808. Concilium Leptinense, t. XII, col. 371. Leptines était un domaine royal, près de Binche, dans la circonscription du diocèse actuel de Cambrai.

[37] MŒLLER, Hist. du Moyen Age, p. 427. Ce concordat fut approuvé par le pape Zacharie.

[38] Par exemple dans la fondation des évêchés de Strasbourg, Frisingue, Ratisbonne et Passau. M. G. H., Epist., I, 293 (THOMASSIN, Anc. et nouv. disc., I, 305, 306).

[39] M. G. H., Epist. merow. et Karol. œvi, t. I, p. 360.

[40] MABILLON, Acta sanctor. ord. S. Bened. sœc. III. Tel est le fait qui a donné lieu à tant de récriminations contre l'Eglise. Après d'Alembert et Bayle, que d'historiens ont fait de Virgile une victime de la science et de la libre-pensée, persécutée par le Pape. Or, 1° il n'est pas vrai que Virgile ait été condamné par l'Eglise ; 2° il est très probable que ce qui avait ému saint Boniface et saint Zacharie, c'était plutôt l'interprétation donnée par le peuple à l'opinion de Virgile, que cette opinion elle-même, car le V. Bède, dont saint Boniface lisait les ouvrages avec tant d'avidité, enseignait la sphéricité de la terre (De natura rerum, cap. XLVI, P. L., XC, 264, 265) ; 3° enfin saint Boniface, et saint Zacharie se seraient-ils trompés sur une question scientifique, la doctrine de l'infaillibilité de l'Eglise n'en serait nullement atteinte.

[41] Nous aurons l'occasion d'en parler plus loin.

[42] P. L., t. LXXXIX, col. 778. M. G. H., Epist. I, 368, 369.

[43] Les chorévèques (de χώρα, région, έπισκοπειν, surveiller) tenaient alors le milieu entre les évêques et les prêtres. L'institution du chorépiscopat, dit M. Jacques Zeiller, a été étudiée de près dans ces dernières années ; on s'est efforcé d'en déterminer avec précision la nature, restée longtemps assez incertaine, et l'on a pu conclure que les chorévèques, ou évêques de la campagne, ont d'abord exercé un pouvoir épiscopal complet avant d'être plus tard subordonnés aux évêques urbains ; c'est au IVe siècle que les canons de divers conciles restreignirent leurs attributions et les réduisirent à la condition de membres inférieurs de la hiérarchie. Mais ces conclusions ne s'appliquent qu'à l'Orient. En Occident le chorépiscopat  se présente sous un aspect différent à l'époque où il y apparaît, en Gaule principalement, comme une institution régulière, tandis qu'il disparait en Orient, c'est-à-dire au VIIIe siècle : les chorévèques occidentaux, revêtus du caractère épiscopal, sont alors des coadjuteurs de l'évêque, qui leur délègue ses pouvoirs dans une région du diocèse éloignée de la ville où il a sa résidence : ils possèdent ainsi une autorité moins grande que celle des chorévèques orientaux de la première période, véritables évêques indépendants, et plus grands que ceux de la dernière période, qui avaient perdu le caractère épiscopal. Jacques ZEILLER, dans la Revue d'Hist. ecclés., du 15 janvier 1906, p. 28. Cf. Dom PARISOT, Les Chorévèques, dans la Revue de l'Orient chrétien de 1901, t. VI, p 157 ; JUGIE, Les Chorévèques en Orient, dans Les Echos d'Orient, t. VII (1904), p. 263 et F. GILLMANN, Das Institut des Chorbischöfe im Orient, Munich. 1903. Au Moyen Age, on appela aussi chorévèques (chori episcopi) de simples maîtres de chœur. Cf. THOMASSIN, Anc. et nouv. disc., II, p. 329. Sur les chorévèques, voir une longue et savante dissertation de dom LECLERCQ dans sa nouvelle édition de l'Histoire des Conciles, par HÉFÉLÉ, tome II, 2e partie, Paris, 1908, p. 1197-1257.

[44] M. G. H., Epist., I, 298.

[45] WILLIBALD, cap. XXI, P. L., LXXXIX, col. 659. Quelques années auparavant, en prévision de sa mort, il avait fait des adieux touchants à l'abbesse Lioba, sa parente, et à ses religieuses, les conjurant de continuer à travailler avec persévérance sur cette terre de Germanie, qu'il se croyait sur le point de quitter. M. G. H., Epist., I, 335, 336.

[46] Depuis le Ve siècle, la confirmation, au moins en Occident, s'était peu à peu séparée du baptême. Cela tenait à la fondation des paroisses rurales et à ce que la confirmation, en Occident, était réservée à l'évêque.