HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — L'ÉGLISE CHEZ LES PEUPLES BARBARES

CHAPITRE III. — L'ÉGLISE CHEZ LES ANGLO-SAXONS.

 

 

L'ile de la Grande-Bretagne se trouvait peuplée au VIe siècle par deux races rivales : celle des Bretons, appartenant à la famille celte et celle des Anglo-Saxons, issus de la famille germaine. Les Bretons, habitants primitifs de l'île[1], avaient été de bonne heure convertis à la foi chrétienne. Ils étaient fiers de leur apôtre saint Patrice, de leur martyr saint Alban, fiers du rôle rempli par leurs évêques aux conciles d'Arles et de Sardique, fiers aussi de leur race, qu'ils croyaient indomptable[2]. Une grande hérésie était née parmi eux[3]. Le Breton Pélage avait troublé l'Occident et l'Orient, exaltant la puissance des vertus naturelles et déprimant le rôle de la grâce divine : et de cela peut-être quelques-uns étaient-ils également fiers. Mais les Bretons n'étaient plus maintenant, en Grande-Bretagne, qu'une poignée de montagnards réfugiés dans le pays de Galles. Pendant la seconde moitié du Ve siècle, trois tribus guerrières, venues du nord de la Germanie et de la Scandinavie, les Saxons, les Angles et les Jutes[4], avaient violemment refoulé les Bretons devant eux. Juste châtiment des anciens crimes ! s'écrie, dans son style étrange, un des témoins de ce désastre, le moine Gildas. D'une mer à l'autre mer s'étala l'incendie, dévastant les villes et les campagnes, et ne s'arrêtant que lorsque sa langue rouge et sauvage eût léché à peu près toute la surface de l'île, jusqu'à l'océan occidental[5]. Les prêtres étaient massacrés, dit le Vénérable Bède, on pourchassait par le fer et le feu l'évêque et son troupeau, et personne n'était là pour ensevelir les cadavres mutilés[6]. L'évêque de Londres, Théonus, et l'évêque d'York, Tadioc, gagnèrent les montagnes galloises avec les débris de leurs chrétientés. Beaucoup, s'entassant dans des barques de cuir, avec leurs prêtres et leurs bardes, parvinrent en Armorique[7] et jusqu'en Espagne. Des nombreux monuments de la foi chrétienne élevés par les vieux Bretons sur le sol de leur pays il ne subsista guère que la petite église, plus tard dédiée à saint Martin, que la piété vénère aujourd'hui encore à Cantorbéry.

 

I

La race nouvelle apporta en Grande-Bretagne les mœurs des peuples de Germanie, leur organisation politique et leur mythologie, avec quelque chose de particulièrement âpre et brutal, mais aussi de singulièrement viril. Ces grands hommes aux yeux bleus[8], aimaient à répéter les vers de leurs poètes, célébrant les champs de bataille où le sang ruisselle, et les repas où l'on mange le cœur de son ennemi, et les lieux maudits où la vague noire monte jusqu'aux nuages, mais ils aimaient aussi les poèmes où la grave pensée de la mort n'a rien qui épouvante, et quand ils chantaient l'amour, c'était un amour sérieux et fidèle, qui deviendrait facilement l'amour chevaleresque[9].

C'est pourquoi leur aspect, farouche dans l'ardeur de la bataille, éveillait, au repos, de profondes sympathies. Saint Grégoire, rencontrant au Forum de jeunes Anglo-Saxons, avait regretté que la grâce de Dieu n'habitât pas sous ces beaux fronts. Ne pouvant les évangéliser lui-même, il avait désigné quarante moines du couvent de Saint-André, pour aller porter à ces peuples la lumière de l'Evangile. Ces moines étaient tous d'origine modeste. C'était des hommes craignant Dieu, dit simplement le Vénérable Bède. On ne connaît rien de particulier sur l'origine et sur la vocation de celui qui, prieur du couvent de Saint-André, devint le chef de la mission. Il s'appelait Augustin. Nous savons, par la correspondance de saint Grégoire, que la petite troupe, en traversant la Gaule, où le Pape l'avait recommandée à plusieurs saints évêques, se trouva subitement découragée. Des bruits effrayants circulaient autour d'eux, parmi le peuple, sur ces terribles conquérants de la Grande-Bretagne, que l'historien Procope lui-même présente comme des êtres à moitié fantastiques et très malfaisants. Les bons moines, habitués à la tranquille vie de leur monastère, se troublèrent. Augustin, leur chef, fut obligé d'aller demander à Rome de nouvelles instructions. Il en revint avec la lettre suivante, dont la calme et confiante énergie réconforta les missionnaires : Avec grand soin, mes très chers fils, disait le Pape, vous devez mener à bonne fin ce que vous avez entrepris, par la grâce du Seigneur. Que ni la fatigue du voyage, ni les langues méchantes ne vous effraient. Obéissez en toute humilité à votre chef Augustin, qui revient à vous... Je ne puis travailler avec vous : puissé-je, du moins, me trouver, pour prix de mes désirs dans la joie de la récompense ! Mes très chers fils, que Dieu vous garde ![10]

Augustin était porteur d'autres lettres de saint Grégoire. L'une de ces lettres était adressée à la reine Brunehaut, alors à l'apogée de sa puissance. Le Pape, en des termes pleins de déférence[11], recommandait à la haute protection de la reine d'Austrasie ses quarante missionnaires. Tout l'hiver de 596-597 fut employé à traverser la Gaule. Au printemps de l'année 597, un navire, monté par Augustin, par ses moines et par quelques prêtres de race franque destinés à lui servir d'interprètes, remonta l'embouchure de la Tamise et aborda à l'île de Tanet. Une lettre fut aussitôt envoyée au roi de Kent, Ethelbert, lui annonçant que des messagers venus de Rome lui appontaient, à lui et à son peuple, la bonne nouvelle du royaume de Dieu.

Augustin, renseigné en Gaule, connaissait l'histoire de ce jeune roi Anglo-Saxon, ardent et fier, ambitieux et droit, qui, sept ans auparavant, était venu chercher une alliance parmi les princesses catholiques de la cour des rois de France. Une arrière-petite-fille de sainte Clotilde, digne descendante de l'épouse de Clovis, Berthe, fille unique et orpheline du roi de Paris, Caribert Ier, et de l'infortunée reine Ingoberge, avait consenti à unir sa destinée à celle du monarque païen. Elle avait emmené avec elle comme chapelain le pieux évêque de Senlis, Luidhard. Dans la petite chapelle de Cantorbéry, dernière relique de l'église bretonne, que le roi mit à sa disposition et qu'elle dédia au patron des Gaules saint Martin, la reine Berthe trouva, avec le souvenir de sa patrie, la consolation du culte de nos pères.

Le roi, que ses entretiens avec la reine et l'évêque Luidhard avaient sans doute déjà prévenu en faveur du christianisme, jugeait encore toutes ces questions de religion avec ses préjugés de barbare. Il accepta une conférence avec les messagers de Rome, mais en plein air, de peur, dit-il, d'être victime de quelque maléfice que pourraient lui jeter ces inconnus[12]. Le Vénérable Bède nous a fait ce récit de l'entrevue. Au jour fixé, dit-il, le roi vint dans l'île de Tanet et s'assit, entouré de ses guerriers. Ils étaient sans doute, suivant l'usage, en armes, la lance ou le sabre à la main, le casque de fer forgé en hure de sanglier sur la tête, la cotte de mailles sur le corps, et, au bras, le bouclier de tilleul à bosse de fer[13]. Les moines, continue le vieil historien de l'Angleterre, s'avancèrent en procession, portant, en guise de drapeaux, une croix d'argent, puis une bannière portant l'image du Sauveur. Ils chantaient des litanies, implorant Dieu pour leur propre salut et pour le salut de ceux vers qui Dieu les avait envoyés[14]. Sur l'invitation du roi, ils s'assirent et firent retentir aux oreilles du roi et de ses compagnons les paroles de la vie éternelle. Quand ils eurent fini, le monarque répondit : Vos paroles sont fort belles, et magnifiques sont vos promesses. Mais tout cela est nouveau, et je ne puis y adhérer, laissant de côté, tout à coup, ce que j'ai si longtemps observé avec toute la nation des Angles. Vous êtes venus ici de bien loin, et, à ce que je comprends, vous n'avez d'autre désir que de communiquer aux autres ce que vous croyez être le vrai et le bien. Je ne vous en empêcherai pas. Et le roi les reçut comme des hôtes à Durovernum (Cantorbéry), et leur donna toute liberté de prêcher leur doctrine[15].

Cette scène, que nous venons de traduire de l'histoire du Vénérable Bède, est caractéristique. Elle révèle déjà tout ce qui devait se manifester, dans la suite, de prudemment calculateur et de sagement libéral dans le génie de la grande nation anglaise. Dans la mêlée d'un champ de bataille, le premier roi chrétien de France, Clovis, décide, par un geste enthousiaste et spontané, de son avenir et de celui de son peuple ; assis sur son tertre de gazon, le roi anglo-saxon a l'air de promulguer, après délibérations, une charte des libertés civiles et religieuses[16].

La douce influence de Berthe et les doctes explications de Luidhard achevèrent, dans l'âme du roi et de ses guerriers, ce que le discours d'Augustin avait commencé. Au jour de la Pentecôte de l'année 597, un siècle et un an après le baptême du roi des Francs, le roi de Kent fut baptisé dans la vieille église de saint Martin de Cantorbéry[17]. Dès la fête de Noël de la même année, dix mille de ses sujets imitèrent son exemple[18]. Au berceau de l'Angleterre chrétienne comme à celui de la France chrétienne, une épouse pieuse avait préparé les voies au ministre de l'église. Cette scène se renouvellera plus d'une fois dans l'histoire de la conversion de nations barbares, comme si, dit un vieil historien, la Providence avait voulu placer des femmes auprès de tous les berceaux.

Saint Grégoire le Grand, qui retouchait en ce moment son livre des Morales sur Job, ne put s'empêcher d'y intercaler l'expression de sa joie : Voici que la langue de la Bretagne, qui n'avait que des frémissements barbares, fait retentir les louanges du Seigneur et répète l'Alleluia des Hébreux. Voici que l'Océan avec ses orages se courbe sous les pieds des saints, et la parole du prêtre enchaîne les flots que l'épée des empereurs n'avait pu dompter[19]. Le Pape écrivit à la reine Berthe qu'elle était l'Hélène du nouveau Constantin. Le nouveau Constantin abandonna, comme l'autre, sa ville et son palais à Augustin, pour se retirer sur la côte septentrionale, à Reculver. Ce fut sa donation. Il se peut, dit Mgr Duchesne, qu'Ethelbert ait agi sous l'impression du récit qu'on lui avait fait (de l'histoire de Constantin le Grand). Son palais de bois était son Latran, Augustin son Sylvestre, et Reculver fut sa Byzance[20]. Cantorbéry devint une petite Rome. Son abbaye fut exemptée d'impôts, elle reçut l'Infangenthelf, ou droit de juger le voleur pris en flagrant délit, et le privilège de battre monnaie. Sa juridiction civile s'étendit sur certains quartiers de la ville et sur plus de dix paroisses rurales. Ainsi, sous l'influence des mêmes causes, la féodalité ecclésiastique naissait sur le sol de l'Angleterre comme sur celui de la France et de l'Italie. Peu de temps après, Augustin reçut du Pape le pallium qui le constituait primat de l'Angleterre, avec la mission d'organiser la hiérarchie dans le royaume[21].

 

II

Dans la joie que leur causait la conversion de la grande nation anglo-saxonne, Augustin et Grégoire lui-même se firent-ils illusion sur les difficultés qu'allait rencontrer la civilisation chrétienne de ce peuple ? La lettre du Pape, chargeant prématurément Augustin d'organiser la hiérarchie dans tout le royaume, le donnerait à penser. Ces instructions ne purent être appliquées. L'attitude d'Augustin allait montrer mieux encore une ignorance, bien naturelle d'ailleurs chez le missionnaire romain, des dispositions du peuple anglo-saxon. Ce n'est que peu à peu et en profitant des leçons de l'expérience, que l'archevêque de Cantorbéry, conseillé par le Pape, parviendra à appliquer à l'œuvre de la civilisation de l'Angleterre cette prudence et cette discrétion, qui, inspirées par la charité la plus pure, devaient en assurer le succès le plus complet.

Malgré l'unité de foi désormais acquise, une antipathie sourde subsistait entre la race vaincue des Bretons et la race victorieuse des Anglo-Saxons. Le premier tort d'Augustin fut de méconnaître cette opposition. Pour achever la conversion des Angles, il n'hésita pas à s'adresser aux prêtres de cette église galloise, qui, réfugiée dans ses âpres montagnes, ne pouvait avoir oublié le souvenir des sanglantes invasions. Il semble bien aussi, d'après la manière de parler du Vénérable Bède, qu'Augustin n'ait point assez tenu compte du caractère un peu fier et susceptible des rudes montagnards gallois.

Une première conférence, tenue sur les bords de la Severn, entre l'archevêque de Cantorbéry et les délégués de l'église galloise, ne donna aucun résultat. Les Bretons gardèrent un silence méfiant. On se donna rendez-vous pour un nouvel entretien. Les Bretons avaient-ils cru découvrir dans l'attitude imposante du prélat romain, qui les dépassait tous de la tête et des épaules, un air de fierté[22] ? Le fait est qu'ils ne voulurent pas se rendre à la seconde entrevue sans avoir pris conseil d'un vieil ermite vénéré pour sa sainteté. Devons-nous écouter l'envoyé de Rome ? lui dirent-ils ? — Oui, répondit l'ermite, si c'est un homme de Dieu. — Mais à quoi lui reconnaîtrons-nous ce caractère ?A ce signe, qu'il sera doux et humble de cœur. — Comment savoir s'il est doux et humble ?A ceci, qu'à votre approche, il se lèvera pour vous recevoir. S'il reste assis en votre présence, ne l'écoutez pas. Or, le jour de la conférence étant venu, et sept évêques bretons, accompagnés de plusieurs moines du couvent de Bangor, s'étant présentés, Augustin, qui était arrivé le premier au rendez-vous, soit par négligence, soit parce qu'il ne reconnut pas qu'il avait devant lui des évêques, ne se leva pas au premier moment. Aussitôt, dit Bède, les évêques et les moines bretons d'éclater en reproches. Les propositions d'Augustin ne firent qu'aviver le dissentiment. Cette vieille église de Grande-Bretagne, si séparée du continent, avait laissé s'introduire dans sa liturgie, notamment pour ce qui concernait la célébration de la Pâque et l'administration du baptême, des usages particuliers. Augustin leur demandait, non seulement de l'aider à prêcher le christianisme aux Anglo-Saxons, mais de se conformer au rite romain dans l'administration du baptême et de célébrer la Pâque à la même date que les catholiques des autres pays. A chacune des demandes de celui qu'ils appelaient l'évêque des Anglais, c'est-à-dire l'évêque des oppresseurs, les fiers Bretons répondirent par un refus énergique. Ils ajoutèrent même, dit Bède, qu'ils ne reconnaissaient à Augustin aucune autorité sur leurs églises[23]. Alors, continue le vieil historien de l'Angleterre, Augustin se leva et leur adressa ces paroles : Sachez que, si vous ne voulez point m'assister pour montrer aux Saxons le chemin du salut, ces Saxons, par un juste châtiment de Dieu, seront pour vous les ministres de la mort. Huit ans plus tard, un roi païen de Northumbrie fondait avec une armée sur le pays de Galles et massacrait plus de huit cents de ces moines de Bangor, qui avaient été l'âme de la résistance à l'autorité d'Augustin[24].

Nous avons raconté longuement cet incident, parce que les protestants se sont plu bien souvent à voir, dans ces vieux Bretons, des ancêtres. Augustin, ce serait l'église de Rome, dure, tyrannique et envahissante ; la petite église galloise, ce serait la conscience chrétienne se révoltant contre les empiètements de l'église romaine. Des catholiques, d'autre part, ont parfois voulu trop atténuer, jusqu'à l'effacer presque, la portée de ce regrettable incident. L'histoire impartiale nous paraît démentir également ces deux opinions excessives. Le récit de Bède, si on l'éclaire par tout ce que nous savons par ailleurs de la vie de saint Augustin, ne permet pas de douter de l'esprit évangélique du missionnaire. Rien,.d'autre part, dans ce que la science a découvert des origines de l'Eglise galloise, ne nous a révélé chez elle une organisation essentiellement différente de l'Eglise de Rome. L'attribution à cette Eglise des doctrines presbytériennes, ne repose sur aucun fondement[25]. L'intransigeante raideur de cette race galloise, qui élevait comme une barrière infranchissable entre les âmes des Bretons vaincus et celles des Saxons conquérants[26], une altération réelle de la foi de ce peuple par l'influence de superstitions locales, quelque reste, si l'on veut, chez ces rudes Bretons, de l'hérésie pélagienne[27], puis, de la part de saint Augustin, une malheureuse méconnaissance ou un fatal oubli de ces tendances populaires qu'il eut fallu ménager malgré tout, et, par suite, des démarches imprudentes et des demandes prématurées : voilà ce qui suffit à expliquer l'échec de la démarche du saint apôtre de l'Angleterre. Cet échec fut pour lui la plus précieuse des leçons. Saint Augustin se mit en rapports suivis avec le pape saint Grégoire. La prudence consommée du grand pontife vint en aide à l'inexpérience du missionnaire. Celui-ci allait en avoir besoin pour l'œuvre de la civilisation chrétienne, qui restait à accomplir dans la nation anglo-saxonne elle-même.

 

III

Pas plus que celles des Francs, les mœurs des Anglo-Saxons n'avaient été transformées au lendemain de leur conversion. Les longues et sanglantes luttes entre les Celtes et les Saxons avaient exaspéré les instincts barbares des uns et des autres. Au VIIIe siècle, sur quinze rois de Northumbrie treize meurent de mort violente. Les lois d'Ethelbert, rédigées vers l'an 600, sont faites pour un peuple où les attentats contre les personnes sont les crimes les plus fréquents. Le livre pénitentiel de saint Théodore, qui donne, vers la fin du Vile siècle, une liste de pénitences tarifées pour chaque péché, indique des mœurs d'une immoralité révoltante[28]. L'ivresse, cette passion des pays brumeux et des races rêveuses, porte parfois au paroxysme ces instincts brutaux. Le commerce des esclaves continue à se faire ouvertement : il ne disparaîtra qu'au VIe siècle, par les efforts héroïques de Walfstan, évêque de Worcester. La foi chrétienne elle-même sembla disparaître un instant. Le fils et successeur d'Ethelbert, Edbald, cruel et débauché, fit revivre la religion païenne. Des défections nombreuses se produisirent. Un autel d'Odin s'éleva à Cantorbéry[29]. Les chrétiens les plus pieux avaient des coutumes liturgiques très différentes de celles de Rome. Ils avaient emprunté aux églises des Gaules l'usage des litanies, des processions, des lectures multipliées, et une liturgie de la messe très compliquée. Mais surtout l'opposition des deux races persistait : elle devait rester presque aussi irréductible après deux siècles de contact qu'à leur première rencontre[30]. Les Bretons refusèrent toute confiance aux Anglo-Saxons et ceux-ci traitèrent de schismatique l'église bretonne.

Saint Grégoire, consulté, avait été d'avis qu'il fallait user, à l'égard de ce peuple, de la plus large condescendance et de la plus tendre bonté. Il se rappelait la maxime qu'il avait écrit dans son livre des Morales sur Job : le ressort des âmes, c'est l'amour, machina quippe mentis est vis amoris[31]. Je veux, écrivait-il à Augustin, que parmi tous les usages de Rome, ou des Gaules, ou de toute autre église, vous choisissiez ce qui vous semblera le plus digne du Tout-Puissant. Prenez ce qu'il y a de pieux, de religieux, de raisonnable, et faites-en comme un bouquet qui soit la coutume des Anglais[32]. n Le Pape avait d'abord conseillé au roi Ethelbert de détruire les temples ; il écrivit, peu après : Après avoir réfléchi, j'ai décidé qu'il n'était pas à propos de démolir les temples. Aspergez-les d'eau bénite et mettez-y des autels. La nation s'apaisera en voyant qu'on laisse debout les sanctuaires, et elle viendra plus facilement aux lieux qu'elle fréquentait jadis[33]. Les Anglais font des sacrifices de bœufs aux démons ; il faut changer la coutume en quelque fête chrétienne[34]. Saint Grégoire alla plus loin ; il conseillait de joindre aux fêtes religieuses des banquets[35]. L'expérience montra qu'en ceci la condescendance était excessive : des abus, provoqués par le vice national, portèrent le concile de Cloveshoe, en 747, à supprimer ces repas semi-liturgiques. Mais l'esprit de saint Grégoire présida toujours à l'œuvre civilisatrice des missionnaires catholiques. L'Eglise, dit Godefroid Kurth, traita l'âme des barbares comme un sauvageon plein de sève et de vigueur, sur lequel elle se contentait de greffer les éléments d'une vie plus pure, laissant au temps et au travail le soin d'achever l'œuvre commencée. Les siècles lui ont donné raison[36]. Dès qu'il y a unité de foi, disait saint Grégoire lui-même, les coutumes ne sont rien[37]. Et il mettait tout son soin à s'informer de ces coutumes. Celui-là est un sot, écrivait-il, qui met sa primauté à ne pas vouloir se renseigner sur ce qu'il y a de mieux[38]. C'est dans le même esprit que saint Augustin, consulté par le roi Ethelbert sur la réforme des lois du pays, lui conseilla, malgré ses préférences personnelles pour le droit romain, de respecter les institutions nationales. Le grand évêque avait d'ailleurs reçu du Souverain Pontife, pour le gouvernement religieux de la Grande-Bretagne, des pouvoirs très vastes, qui faisaient de lui comme le Pape de ce monde lointain[39] : pouvoir de créer, dans le midi de la grande île, douze sièges épiscopaux, qui dépendaient de la métropole de Cantorbéry, même pouvoir pour le nord, où douze autres sièges se rattacheraient à la métropole d'York.

 

IV

Augustin n'eut pas le temps de réaliser ce programme. On était en 601. Il devait mourir le 26 mai 605. Il choisit un de ses plus zélés disciples, Laurent, pour lui succéder et le consacra évêque. De Rome lui étaient venus de nouveaux auxiliaires. Il conféra la dignité épiscopale à Justin et à Mellitus. Le premier fut préposé au gouvernement de l'église de Rochester, le second à celui de l'église de Londres. Ces deux Romains de vieille race continuèrent la sage politique de saint Augustin. Sébest, roi d'Essex, reçut le baptême, et, de concert avec Ethelbert, roi de Kent, son oncle, fit construire à Londres, siège de Mellitus, la cathédrale de Saint-Paul[40].

Mellitus, dit Bède, était infirme de corps. Goutteux, perclus, courbé, il marchait avec peine. Mais son âme, pleine d'allégresse, semblait planer toujours dans les choses du ciel. Des prodiges surnaturels de sa vie je ne citerai qu'un seul fait. Cantorbéry. Un jour, la ville de Cantorbéry était en proie à un incendie terrible. Rien n'arrêtait la marche des flammes, qui avaient déjà dévot é une partie de la cité. Le saint archevêque, confiant en la puissance de Dieu, se fit transporter là où l'incendie était le plus menaçant. Des tisons enflammés, emportés par le vent, volaient autour de lui. Le prélat infirme se mit en prières, et sa faiblesse obtint ce que les efforts de tant d'hommes valides n'avaient pu réaliser. Le vent, qui avait soufflé jusqu'à ce moment du côté du midi, fit, pour ainsi dire, volte-face, et le reste de la ville fut épargné[41].

La conversion des païens restait comme la dernière partie du programme de saint Grégoire. Instruisez les ignorants, avait-il dit à saint Augustin, fortifiez les faibles par la persuasion, ne corrigez par l'autorité que les méchants[42]. Le roi Ethelbert se conformait à ces instructions. Il avait appris de ses pères dans la foi, dit Bède, que le service du Christ est œuvre de volonté et non de coaction[43]. Le royaume de Conversion de Northumbrie fut conquis à la foi en 625, par le moine Paulin. Bède le Vénérable nous a conservé le récit épique de la solennelle et grave assemblée à la suite de laquelle la Northumbrie abjura le paganisme. Le roi Edwin, déjà convaincu par les entretiens particuliers de Paulin, voulut, avant de permettre à celui-ci de prêcher, avoir l'avis des grands de son royaume. Il les réunit donc. Quand il eut exposé le but de la réunion, un des chefs, se faisant l'interprète de tous, se leva et prononça ces paroles : Tu te souviens peut-être, ô roi, que lorsque tu es assis à table avec tes capitaines et tes hommes d'armes et qu'un bon feu est allumé, que ta salle est bien chaude, mais qu'il pleut, neige et vente au dehors, vient un petit oiseau qui traverse la salle à tire-d’aile, entrant par une porte, sortant par l'autre. L'instant de ce trajet est pour lui plein de douceur, il ne sent plus ni la pluie ni l'orage ; mais cet instant est rapide ; l'oiseau a fui en un clin d'œil, et de l'hiver il repasse dans l'hiver. Telle me semble la vie des hommes sur cette terre, et son cours d'un moment, comparé à la longueur des temps qui la précède et qui la suit. Ce temps est ténébreux et incommode pour nous ; il nous tourmente par l'impossibilité de le connaître... Si donc la nouvelle doctrine peut nous apprendre quelque chose d'un peu certain, elle mérite que nous la suivions. Le roi ordonna alors au missionnaire de parler du Dieu qu'il annonçait. Après que celui-ci eut fini, le chef des guerriers prit la parole. Jusqu'ici, dit-il, plus je cherchais la vérité, plus elle me semblait fuir devant moi ; mais à mesure que j'écoutais cet homme, je comprenais mieux que sa doctrine est capable de nous donner la vie, le salut et le bonheur[44]. On commença dès lors à abattre les idoles et à élever des autels au vrai Dieu.

Birinus évangélisa le Wessex, Félix l'Est-Anglie, Aidan la Mercie, Wilfrid le Sussex ; Jarumnan ramena à la foi les Saxons orientaux. Vers 685, le triomphe de la foi fut complet en Angleterre. Peu de temps après, les sept Etats de l'Heptarchie, réunis par le lien de la foi, pouvaient former une unité politique solide sous le roi Egbert-le-Grand, véritable fondateur de la monarchie anglaise.

L'Eglise avait travaillé, en même temps, à adoucir les rivalités de race persistantes entre les Celtes et les Saxons. Une lettre de saint Grégoire, bien loin de considérer les Bretons comme schismatiques, avait rangé leurs évêques sous la juridiction de l'archevêque de Cantorbéry[45]. Peu à peu, sans disparaître complètement, l'animosité qui existait entre les deux peuples s'adoucit. A mesure que Rome était plus tolérante, la Bretagne devenait plus confiante. Les coutumes bretonnes relatives à l'observation de la fête de Pâques, au rite du baptême, etc., furent abolies dans un concile de 664. L'Irlande et l'Ecosse prirent les usages romains quarante ans plus tard ; puis enfin ce fut le tour du pays de Galles[46].

Il faut lire dans l'Histoire ecclésiastique de Bède la discussion à la suite de laquelle les Northumbriens adoptèrent lés coutumes de Rome. La controverse engagée entre l'évêque Northumbrien Colman et le moine Wilfrid, élevé à Rome, portait sur la date de Pâques. Elle se tenait en présence du roi Oswin. Colman invoquait l'autorité de l'apôtre saint Jean, Wilfrid celle de saint Pierre. Celui-ci cita la parole du Sauveur : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Le roi intervint alors : Est-ce vrai, Colman, que ces paroles ont été dites à Pierre par le Seigneur ?C'est vrai, répondit Colman. Pouvez-vous, reprit le roi, me citer quelques paroles semblables dites à votre Père Colomba ?Non. — Vous êtes donc bien d'accord, tous deux, pour reconnaître que les clefs du royaume des cieux ont été remises à saint Pierre ? Ils répondirent : oui. Alors le roi conclut ainsi : Et moi je vous dis que je ne veux pas me mettre en opposition avec celui qui est le portier du ciel. Je veux au contraire lui obéir en toutes choses. Le roi ayant élevé les mains vers le ciel, tous les assistants, les grands de la cour comme les simples sujets, se rangèrent à son avis et on se hâta de remplacer une coutume défectueuse par celle qui venait d'être reconnue la meilleure[47].

Ce ne fut qu'au milieu du VIIIe siècle que les évêques celtiques se mirent définitivement en relation avec leur métropolitain de Cantorbéry, qui était alors l'archevêque Frithona, plus connu sous le nom de Deusdedit[48]. Le zèle de Deusdedit prépara les voies à son illustre successeur saint Théodore, qu'on a pu appeler le second fondateur de l'Église d'Angleterre. Né à Tarse, en Cilicie, sacré évêque de Cantorbéry en 668, à l'âge de soixante-six ans, Théodore, pendant les vingt-trois années de son épiscopat, rendit définitive l'union religieuse de tous les diocèses de la Grande-Bretagne.

Il mourut à l'âge de quatre-vingt-huit ans. Peu de vies furent aussi fécondes en œuvres que la vénérable vieillesse du saint archevêque. Il réunit, en 675, le premier concile de l'Angleterre, qui fut suivi d'un grand nombre d'autres. L'inauguration de la vie paroissiale, la réforme de la vie monastique et l'introduction d'une vie intellectuelle intense dans la Grande-Bretagne ; tels sont ses principaux titres à la reconnaissance de l'Église anglo-saxonne. Jusqu'à lui le service religieux avait été fait en Angleterre par des missionnaires errants. Au pied d'une croix, en plein champ, ils célébraient la messe, prêchaient l'Évangile et administraient les sacrements. Désormais des prêtres furent affectés au service d'une église, chargés d'administrer une circonscription déterminée, astreints à la résidence. Les églises, bâties pour la plupart par des seigneurs charitables, qui les dotaient et qui obtenaient en retour un droit de présentation des titulaires, furent les centres de la vie paroissiale[49]. Les nécessités d'un apostolat très actif et très étendu avaient altéré dans les monastères cette vie de silence et de recueillement dans la solitude que saint Benoît avait voulu sauvegarder avant tout pour ses moines. Théodore y remédia par des avis sages et fermes[50]. Il veilla aussi à empêcher tout empiètement du monastère sur les fonctions propres du clergé paroissial[51].

Théodore, élevé dans les écoles d'orient, savait par expérience le secours qu'une culture intellectuelle bien dirigée peut donner à la civilisation chrétienne. Il avait, dit-on, apporté, dans sa valise de moine, un Homère, qu'il lisait chaque jour. Avec l'aide de son fidèle compagnon, le moine Hadrien, qui venait du monastère de Nisida en Thessalie, il propagea, en même temps que l'étude des sciences sacrées, l'étude des langues classiques de l'antiquité. Soixante ans après sa mort, on voyait, dit Bède, des moines parler le grec et le latin avec autant de facilité que l'anglo-saxon[52]. On enseigna dans les monastères les sept arts libéraux[53]. Théodore fit venir de Rome des maçons qui apprirent à bâtir à la manière des Romains ; et de grandes églises s'élevèrent à côté des humbles chapelles primitives.

C'est dans ce milieu que se forma l'illustre Bède. Sa science et ses vertus lui ont valu le surnom de Vénérable, et le titre de saint, que lui a donné l'Église, n'a pas effacé ce glorieux surnom. Né en 673, quatre ans après l'arrivée de saint Théodore en Angleterre, issu de cette forte race des Angles à laquelle il se fit toujours gloire d'appartenir[54], celui qui devait être appelé le père de l'histoire d'Angleterre et de la science anglaise[55] fut élevé dans le monastère de Wearnouth et dans celui de Jarrow, que Benoît Biscop venait de fonder. De bonne heure il aimait à consulter, nous dit-il, tous les témoignages toutes les traditions, tous les livres[56]. Chronologie, cosmographie, théologie, poésie, histoire, Bède a exploré toutes les branches du savoir humain ; et partout il s'est montré supérieur. Bède, dit M. Lavisse, est surtout historien ; et il est capable, comme il l'a montré dans son Histoire ecclésiastique des Anglais, de recueillir et de peser des témoignages, de grouper des faits, de comprendre et de faire comprendre la suite des événements, de s'élever au-dessus des choses pour les juger[57]. Bède, dit M. Auguste Molinier, a écrit un excellent résumé des traditions nationales de l'Angleterre, et dans cet ouvrage la forme vaut le fond. L'exemple de Bède est là pour prouver ce qu'un petit groupe de gens actifs et éclairés peut faire pour la civilisation : convertie depuis moins d'un siècle par une poignée de missionnaires italiens, la Grande-Bretagne est devenue un foyer intense de science et de foi, et va bientôt rendre au continent les services qu'elle a reçus de l'Italie[58].

La science et la foi, la passion de l'étude et la soif de la prière accompagnèrent ce grand homme jusqu'à ses derniers moments. Rien n'est touchant comme le récit de sa mort, que nous a laissé, dans une lettre, un de ses disciples. Le dernier jour de sa vie, raconte-t-il, un de ses familiers, resté auprès de lui pour lui donner ses soins, se hasarda à lui dire : Maître bien-aimé, il manque encore un chapitre à votre ouvrage ; serait-ce vous fatiguer que de vous faire parler davantage ? Bède répondit, de sa voix affaiblie par la souffrance : Je le puis encore : prends ta plume, taille-la, car cela presse. L'heure des vêpres étant venue, le même disciple lui dit encore : Cher maître aimé, il reste un verset qui n'est point écrit. Ecris-le bien vite, répondit-il. Et le jeune homme, ayant écrit sous sa dictée, s'écria : Maintenant c'est fini. Et lui : Tu dis vrai, c'est fini. Prends ma tête dans tes mains et tourne-moi, car j'ai beaucoup de consolation à me tourner vers le lieu saint où j'ai tant prié. Et, ainsi couché sur le pavé de sa cellule, il se mit à chanter une dernière fois sur le ton coutumier des cantilènes grégoriennes : Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit, et en prononçant ces noms divins son âme s'échappa[59].

 

V

Cependant les principes de civilisation chrétienne, prêchés par l'Église, passaient peu à peu dans les actes législatifs. Après les lois d'Ethelbert qui, au début du vile siècle, n'étaient guère qu'un code pénal, cataloguant et tarifant les coups et les blessures[60], après les lois de Lothaire et d'Eadric, qui, à la fin du vue siècle, marquaient un progrès dans l'organisation sociale et dans la conception du droit[61], les lois de Witræd, au début du VIIIe siècle, indiquent l'apparition d'une vie parlementaire mieux réglée[62]. Les lois d'Alfred le Grand, à la fin du Xe siècle, devaient parfaire cette législation et la mettre d'accord avec l'esprit chrétien[63].

Mais ce qu'il faut remarquer, c'est que ce mouvement social eut son origine dans l'évangélisation chrétienne commencée par saint Augustin et inspirée par saint Grégoire le Grand. M. Mignet a pu écrire que l'Angleterre doit à cette évangélisation son respect des droits de la famille et des droits de l'individu[64], et un historien plus récent n'a pas craint d'affirmer que les lettres de saint Grégoire à saint Augustin mériteraient d'être placées dans les archives nationales de la Grande-Bretagne, avant la Déclaration des droits et avant la Grande Charte[65]. La grande île, dont la réputation de barbarie avait fait reculer d'effroi, à la fin du VIe siècle, les compagnons de saint Augustin et où persistaient tant de coutumes païennes produisait des fruits merveilleux de sainteté. La Grande-Bretagne devenait l'Ile des saints. Ces Anglo-Saxons et ces Bretons, si jaloux de leur indépendance, se pénétraient peu à peu de reconnaissance pour ce monde latin, pour cette religion chrétienne, pour cette Rome, d'où leur était venu le bienfait de la civilisation. Un jour vint où, ainsi que le constate un historien, tous les yeux furent tournés vers la capitale du monde. Chaque année de nombreux pèlerins anglo-saxons se mettaient en route, religieux et religieuses, prêtres, évêques et nobles. Arrivés en vue de la ville sainte, ils s'arrêtaient pour contempler et s'agenouiller. Leur première visite était pour le tombeau de saint Pierre. L'attraction devint si forte que les rois eux-mêmes y cédèrent. En 689, le roi saxon Kadwal se rendit à Rome avec l'intention de finir ses jours dans un monastère. Vingt ans après la mort de Kadwal, Conrad de Mercie et Otto d'Essex suivaient son exemple. Ainsi des rois estimaient que c'était une gloire suprême que d'aller mourir sous la robe monacale là où cent ans auparavant un moine, romain avait rencontré de jeunes Anglo-Saxons sur le marché aux esclaves. Un siècle avait suffi pour que la Bretagne, conquise par des prêtres, devînt province pontificale[66], comme il avait suffi d'un siècle pour que la Gaule, conquise par les légions, devînt une des plus romaines des provinces impériales[67].

Les Anglais ne partaient pas toujours pour Rome afin d'y aller mourir ; ils y allèrent plus d'une fois afin d'y chercher la lumière et la force dont ils avaient besoin pour porter à leurs frères païens le trésor de la foi qu'ils avaient reçu de la Ville éternelle. C'est d'Angleterre que partira, pour aller prendre à Rome le mot d'ordre du Pape saint Grégoire II, le plus grand peut-être des missionnaires du monde barbare, l'apôtre de l'Allemagne, saint Boniface.

 

 

 



[1] CÉSAR, Commentaires, V, 12.

[2] Les Bretons, dit Tacite, pouvaient à la rigueur supporter les vexations, mais, quoique domptés, ils préféraient la mort à la servitude. Vie d'Agricola, XIII, 9.

[3] Plusieurs savants, conjecturent que Pélage a construit son système à Rome. Dom CABROL, L'Angleterre chrétienne, Paris, 1909, p. 32.

[4] Une grande partie des Jutes s'était fixée sur la presqu'île appelée depuis Jutland. Quatre chefs saxons fondèrent quatre royaumes : ceux de Kent, de Sussex, de Wessex et d'Essex. Les Angles fondèrent trois royaumes : ceux de Northumbrie, d'Est-Anglie et de Mercie ou West-Anglie. Les sept royaumes constituèrent ce qu'on a appelé dans l'histoire l'Heptarchie anglo-saxonne. Elle comprenait l'Angleterre actuelle, moins le pays de Galles, plus la partie méridionale de l'Ecosse.

[5] GILDAS, De excidio Britanniæ. MIGNE, P. L., t. LXIX, p. 329. PETRIS, Monumenta britannica historica, p. 14.

[6] BÈDE, Hist. ecclésiastique. MIGNE, t. XCV, col. 44.

[7] Ce fut un bienfait pour notre Bretagne française, qui conserve avec vénération le culte des saints évêques qui lui ont apporté la foi : saint Brieuc, saint Pol, saint Corentin, saint Malo.

[8] Cœrulei oculi, magna corpora, dit TACITE, Mœurs des Germains, IV.

[9] Voir plusieurs de ces chants dans Augustin THIERRY, Histoire de la conquête l'Angleterre par les Normands, t. I, p. 131 de la 3e édition.

[10] M. G. H., Reg. Gregor., VI, 15. MIGNE, t. LXXVII, col. 836. BÈDE, Hist. ecclésiastique, MIGNE, XCV, col. 53.

[11] Le ton général de la correspondance de saint Grégoire le Grand avec la reine Brunehaut a étonné plusieurs historiens. Comment, dit-on, un pape a-t-il pu prodiguer les éloges à la terrible et sanguinaire reine d'Austrasie ? Mais une critique mieux informée a réhabilité, sinon la politique de Brunehaut, qui fut celle de l'absolutisme royal, au moins son caractère, qui fut noble, et sa vie privée, qui fut sans tache. V. KURTH, Brunehaut, dans la Revue des questions historiques, t. L, p. 5 et suivantes, 1891, et PFISTER, dans Hist. de France de LAVISSE, t. II, 1re partie, p. 148-149. D'ailleurs la lettre de saint Grégoire a été écrite avant l'époque où se placeraient les crimes reprochés à la reine d'Austrasie.

[12] BÈDE, MIGNE, P. L., XCV, col. 55.

[13] R. P. BROU, Saint Augustin, Paris, 1900, p. 54.

[14] L'Église n'a rien de plus beau, dit Bossuet, que l'entrée du saint moine Augustin dans le royaume de Kent avec quarante de ses compagnons qui, précédés de la croix et de l'image du grand roi Notre Seigneur Jésus-Christ, faisaient des vœux solennels pour la conversion de l'Angleterre. Disc. sur l'hist. univers., Ire partie, 1re époque.

[15] BÈDE, I, 25. P. L., t. XCV, col. 55, 56.

[16] Lord Granville a fait placer un monument au lieu où la tradition place cette rencontre.

[17] On montre dans l'église de Saint-Martin les fonts baptismaux qui, d'après une tradition respectable, auraient servi au baptême du roi Ethelbert.

[18] Augustin était allé dans l'intervalle se faire sacrer à Arles. A défaut de Rome, qui était trop éloignée, saint Grégoire indiqua la ville d'Arles, d'où la foi avait comme jailli dans toute la Gaule et qui serait comme une seconde Rome. Reg. Greg., VI, 53.

[19] Morales sur Job, 27, 28.

[20] DUCHESNE, Églises séparées, p. 5.

[21] M. G. H. Reg. Gregor., XI, 65. Sur le pallium, voir dom CABROL, L'Angleterre chrétienne, Paris, 1909, p. 317-319.

[22] Beati Augustini formam et personam patriciam, staturam proceram et arduam adco ut a scapulis populo superemineret. Vita sancti Augustino monachi, auctore Gocelino monacho, cap. XLV.

[23] Neque se ilium pro archiepiscopo habituros, BÈDE, P. L., t. XCV, col. 83.

[24] Cf. LINGARD, Les antiquités de l'Église anglo-saxonne, traduction française, Paris. A. THIERRY, Hist. de la conquête de l'Angleterre,  t. I, p. 82 et suivantes.

[25] KRAUS, Histoire de l'Église, Trad. Godet et Verschaffel, t, II, § 65, n° 4, p. 32-37.

[26] BÈDE, Histoire ecclésiastique, I, 22 ; II, 20.

[27] Bède raconte comment, peu d'années avant l(invasion des Angles, l'hérésie pélagienne ayant contaminé la foi des Bretons, ceux-ci eurent l'idée de demander aux évêques de Gaule, plus instruits, de venir à leur secours durant cette guerre spirituelle. Histoire ecclésiastique, I, 17. Saint Germain d'Auxerre et Saint Loup de Troyes avaient répondu à cet appel. C'est en se rendant dans la Grande-Bretagne qu'ils rencontrèrent à Nanterre sainte Geneviève.

[28] Ancient laws and institutes of England, in-f°, 1840, p. 314, 317, 318. MIGNE, P. L., t. XCIX, col. 968-972. D'après M. Paul Fournier, l'usage des pénitentiels, c'est-à dire des listes de pénitences tarifées pour chaque péché, serait né dans l'église celtique et aurait passé de là dans l'église anglo-saxonne. Rev. d'H. et de L. rel., IX. 102. Cf. Wasserschleben, Die Bussardnungen der abenbäudischen Kirche, Hall, 1851.

[29] BÈDE, II, 5.

[30] BÈDE, II, 20. Prenez vos chaussures et vos habits, dit à ses moines bretons l'abbé Beino, si célèbre dans la légende, en entendant résonner la voix d'un Anglais sous les murs du monastère ; la nation de cet homme a un langage abominable, éloignons nous. MONTALEMBERT, Les Moines d'Occident, t. III, p. 76.

[31] Moral., VI, 37.

[32] Monumenta Germaniæ historica. Regest. Greg., XI, 56. Cette longue lettre est connue sous le nom de Responsiones Gregorii. Mgr Duchesne en a nié l'authenticité (Origines du culte chrétien, p. 94). Cette authenticité est admise par HARTMANN (M. G. H. Reg Greg., t. II, p. 331) et par JAFFÉ (Regesta Pontificalis, I, p. 699). Mommsen et le P. Grisar croient à une authenticité relative. Ce serait soit une collection d'extraits de lettres, soit une rédaction faite après coup d'instructions données de vive voix par le Pape (Civilta cattolica, 1892, t. II, p. 46). Au point de vue où nous nous plaçons, cette discussion a peu d'importance. Nul ne nie que ces instructions ne révèlent la pratique suivie par saint Augustin.

[33] Reg., XI, 76.

[34] Reg., I, 56.

[35] Reg., I, 56.

[36] G. KURTH, Les origines de la civilisation moderne, II, 34.

[37] Reg., IX, 12.

[38] Reg., I, 45.

[39] Ce fut le mot d'Urbain II en introduisant dans un concile un des successeurs de saint Augustin : Includamus in orbe quasi alterius orbis papam.

[40] De cette église primitive il reste encore, près des murs de la gigantesque église actuelle, deux ou trois bases de colonnes dans un jardin.

[41] P. L., XCXV, 93.

[42] Reg., XI, 56.

[43] Histoire ecclésiastique, I, 26. P. L., t. XCV, col. 57.

[44] BÈDE, Histoire ecclésiastique, II, 13, P. L., t. XCV, col. 103, 104.

[45] Ep. XI, 64.

[46] KRAUS, Hist. de l'Eglise, t. II, p. 37 (8e édition).

[47] BÈDE, Histoire ecclésiastique, t. III, c. XXV, P. L., t. XCV, col. 162, 173.

[48] HOOK, Lives of the archbishops of Canterbury, p. 131.

[49] HOOK, Lives of the archbishops of Canterbury, p. 159.

[50] Règlements du Concile d'Hertford, en 673. BÈDE, IV, 5.

[51] THÉODORE, Pœnitent, c. VI. P. L., t. XCIX, col. 922-924..) Ancient laws and institutes of England.

[52] BÈDE, IV, 2.

[53] BÈDE, IV, 2.

[54] BÈDE, De temporum ratione, c. XV.

[55] C'est ainsi que l'appelle Burke, Essay on English history, p. 229.

[56] Histoire ecclésiastique, Præfatio.

[57] E. LAVISSE,  Revue des Deux-Mondes, 15 décembre 1886, p. 867.

[58] Auguste MOLINIER, Les sources de l'histoire de France, t. V, p. XXV, XXVI.

[59] MIGNE, P. L., t. XC, col 65. Bollandistes, mai, t. VI.

[60] Ancient laws and institutes of England, 1840, in folio, p. 1-10.

[61] Ancient laws and institutes of England, p. 14-15.

[62] Ancient laws and institutes of England, p. 16-19.

[63] Ancient laws and institutes of England, p. 20-44.

[64] MIGNET, Mémoire sur l'introduction de la Germanie dans la société civilisée.

[65] L. PINGAUD, La politique de saint Grégoire le Grand, p. 260.

[66] Un siècle avait suffi pour exciter dans le peuple fidèle ce dévouement à Rome, mais non, comme il a été dit plus haut, pour extirper tout paganisme de l'île.

[67] E. LAVISSE, Revue des Deux-Mondes du 15 décembre 1886, p. 867, 868.