HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

PREMIÈRE PARTIE. — L'EGLISE DANS SON CENTRE

CHAPITRE III. — DE LA MORT DE SAINT GRÉGOIRE À L'AVÈNEMENT DE SAINT ZACHARIE (604-741).

 

 

Pendant un siècle et demi, les souverains pontifes semblent n'avoir d'autre tâche que de continuer saint Grégoire le Grand. Les premiers Papes qui lui succèdent, Sabinien (604-606), Boniface III (607), Boniface IV (608-615), Deusdedit (615-618) et Boniface V (619-625), s'appliquent surtout, dans le calme relatif que leur laissent les événements extérieurs, à développer l'œuvre disciplinaire et liturgique du grand pontife. Ceux qui viendront après auront pour tâche de poursuivre son œuvre dogmatique et sa politique sociale. La querelle monothélite, qui s'ouvre avec le pape Honorius (627-638), se terminera par une affirmation éclatante de l'autorité spirituelle de la papauté ; et les luttes suscitées par les empereurs, de Léon II (682-683) à Zacharie (711-752), à propos du concile Quinisexte et de l'hérésie iconoclaste, seront l'occasion pour le Saint-Siège de manifester la suprématie de sa puissance temporelle.

 

I

SABINIEN, dont le pontificat dura près de deux ans, et BONIFACE III, qui ne siégea pas neuf mois, avaient été formés tous deux, comme Grégoire, dans la diplomatie pontificale[1]. Le  premier avait été nonce à Constantinople auprès de l'empereur Maurice, le second auprès de Phocas. Le Liber Pontificalis nous dit de Sabinien qu'il fit ouvrir les greniers de l'Église et vendre du blé au peuple, donnant trente boisseaux pour un sou d'or[2]. Mais le peuple, que hantait le souvenir des générosités du grand Pape défunt, fut sans doute peu satisfait de cette distribution de vivres à prix d'argent, car une légende populaire, recueillie par Paul Diacre, raconte que le pape Grégoire, étant apparu un jour à son successeur, lui reprocha de n'être point assez charitable, et que, n'ayant pu le fléchir, il le frappa à la tête et causa ainsi sa mort[3].

Boniface III[4] recueillit les fruits de la diplomatie pacifique de saint Grégoire auprès de Phocas et de son attitude énergique envers le patriarche de Constantinople : il obtint de l'empereur, dit le Liber Pontificalis, que le siège du bienheureux Pierre serait regardé désormais comme la tête de toutes les églises, à l'encontre de celui de Constantinople, qui prétendait au même titre[5]. Mais, soit que l'énergie ait manqué au pontife pour maintenir le résultat acquis, soit.que les circonstances aient trahi ses efforts, la satisfaction donnée aux droits du siège de Rome ne fut que momentanée[6]. BONIFACE IV, qui tint le siège pontifical pendant six ans, eut surtout à défendre et à développer l'œuvre liturgique de saint Grégoire. Il obtint de Phocas, dit sa notice, le temple qui porte le nom de Panthéon et en fit l'église de Sainte-Marie et de tous les martyrs[7]. C'est le premier exemple connu d'un un temple romain changé en église[8]. Mais il n'est pas exact que Boniface IV ait institué à cette occasion, comme on a cru longtemps d'après des textes mal interprétés de Bède, de Raban Maur et du martyrologe d'Adon, la fête du 1er novembre en l'honneur de tous les saints[9]. Sous Boniface IV s'éleva dans les Gaules une discussion liturgique sur la coutume irlandaise de célébrer la Pâque, coutume importée en Gaule par saint Colomban. Celui-ci, accusé d'être tombé dans le schisme quartodéciman[10], envoya aux évêques de Gaule, puis, en 606, au Pape lui-même, un mémoire justificatif. Il demandait le maintien d'un usage dont on avait déjà exposé les raisons au pape Grégoire. Cet argument dut être décisif. Nous n'avons pas la réponse de Boniface, mais elle fut évidemment favorable à saint Colomban, car le saint abbé conserva sa coutume liturgique sans cesser de rester en communion avec le siège de Rome[11].

Ainsi l'autorité de saint Grégoire, survivant à son existence terrestre, tour à tour invoquée par le peuple et par les plus grands saints, était capable de soutenir la faiblesse de ses successeurs, moins clairvoyants ou moins énergiques.

Elle n'y suffit pas toujours. Sous le même pontificat de Boniface IV, en 610, fut élu patriarche de Constantinople un jeune diacre de cette ville, Sergius, qui devait soulever de longues et pénibles luttes dans l'Église. Le jour de son sacre, on raconte qu'il alla se jeter aux pieds du grand thaumaturge de l'Orient, Théodore le Sykéote. Le saint l'embrassa et lui dit : Mon fils, Dieu vous a chargé si jeune de ce fardeau, afin que vous ayez plus de force pour souffrir les malheurs qui nous menacent[12]. Mais le jeune patriarche byzantin ne répondit pas aux desseins de Dieu sur lui. Ebloui par sa précoce élévation et comptant trop sur les moyens humains, que sa féconde intelligence lui suggérait, Sergius fut plus un homme d'Etat qu'un homme d'Église ; en poursuivant par la diplomatie et par l'intrigue la pacification de l'Empire, il devait affliger profondément le monde chrétien.

Sept mois après le sacre de Sergius, montait sur le trône de Byzance le jeune fils d'un exarque d'Afrique, Héraclius. C'était en octobre 610. Parvenu au souverain pouvoir, comme Phocas, par le meurtre de son prédécesseur, le nouveau basileus devait donner au monde, pendant trente ans, le spectacle d'une âme souvent capable d'héroïsme, mais toujours inquiète et fiévreuse, d'un tempérament actif, mais inégal, passant de l'indolence à l'agitation, de l'agitation à l'apathie. Un tel homme devait être un précieux et puissant instrument aux mains de l'énergique Sergius.

Quelques années plus tard et après les deux pontificats de DÉUSDEDIT (615-618) et de BONIFACE V (619-625)[13], qui furent marqués par d'importantes réformes liturgiques et disciplinaires[14], le gouvernement de l'Église de Rome et de la chrétienté passa aux mains d'HONORIUS, de Campanie, fils du consul Pétrone, qui devait tenir le siège apostolique pendant douze ans. Le Liber Pontificalis fait l'éloge de sa bienfaisance et de son zèle pour l'instruction du clergé[15]. Jonas de Bobbio[16], qui l'avait vu à Rome, vante la sagacité de son esprit et l'étendue de sa science, et ajoute que ce qui l'emportait chez lui, c'était l'humilité et la douceur. Ces qualités ne l'empêchèrent pas de tomber dans les pièges que lui tendit Sergius et de donner à l'Église le scandale d'une défaillance momentanée.

Sergius, Héraclius et Honorius furent les premiers personnages mêlés à cette grande querelle du monothélisme, qui dura un demi-siècle, et où l'on vit successivement le spectacle d'un Pape fléchissant non dans la foi, mais dans le gouvernement de l'Église, puis d'un Pape mourant pour sa foi, et finalement d'un Pape faisant triompher la foi et son autorité souveraine dans un concile général.

La défaillance d'Honorius, le martyre de saint Martin Ier et la tenue du VIe concile œcuménique par saint Agathon, sont les trois épisodes saillants de cette lutte.

La controverse théologique qui en fut le point de départ était bien autre chose qu'une pure subtilité byzantine. A la fin du Vie siècle, la question christologique, qui avait tant agité l'Eglise, était à peu près résolue et définie dans ses grandes lignes. Après le concile de Nicée (325), qui avait si nettement affirmé l'absolue divinité du Christ, et le Concile de Constantinople (381), qui avait si énergiquement défendu son humanité parfaite et intégrale, le Concile d'Ephèse (431) avait défini l'unité de sa personne et celui de Chalcédoine (451) la dualité de sa nature. Mais un problème secondaire se posait encore. Dans la réalité concrète du Christ, Dieu et homme en une seule personne et en deux natures, y avait-il une seule ou deux volontés, une seule ou deux activités ? Fallait-il conclure de l'unité de personne à l'unité de volonté, ou bien de la dualité des natures à la dualité des volontés ? La question aurait pu et dû se débattre exclusivement dans les écoles de théologie, où d'ailleurs elle aurait été facilement résolue dans le sens de la dualité des activités ; les intérêts de la politique la transformèrent en lutte extérieure et bruyante.

En montant sur le trône, Héraclius avait trouvé l'empire dans une situation lamentable. La Syrie, la Palestine et la Mésopotamie étaient ouvertes aux Perses par la prise de Dara. La prise d'Edesse en 609 mettait dans un suprême péril l'Orient chrétien. Le nouvel empereur, consterné, restait inactif. Rien ne semblait pouvoir le faire sortir de son apathie, ni la prise de Césarée en 611 et de Damas en 613, ni le pillage de Jérusalem en 614, ni l'incendie de la basilique de l'Anastasis et l'enlèvement de la vraie Croix, un moment sauvée par le dévouement d'un chrétien, puis ravie à ses mains et transportée avec le butin du roi des Perses[17]. Héraclius, désespéré, songeait à se retirer à Carthage avec ses trésors, dont il avait déjà fait charger ses navires.

L'intervention énergique du patriarche Sergius changea la face des choses. Se faisant l'interprète d'un mouvement populaire, qu'il avait d'ailleurs provoqué, il entraîne Héraclius dans une église et lui fait jurer de vivre et de mourir au milieu de son peuple.

A partir de ce moment, Héraclius est transformé. Il lève trois armées. Par les deux premières il fait face aux Avares et aux Bulgares, que Chosroès II a gagnés à sa cause ; à la tète de la troisième armée, il se dirige vers la Perse. Il entraîne à sa suite les Croates et les Serbes. La Perse est envahie, Chosroès vaincu en bataille rangée près de Ninive, puis déclaré déchu par les grands de son royaume, emprisonné dans son palais, et assassiné par son fils Siroë, qui est proclamé roi.

Le nouveau monarque se hâta de conclure la paix, en abandonnant toutes les conquêtes des Perses et en restituant à Héraclius le bois de la Vraie Croix.

Quand, en septembre 628, les armées victorieuses entrèrent à Constantinople, au chant des psaumes, portant les images miraculeuses auxquelles elles attribuaient la victoire, on acclama l'empereur Héraclius, sauveur de l'Empire et de la chrétienté, mais, en dehors des acclamations officielles, tout le monde prononça le nom du patriarche Sergius, le véritable auteur de ce triomphe.

Celui-ci, en politique avisé, ne se laissait pas éblouir. Que servirait d'avoir si brillamment vaincu, si l'on ne savait pas assurer les résultats de la victoire ? Au fond, les populations de l'empire étaient divisées. Les tronçons dispersés du monophysisme formaient comme autant de groupes religieux, prompts à se transformer en groupes politiques. Acéphales de Chypre, paulianistes d'Egypte, sévériens d'Alexandrie, qu'on appelait encore phtartolâtres, parce qu'ils adoraient dans le Christ une chair réelle, et julianistes de Syrie, appelés aussi aphtartodocètes, parce qu'ils ne croyaient pas à la réalité du corps du Christ ressuscité : qui sait si toutes ces factions ne se réuniraient pas un jour en une formidable coalition contre l'empire ? Déjà les monophysites d'Egypte affectaient de se servir exclusivement de la langue nationale copte et se faisaient appeler les chrétiens coptes, et les monophysites d'Arménie, ou Jacobites, pour bien marquer leur opposition politique, donnaient, comme les monophysites d'Egypte, aux catholiques le nom de melchites, c'est-à-dire de partisans de l'empereur. Le péril était particulièrement redoutable dans les provinces récemment conquises sur la Perse.

Depuis plusieurs années Sergius avait vu le péril, et, politique sans scrupule, avait songé à le conjurer par une tactique odieuse. La critique ne cloute plus guère aujourd'hui que l'astucieux patriarche n'ait fabriqué de toutes pièces, dès les premières années de son pontificat, une prétendue lettre de son prédécesseur le patriarche Ménas, laquelle devait servir de base à toute sa campagne[18]. Puis, quand il eut préparé les voies par des manœuvres souterraines, il poussa l'empereur à entrer en négociations avec les groupes religieux dissidents. Il crut trouver une base d'entente. On accorderait aux monophysites qu'il n'y a dans le Christ qu'une seule activité, μία ένέργεια.

Dès 626, c'est une campagne de diplomatie politico-religieuse qui commence, et dont Sergius est l'âme, comme il a été l'âme de la campagne militaire contre les Perses. Héraclius négocie avec Cyrus, évêque monophysite de Phasis, avec Athanase, patriarche des Jacobites d'Antioche. C'est Sergius qui dicte les conditions de cette dernière entente ; c'est lui qui dirige les pourparlers entre Cyrus et l'Église d'Arménie[19] ; et il se montre si large, qu'en présence de ses concessions, les plus farouches partisans de Sévère s'écrient : Ce n'est pas nous qui allons au concile de Chalcédoine, c'est le concile de Chalcédoine qui vient à nous[20].

L'apparition à Constantinople d'un moine palestinien, renommé pour sa science et sa vertu, troubla tout à coup les plans de Sergius. Le moine Sophronius, du couvent de Saint-Théodore de Jérusalem, avait déjà, au moment des négociations avec l'Église monophysite d'Arménie, en 633, protesté au nom de la foi orthodoxe. Le pacte conclu malgré ses efforts, il vint à Constantinople conjurer le patriarche de veiller au maintien de l'intégrité de la foi.

Ame de mystique et de poète, Sophronius était connu par ses άνακρεόντεια, poésies anacréontiques de forme et purement religieuses d'inspiration, par ses discours, par sa collaboration aux légendes hagiographiques de Jean Moschus, mais surtout par son éminente sainteté[21]. Il se révéla tout à coup théologien profond et polémiste puissant.

En présence de ce redoutable adversaire, Sergius eut comme un mouvement de recul. Il jugea prudent de changer, au moins provisoirement, de tactique. On ne parlerait plus désormais ni d'une ni de deux énergies. Il fallait seulement, contre une opposition qu'il pressentait redoutable, de la part d'hommes  tels que Sophronius, gagner à sa cause l'autorité suprême, celle du Pape. Sergius écrivit au Souverain Pontife une lettre très habile, pleine d'insinuations perfides et d'affirmations tranchantes : cette expression de deux énergies ou volontés scandalisait grandement les fidèles, disait-il, en leur suggérant l'idée d'une lutte intérieure dans le Christ ; la formule adoptée par les monothélites avait au contraire pacifié tout l'empire. D'ailleurs, rien n'était plus conforme à la tradition : pas un Père, ajoutait-il, n'avait enseigné la doctrine des deux volontés ; celle de la volonté unique était courante, la lettre de Ménas en était la preuve[22]. Honorius se laissa circonvenir. Cet homme humble et doux, ainsi que l'appelle son contemporain Jonas, pécha sans doute par un excès de condescendance ; mais vraisemblablement, comme le pense Héfélé[23], il faillit surtout par ignorance ; il ne vit pas la portée théologique de la question ; il ne se rendit pas compte des intrigues politiques de Sergius. Il répondit : Nous avons appris que le moine Sophronius a introduit de nouvelles disputes de mots... nous reconnaissons que le divin Maître Jésus-Christ est l'auteur d'opérations divines et d'opérations humaines... mais... à cause de l'ineffable union de la nature divine avec la nature humaine... nous confessons une seule volonté... D'ailleurs, s'il est à propos de concevoir une ou bien deux énergies, c'est une question oiseuse que nous laissons aux grammairiens qui vendent aux enfants, pour les attirer à leurs écoles, des formules de leur invention[24].

Cette lettre n'avait pas certes toute la précision qu'on pouvait désirer. On se demande si cette unité de volonté, dont parlait Honorius, n'était pas, dans sa pensée, une simple unité morale[25]. Quoi qu'il en soit, la réponse de Rome fut interprétée comme donnant gain de cause à Sergius et à son parti, que l'on commençait à appeler le parti monothélite (de μόνον θέλημα, unique volonté).

En même  temps que la réponse du Pape arrivait à Constantinople, on y recevait une longue lettre de Sophronius. Celui-ci venait, dans l'intervalle, d'être élu patriarche de Jérusalem ; ce document était sa première lettre synodale. Avec une logique, une force et une clarté admirables, s'appuyant sur la raison théologique et sur la tradition, le nouveau patriarche exposait la doctrine des deux volontés. Son principal argument était la nécessité de sauvegarder dans le Christ l'intégrité de son humanité ; Si cette humanité du Christ, disait-il, s'est élevée en un sens au-dessus des hommes, ce n'est pas en ce sens qu'elle a été tronquée ou amoindrie, mais en ce sens que Dieu s'est fait volontairement homme et que, étant homme, il a voulu tout et ; qu'il y a d'humain, non par nécessité ou à contrecœur, mais de plein gré[26]. Enlever à cette humanité du Christ la volonté, ou l'absorber dans la volonté de Dieu, c'était donc, au sens de Sophronius, commettre une erreur semblable à celle des deux Apollinaire, qui, eux, retranchaient de cette humanité la partie supérieure, l'esprit, le νόυς.

Le pape Honorius écrivit une seconde lettre. Celle-ci était moins accentuée dans le sens du monothélisme, autant du moins que nous pouvons en juger par les fragments que nous en possédons. Le Pape y distinguait les œuvres de la Divinité et celles de l'humanité. La nature divine, disait-il, opère dans le Christ ce qui est divin ; la nature humaine, ce qui est de la chair. Mais il maintenait la défense d'employer les mots d'une ou deux énergies, d'une ou deux volontés[27].

Le Pape fut obéi. Sophronius mourut peu de temps après, avec une auréole de sainteté que l'Église allait bientôt consacrer. La masse des fidèles, la foule de ceux que la passion n'aveuglait pas et que la pression gouvernementale ne dominait pas, allait d'instinct vers la doctrine qui sauvegardait le mieux l'intégrité des facultés humaines de l'Homme-Dieu. On se passait de main en main le recueil de 600 textes de Pères de l'Église, que le saint patriarche de Jérusalem avait rassemblés avant de mourir et qui témoignaient unanimement contre le monothélisme[28].

C'est alors que l'obstiné patriarche de Constantinople résolut de mettre en œuvre un moyen suprême d'action, qu'il tenait en réserve depuis longtemps. Il fit publier par l'empereur, qui lui donna force d'édit impérial, en 638, une thèse dogmatique dont il était lui-même l'auteur. Ce fut l'Ecthèse (έκθεσις, profession de foi).

On y interdisait de prêcher une ou deux énergies dans le Christ, mais on y admettait et on prescrivait de n'y admettre qu'une seule volonté. Un synode réuni aussitôt à Constantinople acclama l'Ecthèse : tous les patriarches orientaux la souscrivirent, et Sergius, frappé par la mort sur ces entrefaites, en 639, peu de temps après le pape Honorius, put se dire en expirant que le monothélisme avait vaincu.

Mais ce coup d'audace et d'autorité eut précisément un résultat contraire à celui qu'en attendaient ses auteurs. Rome ouvrit les yeux ; et, à partir de ce moment, ce fut de la part des Souverains Pontifes une résistance qui ne se démentit plus et qui alla jusqu'au martyre.

Les papes Séverin, Jean IV, Théodore Ier et Martin Ier furent les héros de cette lutte.

L'acte impérial avait prescrit que nulle élection de Pape ne serait confirmée sans une soumission préalable à l'Ecthèse par le nouvel élu. SÉVERIN[29] refusa de la contresigner, et l'un de ses premiers actes fut d'anathématiser le monothélisme. JEAN IV[30] à peine intronisé, renouvela l'anathème de son prédécesseur. Terrifié, Héraclius déclara, peu de temps avant de mourir (11 février 611), qu'il n'avait été pour rien dans la rédaction de l'Ecthèse, qui était l'œuvre exclusive de Sergius. THÉODORE Ier[31] se trouvant en présence des deux empereurs, Constantin III et Héracléonas, dont les dispositions paraissaient pacifiques, essaya de les amener à la foi catholique ; mais, quelques mois après, Constantin empoisonné et Héracléonas expulsé laissèrent le trône au redoutable empereur Constant II.

Le clergé et les fidèles, de mieux en mieux éclairés par les événements, se groupaient courageusement autour du siège de Rome. Ce n'était plus seulement de l'occident, c'était de l'orient, de plus en plus désabusé, que venaient les adhésions à la foi du siège de Pierre. De Chypre, de Palestine arrivèrent, en 643, des protestations indignées contre les menées de l'hérésie byzantine[32]. Le successeur de Sergius, le patriarche Pyrrhus, démissionnaire et désabusé, revint lui-même, un moment, à la foi catholique[33]. De Constantinople enfin vint à Rome celui qui allait reprendre le bon combat de saint Sophronius, avec une ardeur pareille et une science plus profonde, Maxime le Confesseur.

Issu, vers 580, d'une noble famille byzantine, ancien premier secrétaire de l'empereur Héraclius, Maxime, que la postérité devait décorer du nom de Maxime le Confesseur et que l'Eglise devait placer sur ses autels, avait renoncé aux honneurs terrestres vers 630 et fait profession monastique dans le couvent de Chrysopolis, de l'autre côté du Bosphore. On l'avait vu, en 633, à Alexandrie, à l'époque des négociations engagées par Sergius avec les monophysites, prendre la défense de la vraie foi à côté de saint Sophronius. C'est lui qui, dans un colloque mémorable, tenu en Afrique, et dont les actes précieux nous ont été conservés[34], avait ébranlé les convictions de Pyrrhus, ex-patriarche de Constantinople, et l'avait amené à confesser la doctrine des deux volontés.

Dans de telles conjonctures, Constant II, si attaché qu'il fût à l'hérésie monothélite, ne crut pas pouvoir maintenir l'Ecthèse. Il la remplaça, en 618, par un nouvel édit, qu'on appela le Type (τυπος, règle). Il était désormais défendu de disputer, non plus seulement sur les deux énergies, mais sur les deux volontés, et cela sous les peines les plus sévères. Mais Maxime ne se laissa pas prendre à ce nouveau piège. Sur le siège de Rome, venait de monter, en 619, un pontife à l'âme indomptable, MARTIN Ier[35]. Simple prêtre, il s'était signalé déjà par sa science et sa vertu. Apocrisiaire à Constantinople, il avait été à même de savoir à quoi s'en tenir sur la politique tortueuse des patriarches et des empereurs. Soutenu, aidé, inspiré par Maxime, il réunit, au mois d'octobre 649, le fameux concile de Latran où cinq cents évêques, sous sa présidence, anathématisèrent l'Ecthèse, le Type, le monothélisme tout entier, avec ses chefs, ses adhérents et ses complices, Sergius, Cyrus, Pyrrhus, Honorius[36].

L'irritation de l'empereur ne connut alors plus de bornes. Elle se porta à la fois sur l'évêque de Rome, Martin Ier, sur son intrépide conseiller, Maxime, et sur les principaux inspirateurs de la résistance. Dès avant le concile de Latran, l'exarque Olympios, chargé d'imposer le Type au Pape, ou de se saisir de sa personne, avait misérablement échoué. L'exarque Calliopas fut plus heureux. Il réussit à occuper l'église et le palais du Latran, s'empara du Pape malade, l'embarqua furtivement sur le Tibre, dans la nuit du 18 au 19 octobre 653, le traîna pendant près d'un an, de prison en prison, des rives de la Calabre à Naxos, de Naxos à Constantinople. Condamné, en septembre 654, sur la déposition de faux témoins salariés, comme usurpateur du Saint-Siège, traître à l'empereur, complice des Sarrasins et blasphémateur de la Sainte Vierge, le pape Martin fut déporté en Chersonèse, où, accablé de mauvais traitements, livré à toutes les horreurs du froid et de la faim, il quitta ce monde le 15 décembre 654. L'Eglise l'honore comme un martyr[37]. Maxime le Confesseur avait subi aussi le martyre pour sa foi. Arrêté avec deux de ses disciples, Anastase le moine et Anastase l'apocrisiaire, il fut successivement dirigé à Bizya, sur la mer Noire, puis sur la forteresse de Perbera, à l'extrémité de l'empire, puis à Constantinople. On lui arracha la langue, on lui coupa la main droite, on le promena dans la ville en le frappant de verges ; enfin on l'enferma dans une prison située au pied du Caucase, où il mourut le 13 août de la même année. Ses deux disciples subirent les mêmes tourments.

Le sang versé pour la vraie foi porta ses fruits. Les tombes des martyrs devinrent des lieux de pèlerinage. On se rendit en foule en Chersonèse, prier auprès des restes du pape saint Martin. Une émotion de sympathie pour les victimes parcourut le monde chrétien[38]. Constant II s'arrêta dans la voie de la persécution. Les caractères les plus déterminés et les plus emportés deviennent impuissants devant un mouvement profond de l'opinion publique. Celle-ci se prononçait pour la cause des martyrs, qui était celle du bon sens et de la logique du dogme. Le pape EUGÈNE[39], élu pendant l'exil de saint Martin Ier, put impunément se prononcer polir la doctrine des deux volontés[40]. Sous son successeur, VITALIEN[41], l'empereur se décida à venir à Rome pour y négocier la paix. Ses intentions n'étaient pas aussi désintéressées qu'elles le parurent. Terriblement menacé par les Arabes, devenu impopulaire à Constantinople, Constant cherchait à établir le centre de son gouvernement en Italie et redoutait une opposition de la part du Pape. Celui-ci ne crut pas devoir lui refuser les honneurs dus à la majesté impériale. Mais, peu de temps après, pendant qu'il était à Syracuse, Constant II reçut le châtiment de ses crimes et de sa mauvaise foi : il fut assassiné dans son bain par un de ses serviteurs (octobre 668). Son successeur Constantin IV (668-685) entretint de bons rapports avec les papes ADÉODAT (672-676) et DONUS (676-678). Constantin IV, surnommé Pogonat ou le Barbu, fut un des plus grands empereurs de Byzance. Attaqué de toutes parts, obligé de se battre contre une de ses propres armées, qui lui opposa un compétiteur, assiégé pendant plusieurs années par les Arabes dans Constantinople, harcelé par des bandes de Bulgares sur ses frontières, il fit face à tous ces dangers. L'exécution de son compétiteur Miziz, la défaite de la flotte arabe par le feu grégeois, que venait d'inventer, dit-on, le syrien Callinicos[42], la cession aux bandes bulgares de la région qu'on nommera désormais Bulgarie, donnèrent la paix extérieure à l'empire. L'empereur songea alors à rétablir, de concert avec le pape Donus, puis avec le pape Agathon, la paix religieuse[43]. AGATHON, sicilien de naissance, qui devait tenir le siège apostolique deux ans et six mois, était, au dire de ses contemporains, par sa douceur et par sa bonté souriante, un charmeur[44]. Les actes de son pontificat montrèrent qu'il était aussi un sage, et ses vertus devaient le mettre au rang des saints. Le Pape et l'empereur ne tardèrent pas à se mettre d'accord. Agathon convoqua plusieurs conciles provinciaux préparatoires, puis, au milieu de l'année 680, à l'issue d'un synode romain, dépêcha à l'empereur des légats, porteurs d'une lettre où le pontife, après avoir affirmé la doctrine des deux volontés dans le Christ, disait : Considérez donc, ô prince très clément, que le Seigneur et Sauveur de tous, de qui vient la foi, ayant promis que la foi de Pierre ne défaudrait pas, l'a averti de confirmer ses frères. Aussi bien, chacun le sait, les pontifes apostoliques, prédécesseurs de mon infirmité, n'ont-ils jamais manqué à ce devoir[45]. Cette dernière phrase, écrite quarante ans après la mort du pape Honorius, et à la veille du concile qui devait l'anathématiser, est remarquable elle affirme qu'aucun des pontifes romains, donc pas même Honorius, n'a failli à son devoir de Pape.

Le 7 septembre 680, dans la grande salle à coupole du Palais sacré, sous la présidence d'honneur de l'empereur Constantin IV et sous la présidence effective des légats du Pape, qui dirigèrent les débats, se réunit le concile, qui fut le Ille de Constantinople et le VIe œcuménique. Les actes en ont été conservés dans le texte grec original et dans deux versions latines anciennes. Les discussions portèrent uniquement sur la question du monothélisme. On ne tarda pas à s'apercevoir que le sophisme sur lequel cherchait à s'appuyer l'erreur monothélite, était la confusion, que l'on s'obstinait à faire, entre la subordination de la volonté humaine à la volonté divine et l'absorption de la volonté humaine dans la volonté divine. Comment, s'écriait l'acharné défenseur de l'unité de volonté, Macaire d'Antioche, comment pouvez-vous admettre la possibilité d'un conflit de deux volontés dans Jésus-Christ ! Ce serait diviser le Christ en deux ! Pour moi, j'aimerais mieux être coupé en morceaux et jeté à la mer que d'admettre cette doctrine[46]. Sophrone avait déjà donné des réponses définitives à ces questions. On les répéta, mais sans succès. Le concile déposa le patriarche obstiné. Puis, les débats terminés, dans leur 17e et avant-dernière session, les Pères du Concile portèrent un décret dogmatique : Nous proclamons, disaient-ils, deux vouloirs naturels, δύο μέν φυσικά Θελήματα[47], et non pas, il s'en faut, deux vouloirs naturels opposés l'un à l'autre, mais un vouloir humain subordonné au divin et puissant vouloir. Dans la 18e et dernière session furent votés les anathèmes suivants : Nous anathématisons Théodore de Pharan, Sergius, Paul, Pyrrhus et Pierre de Constantinople, Cyrus d'Alexandrie, et, avec eux, Honorius, jadis évêque de Rome, qui les a suivis[48]. Nous anathématisons les inventeurs de la nouvelle erreur... et aussi Honorius, qui, au lieu de pacifier cette Eglise apostolique, a permis que l'immaculée fut maculée par une trahison profane[49].

Ces anathèmes portés par un concile œcuménique contre un Pape, à titre d'hérétique, ont paru si invraisemblables à Pighi, à Baronius, et à quelques autres historiens, qu'ils ont mis en doute l'authenticité des passages concernant Honorius. Le nom d'Honorius, ΟΝΩΡΙΟΝ, aurait été lu au lieu de ΘΕΟΛΩΡΟΝ, Théodore, nom du patriarche de Constantinople convaincu de monophysisme. Cette explication doit être abandonnée. Le témoignage de divers manuscrits et la multiplicité des allusions au pape Honorius, qu'on trouve dans les plus anciens documents, ne permettent pas de mettre en doute l'authenticité du texte que nous avons rapporté[50]. On doit seulement remarquer, et cela suffit pour montrer que le dogme de l'infaillibilité pontificale est de ce chef à l'abri de toute attaque, que nulle part le Pape Honorius n'est condamné comme ayant enseigné l'hérésie ex cathedra. L'adhésion solennelle faite par les Pères du Concile à la lettre du Pape Agathon, où il est dit que nul de ses prédécesseurs n'a manqué à son devoir de confirmer ses frères dans la foi, corroborerait, s'il en était besoin, cette interprétation[51].

Ainsi finit la dernière des grandes hérésies christologiques[52]. L'Orient, où étaient nées la plupart d'entre elles, avait vu siéger tous les grands conciles qui les condamnèrent. Les patriarches de Byzance, en s'élevant contre l'orthodoxie catholique, n'avaient fait que grandir l'autorité spirituelle des évêques de Rome. Nous allons voir les empereurs, en s'attaquant à leur personne et à leur territoire, manifester aux yeux de tous et raffermir plus que jamais leur puissance temporelle.

 

II

En passant des mains de Constantin IV à celles de Justinien II, le pouvoir impérial avait fait une chute profonde. Justinien II fut un empereur détestable. Présomptueux et malhabile, il passa les dix années de son règne à rêver les plus gigantesques entreprises et à subir les plus retentissants revers. Les plus humiliantes de ses mésaventures lui vinrent de sa politique religieuse. Infatué du titre de Souverain Pontife, que ses canonistes officiels prétendaient justifier en alléguant qu'il avait légalement appartenu à ses prédécesseurs païens, Justinien II prit au sérieux, et même au tragique, ces noms de docteur de la foi orthodoxe, d'arbitre du ciel et de la terre, que lui prodiguait la flagornerie de ses courtisans. On le vit ressusciter, pour défendre la foi orthodoxe, les sanglants édits que les empereurs païens avaient jadis portés contre les chrétiens, soumettre à la question et punir de la peine du bûcher les manichéens conformément aux lois de l'empereur Dioclétien[53]. Le zèle intempestif du monarque oriental ne se contenta pas de défendre par le fer et le feu les dogmes existants, il prétendit les compléter. Pour parachever l'œuvre des Ve et VIe conciles œcuméniques, qu'il trouvait insuffisante, Justinien convoqua, de sa propre autorité, un nouveau concile général, que l'on appela, de sa prétention à continuer le Ve et le VIe concile, le Concile Quinisexte (quini-sextum) ou penthecte (πενθέκτη). On le nomme aussi Concilium trullense, ou concile in Trullo, du nom du palais impérial où il se tint. Les latins lui donnèrent, dès le début, le sobriquet de Synodus erratica, synode erratique, pour indiquer qu'il ne pouvait prétendre à prendre rang dans la série des conciles et synodes légitimes de l'Eglise. Des cent deux canons de ce pseudo-concile, plusieurs trahissaient la prétention, non-seulement d'accentuer certains usages propres à l'Eglise orientale, mais encore de les imposer à l'Eglise universelle. Telles étaient les prescriptions relatives au mariage des prêtres et des diacres (canon XIII et suivants), au jeûne du carême (canon LV), à l'abstinence du sang des animaux (canon LXVII). Le canon XXXVI semblait mettre sur le même rang le siège de Constantinople et celui de l'ancienne Rome. Mais ce qui révoltait surtout la conscience chrétienne, c'était la prétention de faire accepter la règle byzantine sous les peines les plus sévères. Excommunication pour les laïques romains qui se permettraient de jeûner les samedis de carême ; destitution pour leurs clercs qui se mettraient dans le même cas. Déposition encore pour les prêtres et diacres qui refuseraient de cohabiter avec leurs femmes et pour ceux qui le leur interdiraient. Dans ces deux cas, la menace de déposition s'étend évidemment au Pape comme aux autres et même plus qu'aux autres. S'il ne se hâte pas de sacrifier aux prescriptions byzantines les antiques usages de l'Eglise romaine, on le dépossèdera de son siège et de sa dignité sacerdotale[54]. On était en 692. Le Saint-Siège était occupé depuis cinq ans par le pape Sergius Ier. Après les pontificats très courts de LÉON II (682-683), de BENOÎT II (684-685), de JEAN V (685-686) et de CONON (686-687), qui avaient duré chacun un an à peine, entrecoupés d'interrègnes pleins de troubles, SERGIUS avait été élu au  milieu de scènes tumultueuses. Mais des deux compétiteurs que les factions populaires lui avaient opposés, l'un, l'archiprêtre Théodore, s'était soumis, l'autre, l'archidiacre Pascal, esprit remuant et irréductible, enfermé dans un monastère à la suite d'intrigues auxquelles se mêlaient, disait-on, de louches pratiques de sorcellerie, venait de mourir impénitent[55]. Sergius était de la race des grands Papes. La popularité qui l'avait soutenu dès le début contre les prétentions des deux antipapes, s'était accrue de la déconsidération dans laquelle ceux-ci étaient tombés. Il se sentait fort de cette estime générale. Les Romains, qui l'avaient vu, à la Schola cantorum, gravir tous les degrés de la hiérarchie ecclésiastique[56], puis, une fois prêtre du titre de Sainte-Suzanne, se consacrer avec zèle à la desservante régulière des cimetières romains[57], le connaissaient et l'appréciaient de longue date. D'ailleurs le pouvoir de la Papauté, même sous les courts pontificats, si peu propres aux grandes entreprises, de ses derniers prédécesseurs, n'avait pas cessé de s'accroître par la force des événements. La milice impériale de Rome, l'exercitus romanus, que les empereurs avaient pris l'habitude de ne plus payer[58], était devenue tout à fait indigène, presque sans attache avec Constantinople. La troupe impériale de Ravenne elle-même, en présence du discrédit croissant de l'exarque, suivait le mouvement de l'opinion publique, se détachait de l'empire et s'attachait à Rome. Dans toute la péninsule, en effet, et au delà, les peuples, dit M. Charles Diehl, cherchaient auprès de l'Eglise l'appui dont ils avaient besoin. Contre les vexations des gouverneurs ou contre les attaques des Lombards, ils ne connaissaient pas de plus sûrs défenseurs que leurs évêques, et, parmi eux, que le pontife romain. Aussi, de tout l'Orient byzantin, des villes d'Italie, des îles de la Méditerranée, de l'Afrique même, les populations sollicitaient la protection de l'évêque de Rome... Entre les représentants de l'empereur et le Pape, leur choix était fait d'avance... Au VIIe siècle, Rome ne reconnaît vraiment d'autre souverain que le Pape[59].

En présence de l'audacieuse entreprise de Justinien, Sergius eut conscience de sa force, comme de son droit. Il refusa nettement d'apposer sa signature aux actes du pseudo-concile, que l'empereur lui fit présenter. L'irritation de l'autocrate impérial fut à son comble. Ordre fut donné aussitôt au protospathaire Zacharie, alors exarque, de se saisir de la personne de Sergius et de le conduire au Bosphore. Allait-on voir se renouveler les scènes du martyre de saint Martin, ou bien le Pape, intimidé, allait-il fléchir ? Ni l'une ni l'autre de ces hypothèses, escomptées sans doute par Justinien, ne se réalisa. A peine le peuple a-t-il appris qu'une troupe s'avance pour s'emparer de l'évêque de Rome, qu'un soulèvement en masse se produit. La milice impériale de Ravenne, renforcée des garnisons de la Pentapole et des régions circonvoisines, accourt se joindre au mouvement populaire et arrive à Rome pour défendre le Pape[60]. La petite troupe de Zacharie, prise de panique, se disperse. Le protospathaire n'a d'autre ressource que de se précipiter vers les appartements pontificaux. On le trouve, tremblant de peur, blotti sous le lit même du Pape, suppliant avec sanglots le Pontife de lui conserver la vie[61]. La magnanimité du Pontife le sauva de la fureur de la multitude et lui permit de s'enfuir à Constantinople, où il put raconter à son très puissant empereur qu'il avait rencontré en Italie une protection plus efficace que la sienne, celle du pontife romain.

Comme si les pires humiliations devaient s'abattre coup sur coup sur l'orgueil impérial, peu de temps après, Justinien fut renversé de son trône par le patrice Léonce, qui l'exila en Chersonèse après lui avoir fait couper le nez. Rentré en possession du pouvoir, Justinien abandonna spontanément ceux des canons du concile Quinisexte qui avaient déplu à Rome, et engagea, à ce sujet, pour conserver quelque chose de son œuvre législative, des négociations avec les papes Jean VII et Constantin Ier. Mais ce fut le tour des Pontifes de lui montrer la supériorité de leur puissance. Les empereurs durent attendre la fin du vine siècle pour voir l'approbation romaine donner force de loi à ceux des canons du concile Quinisexte qui n'étaient pas en opposition avec la foi orthodoxe, les bonnes mœurs et les décrets de Rome[62].

Cependant les successeurs de Sergius continuaient à exercer et à développer leur mission protectrice sur Rome et sur l'Italie. JEAN IV (701-705) arrêtait une invasion lombarde[63] ; JEAN VII (705-707) recevait en donation d'Aripert, roi des Lombards, le patrimoine des Alpes Cottiennes[64] ; SISINIUS (708) s'occupait de réparer les murailles de Rome[65] ; CONSTANTIN Ier (708-715) se chargeait de la police urbaine[66] ; GRÉGOIRE II (715-731) reprenait les travaux commencés par Sisinnius pour la défense de la ville[67]. C'est sous ce dernier Pape que de nouveaux empiètements de l'autorité impériale et de nouvelles violences permirent à la Papauté de manifester plus hautement que jamais son autorité temporelle sur l'Italie.

 

III

C'est en l'année 726, dit un chroniqueur byzantin de cette époque, Théophane le Confesseur[68], que l'empereur Léon, l'impie, commença à faire un discours sur le renversement des saintes et vénérables images. Léon III l'Isaurien, arrivé au pouvoir en 716, au milieu d'une période de véritable anarchie, venait de se révéler comme un homme d'Etat de premier ordre. Il peut être regardé comme le réorganisateur de l'empire byzantin. En proscrivant le culte des images, subit-il l'influence du contact avec l'islamisme et le judaïsme ? ne fit-il qu'obéir à une tendance schismatique personnelle, puisée, dès son enfance, au milieu de cette terrible secte des pauliciens, qui, issue du manichéisme et apparentée avec le marcionisme, avait terrorisé, au début du VIe siècle, la Syrie, l'Arménie et la Mésopotamie, incendiant les églises et détruisant les icones sacrées ? Avait-il simplement l'ambition d'étendre aux choses du sanctuaire la réforme qu'il était fier d'avoir réalisée dans l'ordre militaire, administratif et social ? A coup sûr il ne prévit pas les conséquences de cette querelle iconoclaste, qui devait être l'occasion de la rupture définitive de Constantinople avec Rome et de l'alliance du Saint-Siège avec les Francs.

Grégoire II, qui, par son gouvernement ferme autant que paternel, s'était acquis la reconnaissance sympathique des populations de l'Italie, avait entretenu jusque-là des relations d'amitié avec l'empereur de Constantinople, comme avec le roi des Lombards. Mais, à la réception de l'édit par lequel Léon III lui ordonnait de faire disparaitre les images, sous peine de déchéance de son titre de pontife de Rome[69], il protesta, et signifia par lettre à l'empereur son refus d'obéir à un ordre contraire à sa conscience[70]. Cette protestation solennelle fut commue le signal d'un soulèvement général de l'Italie. Les peuples de la Pentapole et les troupes de la Vénétie repoussent le décret de l'empereur et déclarent qu'ils combattront pour la défense du Pape. Les fonctionnaires byzantins sont chassés, de nouveaux chefs sont élus. On crie : anathème contre l'exarque, contre celui qui l'a envoyé, contre ceux qui lui obéissent[71] ! Le duc de Naples, Exhilaratus, essaie en vain de ramener à l'obéissance la Campanie. On apprend qu'il a parlé d'assassiner le Pape : aussitôt sa demeure est assaillie par la foule et il est mis à mort avec son fils[72]. Les Lombards s'unissent au mouvement. Ils se joignent aux Romains, suivant les expressions du Liber Pontificalis, comme à des frères par la chaîne de la foi, ne demandant qu'à subir une mort glorieuse en combattant pour le Pontife[73]. Il était même question d'élire un nouvel empereur et de le conduire à Constantinople. C'est alors qu'on vit, une 'seconde fois, l'intervention pacificatrice du Pape sauver l'empereur et peut-être l'empire. Tout en remerciant le peuple de son attachement, Grégoire II l'exhorta à l'obéissance et, par ses prières et ses exhortations, ramena peu à peu la paix.

La querelle se raviva un moment sous GRÉGOIRE III (731-741), qui avait, dès les premiers jours de son pontificat, protesté contre l'hérésie iconoclaste[74]. Mais le pape ZACHARIE (741-752), qui prit possession du Saint-Siège au lendemain de la mort de Léon l'Isaurien et à la veille de l'avènement de Constantin V le Copronyme, reçut du nouvel empereur des assurances des gages de paix.

Constantin V, qui devait si violemment ranimer la guerre contre les images dans l'intérieur de l'empire, renonçait à violenter les consciences dans des régions où il se sentait désormais impuissant. En effet, suivant la remarque du cardinal Hergenrœther, l'autorité du Saint-Siège était maintenant à son comble en Occident, tandis que le pouvoir impérial y diminuait à vue d'œil, et que, s'il en restait encore quelque chose, c'était au Pape qu'on le devait[75].

Le péril d'un schisme était-il cependant aboli ? Non, il n'était que déplacé. Sous les derniers souverains de la maison d'Héraclius, les conceptions politiques et religieuses avaient subi une évolution. On abandonnait les ambitions cosmopolites d'un Justinien II. On renonçait à propager à Rome les rites de Byzance. On se cantonnait dans le inonde grec. Mais on voulut, de plus en plus, lier le gouvernement à une église nationale. Dès lors les Papes se trouvèrent moins en présence d'un empire romain d'orient que d'un empire grec, et moins d'un empire grec que d'une église grecque. Aux titres de basileus et d'autocrator, le monarque semblera préférer désormais celui d'isapostolos (semblable aux apôtres)[76]. Ce fut alors, dit M. Alfred Rambaud[77], non la race, mais la foi qui fit un Romain de Byzance : de quelque peuple qu'on fut issu, il suffisait d'entrer dans le giron de l'Eglise pour entrer dans celui de l'État ; le baptême orthodoxe conférait le droit de cité. L'esprit schismatique, par une voie différente, mais non moins sûre, continuait donc à se propager, et menaçait toujours, pour une échéance plus ou moins lointaine, d'une rupture avec l'Eglise de Rome.

Mais, d'un autre côté, une alliance nouvelle semblait possible à l'Église du côté des barbares. Au fort de la guerre iconoclaste et des perturbations causées par les Lombards, Grégoire III avait adressé un appel au duc des Francs, Charles Martel. Lu prince, qui disposait en Gaule d'une puissance considérable, et dont saint Boniface avait apprécié la haute protection en Germanie, n'avait pu promettre alors au Pontife un concours efficace. Mais, à partir de ce moment, l'idée d'un appel aux Francs ne fut plus oubliée. Parmi les cadeaux que Grégoire III avait envoyés, en 739, à Charles Martel se trouvaient les clefs du tombeau des saints apôtres. N'était-ce pas exprimer l'espoir que, par lui-même ou par quelqu'un de sa race, le chef des Francs en serait un jour constitué le défenseur[78] ?

 

 

 



[1] Sabinien, né en Toscane, avait été nonce à Constantinople auprès de l'empereur Maurice. Boniface, natif de Rome, avait représente le Saint Siège auprès de l'empereur Phocas.

[2] Liber Pontificalis, I, p. 315.

[3] Paul DIACRE, S. Gregorii magni vita, c. XXIX, P. L., t. LXXV, col. 58

[4] Boniface III était romain.

[5] Liber Pontificalis, I, p. 316.

[6] Boniface IV était né au pays des Maures (diocèse actuel de Pescina), d'un médecin nommé Jean. Liber Pontificalis, I, 317.

[7] Liber Pontificalis, I, 317.

[8] Liber Pontificalis, I, 317, note 3.

[9] Voir, sur cette question, Dom Henri QUENTIN, Les martyrologes historiques du Moyen Age, 1 vol. in-8°, Paris, 1908, p. 634, 639, 640. En somme, conclut Dom Quentin, les origines de la Toussaint restent obscures... la fête existait déjà au début du IXe siècle. Le document de 773 vise-t-il une coutume existant en Italie ou simplement une dévotion privée ? Il ne semble pas que ce petit problème puisse actuellement être résolu.

[10] Les irlandais célébraient la Pâque d'après le comput de Sulpice Sévère, tandis que les Gaulois suivaient le comput de Denys le Petit ; la coutume irlandaise pouvait faire tomber les Pâques le 14e jour après la nouvelle lune. De là l'accusation portée contre elle de participer à l'erreur des quartodécimans.

[11] MABILLON, Analecta Bened., t. I, p. 253, 261. HÉFÉLÉ dans le Dict. de Théol. cath. de WETZER et WELTE, au mot Colomban.

[12] La vie de saint Théodore de Sykéon, ou le Sykéote, a été écrite peu de temps après sa mort par Georges Eleusios.

[13] Deusdedit était Romain, dit le Liber Pontificalis (I, 319) et fils du sous-diacre Etienne. Boniface V était napolitain (Liber Pontif., I, 321).

[14] Deusdedit, réagissant contre une tendance des premiers successeurs de saint Grégoire à multiplier les privilèges des moines au détriment du clergé, ramena les prêtres, dit le Liber Pontificalis (I, 319), à leurs anciennes situations. Boniface promulgua des règlements importants sur les formalités des testaments reçus par les notaires ecclésiastiques, sur le droit d'asile et sur les attributions des acolythes. Lib. Pont., I, 321, note 1.

[15] Liber Pontificalis, t. I, p. 323.

[16] Sur Jonas de Bobbio, voir Hist. litt. de la France, t. III, p. 603 et suivantes. Son témoignage se trouve dans MIGNE, P. L., t. LXXXVII, col. 1065.

[17] J. LABOURT, Le christianisme dans l'empire Perse, p. 232-233.

[18] HÉFÉLÉ, Hist. des Conciles, tr. Delarc, t. III, p. 11. HERGENRŒTHER, Hist. de l'Eglise, t II, p. 314. PARGOIRE, L'Eglise byzantine, p. 158.

[19] PARGOIRE, L'Eglise byzantine, p. 158.

[20] MANSI, tome XI, col. 561-568.

[21] Voir les œuvres de saint Sophronius dans MIGNE, P. G., t. LXXXVII.

[22] Cette lettre se trouve en entier dans MANSI, t. XI, col 530 et suivantes. Héfélé en a donné des extraits dans son Hist. des Conciles, t. III, p. 23 et suivantes.

[23] Histoire des Conciles, III, p. 27.

[24] MANSI, tom. XI, col. 537-542.

[25] Cette interprétation s3mble bien résulter du passage où Honorius donne comme raison de l'unité de volonté, que le Verbe a pris une nature humaine non souillée par le péché, dont la volonté par conséquent adhérait à la volonté divine au point de ne faire qu'un avec elle (MANSI, IX, 630). Rien de pins vrai, mais il s'agit alors d'unité morale. Cependant, certains autres passages semblent indiquer qu'il entendait parier d'une unité physique, comme disent les théologiens, c'est-à-dire réelle. Honorius en effet argumente ainsi : Là où est une seule personne, là est un seul agissant, là une sente volonté ; car l'unité de personne et l'unité de volonté, dit il, sont essentiellement corrélatives. Honorius oublie que dans la Trinité il y a trois personnes et non pourtant trois volontés. La théologie supposait déjà ce principe, quo la volonté se rattache spécifiquement à la nature et que la personne n'en est que le centre d'attribution. Au fond, Honorius l'avoue, il voulait éviter de soulever des querelles ; il avait peur de paraître eutychien en affirmant une volonté, nestorien en en affirmant deux. Mais ni l'équivoque ni le silence ne résolvent une difficulté réelle une fois posée.

[26] MIGNE, P. G., t. LXXXVII, col. 3147 et suivantes.

[27] On doit admettre en somme, avec Héfélé, que le pape Honorius, dans un document qui d'ailleurs n'avait pas la portée d'une définition dogmatique, n'a imprimé aucune doctrine hétérodoxe et que ce serait une injustice de l'accuser d'hérésie. Mais une préoccupation trop constante de conserver la paix, jointe à un défaut de clarté, lui ont fait rejeter la véritable expression orthodoxe et l'ont amené par là même à favoriser l'hérésie (HÉFÉLÉ, Hist. des Conciles, t. III, p. 42). Dès lors il s'exposait à être qualifié plus tard d'hérétique ; le mot hérétique n'était point alors réservé à ceux qui avaient enseigné l'hérésie, mais était appliqué à tous ceux qui, directement ou indirectement, d'une manière plus ou moins occasionnelle, avaient pu contribuer à la nais-sauce ou à la propagation d'une hérésie ou d'un schisme.

[28] MANSI, t. X, col. 895-896. Ce recueil de saint Sophronius est actuellement Perdu. Mais on peut voir une autre collection de passages des pères en faveur du dyothélisme dans les œuvres de saint Maxime. MIGNE, P. G., t. XCI, col. 267 et s.

[29] Le Liber Pontificalis ne nous dit rien de ses origines, sinon qu'il était Romain (I, 328).

[30] Il était Dalmate et son père Venance était Scholasticus, c'est-à dire avocat (Liber Pontificalis, I, 330). DU CANGE, Glossarium, v° Scholasticus.

[31] Théodore était Grec d'origine. Son père, natif de Jérusalem, avait été évêque, Liber Pontificalis, I, 331.

[32] Voir, dans MANSI, t. X, col. 900 et 913-916, les lettres de Sergius de Chypre et d'Étienne de Dora.

[33] Liber Pontificalis, t. I, p. 332.

[34] Ces actes, très détaillés, se trouvent dans MANSI, X, col. 709-760 et dans MIGNE, t. XCI, col. 287-354. Héfélé en a donné un résumé très complet dans Hist. des Conciles, trad. Delarc, t. III, p 62-79.

[35] Il était né à Tudertum, ou Toni, en Toscane, et avait été légat à Constantinople. Liber Pontificalis, I, 336.

[36] MANSI, IX, 1157, 1158. DENZINGERT-BANNWART, Enchiridion, n° 272.

[37] Liber Pontificalis, t. I, p. 338, MANSI, X, 851-854 ; XII, 971. MIGNE, P. G., t. CX, p. 197. Dom LECLERCQ, Les Martyrs, tome IV, p. 244-245

[38] A la fin du VIIIe siècle, en 787, une lettre de Grégoire II à Léon l'Isaurien, constate que les pèlerinages au tombeau de saint Martin sont toujours fréquents et obtiennent des guérisons miraculeuses. MANSI, XII, 972.

[39] Il était né sur le mont Aventin, à Rome, et avait été clerc depuis son enfance, clericus a cunabulis. Liber Pontificalis, I, 341.

[40] Liber Pontificalis, I, 341.

[41] Il était originaire de la Campanie, Liber Pontificalis, I, 343.

[42] D'après Hesseling, La civilisation byzantine, p. 151, Callinicos ne fit que perfectionner un moyen de défense connu depuis des siècles.

[43] La lettre écrite au pape Donus arriva au pape Agathon élu dans l'intervalle.

[44] Liber Pontificalis, I, 350.

[45] HARDOUIN, Acta conciliorum, III, 1079-1083.

[46] MANSI, XI, 350-358.

[47] Θέλημα signifie plutôt le vouloir, ou l'acte de la volonté, que la volonté ou la puissance de vouloir.

[48] MANSI, XI, 665.

[49] MANSI, XI, 733.

[50] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t. IV, p. 176-191.

[51] Vous êtes assis sur la pierre ferme de la fol, disent les Pères en transmettant au pape Agathon les actes du concile, nous vous laissons le soin de voir ce qui leste h faire Nous avons la profession de foi que votre Béatitude a envoyée à notre très pieux empereur ; c'est en nous inspirant de cette lettre, écrite par celui qui est au sommet de la hiérarchie apostolique, que nous avons chassé l'erreur hérétique et sectaire (MANSI, XI, 633). Un fait trop peu remarqué. et qui nous parait avoir une très grande importance pour l'éclaircissement de la question d'Honorius, c'est que, dans tout le cours de la dispute monothélite, la foi de l'Eglise d'Orient, comme de celle d'Occident, en l'indéfectibilité de la chaire de Pierre s'affirme aussi fort que jamais. Le fléchissement d'Honorius ne l'a nullement troublée ; on ne la sent pas atteinte par la déplorable faiblesse du pontife. En 643, cinq ans après la mort d'Honorius, l'évêque de Chypre, Sergius, écrit au pape Théodore : Vous êtes Pierre... destructeur des hérésies profanes... docteur de la foi orthodoxe et immaculée (MANSI, X, 913). Trois ans plus tard, les évêques d'Afrique, alors province byzantine, écrivent au même Pape : Votre siège apostolique a reçu, par décret divin, la charge d'examiner et de scruter les saints dogmes de l'Eglise (MANSI, X, 921, 922). En 618, Sophrone de Jérusalem conduit au calvaire Etienne de Dora et lui dit : Jurez-moi d'aller tout de suite jusqu'au siège apostolique où sont les fondements de la doctrine orthodoxe (P. G., t. LXXXIII, col. 3141 et Bolland, II, 65 et s.). On multiplierait facilement les citations. Contentons-nous d'ajouter que les Pères du Concile qui condamna Honorius disaient à l'empereur dans une adresse : Le chef suprême des apôtres nous assistait. C'était Pierre qui parlait par Agathon  (MANSI, XI, 615). A l'issue du Concile, c'est devant le pape Léon II, que le patriarche Macaire et ses amis condamnés veulent plaider leur cause (Liber Pontificalis, I, 354-359).

Sur la question d'Honorius, voir surtout HÉFÉLÉ, Hist. des Conciles, t. IV, et HERGENRŒTHER, Hist. de l'Eglise, t. II, trad. Belet. Le traducteur français d'Héfélé, l'abbé Delarc, a ajouté en appendice du t. IV de l'Hist. des Conciles, toutes les pièces originales qui ont trait à cette question. Ces pièces sont empruntées à la collection générale des Conciles de Mansi. Voir aussi WEIL et LOT, La cause d'Honorius, documents originaux avec traduction, Paris, 1870, in-4°. Pour la littérature complète de cette question qui a donné lieu à un très grand nombre de publications à l'époque du Concile du Vatican, voir Ulysse CHEVALIER, Répertoire des sources historiques du Moyen Age, Bibliographie, v° Honorius.

[52] Quelques monothélites insoumis se réfugièrent dans les montagnes du Liban. Ces monothélites sont-ils les ancêtres des Maronites ? Les témoignages de saint Germain de Constantinople et du patriarche nestorien Timothée au VIIIe siècle (P. G., XCVIII, 82. J. LABOURT, De Timotheo I patriarcha, Paris, 1904, p. 18), de Théodore Aboukara au IXe siècle et d'Eutychius d'Alexandrie au Xe siècle (P. G., CXI, 1078, 1091, 1095, 1096, etc.) l'affirment. Mais la vaillante nation maronite, si jalouse de la pureté de sa foi catholique. si fière d'avoir défendu la chrétienté contre les Sarrasins avec un courage indomptable, se défend d'avoir une pareille ascendance. Et de fait des savants Comme Fauste NAIRON, Dissertatio de origine Moronitorum, Simon ASSEMANI (Bibliotheca Orientalis, t. II), WOUTERS (Hist. ecclés., t. II, p. 405) ont contesté les conclusions que l'on tire des anciens auteurs. La thèse qui fait descendre la nation maronite d'hérétiques monothélites a été soutenue récemment par le P. PARGOIRE, L'Eglise byzantine, p. 169, et par le P. WAILHÉ (Échos d'Orient, 1906. p. 257 et s., 344 et s.), qui invoque saint Jean Damascène, P. G., XCIV, 143. Elle a été combattue par Mgr Debs, archevêque maronite de Beyrouth (Échos d'Orient, t. V, p. 285).

[53] PETRUS SICULUS, Historia Manicheorum, c. 27, MIGNE, P. G., t. CIV, col. 1281-1282.

[54] DUCHESNE, Eglises séparées, p. 211.

[55] Liber Pontificalis, I, 371-372.

[56] Liber Pontificalis, I, 371.

[57] Liber Pontificalis, I, 371.

[58] DUCHESNE, Liber Pontificalis, I, 320, note 1.

[59] Ch. DIEHL, Étude sur l'administration byzantins dans l'exarchat de Ravenne, de 568 à 751, Paris, 1888, p. 334, 335.

[60] Liber Pontificalis, I, 373.

[61] Liber Pontificalis, I, 373.

[62] Expressions du Pape Jean VIII, lorsque, à la fin du IXe siècle, il confirma l'approbation restreinte donnée au Concile en 786, par Hadrien Ier. MANSI, XII, 982, 1079.

[63] Liber Pontificalis, I, 383 et 384, note 2.

[64] Liber Pontificalis, I, 385 et 387, note 8.

[65] Liber Pontificalis, I, 388.

[66] Liber Pontificalis, I, 389, 392.

[67] Liber Pontificalis, I, 396.

[68] Théoph. Chronogr., MIGNE, P. G., t. CVIII, Col. 816.

[69] Liber Pontificalis, I, 464.

[70] Mgr Duchesne pense que les deux lettres de Grégoire II à l'empereur Léon, qui figurent dans les collections de conciles, ne sont pas authentiques. Elles contiennent de tels anachronismes et de telles confusions, qu'un Pape ou même un Romain quelconque de l'époque n'a pu les écrire.  Elles ont dû être fabriquées à Constantinople par quelque défenseur des images, pour suppléer aux véritables. Liber Pontificalis, I, 413, note 45.

[71] Liber Pontificalis, I, 404.

[72] Liber Pontificalis, I, 405.

[73] Liber Pontificalis, I, 406.

[74] Liber Pontificalis, I, 415.

[75] HERGENRŒTHER, Histoire de l'Église, t. II, p. 712.

[76] Constantin avait déjà pris ce titre. EUSÈBE, Vie de Constantin, IV, 60.

[77] A. RAMBAUD, Histoire Générale, I, 262.

[78] En soi, le cadeau de ces claves confessionis cum vinculis sancti Petri, dont parle la Chronique de Frédégaire (Cap. 110) n'était pas, comme on pourrait le croire, un symbole d'hommage et de soumission. Il s'agissait de ces clefs-reliquaires, contenant une parcelle des chaînes de saint Pierre, dont le trésor de Sainte-Croix à Liège nous offre un spécimen (REUSSEN, Archéologie, I, 103). Mais le fait d'envoyer ce présent par une ambassade est significatif, et dans l'objet lui-même Charles-Martel a pu voir un symbole.