HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

PREMIÈRE PARTIE. — L'EGLISE DANS SON CENTRE

CHAPITRE PREMIER. — DE LA CHUTE DE L'EMPIRE D'OCCIDENT À L'AVÈNEMENT DE SAINT GRÉGOIRE LE GRAND (476-590).

 

 

Le 23 août 476, un officier des gardes, l'Hérule Odoacre, détrôna le dernier empereur romain, Romulus Augustule, fit conduire le monarque dégradé dans la villa de Lucullus, et se proclama, avec l'assentiment du Sénat, roi d'Italie. Cette révolution de palais ne parut pas émouvoir beaucoup les populations de Rome et de la péninsule[1]. Le peuple ne regretta pas le bel empereur[2], qui portait les noms glorieux du fondateur de Rome et du fondateur de l'Empire. Il accepta le barbare, qui lui promit la paix et la tolérance, et qui tint à peu près ses promesses. Cinquante ans plus tard seulement, Marcellin fit mention pour la première fois de l'événement du 23 août 476 dans sa Chronique[3], comme s'il eût fallu un demi-siècle aux historiens pour s'apercevoir qu'un grand changement s'était alors produit dans l'organisation politique de l'Occident.

Une pareille révolution avait en réalité une immense portée historique. Désormais Rome ne devait plus voir un empereur résider dans ses murs ; les insignes impériaux ne devaient plus y reparaître qu'avec Charlemagne. D'autre part, la situation de l'évêque de Rome, qui n'avait cessé de grandir depuis Constantin, devenait prépondérante. Le fantôme même d'un Augustule ou d'un Olybrius portait avec lui le souvenir et le titre de la majesté impériale, et limitait légalement, aux yeux des vieux Romains formalistes, le pouvoir pontifical. Le nouveau maître de Rome et de l'Italie, qui, gauche et comme honteux de son succès, n'osait revêtir la toge triomphale brodée d'or des imperatores[4] et renvoyait à Zénon, empereur d'Orient, les insignes de la dignité souveraine, ne pouvait avoir un tel prestige.

La Papauté avait d'ailleurs besoin, en ce moment, de s'affermir plus que jamais dans la Ville éternelle. A l'heure même où l'Empire tombait, de tous les côtés de l'Europe, de la Germanie, de l'Espagne, des Gaules, de la Grande-Bretagne, de tant de pays que les missionnaires avaient déjà visités, mais dont les chrétientés venaient d'être décimées par les invasions et par l'hérésie arienne, des appels déchirants se faisaient entendre, demandant de nouveaux apôtres.

Mais pour se livrer sans péril à cette œuvre d'expansion nouvelle, l'Église devait d'abord s'épurer de plus en plus dans son centre et se relier de plus en plus étroitement à son chef suprême, le pontife romain. Cette double tâche fut l'objet des préoccupations constantes des Papes. A partir de ce moment, ils la poursuivirent sans défaillance et simultanément avec l'œuvre de l'évangélisation des peuples païens[5].

Avant de commencer le récit de ces longs efforts, il est nécessaire de jeter un coup d'œil sur la ville de Rome et sur la situation faite à ses pontifes, à ses prêtres et à son culte pat Lue contact avec le monde barbare.

 

I

Deux auteurs de cette époque nous fournissent des renseignements d'une précision et d'un relief incomparables sur la situation du monde chrétien à la fin du Ve siècle. Ce sont l'évêque gallo-romain Sidoine Apollinaire et un humble moine du Norique inférieur, l'auteur de la précieuse Vie de saint Séverin, Eugippe.

Caius Sollius Apollinaris Sidonius, né à Lyon vers 430, mort à Clermont en 482, fils d'un préfet impérial, préfet de Rome lui-même, comte, patrice, gendre de l'empereur Avitus, honoré de son vivant d'une statue sur le Forum de Trajan, est un des personnages les plus considérables de cette période. Après une vie mouvementée dans le monde, il entra dans les ordres sacrés, se dévoua, comme évêque, en 470, à l'évangélisation d'un pays demi-barbare, à Clermont en Auvergne, et y montra tant de vertus que l'Eglise ne tarda pas à le placer sur ses autels. Nul témoignage n'est plus autorisé que le sien dans la description de la ville de Rome ; les découvertes les plus récentes en ont démontré la parfaite exactitude[6].

Rien n'est changé dans l'aspect extérieur de la ville et de ses principaux monuments. Les barbares n'ont presque rien détruit. Ils se sont contentés de piller[7].

Cette ville, écrit Sidoine à un seigneur gaulois qu'il invite à venir à Rome, cette ville est le domicile des lois, le champ des arts libéraux, le palais des honneurs... Elle est toujours la cime du monde. Il n'y a d'étranger dans cette ville unique que celui qui veut rester barbare ou que l'esclavage retient loin de ses biens[8]. Le sénat promulgue toujours ses lois suivant les anciens rites, scrupuleusement observés[9]. Les gigantesques thermes impériaux continuent à fournir aux Romains leurs lieux de réunion les plus recherchés[10]. Les rues sont toujours animées par les costumes de l'antiquité. Aux jeux du cirque, le peuple se passionne toujours pour les quatre couleurs des concurrents : le blanc, le bleu, le vert, le rouge[11].

Mais hélas ! tout cela n'est qu'une façade brillante et trompeuse. Misère, immoralité, superstition, telles sont les plaies profondes de la Rome du Ve siècle livrée aux barbares.

Depuis la fin des Antonins, dit un historien bien informé sur cette époque, des révolutions militaires presque incessantes, un égoïsme effréné, des rapines impunies, le mépris du travail libre et la plaie hideuse de l'esclavage dévoraient les ressources de la vie économique[12]. Le gouvernement demandant ses principales ressources à l'impôt foncier, l'agriculture fut délaissée. On laissa en friche des provinces entières. La Campanie, qui n'avait pas été ravagée, ni même traversée par les barbares, comptait 120.000 hectares où ne se trouvaient ni une chaumière, ni un homme. Les mines, qui avaient été enlevées à l'administration privée ou municipale, et attribuées au fisc et même au domaine privé des empereurs, s'épuisèrent[13]. Le métal manquant au numéraire, la valeur du capital augmenta. Dès lors, l'usure devint la grande industrie et la grande calamité. En trois années, l'intérêt doublait la dette. Les riches devenaient toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Plus que jamais le cirque était le champ classique où retentissait le cri du peuple demandant du pain. En passant devant l'antique monument, Sidoine avait peur d'entendre, disait-il, le cri terrible de la misère du peuple romain[14].

Et ce n'était point là encore le plus grand mal. A la plaie de la misère se joignait celle de l'immoralité.

Ce monde qui n'avait qu'une haine, celle de la pauvreté[15], semblait n'avoir qu'un amour, celui du plaisir. Si le gallo-romain Sidoine Apollinaire, en passant auprès du cirque, redoutait d'entendre le cri de l'indigence, il craignait d'ouïr celui de la luxure en s'approchant des thermes impériaux. Il nous fait savoir que Consentius, son ami, veillait à ne fréquenter que les bains de Rome où la pudeur était respectée. Si nous revivons par la pensée cette époque, dit Niebuhr, un sentiment pénible viendra se mêler à notre admiration : les vertus faisaient bon ménage avec les vices les plus redoutables : mépris absolu et inconscient du droit d'autrui, avarice et parfois rapacité, séparation tranchée des classes, qui donnait naissance à une cruauté inhumaine, non seulement envers les esclaves et les étrangers, mais envers les citoyens même[16]. Claudius Rutilius, le préfet païen de Rome en 417, adressait à la Ville éternelle, en la quittant pour retourner en Gaule, une invocation sympathique où il unissait à la déesse Rome la déesse Vénus[17].

Les superstitions, qui ne prospèrent jamais mieux qu'aux époques de décadence, florissaient à Rome, à la fin du Ve siècle, sous des formes multiples : superstitions païennes survivant à la foi aux dieux de l'Olympe, superstitions importées de l'Orient, superstitions populaires nées spontanément de la crédulité, de l'intérêt ou de la peur. A la fin de l'Empire, dit M. Gaston Boissier, le paganisme est mort ou va mourir[18]. La critique d'Evhémère, adoptée par les stoïciens, popularisée à Rome par les ouvrages d'Ennius, et souvent utilisée par las apologistes chrétiens, avait beaucoup contribué à détruire la foi à la religion païenne ; et les défenseurs du paganisme eux-mêmes y contribuèrent parfois en essayant de défendre leurs dieux du reproche d'immoralité par des interprétations allégoriques. Mais un tel état de scepticisme, dit un grand connaisseur de la Rome antique, Joachim Marquardt, ne pouvait durer ; car, s'il est au fond de l'âme humaine un sentiment ineffaçable, c'est à coup sûr celui de ses rapports avec la Divinité. Les besoins religieux n'étaient pas satisfaits ; il fallut leur chercher de nouveaux aliments. Les tendances en ce sens se manifestèrent chez les savants comme chez les simples [19]. La politique romaine donnait l'hospitalité à toutes les religions ; elle favorisa une sorte d'éclectisme mythologique et religieux, qui fit affluer en Italie, sous l'Empire, les cultes et les fétichismes de tout l'univers. Telle province, dit Pétrone, est si peuplée de divinités qu'il est plus facile d'y rencontrer un dieu qu'un homme[20].

La première de ces idoles était l'Empereur. Le culte de Rome et d'Auguste avait, dans la plupart des villes, ses temples et ses prêtres municipaux et, de plus, ses associations religieuses. Il tendait à devenir la religion universelle du monde civilisé, religion tout extérieure, si l'on veut, mais partout présente, attirant à elle les hommages des municipes, pénétrant enfin, par la propagande active des sociétés d'augustales, jusque dans les couches profondes de la société[21].

Sans doute, dans les derniers temps de [Empire, le culte. des empereurs avait perdu de son prestige ; mais le culte de Rouie persistait. Ecoute-moi, ô Rome, mère des hommes et mère des dieux ! s'écriait Claudius Rutilius au Ve siècle[22]. A la fin du même siècle, un décret de Théodoric appelait encore Rome la ville très sainte, sanctissima urbs[23]. Cette superstition de la Ville éternelle était si puissante que les chrétiens avaient peine à s'en défendre. Le chrétien, ne fût-ce que par patriotisme, fidélité aux vieilles traditions, dont il ne se détachait qu'avec infiniment de douleur, conservait une sorte de respect religieux pour l'antique Rome. Et ce n'était pas seulement le fait des romains de race, comme Sidoine, c'était celui des chrétiens d'origine barbare. Fulgence, évêque de Ruspe, en Afrique, avait été un haut fonctionnaire du royaume vandale. Il vint à Rome en l'année 500. Sous son pauvre vêtement de moine, il se mêla aux foules, pour assister à des solennités publiques qui se donnaient sur le Forum.

Alors, dit son biographe, saisi d'admiration à la vue de ces temples, de ces arcs de triomphe et de ces monuments d'honneur, ses pensées s'élevèrent plus haut et il s'écria : Que la Jérusalem céleste doit être belle, puisque la Rome terrestre a tant de splendeur ![24]

Parmi les cultes orientaux, c'est celui de Mithra ou du Soleil, qui semblait triompher. Il avait une sorte de baptême, une manière de communion, des purifications sanglantes. Julien l'Apostat lui avait donné une organisation ecclésiastique[25]. Autour de ce culte, et de bien d'autres, tels que celui de l'Adonis de Byblos, de la Virgo cælestis de Carthage, et de la Mater Magna de Pessinonte, les superstitions populaires pullulaient. Chaque source avait sa fée, chaque localité son dieu tutélaire. Tel rite, telle formule avait une valeur sacrée aux yeux du peuple.

En somme, la parole de Bossuet reste vraie ; malgré la conservation de ses monuments, Rome avait décidément perdu son empire. La vénération des dieux romains avait laissé des impressions profondes dans l'esprit du vulgaire, mais la majesté du nom romain fut anéantie ; l'empire fut mis en pièces, et chaque peuple barbare enleva quelque partie de ses débris ; Rome même, dont le nom seul imprimait autrefois de la terreur, quand on la vit une fois vaincue, devint le jouet et la proie de tous les barbares[26].

 

II

De même que les œuvres de S. Sidoine Apollinaire nous renseignent sur la situation de l'Eglise en face du monde romain, la vie de saint Séverin, écrite peu de temps après sa mort par un de ses disciples, nous fournit les documents les plus précieux sur les rapports de l'Eglise avec les peuples envahisseurs.

On sait peu de chose sur la personne même de l'apôtre du Norique. Son humilité, dit-on, parvint à cacher aux plus intimes de ses disciples le secret de son origine. Mais tout, dit Tillemont, nous fait supposer que Séverin était de race latine et de naissance illustre[27]. Le désir de la perfection le fit passer de son pays dans les solitudes de l'Orient. Il en revint pour se fixer, par suite d'une révélation divine, dit son biographe, dans la vallée du Danube[28]. Il y resta jusqu'à sa mort, arrivée en 482. La Providence le plaçait ainsi sur le passage des grandes hordes barbares. C'est le récit de ses rapports avec ces peuples nouveaux, qui est pour l'histoire du plus haut intérêt. Nous avons peu de saints dans l'antiquité, dit Tillemont[29], dont l'histoire soit plus assurée que celle de saint Séverin. La vie de saint Séverin de Norique, dit M. Auguste Molinier, est un ouvrage précieux pour nous ; il renferme mille renseignements sui la situation respective des Barbares et des Romains dans la partie orientale de l'Empire. On peut l'utiliser pour l'histoire de l'Italie et de la Gaule à condition de raisonner par analogie[30]. Le récit de la vie de Séverin le montre en relations avec les Ruges, les Goths, les Suèves, les Hérules, les Alamans, les Turcilinges. Ses vertus, sa science, ses lumières surnaturelles, ses miracles, lui obtiennent le respect des plus farouches. Sur une parole du saint, des chefs barbares se détournent de leur route, mettent fin à un pillage, épargnent un monastère. On le voit intervenir dans les conflits qu'ont les barbares entre eux. Dieu lui révèle parfois leur avenir. Un jour, raconte son biographe, il vit entrer dans sa cabane, sous un vêtement des plus grossiers, un jeune homme de très haute stature. Comme le jeune barbare, de peur de heurter le toit de la pauvre hutte, se tenait incliné devant le saint, Dieu révéla à celui-ci les destinées glorieuses de l'étranger. Après s'être entretenu un moment avec lui : Va, lui dit-il, dirige-toi vers l'Italie ; toi qui portes aujourd'hui ces humbles vêtements de peaux de bêtes, tu feras un jour des largesses aux plus grands[31]. Ce barbare était Odoacre. Le vainqueur de Romulus Augustule garda toujours de cette entrevue avec le saint du Norique un respect religieux pour les choses saintes. Il voua à Séverin une particulière estime. Lorsque, après la mort de l'apôtre, il transporta en Italie les populations du Norique, Odoacre voulut respecter un désir suprême de son saint ami, qui lui avait demandé que ses restes ne fussent jamais séparés de son peuple. Le corps vénéré de saint Séverin fut déposé dans une villa d'Italie, Mons Feletus, qu'on n'a pu identifier exactement, puis, de là, quelques années plus tard, dans cette villa même de Lucullus, où, relégué par Odoacre, venait de mourir le dernier empereur romain, Romulus Augustule[32].

Mais les barbares ne se montraient pas toujours aussi reconnaissants. On ne dit pas du reste que saint Séverin en ait converti un seul[33]. Telle coutume idolâtrique qui semblait à jamais extirpée, renaissait même parmi les chrétiens[34] ; tel prince barbare, qui avait promis de respecter les choses saintes, était surpris pillant les biens des pauvres et des captifs[35]. Un Ruge croit avoir perdu sa journée, a écrit un auteur ancien qui les connaissait bien, s'il n'a commis quelque mauvais coup. — Véritables enfants, capricieux, cruels, pleins d'orgueil, dominateurs et fantasques, ces barbares s'irritaient pour un rien et poussaient la fureur jusqu'aux dernières extrémités. Impressionnables à l'excès, ils tremblaient aussi soudainement qu'ils avaient menacé. On les voyait passer sans transition de l'injure aux prières, astucieux et dissimulés, sachant cacher sous des dehors doucereux les plus noirs desseins. Non qu'ils fussent toujours de mauvaise foi quand ils prenaient un engagement, mais incapables de résister à une tentation ; immanquablement la convoitise était la plus forte[36]. Le biographe de saint Séverin nous raconte l'histoire d'un certain roi des Ruges, Fava, et de sa femme Gisa, à qui le saint arrachait les plus belles promesses et qui ne les tenaient presque jamais[37]. C'est la mission qu'aura souvent à remplir la Papauté à l'égard des Barbares. Il faudra des siècles avant que les peuples nouveaux donnent au monde un saint Louis, roi de France, une sainte Elisabeth, reine de Hongrie, une sainte Adélaïde, impératrice d'Allemagne.

 

III

Les grands obstacles que rencontrait l'Eglise dans la civilisation décadente du peuple romain se doublaient donc des difficultés qu'elle aurait à attendre de la barbarie brutale des races nouvelles. Ils se compliquaient aussi des conflits interminables, que l'Orient, fécond en subterfuges suscitait tantôt pour prolonger les subtiles ramifications des hérésies christologiques, tantôt pour dresser, en face de la Rome ancienne, découronnée de son empereur, les prétentions de la nouvelle Rome et de son fastueux Basileus[38].

En vain le concile de Chalcédoine avait-il, en 451, proclamé la nécessité de confesser un seul Seigneur en deux natures, condamnant ainsi les deux erreurs de Nestorius et d'Eutychès ; l'esprit de schisme et de révolte ne s'était pas tenu pour vaincu. En 481, l'astucieux Acace, patriarche de Constantinople, sous prétexte de cimenter la paix, avait rédigé, de concert avec Pierre Monge, patriarche d'Alexandrie, un nouveau symbole, dans lequel, tout en réprouvant Eutychès et Nestorius, on prétendait abroger le concile de Chalcédoine. En 482, l'intervention hautaine de l'empereur Zénon vint appuyer la révolte des deux patriarches. A la définition du ive concile œcuménique, l'autocrate byzantin opposait son fameux Hénoticon (décret d'union), donnant force de loi à la confession d'Acace. L'édit impérial, loin d'apaiser les dissensions religieuses, ne fit que les accroître. Tandis que le Pape protestait contre l'abrogation du concile de Chalcédoine en excommuniant le patriarche de Constantinople, les partisans les plus ardents d'Eutychès aimaient mieux se séparer de leur chef Pierre Monge que de renier leur doctrine monophysite et prenaient le nom d'acéphales (sans tête), en attendant de se subdiviser en sectes multiples et insaisissables. Ce fut l'origine du schisme acacien. Même après la disparition de l'intrigant prélat, mort en 489, son nom devait servir de signe de ralliement à tous les ennemis de la foi catholique en Orient, jusqu'au célèbre Formulaire du pape Hormisdas qui, en 519, prononça contre Acace et ses partisans un solennel anathème.

Les Papes crue la Providence amena à gouverner l'Eglise à cette époque se rendirent compte de la gravité de la situation. Parer aux plus pressants dangers, préserver le peuple chrétien des derniers des périls qui lui venaient de la corruption romaine, des incursions barbares et des empiètements byzantins, telle fut la première tâche, en quelque sorte défensive, des pontifes qui se succédèrent depuis la chute de l'empire romain jusqu'à l'avènement de saint Gélase. L'on vit ensuite quatre grands pontifes réaliser une œuvre plus positive : ce furent saint Gélase, saint Symmaque, saint Hormisdas et Pélage Ier. Par l'abolition des Lupercales et par ses institutions liturgiques, saint Gélase porta le dernier coup aux coutumes païennes et renouvela la vie chrétienne ; dans le fameux concile de la Palme, saint Symmaque vit sa suprématie disciplinaire universellement reconnue ; par la formule célèbre connue depuis sous le nom de Formule d'Hormisdas, le Pape de ce nom affirma devant l'Orient comme devant l'Occident son autorité dogmatique suprême ; et Pélage Ier, par l'organisation qu'il donna au patrimoine pontifical, traça les règles que ses successeurs devaient suivre dans l'administration du domaine temporel du Saint-Siège. En même temps que ces grands événements s'accomplissaient, Dieu préparait, autour du Saint-Siège, comme une armée d'auxiliaires pacifiques et courageux, par la fondation des moines de nouveaux d'Occident. Mais avant de raconter ces cinq glorieux épisodes de l'histoire de la Papauté, il nous faut faire le récit des patients efforts qui les rendirent possibles.

 

IV

SIMPLICIUS[39], qui occupa le siège apostolique de 468 à 483, et qui vit la chute de l'empire, paraît avoir uni à un grand sens pratique beaucoup de fermeté. Il se préoccupa avant tout d'organiser le service ecclésiastique, que les tumultes[40] barbares avaient si souvent troublé.

Au Ve siècle, le service religieux était célébré à Rome dans vingt-cinq églises, dites presbytérales. C'était ce qu'on appelait des titres tituli, auxquels des prêtres étaient spécialement attachés. Ce nombre de 25 tituli devait rester fixe jusqu'à l'an mille.

Mais, autour de ces églises titulaires, s'élevaient, soit à l'intérieur de Rome, soit dans la campagne romaine, un nombre considérable de bâtiments cultuels, de chapelles funéraires, de monuments élevés en l'honneur des martyrs. C'est là que les chrétiens aimaient à aller demander la force de pratiquer, au milieu des scandales de la Rome païenne, les préceptes évangéliques.

C'était à Rome aussi qu'on venait, de tous les points du monde chrétien, vénérer les grands souvenirs que renfermaient les basiliques de Saint-Pierre, de Saint-Paul et de Saint-Laurent[41]. On y accourait d'Afrique, avec saint Fulgence, d'Italie avec saint Paulin de Nole[42], des Gaules avec saint Hilaire[43], d'Irlande avec saint Magniscius, disciple de saint Patrice[44]. C'est là qu'on venait puiser, comme à sa source, l'esprit chrétien[45]. Or, les fréquentes incursions des barbares avaient amené des perturbations dans l'exercice du culte. Les catacombes, si vénérées du peuple chrétien, qui leur avait donné le nom de cimetières des martyrs[46], avaient été gravement endommagées par l'ennemi ; l'insécurité des environs de Rome avait interrompu çà et là le culte liturgique traditionnel sur ces hypogées vénérables. D'ailleurs le clergé romain, qui ne comptait alors que des prêtres de paraisse, appelés prêtres titulaires ou cardinaux[47], ne pouvait suffire au service de ces catacombes et des cimetières en plein air qu'on avait construits tout auprès. Ces sanctuaires cimétériaux devenaient d'ailleurs un centre de culte pour les populations rurales du voisinage. En particulier le service des trois basiliques funéraires extra muros, Saint-Pierre, Saint-Paul et Saint-Laurent, avait pris une grande extension. Simplicius organisa, pour ces trois basiliques, un service de semaine fourni par les prêtres de paroisse des titres voisins. Ils durent y venir à tour de rôle pour la préparation des fidèles aux sacrements de la pénitence et du baptême[48]. La psalmodie de l'office du chœur resta confiée à des moines qui résidaient dans le voisinage de ces basiliques.

Simplicius se préoccupa avec non moins de zèle de la conservation et de l'administration des liens ecclésiastiques. Il régla que désormais quatre parts seraient faites des revenus des églises et des oblations des fidèles : la première part seulement reviendrait à l'évêque, les trois autres seraient employées à l'entretien des clercs d'ordre inférieur, aux œuvres de charité envers les pauvres et à l'entretien des églises, ecclesiasticis fabricis. Telle paraît être l'origine des biens de fabrique. Le mot fabrica signifiant construction, réparation, en vint à signifier le revenu destiné aux travaux de réparation et d'entretien, puis l'administration même de ce revenu[49]. Il serait difficile, dit Thomassin, de dire au vrai quand on commença de partager entre quatre parties égales tout le revenu de l'Eglise... On fit bien le même emploi des biens de l'Eglise durant la trois ou quatre premiers siècles ; mais il ne paraît pas que les canons eussent ordonné ce juste partage en portions égales. Le pape Simplice est peut-être le premier qui en ait parlé, quoi qu'il en parle comme d'un ancien usage[50].

Ces règles étaient-elles inobservées ? Le zélé pontife n'hésitait pas à sévir avec la dernière énergie, à faire rendre gorge aux délinquants, ceux-ci fussent-ils placés aux plus hauts degrés de la hiérarchie ecclésiastique. L'évêque d'Auffinium, Gaudentius, s'était permis d'aliéner des vases sacrés et de s'en approprier le prix. Simplicius fit rentrer dans le trésor les objets qui en avaient été indûment détournés, et comme, d'autre part, Gaudentius n'avait pas craint de faire des ordinations illicites, il lui enleva la puissance d'ordonner[51]. Même sanction fut appliquée à Jean, archevêque de Ravenne, qui s'était rendu coupable d'une faute semblable[52].

Le successeur de Simplicius, FÉLIX III[53], issu d'une antique famille patricienne, la gens Anicia, défendit partout la cause l'Eglise avec l'âme d'un apôtre et l'attitude d'un vrai romain de vieille race. Il appelait l'empereur Zénon son fils, et lui prodiguait les témoignages d'une paternelle affection, mais le jour où il constata l'obstination de l'empereur dans l'hérésie d'Acace, il lui écrivit : La suprême puissance vous a été confiée sur les choses terrestres, mais avec le devoir de laisser les choses ecclésiastiques à ceux que Dieu a établis pour les gouverner. Laissez l'Eglise se mouvoir librement suivant ses propres lois, votre gouvernement ne peut qu'y gagner, et songez au compte que nous aurons à rendre là-haut de nos actions d'ici-bas[54].

Ce grand Pape, que son caractère et ses vertus auraient rendu capable de faire les plus grandes choses, fut réduit presque à l'impuissance par le malheur des temps. Son arrière petit-fils, saint Grégoire le Grand, devait achever son œuvre[55].

Le pontificat de Félix III fut en effet troublé par l'invasion des Ostrogoths en Italie et par la persécution vandale en Afrique.

C'est à l'automne de 488 que le roi des Goths de l'Est, Théodoric, ayant rassemblé sur les bords du Danube tous les hommes de sa race, se dirigea vers l'Italie, à la tête d'une armée de deux cent mille combattants. Il amenait avec lui, dit un écrivain du temps, tout un monde de barbares, ayant des chariots pour maisons, pillant et emportant tout ce qu'ils pouvaient saisir au passage[56]. De l'automne de 489 à l'assassinat d'Odoacre par Théodoric en 493, ce ne furent que scènes de guerre et de dévastation. Rome cependant échappa au pillage. A Ravenne, l'évêque s'étant présenté au roi des Ostrogoths avec un cortège de prêtres et de clercs, portant des croix, des encensoirs et les saints évangiles, Théodoric promit d'épargner non seulement les Ravennates, mais tous les Romains[57].

En ce même temps, les chrétiens d'Afrique subissaient une terrible persécution de la part du roi vandale Hunérich. On en compte peu de plus sanglantes dans l'histoire. Félix III fut impuissant à l'arrêter. Il obtint de Zénon une démarche auprès du monarque persécuteur ; niais cette démarche fut inefficace. La mort du tyran seule mit fin à la persécution.

 

V

Ce que Félix III avait rêvé d'accomplir, GÉLASE Ier (492-496)[58] put commencer à le réaliser. Quand le nouveau pontife prit possession du Saint-Siège, les chrétiens d'Afrique avaient retrouvé la paix sous le roi vandale Transimond (484-496), et Théodoric n'allait pas tarder à la donner à l'Italie. Délivré de tout compétiteur par la mort d'Odoacre, en 493, le roi des Ostrogoths voulut mériter le nom de grand par son gouvernement comme il l'avait mérité par ses victoires. Ce grand politique, ce génie si puissant et si étrange, dont Amédée Thierry a pu dire, non sans quelque hyperbole, il est vrai, qu'Attila eut plus d'entrailles que Théodoric le barbare, mais que peu de Romains de son temps dépassèrent en conceptions généreuses Théodoric le civilisé, le roi des Ostrogoths, pendant la première moitié de son règne, tant que l'orgueil ne l'égara pas, tint à honneur de se faire le défenseur de l'Église et du bon ordre public. Gélase en profita. Esprit clair, caractère énergique, nul peut-être, de tous les Papes qui précédèrent saint Grégoire, ne vit l'avenir d'un regard plus net, ne le prépara avec une sollicitude plus éveillée. Il comprit mieux encore que Simplicius et Félix, que l'œuvre réservée à la Papauté par la Providence ne pouvait s'accomplir sans un travail préalable de pacification sociale.

Son étonnante activité, sa merveilleuse puissance de travail, lui permirent, tout en poursuivant la controverse acacienne avec une rare énergie, d'étendre sa protection vigilante sur tous les opprimés, si nombreux à cette période de perturbations continuelles. II multiplia les démarches auprès des évêques et de tous les puissants du monde, partout où le droit, la liberté, la pauvreté étaient outragés de quelque manière. Le Liber Pontificalis nous dit qu'il sauva la ville de Rome du danger de la famine[59]. Nous n'avons aucun détail sur ce point. Il est permis de supposer qu'il subvint aux besoins des indigents par une intelligente distribution de secours, grâce aux revenus des biens patrimoniaux du Saint-Siège et à des aumônes recueillies par ses soins[60]. De lui est cette maxime où l'on peut voir le principe de toute l'action sociale de l'Eglise : Rien ne convient mieux à la fonction sacerdotale que la protection des pauvres et des faibles[61].

Un des faits saillants de son pontificat est le coup qu'il porta au vieux paganisme romain par l'abolition de la fête des Lupercales.

La famine dont nous venons de parler avait été l'occasion, pour un certain nombre de chrétiens, d'invoquer, par un reste de superstition païenne, Castor et Pollux. Cet attachement aux vieux rites du paganisme paraît avoir été le fait de plusieurs membres de la noblesse romaine. Par patriotisme, par fidélité à de vieilles traditions, ils continuaient à pratiquer des rites que leur conscience de chrétien aurait dû leur faire réprouver. Gélase eut besoin de toute son énergie pour combattre ce grave danger, qui n'aurait abouti à rien moins qu'à altérer la pureté de la doctrine et de la morale chrétiennes.

Cette étrange aberration du patriotisme et de l'esprit traditionnel se manifesta particulièrement à l'occasion des Lupercales.

D'après une ancienne coutume, établie en l'honneur du dieu Pan, destructeur des loups, ou peut-être en mémoire de la louve légendaire qui aurait allaité Romulus, le 15 des calendes de mars (15 février), des bandes de jeunes gens à moitié nus, à la façon antique, parcouraient la ville pour en chasser le mal, comme on chasse les loups. Ces luperci, comme on les appelait, frappaient les femmes avec des lanières sanctifiées, au milieu de toutes sortes de licences[62]. Une ordonnance pontificale avait prescrit la suppression de ces fêtes. Or, sous le pontificat de Gélase, une épidémie, qui fondit sur la ville, fut attribuée à la suppression des Lupercales. Un groupe de chrétiens, ayant à sa tête le sénateur Andromaque, voulut rétablir l'antique et licencieuse cérémonie. Le mémoire de ces chrétiens avait dû are hautain jusqu'à l'insolence, si nous en jugeons par la vive réponse de Gélase. Ces partisans du paganisme et de la tradition allaient jusqu'à formuler contre le Pape des accusations de faiblesse, de lâcheté et même d'hérésie. Une longue lettre de Gélase au sénateur Andromaque et à ses partisans nous révèle la profondeur du mal, en même temps qu'il nous renseigne sur les difficultés que rencontrait l'action de l'Eglise dans les classes supérieures de la société à cette époque.

Le Souverain Pontife commence par s'élever avec énergie contre cette classe de gens qui accusent avant de savoir, qui veulent enseigner ce qu'ils n'ont pas appris, qui, sans aucune enquête sur les causes et les raisons d'une manière d'agir, s'empressent de la critiquer, ne cherchant qu'à dire des injures à propos de choses qu'ils ignorent[63]. Eh quoi, s'écrie le Pape, c'est vous qui nous accusez d'être mous et lâches dans la censure des vices de l'Eglise ![64] Mais vous, qu'êtes-vous donc ? En réalité vous n'êtes ni chrétiens, ni païens, mais plutôt des gens sans foi et sans mœurs[65].

L'écrit se termine par une défense absolue et très énergique faite à tout chrétien de participer aux Lupercales.

La dernière page du document est du plus grand intérêt historique, en ce qu'elle nous révèle que cette interdiction d'une fête païenne ne tut qu'un épisode d'une lutte sans trêve, que les Souverains Pontifes durent soutenir pour purifier peu à peu les mœurs chrétiennes des superstitions antiques. Vous me dites, s'écrie Gélase, que cela s'est toujours fait depuis des siècles et que dans ces conditions on ne peut le supprimer[66]. — Hélas ! répond-il en substance, je ne le sais que trop. On a souffert bien autre chose parmi les chrétiens ! on y a souffert même des sacrifices ! Chacun de mes prédécesseurs, peu à peu, suivant sa sagesse ou suivant son courage, a éliminé les maux les plus dangereux. Ont-ils bien fait ? ont-ils mal fait ? Die est leur juge. Moi, qui ne suis responsable que de ma propre conduite, je réprouve et condamne vos Lupercales païennes[67]. Une ancienne tradition attribue au Pape Gélase la fondation de la fête de la Purification de Marie, laquelle, avec sa procession de cierges, aurait été instituée pour abolir plus efficacement la procession des Lupercales. Mais la fête de la Purification existait déjà en Orient à la fin du IVe siècle, puisque la pèlerine Oetheria (Silvia) en fut témoin à Jérusalem en 385-386[68] et elle y était célébrée le 15 février. On n'en trouve pas, il est vrai, la mention à Rome avant le vue siècle. Peut-être son introduction en Occident remonte-t-elle à saint Gélase. En tout cas, l'identité de date entre la fête de la purification païenne et la fête de la Purification chrétienne est frappante et peut laisser supposer un lien entre les deux[69].

Si le pape Gélase n'institua pas la fête de la Purification, il s'occupa du moins, très activement, de préciser les règles de la liturgie, et d'enrichir le formulaire de la messe de nouvelles oraisons et de nouvelles préfaces.

C'était un moyen indirect, mais très efficace, de combattre les derniers restes des superstitions païennes. C'était aussi un moyen de sauvegarder la pureté du dogme, la loi de la prière devenant naturellement la loi de la croyance, lex orandi, lex credendi. Le Sacramentaire qui porte le nom de Gélase n'est certainement pas de lui[70] ; mais nous savons qu'il composa un sacramentaire, ainsi que plusieurs hymnes et plusieurs homélies sur des sujets liturgiques, lesquels ne sont point parvenus jusqu'à nous[71].

La mémoire de saint Gélase a toujours été très honorée dans l'Eglise. Nul, dit Bossuet, n'a parlé plus magnifiquement de la grandeur du Siège sur lequel les Papes sont assis. Le concile du Vatican lui a emprunté plusieurs de ses formules dans sa constitution De Ecclesia, pour ce qui concerne la primauté du siège de Rome.

Une des plus remarquables paroles de saint Gélase est celle-ci : La confession de foi du Siège apostolique, écrivait-il à l'empereur Anastase, est inébranlable : elle ne saurait subir la souillure d'aucune doctrine fausse, le contact d'aucune erreur[72]. Sachez, écrivait-il au même empereur, que le monde est régi par deux grandes puissances : celle des Pontifes et celle des Rois, mais l'autorité des Pontifes est d'autant plus grande qu'ils doivent rendre compte à Dieu, au jour du jugement, de l'âme ces Rois[73]. Il disait aussi : Quand le Siège du bienheureux Pierre s'est prononcé, il n'est permis à personne de juger son jugement : on peut en appeler à lui de toutes les parties du monde, mais de sa sentence, personne ne peut faire appel[74].

Cette doctrine de saint Gélase, deux de ses successeurs, saint Symmaque et saint Hormisdas, allaient bientôt la faire acclamer par l'Église catholique tout entière.

 

VI

De la mort de Gélase (496) à l'avènement de Symmaque (498), le Saint-Siège fut occupé par ANASTASE II, romain de naissance, qui, pour mettre fin au schisme qui séparait Constantinople de Rome, poussa la condescendance jusqu'à ses plus extrêmes limites. Il ne parvint qu'à se rendre très impopulaire parmi les Romains. Un parti d'opposition, qui n'était autre peut-are que celui dont le sénateur Andromaque s'était fait l'interprète sous Gélase, accrédita le bruit que sa mort prématurée avait cité un châtiment de Dieu. Le rédacteur de la notice sur Anastase insérée au Liber Pontificalis recueillit cette rumeur[75] ; la légende s'en empara, y ajouta des détails tragiques ; et c'est ainsi que le Pape Anastase II, que l'Eglise a placé dans la liste de ses saints, est parvenu à nous chargé de la malédiction du poète :

J'aperçus alors le couvercle d'une tombe, dit Dante, et il y avait ces mots écrits : Regarde, ici est le pape Anastase, que le diacre Photin a induit dans le mauvais chemin[76].

Ce furent, d'ailleurs, les intrigues mêmes des ennemis de la Papauté qui provoquèrent, sous le pontificat des d'Aix pontifes qui succédèrent à Anastase, Symmaque et Hormisdas, les deux plus magnifiques glorifications du Pouvoir pontifical que l'histoire ait peut-être jamais eu à enregistrer.

A peine le successeur légitimement élu d'Anastase, SYMMAQUE (498-514)[77], avait-il reçu la consécration dans la basilique du Latran, qu'un antipape, porté par une faction romaine dont Episode du le chef était le sénateur Festus, se fit sacrer évêque de Rome dans la basilique de Sainte-Marie-Majeure[78]. C'était l'archiprêtre Laurent, dont on espérait faire un Pape à la dévotion de l'empereur de Byzance et de la secte monophysite.

La tentative échoua, au moins momentanément. Le roi barbare Théodoric, plus puissant à Rome que l'empereur oriental, ne voulut reconnaître que le Pape élu par la majorité des électeurs, et Laurent dut se retirer.

Mais alors la fureur de la faction se porta contre le Pape légitime. On suborna de faux témoins, qui accusèrent le Pape de crimes imaginaires. On lui reprocha un commerce immoral avec des femmes, l'aliénation irrégulière de certains biens ecclésiastiques, la célébration de la Pâque en dehors des règles ordinaires de la liturgie. On viola les règles les plus élémentaires de la procédure romaine, en faisant déposer contre le Souverain Pontife ses propres esclaves. Le parti fidèle, avec l'assentiment du Pape et du roi Théodoric, invita les évêques d'Italie à se réunir à Rome pour mettre fin au conflit. Vers le mois de mai de l'année 501, cent quinze évêques s'assemblèrent dans la basilique Julienne, c'est-à-dire dans Sainte-Marie du Transtevere. Mais pendant que Symmaque se rendait au synode, il fut brutalement assailli par les hommes de Festus. Il put à peine leur échapper vivant et fut obligé de se barricader dans la basilique de Saint-Pierre. Il faut lire dans le Liber Pontificalis et dans les écrits des contemporains le tableau des scènes inouïes de violence que le parti sénatorial déchaîna. On força la porte des couvents, on insulta les vierges : le clergé ne pouvait plus sortir en sécurité dans les rues de Rome[79].

Dans ces conditions, le Pape déclara qu'il ne pouvait prendre part au synode[80]. Théodoric protesta qu'il ne voulait d'aucune sorte porter un jugement sur des affaires d'ordre ecclésiastique[81]. L'assemblée des évêques se trouvait dans une position des plus critiques. Elle en eut pleinement conscience. Les évêques écrivirent au roi que c'était une chose inouïe et sans exemple, que le pontife de ce siège fût appelé et jugé devant un tribunal[82].

Ainsi le pape, le roi, l'assemblée des évêques tenaient, au fond, le même langage. Ce cas, ainsi qu'on l'a dit, présentait, comme une pierre de touche de la constitution même de l'Eglise[83].

La situation paraissait sans issue. Il importait cependant de prendre une décision, car les scènes de violence se multipliaient, le sang coulait dans les rues de Rome. Une poignée de malfaiteurs, soudoyés par des intrigants ambitieux, terrorisaient la masse du peuple, qui restait dévouée à Symmaque.

Une première sentence fut rendue le 23 octobre 501. Rien de plus noble et de plus digne que cette décision solennelle. Les prélats déclarèrent que, après avoir examiné tous les éléments du procès, le pape Symmaque, titulaire du Siège apostolique, leur paraissait disculpé devant des hommes de toutes les accusations portées contre lui. C'est pourquoi, en ce qui concerne le temporel, en vertu des pouvoirs conférés par le roi Théodoric, ils croient pouvoir prononcer la réintégration du Pape dans l'exercice de tous ses droits ; mais, en ce qui concerne l'autorité spirituelle, ils ne peuvent, par respect pour l'autorité suprême de l'Eglise, que s'en référer à Dieu pour toute la cause, exhortant tout le monde à revenir à la communion de Symmaque, demandant à tous qu'ils se souviennent que Dieu aime la paix et veut donner la paix à tous les hommes[84].

Soit que la sentence ait été publiée en cet endroit du Forum romain qu'on appelait ad palmam, soit que l'assemblée ait été tenue en un lieu de l'atrium de Saint-Pierre dit ad palmata, le synode qui porta cette décision est connu sous le nom de synode de la Palme, Synodus palmaris.

Le principe que le Saint-Siège ne peut être jugé par personne, triomphait donc pleinement à Rome. Il fut accepté avec enthousiasme, en particulier par les évêques des Gaules. Aux premières nouvelles de cet étrange procès, l'illustre évêque de Vienne, saint Avit, sans doute incomplètement renseigné, s'alarma de voir une assemblée d'évêques se préparer à juger un Pape, et il écrivit à Rome une lettre émue, où il disait : Mettre en question l'autorité du Pape de Rome, c'est ébranler, non pas un seul évêque, mais l'épiscopat tout entier[85].

En Italie, Ennodius de Pavie écrivit une justification éloquente du Synode de la Palme, contre les adversaires de cette assemblée[86].

Ce triomphe pacifique permit à Symmaque de parler à l'empereur d'Orient avec une autorité plus grande que jamais. Empereur, lui disait-il, comparez donc votre dignité impériale avec celle du chef de l'Eglise... Jetez un regard, ô empereur, sur la longue chaîne de ceux qui ont persécuté la foi de Jésus-Christ. Ils sont tombés, et l'Eglise voit grandir sa puissance avec les persécutions qu'elle subit[87].

Mais l'empereur Anastase, à qui cette lettre était adressée, s'engageait de plus en plus dans l'hérésie eutychienne. Le bonheur de conclure la paix était réservé au futur empereur, Justin, et au successeur de Symmaque, HORMISDAS.

 

VII

La situation était devenue intolérable à Constantinople. L'esprit sectaire de l'empereur Anastase avait déchaîné l'anarchie. Des moines qui n'avaient de moine que l'habit, dit Hormisdas dans une lettre[88], et à qui manquaient les deux vertus fondamentales de la vie religieuse, l'obéissance et l'humilité, terrorisaient le pays. Au premier rang de ces agitateurs se trouvaient les moines acéphales. Ils s'étaient, nous le savons, donné ce nom (άκέφαλοι, les décapités, les sans-tête) après s'être séparés de leur chef Pierre Monge, qu'ils accusaient d'avoir accepté un compromis avec le Pape. Contre ces fanatiques s'étaient levés les moines acémètes (άκοίμητοι, les sans-sommeil), ainsi nommés à cause de leurs veilles prolongées. C'était un moine acémète qui avait dénoncé au Pape l'hérésie du patriarche Acace. C'était un acémète qui, au péril de sa vie, avait attaché au manteau d'Acace la sentence d'excommunication portée par le Souverain Pontife. En 469, ces ardents défenseurs du Saint-Siège, conduits par leur abbé, avaient envahi l'hippodrome, y entraînant le peuple à leur suite, pour protester contre l'élévation à la dignité de César d'un prince suspect d'hérésie[89]. Dans l'ardeur de la lutte, on les voyait parfois céder à la tentation qui se présente à l'impatience des hommes d'action en temps de trouble : défendre la bonne cause en employant les pires procédés de ses adversaires[90]. La masse du peuple de Constantinople, sous Hormisdas, comme celle de Rome sous Symmaque, désirait ardemment la paix. Aussi, lorsque, en 519, la nouvelle se répandit que l'union définitive était faite entre le siège de Constantinople et le siège de Rome, entre le nouvel empereur Justin et le pape Hormisdas, par l'acceptation de la formule de foi proposée par le Souverain Pontife, ce fut l'occasion d'une manifestation sans exemple. Nous en connaissons les détails par les relations des légats au Pape[91]. On se rendit en procession du palais impérial à l'église. Là, lecture fut faite de l'acte pontifical, par lequel on anathématisait Nestorius, Eutychès, Acace, tous leurs affiliés ou partisans, et on adhérait à toutes les lettres écrites par le pape Léon le Grand. Les acclamations à saint Pierre, au Pape, centre de l'unité, et à l'empereur, son glorieux défenseur, retentirent longuement. On pleurait de joie.

Mais l'apaisement d'une querelle qui avait duré trente-cinq ans ne fut pas le résultat le plus important de ce grand événement historique. Par une de ces admirables revanches de la Providence, dont l'histoire de l'église est remplie, cette ville de Constantinople, foyer de tant d'intrigues contre Rome, acclamait, et bientôt l'Orient tout entier allait acclamer avec elle, la formule la plus. parfaite qui eut encore été donnée de la primauté et de l'infaillibilité doctrinale du siège de Rome.

Le formulaire souscrit par le patriarche, accepté par l'empereur et applaudi par le peuple contenait ces mots : Nous voulons suivre en tout la communion du Siège apostolique, où réside l'entière et vraie solidité de la foi chrétienne, où la religion s'est toujours conservée immaculée[92].

Tel fut le célèbre Formulaire de saint Hormisdas. Deux mille cinq cents évêques orientaux le signèrent[93] ; plusieurs conciles d'Occident l'enregistrèrent avec enthousiasme. Les papes Agapit, Nicolas Ier et Hadrien II l'invoquèrent comme une règle de foi. Bossuet ne pourra s'empêcher de le rappeler dans sa Defensio declarationis cleri gallicani, Fénelon l'opposera aux jansénistes, et le concile du Vatican en insérera les phrases principales dans son décret sur la primauté du Siège apostolique[94].

Ainsi, de tant de luttes doctrinales et disciplinaires, l'autorité pontificale sortait. agrandie et fortifiée. En même temps, un concours d'événements providentiels aboutissait à constituer peu à peu au profit du Saint-Siège un domaine temporel, garantie de son autorité spirituelle. C'est un empereur d'Orient, Justinien, le successeur de tant de potentats soulevés contre Rome, qui va donner à ce pouvoir temporel de l'Église sa première sanction générale et officielle.

 

VIII

Depuis les premières origines, la confiance des fidèles avait mis entre les mains des Papes, pour l'exercice des œuvres de charité, de larges aumônes. Sous la législation libérale inaugurée par Constantin, les souverains Pontifes purent, avec ces oblations, se constituer, en vue de leurs œuvres diverses, d'importants domaines, soit à Rome, soit en Italie, en Sicile et en Sardaigne ; c'est ce qu'on appela les patrimoines du Saint-Siège. L'évêque de Rome était peut-être déjà au Ve siècle, le plus riche propriétaire de l'Italie[95].

De plus, au milieu des invasions barbares, les Papes s'étaient vus, comme la plupart des évêques, investis des fonctions de defensores civitatis. Les fonctions du defensor, appartenant à la fois à l'ordre judiciaire et à l'ordre administratif étaient très étendues[96]. Si les pouvoirs des defensores laïques diminuèrent au VIe siècle, il n'en fut pas ainsi de ceux des defensores ecclésiastiques. Les empereurs d'Orient, qui n'avaient pas abandonné leurs prétentions à la suzeraineté de Rome et de tout l'Occident, et pour qui Odoacre et Théodoric n'étaient que des lieutenants, tenaient à y exercer directement leur autorité. Or, ils s'aperçurent bientôt que nul intermédiaire ne pouvait leur être plus utile que l'évêque de Rome : lui seul pouvait avoir une autorité morale suffisante pour apaiser des sujets mutinés ; à lui seul on pourrait confier la gestion des deniers publics, qu'un officier impérial aurait peut-être dilapidés. Finalement le Pape était devenu, non seulement le plus riche propriétaire de l'Italie, mais la plus grande autorité sociale et politique de la péninsule.

Organiser l'administration temporelle du domaine pontifical, avait été déjà la préoccupation du grand pape Gélase. Nous savons, par Jean Diacre, que le livre des fermes et cens, dressé par Gélase, servait encore sous Grégoire le Grand pour l'administration des patrimoines[97]. Ses écrits et les documents de sa chancellerie qui nous restent permettent de se rendre compte des grands efforts de ce pontife pour sauvegarder ce qu'il appelle le patrimoine des pauvres[98]. Mais ses successeurs n'avaient pas eu le moyen de poursuivre son œuvre. Symmaque et Hormisdas avaient été absorbés par la question plus haute et plus urgente de la primauté disciplinaire et doctrinale du Saint-Siège. Les pontificats des cinq papes qui se succédèrent en treize ans, de 523 à 536, JEAN Ier, FÉLIX IV, BONIFACE II, JEAN II et AGAPIT, furent troublés par la persécution de Théodoric, dont nous aurons à parler plus loin. Ceux de SILVÈRE et de VIGILE[99] furent trop agités par les controverses orientales, pour permettre au Saint-Siège de reprendre l'œuvre d'organisation entreprise par saint Gélase. L'empereur Justinien, sous l'influence de sa femme, l'intrigante Théodora, venait de ressusciter la querelle monophysite en soulevant la fameuse question dite des Trois-Chapitres. Habile, intelligente, mais se plaisant à subordonner les questions religieuses à ses hardies conceptions politiques, l'impératrice Théodora avait persuadé à Justinien qu'on rallierait facilement à l'empire les monophysites d'Arabie, parti politique très puissant, si on leur donnait un gage. Ce gage serait la condamnation de trois auteurs ecclésiastiques qui avaient attaqué le monophysisme, en penchant vers le nestorianisme, Théodore de Mopsueste, Théodoret de Cyr et Ibas. La condamnation de la doctrine de ces trois hommes, qu'on appela condamnation des Trois-Chapitres, n'avait au fond rien d'hétérodoxe, les trois auteurs incriminés ayant soutenu des opinions erronées. Mais le vice de cette condamnation était d'être prescrite par une autorité absolument incompétente. Le pape Vigile, caractère dépourvu d'énergie, eut la faiblesse, à la suite d'intrigues inutiles à raconter ici, de souscrire à l'anathème des Trois-Chapitres, à la requête de l'empereur. Il se rétracta d'ailleurs et expia douloureusement sa faute. Encore que les événements au milieu desquels Vigile eut à gouverner l'Eglise soient pour sa mémoire des circonstances bien atténuantes, et malgré les réserves qui sauvegardèrent son orthodoxie[100], la conduite du pape Vigile doit être blâmée. Mais il serait souverainement injuste de tirer de sa conduite, comme on a voulu le faire quelquefois, un argument contre l'infaillibilité pontificale[101].

C'est sous le pontificat de ce même Pape, en 554, que l'empereur Justinien, cet étrange monarque, dont la politique, comme la vie privée, fut toute en contrastes, publia sa fameuse Pragmatique Sanction, qui confirma et augmenta considérablement Tes pouvoirs temporels des Papes. Désormais l'évêque de Rome eut une part dans la nomination des administrateurs des provinces, reçut leurs serments, veilla à l'accomplissement des instructions qui leur étaient données à leur entrée en charge[102]. En cas de déplacement, il eut le droit de vérifier leurs comptes ; en cas de destitution, il eut le droit, pendant cinquante jours, de les citer devant son tribunal pour malversations[103]. Avec trois citoyens, il fut chargé du soin de toutes les affaires municipales, telles que l'entretien des bains, aqueducs, ponts, murailles, ainsi que de l'inspection des prisons et des marchés[104]. Le jour du combat, il devait être le premier sur les remparts. II était désormais le protecteur légal de chacun contre les exigences des soldats, les vexations du fisc et les fraudes des juges[105].

Un Pape que son expérience des affaires politiques et administratives avait préparé à cette délicate mission, PÉLAGE Ier, sut mettre à profit cette législation bienveillante de l'empereur byzantin[106]. Ses regestes, dit le P. Grisar, nous donnent le spectacle d'une activité rive et énergique. Tantôt il intervient dans le désordre des tribunaux, tantôt il fait appel au pouvoir séculier contre des évêques intrus, tantôt il lutte contre les abus du monachisme ou du clergé avec les armes du châtiment ecclésiastique... Çà et là, les lettres de ce Pape ont une forte empreinte séculière ; mais les devoirs particuliers de l'époque le voulaient ainsi. Quand il s'agit surtout de remettre de l'ordre dans les finances ou les possessions du Saint-Siège, Pélage développe une vigilance qui descend jusqu'au moindre détail[107]. Une lettre du zélé pontife nous donne le vrai motif de tant de vigilance. Il s'agissait des res pauperum, et, pour sauvegarder le bien des pauvres, nul soin ne devait lui coûter[108]. Pélage Ier doit être regardé comme le principal organisateur de l'administration temporelle du domaine pontifical.

Sous les trois successeurs de Pélage Pr, qui furent JEAN III, BENOÎT Ier et PÉLAGE II[109], les invasions des Lombards, bien plus terribles que ne l'avaient été celles des Hérules et des Ostrogoths, permirent à peine de veiller aux soins les plus urgents dans l'administration du domaine pontifical. Mais le développement de la puissance temporelle des Papes était moins leur œuvre personnelle que celle des événements providentiels. Les troubles mêmes que nous venons de rappeler mirent en évidence le grand ascendant des Papes, furent pour eux l'occasion d'exercer plus d'une fois le rôle d'arbitre dans les conflits les plus aigus, et contribuèrent ainsi à. l'accroissement de leur prestige souverain, même dans l'ordre social et politique. Les Papes, dit M. Lavisse, sont dès lors les vrais maîtres de Rome[110]. Aussi, lorsque le successeur de Pélage II, saint Grégoire le Grand, prit possession du Souverain Pontificat, il fut effrayé de se voir chargé de tant d'affaires extérieures, de tant de préoccupations politiques et sociales ; je me demande, écrivait-il, si être Pape en ce moment, c'est être un chef spirituel ou un roi temporel[111].

La vie sociale de la Papauté commençait en effet, le Moyen Age s'ouvrait ; et l'on comprend l'effroi du saint Pontife à la vue de sa grande et lourde mission. Mais, pour accomplir sa tâche, le nouveau Pape trouvait autour de lui de nouveaux ouvriers, préparés par la Providence ; c'était la famille monastique de laquelle il était sorti lui-même, c'étaient les fils de saint Benoît, dont le rôle va remplir l'histoire pendant la période dont nous abordons le récit.

 

IX

En 480, quatre ans après la chute de l'empire romain, était né à Nursie, en Campanie, celui dont l'œuvre allait exercer une si grande influence. Il s'appelait Benedictus, Benoît, dit son saint biographe, et ce nom exprimait bien la bénédiction de Dieu qui était en lui. Ses mœurs n'étaient pas de son âge ; il ne donnait rien aux plaisirs des sens... Issu d'une famille noble, il fut envoyé à Rome pour y étudier les belles-lettres. Mais il vit que beaucoup de ses compagnons, en étudiant, se laissaient entraîner dans la pente du vice ; et, à peine entré dans le monde, il s'en retira[112].

A quarante milles de Rome, au delà de Tibur, dans ces gorges où bondit et écume l'Anio chanté par Horace, au-dessus des ruines désolées d'une ancienne villa impériale construite par Néron, le jeune adolescent trouva une grotte déserte. Il ne demandait pas autre chose, suivant l'expression de son biographe, que d'y vivre avec lui-même sous le regard de Dieu[113]. Cet endroit solitaire s'appelait Subiacum. Aujourd'hui, le pieux voyageur qui visite le Sacro Speco de Subiaco n'est pas moins ému par les grands souvenirs qui s'y rattachent que par la beauté pittoresque et sauvage de ce coin de terre vénéré.

Quand une âme pleine de Dieu cherche à fuir le monde il arrive souvent que d'autres âmes viennent à elle, attirées par des vertus d'autant plus rayonnantes qu'elles sont plus intérieures. Les stylites d'Orient avaient vu accourir au pied de leurs rochers des pèlerins, parfois des plus illustres de ce inonde, qui venaient s'édifier à la vue de leurs austérités ou leur demander une règle de conduite. Ce furent de pauvres pâtres qui subirent les premiers l'ascendant de Benoît. La première fois qu'ils aperçurent, à travers les buissons, le pauvre anachorète vêtu de peaux, raconte saint Grégoire le Grand, ils le prirent pour une bête sauvage ; mais lorsqu'ils connurent ensuite le serviteur de Dieu, beaucoup perdirent les instincts de la bête pour mener une vie sainte[114]. Quelques-uns finirent par se mettre sous sa direction. Peu de temps après, ce fut un Goth, qui demanda à se joindre au pieux solitaire[115]. Barbares et latins se mêlèrent sous la conduite du saint patriarche. Il dut bientôt fonder, autour de sa grotte, douze monastères de douze moines chacun. De nobles Romains lui confièrent leurs enfants. Equitius lui amena son fils Maur et le patrice Tertullius son fils Placide[116]. Maur devait établir le monachisme bénédictin en France et Placide en Halle.

Mais le chant des louanges divines ne retentit pas longtemps auprès de la villa néronienne et de l'antique Tibur. L'esprit du mal, qui ne cessa de poursuivre le serviteur de Dieu, suscita contre lui le prêtre Florentius, lequel répandit contre la communauté naissante tant de calomnies, que saint Benoît jugea à propos d'abandonner ces lieux.

Il se transporta sur le penchant de la magnifique montagne qui domine la petite cité de Castrum Cassinum et d'où la vue s'étend sur cette riche plaine de Campanie, que les Italiens appellent aujourd'hui Terra di Lavoro. Le vieux paganisme, qui n'avait plus dans l'empire romain d'existence légale, avait trouvé là un refuge secret. Dans l'enceinte d'une vieille station pélasgique, dont les murailles cyclopéennes, faites de grands blocs de rochers grossièrement taillés et jetés les uns sur les autres, formaient comme une forteresse de géants, le culte d'Apollon Pitosyrus, dieu du soleil, était célébré par des paysans fanatiques, et tout autour, dit saint Grégoire, se trouvaient des bois consacrés aux démons[117].

Le saint fut-il attiré par la majestueuse beauté du site, par le désir de purifier un des derniers asiles du paganisme expirant, ou par quelque voix mystérieuse en laquelle il reconnut l'appel divin ? Tout ce que nous savons par son biographe, c'est qu'aussitôt arrivé, il brisa l'idole. Il renversa ensuite l'autel et brûla les bois sacrés. Il dédia un oratoire à l'endroit même où était l'autel du dieu, et il se mit à prêcher la foi avec ardeur et persévérance au peuple des environs[118]. Mais, ajoute saint Grégoire, le saint homme, en changeant de lieu ne changea pas d'ennemi, et ses combats furent d'autant plus rudes qu'il eut pour adversaire le Maître du mal en personne[119].

C'est là, sur ces hauteurs sereines et sur les ruines du temple Le Règle hé- du faux dieu de la lumière, que Benoît rédigea la Règle bénédictine admirable qui devait régir, à peu près seule, jusqu'au XIIIe siècle, la vie monastique en Occident. Le saint n'eut ni la volonté, ni la conscience de travailler à une œuvre nouvelle. Il se réclame à chaque instant de saint Basile, qu'il appelle son père, il emprunte à Cassien ses maximes ; il invoque les règles qui sont en usage dans les bons monastères de son temps. Et, de fait, la vie monastique florissait, même dans la partie occidentale de l'empire, avant saint Benoît. Saint Martin à Ligugé, saint Honorat à Lérins, Cassien à Marseille venaient d'en offrir de grands exemples. Et cependant c'est bien saint Benoît qui doit être regardé comme le père des moines occidentaux et son œuvre doit être considérée comme une création.

Saint Basile et Cassien avaient donné surtout des maximes générales, des vues lumineuses émanées de l'âme des saints, des aphorismes où se résumaient de longues expériences. C'est un véritable code de lois que rédigea saint Benoît. Avant lui, la pureté de l'esprit religieux, dans un monastère, dépendait beaucoup de l'influence particulière d'un saint abbé. La règle bénédictine sera si ferme et si souple, qu'elle soutiendra par elle-même la vie religieuse et reliera comme dans une âme commune tous les monastères de l'Occident. Mais surtout elle pénétrera la synthèse des règles anciennes d'un esprit évangélique si pur, qu'on sentira comme un souffle de vie et de rajeunissement passer dans tous les monastères où elle sera introduite. Modèle achevé de discrétion, de mesure et de clarté, elle apparaîtra, aux yeux des moins suspects, comme un des plus parfaits chefs-d'œuvre de la sagesse romaine inspirée par l'esprit chrétien.

Dès les premières lignes de son prologue, on se sent respirer un air pur, lumineux, comme celui qui souffle sur la libre montagne de Montecassino.

Ecoute, ô mon fils, dit le saint patriarche, prête-moi l'oreille de ton cœur, et reçois joyeusement les recommandations de ton bon père, pour les mettre en pratique avec fidélité... Si tu t'es égaré sur le chemin facile de la paresse et du caprice, reviens à Dieu par la voie laborieuse de la sainte obéissance... Allons, debout, mon fils, ouvrons nos yeux tout grands à la lumière de Dieu et nos oreilles toutes grandes à sa voix qui nous crie : Si, en ce jour, vous entendez la parole de Dieu, de grâce, n'y fermez pas vos cœurs[120].

Tel est le début de cette règle fameuse, dont Bossuet a pu dire qu'elle est un précis du christianisme, un docte et mystérieux abrégé de toute la doctrine de l'Evangile, de toutes les institutions des saints Pères, de tous les conseils de perfection. Là paraissent avec éminence la prudence et la simplicité, l'humilité et le courage, la sévérité et la douceur, la liberté et la dépendance ; là, la correction a toute sa fermeté, la condescendance tout son attrait, le commandement sa vigueur et la sujétion son repos, le silence sa gravité et la parole sa grâce, la force son exercice et la faiblesse son soutien[121].

D'après cette Règle, l'Abbé, se souvenant de son titre (Abbas, père), doit exercer une autorité toute paternelle (ch. II). Il ne doit jamais rien entreprendre d'important sans prendre conseil de ses frères (ch. III). Les principales vertus du moine bénédictin seront l'obéissance (ch. V), le silence (ch. VI), et l'humilité (ch. VII). Ses principaux devoirs seront la récitation de l'office divin (ch. VIII à XX), l'accusation et la correction de ses propres fautes (ch. XXIII à XXIX), l'éducation de la jeunesse, la lecture et le travail des mains. Au bout d'un certain temps d'épreuve, le moine fera une promesse de stabilité dans son monastère. Le costume pourra varier suivant le pays et le climat.

Cette Règle qui devait absorber peu à peu, du moins en Europe, non seulement les règles des moines orientaux, mais aussi celle de saint Colomban, convenait admirablement à l'œuvre qui s'imposait à l'Eglise au milieu du monde barbare. Par la souplesse de son organisation, l'ordre bénédictin s'adaptait merveilleusement au rôle de missionnaire que ses moines allaient remplir bientôt en France, en Angleterre, en Allemagne et dans les pays les plus reculés. Par son groupement en monastères fixés au sol, que les moines cultiveraient, il allait donner au monde barbare des leçons de stabilité et de travail. Ses œuvres d'enseignement allaient donner naissance aux écoles monastiques. Mais surtout, à ces peuples sans cesse agités par les migrations et par les guerres, il allait donner, par l'exemple de ses moines, le goût et l'habitude de cette vie plus profonde et plus féconde, dont le saint Patriarche avait, dès le début, fait la règle de sa propre existence et qu'il proposait à ses disciples comme le but essentiel de la vie religieuse, à savoir la vie intérieure, ou, comme il disait, la vie avec soi-même sous le regard de Dieu.

Sans doute, bien des hommes de cette époque, et peut-être plus d'un novice à son entrée au couvent, durent faire au saint abbé la question que saint Grégoire le Grand met sur les lèvres du diacre Pierre : Mon Père, je ne comprends pas bien ce que veulent dire ces mots : vivre avec soi-même. — Mon fils, répond le saint Pape, toutes les fois que de fortes préoccupations nous entraînent hors de nous, nous vivons, mais nous ne sommes pas avec nous ; nous ne nous voyons plus, et nous nous répandons dans les choses extérieures... Vivre avec soi-même, c'est habiter son âme en présence de son Créateur[122].

Le monde barbare devait finir par comprendre cette leçon. Le Moyen Age ne sera pas seulement l'époque de Charlemagne et de Godefroy de Bouillon, ce sera de saint Bruno et de l'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ. Un grand courant mystique le traversera, auquel s'alimenteront tous les héroïsmes chevaleresques ; et ce courant, c'est surtout par les moines qu'il se propagera dans le monde.

 

 

 



[1] Le Nain de Tillemont ne parle de Romulus Augustule que dans son histoire d'Odoacre : Nous sommes obligés, dit-il, de mettre trois empereurs romains sous le titre d'un prince barbare, et d'un barbare dont on ne connait pas même le pays et la nation. Mais ces empereurs sont Glycère, Nepos et Augustule, qu'on peut dire être comme inconnus, ou n'être connus que pour avoir enseveli avec eux l'empire romain dans l'Occident. (Le Nain de Tillemont, Histoire des empereurs, Paris, 1734, t. VI, p. 422.)

[2] Pulcher erat, il était beau, dit l'auteur anonyme publié par Valois, Rerum francorum, t. III, in-folio, Paris, 1646 1658. Le même témoignage est donné par Procope, Migne, Patr. grec., t CXXXVII, et Corpus scripturum historiæ byzantinæ, Bonn, 1828-1897. On loue la beauté de ce prince, dit Tillemont, et c'est l'unique, mais pitoyable éloge, qu'on donne au dernier des empereurs. Hist. des empereurs, t. VI, p. 434.

[3] MARCELLIN, Chronicon. Edition Mommsen, dans les Monumenta Germaniæ historica, Auctores antiquiss., t. IX, p. 91.

[4] Sur le costume impérial et les ornements fastueux qui y avaient été ajoutés dans les derniers temps de l'empire, v. R. CAGNAT, ou mot Imperator dans le Dict. des ant. grecques et romaines, de DAREMBERG et SAGLIO, t. III, 1re partie. p. 426, 427.

[5] Dans ce premier chapitre, nous ne nous occuperons qu'incidemment du gouvernement des Papes en ce qui concerne la discipline ecclésiastique, le culte chrétien ou la répression des hérésies existantes C'est là l'objet de l'histoire ancienne de l'Eglise. Nous ne nous préoccuperons ici de l'action des Papes qu'en tant que cette action a préparé directement le Moyen Age. Nous aurons à parler plus loin des relations du Saint Siège avec les peuples barbares en racontant l'histoire de chacun de ces peuples.

[6] Sur S. Sidoine voir TILLEMONT, Mémoires, t. XVI, p. 195-284.

[7] C'est un lourd anachronisme de parler d'une Rome détruite au Ve ou même au VIe siècle. L'antique Rome ne fut détruite que par le lent travail des siècles postérieurs, y compris la Renaissance. (GRISAR, Hist. de Rome et des Papes au Moyen Age, t. I, 1re partie, p. 100).

[8] SIDOINE, l. I, ep. 6, ad Eutropium. MIGNE, P. L., t. LVIII, col. 455. M. G. H., Auct. antiquiss., VIII, p. 9.

[9] MIGNE, P. L., t. LVIII, col. 459, M. G. H., Auct. antiquiss., p. 11, 12.

[10] MIGNE, P. L., t. LVIII, col. 744. M. G. H., Auct. antiquiss., p. 261.

[11] MIGNE, P. L., t. LVIII, col. 739. M. G. H., Auct. antiquiss., p. 257.

[12] F. ROBIOU et D. DELAUNAY, Les institutions de l'ancienne Rome, 3 vol. in-18, Paris, 1883-1888, t. III, p. 307.

[13] MISPOULET, Les institutions politiques des Romains, t. II, p. 252-255.

[14] MIGNE, P. L., t. LVIII, col. 465. M. G. H., Auct. antiquiss., t. VIII, p. 16.

[15] Dans cette Rome impériale, écrit Théodore Mommsen, la pauvreté n'était pas seulement la pire des hontes et le dernier des crimes : c'était la seule honte et le seul crime (Cité par GRISAR, Hist. de Rome et des Papes au Moyen Age, t. I, 1re partie, p. 153).

[16] Cité par GRISAR, Histoire de Rome et des Papes au Moyen Age, t. I, 1re partie, p. 183.

[17] CLAUDII RUTILIS, De reditu suo, l. I, v. 47 et s., édit. Muller, 1870, p. 2.

[18] Gaston BOISSIER, La fin du paganisme, 2 vol. in-8°, Paris, 1891, t. II, p. 495. conclusion.

[19] J. MARQUART et MOMMSEN, Manuel des institutions romaines, t. III, p. 89.

[20] S. REINACH, Manuel philologie classique, d'après le Triennium philologicum de W. FEBUND, Paris, 1880, p. 351. Cf. A. DUFOURCQ, La christianisation des foules dans l'empire romain. R. d'H. et de L. R., mai-juin 1899.

[21] BOUCHÉ-LECLERCQ, Institutions romaines, p. 556. Cf. BEURLIER, Le culte dû aux empereurs romains.

[22] CLAUDII RUTILIS, De reditu suo, édit. Muller, 1870, p. 2.

[23] CASSIODORE, Variarum, lib. VI, n° 18, MIGNE, P. L., t. LXIX, col. 698. M. G. H., Auct. antiquies, t. XII, p. 190.

[24] Vita Fulgentis. MIGNE, P. L., t. LXV, col 131.

[25] Frantz CUMONT, Les Mystères de Mithra, un vol. in-8°, Paris 1902 : Textes et documents figures relatifs aux mystères de Mithra, 2 vol. in-4°, Bruxelles, 1896 1899.

[26] BOSSUET, Explication de l'Apocalypse, ch. III, n° 9, édit. Lacnat, t. II, p. 390.

[27] André BAUDRILLART, Saint Séverin, Paris, 1908, p 39.

[28] La Norique inférieure, où s'établit le saint comprenait tons les pays qui sont le long du Danube, du côté du midi, depuis Passau jusqu'un peu au dessus de Vienne, c'est à-dire presque tout ce qu'il y a du duché d'Autriche à la droite et au delà du Danube à notre égard. TILLEMONT, Mémoires, t. XVI, p. 168.

[29] TILLEMONT, Mémoires, t. XVI, p. 168.

[30] Auguste MOLINIER, Manuel de bibliographie historique, les sources de l'histoire de France, Paris, 1901, t. I, p. 410. M. Hermann Sauppe a publié en 1877, dans les Monumenta Germaniæ historica, auct. antiquiss., t. I, une nouvelle édition critique de la Vita Severini. Elle diffère d'ailleurs très peu de l'édition des Bollandistes (Acta Sanctorum, VIII januarii), ainsi que le déclare le savant éditeur, M. G. H., t. I, p. XV. Cette vie se trouve aussi dans MIGNE, P. L., t. LXII, col. 1167-1199.

[31] MIGNE, P. L., t. LXII, col. 1176.

[32] Les disciples de S. Séverin transformèrent en couvent la villa de Lucullus. C'est le Pirzofalcone actuel. Le Saint et ses moines héritiers du luxe et de la magnificence de Lucullus, s'écrie le P. Grisar, voilà bien un tableau digne du celui de saint Benoît prenant possession de la ville de Néron et de celui de saint Colomban s'établissant sur les thermes de Luxeuil. (Hist. des Papes, t. I, 2e partie, p. 296).

[33] TILLEMONT, Mémoires, XVI, 170.

[34] Bolland., 8 janvier, p. 488, § 19.

[35] Bolland., 8 janvier, p. 494, § 51.

[36] André BAUDRILLART, Saint Séverin, p. 28, 29.

[37] Bolland., 8 janvier, p. 492, § 30.

[38] C'est le titre que se donnaient les empereurs de Constantinople.

[39] Il était originaire de Tibur et fils de Castin, dit le Liber Pontificalis, I, 249.

[40] On sait que les Romains appelaient tumulte l'état de siège déclaré à l'occasion des attaques soudaines qui mettaient l'Etat en péril.

[41] Ce sont les trois basiliques que mentionne le Liber Pontificalis, dans la vie de saint Simplicius (463-483). Lib. Pontificalis, éd. Duchesne, t. I, p. 249.

[42] MIGNE, P. L., t. LXI, col. 235, 247, 382.

[43] Acta Sanctorum des Bollandistes au 6 avril.

[44] Bollandistes au 3 septembre.

[45] Jean GUIBAUD, Rome, ville sainte au Ve siècle, dans R. H. et L. Rel., 1898, p. 55 et suiv.

[46] C'est cette expression populaire de cœmeteria sanctorum martyrum qui a fait croire que les catacombes étaient toutes pleines de corps de martyrs. En réalité, l'immense multitude des corps qui y étaient ensevelis étaient ceux de simples chrétiens. Les corps des martyrs y étaient rares.

[47] Cardinaux, c'est-à dire attachés à une église, incardinati. Cette qualification donnée à tous les prêtres de paroisse n'a rien de commun avec une expression courante de cardinaux, membres du Sacré Collège. C'est, au VIIIe siècle seulement que la basilique du Latran fut desservie par des évêques des environs de Rome. Ce fut l'origine des cardinaux-évêques, ou évêques suburbicaires. Cf. DUCHESNE, Lib. Poncif., I, page 250, note.

[48] Hic constituit ad sancrum Petrum apostolum et ad Sanctum Paulum apostolum et ad sanctum Laurentium martyrem ebdomadas ut presbyteri propter penitentes et baptismum (Liber Poncificalis, I, p. 249) La première édition du Liber Pontificalis porte propter baptismum et pœnitentiam petentibus. Ce texte est un des plus importants pour l'histoire du sacrement de pénitence. Rapproché d'un texte semblable dans la notice du Pape Marcel (Lib. Pont., I, p. 164) et des témoignages apportés par Socrate et par Sozomène (MIGNE, P. G., t LXVII col 613 et s. et 1457 et s.) il nous permet d'établir que le ministère baptismal et pénitentiel dont il s'agit n'est que la préparation des catéchumènes au baptême et des pénitents à leur réconciliation publique, car la célébration du baptême et la réconciliation des pénitents requéraient alors, hors le cas de nécessité, la présence de l'évêque. Ces cérémonies s'accomplissaient dans une réunion générale et non par circonscription de paroisse. Cf. L. Poncificalis, I, p. 165.

[49] Quant à l'Institution du Conseil de fabrique, elle n'apparait pas avant le XIIIe siècle. Un concile de 1287 règle la nomination de ses membres. Pierre IMBART DE LA TOUR, Questions d'Histoire sociale et religieuse : époque féodale, Paris, 1907, p. 273-275.

[50] THOMASSIN, Ancienne et nouvelle discipline, IIIe partie, liv. II, chap. XIX ; Edition André, tome VI, p. 551.

[51] JAFFÉ, Reg. Pont. rom., t. I, n° 570.

[52] JAFFÉ, I, 583.

[53] Ou Félix II, si l'on n'admet pas dans la liste des papes légitimes le Félix II, que le Liber Pontificalis place entre le pape Libère et le pape Damase. Voir DUCHESNE, Liber Pontificalis, Introduction, p. CXXIII, CXXV, et 209, note 17.

[54] JAFFÉ, I, 612.

[55] Félix III avait perdu sa femme étant diacre. M. de Rossi a découvert et identifié l'épitaphe de la noble épouse de saint Félix III (DE ROSSI, Inscr. christ., I, 371).

Saint Grégoire parle de son trisaïeul Félix (Homil. XXXVIII, in Evang.) Au Ve siècle, la loi ecclésiastique ordonnait seulement aux clercs qui avaient reçu les ordres majeurs de vivre dans la continence. Mais s'ils sont mariés, avait écrit saint Léon le Grand, il ne faut pas qu'ils renvoient leurs femmes... Que leur mariage charnel se transforme en union spirituelle. (MIGNE, P. L., t. LIV, col. 1201).

[56] ENNODIUS, Panegyr. Theodorici, éd. Sirmond, p. 963.

[57] Monum. Germ. Hist. Scriptores rerum longobardorum et italioarum, p. 303.

[58] Gélase était d'origine africaine et fils de Valère dit le Liber Pontificalis, I, 255. Il se dit cependant romain dans une lettre à l'empereur Anastase (JAFFÉ, 632). Les deux affirmations ne sont pas inconciliables il pouvait se dire romain par le fait que l'Afrique, ou tout au moins la ville de Carthage, étaient sous la puissance romaine au moment de sa naissance. Mgr Duchesne, conjecture que Gélase devait être assez âgé lors de son élection au pontificat (Liber Pontificalis, I, 256, note 1).

[59] Liber Pontificalis, I, 256.

[60] C'est ce que semble indiquer une lettre de Gélase à l'évêque de Lyon. JAFFÉ, I, n° 634.

[61] JAFFÉ, Regesta, n° 629, d'après une lettre découverte récemment au Musée britannique.

[62] MOMMSEN et MARQUARDT, Manuel des institutions romaines, tome XIII, p. 173, 183. DAREMBERG et SAGLIO, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, au mot Lupercales. Les lanières purificatrices s'appelaient des februæ. De là le mot februare pour dire purifier. Le mois de février, Februarius, était le mois de la purification.

[63] P. L., t. LIX, col. 111.

[64] P. L., t. LIX, col. 111.

[65] P. L., t. LIX, col. 110.

[66] P. L., t. LIX, col. 116.

[67] P. L., t. LIX, col. 116.

[68] Dom CABROL, Etude sur la Peregrinatio Silviæ (1895).

[69] Ce fut d'ailleurs un procédé généralement adopté par l'Eglise, de détacher les chrétiens des fèves païennes en remplaçant celles ci par des solennités qui avaient quelque lien d'analogie avec elles. C'est ainsi que la procession, dite de Saint. Mare, qu'on fit le 25 avril dans la campagne romaine remplaça l'usage païen des robigalia. La fête de la chaire de Saint-Pierre, père de la famille chrétienne, fut instituée et fixée au 22 janvier, parce que ce jour lit les paieras célébraient la fête de cara cognatio, ou fête de la famille, laquelle était l'occasion de banquets dont il importait d'éloigner les chrétiens. La fête de Noël elle-même, Natale, parait avoir été fixée au 25 décembre parce que c'était la date d une fête profane, Natalis invicti, la fête de l'invincible dieu du Soleil. Dans le culte mithriaque, d'ailleurs culte si répandu aux IIIe et IVe siècles, le 25 décembre était le commencement du salut apporté par Mithra, dieu du Soleil. Les Quatre Temps, qui ne se célébraient d'abord que trois fois par an, en juin, septembre et décembre, et dont les textes liturgiques se rapportent si expressément aux diverse périodes de la culture, remplacèrent vraisemblablement, selon les conjectures de Dom Germain Morin, les trois feriæ païennes, les feriæ messis, les feriæ vindemiates et les feriæ sementinæ. Revue bénédictine, 1897, p. 340. R. P. GRISAR, Hist. des Papes, II, p. 330 et suivantes. Cf. Dom CABROL, Les origines liturgiques, Paris, 1906, et Revue pratique d'apologétique, novembre 1906, Le paganisme dans la liturgie, par dom CABROL ; octobre 1907, L'idolâtrie dans l'Église, par dom CABROL.

[70] DUCHESNE, Les Origines du culte chrétien, 2e édition, p. 119 et suivantes.

[71] Le célèbre décret De libris recipiendis, attribué de très vieille date au pape Gélase, est aujourd'hui généralement regardé comme non authentique. On suppose qu'il a été composé dans le premier tiers du VIe siècle. Ses précieuses indications sur le canon des Livres Saints et sur les livres apocryphes restent un témoignage important de la croyance de l'Eglise à cette époque. Cf. GRISAR, Hist. de Rome et des Papes, tome I, 2e partie, p. 298-300. A. ROUX, Le Pape Gélase, p. 162 et suivantes. DUCHESNE, Lib. Poncificalis, t. I, p. CVII et CXIV.

[72] JAFFÉ, Regesta, t. I, n° 615.

[73] LABBE, Conciles, IV, 1122

[74] JAFFÉ, Regesta, t. I, n° 614.

[75] Liber Pontificalis, t. I, p. 258.

[76] Div. Com., Inferno, canto 11, vers. 6-9.

Un coperchio

D'un grand'avello, ov'io vidi nna scritta

Che diceva : Anastasio papa guardo,

Lo qual trasse Fotin della via dritta.

[77] Neveu de Fortunat et natif de Sardaigne, Liber Pontificalis, I, 260.

[78] Liber Pontificalis, I, 260.

[79] Liber Pontificalis, t. I, p. 261.

[80] Voir les actes de ces synodes dans les Monumenta Germaniæ historica, Auctores antiquiss., t. XII, p. 416.

[81] Monumenta Germ. histor., Auctores antiq., t. XII, p. 424.

[82] Causa nova est, et pontificem sedis istius avud nos audiri nullo constat exemplo. Monumenta Germaniæ historica, auctores antiquiss., t. XII, p. 421.

[83] GRISAR, Histoire de Rome et des Papes au Moyen Age, tome I, 2e partie, p. 28.

[84] Commenta Germaniæ hist., ibid., p. 431, v. la sentence in extenso dans les Monumenta Germaniæ historica, auctores antiquiss., t. XII, p. 426 à 437.

[85] Si papa Urbis vocatur in dubium, episcopatus jam videbitur, non espiscopus, vacillare. MIGNE, P. L., t. LIX, col. 248. M. G. H., auct. antiquiss., VI, p. 65.

[86] MIGNE, P. L., t. LXIII, col. 183-208.

[87] JAFFÉ, n° 761.

[88] Epist. ad Passexesorem episcopum, JAFFÉ, t. I, n° 850. Le Pontife raconte dans cette lettre comment un groupe de ces moines révoltés vint jusqu'à Rome essayer d'emporter d'assaut la confirmation par le Saint-Siège d'une de leurs erreurs. Il les montre soulevant les foules dans les rues, ad concussionem quietis, circa regum etiam statuas inclamantes.

[89] E. MANIN, Les Moines de Constantinople, de Constantin à Photius, Paris, 1897. Dict. de Théologie catholique, de VACANT, aux mots acémète et acéphale.

[90] Plusieurs moines acémètes, dans leur haine de l'hérésie eutychienne, reculèrent jusqu'à l'hérésie nestorienne (HÉFÉLÉ, Hist. des conciles, trad. Delarc, t. III, p. 131) et durent être excommuniés par Jean II, en 534. MANSI, tome VIII, p. 798, 799. E. MANIN, Les Moines de Constantinople.

[91] Voir ces détails dans MANSI, t. VIII, p. 453.

[92] Sequentes in omnibus apostolicam Sedem... in qua, est integra et verax christianæ religionis soliditas... Quia in Sede apostolica immaculata est semper servata religio. Voir le texte latin en entier dans MANSI, t VIII, p. 451, dans MIGNE, P. L., t. LXIII, col. 444, dans DENZINGER-BANSWART, Enchiridion, n° 171.

[93] C'est le chiffre donné par le diacre Rusticus, qui écrivait au temps de Justinien. RUSTICUS, Contra aceph. Disp., P. L., tome LXVII, col. 1251.

[94] Le pape Hormisdas, si ferme sur les principes, fut tolérant pour les personnes. Beaucoup d'opposants avaient été de bonne foi. Plusieurs chrétiens morts pendant le schisme et dans le schisme d'Acace ont été canonisés. Tels furent saint Flavien de Constantinople et saint Élie de Jérusalem. Cf. THOMASSIN, disert. XVI, in Synod, CP.

[95] Ch. DIEHL, dans l'Atlas historique de Schrader, explication de la carte 16 : L'Eglise au temps de saint Grégoire le Grand.

[96] DAREMBERG et SAGLIO, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, au mot Defensor civitatis. CHÉNON, Études historiques sur le Defensor civitatis, dans Nouvelle Revue historique du droit français et étranger, 1889, p. 551 et suivantes.

[97] Jean DIACRE, Vie de saint Grégoire, l. II, c. XXIV. MIGNE, tome LXXV, col. 97.

[98] JAFFÉ, I, n° 684.

[99] Silvère était né en Campanie et avait pour père le pape Hormisdas, marié avant sa promotion aux ordres. Liber Pontificalis, I, 290. Vigile était romain et fils du consul Jean (Liber Pontificalis, I, 296).

[100] En souscrivant la condamnation, le pape Vigile avait ajouté la clause suivante : Salva in omnibus reverentia Synodi Chalcedonensis. Ces réserves, dit Mgr Duchesne, étaient si claires et si précises, que nul monophysite n'aurait pu les signer sans faire ainsi une abjuration complète. Revue des Questions historiques, 1884, p. 406. Cf. GRISAR, Histoire de Rome et des Papes, t. I, 1re partie, p. 132-138.

[101] Par exemple DŒLLINGER, sous le pseudonyme de Janus, à la veille du Concile du Vatican, dans son pamphlet, Le Pape et le Concile, traduction Giraud-Teulon, Paris, 1869, p. 84, 85.

[102] Novelle 149, c. I ; novelle 8, c. XIV ; novelle 17, c. XVI.

[103] Novelle 128, c. XXIV ; novelle 8, c. IX.

[104] Code, De episcopali audientia, 22, 25, 26.

[105] Code, De episcopali audientia, 18, 26. Novelle 8.

[106] Pélage était né à Rome et issu d'une famille aristocratique (PROCOPE, De bello gothico, III, 16, 17, 20, 21 ; Liber Pontificalis, I, 304).

[107] GRISAR, Hist. de Rome et des Papes, t. I, 2° partie, p. 152, 153.

[108] MANSI, IV, 736.

[109] Jean III, Benoît Ier et Pélage II étaient romains. Liber Pontificalis, I, 305, 308, 309.

[110] Histoire générale, de LAVISSE et RAMBAUD, I, 231.

[111] Saint GRÉGOIRE LE GRAND, Epistolæ, lib. I, ep. 25. MIGNE, tome LXXVII, col. 676-677. M. G. H., Reg., I, 24, p. 35.

[112] Saint GRÉGOIRE LE GRAND, Dialogues, l. I, ch. I.

[113] Saint GRÉGOIRE LE GRAND, Dialogues, l. I, ch. III.

[114] S. GRÉGOIRE, Dial., l. II, ch. I.

[115] Alio quoque tempore Gothus quidum pauper spiritu ad conversionem venit. Dial., I. II, ch. VI. Conversio désigne l'entrée dans la vie monastique.

[116] Dial., l. II, ch. III.

[117] Dial., l. II, ch. VIII. Ubi vetustissimum fanum fuit, in quo, ex antiquorum more gentilium, a stulto rusticorum populo Apollo colebatur, Circumguaque etiam, in cultu dœmonum luci succreverunt.

[118] Dial., l. II, ch. VIII.

[119] Dial., l. II, ch. VIII.

[120] Regula sancti Benedicti, Prologus.

[121] BOSSUET, Panégyrique de saint Benoît, 3e point.

[122] Saint GRÉGOIRE, Dial., l. II, ch. III.