HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

TROISIÈME PARTIE. — L'Eglise s'affranchit de l'empire

CHAPITRE III. — DE LA MORT DU PAPE SAINT SIXTE III À LA CHUTE DE L'EMPIRE ROMAIN - SAINT LÉON LE GRAND (440-476).

 

 

La décadence de l'empire romain, si visible pendant la période précédente, s'accélère pendant cette dernière période. Les sombres appréhensions d'Augustin, de Jérôme et de Salvien se réalisent. Sous la pression des barbares envahisseurs, le pouvoir impérial se débat comme dans les convulsions d'une agonie. En Orient, Théodose le Jeune, abandonnant la dernière chance de salut, se détache de l'Eglise orthodoxe et favorise l'hérésie. En vain, après sa mort, en 461, à pieuse impératrice Pulchérie essaiera-t-elle de tout sauver en donnant sa main et la couronne de son frère à un général honnête et courageux, Marcien. Il est trop tard. La puissance dissolvante de l'hérésie a fait son œuvre à Constantinople. En Occident, la dynastie théodosienne s'éteint avec Valentinien III, en 455. Après lui, l'empire latin compte encore neuf augustes ; mais cinq d'entre eux sont élevés ou renversés par le général goth Ricimer. En 476, le chef obscur d'une bande barbare peut s'emparer sans secousse d'un sceptre qu'un insignifiant successeur des Césars ne songe plus à défendre.

Or, pendant ce temps, la science, l'éloquence, les traditions d'une sage politique romaine sont montées sur le trône pontifical avec saint Léon le Grand. Le successeur de saint Pierre est un théologien comme Augustin, un orateur comme Chrysostome, un politique comme Ambroise. En même temps qu'il terrassera une formidable hérésie, soutenue par toutes les forces de l'empire, saint Léon arrêtera, aux portes de Rome, le plus terrible des barbares, Attila. L'unité brisée de cet empire où l'élément barbare s'est étrangement mêlé aux éléments romains et orientaux, se reconstituera autour de lui ; et son œuvre sera si ferme que, de 45o, date de sa mort, à 476, date de la chute définitive de l'empire romain d'Occident, ses premiers successeurs, les papes Hilaire et Simplice, n'auront qu'à continuer cette œuvre sans secousse, pour donner l'impression d'un monde nouveau qui se lève, destiné à remplacer l'ancien monde, sous l'égide de la papauté.

 

I

Après la mort de Sixte III, qui eut lieu, suivant les calculs chronologiques des érudits, le 19 août 440[1], la voix unanime du peuple et du clergé désigna pour lui succéder le diacre LÉON. Issu d'une famille d'origine toscane, mais romain de naissance[2], il avait reçu à Rome une éducation distinguée, dont devaient témoigner l'étendue de ses connaissances et la noble pureté de son style. On le voit, en 418, porter à l'évêque Aurèle de Carthage la lettre du pape Zozime condamnant les pélagiens[3]. Plus tard, sous le pape Célestin, c'est lui qui détermine Jean Cassien à écrire son livre sur l'Incarnation[4]. Il éclaire le pape Sixte sur les intrigues de Julien d'Eclane. En 439, on le retrouve en Gaule, chargé, peut-être par l'impératrice Placidie elle-même, d'apaiser un différend qui s'était élevé entre les généraux Aèce et Albin, et qui menaçait de dégénérer en guerre civile. C'est tout ce que l'histoire nous apprend de saint Léon avant son élévation au souverain pontificat ; mais ces détails suffisent à nous faire conjecturer la valeur personnelle du nouveau pontife et l'ascendant qu'il exerçait déjà autour de lui.

Léon ne se dissimula pas l'immensité de la tâche qu'il avait à remplir et les lourdes responsabilités qu'elle allait faire peser sur lui. Comme le monde entier a recours au siège du Bienheureux apôtre Pierre, disait-il, et que l'on attend de nous qui l'occupons cet amour de l'Eglise universelle qui a été recommandé à cet apôtre par Notre-Seigneur, nous portons une charge d'autant plus lourde que nous avons de plus grands devoirs envers tout le monde[5].

Ce qui rendait la situation particulièrement angoissante pour le pontife universel, c'est que, tandis que le vieux monde romain, dans les cadres duquel l'Eglise s'était établie, se désagrégeait de toutes parts, la plupart des barbares qui s'apprêtaient à s'emparer de ses dépouilles étaient hérétiques ou idolâtres. Les Vandales, qui ravageaient l'Afrique ; les Alains et les Suèves, qui avaient pénétré en Espagne en 409 ; les Goths, qui vers la même époque avaient envahi la Gaule et l'Italie, étaient ariens[6]. Les Huns et les Hérules professaient encore le paganisme. La perturbation générale provoquée par les invasions avait dispersé en divers pays des hérésies et des schismes jadis locaux. Les manichéens, chassés d'Afrique par les Vandales, s'étaient répandus en Italie ; l'hérésie priscillianiste, née en Espagne, infestait la Gaule ; les pélagiens se retrouvaient un peu partout ; les nestoriens commençaient à déborder l'Orient.

La vigilance du saint pontife fut d'abord éveillée par la présence à Rome de nombreux manichéens, qui scandalisaient, paraît-il, la Ville éternelle par des pratiques d'une honteuse immoralité. Il fit rassembler et brûler les livres des manichéens, livra les obstinés au bras séculier, et obtint de l'empereur Valentinien III des lois sévères contre la secte[7].

Certains pélagiens, même après les décrets port 6s contre eux par le concile d'Ephèse, continuaient à répandre leurs doctrines. Le pape voulut qu'on exigeât d'eux, pour les admettre à rentrer dans la communauté des fidèles, une rétractation formelle de leurs erreurs[8]. Quant aux membres du clergé qui s'étaient laissé séduire par cette hérésie, il défendit que, même convertis, on les élevât à un ordre supérieur à celui qu'ils avaient reçu avant leur chute[9].

En Espagne, l'hérésie priscillienne continuait ses ravages et avait même gagné quelques membres de l'épiscopat. Le pape donna mission à l'évêque d'Astorga, Turibe, en qui il avait une particulière confiance, de réunir un concile général, et communiqua, à cette occasion, à tous les évêques espagnols une formule doctrinale concernant les erreurs priscilliennes, Les troubles de l'invasion ne permirent pas de réunir le concile national ; mais un synode partiel s'assembla à Tolède, et promulgua un symbole en dix-huit anathèmes[10]. Plusieurs prélats égarés revinrent à la saine doctrine, et la sécurité fut rendue au peuple fidèle,

Il fut plus difficile d'atteindre les nestoriens, qui, chassés de l'empire, avaient trouvé un refuge dans une des villes qui protégeaient la frontière de l'est, à Edesse. Il y avait là une école célèbre en possession de donner l'enseignement non seulement aux Osrhoéniens, sujets de l'empereur, mais aussi aux jeunes chrétiens perses, sujets des Sassanides, qui passaient la frontière pour en suivre les leçons, et appelée à cause de cela Ecole des Perses. Les noms et la doctrine de Diodore de Tarse et de Théodore de Mopsueste y étaient généralement révérés. L'évêque Rabbulas, il est vrai, s'était efforcé de supprimer les écrits de Théodore ; mais il avait rencontré, soit dans le clergé, soit dans l'Ecole, une résistance sourde. Aussi, à sa mort, en 435, une réaction s'était-elle produite, qui avait porté sur le siège épiscopal un des représentants de l'opposition, Ibas. Ibas était un orthodoxe de la nuance de Théodoret, fort mécontent que Nestorius n'eût pas accepté simplement le théotocos, mais d'ailleurs ennemi juré de saint Cyrille. Il avait écrit, en 453 probablement, à l'évêque d'Ardaschir, Maris, une lettre devenue fameuse, où il racontait, au point de vue oriental, toute l'affaire du concile d'Ephèse et de la paix conclue entre Cyrille et Jean. Nous aurons l'occasion de revenir sur cette lettre, qui valut à Ibas bien des ennuis[11]. Mais on comprend que, sous un pareil évêque, et malgré l'existence, parmi les étudiants, d'une minorité monophysite résolue, l'école d'Edesse ait pu librement suivre ses sympathies nestotiennes[12]. Au surplus, le souverain pontife ne tarda pas à constater que le grand péril n'était plus dans le nestorianisme, mais dans une hérésie qui, sous prétexte de le combattre, se jetait dans une erreur opposée, le monophysisme.

 

II

La paix conclue en 433 entre saint Cyrille et Jean d'Antioche avait donné à l'Eglise d'Orient une tranquillité relative et permis à Léon le Grand de diriger ses premiers efforts contre les diverses hérésies que nous venons de rappeler. La mort de Jean d'Antioche en 443, celle de Cyrille d'Alexandrie l'année suivante, semblèrent sceller définitivement la réconciliation de leurs partisans. Il n'en fut rien. L'Orient et l'Egypte sont désormais unis, s'était écrié Théodoret en apprenant la mort de Cyrille ; mais il avait ajouté : L'envie est défunte et l'hérésie ensevelie avec elle[13]. Sous ses apparences pacifiques, cette déclaration était une parole de rancune. Quatre ans plus tard, en 448, la querelle du théotocos se réveilla tout à coup comme la flamme d'un incendie mal éteint[14].

Dans un de ces monastères qui formaient, autour de Constantinople, comme une couronne d'enceintes sacrées, où retentissait jour et nuit la psalmodie liturgique, vivait un moine, qui, à l'avènement du pape Léon le Grand, était âgé d'environ soixante-deux ans[15]. Il gouvernait, depuis trente ans, avec le titre d'archimandrite[16] ou de supérieur, un couvent des plus considérables, ne comptant pas moins de deux cents moines. C'était un religieux austère, édifiant, mais un esprit étroit, sans pénétration et sans souplesse, dépourvu de toute culture théologique sérieuse. Consacré à Dieu aussitôt après sa naissance, entré enfant dans la vie religieuse, il appartenait à cette catégorie de moines qui faisaient vœu de ne jamais sortir vivants de leur cloître[17]. Il s'appelait Eutychès. Son défaut de culture ne l'avait point empêché de se prononcer avec force, dans la querelle théologique qui divisait les Ecoles d'Antioche et d'Alexandrie, pour le parti de cette dernière ; et son vœu ne lui avait point paru un obstacle quand il s'était agi d'organiser la grande procession monacale, qui, sous la conduite d'un autre archimandrite, Dalmace, alla supplier l'empereur de délivrer Cyrille et Memnon. Il était de ces hommes qui affirment avec d'autant plus d'assurance, qu'ils savent moins ; qui agissent avec d'autant plus d'intrépidité, que leur esprit borné est incapable d'apercevoir les obstacles. Si Nestorius avait cette enflure de la science[18], dont parle saint Paul, Eutychès avait celle de l'ignorance. Il se vante quelque part d'avoir défendu la foi à Ephèse[19]. Il ne prit point part à l'assemblée ; ceux qui l'ont prétendu l'ont confondu avec le diacre Eutychès, qui fut de la suite de Cyrille[20]. Mais il ne se gêna point pour dire que le concile n'avait accompli que la moitié de sa tâche, et qu'il lui appartenait, à lui Eutychès, de l'achever. Les Pères avaient manqué, selon lui, de clairvoyance ou de courage. Nestorius faisait la part trop grande à l'humanité du Christ ; les Pères d'Ephèse n'avaient pas assez affirmé sa divinité. Eutychès avait lu les Ecritures, et c'était à peu près tout. Avec l'outrecuidance des demi-savants, il disait que, puisque Dieu a fait un livre, il a dû y mettre tout ce qu'il nous importe de savoir ; il s'agit seulement de le lire et de l'entendre ; les sentiments des Pères n'y servent de rien. Eutychès répétait avec emphase certaines formules de Cyrille, et prétendait défendre les mêmes idées. Mais quand on le poussait, il n'en était pas une qu'il ne dénaturât. Cyrille avait dit que les deux natures constituaient un seul Christ ; Eutychès, croyant l'expliquer, enseignait qu'avant l'union il y avait eu deux natures et qu'il n'en restait plus qu'une après l'union. C'était prêter au saint patriarche une double erreur. Cyrille avait dit, après saint Paul, que le premier homme, tiré de la terre, était terrestre, et que le second, venu du ciel, était spirituel[21] ; Eutychès, pour tirer plus au clair la parole du maître, affirmait que le corps de Jésus avait été formé d'une substance éternelle comme Dieu, appartenant à la divinité. C'était revenir aux pires erreurs du docétisme et du gnosticisme.

De telles affirmations, proférées d'un ton tranchant, séduisirent un certain nombre des religieux du couvent d'Eutychès, se répandirent dans d'autres monastères. Si le nestorianisme avait été l'hérésie des gens du monde, incapables de s'élever au-dessus d'un idéal médiocre et terre à terre, la doctrine d'Eutychès était faite pour plaire à l'imagination exaltée de certains moines d'Orient. Nous savons, en e flet, que, tels et tels d'entre eux se provoquaient, par une sorte d'orgueil spirituel, à qui détruirait le mieux, comme ils disaient, la nature, sans trop se demander s'ils ne manquaient pas ainsi à cette vertu de discrétion qu'avaient tant recommandée les maîtres de la vie religieuse. Leurs esprits étaient prêts à accueillir la doctrine d'un Christ qui n'avait presque plus rien d'humain.

Réduite à ces seules influences, l'hérésie d'Eutychès se fût sans doute perpétuée dans l'ombre de quelques monastères, et n'eût pas franchi le cercle de quelques groupements restreints, semblable à ces rêveries ascétiques qui se propagèrent au moyen âge sans agiter les hautes sphères de l'Eglise, et de l'Etat. L'intervention de deux puissants personnages vint tout à coup lui donner un grand éclat, et faire de l'archimandrite de Constantinople un personnage vers lequel tout l'Orient, puis l'Eglise tout entière tourna les yeux.

Le premier fait qui le mit en évidence fut l'arrivée au pouvoir, en 411, de l'eunuque Chrysaphe, qu'il avait tenu sur les fonts baptismaux, et qui, suivant l'usage de ce temps, le regardait comme son père. Ce Chrysaphe, dont l'air noble et le port majestueux avaient séduit l'empereur, au point qu'il fit de lui son grand chambellan et son grand connétable[22], était un ancien esclave, barbare d'origine, qu'un génie rare de l'intrigue avait peu à peu fait monter à cette dignité. La première de ses préoccupations fut d'éloigner de la cour la pieuse impératrice Pulchérie, qui pouvait devenir le centre d'une influence catholique. La seconde fut d'assurer à son parrain Eutychès le siège patriarcal de Constantinople. Il ne réussit pas dans ce dernier projet ; un prêtre vertueux et intelligent, Flavien, qui, au concile d'Ephèse, avait fait partie du groupe des orthodoxes modérés, fut préféré par le clergé, malgré la pression de l'eunuque, à l'archimandrite constantinopolitain. Chrysaphe ne devait jamais pardonner à Flavien d'avoir supplanté son protégé ; mais en même temps il se promit que, si Eutychès n'était pas évêque, il ferait de lui, coûte que coûte, grâce au pouvoir impérial, le chef des évêques.

En 444, Eutychès avait eu un autre appui. Pour remplacer saint Cyrille sur le siège d'Alexandrie, le choix du peuple et du clergé s'était porté sur l'archidiacre Dioscore, qui avait accompagné Cyrille à Ephèse, et qui jouissait jusque-là d'une bonne renommée[23]. Mais aussitôt élu, enivré sans doute par les honneurs, le nouveau patriarche se montra à la fois hostile à la mémoire de son prédécesseur, avare, ambitieux, intrigant, dévoué sans mesure à la cause du monophysisme. Il accusa Cyrille d'avoir épuisé le trésor d'Alexandrie pour soutenir sa lutte contre Nestorius, et, pour ce motif, de connivence avec le ministre eunuque Chrysaphe, il confisqua à son profit tous les biens de celui à qui il devait tout, réduisant à la misère les héritiers du patriarche[24]. Par sa rapacité insatiable, Dioscore fut un fléau pour l'Egypte. Ses tournées épiscopales ne furent pas moins redoutées des provinces qu'une invasion de barbares[25]. Ses exactions lui permirent de soudoyer largement ses partisans, de se rendre populaire dans la ville d'Alexandrie par des distributions abondantes de pain et de vin à des prix dérisoires. Dioscore parait avoir été un fanatique du monophysisme, résolu à faire triompher sa doctrine par tous les moyens. Le premier de ces moyens était d'établir son siège patriarcal au-dessus de tous les sièges épiscopaux de l'Orient, même de celui de Constantinople. Il devait y parvenir au moment du brigandage d'Ephèse[26].

Fort d'un tel appui, joint à celui de Chrysaphe, Eutychès parla en maître, faisant proscrire ou déposer, non seulement tous les clercs suspects de nestorianisme, mais encore tous les amis de Cyrille, qu'il accusait de faiblesse dans leur lutte contre l'hérésie. S'il faut en croire le Livre d'Héraclide, qui, en ce point, semble à peine exagéré dans ses termes, c'est lui qui dirigea les affaires de l'Eglise ; il se servit de Flavien comme d'un serviteur pour exécuter les ordres de la cour ; il chassa de l'Eglise tous ceux qui ne partageaient pas ses opinions ; quant à ceux qui l'aidèrent, il les éleva et il leur porta secours[27]. Ne doutant de rien, il osa écrire au pape Léon pour le gagner à ses idées, en lui dénonçant le péril renaissant du nestorianisme.

Le vrai péril était, au contraire, dans les idées et dans les procédés du fougueux archimandrite. Le pape le comprit, et tâcha de le lui faire entendre dans la réponse prudente et mesurée qu'il lui adressa[28]. Sous prétexte de relever autant que possible la divinité de Jésus-Christ, Eutychès faisait de lui un être absolument étranger à l'humanité[29]. Pour le monophysite logique avec ses principes, non seulement Marie n'était point véritablement la Mère du Christ, mais il n'y avait plus de Rédemption, la Rédemption impliquant 'un médiateur entre Dieu et la race d'Adam. La réalité du Christ lui-même était près de s'évanouir ; car ainsi qu'on l'a fort justement écrit, laisser faire Eutychès, c'était s'exposer à voir bientôt inculquer, d'un bout de l'empire à l'autre, un enseignement où la réalité historique de l'Evangile, souvent compromise par les fantaisies mystiques, aurait sombré tout à fait[30].

Le patriarche de Constantinople, Flavien, n'avait pu fermer les yeux sur la gravité du péril. Mais, par charité pour l'archimandrite et par mansuétude de cœur, il s'était borné à supplier l'imprudent agitateur d'avoir pitié des Eglises de Dieu, assez éprouvées par les troubles précédents[31] et à lui demander de s'en tenir à la paix de 433. L'orgueilleux moine lui répondit : Nous n'avons pas condamné Nestorius pour laisser sa doctrine se répandre[32].

Les doctrines d'Eutychès rencontraient un adversaire plus décidé dans la personne de Théodoret, évêque de Cyr. Théodoret, dont le nom clôt la liste des grands apologistes de l'Eglise grecque, est, sans contredit, une des personnalités les plus marquantes de son temps. Apologiste, théologien, exégète, historien, il fut la dernière gloire de l'école chrétienne d'Antioche : physionomie attrayante, austère et passionnée, où la lumière ne laisse pas d'être mêlée d'ombres, et que de rares qualités n'ont pas su, faute de contrepoids nécessaire, défendre des orages et de la douleur[33]. Par ses savants commentaires des Livres saints, par son éloquent traité de la Guérison des maladies des païens, où il avait mis en regard la solution païenne et la solution chrétienne des grands problèmes de la philosophie, par son Histoire des moines, si pleine de vie et d'attrait, par son Histoire de l'Eglise, où il continuait Eusèbe en mettant à profit Rufin et Philostorge[34], par ses deux livres sur la Trinité et sur l'incarnation, l'évêque de Cyr avait révélé, en un style correct et plein d'élégance, une véritable puissance d'intuition, une remarquable profondeur de sens théologique[35]. Mais trop fasciné par les doctrines de l'Ecole d'Antioche, il avait été un des adversaires les plus violents des anathématismes de saint Cyrille. Même après la décision du concile d'Ephèse, il avait poursuivi sa campagne contre des maximes où il croyait voir la résurrection de l'apollinarisme. Cependant, sincère partisan de l'union, c'est lui qui parait avoir rédigé, en 433, la formule d'accord entre Cyrille et Jean d'Antioche, formule qu'il refusa toutefois de signer, ne voulant pas, disait-il, en réprouvant publiquement l'erreur de Nestorius, avoir l'air d'accabler un ami malheureux[36]. Il se réconcilia avec Cyrille en 435, lorsque Jean d'Antioche l'eut dispensé de consentir expressément à la condamnation de l'ancien patriarche de Constantinople.

Personne n'était plus à même de voir le vice des doctrines d'Eutychès. En 447, sous ce titre singulier : Eranistès ètoï polumorphos, le Mendiant ou le Versatile, il publia un ouvrage en quatre livres, où il montrait que le monophysisme n'était autre chose qu'un ramas de sottises mendiées chez nombre de vieux hérétiques, Simon le Magicien, Cerdon, Marcion, Valentin, Arius, Eunomius ; qu'une chimère aux cent formes diverses. Il établissait ensuite, en Jésus-Christ, l'immutabilité de la nature divine, l'union du divin et de l'humain sans confusion ni mélange, l'impassibilité de la divinité[37]. Ni Eutychès ni Dioscore n'étaient nommés, mais ils se reconnurent. Ils devaient, l'année suivante, user de terribles représailles contre leur courageux contradicteur.

A côté de Théodoret, un autre adversaire du monophysisme allait bientôt se lever avec non moins de courage. Celui-ci sortait des rangs des amis de Cyrille. C'était l'évêque de Dorylée. Il s'appelait Eusèbe. C'était lui qui, en 428, étant encore simple laïque, et remplissant les fonctions d'avocat, au moment où Nestorius formulait son opinion, dans un sermon, sur le titre de Mère de Dieu donné à Marie, l'avait interrompu à haute voix en disant : C'est le Verbe éternel qui s'est incarné en Marie ![38] Entré depuis dans les ordres, il avait, à côté d'Eutychès, combattu vaillamment pour la défense de la doctrine de Cyrille ; mais un jour, conversant avec l'archimandrite, il s'aperçut du venin de ses idées[39]. N'ayant pu le ramener par la persuasion à l'orthodoxie, il résolut de saisir la première occasion pour dénoncer publiquement une doctrine qu'il jugeait capable de pervertir les âmes. Cette occasion se présenta vers la fin de l'année 448.

 

III

Un conflit survenu entre le métropolitain de Sardes et deux de ses suffragants avait déterminé le patriarche de Constantinople, Flavien, à réunir, le 8 novembre 448, un synode dans sa ville épiscopale. La première, séance suffit, paraît-il, à expédier l'affaire. Mais, au moment où les évêques allaient se séparer, Eusèbe remit à Flavien un mémoire dont il demanda lecture. Ce fut un coup de théâtre. Dans son mémoire, habilement rédigé et fortement motivé, l'évêque de Dorylée se plaignait des accusations de nestorianisme qu'Eutychès avait osé porter contre lui, Eusèbe, et contre plusieurs docteurs orthodoxes. Il demandait que l'archimandrite fût assigné devant le concile, et sommé d'y faire la preuve de ses imputations. Quant à lui, Eusèbe, il se faisait fort de prouver qu'Eutychès portait indûment le nom de catholique, car il faisait profession de théories ouvertement hétérodoxes[40].

Il ne fut pas aisé d'arracher le vieil archimandrite à' son couvent. Soit simple entêtement, soit crainte de voir son ignorance percée à jour par une assemblée d'évêques dont il ne pouvait ignorer la science théologique, soit désir de gagner du temps pour mettre en mouvement ses protecteurs, Eutychès sollicita des délais, multiplia les atermoiements. Entre temps, il remuait ciel et terre pour sa défense. Quand, le 22 novembre, le protégé de Chrysaphe, à bout de prétextes dilatoires, comparut enfin devant le concile, il y vint accompagné d'une nombreuse escorte de moines et de soldats. Ces derniers se disaient commandés par ordre supérieur pour protéger sa liberté. En même temps, le silentiaire Magnus pénétra dans la salle et donna lecture, au nom de l'empereur, d'une lettre ordonnant que le patrice Florent assisterait aux séances où il serait question de la foi[41].

L'assemblée fut très animée. Aux diverses questions qui lui furent posées, Eutychès fit des réponses contradictoires ou peu consistantes, qui témoignaient de son ignorance et de son esprit borné. Après avoir confessé l'existence de deux natures dans le Christ, il fut amené à déclarer qu'il ne les admettait qu'avant leur union. Après avoir consenti à reconnaître que le Christ était consubstantiel à Marie, et que Marie était de même substance que nous, il se reprit pour dire que le corps de Jésus est un corps divin, puis il ajouta que pourtant, si on voulait qu'il déclarât que ce corps est de la même substance que le nôtre, il le déclarerait. C'est donc par nécessité, s'écria Flavien impatienté, et non par ta volonté que tu confesses ta foi ![42]

Le débat s'éternisait. Une voix demanda que, pour en finir, l'accusé anathématisât tout ce qui était contraire à la doctrine catholique exposée au début de la séance. Je ne le ferai point ! répondit Eutychès avec feu. Tout le concile s'écria : Qu'il soit anathème ! Flavien prononça alors, au nom des évêques et archimandrites présents, la sentence suivante : Eutychès, jadis prêtre et archimandrite, est pleinement convaincu, et par les actes des précédentes sessions et par ses déclarations présentes, d'être imbu de l'erreur de Valentin et d'Apollinaire... C'est pourquoi, pleurant et gémissant sur sa perte, nous déclarons, de la part de Jésus-Christ, outragé par ces blasphèmes, qu'il est privé de toute dignité sacerdotale, exclu de notre communion et déchu du gouvernement de son monastère. Tous ceux qui désormais lui parleront et le fréquenteront sciemment seront soumis à l'excommunication[43].

Le coup frappait en plein l'hérésiarque, mais il ne l'abattit pas. Au moment où les évêques quittaient la séance, Eutychès déclara au patrice Florent qu'il en appelait à l'évêque de Rome Léon ; puis comme, à sa sortie, le peuple, averti de sa condamnation, faisait entendre des malédictions sur son passage, il adressa une requête à Théodose. Contre la sentence portée par le synode et contre les conséquences qu'elle pouvait comporter, il recourait au pape et à l'empereur.

La lettre qu'Eutychès écrivit au pape à cette occasion était habilement rédigée. Obséquieuse dans les termes, elle avait, sur la question doctrinale, toutes sortes de sous-entendus. Mais Flavien, de son côté, mit le pontife romain au courant de l'affaire par l'envoi d'un mémoire détaillé. L'évêque de Rome répondit à Flavien qu'il préparait, sur la question débattue, un exposé complet de la doctrine catholique. Quant à l'empereur, prévenu par Chrysaphe, qui nourrissait une rancune particulière contre Flavien[44], il multipliait les vexations contre l'évêque de Constantinople, essayant en vain, par des enquêtes et par des synodes, d'infirmer la procédure suivie à l'égard d'Eutychès. A bout d'expédients, au printemps de 449, Théodose, inspiré par Chrysaphe, Dioscore et Eutychès, manda aux métropolitains de son empire de se rendre à Ephèse, le Ier août suivant, avec quelques-uns de leurs suffragants, pour y tenir un concile œcuménique[45].

Bientôt plusieurs mesures insolites vinrent convaincre ceux qui pouvaient encore se faire quelques illusions, que ce n'était pas un concile qu'on allait tenir, mais un brigandage qu'on allait commettre. Théodoret, évêque de Cyr, dont on connaissait les tendances hostiles au monophysisme et dont on redoutait sans doute la science théologique, reçut l'interdiction de se rendre à l'assemblée[46]. Ibas, évêque d'Edesse, qu'on regardait comme un des plus fermes soutiens de la christologie d'Antioche, fut incarcéré. La présidence du concile fut donnée d'office par l'empereur au terrible patriarche d'Alexandrie, Dioscore. Théodose, toujours conseillé par Chrysaphe, alla plus loin dans la voie de la violence et de l'illégalité. Un archimandrite syrien des frontières de la Perse, nommé Barsauma[47], s'était fait le grand exécuteur des lois portées contre le nestorianisme. On l'avait vu, à la tête d'une phalange armée de vrais bandits qui n'avaient du moine que le nom et l'habit, faire la chasse aux nestoriens dans les vallées voisines de l'Euphrate, saccageant les églises, brûlant les monastères qui ne lui paraissaient pas orthodoxes. L'empereur décida que, quoique ne sachant pas un mot de grec, Barsauma assisterait aux délibérations, et que, bien que simple prêtre, il aurait droit de vote au concile[48].

On n'avait pu se dispenser d'inviter le pape Léon. Escomptait-on que, sachant Attila aux portes de Rome, il ne pourrait s'absenter ? D'ailleurs, lors même qu'il viendrait en personne ou par ses légats, s,)n influence et sa voix ne seraient-elles pas couvertes par l'assemblée qu'on avait pris soin de composer si habilement ? Si les amis d'Eutychès raisonnaient ainsi, ils comptaient sans la haute sagesse et sans l'énergie du Souverain Pontife. Quand, vers le 12 mai, l'invitation au concile lui parvint, le pape Léon avait complètement rédigé l'importante exposition de la foi à laquelle il travaillait depuis quelque temps[49]. Nous voulons parler de la célèbre lettre dogmatique connue plus tard sous le nom de Tome à Flavien, divine lettre, dit Bossuet, qui a fait l'admiration de toute l'Eglise, où le mystère de Jésus-Christ est si hautement et si précisément expliqué, que les Pères du grand concile de Chalcédoine s'écriaient à chaque mot : Pierre a parlé par la voix de Léon[50]. Cette lettre en effet, approuvée dans la suite par le IVe concile œcuménique, devait avoir la valeur d'un symbole. Le pape la communiqua aux membres de l'assemblée d'Ephèse par l'intermédiaire de ses trois légats : l'évêque Jules de Pouzzoles, le prêtre René, du titre de Saint-Clément, et le diacre Hilaire, qui devait un jour lui succéder sur le trône pontifical. Dans une exposition à grands traits de la christologie catholique, fondée sur la tradition, il expliquait, avec une clarté et une précision inimitables, l'unité de la personne et la dualité -des natures dans le Christ, écartant ainsi à la fois l'erreur d'Eutychès et celle de Nestorius. Tous les fidèles, disait-il, confessent qu'ils croient en Dieu, le Père tout-puissant, et en Jésus-Christ, son Fils unique, Notre-Seigneur, qui est né de la Vierge Marie : trois articles qui suffisent pour ruiner toutes les machines des hérétiques. Le Fils éternel du Père éternel est né de la Vierge Marie. La nature divine et la nature humaine s'unissant en une seule Personne, l'unique Médiateur de Dieu et des hommes, l'Homme Jésus-Christ, a pu mourir d'une part et ne pas mourir de l'autre. Le vrai Dieu est né complet dans ses attributs, complet dans les nôtres. Et c'est à cause de l'unité personnelle des deux natures, qu'on peut dire que le Fils de Dieu a pris une chair de la Vierge, que le Fils de Dieu a été crucifié et enseveli. Eutychès divise Jésus-Christ. N'est-il pas effrayé par la parole de saint Jean : Tout esprit qui divise Jésus-Christ n'est pas de Dieu. Eutychès anéantit le mystère de la Rédemption ; car nier la vérité de la chair, c'est nier la vérité de la Passion. Eutychès enfin ne corrige pas son erreur en déclarant que le Seigneur a été composé de deux natures avant l'union ; car s'il est impie de ne reconnaître qu'une nature après l'Incarnation, il est absurde d'en affirmer deux avant l'accomplissement de ce mystère[51].

Cependant l'assemblée d'Ephèse s'était ouverte le 8 août 449 dans l'église Sainte-Marie, présidée par Dioscore. Un des premiers actes des légats du pape fut de réclamer la lecture de la lettre pontificale. C'est bien, répondit Dioscore ; et, prenant la pièce dans ses mains, il la fit habilement disparaître, puis il remit au secrétaire un autre document : c'était la lettre impériale ordonnant l'admission du moine Barsauma au rang des Pères du concile. Cette flagrante irrégularité faisait pressentir celles qui allaient être commises. Sans laisser aux légats le temps de protester, un commissaire impérial prit la parole, déclarant que quiconque altérerait la vraie foi subirait un double jugement : celui de Dieu et celui de l'empereur[52]. Dioscore interpréta aussitôt cet ordre dans ce sens qu'il ne fallait rien ajouter aux déclarations de Nicée et d'Ephèse. Voudriez-vous donc, dit-il aux membres de l'assemblée, changer la foi de nos pères ?Anathème, s'écrièrent quelques-uns de ses partisans, à qui voudrait changer la foi de nos Pères !Voudriez-vous, repartit le président, en précisant mieux encore, ajouter à la foi définie à Ephèse et à Nicée ?Anathème, s'écrièrent les mêmes voix, à qui voudrait changer la foi d'Ephèse et de Nicée ! Anathème à qui traitera encore de la foi ! Les secrétaires écrivirent que telles avaient été les acclamations de l'assemblée tout entière ; mais le concile de Chalcédoine devait protester contre cette falsification impudente[53].

La question de la foi étant ainsi tranchée, ce ne fut plus, suivant l'expression vigoureuse et juste d'un historien, qu'un abatis d'évêques[54]. On prononça successivement les dépositions d'Ibas, évêque d'Edesse, de Théodoret, évêque de Cyr, et d'autres moins connus, tels que Daniel de Haran, dont le seul crime était d'être le neveu d'Ibas ; Aquilin de Byblos, condamné sous le seul prétexte qu'il avait refusé de comparaître ; et Sophrone de Tella, accusé, sur le témoignage prétendu d'un enfant, de s'être livré à des pratiques de magie, en réalité suspect parce qu'il était apparenté à l'évêque d'Edesse. Personne ne fut écouté ni cité, et, depuis le commencement jusqu'à la fin du synode, on entendit proférer les sentences les plus graves sans qu'on observât aucune forme de procès[55]. Une populace bruyante, ayant envahi l'église, interrompait à chaque instant les délibérations : Ibas au feu ! criait-on. Théodoret à la potence ! Qu'il soit coupé en deux, celui qui admet les deux natures ! Comme il a divisé, qu'on le divise ! Puis c'était, de la part des membres du synode, des acclamations telles que celles-ci : Longue vie au synode ! Longue vie aux empereurs ! L'Esprit-Saint a parlé par Dioscore ! Ceux qui se taisent sont des hérétiques ! Ces derniers mots laissaient entendre que, sur les cent trente-cinq membres de l'assemblée[56], plusieurs ne partageaient pas les idées du patriarche d'Alexandrie. De ce nombre étaient le patriarche de Constantinople, Flavien, et les légats du pape. Le diacre Hilaire, en particulier, se signala par son opiniâtre énergie. Comme, après avoir refusé de lire la lettre du pape, on achevait la lecture des actes de Nicée et d'Ephèse : Tout cela est d'accord avec la lettre du Siège apostolique, s'écria Hilaire. Faites la lire, et vous verrez ! On passa outre une seconde fois. Mais lorsque Dioscore eut dit : Sachez que les empereurs seront informés de tout ce qui se fait aujourd'huiJ'en appelle de vous, s'écria Flavien[57] ; et Hilaire, dominant d'une voix forte le tumulte de l'assemblée, ajouta aussitôt la formule consacrée : Contradicitur, c'est-à-dire : On s'oppose à votre décision.

Ce mot, qui rappelait si hautement à l'assemblée l'autorité souveraine du pontife de Rome, exaspéra les passions. Dioscore, les yeux étincelants, s'agitait, hors de lui. En vain plusieurs de ses collègues, Onésiphore d'Iconium, Maximien de Synosades et plusieurs autres essayèrent-ils, en le suppliant à genoux, de le ramener à la modération[58]. Importuné par cette scène, et feignant d'être assailli par ceux qui voulaient l'apaiser, il s'écria : Où sont les comtes ? A cet appel, les deux représentants de l'empereur, Elpide et Euloge, firent ouvrir toutes grandes les portes de l'église. Une troupe de soldats, à qui se joignit la bande des compagnons de Barsauma, envahit le lieu saint. Hilaire, dépositaire des tablettes où Flavien avait écrit sa déclaration d'appel, parvint à s'échapper pendant le tumulte. Flavien chercha à l'imiter ; mais, au moment où il allait franchir la porte, Dioscore l'atteignit et le frappa au visage. Barsauma était là, avec ses bandits, criant : Tue ! tue ![59] Flavien fut renversé, piétiné. Il devait mourir, trois jours après, des suites de ces infâmes violences[60]. L'Eglise, qui l'honore comme martyr, célèbre sa fête le 18 février.

Deux ans plus tard, le pape Léon, dans une lettre, flétrissait cette honteuse assemblée du nom qui lui est resté dans l'histoire : latrocinium ephesinum, le brigandage d'Ephèse[61].

 

IV

Cependant, échappé à grand'peine à la poursuite de ses ennemis, le courageux diacre Hilaire était revenu à Rome. On conjecture qu'il y arriva au commencement du mois d'octobre. Il put raconter au pape les scènes odieuses dont il avait été le témoin. Léon en fut profondément affligé et indigné : Ce qui a été fait sans aucun égard pour la justice et contrairement à l'autorité de tous les canons, écrivit-il, ne peut avoir aucune espèce de valeur[62].

De toutes parts, le clergé et les fidèles se tournaient vers Rome ; et l'on peut dire que le patriarche Flavien s'était fait l'écho de toute l'Eglise, lorsque, dans l'éloquent mémoire dont il avait chargé le diacre Hilaire, il disait : Je prie Votre Sainteté de venir en Orient pour défendre la foi que les Pères nous ont transmises à la sueur de leur front... Lorsque, dans l'assemblée, j'ai fait appel au Siège apostolique de Pierre, j'ai été entouré d'une foule de soldats. Ils m'ont fermé le chemin de l'autel, asile sacré... Levez-vous donc pour la défense de la foi divine ! Ecrivez au peuple pour l'éclairer, à l'empereur pour lui exposer la situation... Un concile de l'Orient et de l'Occident vous assisterait dans les voies que Dieu vous inspirera[63].

Réunir un concile sous sa présidence effective, telle était bien l'intention du grand pontife ; mais il prévoyait les difficultés qui pouvaient surgir du côté de l'empereur. Elles se produisirent en effet. Le pape exigea, en attendant, que le patriarche Anatole, élu à Constantinople en remplacement de Flavien sous l'influence de Théodose, donnât une approbation pleine et entière à sa lettre dogmatique. Pendant l'hiver de 450, un voyage à Rome de la famille impérial.° d'Occident fit faire un pas nouveau aux négociations.

Sur ce dernier point, la découverte, en 1893, de documents inédits, est venue apporter des éclaircissements nouveaux. En février 45o, l'empereur Valentinien III vint à Rome avec sa femme Eudoxie, fille de Théodose, et sa mère Galla Placidie, et voulut, à cette occasion, le 22 février, jour de la fête de la chaire de saint Pierre, prier devant le tombeau de l'apôtre. Le pape s'y trouva, et prononça, devant la cour impériale, une homélie d'une remarquable élévation de pensées. Quel spectacle ! s'écria-t-il. Un empereur, ceint du diadème, vient, avec sa suite de nobles guerriers, s'incliner devant la tombe d'un pêcheur ! Les riches sont avides de s'enrichir des mérites des pauvres ! Un homme pauvre et humble, en effet, a reçu du Christ le gouvernement de la plus grande ville du monde ![64] Avant que la famille impériale ne quittât Saint-Pierre, le pape Léon lui exposa la misère de l'Eglise d'Orient. L'émotion du pontife était si grande, que sa voix fut étouffée par les sanglots. Il conjura les souverains d'agir auprès de l'empereur Théodose II, pour qu'il se prêtât à la tenue en Italie d'un concile œcuménique.

Le concile s'ouvrit, le 8 octobre 451, sous les successeurs de Théodose II, Marcien et Pulchérie, non pas à Nicée, où le pape avait voulu le tenir, mais à Chalcédoine, où le convoqua, un peu brusquement, le nouvel empereur. Léon, par esprit de conciliation, ratifia cette convocation précipitée, et envoya trois représentants pour présider l'assemblée.

L'Orient n'avait pas encore vu de réunion aussi imposante. Six cents évêques environ étaient présents. Les représentants du pontife romain y occupèrent la place d'honneur, et, suivant la volonté du pape, y prirent la direction des débats[65]. Les souverains d'Orient agréèrent que le concile prît pour tâche de prendre pour le bien de la foi et la paix de l'Eglise des décisions dans le sens indiqué par l'évêque de Rome et de juger sous son autorité[66].

Les deux principales décisions du concile de Chalcédoine furent : 1° la rédaction d'un décret dogmatique, exposé assez développé de la chrétienne sur l'Incarnation, où furent insérés en entier, comme règles invariables de foi, les symboles de Nicée et de Constantinople[67] ; 2° l'acceptation solennelle de la célèbre épître dogmatique de Léon à Flavien, aux cris unanimes de : Pierre a parlé par Léon ! Cette épître devait être regardée désormais comme une règle indubitable de la foi[68].

Le concile de Chalcédoine promulgua aussi quelques décisions disciplinaires. Le 28e de ses canons amena seul une protestation de Rome. Il renouvelait, en l'aggravant, le canon irrégulier du deuxième concile œcuménique, qui élevait le siège épiscopal de Constantinople au détriment des vieux patriarcats d'Orient. Le pape Léon, sollicité par le concile et par l'empereur de donner son approbation à cette décision conciliaire, fit une réponse qui témoigne de la haute autorité de l'évêque de Rome à l'égard d'un concile œcuménique : Les décisions prises contrairement aux canons du concile de Nicée, nous les déclarons sans valeur, et nous leur ôtons toute force en vertu de l'autorité du saint apôtre Pierre[69]. Il exhorta les patriarches d'Orient, atteints par la décision du concile, à revendiquer hautement leurs droits traditionnels. Il ne s'agissait point là d'une vulgaire rivalité de grandes villes. La question était plus haute : Alexandrie et Antioche tenaient leur primatie du souvenir de l'apôtre Pierre ; Constantinople ne pouvait invoquer que la présence d'un empereur. L'Eglise d'Alexandrie, écrivait Léon, ne doit rien céder de la dignité qu'elle a reçue de saint Marc l'évangéliste, disciple de Pierre... L'Eglise dans laquelle saint Pierre a donné la foi aux premiers qui ont été appelés chrétiens ne doit pas descendre de son rang. Chacun doit mettre son honneur à ne pas laisser porter atteinte à ses droits[70].

La malice des eutychiens profita de l'attitude du pontife de Rome à propos du 28e canon, pour le représenter comme opposé au concile[71]. Il répondit à ces calomnies en confirmant la grande œuvre de l'assemblée contre les monophysites par une encyclique expresse du 21 mars 453. Gélase Pr pouvait dire quelques années plus tard : Tout dépend de l'autorité du Siège apostolique. Ce qu'il a confirmé des décisions du synode reçoit une force obligatoire ; ce qu'il a rejeté n'a pu être en vigueur[72].

L'eutychianisme, désormais convaincu d'hérésie déclarée, se maintint vivace en Egypte, et, çà et là, dans les provinces voisines de l'Arabie et de la Perse. La doctrine, loin de s'atténuer, se renforça. Les monophysites, n'ayant plus de ménagements à garder, exagérèrent leurs théories. Ils se séparèrent ouvertement des cyrilliens, dont ils avaient naguère escompté l'appui. A la mort de Dioscore, ils le proclamèrent martyr et vénérèrent à l'égal de l'Evangile quelques livres qui restaient de lui. Il en fut de même, d'ailleurs, des nestoriens. Obligés de regagner la Perse, ils y reprirent hautement les positions qu'ils avaient abandonnées en Occident ; ils arborèrent en guise de drapeau le nom de Nestorius, autour duquel on avait fait le silence depuis 433. Il ne fut plus question, en revanche, du théotocos, et l'on parla plus nettement de la dualité des hypostases. Cette évolution vers le nestorianisme plus rigide se dessina entre 457 et 482, et fut consommée en 489, lors de la fermeture définitive, par le monophysite Cyrus, de l'Ecole des Perses à Edesse, suivie de la création de l'Ecole de Nisibe[73].

Pour le monophysisme[74], comme pour le nestorianisme, les décisions souveraines avaient produit leur résultat. Si les esprits révoltés, déchirant tous les voiles, abandonnant toute équivoque, s'en allaient aux extrêmes, du moins tut malentendu était désormais écarté ; l'hérésie portait sa marque indélébile, et toutes les âmes fidèles se tournaient, avec un attachement redoublé, vers Rome, comme vers le foyer toujours vivant de la doctrine orthodoxe.

 

V

Avec un sens politique dont l'avenir devait montrer la justesse et la profondeur, le pape Léon résolut de tirer, des tristes événements qui venaient de se dérouler en Orient, une leçon pratique. Pour parer au retour de pareilles crises, il établit à Constantinople une institution qui devait, plus tard, jouer un rôle important dans la politique religieuse internationale. L'évêque de Cos, Julien, fut institué son chargé d'affaires dans la capitale orientale. Désormais toutes les négociations importantes avec la cour et avec l'épiscopat d'Orient durent se faire par son intermédiaire. Il dut adresser au pape des rapports suivis sur les affaires ecclésiastiques de son ressort. Ce fut l'origine des apocrisiaires ou légats pontificaux à Constantinople, lesquels préludèrent à l'institution des nonciatures aposte-ligues.

Léon sut aussi mettre à profit, pour le bien de l'Eglise et de la civilisation générale, un usage qui imposait aux papes le devoir de manifester aux souverains, à l'occasion des événements importants qui se passaient dans l'Eglise ou dans l'Etat, leurs sentiments de déférence et de dévouement. Au milieu des formules d'étiquette et des usages de style qu'il respecta toujours avec scrupule, il ne manqua jamais de relever, dans la vie des monarques, leurs actions louables, et de s'élever avec fermeté contre ce qu'il pouvait s'y rencontrer de blâmable. Cette conduite se manifesta notamment dans l'affaire de Timothée Elure. L'empereur Marcien, ayant voulu ramener les dissidents par des négociations et des complaisances qui compromettaient le dogme, n'avait abouti qu'à augmenter leur audace. Un groupe de monophysites fanatiques, ayant à leur tête un prêtre, Timothée, surnommé le Chat (Elure, Aïlouros), et un diacre, Pierre, dit l'Enroué (Monge, Mongos), troublaient l'Eglise d'Alexandrie, s'élevaient à la fois contre le dogme des deux natures, contre la lettre dogmatique du pape, contre le concile de Chalcédoine, et faisaient au patriarche, Protérius, une guerre sans merci. Le patriarche dut déposer les deux chefs. Mais, le jeudi saint, 28 mars 457, au moment où il officiait, une foule en fureur envahit la basilique, massacra l'évêque et traîna son corps par la ville, tandis que Timothée Elure prenait la place du prélat assassiné. L'empereur Marcien fit châtier les assassins qui purent être retrouvés, mais montra de la mollesse dans son attitude à l'égard du patriarche intrus. Le pape le rappela au sentiment de ses devoirs envers l'Eglise. Je parle, lui dit-il, au souverain byzantin avec la liberté que me donne la foi. Le pouvoir impérial ne vous a pas été donné seulement pour gouverner le monde, mais surtout pour défendre l'Eglise. On ne devrait pas permettre à des hérétiques de remettre en question les décisions des conciles ; à plus forte raison devrait-on les empêcher de prendre par la violence des sièges épiscopaux comme celui d'Alexandrie[75]. La lettre était d'ailleurs pleine de témoignages d'estime pour le nouvel empereur, qui se laissa gagner par l'énergie et la bonté du pape. Timothée Elure fut écarté du siège qu'il avait usurpé, et Léon le Grand eut la joie d'adresser une lettre de félicitations au légitime successeur de Protérius, Timothée Salofaciol[76]. Imite le bon Pasteur, lui disait-il. En vrai pasteur des âmes, plein de sollicitude, travaille à les rassembler toutes sous le même toit. Cette lettre est la dernière qui subsiste de saint Léon[77]. Le style de la chancellerie de Léon, dit le P. Grisar, fut par la suite l'un des principaux modèles des secrétaires pontificaux, particulièrement tant que subsista la culture gréco-romaine. Parfois seulement ils le corrompirent par trop de complaisance pour le goût byzantin. On chercha aussi à suivre la tradition de la cadence belle et noble de la langue, surtout dans les fins de phrase, où Léon le Grand observait un certain mouvement métrique, que l'on a, d'après lui, nommé le cursus leoninus[78].

La correspondance de ce grand pape avec l'épiscopat le montre attentif aux moindres détails qui peuvent troubler l'ordre et la paix. Ecrivant aux évêques d'Aquilée et de Ravenne, il règle la question des mariages troublés par la captivité de l'un des conjoints, celles qui naissent de la participation aux usages idolâtriques des barbares, celle de la distribution des sacrements aux victimes de la persécution[79]. En Afrique, il veille à l'observation des lois canoniques dans l'élection des évêques[80]. En Gaule, il constitue plus fortement le vicariat apostolique de l'évêque d'Arles, en déclarant que ce prélat non seulement gouvernera sa province avec son autorité propre, mais encore exercera un pouvoir de protection sur toute la Gaule en vertu d'une délégation du Saint-Siège[81]. Dans l'Illyricum, au contraire, le pape protège les droits des évêques contre le propre vicaire du siège apostolique, Anastase, qui les pressurait avec brutalité. Nulle part saint Léon n'employa un langage plus grave et plus énergique que dans la lettre qu'il envoya à Anastase pour le rappeler à son devoir[82].

Les monastères furent aussi l'objet de la sollicitude du pontife. Certains moines orientaux, turbulents et fanatiques, donnaient trop souvent leur appui à l'hérésie. D'autres, ne se souciant que du bon renom de leurs austérités et de leurs mortifications extérieures, se livraient à toutes sortes d'extravagances. Léon veilla à réprimer ces deux abus. Il mit en œuvre toute son autorité pour réduire au silence les moines palestiniens égarés par les doctrines de Nestorius et d'Eutychès[83] ; il édicta des peines sévères contre les défaillances morales des religieux[84]. Aux environs de Constantinople, à la fin du Ve siècle, d'immenses monastères abritaient des légions de moines[85]. Autour d'Antioche, des ascètes, pour s'isoler plus complètement du monde, vivaient solitaires sur des colonnes, debout, en plein air, sans abri contre la pluie, le vent et les vicissitudes des saisons[86]. C'étaient les stylites. Le plus célèbre d'entre eux fut saint Siméon, qui fut d'abord berger, puis moine dans un monastère, puis, pour mieux satisfaire son goût pour les austérités, se décida à vivre seul, et enfin, pour échapper à l'importunité des visiteurs qu'attiraient la renommée de ses pénitences, se fit construire une colonne en maçonnerie et s'y installa. 11 vécut ainsi pendant trente-sept ans, sur diverses colonnes, dont la première avait trois mètres, et dont la dernière, au rapport de Théodoret, qui l'avait vue, avait environ seize mètres de haut[87]. Une telle manière de vivre étonna d'abord, scandalisa même les fidèles et le clergé ; mais la vertu du stylite était si grande, sa parole si sage, que bientôt son ascendant fut tout-puissant sur les foules. Cet homme, qui n'avait cherché qu'à fuir le monde pour se rapprocher de Dieu par l'oraison, ne tarda pas à exercer une influence sociale, non seulement sur ses compatriotes les Syriens, mais sur des visiteurs venus de tous pays. A ceux que la curiosité attirait en foule au pied de sa colonne, il prêchait avec tant d'attendrissement et de clarté la vérité de la religion chrétienne, qu'ils s'en retournaient convertis. On lui soumit l'arbitrage des litiges. Il vit, à sa voix, des créanciers remettre aux pauvres leurs dettes, des maîtres affranchir leurs esclaves. Les ouvriers teinturiers d'Antioche, maltraités par le préfet, vinrent lui exposer leurs griefs ; l'empereur Léon Ier le consulta sur les décisions du concile de Chalcédoine ; Geneviève de Nanterre, la célèbre vierge gauloise, se mit en relations avec lui. Siméon eut beaucoup d'imitateurs qui exercèrent, à son exemple, une influence salutaire autour d'eux[88].

Pour voir en pleine lumière les grands résultats que Léon Ier obtint pour l'Eglise, il faut aussi considérer ce qu'il fit dans le domaine de la vie politique et sociale. Sa démarche hardie et pleine de grandeur auprès de Genséric ne put empêcher le pillage de Rome par les Vandales ; elle sauva du moins les Romains de la mort et la cité de la destruction. Sa rencontre avec Attila sur le Mincio lui procura la gloire de délivrer l'Italie des bandes hunniques qui menaçaient ce malheureux pays[89]. Attila, le fléau de Dieu, avait entraîné vers l'ouest ses hordes de Huns, qui, unies aux Ostrogoths, que commandait Walamir, et aux Gépides, qui marchaient sous les ordres d'Ardaric, avaient pénétré jusqu'au cœur de la Gaule. La bataille des Champs Catalauniques, livrée dans l'été de 451, obligea l'armée barbare à la retraite. Mais, après un hivernage en Pannonie, le terrible roi des Huns apparut au nord de l'Italie, prêt à venger la honte de sa défaite. Aèce avait négligé de protéger les passages des Alpes. Le chemin de Rome s'ouvrait libre devant Attila. Aèce et Valentinien eurent un moment la pensée de fuir en Orient. La lâcheté d'un pareil dessein le leur fit abandonner. Après de longues délibérations, il parut à l'empereur, au sénat et au peuple romain que le mieux était d'envoyer au roi barbare une députation pour négocier la paix. Le pape Léon Ier, mettant toute sa confiance en Dieu, se chargea de la difficile mission. Il partit, accompagné du consulaire Avienus, de l'ex-préfet du prétoire Trigetius, et d'autres encore, muni de pleins pouvoirs pour les négociations. L'ambassade rencontra le Hun, qui était la terreur du monde, dans son camp, non loin de Mantoue, au confluent du Pô et du Mincio. Il arriva, dit saint Prosper, ce qu'avait attendu Léon dans sa confiance au ciel, qui n'abandonne jamais les hommes pieux au milieu de leurs entreprises. Les paroles du pape disposèrent favorablement le terrible ennemi. IL se réjouit publiquement de ce que le plus haut représentant du sacerdoce était venu à lui. Prêtant l'oreille aux propositions de l'ambassade, il consentit à retirer ses troupes jusqu'au delà du Danube. Léon le Grand lui commanda-t-il d'épargner les murs de Rome, en lui faisant redouter la puissance des princes des apôtres qui reposaient dans l'enceinte de la ville ? Un tel langage eût été conforme au caractère du grand pape. En tout cas, Léon put rentrer à Rome en rapportant le joyeux message d'un brillant succès. La prise de Rome par Attila eût rendu possible la soumission de l'Occident sous le joug des Huns et la diffusion de la barbarie hunnique sur tous les peuples[90].

 

VI

Le pape saint Léon le Grand ne fut pas seulement, par ses œuvres, un grand politique, un grand administrateur, un grand défenseur de la civilisation chrétienne ; il fut, par sa parole et ses écrits, un Père de l'Eglise.

Nous possédons 117 sermons attribués à saint Léon[91], dont 97 sont authentiques et 20 apocryphes ou douteux. Les critiques littéraires en ont admiré la pure forme classique ; les théologiens en ont loué la profondeur de pensée[92]. Tous les grands orateurs de la- chaire y ont puisé. Bossuet et Bourdaloue doivent à saint Léon plusieurs de leurs plus beaux mouvements oratoires. L'un et l'autre, notamment, lui empruntent sa belle explication du mystère de la Passion : C'est le mystère du christianisme, dit Bossuet, que le grand pape saint Léon nous explique admirablement par cette belle doctrine : Il y a, dit-il, cette différence entre la mort de Jésus-Christ et la mort des autres, que celle des autres hommes est singulière, et celle de Jésus-Christ est universelle : c'est-à-dire que chacun de nous en particulier est obligé à la mort, et il ne paie en mourant que sa propre dette ; il n'y a que Jésus-Christ seul qui soit mort véritablement pour les autres, parce qu'il ne devait rien pour lui-même ; c'est pourquoi sa mort nous regarde tous, et il est le seul, dit saint Léon, en qui tous les hommes sont ensevelis, en qui tous aussi sont ressuscités[93]. Bourdaloue, qui, dans les quatre grandes Passions qu'il a prêchées, et les dix Exhortations qu'il a composées sur le même sujet, doit à saint Léon non pas seulement les beautés de détails qu'il y a répandues, mais les grandes idées d'après lesquelles il en a tracé les plans2[94], termine ainsi un sermon que l'on considère comme l'un de ses chefs-d'œuvre : D'où nous conclurons, avec saint Léon, que la Passion du Fils de Dieu a été la pénitence universelle, la pénitence publique et authentique, la pénitence parfaite et consommée de tous les péchés des hommes[95].

Les sermons de saint Léon sont presque tous pleins de semblables pensées. Son langage est clair, précis ; sa pensée, limpide et profonde. On y sent vivre en sa plénitude l'esprit de Jésus-Christ. On y rencontre aussi de précieuses allusions à la vie morale de Rome au milieu du Ve siècle. Il s'élève contre ces chrétiens de nom, qui croient l'être de fait, parce que le monde où ils vivent a abandonné le culte des idoles, et il leur montre qu'on peut être idolâtre avec les apparences d'un chrétien[96]. Il met en garde ses auditeurs contre des marchands d'Alexandrie qui viennent d'arriver à home et qui essayent d'y propager des idées monophysites[97]. Il combat la superstition de Jeux qui, avant d'entrer sous le portique de la basilique de Saint-Pierre, se tournent, au haut de l'escalier, vers la place, pour saluer le soleil[98]. Après le départ de Genséric et de ses Vandales, il réfute ceux qui, par un reste d'idolâtrie, attribuent aux astres la préservation de Rome[99]. Il s'attache à montrer que toute reconnaissance est due au Seigneur Dieu et à l'intervention de l'apôtre saint Pierre. Quand il parle des grandeurs de la Rome chrétienne, sa parole revêt une particulière magnificence. Le 29 juin, jour de la fête des saints apôtres Pierre et Paul, il apostrophe ainsi la Ville éternelle : Ô Rome, qui fus une maîtresse d'erreur, c'est par ces deux saints que tu as reçu l'Evangile. Ce sont eux qui t'ont élevée à cette gloire, d'être ta nation sainte, le peuple élu, la cité sacerdotale et royale, la tête de l'univers, et d'étendre ton autorité religieuse  par delà les limites de ta terrestre domination. Si loin que tant de victoires aient porté ta puissance sur terre et sur mer, l'empire que le labeur guerrier t'a conquis n'égale pas celui que t'a soumis la paix chrétienne[100].

La correspondance de saint Léon comprend 173 pièces, dont 30 lettres à lui adressées ou autres pièces insérées. Les 143 lettres du pape qui vont de l'an 442 à l'an 460, sont toutes de nature officielle. La plupart sortent manifestement de la chancellerie pontificale, et non de la main de saint Léon. Des questions de droit ou de discipline ecclésiastique en sont le sujet ordinaire[101].

Les innombrables occupations de sa charge apostolique ne permirent pas à saint Léon d'entreprendre de grands ouvrages ; mais il en encouragea la composition autour de lui. C'est sous son inspiration que saint Prosper d'Aquitaine rédigea, de 445 à 455, son Chronicon vulgare et son Chronicon integrum, dont la seconde moitié, sous une forme très claire et très concise, est une des meilleures sources de l'histoire du Ve siècle[102]. Sous le pontificat de saint Léon, Socrate et Sozomène composèrent en grec leurs Histoires ecclésiastiques. Le premier, plus critique dans l'emploi des sources, doué d'un sens historique plus ferme pour saisir la chaîne des événements, publia son œuvre de 439 à 443 ; le second, usant largement des travaux de son devancier, le transcrivit parfois littéralement, mais souvent aussi le compléta. L'un et l'autre rectifièrent heureusement l'Histoire ecclésiastique de l'eunomien Philostorge, laquelle, parue après 425 et avant l'avènement de Léon le Grand, était, au jugement de Photius, beaucoup moins une histoire qu'un éloge des hérétiques ariens.

La liturgie et l'art chrétien doivent beaucoup à saint Léon le Grand.

Des difficultés s'étaient de nouveau élevées, aux IVe et Ve siècles, au sujet de la célébration de la Pâque. Désireux avant tout que la fête de la Résurrection fût célébrée en tous lieux le même jour, saint Léon, après une longue enquête, condescendit à l'avis du vénérable patriarche d'Alexandrie, Protérius. Ce n'est pas, écrivit-il à Marcien, l'évidence du raisonnement qui m'a décidé, mais plutôt le désir de l'unité, qu'il importe de conserver[103].

Dans un même esprit de paix, il se garda de proscrire absolument aux fidèles la célébration traditionnelle de certains jours fériés de l'époque païenne, mais il s'appliqua à modifier dans un sens chrétien ces solennités auxquelles le peuple restait attaché[104]. La plus curieuse de ces transformations fut celle de la fête des collectes. En voici l'origine. Chaque année, du 5 au 13 juillet, pendant la célébration des Ludi appollinares, des quêtes ou collectes se faisaient parmi la population pour subvenir aux frais des jeux publics. Les chrétiens avaient insensiblement changé la destination de ces quêtes, dont le produit fut distribué aux pauvres. Saint Léon recommanda souvent, dans ses homélies, la fête des Collectes, dont la date fut maintenue à l'époque où se célébrait l'antique fête païenne.

Le grand pape ne négligea pas une occasion d'associer au souvenir des vraies gloires de la vieille Rome le souvenir des apôtres saint Pierre et saint Paul. Le pillage de Rome par les troupes de Genséric, en 455, s'étant arrêté le 29 juin, la fête des apôtres saint Pierre et saint Paul, qui se célébrait ce jour-là, en prit un plus grand éclat. Quelques années plus tard, Léon, se plaignant de la négligence du peuple à honorer les deux patrons de Rome, lui disait : Cet oubli me remplit de tristesse et de crainte... Sont-ce donc les jeux du cirque qui vous ont préservés de la mort par l'épée N'est-ce pas plutôt l'intercession des saints apôtres ?[105]

Faut-il rapporter au pape saint Léon la composition du célèbre Sacramentaire léonien, qui est la plus ancienne forme du Missel romain ? Mgr Duchesne en retarde la composition jusqu'au milieu du VIe siècle[106] ; mais Probst et Mgr Batiffol soutiennent l'opinion dominante, qui reporte au Ve siècle l'apparition de ce recueil[107]. Des longues discussions qui se sont élevées à ce sujet, la conclusion qui parait se dégager, est que le Sacramentaire léonien ne serait pas une œuvre officielle des pontifes romains, mais un recueil privé, composé surtout de messes et autres documents émanés du pape saint Léon. L'existence, dans la plupart des documents, du cursus propre à saint Léon, les allusions nombreuses à des faits qui ont préoccupé ce pape, tels que le pillage de Rome, les hérésies eutychienne, nestorienne, manichéenne et pélagienne, et enfin l'attribution faite à saint Léon le Grand du sacramentaire par une tradition constante, donnent une grande vraisemblance à cette opinion.

Le désir de voir se développer la beauté des offices liturgiques porta Léon le Grand à restaurer et même à construire, malgré les menaces des invasions, de nombreuses églises. Les seules restaurations qu'il fit faire aux basiliques de Saint-Pierre et de Saint-Paul suffiraient à rendre son nom célèbre dans l'histoire de l'art chrétien[108].

Saint Léon le Grand mourut le 10 novembre 461, après un pontificat de vingt et un ans. Il fut le premier pape qui ait été enterré sous le portique de Saint-Pierre, au seuil du sanctuaire apostolique qui devint la sépulture préférée de ses successeurs. Ce pape, l'un des plus grands qui aient paru sur la chaire de saint Pierre, put ainsi, après sa mort, suivant l'expression de Serge Ier dans l'épitaphe que lui dicta la reconnaissance, veiller comme en sentinelle sur la citadelle du prince des apôtres[109].

 

VII

Pour prendre la place du grand pontife disparu, un homme était tout désigné par les services qu'il avait rendus à l'Eglise, par le courage et le sang-froid dont il avait fait preuve au brigandage d'Ephèse, par l'austère dignité de sa vie : le diacre HILAIRE. Il fut intronisé le 12 novembre 461, au moment où l'empire offrait lui-même le spectacle d'un brigandage. La mort tragique de Valentinien III, le i6 mars 455 ; la captivité de sa veuve et de ses deux filles à Carthage ; le mariage de la princesse Eudoxie avec le roi barbare Hunéric, mêlant le sang du grand Théodose à celui des rois vandales ; l'anarchie dans l'armée depuis la mort d'Aèce ; la misère et la désolation dans Rome depuis le pillage de Genséric ; l'acclamation en Gaule de l'Arverne Avitus, bientôt battu et détrôné par le Suève Ricimer ; ce dernier régnant en maître en Italie, sous Majorien et sous Sévère, sans oser s'attribuer les titres de roi ou d'empereur, mais préludant, par son rôle, à la grande transformation qui allait se produire quatre ans après sa mort : tout faisait pressentir, pour l'empire d'Occident, la plus lamentable et la plus irrémédiable des ruines. Hilaire, fidèle aux traditions de son prédécesseur, s'appliqua, au moment où s'effondrait la puissance de la Rome impériale, à relever le prestige de la Rome chrétienne et à rallier à ce centre de l'unité catholique les Eglises de l'Occident et de l'Orient. Des inscriptions, des monuments, dont quelques-uns subsistent encore aujourd'hui, rappellent les grands travaux qu'il fit exécuter dans la Ville éternelle. Tels sont les beaux oratoires qu'il fit élever à Saint-Jean-de-Latran ; le cloître, la bibliothèque et l'hospice qu'il fit bâtir, dans le voisinage de Saint-Laurent-hors-les-Murs, à l'usage des pèlerins ; les deux grands monastères dont il activa l'érection, l'un aux environs de Saint-Laurent, l'autre à un endroit indéterminé de la ville ; enfin les riches libéralités qu'il fit aux sacristies et aux trésors de diverses basiliques, en ouvrages d'orfèvrerie d'or et d'argent. Il y a là, dit le savant P. Grisar, une page de l'histoire artistique de Rome qui n'invite pas seulement l'imagination à ressusciter tous ces monuments et ces objets, mais qui montre aussi l'inépuisable source de richesses que versèrent alors dans le sein de l'Eglise de Rome les donations des grandes familles sénatoriales et l'extraordinaire générosité de la cour qui se manifestait à cette occasion [110]. Instinctivement, ces grandes familles détournaient des institutions publiques de l'Etat, qui allaient crouler, pour les reporter vers la seule puissance en qui on pressentit une survivance immortelle, les biens longuement accumulés entre leurs mains. Cette résurrection de l'activité artistique pour les églises allait d'ailleurs de pair avec un réveil du culte. C'est du moins ce que l'on peut conclure des détails que le Liber pontificalis nous donne sur les Stations romaines. Hilaire témoignait une sollicitude particulière pour ces antiques exercices religieux, dont la basilique du Latran et l'église de Sainte-Marie-Majeure semblent avoir été les centres liturgiques[111].

Relever la splendeur de la Rome chrétienne n'était pas tout. Au milieu des troubles politiques qui désolaient l'Occident, et en vue de ceux qu'il était facile de prévoir, il importait plus que jamais de maintenir fortement rattachées au centre de la chrétienté les diverses Eglises particulières. Hilaire y pourvut en intervenant directement dans plusieurs conflits qui les divisaient et en convoquant à cet effet plusieurs conciles.

En 462, l'archevêque de Narbonne, Rusticus, lui avait été dénoncé comme ayant désigné pour son successeur son archidiacre Hermès. De pareils choix étaient frappés de nullité par les canons ; Hilaire chargea Léonce d'Arles, primat des Gaules, de lui adresser un rapport sur cette affaire[112]. Puis un concile romain, réuni le 19 novembre 462, et auquel assistèrent Fauste de Riez et Auxane d'Aix-en-Provence, régla l'affaire par une décision bienveillante et pacifique. L'élévation d'Hermès sur le siège de Narbonne fut confirmée, parce que son prédécesseur ne l'avait pas proprement institué, mais seulement recommandé ; mais Hermès, en sanction des irrégularités qui avaient entaché son élection, fut privé du droit d'ordonner d'autres évêques. Ce même concile romain porta diverses ordonnances générales relatives aux Eglises des Gaules, entre autres l'ordre de réunir annuellement de grands conciles des diverses provinces sous la présidence de l'archevêque d'Arles. Toutefois les questions les plus difficiles seraient référées à Rome[113]. En 463, le pape intervint une seconde fois dans les affaires des Eglises de Gaule pour régler un différend qui s'était élevé entre les archevêques d'Arles et de Vienne[114].

Peu de temps après, le pape Hilaire eut à s'occuper des Eglises d'Espagne, où des conflits analogues s'étaient élevés. Pour les résoudre, il tint à Rome, en novembre 465, un concile de quarante-huit évêques. Cinq canons disciplinaires y furent notés, dont les deux principaux sont les suivants : Canon I. Au sujet des ordinations, on doit observer exactement les prescriptions des lois divines et les ordonnances de Nicée. — Canon V. En Espagne, plusieurs pensent que l'on peut hériter d'un évêché comme d'un bien quelconque ; aussi beaucoup d'évêques de ce pays désirent, au lit de mort, choisir leur successeur, de sorte qu'il n'est pas possible d'avoir d'élection. Cette manière d'agir est tout à fait irrégulière[115].

Le pape Hilaire, que l'Eglise devait honorer comme un saint, mourut le 29 février 468, après avoir gouverné le monde catholique pendant six ans, trois mois et dix jours[116].

Il fut remplacé, sur le siège de Pierre, par le prêtre SIMPLICE, originaire de Tibur, qui devait gouverner l'Eglise pendant quinze ans et sept jours. La notice que lui a consacrée le Liber pontificalis est vague, obscure et entrecoupée de lacunes ; elle porte la trace des agitations contemporaines. Sous le long pontificat de Simplice, l'empire romain d'Occident se débattit dans les dernières convulsions de son agonie. Si la situation de l'empire d'Orient fut politiquement plus stable, elle ne fut pas moins inquiétante au point de vue religieux. Le schisme et l'hérésie triomphèrent à Constantinople[117]. Sous l'usurpateur Basilisque, Timothée Elure put reconquérir le siège d'Alexandrie et y établir si fortement le monophysisme, qu'après sa mort la dignité patriarcale passa sans secousse à son ami Pierre Monge. Le siège de saint Marc sembla définitivement acquis à l'hérésie. Pendant ce temps-là, un autre hérétique, Pierre le Foulon, s'installait, à Antioche, sur le siège de l'apôtre saint Pierre. La puissance impériale appuyait l'un et l'autre. Un décret de Basilisque condamna aux flammes la lettre de saint Léon à Flavien et les actes du concile de Chalcédoine. Cinq cents évêques des patriarcats d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem souscrivirent au décret impérial. Au malheur de l'Occident, perdu pour la civilisation, s'ajouta le malheur de l'Orient, perdu pour la foi orthodoxe.

Simplice lutta sans faiblir contre les deux dangers. A l'exemple de ses deux prédécesseurs, on le vit d'abord multiplier les restaurations et les constructions d'églises dans Rome et donner une vive impulsion à la vie liturgique. Il institua, dans les trois basiliques de Saint-Pierre, de Saint-Paul et de Saint-Laurent, un service de semaine complet, et détermina, pour la réalisation de ce service, un système de roulement si fortement étudié, qu'il se conserva jusqu'en plein moyen âge[118].

En Orient, Simplice résista avec énergie aux forces conjurées d'un Etat despotique et d'un épiscopat subjugué. Sous Basilisque, il réussit à détacher du schisme et à pousser à la résistance le clergé et les couvents de Constantinople[119]. Après la chute de l'usurpateur et l'installation sur le trône de l'empereur Zénon, il eut la joie de voir rétablis la hiérarchie ecclésiastique. Timothée Elure et Pierre le Foulon durent descendre des sièges qu'ils avaient usurpés : Ce triomphe, il est vrai, devait être de courte durée. L'ambitieux Acace de Constantinople devait bientôt gagner la faveur de Zénon, et, sous la protection de l'autorité impériale, organiser un schisme nouveau.

Sur ces entrefaites, le 23 août 476, le chef d'une tribu danubienne, Odoacre, qui gouvernait en fait Rome et l'Italie depuis plusieurs années, pensa que le moment était venu de supprimer, en la personne du dernier empereur, jeune enfant qui portait le nom de Romulus Augustule, un titre désormais inutile. Il épargna les jours du prince, mais il l'envoya, avec une pension viagère de six mille écus d'or, finir ses jours en Campanie, dans la maison de campagne de Lucullus. L'empire romain d'Occident n'existait plus.

Pour qui n'aurait compté que sur les forces extérieures, la situation de l'Eglise catholique eût semblé désespérée. L'empire romain d'Occident, dont la puissance, depuis Constantin, l'avait soutenue, dont les cadres et les institutions lui avaient fourni tant de précieux appuis, n'existait plus ; et l'empire d'Orient, n'ayant plus le contrepoids de la puissance de Rome, paraissait gagné au schisme pour toujours. Mais un regard plus profond sur la situation dut faire naître, dans l'âme du pontife intrépide qui dirigeait alors le vaisseau de l'Eglise, une invincible espérance. Ni l'œuvre des papes, qui avaient si persévéramment travaillé à grouper les Eglises barbares autour du siège de Pierre, ni l'œuvre des Pères, qui avaient, en luttant contre l'erreur, édifié la grande synthèse des doctrines catholiques, n'étaient ébranlées. Forte de sa puissante hiérarchie et d'un dogme désormais défini dans ses lignes essentielles, l'Eglise pouvait affronter avec confiance les périls des temps nouveaux.

 

FIN DU DEUXIÈME VOLUME

 

 

 



[1] Liber pontificalis, t. I, p. 237, note 18.

[2] C'est ainsi, ce nous semble, qu'on peut concilier les témoignages contradictoires qui nous montrent saint Léon, les uns comme toscan, les autres comme romain. Natione tuscus, dit le Liber pontificalis (t. I, p. 238) ; mais saint Prosper, qui fut son ami, le dit romain (Chronic., Valent, et Anatol. coss.) ; et lui-même, dans une lettre, s'excuse de ne pouvoir abandonner sa patrie et le siège apostolique. (Epist., XXXI, 4.)

[3] Du moins tout porte à croire que l'acolyte Léon, dont parle saint Augustin à ce propos (Epist., CXCI, CXCXIV), n'est autre que le futur pape.

[4] GENNADE, De viris illustr., 61.

[5] Sermons, V, 2.

[6] En 440, les Burgondes, établis en Gaule depuis le commencement du siècle, étaient en majorité catholiques ; les Lombards ne devaient envahir l'Italie qu'au milieu du VIe siècle.

[7] S. LÉON, Serm., X ; S. PROSPER, Chronic., ann. 447 ; décret de Valentinien du 19 juin 445 (P. L., t. LIV, col. 622). Sur les infamies dont les manichéens se rendaient coupables, voir particulièrement les Sermons, XVI, 4, et 6-7, de saint Léon.

[8] S. LÉON, Epist., II.

[9] Epist., XVIII.

[10] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. II, p. 484-487. On cite généralement un second concile, tenu en Galice (RÉGNIER, Saint Léon le Grand, p. 32 ; GRISAR, Hist. des papes, t. I, première partie, p. 322). Mais Tillemont semble avoir démontré que la mention de ce concile tient à ce qu'on a traduit par assemblée conciliaire le mot conventus, qui signifiait alors une circonscription territoriale, un ressort de justice. (TILLEMONT, Mémoires, t, XV, p. 893.)

[11] Voir Hist. générale de l'Eglise, t. III. Cf. A. RATEL, l'Eglise nestorienne en Turquie et en Perse, dans les Echos d'Orient, t. VII (1904), p. 285-293, 348, 353.

[12] TIXERONT, Hist. des dogmes, t. III, p. 53-54. Cf. J. LABOURT, le Christianisme dans l'empire perse, p. 131-162, 247-288.

[13] LABBÉ, Concil., V, p. 508.

[14] Amédée THIERRY, Nestorius et Eutychès, p. 195.

[15] Eutychès, dans une lettre au pape, déclare avoir soixante-dix ans en 448. MANSI, V, 1015.

[16] Αρχη, μανδρα, primauté, couvent.

[17] LABBÉ, Concil., IV, 199.

[18] I Corinthiens, VIII, I.

[19] MANSI, VI, 627.

[20] TILLEMONT, Mémoires, Paris, 1711, t. XV, p. 487.

[21] P. G., t. LXXVII, col. 177 et s.

[22] Le titre oriental était celui de grand spathaire ou de protospathaire (du préfixe προτο et de σπαθη, épée).

[23] THÉODORET, Lettres, LX ; P. G., t. LXXXIII, col. 1232.

[24] MANSI, VI, 1012.

[25] MANSI, VI, 1008.

[26] Les partisans de Dioscore devaient plus tard l'honorer comme un saint. On peut connaître l'état d'esprit des monophysites à l'égard du célèbre patriarche en lisant la traduction de l'Histoire de Dioscore par son disciple THÉOPISTE. Elle a été publiée par M. l'abbé NAU, à Paris, en 1903. L'original est écrit en syriaque. L'auteur, Théopiste, se donne comme contemporain de Dioscore, mais plusieurs traits du document trahissent une époque plus récente.

[27] Livre d'Héraclide, trad. NAU, p. 294-295.

[28] S. LÉON, Epist., XX ; P. G., t. LIV, col. 713.

[29] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise, t. III, p. 406.

[30] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise, t. III, p. 399.

[31] Le Livre d'Héraclide, p. 295.

[32] Le Livre d'Héraclide, p. 295.

[33] BARDENHEWER, t. II, p. 237-238.

[34] M. Léon PARMENTIER a publié, à Leipzig, en 1911, une édition critique de l'Hist. de l'Eglise de Théodoret.

[35] TIXERONT, III, 3.

[36] BOSSUET, Rem. sur l'Hist. des conciles de M. Dupin, ch. IV, rem. 10.

[37] BARDENHEWER, II, 241-242.

[38] P. G., t. LXXVI, col. 41.

[39] MANSI, VI, 655. Cf. Livre d'Héraclide, p. 296-298.

[40] MANSI, VI, 631-634.

[41] MANSI, VI, 730-734.

[42] LABBÉ, IV, 226.

[43] MANSI, VI, 748.

[44] En premier lieu, Flavien avait contrarié Chrysaphe en acceptant une dignité que celui-ci convoitait pour son protégé Eutychès ; en second lieu, il l'avait blessé dans son avarice. Il était de règle que tout évêque nouvellement élu envoyât aux représentants de l'empereur, en signe de bienvenue, des eulogies ou pains bénits. Or, la cupidité des fonctionnaires impériaux avait peu à peu transformé ces offrandes en dons en argent. Flavien voulut réagir contre un tel abus, et n'envoya à la cour de Théodose que des pains de froment. Ce n'est pas du pain qu'on envoie à l'empereur, lui fit dire Chrysaphe, c'est de l'or. L'archevêque répondit que l'or que possédaient les évêques appartenait à Dieu et aux pauvres. La colère de Chrysaphe fut au comble (NICÉPHORE, XIV, 47).

[45] MANSI, VI, 588 et s. La lettre impériale de convocation, rédigée, comme de coutume, au nom des deux empereurs, Théodose II et Valentinien III, est datée du 30 mars 449. (HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. II, p. 561).

[46] LABBÉ, Concil., IV, 110-111.

[47] On ne doit pas confondre cet archimandrite Barsauma avec un autre Barsauma, évêque de Nisibe.

[48] LABBÉ, IV, 275, 530.

[49] LABBÉ, IV, 103.

[50] BOSSUET, Hist. des variations, l. XIII, ch. XX.

[51] S. LÉON LE GRAND, Epist., XXVIII.

[52] MANSI, VI, 620.

[53] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. II, p. 590-591.

[54] Paulin MARTIN, le Brigandage d'Ephèse, dans la Revue des quest. hist., t. XVI (1874), p. 17.

[55] Paulin MARTIN, le Brigandage d'Ephèse, dans la Revue des quest. hist., t. XVI (1874), p. 39.

[56] C'est le chiffre donné par les actes mêmes.

[57] Le texte de l'appel que Flavien et Eusèbe de Dorylée adressèrent à saint Léon n'est connu que depuis 1882. Voir GRISAR, Histoire de Rome..., t. I, p. 326.

[58] HARDOUIN, Concil., II, 213.

[59] Barsumas ipse instabat et dicebat : Occide. LABBÉ, IV, 524.

[60] P. G., t. CVIII, col. 251.

[61] S. LÉON, Lettre à Pulchérie du 20 juin 451. Les actes de ce triste synode, que ni Héfélé, ni Hergenröther, ni Amédée Thierry n'ont connus, ont été découverts à Londres et publiés en 1873. Voir P. MARTIN, le Brigandage d'Ephèse d'après les actes du concile récemment découverts, dans la Revue des quest. hist., t. XVI (1874), p. 1-53.

[62] Epist., XLV. Cf. Epist., LXXXV, LXXXIX, etc.

[63] Le texte de cette lettre, découverte en 1882 par Amelli dans un manuscrit du Chapitre de Novare, a été publié par GRISAR dans ses Analecta, t. I, p, 322 et s.

[64] Cette homélie, découverte dans un manuscrit du Musée britannique, a été publiée partiellement par Dom MORIN, dans les Anecdota maredsolana, t. I (1893), p. 409.

[65] S. LÉON, Epist., LXXXIX-XCV.

[66] Epist., LXXVII, LXXVIII.

[67] MANSI, VII, 108-118.

[68] JAFFÉ, n. 1381. L'autorité de cette décision s'est exprimée dans la belle légende qui avait cours à Rome au temps de saint Grégoire le Grand et qui traversa le moyen âge. Le pape Léon aurait déposé la lettre sur le tombeau de saint Pierre et se serait livré au jeûne et à la prière pendant quarante jours, demandant au prince des apôtres de la corriger de sa main. Au bout de ce délai il aurait repris la lettre, améliorée par saint Pierre lui-même.

[69] Epist., CV.

[70] Epist., CV.

[71] Epist., CXIV.

[72] P. L., t. LIX, col. 107. Sur le concile de Chalcédoine, voir Jules BOIS, au mot Chalcédoine (concile de), dans le Dict. de théol. de VACANT, t. II, col. 2190-2208. — Ad. HARNACK (Dogmengeschichte, p. 368) a émis l'opinion que la majorité du concile de Chalcédoine se serait prononcée dans le sens des anathématismes de saint Cyrille et même du monophysisme. La simple lecture des actes du concile dément cette hypothèse. On en verra la réfutation détaillée dans LABOURT, le Christianisme dans l'empire des Perses, p. 257-259.

[73] J. LABOURT, le Christianisme dans l'empire des Perses, p. 261.

[74] M. J. LEBON, dans sa savante étude sur le Monophysisme sévérien, Louvain, 1909, a montré que, pour suivre, sans crainte d'erreur, l'histoire du monophysisme dans ses détails, il y a intérêt à distinguer le monophysisme proprement dit de l'eutychianisme. Doctrinalement, le monophysisme est quelque chose de très complexe. Il déborde même la christologie, et s'étend jusqu'à la théologie trinitaire. L'eutychianisme serait une espèce de monophysisme, et comprendrait seulement toute doctrine compromettant l'immutabilité du Verbe en s'attaquant à la réalité et à l'intégrité de l'humanité du Christ. Cf. M. JUGIE, au mot Eutychianisme, dans le Dict. de théol. de VACANT, t. VI, col. 1596.

[75] Epist., CLVI.

[76] C'est-à-dire le Turban blanc.

[77] Epist., CLXXI.

[78] Sur le cursus leoninus, voir Noël VALOIS, Bibl. de l'Ecole des chartes, 1881, p. 161 et s., et Léonce COUTURE, le Cursus dans la liturgie et la littérature, dans la Revue des quest. hist., t. LI (1892), p. 253 et s.

[79] Epist., CLIX, CLXVI.

[80] Epist., XII.

[81] Epist., LXVI. Au moyen âge, ces pouvoirs conférés aux archevêques d'Arles furent un sujet de longues discussions.

[82] Epist., III. Cf. Ep. V, VI, XIII. Un tableau complet de l'œuvre administrative et réformatrice de saint Léon le Grand comporterait aussi l'étude des conciles d'Orange, de Vaison, d'Arles, de Rome, de Besançon, d'autres conciles de Gaule et de Bretagne, et des conciles orientaux d'Ephèse, d'Antioche, de Béryte, de Tyr, d'Hiérapolis, qui se tinrent sous le pontificat de ce pape. Voir HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. II, p. 430-498.

[83] JAFFÉ, n. 500. Cf. DELAU, Monastères palestiniens du Ve siècle, dans le Bulletin d'anc. litt., 1899, p. 233 et s., 269 et s.

[84] JAFFÉ, n. 544.

[85] J. PARGOIRE, les Débuts du monachisme à Constantinople, dans la Revue des quest. hist., t. LXV (1899), p. 67-143.

[86] H. DELEHAYE, les Stylites, dans la Revue des quest., t. LVII (1895), p. 55.

[87] THÉODORET, Hist. des moines, P. G., t. LXXXII.

[88] Sur les stylites, voir l'importante étude du P. DELEHAYE, S. J., les Stylites, dans la Revue des quest. hist., t. LVII, p. 52-103.

[89] GRISAR, Hist. de Rome..., t. I, p. 331.

[90] GRISAR, Hist. de Rome..., t. I, p. 76-78.

[91] 116 dans l'édition des Ballerini (P. L., t. LIV, col. 137-522), plus un sermon découvert et publié par Dom MORIN (Anecd. Mareds., t. I, p. 409).

[92] MAURY, Essai sur l'éloquence de la chaire, t. II, p. 221 ; FÉNELON, Dial. sur l'éloquence ; Dom CEILLIER, Hist. des écrivains sacrés, t. XV, p. 515.

[93] BOSSUET, Sermon pour le jour de Pâques, 1660, édit. LEBARCQ, t. III, p. 392, Cf. S. LÉON, Sermons, De Passione Domini, serm. XII, 3. La même idée avait été déjà empruntée à saint Léon par Bossuet dans un sermon de 1653 pour le Ve dimanche après la Pentecôte, Œuvres oratoires de Bossuet, édition LEBARCQ-LEVESQUE, Paris, 1914, t. I, p. 377-378.

[94] BARRUEL, Journal ecclés., février 1788, p. 153.

[95] BOURDALOUE, Premier sermon sur la Passion, première partie, dans ses Œuvres complètes, éd. de Lyon, 1864. t. IV, p. 212.

[96] Sermons, XXXVI.

[97] Sermons, XCVI.

[98] Sermons, XXVII.

[99] Sermons, LXXXIX.

[100] Sermons, LXXXII.

[101] BARDEINHEWER, II, 480.

[102] Cf. Léonce COUTURE, Saint Prosper d'Aquitaine, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique de Toulouse, 1900, p. 269 et s., 1901, p. 33 et s.

[103] Epist., CXXXVII, I. Sur le point précis de la discussion, voir A. RÉGNIER, Saint Léon le Grand, p. 173-179.

[104] Des auteurs, exagérant la portée de ces faits et d'autres faits semblables, ont prétendu que les saints furent les successeurs des dieux. Un historien, dont nul ne contestera la haute compétence et la critique sévère, le R. P. DELEHAYE, bollandiste, termine ainsi son savant ouvrage sur les Origines du culte des martyrs, un vol. in-80, Bruxelles, 1912, p. 470 : Nous sommes en droit de conclure que le paganisme n'a eu aucune influence sensible sur la création de l'objet du culte des saints.

[105] Sermons, LXXXIV.

[106] DUCHESNE, les Origines du culte chrétien, 2e édition, 1898, p. 130-133.

[107] BATIFFOL, l'Eucharistie, 5e édition, refondue et corrigée, p. 355.

[108] Sur ces travaux, voir la savante étude du P. GRISAR dans son Hist. de Rome..., t. I, p. 339-343, 349 et s. Cf. ibid., p. 162, 164, 332, 370.

[109] GRISAR, Hist. de Rome..., t. I, p. 332. Voir l'épitaphe de saint Léon le Grand dans ROSSI, Inscr. crist., t. II, première partie, p. 56, 98, etc. ; DUCHESNE, Liber pontificalis, t. I, p. 379.

[110] GRISAR, Hist. de Rome..., t. I, p. 347. Cf. ibid., p. 343, 345 et s., t. II, p. 114.

[111] GRISAR, Hist. de Rome..., t. I, p. 348. Cf. Liber pontificalis, t. I, p. 242-248.

[112] MANSI, VII, 933 ; JAFFÉ, n. 554.

[113] MANSI, VII, 934 et s. ; JAFFÉ, n. 556.

[114] MANSI, VII, 936, 951 ; JAFFÉ, n. 557.

[115] MANSI, VII, 959-964. Dans cette même année 465, un concile se tint à Vannes en Bretagne, et régla ou rappela, en 16 canons, un certain nombre de points de discipline relatifs à la vie des clercs, des moines et des fidèles. Voir HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. II, p. 904-905.

[116] Liber pontificalis, t. I, p. 247, note 13.

[117] GRISAR, Hist. de Rome..., t. I, p. 68, 161, 164, 336, 344, 400, 403.

[118] Liber pontificalis, t. I, p. 250-251, note 5. Cf. Acta sanctorum, juin, t. VII, p. 49, n. 134.

[119] JAFFÉ, n. 664.