HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

TROISIÈME PARTIE. — L'Eglise s'affranchit de l'empire

CHAPITRE PREMIER. — DE LA MORT DE THÉODOSE LE GRAND A L'AVÈNEMENT DE VALENTINIEN. - SAINT JEAN CHRYSOSTOME ET SAINT AUGUSTIN. (395-425).

 

 

I

Le partage du monde romain, effectué par Théodose entre ses deux jeunes fils, Arcadius et Honorius, fut, pour l'empire d'Orient comme pour celui d'Occident, le point de départ d'une décadence rapide et définitive. Arcadius, à qui échut le gouvernement de l'Orient, achevait à peine sa dix-huitième année. Honorius, qui dut  prendre le gouvernement de l'Occident, n'avait pas même onze ans. Arcadius, faible de caractère, fut successivement dominé, pendant les treize années de son règne, par le Gascon Rufin, par l'eunuque Eutrope, par le général goth Gaïmas, et par l'impératrice Eudoxie, qui ne travaillèrent qu'à satisfaire leurs ambitions, leurs intérêts ou leurs rancunes. Son fils et successeur Théodose II, sincèrement pieux, n'eut que des qualités d'homme privé, et resta inférieur à sa tâche. Le jeune Honorius ne parut jamais sortir de l'enfance pendant les dix-huit années de son règne. Il eut pour tuteur le général vandale Stilicon, qui, habile homme de guerre, réussit à contenir quelque temps les barbares, mais qui, soupçonné bientôt de trahir la cause de Rome et condamné à mort pour ce fait, laissa l'empire sans défense contre les ennemis du dehors[1].

Jamais cependant les deux empires n'eussent eu plus besoin de princes actifs et guerriers. L'empereur Théodose avait à peine fermé les yeux que les barbares franchissaient les frontières. Arcadius assista impuissant aux ravages des plus belles provinces de l'Orient par les Goths. Ceux-ci, conduits ensuite en Occident par leur chef Marie, prirent Rome d'assaut et la saccagèrent. Alaric était, comme Stilicon, un de ces auxiliaires barbares, qui, passés au service de l'empire, se montraient souvent plus habiles à la guerre que les généraux romains. Ils remplissaient les légions. Ceux qui ne se retournaient pas, comme Alaric, contre leurs maîtres, devenaient, comme Rufin et Stilicon, leurs impérieux tuteurs, et le résultat était le même.

La décadence des deux empires eût pu être, sinon arrêtée, du moins ralentie, si l'état désastreux des finances publiques ne s'était ajouté à la désorganisation des armées, ou si le vieux patriotisme avait été capable de se réveiller dans les masses. Mais le fisc était ruiné. Les impôts, avancés par des décurions, qui se les faisaient ensuite rembourser à leurs risques et périls par les contribuables, pesaient lourdement sur le peuple sans enrichir l'Etat. Toute la classe libre, qui formait jadis comme le cœur du peuple romain, n'existait presque plus dans les campagnes. Un grand nombre de petits propriétaires, ruinés par mille charges, avaient été réduits à cultiver les terres des grands à titre de colons, et peu à peu étaient tombés dans un état voisin de la servitude[2]. Le nom de citoyen romain, dira Salvien, ce nom autrefois si estimé, ce nom payé si cher, on le fuit aujourd'hui, on le répudie ; il est presque infâme[3]. Plus d'une fois, on vit les barbares pénétrer dans des villes populeuses sans y rencontrer de résistances ; les habitants se trouvaient dans un tel état de découragement, qu'ils ne songeaient même plus à se défendre[4]. Il y eut plus. On vit des Romains et des Grecs chercher un asile chez les barbares, aimant mieux vivre libres chez ceux-ci que de subir l'oppression des fonctionnaires impériaux[5].

Il était utile de donner cet aperçu de la situation politique et sociale des deux empires pour mieux comprendre l'importance et les difficultés de la mission que l'Eglise eut à y remplir au lendemain de la mort de Théodose.

Le siège de Rome était toujours occupé, à l'avènement d'Arcadius et d'Honorius, par le pape Sirice. On ne connaît aucun document de ce pontife qui le montre intervenant dans les grands événements politiques qui s'accomplissent. Les quelques lettres que nous avons de lui nous le font voir toujours préoccupé, comme dès le début de son pontificat, du maintien de l'ordre dans les moindres détails de l'administration des sacrements et de la vie du clergé[6]. A sa mort, qui survint le 26 novembre 398, le peuple et le clergé de Rome lui donnèrent pour successeur le romain ANASTASE, qui siégea, sous le nom d'Anastase Ier, trois ans et dix jours. Le Liber pontificalis nous apprend de lui qu'il décréta que, durant la récitation de l'Evangile, les prêtres se tiendraient debout, la tête inclinée, qu'il adressa une constitution à l'Eglise, qu'il érigea à Rome la basilique Crescentienne sur la voie Mamertine, et que, mis en éveil par le grand nombre de manichéens qui affluaient à Rome, il décida qu'on n'admettrait plus aucun prêtre à la communion ecclésiastique s'il ne présentait une lettre de recommandation signée par cinq évêques. La constitution dont parle le Liber pontificalis est inconnue ; la basilique dont il est fait mention est sans doute celle dont quelques restes ont été découverts dans la via di Marforio, en allant du Forum à la place de Venise ; et les lettres testimoniales dont il est parlé ont bien trait, quoi qu'en disent certaines éditions du Liber pontificalis, à la communion ou communication ecclésiastique, et non à l'ordination[7]. Les lettres du pape Anastase nous le montrent correspondant avec l'Orient et l'Occident, réglant des cas de discipline relatifs aux oblations faites aux évêques, intervenant avec autorité dans les querelles origéniste et donatiste[8]. Le successeur d'Anastase, INNOCENT Ier, né à Albano, put, au cours d'un pontificat de quinze années, intervenir plus efficacement encore dans les grands événements de l'Eglise universelle. Nous le verrons interposer son autorité souveraine dans la controverse pélagienne. En dehors de cette intervention, la notice officielle de ce pontife mentionne les constitutions qu'il adressa à l'Eglise universelle sur les règles monastiques et sur la conduite à tenir à l'égard des Juifs et des païens. Nous verrons son zèle contre les communautés hérétiques de Rome[9]. Plusieurs décrétales de ce pape sont parvenues jusqu'à nous. Les plus importantes, au point de vue de la discipline générale, sont adressées à Victrice de Rouen[10], à Exupère de Toulouse[11], aux évêques de l'Illyricum[12], à Decentius d'Eugubium[13], à Félix de Nuceria[14]. Du pape ZOSIME, prêtre grec, qui succéda à Innocent Ier et régna un an, trois mois et onze jours, nous possédons la fameuse Tractoria contre Pélage, dont il sera question plus loin, et un important règlement disciplinaire relatif aux ordinations[15]. A sa mort, un schisme, dont nous ne savons pas bien les causes, mais qu'on peut attribuer avec vraisemblance à l'ingérence abusive du pouvoir civil dans les élections ecclésiastiques, éclata tout à coup. Nous en connaissons les détails par des pièces officielles découvertes et publiées par Baronius[16]. Le vendredi 17 décembre 418, au retour des obsèques du pontife romain, une foule tumultueuse, conduite par l'archidiacre Eulalius et par quelques membres du clergé, envahit tout à coup la basilique du Latran, en chassa les prêtres qui s'y étaient rassemblés pour procéder à l'élection suivant les formes accoutumées, et conféra le titre d'évêque de Rome à Eulalius lui-même. Mais le clergé expulsé se réunit aussitôt dans une autre église, où il conféra l'autorité suprême à un vieillard vénéré de tous, le prêtre romain BONIFACE. Eulalius avait pour lui le préfet de Rome, Symmaque, qui s'était fait fort de lui gagner l'appui de l'empereur. Mais les électeurs de Boniface plaidèrent énergiquement leur cause auprès d'Honorius, qui, après enquête, se prononça contre Eulalius. L'audacieux antipape, entouré de ses partisans, s'était barricadé dans la basilique du Latran. Il fallut recourir à la force armée pour l'en déloger. Deux jours après, le 10 avril 419, le pape légitime fut solennellement installé sur le siège pontifical au milieu des applaudissements unanimes. L'année d'après, Boniface étant tombé gravement malade, quelques meneurs essayèrent de provoquer une nouvelle émeute, mais une intervention opportune de l'empereur l'empêcha d'éclater. Une inscription que Boniface fit placer dans un oratoire dédié à sainte Félicité indique qu'il attribuait à cette glorieuse martyre le succès de sa cause :

Si titulum quæris, meritum de nomine signat ;

Ne opprimerer dux fuit ista mihi.

On a, de Boniface, des lettres adressées aux évêques des Gaules, desquelles il ressort qu'il exerçait sur l'épiscopat du monde entier une souveraine suprématie[17]. On le voit aussi intervenir avec autorité dans la querelle suscitée par Pélage[18].

Le pape CÉLESTIN, originaire de la Campanie, fut élu sans contestation aucune, au témoignage de saint Augustin[19], aussitôt après la mort de Boniface. Dès les premiers temps de son pontificat, il eut à intervenir dans une affaire épineuse intéressant l'autorité du Siège romain et que de regrettables malentendus avaient rendue fort embrouillée. Un prêtre africain, Apiarius, excommunié par son évêque, avait, au temps du pape Zosime, interjeté appel à l'évêque de Rome. En avait-il le droit l Pour le pape et pour l'épiscopat d'Italie, de Gaule et d'Espagne, l'affirmative ne souffrait pas de difficultés. Les canons de Sardique, qu'on avait joints, comme nous l'avons vu plus haut, aux canons de Nicée, et qui passaient même pour en faire partie intégrante, étaient formels sur le droit d'appel au pontife romain. Mais quand celui-ci invoquait les canons de Nicée, les Africains, qui ignoraient les canons de Sardique, protestaient, au nom même de l'assemblée de Nicée. Célestin, reprenant la procédure de Zosime, évoqua à son tour la cause d'Apiarius. Mais ce prêtre était vraiment coupable. Un concile de Carthage, tenu en 424, lé convainquit de ses torts. Nous n'avons pas la réponse que dut faire Célestin à la notification qu'il reçut du concile de Carthage. Sans nul doute, l'appel adressé au pape par Apiarius ne profita pas à l'appelant, coupable, non de s'être adressé au pontife suprême, mais de l'avoir fait pour la défense d'une cause mauvaise.

Tels furent les pontifes qui se succédèrent sur le siège de Rome, de la mort de Théodose à l'avènement de Valentinien III. Pendant ce temps, Augustin, luttant contre Pélage, jetait sur les problèmes les plus ardus de la théologie les clartés les plus vives qui eussent brillé dans le monde depuis saint Paul, et Chrysostome, à l'apogée de sa renommée, emplissait l'Orient du bruit de son éloquence. Ni Sirice, ni Anastase, ni Innocent, ni Zosime, ni Boniface, ni Célestin, ne pouvaient prétendre au génie de Chrysostome ou d'Augustin. Cependant, toutes les fois que le besoin de dirimer une controverse, de mettre fin à un conflit se fit sentir dans l'Eglise, ce ne fut point vers Chrysostome ou vers Augustin, ce fut vers les pontifes de Rome que les princes et les peuples se tournèrent ; c'est leur suprême autorité qu'aux heures du péril invoqua Chrysostome ; et c'est devant leurs décisions doctrinales que le génie d'Augustin s'inclina.

 

II

L'état de désordre qui suivit la mort de Théodose avait favorisé bien des troubles. Dans l'Eglise, trois grandes querelles dominèrent bientôt le bruit de toutes les autres ; la querelle origéniste, où se trouvèrent successivement engagés saint Jérôme et saint Chrysostome, et les querelles donatiste et pélagienne, où se déploya surtout l'activité de saint Augustin.

Parmi les amitiés que Jérôme avait contractées après son renoncement au monde, il n'en était pas de plus ardente ni de plus pure que celle qui le liait à un jeune prêtre d'Aquilée, Rufin. Malade au désert de Chalcis, il lui écrivait : Oh ! si le Seigneur Jésus-Christ m'accordait d'être soudain transporté près de toi, comme Philippe le fut auprès du ministre de Candace, comme Habacuc le fut auprès de Daniel, avec quelle ardeur je te presserais dans mes bras[20]. Un amour commun de la solitude et des sciences sacrées avait rapproché ces deux âmes. Avec une même ardeur, ils s'étaient plongés dans l'étude des écrits d'Origène, comme dans une source où l'esprit et le cœur trouvaient également à se satisfaire. Origène, écrivait alors Jérôme, n'est-il pas le maître des Eglises, après les apôtres ?[21] Mais l'enthousiasme de Jérôme pour le docteur alexandrin s'était plus tard refroidi Son esprit net et positif avait été choqué par la singularité de certaines des idées d'Origène, par exemple par son opinion sur la préexistence des âmes et autres questions témérairement soulevées par lui[22]. Il semble, du reste, que c'eût été dans la destinée de ce grand homme, qui fut doux et pacifique pendant sa vie, de diviser, après sa mort, ceux qui recouraient à son œuvre immense. Dans la pensée complexe, profonde, hardie de ce puissant esprit, chacun choisissait d'instinct ce qui convenait à son tempérament moral ou dogmatique. Tandis qu'Epiphane de Salamine et Eustathe d'Antioche le réprouvaient comme un fauteur d'hérésie, Grégoire le Thaumaturge et Grégoire de Nysse le glorifiaient comme un maître. Or, des différences profondes de caractère, inaperçues dans le premier élan d'une amitié de jeunesse, mais que le temps et les circonstances ne devaient que trop révéler, séparaient Jérôme et Rufin : le premier, nature ardente, sincère, spontanée, véhémente jusqu'à la rudesse ; le second, esprit distingué, mais personnel, un peu étroit, extrêmement sensible à l'injure, et toujours prêt à y répondre par une ironie froide ou par une habile sophistique ; le premier plus violent, le second plus amer.

Tous deux libres des entraves du monde, se nourrissant tous deux des saintes Ecritures, Rufin et Jérôme habitaient alors cette Palestine, où le Sauveur avait laissé, avec la trace de ses pas, l'écho de ses paroles pacifiques. Dès le début, plus d'un dissentiment de détail dut se manifester entre les deux amis. Une piété profonde et sincère de part et d'autre effaçait tout. Mais, à partir de 394, divers événements successifs déterminèrent et accentuèrent entre ces deux ardents défenseurs de l'Eglise la plus douloureuse des ruptures.

Le premier de ces événements fut l'arrivée en Orient d'un moine obscur, nommé Aterbius[23], qui semble avoir partagé les erreurs anthropomorphites répandues dans quelques monastères de cette époque[24]. Attribuant à Dieu une forme humaine, les anthropomorphites abhorraient par-dessus tout l'origénisme, dont l'exégèse spiritualisait à l'excès le sens des Ecritures. Apprenant qu'Origène est étudié dans les monastères palestiniens, Aterbius s'indigne, proteste, dénonce à l'évêque de Jérusalem les deux chefs du cénobitisme en Palestine, Jérôme et Rufin. Rufin et le jeune évêque Jean de Jérusalem, sur qui Rufin a déjà acquis une grande influence, dédaignent de relever la dénonciation d'un moine sans mandat. Mais Jérôme, qui n'est pas l'homme des- froids calculs, bondit sous la calomnie, et repousse l'accusation avec force pour ce qui le concerne. C'était au moins un acte impolitique. Rufin y voit un lâche abandon, et communique son impression à l'évêque.

Sur ces entrefaites, Epiphane vient à Jérusalem. Toujours aux aguets dans son île de Chypre, au premier bruit d'un mouvement origéniste en Palestine, il a voulu se rendre compte par lui-même de ce qu'il considère pour l'Eglise comme le suprême danger. L'origénisme, pour lui, c'est la fantaisie dans l'exégèse, ce sont les dogmes capitaux de l'origine de l'homme et de la vie future ébranlés ou battus en brèche. Aux fêtes de Pâques, le vieil athlète, qu'une auréole de sainteté environne, fait son entrée dans la Ville sainte, au milieu d'une population qui se presse autour de lui, se disputant sa bénédiction, déchirant ses vêtements pour en faire des reliques. L'évêque de Jérusalem l'invite à parler au peuple réuni dans l'église d'Anastasis. Epiphane y prend la parole, mais c'est pour s'élever contre ceux qui faussent les Ecritures et altèrent le dogme, contre les disciples d'Origène en un mot. Le soir du même jour, Jean monte en chaire et stigmatise à son tour ceux qui, croyant sans doute mieux préciser l'idée de Dieu, ne le représentent qu'avec des yeux, des oreilles et des bras. Ni Rufin ni Jérôme ne sont en cause pour le moment ; mais, au fond, ce sont leurs doctrines, ce sont leurs communautés monastiques qui sont visées.

L'opposition se précise quand l'évêque de Salamine, prenant congé de son collègue de Jérusalem, se rend à Bethléem, auprès de Jérôme, à qui le lient d'anciennes relations. La scission éclate, lorsque, rentré dans son monastère du Vieil Ad, Epiphane écrit à Jean pour lui demander la condamnation des théories d'Origène, à Jérôme et à ses moines pour les mettre en garde contre les sympathies origénistes de leur évêque Jean.

Jérôme hésite à rompre avec son propre évêque, négocie avec l'évêque de Salamine ; mais celui-ci, recevant un jour dans son monastère du Vieil Ad, aux environs d'Eleuthéropolis, le frère de Jérôme, Paulinien, envoyé comme négociateur, tranche tout, en ordonnant presque de force Paulinien. Celui-ci, une fois prêtre, pourra procurer aux moines de Bethléem tous les secours religieux qu'on était obligé de demander au clergé de Jérusalem, car une terreur sainte écarte toujours des fonctions sacrées Jérôme et son ami le prêtre Vincent. Epiphane pense n'avoir nullement empiété sur les droits de l'évêque de Jérusalem en faisant une ordination sacerdotale dans un monastère sur lequel Jean ne peut prétendre aucun droit. Mais tel n'est pas l'avis de Jean, qui fait défense aux prêtres de Bethléem de laisser entrer dans l'église de la Nativité ou dans la Grotte quiconque considérera Paulinien comme prêtre. Le conflit de doctrine est devenu un conflit de juridiction. Jérôme se rassure en pensant qu'il reste en communion avec Gélase de Césarée, métropolitain de la Palestine[25]. Paula et ses monastères le suivent dans sa ligne de conduite. Mais Mélanie, gagnée par Rufin, se rallie à l'évêque de Jérusalem. Cet abandon est très sensible au cœur de Jérôme, qui ne peut retenir cette exclamation : Mélanie, la noire ![26]

L'autorité civile ne s'était pas encore occupée de l'affaire. A la demande de Jean de Jérusalem, le préfet du prétoire, qui porte aussi le nom de Rufin, et à qui les moines de Bethléem ont été représentés comme des schismatiques, intervient, lance un décret de bannissement contre Jérôme. La sentence ne peut sortir son effet par suite de l'invasion des Huns, puis de la chute du préfet ; mais la mesure n'a fait qu'aigrir les esprits. Quoi ! s'écrie Jérôme, un évêque qui a été moine fait frapper d'exil des moines ! Il ne sait donc pas que cette race-là n'a pas coutume de céder à la peur ? Qu'avait-il besoin, d'ailleurs, de mettre en mouvement l'autorité publique, de faire la dépense d'un décret ? Il n'avait qu'à nous toucher du bout du doigt. Nous serions partis. Il n'est pas d'exil pour le moine. Le ciel est sa patrie. Le monde entier est pour lui un exil ; mais il n'est prisonnier nulle part[27].

Ce que Jérôme accepte et demande, c'est un arbitrage de l'autorité ecclésiastique, un recours au métropolitain de Césarée, de qui dépend la Palestine, ou encore à celui d'Antioche, de qui dépend, d'après le concile de Nicée, tout l'Orient [28]. Mais Jean et Rufin préfèrent s'adresser à l'évêque d'Alexandrie, Théophile. Il est leur ami à tous deux. Chef de l'Eglise dont Origène demeure la gloire, il n'osera pas renier le grand Alexandrin. Rien ne faisait alors prévoir que Théophile un jour poursuivrait au contraire, comme suspect d'origénisme, les moines vénérables connus sous le nom de Grands Frères et leur protecteur Chrysostome. Pour l'heure, le patriarche et le prêtre Isidore, son envoyé spécial, se montrent d'abord hostiles à Jérôme, qu'ils traitent comme révolté contre son évêque ; mais l'intrépide solitaire se défend, invoque l'autorité d'Epiphane, l'erreur, selon lui manifeste, de l'origénisme professé par l'évêque de Jérusalem, son désir d'accepter la juridiction du métropolitain de Césarée, de celui d'Antioche, de l'évêque de Rome. Epiphane vient, en effet, de porter la cause au pape Sirice. Finalement, Mélanie intervenant auprès de Rufin, Paula auprès de Jérôme, une réconciliation a lieu entre les deux vénérables prêtres. Le jour de Pâques de l'an 397, on les voit se tendre la main à l'autel, dans l'église du Sépulcre, en présence de l'évêque de Jérusalem, qui lève les défenses dont il a frappé les moines de Bethléem. La paix semble faite pour toujours. Elle sera courte, hélas ! Entre Jérôme et Rufin, le conflit va renaître, plus ardent, plus obstiné que jamais.

 

III

Au plus fort de la lutte qui l'avait mis en opposition avec son évêque et avec son ancien ami, Jérôme avait été frappé dans une de ses affections les plus chères. Un des plus intimes amis de Jérôme, un de ceux que nous avons vu l'accompagner dans ses premiers voyages, Héliodore, avait un neveu, Népotien, doué des plus rares vertus. Engagé d'abord au service de l'empereur, Népotien avait donné à la cour de Théodose les exemples que plus tard François de Borgia et Louis de Gonzague devaient donner à la cour de Charles-Quint et à celle de Philippe V ; puis, renonçant au monde qui ne l'avait jamais déçu, il se consacra au ministère de l'autel. Jérôme, à cette occasion, lui écrivit une lettre célèbre, où sont énumérés les sévères devoirs de la vie sacerdotale. Là, entre autres, se lit cette leçon qui s'adresse à tous les prédicateurs, et que Fénelon a insérée dans le troisième de ses Dialogues sur l'éloquence : Quand vous enseignerez dans l'église, n'excitez point les applaudissements, mais les gémissements du peuple. Que les larmes de vos auditeurs soient vos louanges. Ne soyez pas un déclamateur, mais un vrai docteur des mystères de votre Dieu[29]. Cette lettre est de 394. Quelques années après, en 396, la mort frappait le jeune homme qu'Héliodore s'était en vain promis comme successeur sur son siège épiscopal d'Attino. Jérôme, dans une lettre éloquente, pleura l'ami qui s'en allait, et s'efforça de consoler celui qui restait. Il y dépeint la mort sereine du jeune prêtre : Son visage était joyeux. Au milieu des assistants en larmes, seul il souriait. Vous eussiez cru, non qu'il mourait, mais qu'il partait pour un voyage ; qu'il ne quittait pas ses amis, qu'il allait en trouver d’autres[30]. Cet éloge funèbre, prélude de tant de chefs-d'œuvre de l'éloquence chrétienne, contient la poignante peinture des maux qui ravageaient alors le monde[31]. Il y dépeint la terrible invasion des Huns, et ajoute tristement : Il y avait alors parmi nous des dissensions, et le bruit de nos querelles domestiques dominait celui des armées barbares. L'éloge funèbre de Népotien s'achève par un retour mélancolique sur la fragilité des choses humaines : Revenons à nous-mêmes. Chaque jour nous changeons. Chaque jour nous mourons. Ce que je dicte, ce que j'écris, est retranché de ma vie... La charité seule n'a point de fin. Par elle, Népotien absent est avec nous ; à travers les espaces qui nous séparent, ses mains nous étreignent encore[32].

Au moment où Jérôme écrivait ces pages touchantes, la querelle origéniste était sur le point de se ranimer.

Après la réconciliation du jour de Pâques 397, Rufin était parti pour Rome. Il y avait été aussitôt mis en rapport avec un certain Macaire, homme distingué par sa foi, sa noblesse et sa vie. Macaire avait entrepris de venger le dogme de la Providence divine contre les attaques du fatalisme païen, et cherchait un savant qui lui fournirait les documents philosophiques et scripturaires dont il avait besoin pour sa thèse. Rufin lui parut l'homme attendu. Le prêtre d'Aquilée était assurément un des esprits les plus érudits de son siècle. Macaire ne savait pas le grec. Rufin traduisit à son intention, d'abord l'Apologie d'Origène par le saint martyr Pamphile, puis le grand traité philosophique de l'illustre docteur d'Alexandrie, le fameux Peri Archon, d'où il retrancha toutes les propositions contraires aux décisions de Nicée, et, dans sa préface, il déclara s'autoriser, pour agir ainsi, de l'exemple d'un plus grand que lui qui avait ainsi traité les Homélies d'Origène. Sous ces périphrases, chacun reconnut Jérôme. Par ce coup hardi, Rufin tentait à la fois de réhabiliter son auteur favori et de compromettre son contradicteur de la veille. Le procédé était au moins indiscret[33]. Jérôme ne renia pas son œuvre ancienne. Il avait, pour faire profiter les fidèles des hautes leçons d'Origène, expurgé les Homélies du grand docteur, Mais la situation était aujourd'hui tout autre. Des hérétiques s'autorisaient du savant Alexandrin pour propager des idées ruineuses de la religion chrétienne. Etait-ce le moment de le glorifier en le présentant comme une lumière à suivre ? D'autant plus qu'en retranchant de son œuvre les seules propositions contraires aux décrets de Nicée, Rufin semblait prendre pour son compte une foule d'autres propositions dangereuses. Certes, la grandeur de l'homme n'est pas en cause, déclarait Jérôme[34]. Origène fut grand dès l'enfance. Il fut le digne fils d'un martyr. Il foula aux pieds l'avarice. Il eut la volupté en horreur. Il consuma dans l'étude des saints Livres ses jours et ses nuits. Mais est-ce une raison pour suivre dans ses erreurs (inévitables dans une œuvre immense) celui dont nous ne pouvons imiter les vertus ? Jérôme ne crut mieux répondre au travail de Rufin qu'en traduisant à son tour intégralement le livre des Principes. Mieux valait, après tout, disait-il, mettre résolument à nu les erreurs et les témérités du docteur d'Alexandrie. Il fit plus. L'évêque Théophile, sous diverses influences qui n'étaient pas toutes dignes d'approbation, s'était vivement retourné contre l'origénisme. Jérôme s'associa à sa campagne en traduisant ses lettres synodales, peut-être même un odieux pamphlet, dont la composition est attribuée par un auteur du VIe siècle[35] au patriarche d'Alexandrie. C'est plus que nous ne voudrions pour son honneur, a écrit Tillemont[36].

Rufin lui répondit par la publication de son Apologie[37], où il accusait le prêtre de Bethléem, non seulement de se contredire, mais d'être, au fond, un incorrigible détracteur : détracteur de saint Ambroise, détracteur de Rome, détracteur du peuple chrétien, détracteur de tout. Enfin il lui reprochait, à lui, le prétendu défenseur de l'austérité, à lui, qui avait juré autrefois de ne plus rouvrir de livres profanes, d'étudier Virgile et Cicéron dans sa solitude, de les expliquer à ses compagnons, de faire pénétrer ainsi les idées du vieux paganisme dans l'âme pure des enfants qu'on lui avait confiés pour les élever dans la crainte de Dieu.

L'apologie était habile. Que Jérôme eût changé d'idées à propos d'Origène ; que, plus d'une fois, l'invective eût été trop prompte à sortir de sa plume ; qu'elle n'eût épargné ni les mœurs du peuple chrétien, ni la ville de Rome, ni tels et tels membres du clergé catholique ; qu'il eût enfin relu les auteurs classiques de la Grèce et de Rome dans sa cellule de moine : c'étaient des faits indiscutables. Jérôme aurait pu simplement les reconnaître, les expliquer, et montrer comment ils né conduisaient pas aux abominables conséquences que Rufin prétendait en induire. A un pamphlet, il préféra répondre par un pamphlet. Littérairement, la réplique de Jérôme, publiée sous le titre d'Apologia, est un chef-d'œuvre. L'apologie de Rufin, dit Amédée Thierry, porte la trace d'un grand talent ; celle de Jérôme, du génie[38]. Mais on peut trouver que les personnalités y sont trop fréquentes, le ton trop acerbe. A la fin de son pamphlet, Rufin avait dit : Je souhaite que tu aimes la paix. Jérôme terminait le sien en disant : Si tu tiens à la paix, dépose les armes ; je serai sensible à la douceur, mais je ne crains pas les menaces.

Une si véhémente polémique devenait un scandale pour l'Eglise. Augustin, qui en recevait les échos à Hippone, en gémissait[39]. Dès le début, nous l'avons vu, Epiphane s'était adressé au pape Sirice. Mais une grande prudence était commandée à la papauté dans cette affaire, où des questions de personnes se mêlaient aux questions dogmatiques. Condamner l'origénisme, c'était lâcher la bride à l'audace de Théophile, dont la campagne anti-origéniste était moins dominée par une conviction raisonnée que par des vues et des passions humaines. Ne le vit-on pas un jour porter la main sur un vénérable moine, Ammonius, coupable d'avoir donné l'hospitalité à un prêtre proscrit ? Ceci se passait en 399. La même année, le pape Sirice mourut sans s'être officiellement prononcé sur la controverse. Son successeur, Anastase, se déclara nettement, l'année suivante, contre Origène, ses livres et son traducteur[40]. Des démarches furent faites ensuite pour obtenir la sanction impériale du décret pontifical. L'œuvre d'Origène fut proscrite de l'empire, au même titre que celles de Porphyre et d'Arius[41].

Jérôme reprit, dans sa solitude de Bethléem, ses travaux scripturaires. Rufin, chassé de l'Italie par une invasion de barbares, se retira dans un coin de la Sicile, où il traduisit en latin l'Histoire d'Eusèbe, les Récognitions clémentines, l'histoire des moines d'Egypte et nombre d'homélies des Pères grecs. Il mourut vers 410. L'amitié que lui conserva toujours saint Paulin de Nole rend hommage à la sincérité de sa foi. L'histoire peut le qualifier d'imprudent et de téméraire ; elle n'a pas le droit de le traiter d'hérétique[42].

 

IV

L'orage était à peine apaisé du côté de Jérusalem, qu'une tempête se levait du côté de Constantinople.

La condamnation de l'origénisme par le pape et par l'empereur en 400 avait, comme il était facile de le prévoir, énormément grandi la puissance de Théophile, le patriarche d'Alexandrie. Il sentait maintenant toute l'Egypte derrière lui, toute l'influence du clergé, tout le zèle des moines[43]. Un certain nombre de religieux avaient refusé de lui remettre les livres d'Origène qu'ils possédaient, alléguant qu'ils étaient bien capables de discerner par eux-mêmes le vrai du faux ; il exerça sur eux une vraie persécution. Sa vengeance atteignit particulièrement quatre frères, de haute stature, connus sous le nom de Grands Frères : Dioscore, Ammonius, Eusèbe et Euthyme. Finalement la plupart des opposants se soumirent, moyennant des compromis plus ou moins vagues avec le terrible patriarche. Mais les quatre Grands Frères, irréductibles, et décidés à réclamer jusqu'au bout, non point seulement la paix, mais la justice, s'embarquèrent, avec une cinquantaine de moines, et se réfugièrent à Constantinople[44].

Le siège de Constantinople était occupé, depuis 398, par Jean Chrysostome. Son élection avait déjà mécontenté le patriarche d'Alexandrie, qui comptait faire monter sur le siège patriarcal une de ses créatures. L'influence que Jean ne tarda pas à conquérir par son zèle et par son éloquence ne fit qu'exciter le ressentiment de son ambitieux rival. On vit bientôt, en effet, le nouveau patriarche exercer, non seulement sur la communauté des fidèles, Irais même sur les groupes d'ariens, de novatiens, de juifs, de barbares, qui résidaient dans la capitale, un ascendant grandissant[45]. Un jour, le ministre Eutrope, proscrit par l'empereur et poursuivi par la foule, ne trouva son salut qu'en se réfugiant à l'abri de la chaire de Chrysostome, à Sainte-Sophie, où l'éloquence du grand évêque fut seule capable de l'arracher à la vengeance du peuple[46].

Ces succès mêmes avaient excité contre le courageux prélat da hautes inimitiés, entre autres celle de l'impératrice Eudoxie. L'impérieuse souveraine s'irritait de voir Chrysostome mettre obstacle aux exactions qu'elle essayait de commettre, soit à son propre bénéfice, soit à celui de ses créatures. L'arrivée des Grands Frères et de leurs compagnons allait compliquer la situation et lui donner bientôt un caractère tragique.

Chrysostome, comme tant de grands chrétiens de son temps, comme saint Basile, comme saint Grégoire de Nazianze, sans partager les doctrines particulières d'Origène, en pratiquant même une méthode exégétique en contradiction avec la sienne, était de ceux qui l'admiraient. Il accueillit les Grands Frères, mais avec la prudence nécessaire, se refusant à la communion avant d'avoir pris à Alexandrie des informations précises. Il leur offrit seulement un asile dans les dépendances de l'église de la Résurrection. Il entama ensuite des négociations avec Théophile, dans l'espoir de l'amener à une réconciliation, mais échoua. Les Grands Frères eurent alors l'idée de s'adresser à l'impératrice ; ils lui remirent une supplique, et Eudoxie prit d'abord en main leur cause. Elle décida Arcadius à convoquer un synode qui devait se prononcer sur les accusations que Théophile avait fait formuler contre les origénistes par des moines qu'il avait délégués à cet effet[47].

Mais Théophile veillait. D'Alexandrie, il suivait activement les affaires de Constantinople et se préparait à intervenir au moment opportun. Au printemps de 403, accompagné d'un imposant cortège de prélats égyptiens, le patriarche débarque à Constantinople, et, sans faire visite à Chrysostome, se présente au palais impérial, où il réussit à se faire installer. Au bout de trois semaines, il a recueilli, dans le monde et à la cour, de la part des personnes qui se sont senties blessées par les remontrances de l'évêque, un ensemble de témoignages, de bruits plus ou moins avérés, de rapports plus ou moins authentiques, qui lui serviront à dresser un acte d'accusation en forme. Des prélats suffragants que leur métropolitain a mécontentés, deux diacres que Chrysostome a déposés, se rangent autour de Théophile. Bref, on apprend un jour qu'aux environs de Chalcédoine, dans une riche villa connue sous le nom de villa du Chêne, trente-six évêques se sont réunis en synode, sous la présidence du patriarche d'Alexandrie, avec l'agrément de l'empereur, pour juger Chrysostome. Le prétendu concile violait à la fois la légalité et l'équité : la légalité, parce que Théophile n'avait pas le droit d'intervenir en dehors de son ressort ; l'équité, parce qu'il faisait siéger parmi les juges de Chrysostome quatre évêques connus comme les ennemis personnels de l'accusé et ses principaux accusateurs. Le patriarche de Constantinople invoque ces deux motifs pour refuser de comparaître ; il empêche, d'autre part, quarante évêques, qui sont venus spontanément se grouper autour de lui, de tenir à leur tour un synode. Mais l'assemblée du Chêne passe outre, et, sur des griefs aussi nombreux que ridicules[48], Chrysostome est jugé par contumace. Il est déposé de son siège, et l'empereur est invité à prononcer contre lui une sentence d'exil. Trois jours après, l'évêque, averti qu'on va l'enlever de force pour le jeter dans un navire, se livre lui-même à l'officier impérial chargé de l'arrêter. Son exil ne devait pas être long. Dans la nuit même qui suivit, un violent tremblement de terre, qui se fit sentir à Constantinople, jeta la terreur dans les esprits. L'impératrice Eudoxie, effrayée de ce qu'elle regardait comme un mauvais présage, inquiète d'ailleurs des sentiments du peuple, qui regrettait son pasteur, pressa le retour de celui qu'elle avait contribué à faire bannir. Le patriarche fit dans sa ville une rentrée triomphale.

Ce n'était là que le premier acte du drame. La paix ne dura que deux mois. Pour consoler l'orgueil de l'impératrice, les courtisans, les dames du palais organisèrent, à l'automne de cette même année 403, une grande fête, dont la principale cérémonie fut l'inauguration, sur une grande place de la ville, de la statue d'Eudoxie. Dee danses et des chants célébrèrent cette sorte de consécration. Chrysostome blâma vivement cette fête. On l'accusa même d'avoir dit à cette occasion : Il reste encore quelque chose de la race de Jézabel. Hérodiade demande de nouveau la tête de Jean. C'est pour cette infamie qu'elle danse[49]. Ce fut l'occasion d'une nouvelle campagne que Théophile dirigea sans quitter Alexandrie. Il lui suffit d'indiquer à Eudoxie le prétexte canonique qu'elle pouvait invoquer pour sévir de nouveau contre le patriarche. On reprocha à Chrysostome d'avoir violé le 4e canon du concile d'Antioche (341)[50], qui défendait à un évêque déposé par un concile de reprendre ses fonctions. Aux approches de la fête de Pâques de l'année 404, l'empereur fit garder l'évêque dans son palais épiscopal. La veille de la fête, la troupe envahit l'église. La foule des fidèles, ayant voulu célébrer les offices dans un autre local, fut dispersée de force. Le sang coula. Peu après, Chrysostome, ayant reçu l'ordre de partir de nouveau pour l'exil, se remit encore une fois dans les mains de l'officier envoyé par Arcadius, et partit avec une forte escorte, ne sachant la résidence qui lui était assignée.

 

V

Cette mesure violente excita l'indignation du peuple. Les ennemis du prélat étaient tous parmi les grands et les riches. La foule était pour lui. Les plus courageux de ses partisans s'étaient groupés et organisés. On les appela les johannites. Eudoxie, prenant prétexte d'un incendie qui dévora en quelques heures l'église de Sainte-Sophie et le palais du Sénat, les fit poursuivre comme responsables de ce désastre, tenta de les terrifier par des répressions sanglantes. Ils résistèrent. L'impératrice fit élire, en remplacement de Chrysostome, un vieux prêtre, Arsace. Il ne gouverna l'Eglise que quelques mois. Après sa mort, arrivée le 11 novembre 405, on fit choix d'un certain Atticus. Les johannites ne reconnurent ni Arsace ni Atticus. Ils correspondaient avec l'exilé, qui se regardait toujours comme leur pasteur. Nous possédons encore environ deux cents lettres écrites par saint Jean Chrysostome pendant son second exil[51]. Rien n'est plus émouvant que cette correspondance. On ne concevrait pas la vie singulière de ce temps, a écrit Villemain, si on ne lisait les lettres que Chrysostome, déchu, pauvre, captif dans son désert, envoyait sur tous les points de la terre civilisée. Violent et faible, l'empire se dissolvait de toutes parts. Mais la société chrétienne, unie dans sa dispersion, ne relevant que d'elle-même, et plus forte que toutes les souffrances et que tous les schismes, s'animait du même zèle sur tous les points du monde. Les chrétientés de l'Orient et de l'Occident sentaient croître leur enthousiasme par les malheurs de l'éloquent pontife. Il surveillait encore les missions qu'aux jours de sa puissance il avait envoyées dans la Gothie orientale, l'Arabie et la Perse idolâtre ; et il soutenait par ses lettres le zèle des prêtres qui évangélisaient les barbares[52]. Rien, dans cette correspondance, ne révèle mieux la grande âme de Chrysostome que les dix-sept lettres écrites à une noble veuve, entrée dans l'ordre des diaconesses, Olympias. Le cœur du proscrit s'y épanche en toute liberté, et s'y révèle aussi tendre que courageux. Deux opuscules datent aussi de cet exil. L'un a pour titre : Que nul ne peut faire dommage à celui qui ne se nuit pas à lui-même. L'autre est adressé : A ceux qui se sont scandalisés des malheurs survenus.

Cependant le pape Innocent, mis au courant de la situation, d'un côté par Théophile, et de l'autre par des délégués de Chrysostome, cassait le jugement rendu par le conciliabule du Chêne contre l'évêque de Constantinople, écrivait à celui d'Alexandrie une lettre sévère[53], et finalement rompait la communion avec tous les adversaires de Chrysostome. Mais ni cette décision du pontife romain, ni la disparition d'Eudoxie, morte vers la fin de l'année 404, n'apportèrent un changement notable à la situation. Une rivalité aiguë divisait les deux empereurs. Les barbares menaçaient toujours les frontières. Chrysostome, conduit d'abord dans la ville de Cucuse, sur les frontières de la Cilicie, dans la petite Arménie, fut dirigé, à la fin de 4o7, sur la côte orientale de la mer Noire, vers la ville de Pityonte, où l'on pensait sans doute que, plus dépaysé, il perdrait quelque chose de son infatigable énergie. Les forces physiques du grand proscrit étaient épuisées. Il voyagea lentement. Le 13 septembre, passant la nuit dans le bourg de Comane, près duquel était enseveli le martyr Basilisque, il entendit en songe le saint lui dire ces mots : Console-toi, demain nous serons réunis. Le lendemain, après une marche d'un peu plus d'une heure, il tomba, accablé de fatigue. Sa fin approchait. Il se fit conduire dans la chapelle élevée sur le tombeau du martyr. Ses dernières paroles furent : Gloire à Dieu pour toutes choses[54].

 

VI

Dans le grand conflit qui avait agité l'Orient, et dont Chrysostome venait de mourir victime, la question dogmatique de l'origénisme avait peu à peu passé au dernier plan, puis avait tout à fait disparu mais en Occident le schisme donatiste était entré dans une nouvelle phase, et l'hérésie pélagienne venait de naître : celui-là troublant la société par ses émeutes, celle-ci s'insinuant dans les esprits par ses sophismes. L'un et l'autre se heurtèrent au génie d'Augustin ; et ce génie fut assez souple et assez puissant pour faire face à la fois aux attaques d'une violence brutale et aux subtilités d'une dialectique raffinée.

Vers 396[55], l'évêque d'Hippone, Valère, accablé par les fatigues et par l'âge, résolut de s'adjoindre un coadjuteur. Le primat d'Afrique, Aurèle, approuva son projet. Cette résolution une fois prise, le choix du nouvel évêque ne pouvait faire de doute. La voix unanime du clergé et des fidèles désignait Augustin. Prêtre depuis cinq ans[56], l'avait vu suppléer son vénérable évêque dans le ministère de la prédication, combattre les hérétiques, paraître avec autorité dans les conciles, publier sur les questions les plus épineuses et les plus actuelles des ouvrages qui faisaient jaillir des lumières nouvelles, et surtout mener dans son monastère, aux environs de la ville épiscopale, la vie du plus austère des anachorètes. Le primat de Numidie, Mégale, lui donna la consécration épiscopale. Peu de temps après, le vieil évêque d'Hippone mourait.

Augustin avait quarante-deux ans. Depuis sa conversion, des études patientes l'avaient initié aux mystères les plus profonds du dogme catholique ; l'expérience de la vie l'avait mûri ; un ascétisme assidûment pratiqué l'avait libéré de presque toutes les faiblesses du vieil homme ; son âme n'avait rien perdu des premières ardeurs de son prosélytisme ; et pourtant il n'abordait pas sans effroi la mission nouvelle qui lui incombait. La puissance des donatistes était formidable en Afrique. Leur insolence était sans bornes. La Numidie et une grande partie de l'Afrique étaient entre leurs mains. Ils avaient à Carthage un primat, rival du primat catholique. Peu de temps avant l'épiscopat d'Augustin, une seule secte des donatistes[57] avait pu envoyer au concile de Bagaï trois cent dix évêques. Un de ces évêques, le terrible Optat de Thimgad, figure anticipée du marabout musulman, parcourait la Numidie et la Proconsulaire à la tête de bandes armées, rebaptisant de force les catholiques. Dans Hippone, le clergé donatiste défendait aux boulangers de la secte de cuire le pain des catholiques ; et quand Augustin était en chaire, les clameurs qui partaient d'une chapelle donatiste troublaient ses sermons. Il n'était pas rare qu'en passant dans les rues, l'évêque entendît l'insulte d'un donatiste : A bas le traître ! A bas le persécuteur ! Plus d'une fois, quand il voulut réprimander un jeune homme irrespectueux envers son père ou sa mère, le jeune homme lui répondit : C'est bien, je me ferai donatiste. Et il allait aussitôt se faire rebaptiser par les prêtres de la secte, qui lui trouvaient une place dans leurs bandes de pillards.

Contre de tels excès, Augustin avait jusque-là pensé que la seule tactique était la pratique de la charité. Je sais par expérience, disait-il, combien il est facile de se tromper. Du haut de sa chaire, il s'écriait : Mes frères, la voix de votre évêque vous supplie, vous tous qui êtes dans cette église, de vous garder d'insulter ceux qui n'y sont pas, mais plutôt de prier pour qu'ils entrent dans votre communion. A Hippone, à Carthage, dans les conciles de 397, 401 et 403, il tâcha de faire prévaloir des procédés de douceur et de modération. Il voulait voir avant tout si la vérité chrétienne, clairement expliquée et sincèrement pratiquée, n'aurait pas pour résultat de dissiper les malentendus, de ramener à la religion catholique les égarés sincères. Il publia d'abord son Psalmus abecedarius, réfutation populaire, en bouts rimés, de l'erreur donatiste ; puis, en 400, ses trois livres de discussion pacifique : Contra epistolam Parmeniani, et ses sept livres, De baptismo contra donatistas. Les schismatiques refusaient de lui répondre. Il le leur reprocha chrétiennement dans ses trois livres Contra litteras Petiliani, parus de 400 à 402. Il obtint d'eux cependant deux controverses publiques, l'une orale, l'autre épistolaire, mais sans succès. Il en proposa vainement une troisième. Ses adversaires lui répondirent par des injures. Leurs violences redoublèrent. Pendant que l'évêque d'Hippone prêchait la paix, l'épiscopat donatiste prêchait la guerre. Un des plus fidèles d'Augustin, son futur biographe, Possidius, évêque de Guelma, traqué dans une maison par l'évêque donatiste Crispinus, y soutint un vrai siège, et faillit y périr. L'évêque de Bagaï, Maximien, fut poignardé dans sa basilique, laissé pour mort, et ne survécut que par miracle. Augustin lui-même faillit périr. Au cours d'une de ses tournées pastorales, une bande de donatistes s'était postée en embuscade le long de la route où il devait passer, pour l'assassiner. Par bonheur, il se trompa de chemin, et ne dut son salut qu'à cette erreur providentielle. Entre temps, les circoncellions, armés de leurs matraques, continuaient à piller et à incendier les fermes. Ils torturaient les propriétaires pour leur extorquer leur argent. Derrière eux, les prêtres donatistes envahissaient les terres et les églises des catholiques. Incontinent, ils rebaptisaient les colons. Ensuite, ils purifiaient les basiliques, lavaient le pavé à grande eau, et, après avoir démoli l'autel, passaient du sel sur l'emplacement. Les donatistes traitaient les catholiques comme des pestiférés.

De tels faits criaient vengeance. Augustin, qui jusque-là avait répugné à solliciter la vindicte des pouvoirs publics, dut céder aux circonstances et aussi à la pression de ses collègues. Des conciles réunis à Carthage demandèrent à l'empereur des mesures exceptionnelles contre les donatistes qui se riaient de toutes les lois portées contre les hérétiques ; quand on les citait devant les tribunaux, ils démontraient aux juges (lesquels étaient souvent des païens incompétents) qu'ils appartenaient en réalité à la seule Eglise orthodoxe. Il fallait en finir avec cette équivoque, aboutir une bonne fois à la condamnation catégorique du schisme[58].

Honorius, mis au courant de ce qui se passait en Afrique, eut d'abord quelques hésitations. Deux lois sévères furent portées en 409, puis abrogées au milieu de l'année suivante, puis de nouveau mises en vigueur[59]. Finalement, sur la demande des catholiques, désireux de tenter une dernière démarche de conciliation avant d'en venir aux mesures répressives, l'empereur donna pleins pouvoirs au tribun Marcellin de convoquer à une conférence commune catholiques et schismatiques[60].

La conférence eut lieu à Carthage en 411, sous la présidence de Marcellin. Saint Augustin précisa le point doctrinal du débat. Voulait-on reconnaître, oui ou non, que l'Eglise, telle qu'elle est sur la terre, peut compter des pécheurs dans son sein sans rien perdre de sa sainteté ? Qu'elle reste toujours une source efficace de sanctification, s'alimentant aux mérites de Jésus-Christ ? Voulait-on reconnaître, oui ou non, que les sacrements, dûment administrés au nom de l'Eglise, ont leur efficacité propre, indépendante de la sainteté du ministre qui les confère, parce qu'ils tiennent leur efficacité de Jésus-Christ ? Les donatistes, pressés par la dialectique d'Augustin, furent forcés d'avouer que telle était la vraie doctrine, et qu'eux-mêmes en avaient fait l'application dans leur conduite à l'égard des maximianistes. Dès lors, la question était jugée. Marcellin, au nom de l'empereur, donna raison aux catholiques en tous points[61]. La conséquence logique de cette décision était la confiscation, au profit des catholiques, de tous les édifices religieux occupés par les donatistes, et l'inculpation d'hérésie pour ces derniers susceptibles d'être condamnés, à ce titre, à la prison ou à l'exil. Mais les catholiques, par une offre généreuse, dont l'inspiration doit être attribuée à l'évêque d'Hippone, déclarèrent que tout donatiste converti conserverait son siège, que là où l'Eglise donatiste représenterait à elle seule tout ce qui restait de christianisme, elle ne serait pas inquiétée, et que là où deux évêques, l'un donatiste et l'autre catholique, resteraient en présence, le catholique admettrait le donatiste à partager avec lui les honneurs de l'épiscopat, à la condition qu'il ne réunirait plus d'assemblées schismatiques, qu'il réprimerait les agitations des circoncellions, en un mot, qu'il se conformerait aux lois sur l'hérésie.

De nombreuses conversions furent le fruit de la conférence de Carthage[62]. Mais la rage des sectaires obstinés ne fit que s'accroître. Dans le diocèse d'Hippone, ils tuèrent le prêtre Restitutus, arrachèrent un œil et coupèrent un doigt au prêtre Innocent[63]. Les mesures rigoureuses furent alors reprises. Une loi de 411 alla jusqu'à punir de mort ceux qui prendraient part à de nouveaux conventicules donatistes. Augustin protesta contre la rigueur des supplices infligés. Il supplia qu'on ne punît pas les coupables de la peine capitale, mais qu'on leur ôtât simplement le pouvoir de nuire en leur accordant le temps de faire pénitence[64]. Il reconnut cependant qu'une répression modérée avait été pour plusieurs un moyen de salut. L'expérience, dit-il, m'a fait constater qu'il a été utile à plusieurs d'être forcés par la crainte et même par quelques peines. C'est ce qui les a mis en état de s'instruire de la vérité[65]. Les chefs de la secte empêchaient en effet leurs adhérents, par tous les moyens, de lire les écrits des catholiques et leur imposaient d'autorité des calomnies abominables. La crainte des sanctions impériales contrebalança l'odieuse pression de ces mesures tyranniques. Les schismatiques trompés purent lire plus facilement désormais les nouveaux écrits que publia Augustin pour les éclairer, notamment son résumé populaire de la conférence de 411, sous le titre de Breviculus collationis cum donatistis, qu'il donna en 411, et son traité Contra Gaudentium, qu'il mit au jour en 420. L'année précédente, il avait tenu, avec Emérite, l'un des orateurs donatistes de Carthage, une conférence publique, dont le compte rendu nous a été conservé[66]. L'erreur donatiste disparaissait peu à peu. Mais, à cette époque, l'erreur de Pélage réclamait déjà l'activité d'Augustin.

 

VII

Parmi les hommes de race barbare qui se multipliaient à Rome dans les rangs de l'armée, de la magistrature, des administrations, du clergé catholique ou dissident, on remarquait, aux environs de 400, un moine de haute taille[67], de mœurs austères[68], grand directeur de conscience, dont la méthode consistait surtout, pour aider les pécheurs à sortir du vice et pour guider les bons dans le chemin de la perfection, à faire appel à la force invincible que nous donne le libre arbitre. Le cercle pieux dont ce moine était le centre l'appelait, du nom de son pays d'origine[69], le Breton, Brito, ou encore l'Homme des mers, le Marin, Pelagius, Pélage. De son vrai nom, il s'appelait Morgan. Tenait-il sa doctrine, comme l'affirme Marius Mercator[70], d'un certain Rufin, disciple de Théodore de Mopsueste ? On l'a beaucoup contesté[71]. Il paraît plus simple et plus vrai de considérer Pélage comme le représentant d'une tendance assez commune en Occident à son époque. L'esprit païen, dépouillé de ses croyances idolâtriques et de ses rites, se perpétuait sous des formes diverses, dont le manichéisme et le pélagianisme devaient être les aspects les plus significatifs. Ici, l'homme se représentait comme le jouet de deux forces inéluctables, auxquelles il n'avait qu'à s'abandonner pleinement sans encourir le poids d'aucune responsabilité ; là, il se donnait comme le maître souverain de sa destinée par le choix de sa volonté indépendante. Ici et là, c'était toujours l'orgueil. En vain la révélation chrétienne avait-elle montré dans l'homme une volonté libre et responsable, mais soumise à l'autorité suprême de Dieu, sans le secours de qui elle ne pouvait rien faire d'utile au salut ; les tendances païennes pénétraient dans l'Eglise elle-même, et se faisaient hérésies. L'erreur manichéenne, qui avait un moment séduit l'âme d'Augustin, avait rencontré en Occident des obstacles particuliers, Pélage se posa comme l'adversaire du déterminisme manichéen. Sa doctrine se présenta donc au monde romain comme une renaissance du stoïcisme. Elle trouva des complicités secrètes. On faisait profession de croire à la divinité du Christ, à l'Eglise, à l'ensemble des dogmes et des ri tes catholiques ; mais on gardait l'orgueil de faire son salut par soi-même[72].

Esprit vigoureux, prompt et délié[73], Pélage menait de front ses travaux de directeur de conscience et la composition de plusieurs ouvrages. Il publia successivement un traité sur la Trinité, un Liber capitulorum ou recueil de textes religieux, un commentaire sur les épîtres de saint Paul et peut-être un traité De induratione cordis Pharaonis, retrouvé au commencement du XXe siècle[74]. Mais ce n'est pas de lui que nous tenons l'exposé de la doctrine pélagienne. Il est possible qu'il n'en ait donné que l'inspiration générale. La propagation de l'erreur, et sans doute son exposition systématique, furent l'œuvre d'un ancien avocat, qui, aussitôt mis au courant des idées de Pélage, s'en fit le prosélyte infatigable. Il s'appelait Célestins. Il nous est représenté, par les contemporains, comme un homme ardent, aventureux, loquace[75], et, sinon menteur effronté, du moins fort libre avec la vérité[76].

Pour justifier la doctrine ascétique de son maître, Célestius supprimait hardiment deux dogmes traditionnels du catholicisme : le dogme du péché originel et le dogme de la grâce. Suivant lui, tout homme naissait avec l'intégrité de sa nature et de ses forces. Le premier homme n'avait péché que pour lui seul. Rien de sa faute ne passait à ses descendants, sinon son mauvais exemple, qu'on pouvait à la rigueur, si l'on y tenait, appeler le péché originel. Selon Pélage et Célestius, l'homme ainsi créé pouvait, par ses propres forces, sans le secours de la grâce divine, atteindre la vie surnaturelle, conquérir le royaume de Dieu ; à moins qu'on ne voulût appeler grâce l'ensemble des leçons et des exemples de Jésus-Christ, ou encore ce libre arbitre, cette spontanéité que Dieu a accordée à l'homme sans mérite antécédent de sa part. De ces deux principes, Célestins tirait résolument les conséquences suivantes : à savoir, que le baptême n'a point pour effet d'effacer une faute ou de délivrer d'une peine, mais seulement de nous affilier à la société extérieure des chrétiens ; que l'Eglise n'est autre chose que la société des justes[77], et que les prières que nous adressons à Dieu pour nos frères ou pour nous-mêmes sont inutiles. Il soutenait aussi que la mort corporelle n'est pas la suite du péché originel, et qu'Adam l'aurait subie alors même qu'il n'aurait pas transgressé l'ordre de Dieu[78].

Augustin n'avait pas attendu les premières manifestations du pélagianisme pour exprimer ses idées sur la liberté, le péché originel et la grâce. Aussi bien que Pélage et Célestins, avec une force et une intensité d'émotion que peu d'hommes ont égalées, il avait affirmé l'existence dans l'homme d'une volonté libre, par laquelle, entre les sollicitations contraires du bien et du mal, l'homme devient maître de sa destinée. Nul n'a plus senti la malice du péché, le remords du péché. Or, pour lui, ce qui fait le péché, c'est la volonté libre. Ce que l'âme naturellement ignore, écrivait-il vers 390, ou ce que, naturellement, elle ne peut pas, ne lui est jamais imputé comme faute[79]. Qui a fait le démon ? Lui-même ; car ce n'est pas sa nature, c'est son péché qui l'a rendu démon[80]. Mais cette claire vue du libre arbitre n'empêchait pas Augustin de constater l'existence des deux grandes forces qui se disputent le cœur de l'homme : la concupiscence, fruit du péché originel, et la grâce, don de Dieu. Dans son traité De Genesi, il concevait le péché originel comme une conséquence de l'orgueil d'Adam ; dans son De diversis quæstionibus, il affirmait, avec une précision parfaite, que par le péché originel la nature humaine avait péché au paradis terrestre [81]. D'autre part, il n'oubliait jamais les sollicitations puissantes de la grâce divine, sans laquelle personne ne peut même chercher Dieu [82]. Dans ses Confessions, publiées en 400, il s'écriait : Seigneur, donnez-nous ce que vous commandez, et commandez ce que vous voudrez, Da quod jubes, et jube quod vis [83]. Mais l'attraction morale de la grâce, en agissant sur l'hcmme, ne diminuait en rien selon lui, sa puissance d'agir. Au contraire. Il devait plus tard le dire en une puissante formule : Les hommes sont agis pour qu'ils agissent, et non pour qu'ils deviennent inertes, Aguntur ut agant, et non ut ipsi nihil agant[84].

Tout le sujet de ses Confessions n'était autre chose que le drame de la volonté libre de l'homme, mise en mouvement par les sollicitations d'en haut et par celles d'en bas. Je vous ai aimée tard, beauté si ancienne, beauté si nouvelle, je vous ai aimée tard. Mais quoi ! vous étiez au dedans de moi-même, et c'est au dehors que je vous cherchais... Je vous ai goûtée, et me voilà dévoré de faim et de soif. Vous m'avez touché, et je brûle du désir de votre paix[85].

C'est en entendant, à Rome, un évêque citer la parole d'Augustin : Da quod jubes et jube quod vis, que Pélage, s'il faut en croire son propre témoignage, avait protesté pour la première fois contre mie doctrine qu'il jugeait destructive de la liberté[86]. La controverse n'éclata point cependant en ce moment. La prise de la ville par les troupes d'Alaric, en 410, obligea les deux hérésiarques à s'enfuir. Ils se dirigèrent cers l'Afrique, où Célestius se fixa. Pélage prit ensuite la route de Jérusalem. Il devait y rencontrer Jérôme, tandis que Célestius en Afrique se trouverait en face d'Augustin.

"Pélage ne rêvait rien de moins que d'établir en Palestine, dans un milieu qui lui paraissait propre à recevoir les inspirations de son ascétisme austère, le centre de son action. A Rome, il s'était déjà mis en relation avec l'illustre veuve Mélanie et avec plusieurs membres de la famille des Probi ; ces relations pouvaient, pensait-il, lui valoir la bienveillance de Jérôme. Mais il s'était mépris sur la merveilleuse acuité du sens catholique du grand solitaire. Jérôme n'avait, pour éclairer son jugement, que quelques vagues rumeurs et quelques conversations habilement calculées du nouveau venu. Ces éléments lui suffirent pour percer à jour l'hérésiarque. Si la grâce de Dieu n'est autre chose que le don de notre libre arbitre, si, contents de ce don, nous n'avons pas besoin de tout autre secours, à quoi bon prier ? A quoi bon essayer de fléchir la miséricorde divine ? Mais abolissez donc le jeûne et la continence elle-même ! A quoi bon prendre de la peine pour obtenir ce que ma propre volonté me donnera ?[87] C'était démasquer l'erreur dans sa conséquence pratique la plus désastreuse.

En Afrique, Célestius, établi à Carthage, avait pris, dès le début, une attitude batailleuse. Avec une habileté d'avocat retors, il avait porté le débat sur le point qui lui paraissait le plus vulnérable dans la doctrine d'Augustin. Comment, disait-il, peut-on soutenir que la mort est la conséquence du péché d'Adam ? La mortalité n'est-elle pas la condition de notre nature ? Mais un prêtre, originaire de Milan, ancien disciple de saint Ambroise, Paulin, avait réussi, par son adroite dialectique, à lui faire avouer le fond de son hérésie. Ce prêtre lui ayant fait remarquer que, suivant la doctrine catholique, le péché originel n'a fait que priver le premier homme et ses descendants d'une immortalité attachée à leur vocation surnaturelle, Célestins fut amené à nier et l'existence de cette vocation surnaturelle et la possibilité de la transmission d'une peine par la faute d'un seul homme. L'hérésie était manifeste. Paulin dénonça l'hérétique à l'évêque de Carthage, Aurèle, qui réunit, en 411, un concile dans sa ville épiscopale pour juger la question. Célestins y fut condamné, et, sur son refus de se rétracter, excommunié[88].

Augustin n'avait pas assisté à ce concile, tenu hors de sa province, qui était celle de Numidie. II hésitait, d'ailleurs, à attaquer Pélage, dont on lui avait vanté l'austérité[89], et qui lui avait écrit, en arrivant en Afrique, une lettre respectueuse[90]. Mais, pressé par ses fidèles, il se décida à réfuter les erreurs nouvelles dans trois écrits, dont les deux premiers parurent en 412, le troisième en 415. Ce sont le De peccatorum meritis, le De spiritu et littera et le De perfectione justitiæ. Par ménagement pour Pélage, il s'abstint de le nommer[91]. En même temps, il envoya en Palestine un de ses amis, Paul Orose, pour seconder Jérôme dans sa lutte contre le dangereux novateur.

 

VIII

Paul Orose, prêtre espagnol, ne peut être rangé parmi ces esprits éminents, en qui l'Eglise reconnaît des docteurs ou des maîtres. Il nous apparaît plutôt comme un de ces hommes qui naissent disciples. Peu capables d'idées originales ou d'initiatives hardies, ils peuvent toutefois, lorsqu'ils se vouent au service d'un grand homme, rendre à sa cause d'inappréciables services. Obligé de quitter l'Espagne pour fuir un danger qui le menaçait, et qu'il ne précise pas autrement dans  l'allusion qu'il y fait en ses ouvrages, il s'était jeté dans un navire qui le porta sur la côte d'Afrique. Il s'attacha aussitôt à Augustin. C'est aux sollicitations de Paul Orose que l'on doit le traité de saint Augustin, Contra priscillianistas et origenistas ad Orosium[92] ; et son principal titre d'écrivain est une Histoire universelle, qu'il composa plus tard, à la demande de saint Augustin, pour servir de complément à la Cité de Dieu[93]. Paul Orose devait, par son intelligente activité, apporter à la cause de l'orthodoxie, dans la controverse pélagienne, à plus précieux secours.

La mission d'Orose devait rendre à Augustin et à Jérôme un service plus personnel. Elle devait opérer entre eux une réconciliation que l'un et l'autre désiraient depuis longtemps. En effet, un long et pénible différend, surgi à propos d'une interprétation scripturaire, avait divisé, pendant près de dix ans, ces deux grands hommes. En 395, dans son commentaire de l'épître aux Galates, Jérôme, essayant d'expliquer le litige survenu à Antioche entre saint Pierre et saint Paul[94], y avait vu une scène concertée entre les deux apôtres, pour réprimer, par un éclatant exemple, les prétentions intolérables des judaïsants[95]. Cette interprétation avait vivement offusqué l'évêque d'Hippone, qui, avec une franchise toute spontanée, lui écrivit : J'ai lu un commentaire qu'on t'attribue sur les épîtres de saint Paul... J'y ai vu avec douleur qu'un homme tel que toi, ou du moins que l'auteur, quel qu'il soit, de cet écrit, y prend la défense du mensonge... Qu'adviendra-t-il, grand Dieu ! de nos saints Livres, si, pour échapper à une morale qui nous gêne ou à un dogme qui nous dépasse, on a recours à un artifice, à une feinte de l'auteur sacré ! Cette première lettre n'ayant pas reçu de réponse, Augustin en écrivit une seconde, non moins vive[96]. Le solitaire palestinien hésitait à répondre. Il lui répugnait, comme il le dit plus tard, d'entrer en lutte avec un évêque de sa communion, avec un prélat dont il avait déjà apprécié le talent et les vertus. Peut-être aussi craignait-il, connaissant la pétulance immodérée de son caractère, de se laisser aller à quelqu'un de ces excès de langage qu'on lui avait plusieurs fois reprochés. Mais quand il apprit que la première lettre d'Augustin, par suite d'un long détour, avait passé de mains en mains, avait été lue et commentée par le monde, le vieil athlète ne put contenir son humeur. Je n'ai pas la folie, écrivit-il au jeune évêque, de me tenir pour offensé. Mais je te conseille, jeune homme, de ne pas venir dans l'arène des saintes Ecritures provoquer un vieillard... Qu'il me soit permis de te le dire, afin que tu ne sois pas seul à citer les poètes : souviens-toi de Darès et du vieil Entelle. N'oublie pas non plus le proverbe vulgaire : Le bœuf fatigué enfonce le pied plus fortement[97]. Augustin répondit avec douceur, avec respect, mais en insistant sur son objection. Pendant une dizaine d'années, la correspondance entre ces deux grands hommes resta empreinte d'une aigreur que la charité du Christ tempérait du mieux possible, mais qu'avivaient de nouveaux heurts, inévitables entre deux caractères si dissemblables, quoique le même amour du Sauveur les animât. La traduction latine des saints Livres par le solitaire de Bethléem et les difficultés qu'y rencontra l'évêque d'Hippone, fournirent de nouveaux aliments à ce pénible conflit. Dix ans de silence s'écoulèrent. Cependant l'un et l'autre aspiraient à une réconciliation pleine et entière. La mission d'Orose en Palestine, en 415, en fut l'occasion. Le messager d'Augustin était porteur de lettres par lesquelles le prélat africain questionnait le vénérable solitaire sur diverses questions d'exégèse et de philosophie, dont la controverse pélagienne rendait la solution particulièrement intéressante. Paul Orose eut la joie de constater, non seulement que Jérôme acceptait avec empressement de collaborer à l'œuvre apologétique d'Augustin, mais que, profond admirateur des récents travaux de l'évêque d'Hippone, il saluait, en celui dont les lettres l'avaient jadis blessé, le continuateur illustre de ses grands travaux scripturaires.

A partir de ce moment, et jusqu'à la mort de Jérôme, qui survint cinq ans plus tard, la collaboration de ces deux grands génies fut cordiale et constante.

La lutte contre l'erreur pélagienne commandait, au surplus, l'union de tous les efforts des catholiques. Condamné par un concile d'Occident, Pélage était venu chercher en Orient de nouveaux appuis, consacrer en quelque sorte sa personne et ses idées auprès des Lieux saints, tenter sans doute d'opposer le grand nom de Jérusalem à celui de Rome. Le succès lui avait semblé d'autant plus probable, que plusieurs des saintes femmes retirées dans la Ville sainte étaient sympathiques à sa personne, et que l'évêque Jean de Jérusalem, qu'une sourde rivalité animait contre Jérôme et ses monastères, lui avait promis sa protection.

Mais, pour le combattre, Jérôme ne se sentait plus seul. En cette même année 415, où il avait reçu le message d'Orose, il publia contre le novateur trois dialogues[98], où, après avoir invoqué les témoignages des saints Livres et de la liturgie, il ajoutait : Il y a longtemps que le saint et éloquent pontife Augustin a écrit contre ton erreur plusieurs livres... On dit qu'il en compose d'autres encore. Je ne veux pas attendre qu'on me rappelle le vers d'Horace : Ne portez pas de bois à la forêt. Ce que je pourrais ajouter, ce brillant génie l'a dit mieux que moi[99]. Le principal argument qu'Augustin et Jérôme faisaient valoir contre Pélage pour prouver le péché originel était un fait qui, à lui seul, mettait toute sa doctrine en échec : c'était la pratique traditionnelle, immémoriale, du baptême des enfants. Le baptême des enfants comme des adultes était considéré comme rémissif de péché, in remissionern peccatorum. Le péché du nouveau-né ne pouvait être un péché de volonté, il fallait bien qu'il fût un péché de nature. Ce raisonnement très simple, fondé sur le symbole de la foi et sur les institutions de l'Eglise, établissait non seulement la déchéance originelle, mais le péché originel[100].

Après Augustin et Jérôme, Orose ne manquait pas de faire valoir, entre bien d'autres, cet invincible argument. Les erreurs nouvelles perdaient du terrain. Pour mettre fin au mouvement des esprits, Jean de Jérusalem convoqua une assemblée du clergé, qui se réunit au mois de juillet de l'année 415. Jérôme, que l'on redoutait sans doute, n'y fut pas convoqué. Orose et Pélage y comparurent. Le premier, avec toute l'ardeur de sa jeunesse, toute la ferveur de son enthousiasme pour ses deux maîtres, Jérôme et Augustin, rappela comment Pélage avait été réfuté par ces grands docteurs, tandis que Célestius était condamné par un concile de Carthage. Pélage fut ambigu dans sa défense. Il ne se montra hardi que par son dédain pour l'évêque d'Hippone. Eh ! que m'importe, s'écria-t-il, cet Augustin ?C'est moi qui suis Augustin, repartit Jean de Jérusalem, voulant par là, paraît-il, s'arroger le droit de pardonner à Pélage son impertinence. Mais l'imprudent évêque s'attira par là ce trait malicieux d'Orose : Si tu es Augustin, suis donc la doctrine d'Augustin. Jean de Jérusalem s'abstint de condamner Pélage, en faisant décider par l'assemblée que, les parties en cause, Pélage et Orose, étant de pays latin, le procès devait être porté à Rome.

Mais bientôt la controverse fut rouverte en Palestine par l'initiative de deux évêques gaulois, Héros d'Arles et Lazare d'Aix, qui, chassés de leur pays et venus en pèlerinage aux Lieux saints, dénoncèrent à l'évêque de Césarée, Euloge, l'hérésie de Pélage et de Célestius. A la suite de cette dénonciation, quatorze évêques, réunis à Diospolis, c'est-à-dire à l'ancienne Lydda, firent comparaître devant eux Pélage. Celui-ci, au moyen de réticences habiles et de sophismes captieux, échappa à l'excommunication ; mais sa doctrine fut condamnée[101]. De là, les appréciations différentes qui ont été données au sujet de ce concile de Diospolis. Saint Augustin en invoquera l'autorité contre Julien d'Eclane[102], tandis que saint Jérôme le qualifiera de synode misérable, miserabilis synodus[103].

En somme, Pélage n'avait rien désavoué d'une hérésie qui se répandait à la fois en Occident et en Orient. Théodore de Mopsueste, le maître de Nestorius, la favorisait, écrivait même contre Jérôme un ouvrage qu'il détruisit dans la suite. L'initiateur de l'hérésie qui allait rabaisser le Christ au rang d'une personne humaine, se rapprochait instinctivement de celle qui niait l'efficacité divine de la grâce. Comme on l'a dit justement, le naturalisme pratique des hérétiques d'Occident et le rationalisme spéculatif des Orientaux se cherchaient à travers les distances[104].

Non seulement le pélagianisme gagnait du terrain, mais il devenait violent. Des bandes de gens perdus, semblables à celles qui s'étaient mises au service de l'hérésie donatiste, se livraient à des attentats incroyables. Saint Augustin raconte qu'une nuit de l'an 416 les religieux et les religieuses qui vivaient à Bethléem sous la conduite de Jérôme furent attaqués par ces forcenés. Un diacre fut tué ; les bâtiments du monastère furent incendiés, Jérôme n'échappa à la mort qu'en se réfugiant dans une tour[105]. L'évêque de Jérusalem n'avait rien fait pour prévenir ce désastre, et ne paraissait rien entreprendre pour le réparer. Jérôme crut le moment venu de faire parvenir ses plaintes au pape. Il l'informa des événements qui venaient de se passer, par l'intermédiaire du métropolitain de Carthage.

Celui-ci présidait précisément, en ce moment, à Carthage, un concile de soixante-treize évêques, qui, informés par Héros et Lazare des événements de Palestine, venaient de renouveler l'excommunication contre Célestius et Pélage. Peu de temps après, un concile de soixante évêques, tenu à Milève sous la présidence d'Augustin, et mis au courant par Orose des événements de Palestine, prenait une décision semblable. Le pape Innocent Ier reçut presque en même temps la lettre de Jérôme, les lettres synodales des deux conciles africains, et une autre lettre signée par Augustin et quatre évêques d'Afrique lui expliquant plus en détail la situation.

La réponse du Souverain Pontife ne se fit pas longtemps attendre. Le 27 janvier 417, après avoir examiné l'affaire dans un synode romain, le pape Innocent ratifia solennellement les décisions prises par les conciles africains contre l'hérésie pélagienne et ses auteurs. En recevant la réponse du pape, Augustin s'écria : Sur cette affaire, deux conciles ont été envoyés au siège apostolique. Les réponses sont arrivées. La cause est finie. Puisse finir également l'erreur[106].

 

IX

Ce n'était, hélas ! que la fin de la première phase de la controverse. Augustin avait compté sans les procédés astucieux de Pélage, qui, de son côté, avait envoyé au Saint-Siège une profession de foi ambiguë[107]. Célestins, réfugié à Rome, après avoir été chassé d'Ephèse, et condamné à Constantinople, avait usé du même procédé[108]. Jean de Jérusalem était mort ; mais le premier acte de son successeur, Praïle, avait été d'envoyer à son tour, à Rome une apologie de Pélage. Ces pièces ne parvinrent qu'au pape Zosime, qui, le 18 mars 417, avait remplacé Innocent. Zosime paraît avoir subi, au début de son pontificat, l'influence d'un personnage assez suspect, Patrocle, évêque d'Arles[109], qui, élu en remplacement de Héros après l'exil de celui-ci, l'avait représenté, ainsi que l'évêque d'Aix, Lazare, sous les plus noires couleurs. Héros et Lazare avaient été les principaux dénonciateurs des hérésiarques devant les conciles. Tout contribuait à bien disposer le pape envers Pélage et Célestins. Un interrogatoire qu'il fit subir à Rome à Célestins, et dans lequel celui-ci n'hésita pas à condamner tout ce que condamnait le pontife, acheva de le tromper. Deux lettres de Zosime aux évêques d'Afrique leur reprochèrent leur précipitation, et demandèrent d'envoyer à Rome les accusateurs de Célestins et de Pélage[110].

La situation d'Augustin devenait très délicate. Il s'agissait de, concilier le respect et l'obéissance dus au pasteur suprême de l'Eglise avec les démarches nécessaires pour le détromper de son erreur. Les évêques d'Afrique se réunirent sans retard, et rédigèrent une longue lettre où ils dénonçaient les fourberies de Célestins, et suppliaient Zosime de revenir aux décisions d'Innocent Ier. Ce document, joint sans doute à d'autres informations, fit réfléchir le pape, qui, par une lettre du 21 mars 418, déclara vouloir laisser toutes choses en l'état[111]. La lettre pontificale parvint à Carthage le 29 avril. Le 1er mai, s'ouvrit dans la même ville un concile général de l'Afrique. Toutes les provinces de l'Afrique et de l'Espagne y envoyèrent des députés. On n'y compta pas moins de deux cents évêques[112]. Ils rédigèrent huit[113] canons contre la doctrine pélagienne.

Sur ces entrefaites, Zosime avait enfin reconnu la fourberie de Célestius, qui, cité à comparaître devant le pape, n'avait pas répondu à la citation, et s'était enfui de Rome. Le pontife rédigea alors une longue lettre circulaire, adressée à tous les évêques du monde chrétien, pour condamner les deux hérétiques et leurs doctrines. Cet important document est connu sous le nom de Tractoria. Nous en possédons des fragments dans les œuvres de saint Augustin[114]. Nous savons, par les œuvres de saint Prosper, que le pape définissait en particulier le dogme du péché originel et celui de la nécessité de la grâce pour tout bien[115].

La lettre pontificale fut reçue en Afrique par de grandes démonstrations de joie. Presque toutes les Eglises de la catholicité la souscrivirent[116]. A partir de ce moment, Pélage et Célestius disparurent à peu près de la scène, tandis qu'Augustin se préparait à éclairer les esprits sur la funeste hérésie par de nouveaux ouvrages.

C'est alors qu'un homme réputé pour sa haute culture, un évêque jusque-là estimé pour ses vertus, Julien d'Eclane[117], se dressa tout à coup contre l'évêque d'Hippone, et, renversant brusquement les rôles, l'accusa, lui, Augustin, d'être doublement hérétique. Augustin, selon lui, était hérétique par l'explication qu'il mettait en avant pour justifier la transmission du péché originel. Il l'était aussi par l'admission d'un principe du mal dans pâme humaine. A son sens, l'évêque d'Hippone encourait à la fois le reproche de traducianisme[118] et celui de manichéisme. En même temps, Julien donnait du système de Pélage une exposition habile et savante. S'il eût suffi, pour donner au pélagianisme une nouvelle vie et une nouvelle expansion, de posséder un esprit vif et pénétrant, de manier en maître la dialectique aristotélicienne et de déployer dans la défense de ses idées une activité inlassable, Julien d'Eclane eût réussi à cette tâche. Mais l'hérésie pélagienne était compromise définitivement devant l'opinion. Julien parvint seulement à gagner à sa cause dix-sept évêques italiens, qui refusèrent, avec lui, de signer la Tractoria. Ils furent aussitôt déposés canoniquement par le pape, et bannis de l'empire par l'empereur. Mais dans son exil, Julien écrivit contre Augustin pamphlet sur pamphlet. Pendant les douze années que le saint docteur vécut encore, il dut lutter sans trêve contre Julien. Le débat fut surtout d'ordre intellectuel, et l'on peut dire que s'il n'avait pas eu affaire à un adversaire d'une telle pénétration, saint Augustin ne nous eût pas donné, sur l'économie de la vie surnaturelle, une théorie aussi profonde que celle qui lui a valu le nom de docteur de la grâce.

On ne peut s'attendre à trouver ici l'exposé de toutes les questions que saint Augustin a éclairées de son génie au cours de ses nombreuses polémiques[119] ; qu'il nous suffise d'exposer sommairement la doctrine dans laquelle sa pensée s'est affirmée de la manière à la fois la plus puissante et la plus personnelle. Le premier de tous les docteurs, après avoir défendu la liberté contre les manichéens, et la grâce contre les pélagiens, il a synthétisé ces deux vérités par une explication profonde dont on ne trouve pas de trace chez ses prédécesseurs et que tous ses successeurs ont utilisée. L'Eglise catholique lui a emprunté ses formules pour définir le dogme, et les hérétiques l'ont invoqué pour soutenir leurs erreurs.

Pour saint Augustin, de même que, dans l'ordre naturel, le concours divin enveloppe et pénètre l'homme, dans son action, dans sa vie et dans son être[120] ; de même, dans l'ordre surnaturel, la grâce enveloppe et pénètre toute son activité salutaire : elle est nécessaire à la foi, nécessaire à la pratique, nécessaire à la persévérance ; elle est à l'origine même de nos actes surnaturels et elle est à leur dernier couronnement. Mais la volonté libre de l'homme n'est nullement annihilée, ni amoindrie par cette action de la grâce[121]. Sur ce point, le docteur distingue soigneusement le fait et l'explication du fait. Le fait est incontestable. La conscience du libre choix, la conscience du mérite et du démérite sont des faits psychologiques qu'il n'est pas permis de mettre en doute. Saint Augustin l'a affirmé contre les manichéens, il le maintient en face des pélagiens. La vie spirituelle est la coopération libre de la volonté de l'homme avec la grâce de Dieu ; c'est la rencontre et l'union de deux amours : l'amour de Dieu pour l'homme et celui de l'homme pour Dieu. Quant à l'explication de ce fait, saint Augustin n'espère pas en fournir une démonstration intellectuelle qui supprime le mystère. Les profondes analyses qu'il nous donne de la science divine, de l'intelligence et de la volonté humaines, éclaircissent le problème[122] ; mais, après ces efforts de sa raison, il répète que l'amour seul comprend les mystères de l'amour. Da amantem, dit-il, et sentit quod dico[123]. Donnez-moi quelqu'un qui aime, et il comprendra ce que je dis. Nul n'a poussé plus loin que lui la puissance du raisonnement et de l'intuition intellectuelle, et, en même temps, nul plus que lui n'a eu le sentiment que les enseignements n'épuisent pas la vérité qu'ils expriment, que le mystère divin ne saurait être complètement enfermé dans des formules humaines, et que, en conséquence, une part doit être laissée, dans le christianisme, aux élans de la piété et aux intuitions du cœur[124].

 

X

Lui-même, dans sa vie, se serait fait un scrupule de négliger pour des études d'ordre purement spéculatif les devoirs pratiques de sa charge. En même temps qu'il combattait les manichéens, les donatistes et les pélagiens, Augustin administrait son diocèse comme le plus zélé des pasteurs, et introduisait en Afrique la vie monastique.

Deux lourdes charges pesaient sur les évêques de ce temps : l'administration de nombreux biens d'Eglise et l'exercice d'importantes fonctions judiciaires.

Par une cruelle ironie, Augustin, qui avait fait vœu de pauvreté et donné aux pauvres son patrimoine, Augustin, élu évêque d'Hippone, était devenu un grand propriétaire. Le peuple de ce temps-là désirait que l'Eglise s'enrichit, parce qu'il était le premier à profiter de sa richesse. Or cette richesse consistait surtout en immeubles et en terres. Le diocèse d'Hippone avait à administrer de nombreuses maisons et d'immenses fundi, sur lesquels vivait toute une population d'artisans et d'esclaves affranchis, d'ouvriers agricoles et même d'ouvriers d'art, fondeurs, brodeurs, ciseleurs sur métaux. Sans doute Augustin avait sous ses ordres des intendants. Cela ne le dispensait point d'entrer dans le détail de l'administration et de surveiller ses agents[125]. Mille indices, mille allusions, mille comparaisons rustiques, qu'on découvre dans ses sermons, nous prouvent que rien n'était étranger à Augustin dans la gestion d'un domaine ; dans la vie des paysans et des ouvriers. On constate qu'il connaissait les formules de vente et de donation, qu'il était renseigné sur le travail des moulins et des pressoirs, qu'il était au courant de la procédure.

Parmi les fonctions épiscopales, il en était une qui excédait Augustin jusqu'au dégoût. Tous les jours, il devait écouter des plaideurs et rendre des arrêts. Dans le secretarium de la basilique, ou sous le portique de la cour attenant à l'église, Augustin siégeait. Justement, Théodose venait d'étendre la compétence juridique des évêques en matière civile. Quotidiennement, il donnait audience jusqu'à l'heure de son repas, et quelquefois toute la journée, quand il jeûnait. Dès qu'il paraissait, les chicaneurs s'approchaient en tumulte, l'entouraient, le pressaient, le contraignaient à s'occuper de leurs affaires. Augustin cédait, mais le lendemain, dans un prône véhément, il leur criait : Discedite a me maligni ! Eloignez-vous de moi, méchants, et laissez-moi étudier les commandements de mon Dieu ![126] Je puis affirmer sur mon âme, disait-il, que pour ma commodité personnelle, j'aimerais beaucoup mieux, à certaines heures de la journée, comme cela est établi dans les monastères bien réglés, m'occuper de quelque travail manuel, et avoir le reste du temps libre pour lire, pour prier, pour méditer sur les lettres divines.

Autant que les devoirs de sa charge épiscopale le lui permettaient, le saint évêque menait la vie d'un moine. En 388, étant simple laïque, il avait transformé sa maison patrimoniale en monastère : après son ordination sacerdotale, en 391, il avait fondé une deuxième communauté de moines à Hippone. Evêque, il mena, avec tout son clergé, une véritable vie religieuse. Son exemple fut contagieux. La maison épiscopale d'Hippone devint une pépinière de fondateurs, qui bientôt couvrirent l'Afrique de monastères. Il faut lire dans Possidius[127] les admirables exemples de pauvreté, de simplicité, d'austérité de vie et de charité que le saint évêque donnait à son clergé. Sous son influence, des vierges et des veuves se réunirent aussi en communautés. C'est pour elles qu'il écrivit, en 423, sa fameuse lettre considérée depuis lors comme une règle[128]. La règle de saint Augustin devait exercer une grande influence sur la vie monastique en Occident. Elle servit de base à un grand nombre d'institutions monastiques, et fut une des sources où saint Benoît puisa l'esprit de sa règle. Ce n'est pas une des moindres gloires de l'ordre monastique, que de pouvoir invoquer comme un de ses pères celui que Bossuet n'a pas craint d'appeler le plus éminent de tous les docteurs[129], la plus grande lumière de l'Eglise[130].

A l'expansion de la vie monastique en Afrique, correspondait une efflorescence de la vie monastique en Gaule. En 410, un noble romain, de race consulaire, abordait au groupe d'îles rocheuses qui bordent la côte de Provence, en face de la ville actuelle de Cannes, et faisait choix d'une de ces îles, pour y mener, avec quelques amis, une vie de prière et d'étude. Cette île, qui devait porter plus tard le nom de l'illustre ascète, Honorat, s'appelait, du temps des Romains, Lerina (Lérins). Possédant des puits d'eau vive, elle avait été autrefois, au dire de Strabon, parsemée d'habitations ; vers le commencement du Ve siècle, elle était devenue déserte. Mais Honorat et ses compagnons étaient à la fois des moines austères et d'infatigables ouvriers. Bientôt l'aspect de l'île se transforme. Saint Eucher nous dépeindra ses champs fertiles, arrosés d'eaux bienfaisantes, émaillés de fleurs, embaumés de leur parfum[131], et saint Hilaire d'Arles nous montrera le vénérable ascète y accueillant, du sourire de son majestueux visage, des fils de tous les pays qui viennent y aimer le Christ[132]. On verra se renouveler sur les côtes de Provence les miracles de la Thébaïde. Le monastère de Lérins deviendra une école célèbre de théologie et de philosophie chrétienne. Une pépinière d'évêques et de saints en sortira pour édifier la Gaule, l'Irlande et l'Angleterre. On comptera parmi eux : Hilaire d'Arles, à qui on doit la première biographie de saint Honorat ; Vincent de Lérins, le premier controversiste de son temps ; Loup, qui arrêtera Attila aux porte de Troyes ; Salvien, qui passera pour l'homme le plus éloquent de son siècle après Augustin[133].

Le monastère de Lérins eut bientôt pour rival, sur les côtes mêmes de la Provence, le monastère de Saint-Victor à Marseille. Celui-ci eut pour fondateur, en 415, l'illustre Jean Cassien, que quelques historiens font naître en Scythie, d'autres en Syrie ou en Provence[134]. Quoi qu'il en soit, sa culture littéraire était vaste et profonde. Il se voua, jeune encore, à l'état monastique dans un couvent de Bethléem. Les troubles de la fin du IVe siècle l'obligèrent à quitter la Palestine pour les déserts de la Thébaïde, où il étudia et connut à fond la vie cénobitique. On le trouve, en 401, à Constantinople, s'imprégnant de l'esprit de saint Chrysostome ; en 415, à Rome, où il était venu, au nom du clergé fidèle de Constantinople, appeler la protection du pape Innocent Ier sur l'évêque proscrit. Sa mission finie, il s'arrêta à Marseille, où, sur le tombeau de saint Victor, officier romain, mort pour la foi à la fin du IIIe siècle, il construisit un monastère en l'honneur du martyr. Ce monastère devait être, comme celui de Lérins, au milieu des invasions barbares, une citadelle de paix, un foyer de vie intellectuelle.

Pour l'édification de ses moines, Cassien composa, de 419 à 439, les deux ouvrages qui lui ont valu le titre de législateur de la vie monastique : les Institutiones et les Collationes ou Conférences. Le premier de ces ouvrages expose surtout la discipline extérieure des monastères, d'après ce que l'auteur a vu dans ses voyages : le second, son chef-d'œuvre, aborde plus spécialement ce qui concerne la vie intérieure des moines. Saint Benoît devait prescrire à ses disciples la lecture des Conférences[135]. L'Eglise grecque, le diocèse de Marseille et celui de Digne honorent la mémoire de saint Cassien.

 

XI

Le développement de la vie monastique a presque toujours été accompagné d'un développement général de la vie ascétique et d'un mouvement littéraire. Autour de l'œuvre capitale de Cassien, nous avons à noter : le recueil de biographies monastiques publiés vers 420, en grec, par l'évêque Palladius, et connu sous le nom d'Histoire lausiaque, du nom de Lausus, grand personnage à qui il était dédié ; les écrits de saint Nil sur divers sujets de piété ; ceux de saint Eucher et de Marc l'Ermite ; enfin, des recueils anonymes de sentences. Ces écrits propageaient parmi les moines et parmi les fidèles eux-mêmes les règles d'un ascétisme à la fois austère et prudent[136].

Parfois ces leçons prenaient la forme de la poésie, comme nous l'avons vu dans les écrits de saint Paulin de Nole. L'historien Evagre signale, de cette époque, deux poètes chrétiens en Orient : Claudien et Cyrus. On connaît d'eux peu de chose. Les œuvres de trois autres poètes de l'Occident, le rhéteur Endéléchius, ami de saint Paulin, le rhéteur Marius Victor, de Marseille, et le prêtre Sédulius, dont on ignore le pays d'origine, nous apportent un témoignage de la culture classique dans le pays gaulois. A Sédulius, l'Eglise a emprunté, pour sa liturgie, le chant de Noël, A solis ortus cardine et l'hymne de l'Epiphanie, Hostis Herodes impie[137].

Le premier des poètes chrétiens de cette époque, est, sans conteste, le poète Prudence. Né en 348, dans une ville du nord de l'Espagne, probablement à Saragosse, d'abord avocat, puis fonctionnaire dans la haute administration de l'empire, il résolut, vers l'âge de cinquante-sept ans, de consacrer à Dieu seul tout ce qui lui restait d'activité. En 404 ou 405, il fit paraître son œuvre poétique. Cette œuvre comprend deux parties fort distinctes : des poèmes didactiques, tout en hexamètres, et des poésies lyriques, où l'on voit avec quelle persévérance il avait pénétré dans toutes les formes de la versification des anciens.

Les deux caractères de la poésie de Prudence, dit Ozanam, sont la grâce et la force. La grâce parait surtout lorsqu'il fait voir la terre prodiguant ses fleurs pour entourer et voiler le berceau du Sauveur ; ou bien quand il décrit les saints Innocents, ces fleurs du martyre que l'épée a moissonné comme le tourbillon moissonne les roses naissantes, et qui, au ciel, sous l'autel même de Dieu, jouent, comme des enfants, avec leurs palmes et leurs couronnes. La force du poète éclate lorsqu'il nous décrit les combats des martyrs, lorsqu'il représente saint Fructueux sur le bûcher, saint Hippolyte entraîné par des chevaux indomptés, saint Laurent sur le gril[138].

Sans doute, il semble qu'étant donnée la grandeur des spectacles dont les IVe et Ve siècles furent les témoins, la profondeur des émotions qui ébranlèrent et transformèrent les âmes, la poésie de ce temps est faible. Mais, comme l'a finement remarqué Saint-Marc-Girardin, le spectacle était peut-être trop près, l'émotion trop forte, pour susciter de grandes œuvres poétiques à cette époque. Elle eut des héros et des martyrs ; elle eut peu de grands poètes. Entre l'émotion et l'inspiration, il faut un intervalle. Quelques siècles de silence mûriront la fécondité de la poésie chrétienne et de l'art chrétien.

 

 

 



[1] Sur ces événements, voir TILLEMONT, Hist. des empereurs. Edition de 1701, t. V, p. 419 et s.

[2] FUSTEL DE COULANGES, le Colonat romain, dans ses Problèmes d'histoire, Paris, 1885.

[3] SALVIEN, De gubern. Dei, l. V, ch. XXIII.

[4] SALVIEN, De gubern. Dei, ch. XXXVII.

[5] SALVIEN, De gubern. Dei, ch. XXI.

[6] Voir JAFFÉ, t. I, n. 262-272, p. 41-42, et P. L., t. XIII, col. 1129, 1130, 1184 ; t. XVI, col. 1282 ; t. XXII, col. 1093 ; t. XXIII, col. 471 ; t. XXX, cols 435 ; t. LI, col. 588.

[7] Liber pontificalis, t. I, p. 218-219.

[8] JAFFÉ, I, n. 273-284, p. 42-43.

[9] JAFFÉ, I, n. 318, p. 48.

[10] JAFFÉ, I, n. 286, p. 44.

[11] JAFFÉ, I, n. 293, p. 45.

[12] JAFFÉ, I, n. 303, p. 46.

[13] JAFFÉ, I, n. 311, p. 47.

[14] JAFFÉ, I, n. 314, p. 47.

[15] JAFFÉ, I, n. 339, p. 50 ; P. L., t. LVI, col. 571.

[16] BARONIUS, Annales, ad. ann. 418, 419. Cf. P. L., t. XVIII, col. 397-406.

[17] JAFFÉ, I, n. 349, 359, p. 53, 54. Cf. n. 350, p. 53.

[18] P. L., t. II, col. 271.

[19] S. AUGUSTIN, Epist., c. VII.

[20] S. JÉRÔME, Epist., III, Ad Rufinum.

[21] S. JÉRÔME, De nominibus hebraicis, Præf.

[22] S. JÉRÔME, Epist., LXXXIV, Ad Pammachium, 2.

[23] S. JÉRÔME, Adv. Rufinum, III, 23.

[24] CASSIEN, Coll., X, 3.

[25] Sans doute le siège de Jérusalem jouissait, comme le déclare le concile de Nicée (canon 7), d'une succession d'honneur ; mais ce ne fut que dans la première moitié du Ve siècle qu'il fut constitué en patriarcat, et le concile œcuménique de Chalcédoine fut le premier à lui concéder le gouvernement des trois provinces de Palestine (HÉFÉLÉ-LECLERCQ), t. II, p. 735 et s.

[26] S. JÉRÔME, Epist., CXXX, 7, 3. Mélanie, en grec, signifie noire.

[27] S. JÉRÔME, Epist., XXXIX, Ad Theophilam.

[28] S. JÉRÔME, Contra Joann. Hierosol., l. XXXVII.

[29] S. JÉRÔME, Epist., LII, Ad Nepotianurn, 8.

[30] S. JÉRÔME, Epist., LX, Ad Heliodorum, 13.

[31] A. LARGENT, Saint Jérôme, p. 72-73.

[32] S. JÉRÔME, Epist., LI, 19.

[33] BARDENHEWER, les Pères de l'Eglise, t. II, p. 360.

[34] S. JÉRÔME, Epist., LXXXIV, Ad Pammachium et Oceanum, 8.

[35] Facundus d'Hermiane.

[36] TILLEMONT, Mémoires, Saint Jérôme, art. XCVIII.

[37] P. L., t. XXI, col. 541-623.

[38] Amédée THIERRY, Saint Jérôme, l. IX.

[39] S. AUGUSTIN, Epist., LXXIII.

[40] S. JÉRÔME, Epist., XCII.

[41] JAFFÉ, n, 281, t. I, p. 43 ; P. L., t. XX, col. 68 ; t. XLVIII, col. 235 ; MANSI, III, 943. VAN DEN GHEYN, dans la Revue d'hist. et de litt. ret., t. IV, p. 5.

[42] En 408, deux ans avant la mort de Rufin, saint Jérôme, qui vibrait toujours au souvenir de ses invectives, traçait de lui, sous le nom de Grunnius (le Grognon), un portrait qu'on ne trouverait pas déplacé dans l'o3uvre des plus grands satiriques. De telles vivacités de langage font songer à la parole du pape Sixte-Quint. Passant un jour devant une image qui représentait Jérôme se frappant la poitrine avec un caillou : Tu fais bien d'avoir ce caillou à la main, s'écria le pape, car sans lui l'Église t'eût-elle jamais canonisé ?

[43] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise, t. III, p. 80.

[44] Ammonius, Eusèbe et Euthyme furent certainement les chefs de l'expédition. Il n'est pas sûr, quoi que disent Socrate (VI, 9) et Sozomène (VIII, 13), que Dioscore ait fait le voyage avec les autres.

[45] Sur ces débuts de saint Chrysostome, voir A. PUECH, Saint Jean Chrysostome, Paris, 1900, p. 117-154.

[46] On connaît le fameux discours prononcé, à cette occasion, par Chrysostome sur ce texte : Vanité des vanités, tout n'est que vanité.

[47] PUECH, Saint Jean Chrysostome, p. 158-159.

[48] Voir l'énumération de ces griefs dans PUECH, Saint Jean Chrysostome, p. 163-163.

[49] SOCRATE, H. E., VI, 18 ; SOZOMÈNE, H. E., VIII, 20. Sur l'authenticité des paroles attribuées à saint Chrysostome, voir PUECH, Saint Jean Chrysostome, p. 171.

[50] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist.des Conciles, t. I, p. 715-716.

[51] La correspondance de saint Chrysostome, telle qu'elle nous est parvenue, comprend deux cent trente-huit pièces. La plupart sont de courts billets. Presque toutes ces pièces sont de son second et dernier exil. On les trouve dans la Patrologie grecque, t. LII.

[52] VILLEMAIN, l'Eloquence chrétienne au IVe siècle, p. 200-201.

[53] JAFFÉ, n. 288.

[54] Le nom de Chrysostome, par lequel nous avons désigné le patriarche Jean de Constantinople, ne date que du vue siècle. Nous l'avons employé pour nous conformer à l'usage de la plupart des historiens. Rappelons à ce propos que le titre de patriarche n'a été officiellement reconnu aux évêques de Constantinople par l'Eglise romaine qu'au concile de Latran, en 1215 (MANSI, XXI, 991) ; mais il était couramment donné, en Orient, aux chefs de l'Eglise de Constantinople depuis le concile de 381. Plusieurs aspects que nous n'avons pu qu'effleurer dans la vie et les œuvres de saint Chrysostome, se trouvent examinés dans les ouvrages suivants : Dom Chr. BAUR, Saint Jean Chrysostome et ses œuvres dans l'histoire littéraire, un vol. in-8°, Louvain et Paris, 1907 ; Dom Placide de MEESTER, la Divine liturgie de saint Jean Chrysostome, Paris, 1907. Cf. M. JUGIE, Saint Jean Chrysostome et la primauté de saint Pierre, dans les Echos d'Orient, t. XI, 1908, p. 5-15, 193-203.

[55] C'est la date admise par RAUSCHER et ROTTMANNER, Hist. Jarhrbuch, 1898, p. 894.

[56] Il avait été ordonné prêtre en 391.

[57] Les donatistes étaient loin d'être d'accord entre eux. On distinguait parmi eux les urbanistes, les claudianistes, les rogatistes, les maximianistes, etc. Sur ces diverses sectes, voir BAREILLE, au mot Donatisme, dans le Dict. de théol., t. IV, col. 1710- 1711.

[58] L. BERTRAND, Saint Augustin, 385-386.

[59] Code Théodosien, XVI, t. V, l. XLVI, LXVII, LI.

[60] Code Théodosien, XVI, t. II, l. I.

[61] Voir la plupart des pièces de cette conférence dans la P. L., t. XI. Voir aussi P. L., t. XLIII, col. 815-842.

[62] S. AUGUSTIN, Epist., CXLIV, P. L., t. XXXIII, col. 590-592.

[63] S. AUGUSTIN, Epist., CXXXIII, 1 ; P. L., t. XXXIII, col. 509.

[64] S. AUGUSTIN, Epist., CXXXIII, CXXXIV, CXXXIX.

[65] S. AUGUSTIN, Epist., CLXXXV. Sur la tolérance de saint Augustin, voir Jules MARTIN, Saint Augustin (collection des Grands Philosophes), Paris, 1901, p. 372-388.

[66] P. L., t. XLIII, col. 689-698.

[67] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise, III, 207.

[68] S. AUGUSTIN, De pecc. merit, et remiss., III, 1 ; Epist., CXXXVI ; Retract., II, 23.

[69] S. PROSPER, Carmen de ingratis ; S. JÉRÔME, In Jerem., l. I, præf. ; l. III, præf.

[70] M. MERCATOR, Commonit., I, 2.

[71] HERGENRÖTHER-KIRSCH, Kirchengeschichte, t. I, l. II, part. II, ch. VI, § 1.

[72] Judicium hoc omnium mortalium est, avait dit CICÉRON, fortunam a Deo petendam A SE IPSO SUMENDAM esse sapientiam (De nat. deor., III, 63). Saint Jérôme voit la source des erreurs pélagiennes dans la doctrine stoïcienne. (Epist. ad Cteziphontem.)

[73] Saint Augustin parle de son ingenium fortissimum, celerrimum et acutissimum.

[74] Ce traité a été découvert par Dom Morin. Voir Revue bénédictine, t. XXVI (1909), p. 163.

[75] Incredibili loquacitate, dit MERCATOR, Liber subnot ; præf., 4.

[76] Iste mendacior, vel certe liberior, dit S. AUGUSTIN, De peccato orig., XII.

[77] Un péché véniel, une simple imperfection, selon Pélage, exclut du ciel et de l'Eglise. Toute perfection, étant possible à l'homme, est obligatoire. Pour Pélage, comme pour les stoïciens, la distinction entre le précepte et le conseil n'exista pas. Voir HARNACK, Précis de l'hist. des dogmes, trad. Choisy, p. 285.

[78] Sur ces doctrines voir S. AUGUSTIN, De hæresibus, in fine. Cf. id., De gratia Christi, l. I, ch. VII, XLI.

[79] De libero arbitrio, l. III, ch. XXII, n. 64. Le De libero arbitrio a été écrit entre 388 et 395.

[80] De Genesi contra manich., l. II, ch. XXVIII, n. 42. Le De Genesi a été composé à Tagaste de 388 à 390. Cf. Jules MARTIN, Saint Augustin, p. 207 et s.

[81] De div. quæst., q. LXVI, n. 7 ; P. L., t, XL, col. 71.

[82] Deum nemo quærit, nisi admonitus (Solil., l. I, ch. I, n.23.) Les Soliloques sont de 387.

[83] Confessions, l. X, ch. XXIX, n. 40.

[84] De corrept. et gratia, ch. II, n. 4.

[85] Confessions, l. X, ch. XXVII.

[86] De dono persever., ch. X, n. 53. P. L., t. XLV, col. 1026.

[87] S. JÉRÔME, Epist., CXXXIII, Ad Ctesiph., 5.

[88] M. MERCATOR, Commonitirium. P. L., t. XLVIII, col. 69.

[89] S. AUGUSTIN, De gestis Pelagii, n. 40. P. L., t. XLIV, col. 346.

[90] S. AUGUSTIN, De gestis Pelagii, n. 51. P. L., t. XLIV, col. 347. Cf. P. L., t. XXXIII, col. 596.

[91] P. L., t. XLIV, col. 346-347.

[92] Dom LECLERCQ, l'Espagne chrétienne, p. 201.

[93] Dom LECLERCQ, l'Espagne chrétienne, p. 265. Cf. G. BOISSIER, la Fin du paganisme, XII, p. 314. Le titre de l'ouvrage est Historia adversus paganos. P. L., t. XXXI, col. 663-1173.

[94] Galates, II, 11-14.

[95] S. JÉRÔME, Comment. in Ep. ad Gal., l. I, ch. II.

[96] Epist., LXVII, inter Epistolas Hieronymi, 7.

[97] S. JÉRÔME, Epist., CII.

[98] Dial. adversus pelagianos.

[99] S. JÉRÔME, Dial., l. III, 19.

[100] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise, t. III, p. 212-213.

[101] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. II, p. 178-179.

[102] S. AUGUSTIN, Contra Julianum, I, 32.

[103] S. JÉRÔME, Epist., CXLIII, 2.

[104] A. LARGENT, Etudes d'hist. ecclés., Saint Cyrille d'Alexandrie, p. 17.

[105] S. AUGUSTIN, De gestis Pelagii, 66.

[106] S. AUGUSTIN, Serm., CXXXI, 10. Telle est la forme authentique de l'adage si souvent cité : Roma locuta est, causa finita est.

[107] P. L., t. XLIV, col. 1715-1716.

[108] P. L., t. XLI, col. 1718.

[109] DUCHESNE, Fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule, t. I, p. 95 et s.

[110] P. L., t. XLV, col. 1720-1721.

[111] P. L., t. XLV, col. 1725-1726. JAFFÉ, n. 342.

[112] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. II, p. 191.

[113] Certains documents donnent neuf canons.

[114] S. AUGUSTIN, Epist., CXC (alias CLII). Cf. Epist., CCI.

[115] S. PROSPER, Liber contra coll., P. L., t. XLV, col. 1730-1735.

[116] Per totum orbem missa, subscriptionibus sanctorum Patrum est roborata, dit Marius MERCATOR. Cf. HERGENRÖTHER-KIRSCH, Kirchengeschichte, XI, l. II, part., ch. VI, § 3.

[117] Eclanum ou Eclane, actuellement Mirabella, était une ville d'Italie située au sud-est de Bénévent.

[118] Théorie d'après laquelle les âmes humaines seraient, non pas créées immédiatement par Dieu, mais engendrées par la nature spirituelle des parents, dans l'acte de la génération, de même que le corps.

[119] On trouvera cet exposé dans TIXERONT, Hist. des dogmes, t. II, p. 354-513, et PORTALIÉ, au mot Augustin, dans le Dict. de théol., t. I, col. 2268-2472. Cf. Jules MARTIN, Saint Augustin.

[120] Suivant la parole de l'Apôtre : In Ipso vivimus, movemur et sumus.

[121] Il s'agit, dans la polémique pélagienne, de la grâce actuelle. La doctrine de Pélage sur la grâce habituelle est incertaine.

[122] Voir un aperçu de ces analyses dans PORTALIÉ, Dict. de théol., t. I, col. 2389-2390.

[123] S. AUGUSTIN, In Joannem, tract. 26.

[124] TIXERONT, op. cit., II, 356. Cf. PAQUIER, le Jansénisme, un vol. in-12°, Paris, 1909, deuxième leçon : la théologie de la grâce dans saint Augustin, p. 37-79. Cf. A. GAILLARD, Etudes sur l'histoire de la doctrine de la grâce depuis saint Augustin, Paris, 1897, p. 1-89.

[125] L. BERTRAND, Saint Augustin, p. 332.

[126] L. BERTRAND, Saint Augustin, p. 335-336.

[127] POSSIDIUS, Vita Augustini, XXII.

[128] S. AUGUSTIN, Epist., CCXXI ; P. L., t. XXXIII, col. 960-965. On a longuement et vivement discuté pour savoir si saint Augustin avait fondé un ordre de moines ou une congrégation de chanoines réguliers. Le saint évêque songeait peu sans doute à ces distinctions, et tous les prêtres et laïques vivant en communauté dans la pratique des conseils évangéliques ont le droit de le considérer comme leur patron. Sur les curieuses discussions qui se sont élevées à ce sujet, voir U. CHEVALIER, Biobibliographie, au mot Augustin.

[129] BOSSUET, Lettre à Leibniz du 17 août 1701. A la séance publique annuelle de l'Académie des Inscriptions, qui a eu lieu le 15 novembre 1913, M. Paul MONCEAUX a lu une étude sur Un couvent de femmes à Hippone au temps de saint Augustin. C'est l'exposé érudit et très vivant de la célèbre Règle de saint Augustin, telle qu'elle fut appliquée sous la direction du saint Docteur.

[130] BOSSUET, Sermon pour la Pentecôte de 1654, édition Lebarcq-Levesque, in-8°, Paris, 1914. t. I, p. 552.

[131] S. EUCHER, De laude eremi.

[132] S. HILAIRE, Vita sancti Honorati.

[133] Des études récentes sur le Symbole dit de saint Athanase ont révélé l'existence d'incontestables liens entre ce Symbole et l'école de Lérins. Voir Dom MORIN dans The Journal of theological Studies, t. XII, 1911, et Paul LEJAY, Bulletin d'anc. litt., 1912, p. 45-46.

[134] Voir P. GODET, au mot Cassien, dans le Dict. de théol. de VACANT, t. II, col. 1823-1824.

[135] S. BENOÎT, Reg. monast., LXXIII.

[136] Sur ces divers écrits, voir BARDENHEWER, t. III, p. 255-259.

[137] BARDENHEWER, t. III, p. 352-355.

[138] OZANAM, la Civilisation au Ve siècle, t. II, p. 285-285.