HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — Le catholicisme, religion d'État

CHAPITRE II. — DE LA CLÔTURE DU IIe CONCILE ŒCUMÉNIQUE À LA MORT DE VALENTINIEN II - SAINT JÉROME ET SAINT AMBROISE. (381-392).

 

 

Le concile de Nicée, en condamnant l'arianisme et en proclamant la consubstantialité du Fils de Dieu avec le Père ; le concile de Constantinople, en réprouvant le macédonianisme et en affirmant la divinité du Saint-Esprit, avaient défini pour tous les siècles futurs la foi catholique en la Sainte Trinité. Le symbole de Nicée-Constantinople, chanté solennellement dans nos temples, est resté, aujourd'hui encore, l'expression la plus parfaite de la croyance de l'Eglise sur ce dogme essentiel. Mais les ombres jetées par Apollinaire le Jeune sur la divine personne du Christ, subsistaient ; les troubles semés dans les consciences par Priscillien étaient loin d'être apaisés. Après la question trinitaire, définitivement résolue, la question christologique et la question morale s'ouvraient, non moins aiguës, non moins troublantes. L'Eglise ne manqua point, pour se défendre, d'intrépides champions. Au premier rang de ceux-ci fut Jérôme. Interrompant la paix de sa solitude et ses austères travaux, Jérôme combattit à la fois, avec toute la passion de son âme ardente, l'hérésie apollinariste et les formes diverses du sensualisme, tandis qu'Ambroise et Chrysostome défendaient, contre les grands, contre l'impératrice et contre l'empereur lui-même, l'intégrité du dogme et de la morale catholiques.

 

I

Le fait que le concile de Constantinople avait été exclusivement L'arianisme composé d'évêques orientaux, diminuait son autorité à l'égard des hérétiques de l'Occident. L'arianisme, qui devait bientôt se répandre dans cette partie de l'empire par les invasions des Barbares, n'y avait jamais été, il est vrai, aussi puissant qu'en Orient. Cependant deux évêques d'Illyrie, dont on ignore les sièges épiscopaux, Pallade et Sécondien, y répandaient des doctrines suspectes, d'autant plus dangereuses qu'elles se cachaient sous des formules orthodoxes. Vers 379, Gratien, alors seul empereur, avait résolu, pour mettre fin aux troubles suscités par ces prélats, de réunir dans la ville d'Aquilée un concile général. Son conseiller, Ambroise, l'en dissuada, lui faisant remarquer qu'il ne s'agissait que d'une cause locale, et qu'il suffirait de convoquer les évêques des diocèses voisins. L'empereur se rendit à cet avis[1]. Pendant l'été de 381, trente-deux évêques, venus des différentes contrées de l'Occident, de l'Italie, de la Pannonie, des Gaules et de l'Afrique, se rendirent à Aquilée. Rome, où le pape Damase était alors tenu en échec par son compétiteur Ursinus, n'y fut pas représentée. L'assemblée s'ouvrit le 3 septembre 381. Valérien d'Aquilée la présida, et Ambroise en fut l'âme.

Il importait d'abord de démasquer les équivoques. Sur la motion d'Ambroise, lecture fut faite de la lettre d'Arius à Alexandre, évêque d'Alexandrie. Puis on demanda à Pallade si, oui ou non, il s'associait à ces blasphèmes contre le Fils de Dieu. Pallade répondit évasivement, récrimina contre Ambroise, réclama un concile général. L'évêque Sécondien et le prêtre Attale, son disciple, eurent recours aux mêmes faux-fuyants. Sur la proposition de l'évêque de Milan, le jour même, à une heure de l'après-midi, le concile, suffisamment édifié, anathématisa Pallade, Sécondien et Attale, les déclara déchus, et fit appel aux empereurs Gratien, Valentinien II et Théodose, en vue de l'exécution immédiate de ses décisions. On demandait particulièrement à Gratien, qui possédait Rome dans ses Etats, de n'ajouter point foi aux prétentions de l'antipape Ursinus et à ses calomnies contre Damase[2].

Grâce à l'énergie et à l'activité d'Ambroise, en Occident comme en Orient, l'arianisme, poussé jusque dans ses derniers retranchements, était vaincu. Il n'en était pas de même d'une hérésie plus subtile, et pour laquelle l'évêque de Milan semble avoir voulu garder, de parti pris, plus de ménagements, l'apollinarisme. Les grands services rendus par Apollinaire le Jeune et par son vénérable père pendant la querelle trinitaire, leur courage pendant la persécution de Julien l'Apostat, imposaient à leur égard une réserve que n'avait pas méritée la perfidie arienne. D'ailleurs l'erreur apollinariste, dans son énoncé, ne soulevait pas un scandale pareil à celui qu'avait provoqué l'arianisme ; plusieurs de ses partisans étaient d'une incontestable bonne foi. La grande préoccupation d'Apollinaire, disait-on, avait été d'établir que le Christ est un Dieu fait homme, et non pas un homme fait Dieu. A l'encontre des ariens, qui ne voulaient voir en Jésus qu'un homme laissant pénétrer son intelligence et sa volonté par la Divinité, Apollinaire, ajoutait-on, a voulu montrer, dans le Christ, Dieu prenant un corps humain et l'animant de son amour, de sa volonté et de son intelligence, de manière à n'en faire plus qu'une seule personne, qu'un seul être, qu'une seule nature. Lorsqu'ils disaient cela, les disciples d'Apollinaire ne remarquaient pas, ou feignaient de ne pas remarquer, qu'en expliquant de cette sorte la divinité du Christ, ils arrivaient à nier l'intégrité de son humanité[3]. Déjà, au concile d'Alexandrie, en 362, on leur avait objecté que le Sauveur n'avait pas un corps sans âme, sans intelligence... qu'Il n'était pas seulement venu sauver notre corps, mais notre intelligence, notre âme. En 374, dans son Anchoratos, et en 377 dans son Panarion, saint Epiphane avait dénoncé l'erreur nouvelle, lui opposant le symbole qu'on faisait réciter aux catéchumènes suspects : Le Verbe s'est fait homme, c'est-à-dire a pris une nature humaine parfaite : l'âme, le corps, l'esprit, tout ce qui constitue l'homme, hors le péché. On ne voyait pas encore alors, mais on put remarquer dans la suite que, par son insistance sur l'unité de l'être et de la nature, dans le Christ, Apollinaire préparait la voie à l'hérésie monophysite. Ce qui, en 382, appela plus spécialement l'attention sur l'apollinarisme, ce fut la prétention, affichée depuis quelques années par Apollinaire, de constituer ses partisans en communauté séparée, de conférer la dignité épiscopale à ses disciples préférés, de troubler l'Eglise par ses disputes. Le pape Damase convoqua à Rome un nouveau concile, auquel il invita l'épiscopat d'Orient en même temps que celui d'Occident. Les évêques grecs s'excusèrent, alléguant leurs occupations, qui ne leur permettaient pas de s'éloigner de leurs diocèses, et l'invitation qu'ils venaient de recevoir de la part de l'empereur à se réunir à Constantinople. Ils s'y réunirent en effet, confirmèrent les actes du concile de 381 et y ajoutèrent probablement deux canons qui ont été comptés plus tard comme les 5e et 6e du IIe concile œcuménique. Trois d'entre eux cependant s'étaient rendus à Rome et assistèrent au concile romain de 382.

Les actes de ce concile ne nous sont point parvenus ; nous savons seulement que l'hérésie des apollinaristes y fut condamnée et que Jérôme y joua, par la volonté de Damase, un rôle décisif.

Après la retraite de Grégoire de Nazianze, aucun lien puissant ne retenait Jérôme à Constantinople. La nouvelle que le pape allait réunir un concile à Rome, le décida à se diriger vers la Ville Eternelle. Il y revint mûri par l'âge, par l'étude, par les austères pénitences du désert, par l'expérience des hommes et des choses que lui avaient donnée les grandes controverses de l'Orient. Damase, qui avait sans doute manifesté le désir de son retour, fut heureux de pouvoir profiter de son immense érudition. Il ne tarda pas à en faire son secrétaire. J'eus souvent alors, écrit Jérôme, à répondre aux nombreuses consultations qui, de l'Orient et de l'Occident, étaient adressées au Siège apostolique[4]. Le pape, désireux d'ouvrir une voie de conciliation aux apollinaristes, à ceux du moins qui, victimes d'un entraînement irréfléchi, subissaient la doctrine d'Apollinaire tout en s'alarmant de ses dangers, chargea Jérôme de rédiger une profession de foi, que signeraient les partisans de l'hérésie en rentrant dans l'Eglise. Une perfidie des apollinaristes irréductibles empêcha le succès de cette tactique. Rufin nous apprend que, Jérôme ayant employé, dans sa profession de foi, la formule Homo dominicus pour désigner le Christ, les hérétiques protestèrent contre cette expression. Le savant rédacteur exhiba alors un écrit de saint Athanase qui la contenait. Mais ses adversaires, s'emparant de l'écrit, y raturèrent l'expression contestée, et la transcrivirent de façon à faire croire à une fraude de Jérôme. Cet odieux procédé leur valut une violente diatribe, où Jérôme n'épargna pas aux faussaires les qualificatifs qu'ils méritaient ; mais les esprits étaient envenimés ; leur but était atteint ; il ne resta plus au concile que la tâche de condamner sans merci l'apollinarisme[5]. Beaucoup d'apollinaristes restèrent irréductibles.

Deux ans plus tard, une tentative faite par Théodose pour obtenir la rentrée dans l'Eglise des partisans d'Arius, de Macédonius et d'Eunomius n'obtint pas de meilleurs résultats. L'empereur avait décidé la réunion, à Constantinople, d'une grande assemblée à laquelle prendraient part les évêques de tous les partis, pour essayer une entente sur l'enseignement dogmatique[6]. Cette assemblée se réunit au mois de juin 383. Démophile, ancien évêque de Constantinople, y représenta les ariens Eleusius de Cyzique, les pneumatomaques ; Eunomius, les anoméens ; Nectaire, les orthodoxes. Théodose les reçut tous avec bienveillance, et demanda à chacun de lui soumettre sa profession de foi. Or, bien loin d'adoucir leurs formules, les représentants des diverses sectes affirmèrent leurs doctrines avec insolence. Eunomius, après avoir nié toute participation du Fils et du Saint-Esprit à la divinité du Père, menaça ses adversaires du jugement de Dieu[7]. Théodose, irrité de ces blasphèmes, déchira les professions de foi des hérétiques, qui retournèrent irrités dans leurs diocèses. L'empereur leur enjoignit alors de quitter leurs églises ; mais l'ordre impérial ne fut pas exécuté. Théodose, dit Sozomène, avait voulu seulement faire peur aux hérétiques[8].

Le concile chercha aussi à mettre fin au schisme d'Antioche ; mais l'entente ne put se faire entre les partisans de Paulin, qui venaient d'Egypte, d'Arabie et de Chypre, et les partisans de Flavien, appartenant à la Palestine, à la Phénicie et à la Syrie.

 

II

Ni le saint pape ni le puissant empereur ne se laissèrent rebuter par de pareils échecs. Damase avait désormais auprès de lui Jérôme, au zèle toujours en éveil, au dévouement infatigable ; et Théodose allait rencontrer Ambroise, l'évêque homme d'Etat, qui l'aiderait à défendre, contre ses ennemis, et au besoin contre ses propres passions, la pureté de la doctrine chrétienne.

De Jérôme, le Souverain Pontife attendait un double service. A l'ascète austère, au vigoureux polémiste, il demandait la réfutation de certaines sectes à tendances sensualistes qui se propageaient à Rome, favorisées par la persistance de l'esprit païen dans la capitale du monde. Du savant laborieux, il sollicitait, au milieu des discussions sans fin qui s'élevaient au sujet de la sainte Ecriture, souvent altérée par la fraude ou par l'ignorance, une version sûre de la Bible, dont l'Autorité souveraine pourrait consacrer l'authenticité.

Les principales sectes qui éveillaient les préoccupations de Damase, étaient celles qui s'autorisaient des noms de Lucifer de Cagliari, d'Helvidius et de Jovinien.

Nous connaissons les opinions des lucifériens, non seulement par la réfutation que saint Jérôme en a faite, mais aussi par la pétition adressée au nom de la secte aux empereurs Valentinien et Théodose vers 383[9]. Aux idées de Lucifer de Cagliari, qui avait refusé d'accepter les dispositions miséricordieuses des Pères du concile d'Alexandrie à l'égard des ariens repentants, ils avaient ajouté, sous l'influence du diacre Hilaire et de plusieurs autres de leurs chefs, les doctrines les plus extravagantes. Selon eux, le monde entier était livré au diable ; les évêques qui revenaient de l'arianisme ne valaient pas mieux que les prêtres des idoles, l'appât seul des biens ecclésiastiques les ramenait à l'Eglise catholique. Ils racontaient des fables étranges sur des châtiments divins qui auraient atteint les apostats et leurs protecteurs. Quand une secte professe en théorie des opinions d'une dureté si inhumaine, il n'est pas rare que ses adhérents se laissent aller dans la pratique à des désordres scandaleux. Dans le Dialogue contre les lucifériens[10], que Jérôme publia vers l'an 382[11], il ne releva point de désordre moral dans la communauté luciférienne de Rome, mais il pressentit le danger, et réfuta avec indignation les théories exagérées des prétendus disciples de Lucifer. II prit la défense du concile d'Alexandrie, qui, disait-il, par ses sages règlements avait préservé un grand nombre de personnes du poison de l'arianisme, et qui, par son indulgence salutaire, avait arraché le monde aux dents du serpent infernal.

Helvidius était un disciple d'Auxence, l'évêque intrus de Milan. Il paraît avoir été un de ces esprits turbulents, avides de notoriété et peu scrupuleux sur les moyens qu'ils emploient, pourvu qu'ils se fassent un nom dans le monde. Helvidius, dans un livre fourmillant de blasphèmes et de solécismes, prétendit contester, en s'appuyant sur des textes évangéliques, la perpétuelle virginité de la Vierge Marie. Il prit ensuite occasion de cette thèse pour soutenir que l'état de virginité n'avait aucun avantage sur l'état de mariage. Jérôme résista quelque temps aux sollicitations qui lui furent faites de prendre la plume contre le misérable insulteur. Il ne voulait pas donner un surcroît de retentissement aux pauvres arguments d'un indigne calomniateur. Jérôme se décida, quand il vit de faibles chrétiens ébranlés par l'incroyable audace d'Helvidius et par ses grossiers sophismes. Sa réponse, qui nous est parvenue sous le titre de Liber de perpetua virginitate Beatæ Mariæ[12], est à la fois débordante d'érudition et pétillante de verve. Les arguments du sophiste sont pris un à un, disséqués et réfutés avec une précision qui ne laisse rien debout de ses affirmations. L'auteur termine en disant : Je sais bien maintenant, ô Helvidius, ce qui m'attend de ta part. Je te connais ; tu es de ceux qui attendent les gens au coin des rues pour les salir. Mais je t'en préviens, tes injures seront ma gloire. Viens, insulte-moi de cette bouche qui a blasphémé la Vierge Marie ; c'est un honneur pour l'humble serviteur d'être traité comme la Mère de son Maître[13].

Un moine vagabond, du nom de Jovinien, ne se contentait pas de colporter les erreurs d'Helvidius ; il déniait tout mérite à l'abstinence et à la vie monastique, soutenait l'égalité de gloire de tous les saints et l'identité de châtiment de tous les damnés, proclamait l'inamissibilité de la justification une fois acquise, préludait en un mot aux pires erreurs que Luther et Calvin devaient répandre douze siècles plus tard. Dix ans après, sous le pape Sirice, quand les sectateurs de Jovinien se furent groupés en secte et que l'hérétique eut livré au public ses doctrines, Jérôme réfuta avec la même science et la même vigueur de style celui qu'il appelait l'Epicure de la loi nouvelle.

Les altérations que ces hérétiques et d'autres encore avaient fait subir aux textes bibliques, pour soutenir leurs doctrines, les différences qui s'étaient glissées dans les divers manuscrits de la traduction latine courante, l'ancienne Italique, rendaient urgente une sérieuse révision du texte reçu. Jérôme parut être l'écrivain providentiellement préparé par la Providence pour entreprendre cet important travail. Damase le lui demanda. Le savant exégète ne se dissimula pas les difficultés d'un pareil labeur. Il pressentit les critiques qu'il allait soulever. C'est une prétention bien dangereuse, écrivit-il au Souverain Pontife, que de s'établir juge des autres, surtout quand on doit soumettre ensuite son jugement à l'opinion publique. Je vais toucher à des textes dont on s'est servi habituellement jusqu'ici ; on va me traiter de présomptueux, de faussaire et peut-être de blasphémateur. N'importe. Deux choses me rassurent : je remplirai une mission qui m'est confiée par le pontife romain, et je pourrai mettre au défi mes critiques d'opposer à mon travail les vieux manuscrits, tronqués et altérés, dont ils se servent[14].

Jérôme s'occupa d'abord de la traduction des Evangiles. Les savants sont d'accord pour reconnaître les éminents mérites de cette version. Ils y ont reconnu une œuvre pleine de tact, marquant un grand pas dans l'histoire de la critique textuelle de la Bible, et fournissant au monde latin un texte des Evangiles fondé sur une critique solide[15]. Pour troubler le moins possible les habitudes des fidèles, le traducteur s'écarta le moins possible du texte de l'ancienne Italique, ne la modifia d'après le texte grec que lorsque le sens lui parut mal rendu, et même dans ce cas ne traduisit pas toujours directement du grec, mais choisit, parmi les divers textes latins qu'il avait à sa disposition, les leçons les plus rapprochées du grec[16].

Après les quatre Evangiles, Jérôme traduisit les Psaumes. D'une première traduction, faite sur le grec des Septante, devait sortir le Psautier romain, qui fut en usage à Rome jusqu'au règne de Pie V. D'une seconde traduction, faite d'une manière plus attentive sur les Hexaples d'Origène, vint le Psautier gallican, ainsi appelé parce qu'il fut d'abord adopté dans les Gaules[17]. Vers 392, Jérôme fit une troisième traduction des Psaumes sur le texte hébreu.

Les critiques que Jérôme avait prévues ne lui manquèrent pas ; mais ses travaux scripturaires lui valurent des amitiés précieuses. Je ne connais rien de meilleur, lui écrivait Damase, que nos entretiens sur l'Ecriture. Il n'y a rien qui nourrisse mon âme d'un mets plus savoureux[18]. D'autres âmes voulurent prendre part à ce pieux banquet. Dans un palais de l'Aventin, quelques nobles patriciennes, éprises de l'idéal évangélique, opposaient au paganisme qui s'étalait encore, et aux mœurs frivoles d'un trop grand nombre de chrétiens, la courageuse protestation de leurs vertus. C'était la maîtresse même de cette noble demeure, Marcella, qui, épouse un instant, avait voué à Dieu, aux pauvres, à l'étude des saintes Lettres, son veuvage irrévocable. C'étaient Albina, la mère de Marcella ; Asella, dont l'historien de saint Jean Chrysostome, Pallade, a loué la douceur ; Furia, l'héritière des Camille ; Fabiola, qui, moins affermie dans le bien que ses pieuses compagnes, devait un jour réparer les erreurs de sa jeunesse par la pénitence et la charité. Nommons surtout trois femmes qui furent chères entre toutes à Jérôme, et dont les noms escortent le sien dans l'histoire : Paula, et deux de ses filles, Blésilla et Eustochium[19].

La présence à Rome du prêtre austère et savant, dont les vertus semblaient si bien répondre aux aspirations de ce groupe d'âmes d'élite, donna l'idée à Marcella de se mettre en rapport avec lui. Il fallut bien des instances, et sans doute l'intervention du pape Damase lui-même, pour vaincre la réserve un peu farouche de Jérôme. Il se rendit à l'Aventin. Il lut et commenta les Livres saints à ce groupe de femmes admirables, où la noblesse du vieux patriciat romain s'unissait à la douce humilité de l'Evangile. Bientôt les membres les plus distingués du clergé de Rome, les prêtres Domnion et Oceanus, des laïques mêmes, tel que le sénateur Pammachius et que le magistrat Marcellin, sollicitèrent et obtinrent le bonheur de prendre part à ces pieux et savants entretiens. Ce que je voyais dans ces âmes, écrira plus tard Jérôme, d'intelligence, de pénétration, en même temps que de ravissante pureté et de vertu, je ne saurais le dire[20]. Pour mieux suivre les leçons du docte maître, ses auditeurs avaient résolument abordé l'étude du grec et de l'hébreu. Marcella excella dans ces travaux intellectuels. Toutes les fois que je me représente son ardeur pour l'étude, dira encore Jérôme, j'accuse ma paresse, moi qui, ayant sans cesse devant les yeux la crèche du Sauveur, ne puis faire ce que fait cette noble femme, aux heures qu'elle dérobe à l'embarras d'un domestique nombreux et au gouvernement de sa maison.

Mais quand Jérôme, descendant la pente de l'Aventin, retrouvait, dans la Rome consacrée au Christ, le spectacle des mœurs païennes, sa verve puissante s'indignait, s'exhalait en malédictions, en satires véhémentes. Il flétrissait l'avarice, l'intempérance, l'hypocrisie, qui s'étaient glissées à la suite des héroïques vertus par lesquelles les martyrs avaient étonné le monde, parmi les baptisés du Christ, parmi les prêtres et les moines. J'ai honte de le dire, s'écriait-il, mais il y a des hommes qui semblent avoir recherché le diaconat, le sacerdoce pour briller davantage devant le monde. Voyez-les. Leurs cheveux sont bouclés avec le fer, leurs doigts étincellent de diamants. Vous croiriez voir de jeunes fiancés plutôt que des prêtres[21].

Jérôme eut toujours grand'peine à retenir, sur ses lèvres ou sous sa plume, l'invective acerbe et mordante. Mais il expia souvent les imprudences de son langage par les représailles cruelles qu'il eut à subir. Ceux qui se reconnurent dans ses satires ne les lui pardonnèrent jamais. On le calomnia dans ses amitiés. La mort du pape Damase, survenue le 10 décembre 384, le priva du plus ferme de ses appuis, et fut l'occasion d'une recrudescence d'attaques de la part de ses ennemis. Jérôme prit le parti de regagner sa cellule d'anachorète en Palestine. Il se mit en route vers l'Orient après avoir adressé à l'une des fidèles Romaines qui avaient suivi ses leçons, ces adieux touchants : Noble Asella, je vous écris ce mot à la hâte, avant de m'embarquer, triste et les yeux pleins de larmes. Je rends grâces à Dieu d'avoir été jugé digne d'être haï par les hommes. Mes ennemis ont jeté sur moi la honte d'un faux crime ; mais, par la bonne ou la mauvaise renommée, on arrive également au royaume de Dieu. Saluez Paula, Eustochium, Albina, Marcella, Félicité. Dites-leur : Nous serons tous un jour au tribunal de Dieu. Là chacun montrera la conscience qu'il a eue pendant sa vie.

 

III

Pendant que le pape Damase, secondé par Jérôme, travaillait à restaurer la foi et les mœurs dans l'Eglise, de graves événements avaient troublé l'empire.

Entre la cour de Milan, où l'empereur Gratien s'était fixé, et la cour de Constantinople, où résidait l'empereur Théodose, l'impératrice Justine, veuve de Valentinien, s'était établie à Sirmium, attendant avec impatience le moment où son jeune fils Valentinien II, officiellement associé au gouvernement de Gratien, serait capable d'exercer son pouvoir. Sirmium ne tarda pas à devenir un centre de mécontents. Une troisième cour s'y forma, sourdement hostile à la cour de Milan. Les ariens s'y rencontrèrent en grand nombre. Justine se trouva bientôt à la tête du parti arien. La politique parait bien avoir été le mobile déterminant de cette nouvelle attitude. Par là même, la personne d'Ambroise, inspirateur de la politique catholique de Gratien, devenait odieuse à Justine. Entre l'impératrice mère et l'évêque de Milan, plus d'un conflit s'éleva.

Mais voici qu'en 383 un tragique coup de théâtre change la face des choses. Gratien, accouru en Gaule au bruit de la sédition qui vient d'élever Maxime au pouvoir, est assassiné à Lyon dans un guet-apens. Justine se rappelle alors qu'Ambroise est, même au point de vue politique, la grande puissance avec laquelle il faut compter. Elle se rend en hâte à Milan, entre dans la demeure épiscopale tenant son fils par la main, et dépose l'enfant entre les bras de l'évêque. Puis elle lui demande un service. L'usurpateur Maxime ne consentirait-il pas à partager son pouvoir avec le jeune prince ? On lui laisserait la Gaule et la Grande-Bretagne, et le dernier survivant des Valentinien régnerait sur l'Italie, l'Espagne et les provinces du Danube, où le souvenir de son père est encore vivant. Qu'Ambroise daigne se rendre à la cour de Maxime ; son autorité réussira sans doute, en sauvant une mère malheureuse et son jeune fils, à assurer, par ce compromis, la paix de l'empire.

Il s'agissait, pour Ambroise, d'une infortune à secourir et d'une inimitié à oublier : il accepta. Et voilà comment, a-t-on dit avec justesse, le ministre d'un Maître dont le royaume n'est pas de ce monde fut appelé, pour la première fois dans les annales de l'Eglise à intervenir dans le partage des souverainetés politiques. Il n'est pas sans intérêt de remarquer que, si l'Eglise fit ce jour-là un premier pas dans une voie où rien jusque-là ne l'avait fait entrer, ce fut pour répondre à l'appel suppliant d'une veuve et d'un orphelin. N'est-ce pas bien là l'image vivante et symbolique du rôle qu'elle devait prendre plus tard, lorsque ce fut la société tout entière qui, défaillante à ses pieds, la pressa de lui venir en aide contre l'invasion de la barbarie, et quand elle demeura ainsi la seule gardienne du droit dans le déluge de la force ?[22]

De longues et patientes négociations d'Ambroise obtinrent de Maxime tout ce qu'on pouvait raisonnablement en espérer : un accord provisoire sur les bases proposées. Mais quand Ambroise revint à Milan, les ennemis de l'Eglise, profitant de son absence, avaient relevé la tête.

De temps immémorial s'élevait à Rome, dans la salle de délibération du Sénat, un autel de la Victoire, déesse protectrice de la cité et de l'empire. Cet autel, enlevé par Constance, rétabli par Julien, toléré par Valentinien Ier et de nouveau enlevé par Gratien, avait subi toutes les vicissitudes de la politique religieuse des empereurs. Les membres païens du Sénat de Rome jugèrent qu'en l'absence de l'évêque de Milan, un jeune prince de quatorze ans sanctionnerait facilement une décision de la haute assemblée rétablissant l'autel de la Victoire. La campagne fut habilement menée. L'orateur chargé de se faire l'interprète des revendications païennes fut un des hommes les plus considérables de ce temps, le sénateur Symmaque. Pendant une longue vie, Symmaque avait rempli les plus hautes dignités de l'Etat, cultivé tous les arts de l'esprit, et, dans l'exercice de ses charges, il avait toujours montré beaucoup d'équité envers les chrétiens ; dans ses écrits, il n'avait jamais eu un mot de haine contre le christianisme. Mais Symmaque tenait au maintien du culte traditionnel de la vieille Rome de toutes les forces de son patriotisme. On ne l'avait pas vu, comme tant d'autres de ses contemporains, emprunter aux cultes orientaux de nouveaux rites.

Sa requête à l'empereur eut cette éloquence grave et majestueuse qui le faisait comparer à Cicéron et considérer comme le premier orateur de son époque. Il n'invoqua, pour le rétablissement de l'autel de la Victoire, ni l'autorité des antiques mythologies, ni les traditions du sacerdoce idolâtrique, ni les principes des philosophes de la Grèce et de Rome. Si, dans le débat qui s'ouvrait, il voyait toute la question religieuse, pour lui la question religieuse se résolvait dans la question patriotique. Nous redemandons, disait-il, le système de religion qui a été si longtemps profitable à la république... Ne pas s'unir à notre requête, c'est être ami des barbares... Oublierait-on les hommages dus à la déesse, on devrait respecter la majesté du sénat romain... Nous défendons les traditions reçues dans notre enfance ; nous voulons, dans notre vieillesse, les transmettre à notre postérité.

La requête de Symmaque est remise aux membres du consistoire, sorte de conseil privé de l'empereur, dont les membres furent facilement gagnés. Mais Ambroise arrive à temps. Il comprend la gravité de la décision que l'empereur est sur le point de prendre. Vaincu sur le terrain de ses dogmes et de son culte, le paganisme va se reconstituer comme lien national, et par là recommencer à pervertir les âmes. L'œuvre de Constantin est près d'être anéantie. Ambroise demande communication de la pétition. On fait droit à sa requête ; et bientôt l'empereur, le consistoire, le sénat, ont sous les yeux, en même temps que l'habile plaidoyer de Symmaque, l'ardente supplication de l'évêque de Milan.

Le sénateur païen a évoqué les gloires de la vieille Rome. Le prélat chrétien ne les reniera point. Mais ce n'est point dans les sacrifices sanglants de l'idolâtrie qu'il en voit la cause. C'est dans la valeur des guerriers romains et dans les austères vertus des temps antiques. On a invoqué la tradition, mais la tradition est une marche en avant, et non pas un retour vers le passé. Dans l'autorité des temps antiques, on ne doit voir qu'un commencement. Symmaque, dans une éloquente figure de rhéteur, a donné la parole à la Ville éternelle ; mais la Ville éternelle déclare en réalité autre chose que ce qu'on lui a fait dire. Ecoutez-la qui s'écrie : Je hais le culte de Néron. J'ai regret de mes erreurs passées. J'avais jadis cela de commun avec les peuples barbares, de ne pas connaître le vrai Dieu. Je ne rougis pas, dans ma vieillesse, de changer avec le monde entier. Je ne veux plus chercher la voix de Dieu dans les entrailles des victimes. Je veux apprendre les mystères du ciel par le témoignage du Dieu qui l'a créé. Qui croirai-je sur Dieu, plutôt que Dieu lui-même ?

La réponse d'Ambroise convainc les membres du consistoire ; et le jeune empereur, supplié de ne pas défaire l'œuvre de son frère, condamne les païens et leur autel[23].

 

IV

Mais une autre lutte appelle l'attention d'Ambroise à Milan. C'est là que vient de se fixer l'impératrice Justine avec sa cour. Les ariens y abondent. Ils ont mis à leur tête un évêque de leur choix, Goth d'origine, comme beaucoup d'entre eux, à qui ils ont donné le nom d'Auxence, en souvenir de l'ancien évêque arien, prédécesseur d'Ambroise. Valentinien, pressé par sa mère, n'a pas osé leur refuser une des basiliques de la ville, la basilique Portienne. Mais, pour passer à l'exécution, force est de prévenir l'évêque légitime. Ambroise est mandé au palais impérial. A l'empereur, qui le requiert de céder la basilique, il répond : Je n'ai pas le droit de vous la rendre, et vous n'avez pas le droit de me la prendre. Tandis que la discussion s'anime entre le prélat et l'empereur, le peuple, qui a pressenti un danger pour son évêque, a entouré le palais. Il fait entendre des cris menaçants. Justine, effrayée, n'apaise le tumulte qu'en autorisant Ambroise à déclarer à la foule qu'aucune basilique ne sera enlevée aux catholiques.

L'ordre est rétabli ; mais Justine, irritée, s'en prend à l'évêque de l'émeute qu'il a calmée[24], et prépare sa revanche. Un mois plus tard, l'impératrice réclame pour les ariens, non seulement la basilique Portienne, située hors de la ville, mais la basilique Haute, beaucoup plus importante. Elle se heurte à la même résistance d'Ambroise et à un soulèvement du peuple plus formidable. En vain fait-elle proposer à l'évêque, au moment même où il va célébrer le saint Sacrifice, un compromis. Le peuple, qui emplit l'église, et qui a deviné le sens du message, s'écrie tout d'une voix : Non, Ambroise, ne cédez rien. La foule, déchaînée, ne peut contenir son indignation. Pour l'apaiser, l'évêque commence les prières de la sainte messe. Pendant que je célébrais, racontait-il plus tard, on vint me dire que le peuple s'était emparé, sur la place publique, d'un certain Catulle, prêtre arien. Je pleurai amèrement, et, pendant l'oblation, je priai Dieu de faire en sorte que le sang de personne ne fût versé, sinon le mien, que j'offris au Sauveur pour le salut de mon peuple et de mes ennemis eux-mêmes[25]. Justine cherche alors à agir directement sur le peuple. Des troupes sont mobilisées. Pendant trois jours, l'émeute gronde dans Milan. Ambroise, dans un dessein d'apaisement, ne parait pas dans les grandes basiliques. Il officie dans une chapelle abandonnée. Mais les fidèles l'y rejoignent. Sur le soir du troisième jour, un bruit d'armes retentit autour de la chapelle. L'armée impériale va-t-elle lui donner l'assaut ? Une troupe de soldats se présente en effet ; mais c'est pour se joindre à la prière commune. La force morale a vaincu la puissance impériale. Justine avait traité Ambroise de tyran. La tyrannie du prêtre, s'écrie Ambroise, c'est sa faiblesse. L'apôtre l'avait déjà déclaré : c'est lorsque je suis faible que je suis fort[26].

Le conflit devait se renouveler un an plus tard, en 389, à propos d'une loi qui accordait la liberté de culte aux ariens et punissait de mort quiconque entraverait cette liberté[27]. La loi visait Ambroise. Celui-ci persista dans son attitude. En refusant de livrer l'héritage de Jésus-Christ, disait-il, je fais mon devoir de prêtre ; que l'empereur fasse son devoir d'empereur[28]. On le pria de quitter la ville ; il resta à son poste. Pour mieux le protéger, ses fidèles s'enfermèrent avec lui dans la basilique Neuve, et s'y barricadèrent comme pour un vrai siège. Valentinien II n'osa pas faire forcer les portes de l'édifice sacré. Au bout de quelques jours, pour en finir, il proposa à Ambroise de venir conférer devant lui avec l'évêque arien Auxence. Ambroise refusa. Puis, faisant ouvrir les portes de la basilique, il en fit la consécration solennelle, et y prononça un grand discours, dans lequel il disait : L'empereur est dans l'Eglise et non au-dessus d'elle[29]. L'autorité impériale ne protesta plus.

Ce fut pendant cette persécution arienne, et pour occuper le peuple enfermé avec lui dans la basilique, qu'Ambroise introduisit le chant des hymnes et des psaumes à deux chœurs[30], En même temps, il composa des hymnes d'une forme assez spéciale pour qu'on ait appelé hymnes ambrosiennes toutes celles qui furent conçues sur ce type nouveau. Un des buts du saint évêque était d'y vulgariser la doctrine orthodoxe sur la Trinité et de lutter ainsi contre les ariens, qui avaient depuis longtemps mis en cantiques et en chansons leurs doctrines. Mais l'œuvre de saint Ambroise eut une valeur littéraire bien supérieure. Un juge compétent y voit l'origine de tout le lyrisme chrétien, de tout le lyrisme moderne, le fruit le plus mûr de l'assimilation de la culture antique par le christianisme[31]. Quant au mode alternatif du chant, il parait avoir été emprunté à l'Orient, dont Ambroise connaissait bien les usages. Ce fut une des caractéristiques de la liturgie ambrosienne, laquelle se distingua de la liturgie romaine et de la liturgie gallicane par les lieux du culte, les meubles sacrés, les vêtements ecclésiastiques, l'organisation de l'année liturgique, l'administration des sacrements et surtout par le canon de la messe[32].

 

V

Le siège de Rome était alors occupé par le pape SIRICE. Le Liber pontificalis le dit Romain, fils de Tiburce. Son épitaphe nous apprend qu'il avait été lecteur, puis diacre sous Libère, qu'il était resté dans le diaconat pendant le pontificat de Damase, et que les fidèles de Rome, divisés jusqu'alors par le schisme, se réunirent pour l'acclamer[33]. Il dut être élu à la fin de l'année 384[34]. Cette élection élimina définitivement l'antipape Ursinus, resté sans partisans. Valentinien II, par un rescrit daté du 23 février 385, manifesta sa joie de l'élection de Sirice[35]. Quelques jours auparavant, le 11 février, le nouveau pape avait exercé son autorité dans une affaire importante. Himère, évêque de Tarragone, avait envoyé au pape Damase une relation sur divers désordres qui affligeaient l'Eglise d'Espagne. Damase était déjà mort et Sirice avait pris possession du siège apostolique quand la relation parvint à Rome. Sirice y répondit par une série de décisions dont plusieurs doivent trouver place dans l'histoire de l'Eglise. Le premier article maintenait, en s'appuyant sur l'autorité du pape Libère, du concile de Nicée et de l'usage de Rome, la validité du baptême des ariens, contestée par quelques évêques d'Espagne. Le septième, non seulement rappelait aux prêtres et aux diacres le devoir de la continence, mais déclarait déposés de toutes leurs dignités ecclésiastiques les clercs qui oseraient défendre la légitimité du mariage des clercs. Sirice priait Himère de faire connaître cette réponse à tous les évêques de la Carthagène, de la Bétique, de la Lusitanie, de la Galice, et à tous ses voisins, ce qui semble comprendre, dit Tillemont, les évêques des Gaules. Il menaçait les prélats de ces provinces de toutes sanctions jugées utiles par le siège apostolique, s'ils n'observaient pas ces décisions[36].

Cette épître, ajoute Tillemont, est la première de toutes les décrétales des papes que les savants reconnaissent aujourd'hui comme véritables, comme elle est aussi la première qui se trouve dans les anciennes collections de l'Eglise latine[37].

L'année suivante, en 386[38], Sirice, dont l'activité administrative et législative semble avoir été infatigable, réunit à Rome en concile plus de quatre-vingts évêques, pour remettre en vigueur plusieurs lois mal observées. Il y fut rappelé notamment qu'aucune ordination d'évêque ne peut être faite sans l'assentiment du Saint-Siège (canon 1), qu'un évêque seul ne doit jamais se permettre d'en consacrer un autre (canon 2), que quiconque a servi dans l'armée après son baptême ne peut plus être élevé à la cléricature (canon 3), qu'une Eglise ne peut accepter un clerc déposé dans une autre Eglise (canon 7), que lorsque des clercs novatiens veulent entrer dans l'Eglise, ils ne doivent pas être ordonnés de nouveau, mais qu'il faut se contenter de leur imposer les mains, comme on le fait pour les laïques qui ont été baptisés par les hérétiques (canon 8), enfin que les clercs et les lévites ne doivent pas vivre avec leurs femmes (canon 9)[39].

En cette année 386, Jean Chrysostome, ordonné prêtre à Antioche par Flavien, y commençait sa carrière oratoire. Si le IVe et le Ve siècle ne devaient pas avoir de plus éloquent orateur, le pape Sirice ne devait pas compter de plus puissant auxiliaire dans son œuvre réformatrice. Jérôme, prêtre austère et savant, agissait sur une élite, qu'il formait à l'étude et à la pratique des plus hautes vertus ; Ambroise, homme d'Etat accompli, exerçait sur les pouvoirs publics une action prépondérante. Chrysostome appliqua son activité et toutes les qualités oratoires que la Providence lui avait départies, à la réformation des mœurs de toutes les classes de la société. L'évêque d'Antioche, Flavien, était âgé, peu doué des dons de la parole. Il se hâta de se décharger du service de la prédication sur le nouveau prêtre. Chrysostome pouvait avoir quarante ans. Ses premières publications avaient révélé en lui une expérience remarquable des hommes et des choses. Pendant douze années consécutives, à Antioche, de 386 à 398, puis pendant six années à Constantinople, de 398 à 404, il devait prêcher à peu près sans interruption, avec un talent inépuisable et une préoccupation constante d'être efficace, de ne laisser, sans la combattre, aucune des faiblesses ou des superstitions contemporaines[40].

Chrysostome était né orateur. De tous les maîtres de la parole, soit profane, soit sacrée, il est un des plus grands. La pensée, dit Villemain, reste confondue devant les prodigieux travaux de cet homme, devant le génie ardent et facile de cet orateur sublime, qui sauvait Antioche, qui désarmait les chefs des barbares, et qui semblait relever l'empire dégradé... La prédication de Chrysostome, savante, mais populaire, saisit presque toujours ses auditeurs par des images présentes et liées aux incidents de leur vie... Les homélies du prêtre d'Antioche n'ont en rien la méthode puissante, le raisonnement profond et serré de Bourdaloue. L'imagination de l'orateur chrétien de Grèce et d'Asie veut rester plus libre. Il a plus d'ardeur que de logique, plus d'images que d'arguments. Il cherche moins à démontrer le dogme qu'à célébrer et inspirer la vertu. Pour cela, il est familier, persuasif, en intelligence avec ses auditeurs. Tantôt il se loue de leur pieuse attention ; tantôt il se plaint de leur froideur, de leurs fréquentes absences. Il les suit de ses inquiétudes hors l'église. C'est à la fois l'action de la tribune populaire et du confessionnal. C'est le forum et le sanctuaire. C'est l'union de ce qu'il y a de plus élevé dans la parole oratoire, de plus pénétrant dans la direction des consciences[41].

Les détails les plus intimes de la vie journalière sont sous nos yeux quand nous lisons ces homélies, qui nous sont parvenues, telles qu'elles furent prononcées, par la rédaction des sténographes, sans que l'orateur ait pris la peine de les revoir. Ouvrons un de ses sermons sur la prière. Chez les Juifs, dit-il, pour prier il fallait monter au temple, acheter une tourterelle, avoir du bois et du feu sous la main, prendre un couteau, se présenter à l'autel, accomplir beaucoup d'autres prescriptions... Ici rien de pareil... Rien n'empêche une femme, en tenant sa quenouille ou en ourdissant sa toile, d'élever sa pensée vers le ciel et d'invoquer Dieu avec ferveur. Rien n'empêche un homme qui vient sur la place ou qui voyage seul de prier attentivement. Tel autre, assis dans sa boutique, tout en cousant des peaux, est libre d'offrir son âme au Maître. L'esclave, au marché, dans les allées et venues, à la cuisine, s'il ne peut aller à l'église, est libre de faire une prière attentive et ardente. L'endroit ne fait pas honte à Dieu[42].

La Syrie était, sous l'empire, un pays très riche. Dans son homélie sur le psaume XLVIII, Chrysostome décrit le palais d'un riche grec du IVe siècle, les jardins qui l'entourent, avec leurs fontaines élégantes, et leurs portiques où l'on trouve l'ombre et le frais. Il dépeint aussi ces étoffes brodées, ces habits somptueux, qu'on allait faire admirer à l'agora, et ces chaussures de soie, que les jeunes gens craignaient tant de salir, ce qui le faisait leur crier, dans un de ses mouvements d'impatience familière : Portez-les donc plutôt à votre cou ![43] Or les pauvres, les mendiants, étaient fort nombreux à Antioche. Chrysostome reconnaît que plusieurs étaient tombés par leur faute dans cet état de misère, que d'autres simulaient ou ne méritaient guère d'être secourus. Mais il n'admettait pas que le riche restât insensible à ces infortunes, ne fît rien pour les secourir ou pour les prévenir. Il commença un jour son homélie par ces mots : Je viens aujourd'hui près de vous m'acquitter d'une ambassade. Ce n'est point une délibération du sénat qui m'envoie, c'est le spectacle des plus cruelles souffrances. Comme je traversais la place publique et le carrefour, j'ai vu, gisant par terre, des malheureux grelottant de froid et souffrant de faim. En été, la douceur de la température est un soulagement pour le pauvre. Le travail lui est presque assuré. Ceux qui bâtissent des maisons, ceux qui dirigent des fouilles, ceux qui naviguent, ont besoin des bras du pauvre. Car le corps du pauvre est pour lui ce que sont pour les riches leurs champs, leurs maisons et toutes leurs autres propriétés : c'est son revenu, il n'en a pas d'ailleurs.

Aucun des vices, aucun des abus qui régnaient dans la riche capitale de la Syrie n'échappait à la clairvoyante sollicitude du saint prêtre : ni les duretés des maîtres envers leurs esclaves, ni le luxe et la mollesse des riches, ni la mondanité de l'éducation des jeunes filles, ni l'ambition des hommes, ni la frivolité des femmes, ni la rigueur des magistrats impériaux, ni la sophistique des rhéteurs, ni les grossières superstitions de la foule. Les ouvrages de Chrysostome nous fournissent à la fois le tableau le plus achevé des mœurs du IVe siècle[44] et le cours le plus complet de prédication morale que nous ait transmis l'antiquité chrétienne[45]. Mais une question le préoccupait tout particulièrement : celle des rapports des riches et des pauvres. Un crime l'indignait par-dessus tout, dans cette société non encore dégagée de l'individualisme païen : l'exploitation du pauvre par le riche. Je ne suis pas contre les riches, sachez-le, s'écriait-il. Je suis au contraire pour les riches : je veux guérir leur maladie... Riches, vous me reprochez de ne pas me rassasier de vous reprendre ; c'est que vous ne vous rassasiez pas d'exploiter les pauvres[46]. Chrysostome ne niait pas le droit à la propriété individuelle ; mais il aimait à célébrer comme un idéal cette première communauté de Jérusalem, où les chrétiens venaient spontanément mettre en Commun leurs biens propres. Oh ! qu'elle est belle cette parole, s'écriait-il. La multitude des croyants n'avait qu'un cœur et qu'une âme ! Certes il n'oubliait pas de rappeler que la charité du riche doit être clairvoyante ; elle est de lui cette parole : celui qui donne à un vrai pauvre donne à Dieu ; celui qui donne à des vagabonds et à des débauchés jette son aumône aux chiens[47]. Mais, cette réserve faite, il ne tarissait pas en éloges de l'aumône et de la charité. La miséricorde, disait-il, est la reine des vertus. Elle est l'huile qui manquait à la lampe des vierges folles. On entre au ciel sans la virginité, mais non sans cette vertu, reine de toutes les autres[48]. Les larmes et la douleur de la charité, disait-il encore, sont plus douces que toute joie et que tout sourire[49]. La virginité et le jeûne ne profitent qu'à ceux qui les observent ; mais la charité s'étend à tous, elle embrasse tous les membres du Christ[50]. Elle s'adresse au Christ lui-même. Car c'est lui qui s'incarne dans le pauvre. Ecoutez-le vous dire : Je pourrais me nourrir moi-même, mais j'aime mieux errer en mendiant, tendre la main devant ta porte, pour être nourri par toi. Et c'est par amour pour toi que je fais ainsi. A. la fin des temps, je célébrerai tes louanges ; à la face du monde, je te montrerai comme mon nourricier[51].

C'est surtout en parlant de la charité que Jean Chrysostome révélait le plus intime de son âme sacerdotale ; mais dès la seconde année de sa prédication, une catastrophe imprévue lui donna l'occasion de s'élever aux plus hauts degrés de l'éloquence populaire.

La ville d'Antioche était une des villes les plus turbulentes et les plus indisciplinées de l'empire. Vers la fin de l'hiver de 387, à l'occasion de certaines exactions du fisc, la foule s'était précipitée sur l'agora, et, saisie d'une sorte de fureur, avait renversé les statues de Théodose, de l'impératrice défunte et des deux jeunes princes, Honorius et Arcadius. Le crime de lèse-majesté avait été commis. La destruction de la ville par le feu pouvait être le châtiment d'un tel outrage. On savait quelle était la sévérité de Théodose quand la passion l'emportait ; il devait, trois ans plus tard, en donner un terrible exemple par le massacre de Thessalonique. Ce fut, au lendemain de l'émeute, une indicible stupeur dans la cité. L'évêque Flavien, malgré son grand âge, résolut aussitôt d'aller au loin, jusqu'au palais de l'empereur, implorer sa clémence. Il laissa Chrysostome à la tête de son Eglise. Ramener au calme une population affolée par le désespoir, la mettre en garde contre les excitations malsaines de certains émeutiers de profession, lui faire attendre avec patience les résultats de la mission de son évêque, la distraire de ses préoccupations obsédantes en élevant sa pensée vers les vérités de la foi : tels furent les objets de vingt et un discours, connus sous le nom d'Homélies sur les statues, prononcés par saint Chrysostome, discours, dit Villemain, sans exemple dans l'antiquité, et qui ont à la fois pour nous un monument d'histoire et d'éloquence [52]. Bossuet est plus majestueux, Démosthène est plus entraînant ; mais aucune parole humaine ne donne l'impression d'une communication plus intime entre un orateur et son auditoire. Suivant les mouvements de la foule, irritable et mobile, qui passe de l'abattement à la rébellion, tour à tour Chrysostome conjure, gronde, supplie. Il fait trembler, et il fait sourire. La maladie l'ayant forcé à s'absenter pour quelques jours, la terreur du peuple était montée à son paroxysme. L'intervention d'un magistrat de la ville arrêta seule ce mouvement inconsidéré. Quand il reparut à l'ambon, le saint prêtre s'indigna, d'autant plus que le magistrat était païen. Je rougis de honte, s'écria-t-il, en pensant qu'il a fallu la parole d'un infidèle pour remonter le courage d'un groupe de chrétiens[53].

La 21e homélie, qui clôt la série, nous apprend comment Flavien obtint enfin de Théodose le pardon désiré. Dans ce récit, Chrysostome mêle l'effusion de sa joie à celle du peuple qui l'écoute. Une seule âme semble inspirer l'auditoire et l'orateur. La crise de 387 fut décisive dans l'histoire de la prédication de Chrysostome. C'est elle qui établit entre son public et lui cette sympathie, qui autorisa désormais l'un à tout dire et disposa l'autre à tout entendre[54].

 

VI

En apaisant par son éloquence la sédition d'Antioche, Chrysostome avait efficacement travaillé pour la paix générale de l'empire. Dans le même temps, par sa politique prudente, Ambroise avait entrepris une œuvre pareille en Occident.

Aux premiers jours de 387, l'empereur Valentinien II, qui avait dû subir, quatre ans auparavant, le partage de l'Occident avec l'usurpateur Maxime, reçut de ce dernier une lettre menaçante. Maxime, se faisant le champion zélé de la cause catholique, reprochait à son collègue de ne pas en prendre la défense assez courageusement, et, comme il disait, de braver Dieu et la primauté de l'Eglise de Rome[55]. Au fond, Maxime, qui n'avait consenti qu'à regret et avec une arrière-pensée au partage de l'Occident, ne cherchait qu'à se faire en Italie un parti sur lequel il s'appuierait pour envahir les Etats de Valentinien. L'impératrice mère, Justine, qui dirigeait toujours la cour de Milan, sous le nom de son fils, se sentit profondément blessée et humiliée à cette intervention de la cour de Trèves. Un seul homme lui parut encore capable de négocier utilement avec l'empereur des Gaules, c'était Ambroise. Elle fit appel, une fois de plus, au patriotisme de l'évêque. Le prélat, discernant sans peine l'hypocrisie de Maxime, accepta, de celle qui hier encore le persécutait, la difficile mission qu'elle lui proposait aujourd'hui. Aussitôt après les fêtes de Pâques de 387, il se mit en route pour Trèves, avec le mandat officiel de réclamer les restes de Gratien et la mission réelle de dissiper les griefs de Maxime.

Les circonstances lui permirent de parler très haut. Maxime, pour faire montre de son zèle religieux, venait de faire mettre à mort l'hérétique Priscillien, mais il avait fait prononcer ce jugement sans consulter les évêques. Nous avons vu saint Martin de Tours blâmer l'irrégularité d'une telle procédure et la cruauté sanguinaire du tyran. Ambroise n'eut pas une autre attitude. Il refusa d'entrer en communication avec les évêques qui avaient déféré le jugement de l'hérésie au bras séculier, puis il reprocha à Maxime le meurtre de Gratien : C'était ton maître, lui dit-il, et c'était un innocent[56]. Maxime trembla. L'attitude du prélat homme d'Etat avait été aussi habile que fière. Derrière l'énergie de l'ambassadeur, le tyran avait pressenti une énergique résistance de la cour de Milan.

Malheureusement Justine eut la faiblesse, peu de temps après, de rappeler Ambroise et de le remplacer par un autre ambassadeur moins perspicace. C'était découvrir la faiblesse réelle de son gouvernement. Maxime, désormais rassuré, n'hésita plus à agir par la force. Vers la fin d'août, il envahissait l'Italie. Aux premiers bruits de l'invasion, Valentinien et Justine, pris de panique, quittaient Milan pour se réfugier à Thessalonique auprès de Théodose. Ambroise restait seul dans la ville, respecté par les envahisseurs. Mais le triomphe de Maxime fut de courte durée. Battu par les troupes de Théodose, et conduit tout garrotté par ses propres soldats aux pieds de son vainqueur, il fut exécuté le 28 juillet 388[57]. Valentinien H fut seul empereur d'Occident, et la mort de sa mère Justine, survenue à la même époque, le laissa sous la tutelle de Théodose. Le décès de l'impératrice mère privait les ariens de leur plus puissant appui, et l'influence d'Ambroise redevenait prépondérante dans l'empire.

Le grand empereur et le grand évêque se rencontrèrent pour la première fois après la défaite de Maxime. Ils étaient faits pour s'entendre. L'union étroite de l'Eglise et de l'Etat était leur commun programme de gouvernement. A l'encontre des empereurs païens du IIe et du IIIe siècle, qui avaient vu dans le christianisme l'ennemi de la civilisation romaine, Théodose pensait, comme Ambroise, qu'assurer le respect de la foi orthodoxe était le plus sûr moyen de veiller au salut de l'empire. Théodose avait déjà, plus d'une fois, fait profession, d'une manière non équivoque, de sa fidèle soumission aux lois de l'Eglise ; et Ambroise avait fait preuve, en mainte circonstance, de son loyal dévouement au bien de l'Etat. Des conflits douloureux, loin d'ébranler cette sincère entente, devaient au contraire la raffermir.

Le premier de ces conflits se produisit pendant l'été de 389, tandis que Théodose, cédant aux vœux du sénat et du peuple romain, séjournait à Rome, tout préoccupé d'assurer en Occident les fruits de sa victoire.

Des désordres assez graves avaient éclaté dans plusieurs villes de l'Orient. Ici, des ariens avaient pillé, incendié les maisons des catholiques ; là, des catholiques, des moines même, avaient saccagé des établissements ariens et des synagogues juives. Or Théodose avait, sur l'intercession de son jeune fils Arcadius, pardonné aux ariens qui avaient mis le feu à un quartier de Constantinople ; mais, sur le rapport de ses agents, il avait condamné l'évêque de Callinique à rétablir à ses frais une synagogue juive, démolie au cours d'une émeute. Ambroise protesta au nom de la conscience chrétienne, qui ne pouvait permettre, disait-il, à un évêque d'élever un temple à une fausse religion[58]. Un jour même que Théodose était venu à l'église au moment où Ambroise allait célébrer le saint Sacrifice, le prélat, debout devant l'empereur, ne se décida à commencer les prières liturgiques qu'après avoir obtenu de l'empereur la promesse que son ordre ne serait pas exécuté.

Quelques mois plus tard, un incident bien moins grave en lui-même allait donner lieu à des scènes bien autrement tragiques.

Vers le commencement de 390, la population de Thessalonique, éprise d'un cocher de cirque, s'était soulevée, parce que ce cocher, convaincu d'actes immoraux, avait été emprisonné. La foule, privée de la représentation sur laquelle elle comptait, avait mis à mort plusieurs magistrats, entre autres le gouverneur de la ville, Bothéric, ami personnel de Théodose. Le fond du tempérament de Théodose était une violence de caractère que sa piété ne réussissait pas toujours à réprimer. En la circonstance, la colère l'emporta. Puisque c'est toute la population qui est complice du forfait, s'écria-t-il, que toute la population porte la peine. Quelques-uns de ses officiers, jaloux sans doute de l'influence d'Ambroise, lui firent remarquer qu'il s'agissait ici d'une affaire purement civile, où son autorité pouvait s'exercer en dehors de tout contrôle de l'évêque de Milan. En exécution de son ordre, le peuple de Thessalonique fut attiré dans un cirque, puis brusquement assailli par des soldats, qui, frappant à tort et à travers, laissèrent sur le sol sept mille cadavres. L'empereur, effrayé des conséquences de sa parole imprudente, avait révoqué son ordre, mais trop tard.

Dès que la terrible nouvelle fut connue, dit Ambroise, il n'y eut personne qui ne gémit. Nul ne supposa qu'un tel acte pût être absous. Je vis que l'odieux en serait même accru et retomberait en partie sur moi, s'il ne se trouvait personne pour aller dire à son auteur qu'il avait à se réconcilier avec la justice divine[59].

Pour éviter un choc trop violent, l'évêque, sous un prétexte de santé, s'absenta quelques jours de la capitale. Il écrivit ensuite à l'empereur une lettre empreinte d'une éloquente émotion. Ce qui a été fait à Thessalonique, lui disait-il, n'a rien de pareil dans la mémoire des hommes. Dès lors, il n'y a plus qu'un remède, c'est d'en témoigner votre repentir. Pourquoi auriez-vous honte, empereur, de faire ce qu'a fait le roi David, de dire : J'ai péché devant le Seigneur ? Aucune pénitence particulière n'était indiquée, aucune allusion n'était faite aux prescriptions canoniques de l'Eglise. L'évêque voulait évidemment laisser l'empereur choisir spontanément le mode d'expiation qu'il jugerait compatible avec sa suprême autorité.

Théodose ne parut pas se rendre compte de cette délicatesse. Conseillé sans doute par les officiers dont il avait déjà suivi les indications, et pensant que l'évêque n'oserait le blâmer en face, il se présenta, un jour, avec toute sa suite, comme si rien ne s'était passé, à la porte de la basilique. L'évêque lui barra le passage : Arrêtez, empereur, lui dit-il d'un ton grave. Comment oseriez-vous fouler de vos pieds ce sanctuaire ? Comment vos mains pourraient-elles toucher le corps du Christ ? Comment porteriez-vous son sang à ces lèvres, qui, par une parole de colère, ont fait perdre la vie à tant d'innocents ? N'ajoutez pas un nouveau péché à celui dont vous êtes coupable. A ces mots, dit l'historien de qui nous tenons cette scène, l'empereur baissa la tête et pleura, car il comprenait qu'à côté du devoir des empereurs, il y avait le devoir des prêtres ; puis il rentra dans son palais[60].

Huit mois s'écoulèrent toutefois avant que Théodose se décidât à faire l'acte d'humilité qui devait lui rouvrir les portes de l'église. Le jour de Noël de 390, il se présenta devant Ambroise : Je viens solliciter de vous, lui dit-il, les remèdes qui peuvent guérir ma blessure. L'évêque lui demanda seulement, pour prévenir de nouveaux malheurs semblables à celui dont il portait la responsabilité, de rédiger une loi d'après laquelle tout arrêt entraînant la mort ou la confiscation des biens ne serait promulgué que trente jours après avoir été rendu. L'empereur rédigea la loi séance tenante, et entra dans l'église, où il se prosterna avec les signes de la plus sincère dévotion. En vérité, disait-il plus tard, en se rappelant ce grave événement de sa vie, Ambroise m'a fait voir ce que c'est qu'un évêque[61]. Cette immixtion d'un prélat dans les affaires de la justice séculière, écrit un historien, scandalise les politiques... Mais il est un grand côté de ce drame. Le dernier mot n'est pas resté à la force. Ambroise a personnifié, en cette circonstance, non pas seulement l'Eglise catholique, mais la conscience humaine. Sa victoire est l'une de celles dont on peut dire que ce sont des victoires de l’humanité[62].

 

VII

Les missions politiques remplies par Ambroise, et le gouvernement de son important diocèse, ne l'avaient pas détourné de ses travaux d'exégèse. Il n'y perdait jamais de vue l'enseignement moral. De 386 à 392, il publia : son commentaire de l'évangile selon saint Luc, ingénieux et touchant, mais se tenant souvent trop loin du texte ; son livre De Elia et jejunio, plein de fines et énergiques peintures qui mettent à nu les mœurs d'alors ; le De Nabuthe Iezrælita, où il rappelle aux riches avides les menaces divines ; le De Tobia, où il décrit et flétrit l'usure ; un Hexaméron, dans lequel il imite saint Basile, et met aussi à profit, au témoignage de saint Jérôme, des ouvrages aujourd'hui perdus d'Origène et de saint Hippolyte ; enfin les livres De Abraham, De Isaac et anima, De bono mortis, De fuga sæculi, De Jacob et vita beata, De Joseph patriarcha, De benedictionibus patriarcharum, où l'élément parénétique domine[63].

Saint Jérôme, dans sa retraite de Bethléem, où il s'était retiré en 386, n'était pas non plus resté inactif et avait donné au public plusieurs commentaires des Livres saints, mais avec un plus grand souci de l'interprétation littérale. Pour mieux entendre les Livres sacrés, il reprit, sous la direction d'Israélites savants, l'étude de l'hébreu ; il y joignit celle du chaldaïque. Cette dernière langue, dans laquelle ont été écrits le livre de Tobie et une partie du livre de Daniel, lui coûta des peines infinies[64]. Paula et Eustochium, initiées à la langue hébraïque, aidaient Jérôme dans ses travaux ; elles lisaient la Bible de concert avec lui, et, par leur pieuse et insatiable curiosité, provoquaient des explications que le saint, de son aveu, empruntait aux maîtres de la doctrine. A leur prière, il commenta les Epîtres à Philémon, aux Galates, aux Ephésiens, à Tite ; il acheva pour les deux survivantes l'explication de l'Ecclésiaste que Blésilla lui avait demandée autrefois[65]. Vers 390, Jérôme composa, en s'aidant d'un écrit de Philon, son Liber interpretationis hebraicorum nominum, et son ouvrage sur la géographie de la Terre sainte, De situ et nominibus locorum hebraicorum. A la même époque, il entreprit de traduire à nouveau sur l'original, suivant la vérité hébraïque, comme il disait, tout l'Ancien Testament. Il commença par les livres des Rois, s'attaqua ensuite au livre de Job, puis à la fois aux Prophètes et aux Psaumes. En 392, pour déférer aux désirs d'un Mécène puissant, Dexter, préfet du prétoire, il résolut de faire pour la littérature ecclésiastique ce que Suétone avait fait pour les lettres profanes, et composa son De viris illustribus, tableau succinct, dit-il, de tous ceux qui, depuis la passion du Christ jusqu'à l'an XIV de Théodose, ont publié quelques travaux remarquables sur l'Ecriture sainte. Malgré ses lacunes et ses erreurs, le travail du solitaire de Bethléem garde l'honneur d'avoir frayé une route, et reste, pour l'histoire de la littérature chrétienne, une source précieuse qu'à maints égards on ne saurait remplacer[66].

Dans le catalogue que Jérôme nous a laissé de ses propres ouvrages, il place immédiatement après son De viris ses deux livres Adversus Jovinianum ; ce qui a fait penser qu'il les composa en la même année, c'est-à-dire en 392[67]. L'hérétique Jovinien, que nous avons vu troubler les fidèles de Rome au temps du pape Damase, ne s'était pas contenté de propager ses erreurs par la parole, il les avait exposées dans un livre qui, paru vers 390, fut aussitôt condamné par le pape Sirice[68]. Des chrétiens de Rome pensèrent que personne mieux que Jérôme ne pouvait réfuter la nouvelle hérésie. Ils lui firent parvenir le livre de Jovinien, en Palestine. Quelques jours après[69], paraissaient les deux livres Adversus Jovinianum, œuvre tumultueuse, bouillonnante de verve, où l'on trouve en abondance ces excès de langage qu'on a tant reprochés au fougueux Dalmate. Il faut reconnaître qu'il n'y mesure pas toujours ses expressions, que l'éloge enthousiaste de la virginité semble aller parfois jusqu'à trop rabaisser le mariage, et que son indignation contre l'hérésie s'y traduit en invectives véhémentes contre l'hérétique lui-même, ce barbare grossier, dit-il, dont pas un mot, pas une syllabe n'ont un sens plausible, dont les arguments s'accumulent comme un tas d'immondices, qui ne s'enfle que pour s'aplatir, qui ne bondit que pour s'effondrer dans un effort avorté[70]. Le portrait des femmes, que fait Jérôme à la fin de son premier livre, est trop poussé au noir. Le traité de Jérôme contient, il est vrai, autre chose que ces tableaux et ces injures. Le premier livre montre, par de bons arguments tirés de la Sainte Ecriture, la prééminence de la virginité sur le mariage, et le second livre réfute par de sérieuses ripostes les thèses de Jovinien sur l'inutilité du jeûne, l'impeccabilité du baptisé et l'égalité de la récompense céleste pour tous les vrais chrétiens.

L'apparition de cet ouvrage à Rome y souleva les plus vives critiques. Les ennemis de Jérôme l'accusèrent de condamner l'union conjugale, de renouveler les erreurs des manichéens et des encratites. Le tumulte fut si grand, que le sénateur Pammachius, ami de Jérôme, crut devoir retirer de la circulation tous les exemplaires qu'il put se procurer. Il en avertit le solitaire de Bethléem. Un jeune moine lui écrivit aussi pour lui signaler tous les passages qu'il jugeait répréhensibles dans son livre. Cette dernière lettre fut loin d'apaiser Jérôme. Le ton de son critique lui parut insolent, et il dédaigna cet emporté, cet ignorant, ce batteur de pavé qui osait se prononcer sur des thèses dont il ne comprenait pas le premier mot[71]. Mais sa réponse à Pammachius contenait une judicieuse mise au point de l'œuvre trop rapidement improvisée. Je n'ai pas, disait-il, l'avantage qu'ont la plupart des écrivains d'aujourd'hui, de pouvoir, comme eux, corriger mes ouvrages. A peine en ai-je fait quelqu'un, que mes amis, ou mes envieux, le répandent avec empressement dans le public. Mais il ne retirait rien du fond de sa pensée : Eh quoi, s'écriait-il, j'ai voulu démontrer que la virginité est de l'or, le mariage de l'argent, et la fornication du fumier. Qu'a-t-on à redire à cotte thèse ? Il remerciait tout de même Pammachius du soin qu'il s'était donné pour retirer les exemplaires de son œuvre.

 

VIII

Ce Pammachius, que Jérôme faisait le confident de ses pensées intimes, était le gendre de Paula, dont il avait épousé la fille Paulina. Quatre saintes âmes, Paula, Eustochium, Paulina et Pammachius représentaient au saint prêtre le quadrige mystérieux d'Ezéchiel, qu'il se figurait conduit par Jésus-Christ lui-même. Vers 392, Pammachius mit le solitaire de Bethléem en relations avec un de ses parents qui, lassé à son tour des plaisirs du monde et des lettres profanes, aspirait à goûter la forte et saine poésie des Livres saints. Il s'appelait Paulin. Par son langage doux et tempéré, par son goût de la mesure en toutes choses, Paulin devait faire un contraste frappant avec Jérôme.

Méropius Pontius Anicius Paulinus était né dans les Gaules, à Bordeaux, en 353 ou 354, d'une famille patricienne apparentée aux Anicii[72]. Les Paulin possédaient en Aquitaine d'immenses propriétés. Sidoine Apollinaire nous a laissé la description de l'une de leurs villas, où l'on admirait, autour d'une maison de maître, ornée d'élégantes décorations de marbre et de stuc, des jardins peuplés de statues, de grands bâtiments ruraux, d'immenses champs de vignes, de vastes prairies, où travaillaient des centaines d'ouvriers agricoles[73]. En ces somptueuses résidences, la vie était fastueuse et facile. On y jouissait d'une aimable tolérance. Un spiritualisme assez élastique constituait un terrain commun où païens et chrétiens pouvaient se rencontrer sans trop de heurts[74]. Un homme représentatif de cet état d'esprit était le rhéteur Ausone, esprit élégant, nature bonne et souriante, mais à la pensée religieuse si vague, qu'on a pu se demander, même après l'étude attentive de ses œuvres, s'il était païen ou chrétien[75].

Ausone fut le premier maître de Paulin, et resta toujours son ami. Le jeune patricien fut initié par lui et par d'autres maîtres habiles à toutes les connaissances de son temps. Quand, vers l'âge de 25 ans, il vint à Rome, berceau de sa famille, les Romains admirèrent la culture de ce fils de la Gaule, également versé dans la poésie, l'éloquence, la philosophie et le droit. Un des deux sièges de consul se trouvait vacant. L'empereur Gratien désigna Paulin au sénat pour remplir cette charge jusqu'à la fin de l'année 378. Celui qui devait un jour tant édifier l'Eglise par son esprit de pauvreté et d'humilité, fut le héros de ces triomphales cérémonies d'inauguration consulaire, auprès desquelles, dit-on, pâlissaient les honneurs impériaux. Revêtu d'un somptueux costume, il défila dans les rues de la Ville éternelle, pavoisées de riches tentures, semées de fleurs et parfumées d'encens. Son consulat fut brillant. Seize ans plus tard, quand il revint à Rome, revêtu d'une grossière tunique, le bâton du pèlerin à la main, le souvenir n'en était pas effacé dans la mémoire du peuple.

Le premier appel de la grâce à une vie pauvre et austère se fit entendre à son âme un an plus tard, dans la Campanie, dont il venait d'être nommé gouverneur, près de Nole, où il possédait des biens de famille. Il nous a raconté lui-même en vers touchants comment, tandis que se célébraient des fêtes en l'honneur du patron de la contrée saint Félix, la vue de plusieurs miracles accomplis sous ses yeux auprès du tombeau du saint, éleva sa pensée, par-dessus les choses de la terre, vers l'amour du Christ Jésus[76].

On peut dire que son mariage avec une noble Espagnole, quelque temps après, tut la seconde étape de sa conversion. Une grande affection humaine devait conduire vers le pur amour de Dieu cette âme d'élite, non encore pleinement détachée des vanités de ce monde. C'est à saint Félix de Nole, son patron aimé, que Paulin attribue cette seconde grâce. J'avais franchi les Pyrénées, dit-il dans l'un de ses poèmes ; j'avais gagné le pays des Ibères. Là tu permis que je prisse une épouse selon les lois humaines. Ainsi tu gagnais à la fois deux vies. Tu te servais du joug de la chair pour mettre en commun le salut de deux âmes, et, par les mérites de l'une, tu compensais les hésitations de l’autre[77]. Thérèse, la pieuse épouse de Paulin, n'a pas été placée par l'Eglise au rang des saints qu'elle honore d'un culte public, mais les quelques renseignements que nous avons sur elle nous la montrent comme un modèle achevé de la femme chrétienne, aidant son époux à gravir le chemin de la perfection où Dieu l'appelait.

En dehors du poète Ausone, à qui il ne cessait d'envoyer des vers, Paulin compta au nombre de ses amis intimes Sulpice-Sévère, noble, riche, éloquent comme lui, qui passait alors pour la lumière du barreau dans l'Aquitaine, et qui devait, après son veuvage, embrasser comme lui une vie de prière et de pauvreté. Il connut aussi le saint évêque de Tours, Martin, qui, un jour qu'il souffrait d'une maladie des yeux, le guérit miraculeusement par le simple attouchement d'un peu d'huile sainte[78]. Martin, au témoignage de Paulin lui-même, aima Paulin et Thérèse d'une paternelle affection[79]. Des relations plus intimes encore s'établirent entre le noble patricien[80] et le saint évêque de Milan. Quoique j'aie été baptisé à Bordeaux par l'évêque Delphin, écrit-il, je ne laisse pas de considérer le vénérable Ambroise comme mon père spirituel, puisque c'est lui qui m'a instruit des mystères de la foi et qui me donne encore les avis nécessaires pour m'acquitter dignement de mes devoirs[81].

Vers l'an 389, Paulin reçut le baptême. Un précieux poème, longtemps perdu, et retrouvé au commencement du XIIe siècle, nous livre tout entière l'âme de Paulin à cette époque. Ce poème, d'une grande beauté par l'élévation du sentiment et en quelques endroits par la forme, est un admirable chant de reconnaissance et d'espoir. En même temps, s'affirme  un détachement des honneurs et de la richesse, qui annonce le prochain abandon de tous les biens terrestres[82].

Peu de temps après, survint une épreuve sur laquelle nous sommes insuffisamment renseignés, et qui dut être cruelle. Un de ses frères périt de mort violente. Fut-il impliqué dans quelque affaire politique ? Mourut-il assassiné ? On ne sait. Aussitôt les biens de Paulin sont confisqués ; sa vie est menacée. Dans un de ses poèmes, il attribue à saint Félix de Nole la grâce d'avoir échappé à la mort et à la ruine dans cette circonstance. Félix me secourut, écrit-il ; ce qui suivit l'a fait connaître[83]. On a supposé qu'il fut poursuivi comme frère d'un condamné politique. D'un autre texte, on a conclu avec quelque vraisemblance qu'une horrible calomnie l'aurait rendu responsable de la mort de son frère. Faites, Seigneur, s'écrie-t-il, que je ne sois jamais ni accusé de crime, ni suspecté : la distance est si petite, du suspect au condamné ![84] Paulin et Thérèse quittèrent la Gaule, et se retirèrent au pied des Pyrénées, aux environs de Barcelone et de Saragosse. C'est là qu'un enfant leur naquit ; mais il ne fit qu'apparaître ; car il mourut au bout de huit jours. Ce lien rompu fut le signal du brisement de tous les autres. D'un commun accord, Paulin et Thérèse résolurent de se dépouiller peu à peu de tous leurs biens[85] et de vivre d'une vie monastique. Thérèse ne fut plus désormais pour Paulin qu'une sœur, vivant avec lui dans une communauté de prières et d'aumônes. Lorsqu'ils écriront aux grands de l'Eglise, ils signeront ensemble : Paulinus et Theresia, peccatores.

Le renoncement n'aurait pas été complet, si Paulin n'avait pas abandonné en même temps, comme Jérôme, la culture des lettres profanes. Jusque-là, dans ses poésies, la plupart adressées à Ausone, il avait chanté, en s'inspirant des auteurs païens, les beautés de la nature. Il écrivit encore en vers à son ami, mais pour lui dire : Pourquoi rappelles-tu en ma faveur les muses que j'ai répudiées ? Mon cœur, consacré maintenant à Dieu, n'a plus de place pour Apollon... Une plus grande Divinité a subjugué mon âme[86]. C'est alors qu'il s'adressa à Jérôme pour le consulter sur l'emploi de sa vie et ses futures études. Le solitaire de Bethléem lui répondit : Pas d'hésitation. Ne détachez pas le câble qui retient votre barque au rivage, coupez-le. Etudiez les Livres saints. La sainteté dans l'ignorance n'est utile qu'à elle-même. Elle peut nuire aussi, puisqu'elle ne sait pas défendre l'Eglise quand on l'attaque. L'étude de l'Ecriture est ardue. Un voile couvre la face de Dieu. On ne peut contempler cette face qu'après avoir déchiré le voile[87]. Nous verrons comment Paulin profita des conseils de Jérôme.

 

IX

Saint Mais à cette heure où l'illustre converti Gaulois s'orientait vers la vie parfaite, un autre converti, un autre fils spirituel d'Ambroise, un autre ascète, prêtre depuis un an, utilisait déjà sa science de l'Ecriture pour édifier l'Eglise et combattre l'hérésie.

Il était né, à peu près en même temps que Paulin, le 13 novembre 354, à Tagaste[88], en Afrique, et s'appelait Aurélius Augustinus. L'Eglise, qui l'honore sous le nom de saint Augustin, ne connaît pas d'homme qui, depuis saint Paul et saint Jean, ait exercé une influence plus profonde sur la théologie et sur la piété chrétienne.

L'histoire d'Augustin, depuis sa première enfance jusqu'à son sacerdoce, en 391, est moins l'histoire des événements auxquels il a pris part que l'histoire de son âme. Chez lui, la vie intérieure est tout ; ou du moins tout s'y ramène ; les étapes de sa conversion ne sont pas, comme pour saint Justin, les étapes d'un pèlerinage à la recherche de la vérité ; ou, comme pour saint Paulin, celles de quelques événements providentiels ; elles sont plutôt marquées, comme on l'a dit, par les mouvements de deux amours : celui d'un Amour infini attirant à soi l'âme de sa créature, et celui de l'amour créé cherchant Dieu, alors même qu'il semble le fuir. Ajoutons que ces étapes sont aussi marquées par les actions réciproques de deux esprits : celle de l'esprit humain, qui dans son fond ne trouve que misère, et celle de l'Esprit infini, Vérité immuable et béatifiante[89]. Pour Augustin, la recherche du bonheur et la recherche de la vérité se mêlent et se confondent.

Fils d'une mère profondément chrétienne, Monique, et d'un père païen, Patrice[90], grandissant dans l'atmosphère sensuelle et voluptueuse de l'Afrique d'alors, il sent douloureusement en lui, dès ses premières années, suivant les paroles de saint Paul, la lutte de l'esprit contre la chair, le heurt de la volonté contre les choses extérieures : Je voulais montrer mes volontés à qui pouvait les accomplir, dit-il ; mais en vain ; elles étaient au dedans, on était au dehors ; et nul sens ne donnait à autrui entrée dans mon âme aussi je me démenais de tous mes membres[91]. D'une part, il lui semble qu'il n'aime qu'à jouer[92], parce que dans le jeu il trouve la satisfaction d'un impérieux besoin d'activité ; mais, d'autre part, les pensées d'une Providence veillant sur le monde[93], d'un Christ Sauveur[94], et d'une béatitude éternelle[95] répondent, il le sent, à un besoin profond de son cœur. Il déteste le travail que donne l'étude, il a peur des châtiments, il prie Dieu pour n'être point battu à l'école[96] ; et pourtant il est fier de constater qu'il a appris à parler, moins par le secours d'un maître, que par la force de sa propre intelligence[97].

Aux écoles de Tagaste, de Madaure, de Carthage et de Rome, il cherche la satisfaction de son besoin d'aimer et de son besoin de savoir dans les plaisirs des sens lès plus enivrants, dans les erreurs de l'esprit les plus captieuses ; mais son cœur n'a point de repos. Seigneur, s'écriera-t-il plus tard, le cœur de l'homme est sans repos, tant qu'il ne s'est pas reposé en Vous[98]. C'est le résumé de toutes ses Confessions. A seize ans, il contracte une liaison coupable, mais déchiré par les verges brûlantes de la jalousie, flagellé par les soupçons, les craintes et les colères[99], il éprouve le besoin de quitter ce qu'il appelle le marécage de la chair. A dix-neuf ans ayant rêvé de renoncer à tout pour la vérité, il tombe dans les pièges de l'hérésie manichéenne. Les promesses d'une philosophie qui se disait libre de tout frein, l'espoir d'y trouver une explication scientifique de la nature et la solution du problème de l'origine du mal, les vertus affectées des initiés de la secte, l'attirèrent vers cette doctrine qui, niant la liberté de l'homme et attribuant le mal à un principe étranger, ruinait l'idée de la responsabilité morale, et tranquillisait l'amour-propre en lâchant la bride aux passions[100]. Mais la doctrine de Manès laissait dans l'esprit d'Augustin bien des nuages et bien des doutes. Le vide effrayant de sa philosophie qui détruisait tout et ne bâtissait rien[101], l'immoralité de ses adeptes en opposition avec leur affectation de vertu, la faiblesse intellectuelle de leur chef, l'évêque Faustus, détachèrent Augustin d'une illusion qui avait duré neuf ans.

A vingt-neuf ans, une nouvelle passion s'empare de lui, celle de la pure philosophie. Il s'enthousiasme pour tout ce qu'il y a de noble dans les idées de Platon et de Plotin. Il s'aperçoit en même temps qu'à mesure qu'il s'affranchit des choses sensibles, il entre mieux dans la connaissance des choses spirituelles. Il rêve alors d'une vie simple, chaste, partagée avec quelques amis dévoués comme lui à la recherche désintéressée du vrai, du beau et du bien[102]. Une lumière abondante entre dans son âme par la lecture des Ecritures, qui lui révèlent deux grandes vérités inconnues des platoniciens : le salut par le Christ et la victoire par la grâce[103].

Nommé professeur de rhétorique à Milan, il y rencontre Ambroise, dont il suit les prédications, d'abord en amateur de beau langage, puis avec une attention sérieuse qui s'attache au fond de la doctrine. La douce influence de sa mère, qui est venue le rejoindre à Milan, puis la conversion au catholicisme du célèbre rhéteur néo-platonicien Victorin[104], préparent son âme au grand coup de la grâce qui le terrasse, à trente-trois ans, dans le jardin de sa maison à Milan, à l'automne de 386.

Dix ans plus tôt, tandis que Monique pleurait les égarements de son fils plus que les mères ne pleurent la mort corporelle de leurs enfants[105], un vieil évêque, témoin de sa douleur, l'avait consolée par ces mots : Le fils de tant de larmes ne saurait périr[106]. L'espérance mise au cœur de la pieuse mère était près de se réaliser. Mais laissons Augustin lui-même nous faire le récit du drame intérieur qui se dénoua par sa conversion à la foi chrétienne.

Je souffrais et je me torturais, me tournant et me ret3urnant dans des chaînes qui ne me retenaient plus que par un faible anneau, mais qui me retenaient pourtant. Je me disais : Allons ! allons ! point de retard ! Et j'allais agir, et je n'agissais pas. Et je retombais dans l'abîme de ma vie passée. Et plus l'insaisissable instant, où mon être allait changer, devenait proche, plus il me frappait d'épouvante.

Et ces bagatelles de bagatelles, ces vanités de vanités, mes anciennes amies, me tiraient par ma robe de chair, et me disaient tout bas : Est-ce que tu nous renvoies ? Quoi ! Dès ce moment, nous ne serons plus avec toi pour jamais ? Elles.ne m'abordaient plus de front, comme autrefois, querelleuses et hardies ; mais par de timides chuchotements murmurés à mon oreille. Et la violence de l'habitude me disait : Pourras-tu vivre sans elles ?

Mais du côté où je redoutais de passer, une autre voix se faisait entendre. La chaste majesté de la continence étendait vers moi, pour m'accueillir, ses mains pieuses. Et elle me montrait, défilant sous mes yeux, des enfants, des jeunes filles, des veuves vénérables, des femmes vieillies dans la virginité, des vierges de tous les âges. Et, avec un ton de douce et encourageante ironie, elle semblait me dire : Eh quoi ! Ne pourras-tu faire ce qu'ont fait ceux-ci et ceux-là ? Tu chancelles, parce que tu t'appuies sur toi-même. Jette-toi hardiment sur ton Dieu ; il ne se dérobera pas pour te laisser tomber.

Cette lutte intestine était comme un duel de moi avec moi. Je m'avançai au fond du jardin ; et je laissai couler mes larmes ; et je m'écriai dans mes sanglots : Seigneur, jusques à quand Jusques à quand ? Demain ?... Demain ?... Pourquoi pas sur l'heure ?

Je disais, et je pleurais de toute l'amertume de mon cœur brisé. Et tout à coup j'entends sortir d'une maison voisine comme une voix d'enfant ou de jeune fille, qui chantait et répétait ces mots : Prends et lis ! prends et lis ! Je cherchai à me rappeler si c'était un refrain en usage dans quelque jeu d'enfant ; et rien de semblable ne me vint à la mémoire. Je revins à la place où j'étais auparavant et où j'avais laissé le livre des Epitres de Paul. Je le pris, je l'ouvris, et je tombai sur ces paroles : Ne vivez pas dans les festins, dans les débauches... mais revêtez-vous de Jésus-Christ. Je ne voulus pas, je n'eus pas besoin d'en lire davantage. Ces lignes à peine achevées, il se répandit dans mon cœur comme une lumière de sécurité qui dissipa les ténèbres de mon incertitude... J'allai aussitôt trouver ma mère. Je lui racontai tout. Elle se réjouissait en m'écoutant. Elle triomphait. Et elle vous bénissait, Seigneur, ô vous qui êtes puissant à nous exaucer au delà de nos demandes, au delà de nos pensées[107].

Au jour de Pâques 387, ou du moins au temps pascal, Augustin fut baptisé par Ambroise[108]. A l'automne de cette même année, il perdit sa sainte mère. Aucune littérature n'a des pages d'un sentiment plus exquis que le récit de cette mort bienheureuse et de la douleur d'Augustin[109]. Le nouveau chrétien, voulant réaliser aussitôt son désir de vie parfaite, vendit ses biens, en distribua le prix aux pauvres, et se retira à Tagaste, dans sa propriété déjà aliénée, pour y vivre en commun avec quelques amis, dans la pauvreté, la prière et l'étude[110].

Mais cette solitude ne devait pas être inactive. Dans une âme de feu, comme celle d'Augustin, il ne pouvait y avoir de long intervalle entre la conversion et le prosélytisme. En devenant chrétien, il se fit apôtre. Au lendemain même de son retour à la foi, à l'automne de 336, il publie ses trois livres Contra Academicos[111]. Il y combat le scepticisme de la nouvelle Académie, dont il avait tant souffert, et y montre que le bonheur n'est pas dans la recherché de la vérité, mais dans sa connaissance. Au cours de la même année, paraissent ses deux livres De ordine[112], qui examinent le rôle du mal dans le plan de la Providence. Cet ouvrage, dont les Soirées de Saint-Pétersbourg peuvent nous donner une idée, est le résumé d'entretiens qui avaient eu lieu à Cassiciacum entre Augustin et quelques amis, et auxquels Monique avait parfois pris part. Augustin tenait à voir sa mère intervenir dans ces conférences, où s'agitaient les plus hauts problèmes de la philosophie, parce que là où lui et ses amis étaient tentés de ne mettre que l'effort de leur intelligence, Monique apportait, avec tout le charme qu'une exquise pureté donne à une âme, l'accent de son cœur[113]. Après son baptême, en 388, Augustin compose deux livres : De moribus Ecclesiæ catholicæ et De moribus Manichæorum[114]. Il y oppose aux turpitudes secrètes des manichéens les vertus de l'Eglise dans ses religieux, ses clercs et ses laïques ; il y établit aussi la théorie de la charité, source de toute sainteté. En 388, Augustin commence à Rome son traité De libero arbitrio[115], qu'il achèvera à Hippone en 395, où il commence à examiner le problème de l'accord de la liberté avec la prescience divine. En 389, il fait paraître son livre De magistro, où il développe sa célèbre théorie du Verbe, seul maître intérieur. De 389 à 392, trois ouvrages importants se succèdent : le De vera religione, le De utilitate credendi et le De diversis quæstionibus. Le premier[116], fruit de la solitude de Tagaste, est, dit le P. Portalié, un petit chef-d'œuvre d'apologie, non seulement contre les manichéens, dont il est spécialement parlé, mais contre tous les infidèles. Il y prouve que la vraie religion n'est que dans l'Eglise catholique, fondée sur l'histoire de la religion et les prophéties. Le second ouvrage[117] montre que la foi n'est pas accordée à l'aveugle, mais sur des preuves divines de l'autorité infaillible de l’Eglise[118]. Le De diversis quæstionibus[119] est un livre de mélanges, où sont traitées des questions de tout genre, philosophiques, exégétiques et surtout dogmatiques. Tous les ouvrages publiés par Augustin à cette époque sont le fruit de ses dialogues avec des amis ou de ses controverses avec des adversaires ; tous sont inspirés par une intention apologétique.

Depuis ses origines, l'Eglise n'avait jamais manqué d'apologistes ; mais le choix de leurs arguments avait été presque toujours déterminé par un point de vue particulier. Judiciaire au temps des persécutions, historique et exégétique contre les Juifs, théologique contre l'hérésie[120], l'apologétique chrétienne pouvait désormais, après le triomphe officiel de l'Eglise dans la société, se constituer sur un terrain moins restreint à la fois et plus solide ; s'adresser, non plus spécialement au persécuteur, au juif, à l'hérétique, au païen, mais à tout homme en général ; s'appuyer, non plus particulièrement sur tel point de la doctrine de l'Eglise, mais sur l'ensemble de ses dogmes ; être à la fois défensive et constructive, dogmatique et psychologique. C'est ainsi que venait de la comprendre le génie d'Augustin.

Il en a tracé le rôle, dans son livre De libero arbitrio, en une formule pittoresque et vivante : Il s'agit de montrer, dit-il, autant qu'il est possible, premièrement qu'il est raisonnable de croire, et ensuite qu'il serait fou de ne pas croire[121]. Il ne faudrait pas s'imaginer que ces deux points de vue impliquent deux parties distinctes dans son argumentation ; ils se mêlent constamment à la dialectique qu'ils inspirent, l'apologiste ayant le double dessein de confirmer les fidèles dans leur foi et d'y attirer les infidèles.

Augustin considère tour à tour le dogme catholique dans ses garanties extrinsèques et dans ses convenances intrinsèques. Pour mieux atteindre toute âme humaine, il ne se contente pas d'invoquer les miracles de l'Ancien et du Nouveau Testament, l'accomplissement des prophéties, la merveilleuse propagation du christianisme ; la grande preuve qui semble avoir frappé davantage Augustin, c'est la sainteté du christianisme incarné dans l'Eglise et la transformation morale du monde[122]. Dans le De vera religione, après avoir tracé un magnifique tableau de la révolution morale accomplie, il conclut que si les grands philosophes, Socrate et Platon, en étaient aujourd'hui témoins, ils se feraient chrétiens[123]. A l'évêque d'Hippone, ainsi qu'aux Pères du concile du Vatican[124], l'Eglise apparaît comme la démonstration mise à la portée de tous[125]. Quant aux dogmes chrétiens, Augustin les envisage moins en eux-mêmes que dans leurs rapports avec l'âme et les grands devoirs de la vie chrétienne. Ainsi s'explique seulement sa division de la théologie, à première vue si étrange, dans l'Enchiridion : il ramène toute la doctrine chrétienne aux trois vertus théologales ; c'est qu'il considère dans les dogmes les trois activités de l'âme qui doivent en vivre. De même, il est très bref dans l'exposé des mystères divins, et développe à loisir les dogmes anthropologiques du péché et de la grâce. Le point de départ de ses recherches dans toutes ses premières œuvres, ainsi que l'a très bien remarqué Eucken[126], est essentiellement humain, psychologique : c'est le bonheur, c'est le Fecisti nos ad Te et irrequietum est cor nostrum des Confessions[127].

On n'aurait pas encore une idée complète de l'apologétique d'Augustin si l'on ne tenait pas compte de sa conception de la Providence dans le monde, de sa doctrine sur l'action du Verbe en chacun de nous, de sa théorie sur le rôle de l'amour et de l'humilité dans la foi, enfin de son idée sur la puissance de conviction que porte en soi le contact de l'âme avec la vérité. 1° A la base de toute démonstration, il pose le grand principe de la connaissance de la Providence divine : Si, dit-il, Dieu ne gouverne point par sa Providence les choses humaines, il est inutile de discuter sur la religion[128] ; 2° pour Augustin, l'intelligence a besoin de la lumière de Dieu, vérité suprême, pour connaître le vrai, comme elle a besoin de la grâce de Dieu, bien suprême, pour pratiquer la vertu ; c'est ce qu'il développe amplement dans son livre De magistro, c'est sur quoi il reviendra dans presque tous ses ouvrages[129] ; 3° aucune vérité morale ou religieuse, si certaine qu'elle soit en elle-même, ne pénètre dans l'âme que par l'amour et l'humilité : par l'amour, dit-il, on demande, par l'amour on cherche, par l'amour on frappe à la porte, par l'amour la vérité se fait connaître, par l'amour enfin on persiste dans la vérité connue[130] ; pour arriver à la vérité, dit-il encore, la première route c'est l'humilité ; la seconde, l'humilité ; la troisième, l'humilité ; et, aussi longtemps que vous m'interrogerez, je vous répondrai la même chose[131] ; 4° pour saint Augustin enfin, un surcroît de preuve arrive à l'âme par son contact soit avec l'erreur, soit avec la vérité, car l'erreur se fait reconnaître à l'impuissance de comprendre tout ce qu'elle implique[132], et, pour se faire connaître, la lumière de la vérité est à elle-même son propre témoin[133].

Tel est, dans sa riche et féconde complexité, la doctrine apologétique d'Augustin, telle qu'elle se révèle dans ses premiers ouvrages. Nous aurons, chemin faisant, l'occasion de constater la richesse et la fécondité non moins grandes de ses doctrines sur Dieu, sur l'homme, sur le péché, sur la grâce, sur la sainte Ecriture et sur l'Eglise.

 

X

Au moment où le génie d'Augustin achevait le dernier en date des ouvrages d'apologétique dont nous venons de parler, le De utilitate credendi, vers le milieu de l'année 392, une brusque révolution bouleversait l'empire. Pour mieux en saisir les causes et pour mieux en mesurer le retentissement, il est nécessaire de reprendre, au point où nous l'avons laissé plus haut, le récit des événements politiques.

Depuis la mémorable scène du jour de Noël de 390, Théodose, pour bien montrer la sincérité de sa pénitence, n'avait pas cessé de manifester son zèle à l'égard de la religion et de l'Eglise. C'était sans doute un fait inouï jusque-là dans l'histoire, que ce désir d'un empereur d'expier un crime politique sous l'impulsion de sa foi religieuse. Cette pénétration de la conscience chrétienne dans les mœurs publiques est une des étapes les plus remarquables de la propagation du christianisme dans la société[134]. Les témoignages de ce sentiment se trouvent dans les lois que Théodose promulgua, le 12 mars 391, pour rendre la liberté à tous les enfants que des parents pressés par la misère avaient réduits en servitude ; le 10 juillet de la même année, pour autoriser le plus humble particulier, victime d'un attentat de la part d'un grand ou d'un soldat, à se faire justice soi-même par les armes. Au point de vue juridique, ces deux lois heurtaient de front les principes les plus fondamentaux et les plus traditionnels de l'ordre romain sur les droits intangibles de la propriété et de l'autorité. Elles marquent un tournant dans l'histoire du droit. On rapporte généralement aussi à la même époque deux lois qui flétrissent et condamnent à de terribles supplices d'infâmes désordres jusque-là tolérés dans le monde romain[135]. Pour bien marquer l'inspiration chrétienne qui lui dicte ces mesures, l'empereur publie en même temps trois lois qui frappent les païens, les apostats et les hérétiques. Un édit du 27 février 391 interdit à tous les sujets de l'empire, et plus particulièrement aux fonctionnaires, de fréquenter les temples de l'idolâtrie, d'élever leurs regards vers des simulacres formés par des mains humaines[136]. Un édit du 5 mai prive les apostats du droit de paraître en justice et de toute dignité, soit acquise, soit héréditaire. Cette déchéance, s'ajoutant à l'incapacité de léguer et de recevoir par testament, qui les frappait déjà, fait d'eux de véritables morts civils[137]. Enfin, l'édit du 15 mai défend aux hérétiques de se rassembler en quelque endroit que ce soit, pour une réunion publique ou pour un entretien secret[138]. Rien n'est plus absolu que ces prescriptions, et les termes expressifs qui les portent à la connaissance du public en soulignent l'importance. Cependant, détail singulier, elles sont toutes adressées, soit au préfet du prétoire, Albin, soit au préfet d'Italie, Flavien, fonctionnaires notoirement attachés au paganisme. On a conclu avec vraisemblance de cette singularité, que Théodose en donnant ainsi à sa pensée une forme tranchante et décisive, avait en vue de faire une profession de principes éclatante, plutôt qu'un acte suivi de conséquences pratiques[139].

En cette même année 391, l'empereur réunit à Capoue un concile ayant pour objet de mettre fin au schisme mélécien et à la propagande d'un évêque de Sardique, Bonose, qui, suivant l'opinion d'Helvidius et de Jovinien, prêchait contre la perpétuelle virginité de la Mère de Dieu. Les divisions des chrétiens d'Antioche furent hautement blâmées, et les erreurs de Bonose énergiquement condamnées. Mais ici encore on remarque, à côté de la condamnation énergique, une grande mesure dans la répression effective. La solution du conflit d'Antioche fut soumise à l'arbitrage de l'évêque d'Alexandrie, Théophile, et le soin de condamner, après enquête, l'évêque Bonose, fut confié à ses collègues de Macédoine, sous la présidence de l'évêque de Thessalonique[140]. Nous ignorons les suites qui furent données à ces deux affaires.

Dans tous les actes de souveraineté dont nous venons de parler, le nom du jeune Valentinien II est joint à celui de son beau-frère, et les dispositions dont il s'agit sont adressées à tous les sujets de l'empire, sans distinction de l'Occident et de l'Orient.

Mais Théodose avait hâte de retourner à Constantinople, dont il était absent depuis quatre ans. Il quitta Milan, laissant Valentinien à la garde de deux conseillers en qui il avait toute confiance : l'évêque Ambroise, qui éclairerait le jeune prince sur toutes les questions politiques et religieuses, et le général franc Arbogast, dont la fidélité ne lui paraissait pas moins sûre que sa compétence et son courage dans le commandement des armées.

Parti de Milan à la fin du mois de juin, Théodose arriva à Constantinople le 9 novembre. De graves difficultés l'y attendaient. Elles devaient toutefois lui sembler bientôt peu de chose en regard du drame sanglant qui allait troubler l'empire d'Occident.

Des intrigues de palais, des révoltes çà et là, des abus partout : tel fut le spectacle que lui offrit l'Orient après quatre années d'absence. A la cour, deux hommes, le préfet du prétoire Tatien et l'officier gaulois Rufin, s'étaient âprement disputé le gouvernement sous la royauté nominale du jeune prince Arcadius. Tatien l'avait emporté, et avait profité, dit-on, de son pouvoir, pour se livrer à toutes sortes de malversations. Rufin passait pour avoir été l'instigateur du massacre de Thessalonique. La vie de l'un et de l'autre prêtait aux soupçons. Au retour de Théodose, Rufin parvint à supplanter son rival ; mais il se montra si insolent dans l'exercice de sa charge de préfet, qu'un général cher à Théodose, Promotus, se livra contre lui à des voies de fait. Autour de ces hommes, les partis s'agitaient avec effervescence.

Sous de tels chefs, la magistrature avait donné l'exemple de compromissions et de faiblesses scandaleuses. Les défenseurs des cités eux-mêmes, trahissant leur titre et leur mission, s'étaient faits trop souvent les exacteurs impitoyables du peuple qu'ils devaient protéger.

De tous ces désordres, l'orateur Libanius fit un tableau, qu'il présenta à l'empereur dans une suite de discours. Il ne nous appartient pas d'exposer, dans cette histoire de l'Eglise, l'ensemble des mesures législatives que dut prendre l'empereur pour remédier à ces maux. Elles lui coûtèrent beaucoup de soucis, et furent pour lui l'occasion d'oppositions pénibles dans son entourage. Il regrettait le langage franc et impérieux d'Ambroise. Personne, disait-il, ne me dit ici la vérité. D'évêque, je n'en connais qu'un, c'est Ambroise[141].

Des résistances semblables se rencontrèrent parfois parmi le peuple lui-même, quand l'empereur voulut poursuivre la consommation de l'unité religieuse par la proscription progressive du paganisme. A Apamée, qui était alors la seconde ville de Syrie après Antioche, les païens, irrités de la destruction de leur temple, se portèrent vers les églises chrétiennes, qu'il fallut faire garder par des soldats pendant plusieurs jours. On parvint à les sauver ; mais l'évêque, rendu responsable de la prétendue injure faite aux dieux, fut arrêté par un groupe de païens, qui le dépouillèrent et le blessèrent gravement. On dut, pour mettre fin à de pareils désordres, terrifier la population par des lois plus sévères[142].

Par bonheur, le schisme d'Antioche s'apaisa en 392, et ne vint pas ajouter aux épreuves du dehors celles des divisions intestines. Après la mort d'Evagre, décédé en 392 sans désigner de successeur, la tradition épiscopale des dissidents se trouva interrompue, et le schisme, sans direction, cessa d'être un danger pour le moment.

Mais depuis quelque temps Théodose recevait de Valentinien des nouvelles inquiétantes. L'officier franc Arbogast, qu'il avait placé auprès de ce jeune prince de vingt ans pour lui servir de guide, se montrait de plus en plus entreprenant. Il fut bientôt évident qu'il ne cherchait qu'à s'emparer du pouvoir. Contrecarré dans tous ses projets, insulté par son insolent protecteur, Valentinien, non content de tenir Théodose au courant des événements, écrivit à Ambroise pour le supplier de venir l'aider de ses conseils. L'évêque de Milan lui semblait seul capable de l'aider à déjouer les manœuvres de l'ambitieux général. Il conjura le prélat de venir le rejoindre à Vienne. Venez, lui disait-il, me donner le baptême, avant que je. parte en expédition pour combattre les barbares. Mais Arbogast veillait. Ambroise en Gaule, ce n'était pas seulement le courage du jeune prince raffermi, c'était l'évêque prêt à lui parler face à face, c'était l'homme d'Etat clairvoyant au milieu de ses intrigues, ce pouvait être un centre de ralliement pour tout l'épiscopat des Gaules, bref, c'était la menace la plus redoutable qu'il eût à craindre pour l'accomplissement de ses projets. Il fallait à tout prix prévenir cet événement. Le 15 mai 392, le bruit se répandit tout à coup que Valentinien II avait cessé de vivre. La version officielle fut qu'il s'était donné la mort dans un accès de colère. Personne n'y crut. Pas un contemporain ne mit en doute la responsabilité d'Arbogast dans la disparition du jeune souverain ; mais le secret fut si bien gardé sur le mode de cette sinistre opération, que les historiens en donnèrent des versions diverses. Pour les uns, il fut étranglé dans son lit par les eunuques du palais ; pour les autres, il fut assailli par des assassins pendant une promenade sur les bords du Rhône. Peu de jours après, Arbogast, n'osant prendre lui-même le sceptre, faisait acclamer par les troupes une de ses créatures, un ancien rhéteur, du nom d'Eugène. Arbogast était païen. C'était la ruine de la politique ciré-tienne de Théodose en Occident.

 

 

 



[1] HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. II, p. 50, note 1.

[2] MANSI, t. III, p. 615 et s.

[3] Cf. G. VOISIN, la Doctrine trinitaire d'Apollinaire de Laodicée, dans la Revue d'hist. ecclés., 1901, t. II, p. 33 et s.

[4] S. JÉRÔME, Epist., CXXX, n. 10.

[5] RUFIN, Apologia in Hieronymum, P. L., t. XXI. Cf. HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. II, p. 62, note 1.

[6] SOCRATE, H. E., l. V, ch. X ; SOZOMÈNE, l. VII, ch. XII.

[7] La profession de foi d'Eunomius nous a été conservée. On la trouve dans MANSI, t. III, col. 645-649.

[8] SOZOMÈNE, H. E., l. VII, ch. XII.

[9] Cette pétition a été éditée par MIGNE, Patrologie Latine, t. XIII.

[10] P. L., t. XXIII, col. 135-183.

[11] VAN DEN GHEYN, au mot Jérôme, dans le Dict. de la Bible, t. III, col. 1305.

[12] P. L., t. XXIII, col. 183-206.

[13] P. L., t. XXIII, col. 206.

[14] S. JÉRÔME, Ad Damasum, P. L., t. XXIX, col. 525-530.

[15] VAN DEN GHEYN, dans le Dict. de la Bible, t. III, col. 1307.

[16] JÜLICHER, Neutestamentliche Einleitung, p. 389 ; GRÜTZMACHER, Hieronymus, Leipzig, 1901, p. 217-218.

[17] Le psautier gallican est celui que l'Eglise a consacré dans le bréviaire ; mais les passages des psaumes cités dans le missel et le Venite exultemus de l'Invitatoire sont empruntés au Psautier romain.

[18] Damasus ad Hieronymum. Voir A. CONDAMIN, les Caractères de la traduction de la Bible par saint Jérôme, dans les Recherches de science religieuse, 1914, p. 425-440.

[19] LARGENT, Saint Jérôme, p. 28-29.

[20] S. JÉRÔME, Epist. Ad Principiam, P. L., t. XXII, col. 1087 et s.

[21] Epist. XXII, ad Eustochium. P. L., t. XXII, col. 414.

[22] A. DE BROGLIE, Saint Ambroise, p. 67-68.

[23] Sur cet important débat, voir BEUGNOT, Hist. de la destruction du paganisme, l. VIII, ch. VI ; PUECH, Prudence, ch. III, 2 ; THAMIN, Saint Ambroise et la morale chrétienne au IVe siècle, p. 18-21 ; G. BOISSIER, la Fin du paganisme, l. VI, ch. I.

[24] S. AMBROISE, Contra Auxentium.

[25] S. AMBROISE, Epist., XX.

[26] S. AMBROISE, Lettres, XX, 23. Tyrannis sacerdotis infirmitas est.

[27] Code Théodosien, t. I, l. IV, XIV.

[28] S. AMBROISE, Epist., XXXI, 4.

[29] Imperator infra Ecclesiam et non supra Ecclesiam est. S. AMBROISE, Sermo contra Auxentium, 30.

[30] S. AUGUSTIN, Confessions, l. IX, ch. VII, 15.

[31] EBERT, Hist. générale de la litt. du moyen âge en Occident, trad. française, t. I, p. 187.

[32] Sur tous ces points, voir P. LEJAY, dans le Dict. d'arch. et de liturgie à l'article Ambrosien (rit), t. I, col. 1373-1442. Sur le chant ambrosien, voir ibid., col. 1353-1373. Les origines du rit ambrosien sont obscures. Probst le rattache au rit romain ; Mgr Duchesne et Dom Cagin, au rit gallican. Cette seconde opinion paraît plus fondée. Mais Mgr Duchesne ne paraît pas avoir réussi à faire prévaloir son interprétation, qui en fait remonter l'origine à l'évêque arien Auxence, prédécesseur de saint Ambroise, dont celui-ci n'aurait fait que retoucher les formules en y introduisant partout l'orthodoxie (Origines du culte chrétien, 2e édition, p. 88, et Sur l'origine de la liturgie gallicane, dans la Revue d'hist. et de litt. religieuse, 1900, t. V, p. 31 et s.). Dom Cagin adopte l'hypothèse d'un rit romain très ancien conservé à Milan et dans les pays gallicans, pendant qu'à Rome même, non seulement il s'altérait, mais il se laissait supplanter par un rit véritablement autre. (Paléographie musicale, t. V, avant-propos.)

[33] ROSSI, Inscr. christ., t. II, p. 102, 138.

[34] TILLEMONT, Mémoires, édit. de Bruxelles, 1730, t. X, 2e partie, p. 86.

[35] Code Théodosien, t. VI ; TILLEMONT, Mémoires, t. X, 2e partie, p. 86.

[36] JAFFÉ, n. 255. Cf. TILLEMONT, Mémoires, t. X, 2e partie, p. 87-89.

[37] TILLEMONT, Mémoires, t. X, 2e partie, p. 87-89.

[38] JAFFÉ, n. 257.

[39] JAFFÉ, n. 257. Sirice avait déjà rappelé cette loi dans sa lettre à Himère. Il y revint dans la lettre qu'il adressa, en cette même année 386, au concile de Télepte (ou Zelle), dans l'Afrique proconsulaire. Voir VACANDARD, Etudes de critique et d'hist. religieuse, 2e édit., 1906, p. 102-103. Voir les canons du concile de Rome de 386 dans MANSI, t. III, col. 670, et leur commentaire dans HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. II, p. 68-75.

[40] A. PUECH, Saint Jean Chrysostome, p. 34.

[41] VILLEMAIN, Tableau de l'éloquence chrétienne au IVe siècle, p. 149, 179-181.

[42] Œuvres de S. Jean Chrysostome, trad. JEANNIN, t. V, p, 514. Homélie sur Anne la prophétesse.

[43] S. JEAN CHRYSOSTOME, Sur saint Matthieu, homélie 49.

[44] Montfaucon a pu écrire, en rassemblant des textes de saint Chrysostome, son savant Mémoire sur les Modes et les usages du siècle de Théodose le Grand, qui a été inséré dans le tome XIII des Mémoires de l'Académie des Inscriptions. Une étude plus complète et moins sèche est l'ouvrage de A. PUECH, Saint Jean Chrysostome et let mœurs de son temps, un vol. in-8°, Paris, 1891.

[45] VILLEMAIN, Tableau de l'éloquence chrétienne au IVe siècle, p. 169.

[46] Homélie In verba David.

[47] Lettres, CLI, A Amphiloque.

[48] Sur saint Matthieu, XLVII.

[49] Sur l'épître aux Romains, XXXII.

[50] Sur l'épître à Tite, VII.

[51] Sur l'épître aux Romains, VII.

[52] VILLEMAIN, Tableau de l'éloquence chrétienne au IVe siècle, p. 160.

[53] Homélies sur les statues, XVIe homélie.

[54] A. PUECH, Saint Jean Chrysostome, p. 52.

[55] La lettre de Maxime ne se trouve que dans BARONIUS, Ann., 387, § 33. Tillemont, considérant sa concordance parfaite avec les indications données par Rufin (II, 16), Théodoret (V, 14) et Sozomène (VII, 13), n'hésite pas à en admettre l'authenticité.

[56] PAULIN, Vie d'Ambroise, XIX.

[57] Pour la chronologie de tous ces événements, nous avons suivi TILLEMONT, Hist. des empereurs, édit. de Paris, 1701, t. V, p. 834-836.

[58] S. AMBROISE, Epist., XLI, 25-29.

[59] S. AMBROISE, Epist., LI, 6.

[60] THÉODORET, H. E., l. V, ch. XVII ; P. G., t LXXXII, col. 1232-1233. Le P. Van Ortroy, bollandiste, a mis en doute ce récit de Théodoret, par la raison qu'il n'est pas fait mention de cette scène dans deux documents très importants : la lettre adressée par Ambroise à Théodose a propos du massacre de Thessalonique, et la notice écrite sur Ambroise par son secrétaire Paulin La scène en question ne serait qu'une sorte de mise en drame des reproches faits par l'évêque de Milan à l'empereur et de la pénitence de celui-ci. Voir Ambrosiana, Scritti varii publicatti nel XVe centenario della morte di S. Ambrosio Milan, 1897. Les vies grecques de saint Ambroise et leurs sources, par le R. P. VAN ORTROY. Les conclusions du savant bollandiste n'ont point paru concluantes au duc de Broglie, qui, dans une étude, ajoutée en appendice à sa vie de saint Ambroise, maintient l'historicité du fait contesté. 1° Il ne voit aucune raison de suspecter la véracité de Théodoret sur ce point ; cet historien écrivait trente ou quarante ans après l'événement, au milieu de gens qui avaient pu le connaître. Passerait-il par l'esprit d'un historien écrivant en 1900 de prêter à Napoléon III et aux auteurs du 4 septembre un rôle et un langage tout autres que ceux qu'ils ont tenu ? 2° Cette scène, l'attitude qu'y prennent saint Ambroise et Théodose, non seulement ne contredisent pas la lettre de l'évêque de Milan, mais en sont la suite naturelle ; et si, quand il s'agit de la constatation des dates et de la vérification des textes, il est juste de donner à l'érudition le dernier mot ; lorsqu'il est question de la vraisemblance des faits, l'appréciation donnée, après une étude réfléchie, par un historien qui a été mêlé longtemps à la pratique des affaires, doit avoir le droit de se faire entendre. 3° Le récit de Théodoret semble bien confirmé par le témoignage du plus illustre des disciples de saint Ambroise, de saint Augustin, qui, dans la Cité de Dieu, a écrit : Quoi de plus admirable que la profonde humilité de Théodose, lorsque, entraîné par ses familiers à sévir contre les habitants de Thessalonique, il trouve une justice sainte qui l'arrête au seuil de l'église, et fait pénitence ? De civitate Dei, l. V, ch. XXVI, A. DE BROGLIE, Saint Ambroise, 6e édition, p. 203-227.

[61] THÉODORET, H. E., l. V, ch. XVII ; P. G., t. LXXXII, col. 1237.

[62] Raymond THAMIN, Saint Ambroise et la morale chrétienne au IVe siècle, Paris, 1895, p. 33.

[63] Sur ces ouvrages, voir BARDENREWER, les Pères de l'Eglise, t. II, p. 320 et s. ; LARGENT, au mot Ambroise dans le Dict. de théol. cath., t. I, col. 943-945.

[64] S. JÉRÔME, Præfatio in Danielem.

[65] LARGENT, Saint Jérôme, p. 43-44.

[66] BARDENHEWER, les Pères de l'Eglise, t. I, p. 13.

[67] Dom CEILLIER, op. cit., t. V, p. 598.

[68] S. AMBROISE, Epist., XLII, 4-5.

[69] S. JÉRÔME, Adversus Jovinianum, l. I, I ; P. L., t. XXIII, col. 211.

[70] Adversus Jovinianum, l. I, I ; P. L., t. XXIII, col. 11.

[71] S. JÉRÔME, Epist. ad Domnionem.

[72] Voir André BAUDRILLART, Saint Paulin, évêque de Nole, 2e édition, Paris, 1905. Nous nous sommes beaucoup servi pour la présente notice sur saint Paulin de cette excellente biographie.

[73] S. SIDOINE APOLLINAIRE, Epist., XXII. Cf. L. JOULIN, les Etablissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions de 1900.

[74] A. BAUDRILLART, Saint Paulin, évêque de Nole, p. 4, 5.

[75] A. BAUDRILLART, Saint Paulin, évêque de Nole, p. 9-10. Il semble bien résulter des derniers travaux de la critique qu'Ausone était chrétien, mais toute sa pensée se nourrissait de l'antiquité païenne.

[76] S. PAULIN, Poèmes, XXI ; P. L., t. LXI ; col. 571 et s.

[77] S. PAULIN, Poèmes, XXI.

[78] SULPICE-SÉVÈRE, Vita Martini, ch. XII.

[79] S. PAULIN, Epist., XXXII.

[80] Un grand nombre de témoignages attestent que saint Paulin de Nole fut sénateur. Voir ces témoignages dans LAGRANGE, Hist. de saint Paulin, p. 27-30.

[81] S. PAULIN, Epist., III, 1.

[82] A. BAUDRILLART, Saint Paulin, évêque de Nole, p. 37. Ce poème manque dans la Patrologie de Migne. On le trouvera dans l'édition critique de HARTEL, App., Carm. III, p. 350.

[83] Poèmes, XXI ; P. L., t. LXI, col. 571 et s.

[84] Poèmes, V ; P. L., t. LXI, col. 441.

[85] Ce ne fut pas une mise au pillage, comme le prétend Ausone. Les deux époux se contentèrent de considérer leurs richesses comme un dépôt dont ils devaient user pour le soulagement des pauvres. Même au temps de sa retraite à Nole, Paulin possédait encore quelques débris de ses propriétés. Il finit par ne rien avoir. (A. BAUDRILLART, Saint Paulin, évêque de Nole, p. 44-45.)

[86] S. PAULIN, Carm. X.

[87] S. JÉRÔME, Epist. L.

[88] Aujourd'hui Souk Aras, à vingt-cinq lieues de Bône. Tagaste était, au milieu du IVe siècle, une petite ville de la Numidie proconsulaire.

[89] ROUSSELOT et HUBT, dans Christus, p. 809.

[90] Patrice fut baptisé et mourut chrétiennement vers 371.

[91] S. AUGUSTIN, Confessions, l. I, ch. VI, n. 3.

[92] Confessions, l. I, ch. IV.

[93] Confessions, l. I, ch. IX.

[94] Confessions, l. III, ch. IV.

[95] Audiebam adhuc puer de vita æterna, Confessions, l. I, ch. XI.

[96] Confessions, l. I, ch. IX.

[97] Confessions, l. I, ch. VIII.

[98] Confessions, l. I, ch. I.

[99] Confessions, l. III, ch. I.

[100] Delectabat superbiam meam extra culpam esse. Confessions, l. V, ch. X.

[101] S. AUGUSTIN, De utilitate credendi, l. I, ch. II.

[102] Un traité Sur le Beau, composé par Augustin à cette époque, ne nous est point parvenu.

[103] Confessions, l. VII, ch. XX-XXI.

[104] Confessions, l. VIII, ch. III.

[105] Confessions, l. III, ch. XI.

[106] Confessions, l. III, ch. XII.

[107] Confessions, l. VIII, ch. XI.

[108] La tradition du Te Deum composé en ce jour alternativement par l'évêque et par le néophyte, ne repose sur aucun fondement. L'auteur de ce chant serait un évêque du Ve siècle, Nicétas de Remesiana. Cf. Dom MORIN, Revue bénédictine, 1894, p. 49-77. Mais cette légende traduit exactement la joie de l'Eglise recevant pour fils celui qui allait être son plus grand docteur. D'après Dom CAGIN, le Te Deum, dans son état originel, nous représenterait le type des anaphores latines ou canons de la messe. Voir Dom CAGIN, Te Deum ou Illatio ? un vol. in-8°, Solesmes, 1906.

[109] Confessions, l. IX, ch. X, XI, XII, XIII.

[110] S. AUGUSTIN, Epist., CXXVI, 7 ; XVII, 5.

[111] P. L., t. XXXII, col. 905-958.

[112] P. L., t. XXXII, col. 977-1020.

[113] Voir la scène ravissante racontée au l. I, ch. X-XI, n. 29-33. Cf. BOUGAUD, Sainte Monique, p. 321-349. Voir aussi au l. II, n. 26-45, les remarquables passages sur l'union de la raison et de l'autorité, et sur le rôle des arts libéraux dans l'éducation.

[114] P. L., t. XXXII, col. 1039-1378.

[115] P. L., t. XXXII, col. 1193-1222.

[116] P. L., t. XXXIV, col. 121-172.

[117] P. L., t. XLII, col. 65-92.

[118] E. PORTALIÉ, au mot Augustin dans le Dict. de théol. de VACANT, t. I, col. 2291.

[119] P. L., t. LXXXIII, col. 11-102.

[120] Cf. L. MAISONNEUVE, au mot Apologétique, dans le Dict. de théol. de VACANT, t. I, col. 1533-1535.

[121] De lib. arb., l. III, ch. XXI, n. 60 ; P. L., t. XXXII, col. 1301.

[122] De util. credendi, ch. XVII, n. 37.

[123] Christiani fierent. De vera rel., ch. III-IV, n. 3-7.

[124] Constit. de fide, ch. III.

[125] E. PORTALIÉ, au mot Augustin dans le Dict. de théol. de VACANT, t. I, col. 2239-2240 ; Cf. Louis DE MONTADON, Bible et Eglise dans l'apologétique de saint Augustin, dans les Recherches de science religieuse, t. II, 1911, p. 209 et s., 441 et s., 546 et s.

[126] EUCKEN, Die Lebensanschauungen der grossen Denker, 4e édit., 1902, p. 211. Trad. fr. dans Ann. de phil. chrét., t. XL, p. 609.

[127] E. PORTALIÉ, au mot Augustin dans le Dict. de théol. de VACANT, t. I, col. 2455.

[128] Si Dei providentia non providet rebus humanis, nihil est de religione satagendum. De util. credendi, n. 34 ; Confessions, l. VI, ch. V, n. 7-8.

[129] E. PORTALIÉ, ibid., col. 2234, 2237.

[130] A more petitur, amore quæritur, amore pulsatur, amore revelatur, amore denique in eo quod revelatum fuerit permanetur. De moribus Ecclesiæ, l. I, ch. XVII, n. 31.

[131] Epist., CXVIII, ch. III, n. 22.

[132] De ordine, l. II, ch. III, n. 10.

[133] Sibi ipsa testis est ut cognoscatur lux. Tract in Joan., tract. XXXV, n. 4. Cf. De vera religione, ch. XLIX, n. 96-97.

[134] Il faut insister sur cette lutte contre soi-même, sur cette étroite union du sentiment moral et du sentiment religieux, sur ce rachat de la faute par l'humiliation consentie, toutes formes nouvelles de la vie intérieure, si même on peut dire qu'avant elles il y avait une vie intérieure. (R. THAMIN, op. cit., p. 33.)

[135] Code Théodosien, III, t. III, l. I ; IX, t. XIV, l. II ; t. II, l. IV ; t. VII, l. VI et VII.

[136] Code Théodosien, XVI, t. X, l. X et XI.

[137] Code Théodosien, XVI, t. VII, l. IV et V.

[138] Code Théodosien, XVI, t. V, l. XX.

[139] A. DE BROGLIE, l'Eglise et l'Etat au IVe siècle, t. VI, p. 339.

[140] MANSI, t. III, col. 738 ; HÉFÉLÉ-LECLERCQ, Hist. des Conciles, t. II, p. 80-82.

[141] SOZOMÈNE, VII, 15.

[142] Code Théodosien, XVI, t. V, l. XXI ; t. X, l. XII.