HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

TROISIÈME PARTIE. — LA PAIX CONSTANTINIENNE

CHAPITRE III. — LA POURSUITE DE L'UNITÉ RELIGIEUSE.

 

 

Au lendemain de sa victoire sur Licinius, Constantin, dans un édit, s'exprimait en ces termes : Je m'étais proposé de ramener à une seule forme l'opinion que tous les peuples se faisaient de la Divinité, et de rendre son ancienne vigueur au corps entier de l'empire, lequel me semblait atteint d'un grand mal. M'étant mis devant les yeux ces deux buts, je contemplais incessamment l'un par le regard secret de la pensée, j'essayais d'atteindre l'autre par la force des armes. Car je concevais que si j'avais pu, comme c'était mon désir, établir entre les hommes l'accord sur le culte de Dieu, l'administration des affaires publiques en aurait recueilli le fruit par un changement conforme aux sentiments pieux de tous les peuples[1]. Toute la politique de Constantin est en ces mots. Ce grand homme a conscience d'avoir à remplir un double devoir : celui de chef d'Etat, chargé de maintenir l'unité de l'empire, et celui d'instrument de Dieu, ayant mission de propager la révélation chrétienne[2] ; et ces deux devoirs lui paraissent non seulement conciliables, mais parfaitement harmonisés. L'unité de l'empire et l'unité de la religion se fortifieront naturellement l'une l'autre. L'empereur renie-t-il pour cela le régime de la liberté des cultes, proclamé à Milan ? Nullement, car ce régime de liberté, naguère proclamé, n'excluait pas, nous l'avons vu, le désir de poursuivre l'unité religieuse ; et la poursuite de l'unité, aujourd'hui nettement manifestée, se conciliait avec la plus large tolérance, le respect de la parole donnée en 313. Que ceux qui sont encore impliqués dans l'erreur de la gentilité, écrit-il en 323, jouissent joyeusement de la même paix et du même repos que les fidèles. Cette reprise des bons rapports mutuels pourra beaucoup pour ramener les hommes dans la voie droite. Que personne donc ne fasse de mal à personne. Que chacun suive l'opinion qu'il préfère... Que nul ne cherche querelle à un autre à cause de ses opinions ; mais que chacun se serve de ce qu'il sait pour aider son prochain, et, si cela n'est pas possible, le laisse en paix. Car autre chose est d'accepter volontairement le combat pour une croyance immortelle, autre chose de l'imposer par la violence et les supplices[3].

Ces derniers mots nous révèlent le fond de la pensée de Constantin. Il ne professera jamais l'indifférence religieuse. Le christianisme sera toujours pour lui la vérité, le paganisme l'erreur, mais il ne cherchera à propager la vérité que par la persuasion et la douceur, et il ne poursuivra l'erreur par la force que dans la mesure où la morale et l'ordre public le demanderont. Certes, hâtons-nous de le dire, ce plan ne sera pas toujours suivi ; emporté par le ressentiment, et plus encore enivré par le succès, Constantin ne respectera pas toujours les bornes qu'il s'est assignées d'une manière aussi sage. Surtout après le concile de Nicée, dont le triomphe l'exaltera, on le verra violer tantôt les droits de l'Eglise, et tantôt ceux des consciences. Mais nous n'avons ici à exposer que les débuts de sa politique religieuse, et l'on doit reconnaître que, pendant cette première période, il resta fidèle aux principes de ses premiers édits.

 

I

Favoriser de tout son pouvoir le progrès et la magnificence du culte chrétien : telle fut la principale préoccupation de Constantin.

La première pensée des chrétiens, au lendemain de l'édit de Milan, avait été d'élever à Dieu, sur un sol depuis trop longtemps souillé par des sacrifices idolâtriques, des temples où retentiraient enfin librement leurs actions de grâces. Jusque-là leur culte avait dû se célébrer dans de pauvres chapelles, se cacher à l'abri de quelque maison hospitalière, ou même, à l'heure des grands périls, se réfugier au fond des souterrains, dans le voisinage des tombes. Sur les débris des sanctuaires ruinés par la persécution, aux lieux consacrés par le sang des martyrs ou par la présence de leurs restes vénérés, sur l'emplacement des catacombes, on vit tout à coup s'élever des temples aux vastes proportions, décorés avec un art merveilleux. D'ailleurs, les anciennes chapelles et les cryptes n'auraient plus suffi à la solennité du culte. L'empereur fit aux églises les plus généreuses offrandes, affranchit des charges publiques les artistes qui travaillaient à leur construction. Les arts de l'architecture, de la sculpture et de la peinture, qui avaient tant contribué à propager l'immoralité et la superstition, se mirent ainsi au service de l'Eglise du Christ. Le Liber pontificalis mentionne les basiliques qui s'élevèrent alors, telles que d'immenses et superbes châsses, sur les tombeaux de saint Pierre au Vatican, de saint Paul sur la voie d'Ostie, de saint Laurent sur la voie Tiburtine, de sainte Agnès sur la voie Nomentane, de saints Pierre et Marcellin sur la voie Labicane[4]. Les basiliques bâties sur les tombeaux de saint Pierre, de saint Paul et de saint Laurent, furent dues à la munificence de l'empereur. L'impératrice Fausta avait déjà fait don à la papauté de son palais du Latran, auprès duquel fut construite la basilique du même nom. Hélène, mère de Constantin, qui possédait une villa sur la voie Labicane, fit élever sur les tombeaux des martyrs Pierre et Marcellin une élégante basilique ; elle devait plus tard, à son retour de Palestine, faire bâtir. auprès d'une autre de ses villas, la domus sessoriana, pour y placer les reliques de la Passion, l'église sessorienne, qui prit bientôt le nom de Sainte-Croix de Jérusalem. Constantine, fille de l'empereur, éleva sur la voie Nomentane, à côté d'une autre villa impériale qu'elle affectionnait, la basilique de sainte Agnès ; et il se peut que l'église d'Anastasie, construite au pied du Palatin, doive son nom à l'une des sœurs de Constantin.

La plus célèbre de ces basiliques fut la basilique du Latran, appelée d'abord l'église constantinienne, l'église mère, consacrée au Christ Sauveur, avant d'être dédiée, au Xe siècle, à saint Jean-Baptiste. Pendant les fêtes de la dédicace, apparut dans les nues, au-dessus du maître-autel, la figure du Rédempteur enveloppée de rayons lumineux : figure majestueuse et douce, dont la mosaïque absidale du grandiose édifice devait perpétuer les traits. Il n'est rien demeuré de la basilique primitive, abîmée par un tremblement de terre à la fin du le siècle ; mais que de merveilles d'art furent accumulées dans ce temple, d'extérieur sobre et austère, la complaisante énumération du Liber pontificalis nous l'apprend[5]. Le baldaquin du maître-autel, donné par l'empereur, était une pièce d'orfèvrerie colossale, où des figures d'argent, hautes de cinq pieds, avec des gemmes dans les yeux, représentaient le Sauveur entouré des apôtres et des anges. La voûte intérieure de ce baldaquin d'argent était en or très pur. Un lampadaire d'or, pesant cinquante livres, y pendait à des chaînes qui pesaient vingt-cinq livres. Les sept autels de la basilique étaient également d'argent, et l'on comptait un nombre prodigieux de vases liturgiques, dont plusieurs incrustés de gemmes[6].

La basilique du Latran ne fut jamais un titre spécial, c'est-à-dire une église paroissiale. Elle fut l'église de l'évêque de Rome. C'est là que le pape célébra solennellement, chaque dimanche, la liturgie au cours de laquelle il envoyait une partie du pain consacré, le fermentum, aux prêtres des églises titulaires, comme marque de communion avec lui. C'est au Latran que se firent désormais les ordinations et la réconciliation solennelle des pénitents publics. La nuit du samedi saint, le baptême des catéchumènes s'administra solennellement dans son baptistère, le seul existant alors pour Rome.

La vie religieuse du peuple fidèle se déroula principalement dans les églises titulaires. Des documents précis montrent que, dès le IVe siècle, les chrétiens y assistaient à l'oblation eucharistique, en participant à la communion ; car il était de règle qu'on n'assistait pas à l'Eucharistie sans y prendre part[7]. Ce fut aussi dans les églises titulaires que se fit l'administration privée du sacrement de pénitence et la célébration des mariages ; là aussi se firent, aux jours de pénitence, ces assemblées particulières de prière qu'on nommait stations[8].

Par suite de ces nombreuses constructions d'églises, l'importance des cimetières ou catacombes diminua ; on en tint cependant toujours compte dans l'organisation du culte. On ne pouvait oublier ces lieux vénérables, berceaux de l'Eglise naissante. Nous avons vu qu'il existait déjà, au temps du pape saint Denys, un rapport incontestable entre les cimetières et les titres ou paroisses. A la suite de l'édit da Gallien, cimetières et titres avaient été répartis entre les prêtres, en même temps qu'était tracée la délimitation des paroisses, au nombre de vingt-cinq. Dès lors, les catacombes furent desservies, non par un clergé spécial, mais par le clergé paroissial, chaque titre disposant d'un ou de plusieurs cimetières[9].

D'autre part, la paix de l'Eglise entraîna des conditions nouvelles pour les catacombes. Saint Miltiade fut le dernier pape enterré dans les souterrains. Saint Sylvestre devait recevoir la sépulture dans une basilique. Beaucoup de ces basiliques, nous venons de le voir, furent bâties au-dessus des cimetières, ayant leurs bases tantôt au niveau des tombes des martyrs, tantôt à un niveau supérieur. Mais cette disposition amena souvent des bouleversements, des destructions, la disparition même de parties considérables des anciennes catacombes. Parfois on se contenta d'élargir le cubicule qui contenait la tombe sainte et on y fit pénétrer plus abondamment la lumière ; parfois le souci de rendre honneur à un martyr illustre amena des dispositions plus radicales. Afin d'atteindre l'étage où reposait le martyr, on n'hésita pas à mettre à nu la catacombe jusqu'au premier ou au second étage. Ce procédé expéditif fut employé en plusieurs endroits, par exemple pour les tombes de saint Pierre au Vatican, de saint Paul sur la voie d'Ostie, de saint Laurent à l'agro Verano, et de sainte Agnès sur la voie Nomentane[10].

La munificence de Constantin s'étendit aux provinces. A Ostie, à Albe, à Naples, à Capoue, à Cirta en Numidie, les architectes impériaux rivalisaient d'activité pour élever au Christ et à ses saints des temples splendides. Eusèbe donne la description de plusieurs églises construites en Orient, notamment de l'immense cathédrale élevée à Tyr, dont les plafonds de cèdre, les voûtes de mosaïques, les autels étincelants d'or et de pierreries faisaient l'admiration de tous.

La faveur impériale se manifesta d'une manière toute particulière dans la glorification des lieux saints de la Palestine. Les pèlerinages en Terre sainte, déjà fréquents avant la grande persécution de Dioclétien[11], se multiplièrent une fois la paix établie. On identifia les lieux précis du crucifiement et de l'ascension, la grotte de Bethléem, bien d'autres endroits vénérés pour avoir été les théâtres des grands mystères fondamentaux du christianisme ; et des églises commémoratives s'y élevèrent. A Antioche, l'endroit où la tradition plaçait le premier établissement des chrétiens fut consacré également par une grande basilique.

L'architecture chrétienne était née. Sans doute, avant Constantin, les chrétiens possédaient, en dehors des catacombes et des demeures privées mises au service du culte, un certain nombre d'églises. L'édit de Gallien, publié en 265, et la décision donnée par Aurélien en 272, au sujet de l'église d'Antioche, supposent que les chrétiens possédaient des édifices spécialement destinés au culte[12]. Mais les historiens ne nous ont laissé aucune donnée sur leurs formes architectoniques. Nous pouvons conjecturer, par des allusions de la Didascalie, des Constitutions apostoliques et du Testament du Seigneur, que les églises préconstantiniennes s'étaient déjà inspirées de la basilique profane, édifice public ordinairement bâti sur un forum, où le peuple se réunissait pour y traiter de ses affaires judiciaires ou commerciales[13]. Ces églises durent être à une seule nef, avec un atrium, un péristyle, deux entrées, dont l'une servait aux hommes et l'autre aux femmes[14]. C'est à peu près tout ce que nous en savons[15].

La basilique constantinienne adopta nettement le type basilical. Rien n'était plus naturel. En faisant ainsi, on ne rompait pas avec des habitudes déjà prises. Les constructeurs et les architectes ne connaissaient guère, en dehors des temples, en fait d'édifice public, que la basilique, et son affectation purement civile ne soulevait pas chez les chrétiens les répugnances que les temples païens leur inspiraient.

Le plan de la basilique profane était un parallélogramme deux ou trois fois plus long que large. Deux rangs de colonnes la divisaient en trois nefs. Elle comprenait ordinairement trois parties dans le sens de la longueur : le bas des nefs, occupé par le public ; au milieu, le transept, réservé aux gens de loi, avocats, greffiers, etc. ; et, à l'extrémité de la nef centrale, l'abside, où siégeait le tribunal.

Dans la basilique chrétienne, les nefs furent destinées aux fidèles. Des places séparées furent assignées aux hommes, aux femmes, aux pénitents et aux catéchumènes. Dans le transept se tinrent les clercs inférieurs ; comme ils y psalmodiaient et chantaient l'office, cette partie de l'édifice fut appelée chorus ou chœur. Au fond de l'abside fut placé le siège réservé à l'évêque, autour de qui siégeaient les prêtres ; d'où le nom de presbyterium donné à cette partie de la basilique.

L'autel se trouvait à l'entrée de l'abside, ou au fond du chœur. Il consistait en une plaque de marbre carrée, reposant sur un, quatre ou cinq pieds, et décorée de divers ornements[16]. On utilisa parfois des monuments païens désaffectés, qu'on couvrit d'une plaque de marbre[17].

D'une manière générale, on employa, pour la construction des basiliques, de nombreux fragments païens antérieurs, par exemple des fûts de colonnes, des chapiteaux. Les anciennes basiliques chrétiennes de Rome, dit Viollet-le-Duc, ne sont qu'une réunion de fragments antiques[18]. L'assertion paraît un peu trop absolue, mais on peut encore se rendre compte de ce qu'elle a de vrai par l'étude des parties primitives de nos antiques basiliques, presque toutes reconstruites ou restaurées à des époques plus ou moins éloignées. Gardons-nous de croire cependant que l'emploi de matériaux étrangers ait nui d'une manière notable à la pureté de style des églises constantiniennes. Le duc de Broglie a précisément fait remarquer qu'à cette époque, où l'architecture païenne se ressentait grandement de la décadence du goût, où la combinaison hasardée des styles divers, la recherche d'une grandeur lourde et sans grâce, comme dans les thermes de Dioclétien et l'arc de triomphe de Constantin, étaient la caractéristique de l'art, les églises chrétiennes conservaient un caractère particulier et touchant. Presque toutes construites sur un modèle semblable, elles présentaient le symbole de l'ordre renaissant au milieu d'une dissolution générale[19]. Tout le luxe qu'une civilisation convertie entassa dans ces temples ne parvint pas à en enlever la simplicité générale, fruit spontané de l'inspiration chrétienne. Ainsi, au lieu d'adopter le modèle de la basilique voûtée, l'Eglise préféra généralement celui de la basilique à charpente, à toiture portée sur une file d'arcades. Elle garda ainsi, dans ses linéaments principaux, l'apparence champêtre d'une vaste grange. On eût dit l'étable de Bethléem enrichie des présents des Mages[20].

 

II

Le même caractère, somptueux et grave, se retrouvait dans les cérémonies liturgiques, libres désormais de se déployer au grand jour.

Le baptême se conféra dans des chapelles séparées ou baptistères, construites à proximité des églises. Le baptistère du Latran fut l'objet des dons les plus généreux de Constantin. La piscine de porphyre était entièrement recouverte d'une enveloppe d'argent ; au milieu se dressait une colonne de porphyre portant une lampe d'or,  où, pendant les fêtes de Pâques, on brûlait deux cents livres de baume. Sur le rebord de la piscine était un agneau d'or dont la bouche jetait de l'eau ; à sa droite, on voyait l'image d'argent du Sauveur haute de cinq pieds et pesant cent soixante-dix livres ; à sa gauche, l'image pareille de saint Jean-Baptiste, tenant un titre avec l'inscription : Ecce agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi ; enfin sept figures de cerfs en argent jetaient également de l'eau dans la vasque baptismale[21]. Le cerf symbolisait le désir qui poussait les catéchumènes à se désaltérer dans l'eau de la vie et du salut. La vasque avait parfois la forme d'un tombeau pour figurer la mort mystique du baptisé.

Les baptistères étaient assez spacieux pour permettre la collation du baptême à un grand nombre de catéchumènes. Cette cérémonie se fit d'abord avec une grande solennité, aux seules fêtes de Pâques et de la Pentecôte. On ajouta bientôt la fête de l'Epiphanie, puis on baptisa à toutes les grandes fêtes[22]. Les catéchumènes jugés dignes d'entrer dans l'Eglise par l'initiation baptismale avaient dû s'y préparer par quarante jours de prières et de jeûnes, par des examens spéciaux appelés scrutinia, et par des exorcismes. Le baptême solennel était conféré autant que possible par l'évêque lui-même. Le rite essentiel était toujours, suivant l'usage primitif, la triple immersion, en souvenir de la sainte Trinité et des trois jours passés par Jésus au tombeau. Il y avait cependant des exceptions à cette règle, même en dehors du baptême des malades, dont nous avons déjà parlé : les Espagnols n'immergeaient qu'une seule fois les néophytes. Parmi les cérémonies secondaires, on rencontre déjà la mise d'un peu de sel sur les lèvres, l'attouchement des oreilles en prononçant la parole Ephphetha, l'onction, l'imposition d'une tunique blanche, la récitation du symbole de foi, et, en Italie, la présentation d'une pièce de monnaie, rappelant le talent confié par Dieu au néophyte. Tout, on le voit, était combiné pour faire comprendre à l'initié l'importance et la grandeur de la démarche qu'il venait de faire, des grâces qu'il allait recevoir. Maintenant que la profession du christianisme n'exposait plus au martyre, qu'elle pouvait devenir, au contraire, dans la vie civile, un titre à la considération publique, il était plus nécessaire que jamais de rappeler à tous, par les rites les plus expressifs, l'éminente dignité du sacrement qui nous fait enfants de l'Eglise, et les graves devoirs qu'il impose.

Des raisons analogues justifiaient la solennité nouvelle donnée à la célébration du saint sacrifice de la Messe.

L'Eucharistie, ce n'était plus, au temps de Constantin, la touchante fraction du pain, furtivement célébrée entre frères, réunis pour le repas de la charité, dans la chambre haute d'une maison amie. Ce n'était plus le sacrifice offert, dans l'ombre des catacombes, à la lueur de lampes fumeuses, sur la tombe encore fraîche d'un martyr. Ce fut l'action solennelle de l'immolation divine, commémorée et renouvelée dans la grande basilique largement éclairée, au milieu de toutes les pompes de la richesse et de l'art, mises aux pieds du Maître du monde.

Des documents archéologiques et patristiques nous permettent de reconstituer la liturgie d'une messe solennelle célébrée dans la basilique du Latran au temps de Constantin.

Aucun des rites essentiels que nous avons précédemment étudiés, n'est changé. Le cadre seul et quelques cérémonies accessoires sont modifiés.

A peine le fidèle a-t-il franchi le seuil de la basilique, en soulevant le léger rideau de toile qui en ferme l'entrée[23], que son œil est ébloui par des milliers de feux, émanant des candélabres, lampes et cassolettes parfumées, croisant leurs rayons au-dessus de sa tête, jetant d'innombrables reflets sur les lambris d'or, sur le ciborium d'argent repoussé qui domine le maître-autel, sur les pierres précieuses qui ornent les statues, les autels et les vases sacrés.

Au fond de la nef, siégeant dans une chaire monumentale, est le chef de l'Eglise de Rome, entouré de ses prêtres assis, de ses diacres debout. Ceux-ci, vêtus du simple colobium, sorte de tunique légère, serrée autour des reins par le cingulum, se tiennent prêts à diriger, sous les ordres de l'évêque, toutes les cérémonies. Lorsque vous assemblerez l'Eglise de Dieu, est-il dit à l'évêque dans les Constitutions apostoliques, regardez-vous comme le commandant d'un grand vaisseau, pour disposer toutes choses avec prudence, ordonnant aux diacres de placer tous les frères dans le lieu qui leur convient[24].

Voici, en effet, que les diacres quittent l'abside, vont et viennent dans la nef : ils veillent à ce que les pleurants ou chrétiens en pénitence restent sous le porche extérieur ; ils assignent aux écoutants leur place, tout au fond de la basilique ; ils laissent pénétrer les compétents[25] plus avant dans l'église ; ils ont l'œil sur les énergumènes, relégués en un coin du temple et sur tous ceux qui pourraient manquer de réserve dans leur tenue.

Successivement, pendant que les cérémonies de l'avant-messe se poursuivent, les écoutants, les énergumènes et les compétents ont été congédiés par le premier diacre ; les fidèles seuls sont restés[26].

Après s'être donné religieusement le baiser de paix, les hommes et les femmes à part, ils apportent à l'autel leurs offrandes. Ils accomplissent ainsi le précepte du Sauveur : Si tu offres ton présent à l'autel, et que tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton présent devant l'autel et va te réconcilier avec ton frère, et alors tu pourras offrir ton présent.

La foule s'ébranle, se déployant en un long et silencieux cortège. Les hommes s'avancent d'abord, portant chacun, selon sa fortune, son offrande, plus ou moins précieuse. Le don est reçu dans des corbeilles ou dans de grandes amphores qu'on nomme amæ. Nous savons par le Liber pontificalis que Constantin donna au Latran deux amæ d'or très pur pesant chacune 50 livres et vingt amæ d'argent pesant chacune 10 livres. Chaque fidèle, en passant devant les corbeilles et les amphores, s'incline, dépose sou oblation, et reprend sa place dans le cortège. Après les hommes, marchent les femmes, les diaconesses, les vierges. Les matrones portent généralement la stola, les vierges ont le front orné d'un bandeau. Les diacres, debout derrière les amphores, ont revêtu la dalmatique d'or. Ils prennent dans les corbeilles et amphores le pain et le vin nécessaires pour la consécration

Le moment le plus solennel du sacrifice approche. Deux diacres viennent se placer devant l'autel, tenant chacun en main un grand éventail ou flabellum, et chassent les mouches qui voltigent, de peur qu'elles ne tombent dans le calice. Le célébrant, vêtu, pardessus la tunique, serrée autour des reins, de la pénule ou chasuble gravement drapée, consacre le pain et le vin selon le rite que nous connaissons déjà.

Les cérémonies de la communion ont peu varié. Elle est distribuée au cancel, ou table de communion, qui se trouve entre le bas de la nef et le transept. La partie du sol qui correspond à ce cancel est pavée d'une marqueterie de marbre précieux[27]. Les fidèles reçoivent debout le pain consacré, qui est remis dans leur main par le diacre, et ils le portent eux-mêmes à la bouche. Le précieux sang leur est distribué dans un calice à part.

Pendant que les fidèles participent ainsi, d'une manière si familière et si auguste à la fois, au banquet eucharistique, le chœur chante le psaume XXIIIe de David : Je bénirai le Seigneur en tout temps. Sa louange sera toujours sur mes lèvres... Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux. Et l'action de grâces se poursuit jusqu'à la fin de la cérémonie liturgique[28].

Elle se poursuivra même en dehors de la basilique, car il résulte de nombreux témoignages que, dès le IVe siècle, les chrétiens de l'Orient comme ceux de l'Occident, de tout âge et de toute condition, vaquaient tous les jours, en public ou en particulier, à la psalmodie[29]. Sainte Paule raconte que, de son temps encore, le laboureur en conduisant sa charrue, chantait l'alleluia ; le moissonneur suant se récréait par le chant des psaumes ; le vendangeur, en maniant la serpette recourbée, chantait quelque fragment des poésies davidiques[30].

Il était impossible que ce saint enthousiasme ne se communiquât point aux païens. Aussi voyons-nous, par le récit d'Eusèbe, que la foule, charmée par les beautés liturgiques, se portait vers les baptistères, sollicitant et recevant avec allégresse le signe de la Passion du Sauveur[31].

 

III

Malgré tout, le péril païen subsistait. Sans doute, à l'époque où Constantin, en faisant monter le christianisme avec lui sur le trône, changea toute la politique religieuse de l'empire romain, le culte, dont, pour la première fois, le souverain se séparait publiquement, n'offrait plus que l'apparence de ce qu'il avait été aux siècles passés, et ce culte demeurait plutôt comme le symbole toujours respecté de l'unité romaine, que comme le vrai centre religieux des peuples[32] ; mais en devenant la capitale du monde, Rome en était devenue en quelque sorte le Panthéon. Les dieux abstraits de la Sabine et du Latium, les divinités plus brillantes et moins chastes imaginées par le génie de la Grèce, les Baals orientaux et les mythes alexandrins, s'étaient mêlés et confondus dans l'imagination et dans le culte des peuples. Dans cette immense équivoque, que couvrit dès lors le nom de religion romaine, si quelques âmes d'élite rencontrèrent la voie purificatrice qui les conduisit au seuil du christianisme, la masse trouva surtout le moyen de satisfaire plus librement ses passions. Parfois le contraste d'une vie chargée de pratiques pieuses et souillée en même temps des vices les plus immondes, se rencontrait dans la même personne. On se rend compte de ce singulier alliage, dit M. Paul Allard, en étudiant les peintures et les inscriptions d'une célèbre catacombe profane de la voie Appienne. Sur le tombeau d'un prêtre de Sabazius, une épitaphe de la plus basse et de la plus lourde philosophie épicurienne est gravée à côté de peintures rappelant les mythes les plus élevés du paganisme et même des symboles chrétiens. En face, des fresques, décorant la tombe d'un mithriaste, le montrent investi du grade de miles, dont la possession exaltait jusqu'à l'héroïsme et presque jusqu'au martyre la ferveur des croyants, mais offrent en même temps un des symboles les plus obscènes du culte de l'impudique Cotytto. Un peu plus loin, la sépulture d'un prêtre du Soleil Invincible porte une épitaphe où ce ministre d'un culte purificateur est loué d'avoir donné à ses élèves des leçons de volupté[33]. Bref, autant la religion chrétienne, malgré les hérésies et les schismes qui la déchiraient, apparaissait, par la sublimité de son dogme, la pureté de sa morale et la solidité de sa hiérarchie, comme le plus ferme soutien de la société, autant le paganisme, devenu de plus en plus le rendez-vous de toutes les superstitions et de toutes les immoralités, se révélait, malgré le caractère et les hautes idées de quelques-uns de ses représentants, comme le plus redoutable des dissolvants. Constantin le comprit.

Sans manquer à l'engagement qu'il avait pris à Milan de respecter la liberté du paganisme en tant que religion, il se décida à poursuivre dans ses manifestations tout ce qui lui parut manifestement immoral, scandaleusement superstitieux, ou gravement perturbateur de la paix publique. Les temples d'Egée, en Cilicie, et d'Aphaque, en Phénicie, furent démolis pour avoir servi à des scènes d'orgie ; celui d'Héliopolis, pour avoir été transformé, par l'usage, en mauvais lieu. Le temple de Delphes, pour un motif probablement analogue, fut dépouillé de ses statues. Eusèbe assure que l'empereur alla plus loin. Il parle d'une loi qui interdisait d'élever des idoles, de pratiquer la divination, enfin, de sacrifier[34]. Le texte de cette loi ne nous est point parvenu. Il visait apparemment des cérémonies faites dans les maisons privées, car le culte ne fut pas aboli dans les temples d'une manière générale[35]. Dans bien des endroits, convertis en masse au christianisme, les populations, d'elles-mêmes, brisaient leurs anciennes idoles, abattaient leurs temples. Dépouillant les statues de leurs pierreries et des vêtements précieux qui les avaient couvertes jusque-là, ils montraient à leurs derniers adeptes le bois pourri qui se cachait sous ce splendide appareil, et répétaient alors les versets du psaume : Os habent et non loquentur, oculos habent et non videbunt. Similes illis fiant qui faciunt ea et omnes qui confidunt in eis[36].

 

IV

Constantin accomplit une œuvre plus profonde. Il s'appliqua à faire pénétrer dans la législation romaine l'esprit chrétien. Frédéric Ozanam a noté, dans une de ses études les plus pénétrantes, l'opposition radicale existant entre le droit païen et le droit chrétien. Il distingue dans le droit païen trois vices profonds. Premièrement, le droit païen était le domaine, intangible et presque sacré, d'un petit nombre d'initiés, les jurisconsultes, à qui de pareilles fonctions communiquaient une sorte de mystérieux et superstitieux sacerdoce[37]. Un second vice du droit païen, conséquence du premier, était de lui donner toute puissance non pas seulement sur les biens et sur la vie, mais sur les âmes, sur les consciences. Rome étant divinisée, ses volontés étaient divines, légitimes[38]. Un troisième vice profond du droit païen, c'était cette effroyable inégalité dont tous les efforts de la conscience n'avaient pu avoir raison[39]. D'après la loi romaine, la femme était toute sa vie maintenue en tutelle ; le fils était soumis au droit de vente et même au droit d'exposition dès sa naissance ; et, au plus bas de l'échelle, l'esclave était dépourvu de tout droit[40].

Certes, ce droit romain, alors qu'il était codifié par la plume immortelle d'un Gaïus et d'un Ulpien, était beau comme les plus beaux monuments de la vieille Rome. Mais, conclut Ozanam, il rappelait trop le Colisée : édifice admirable, où l'on jetait les hommes aux lions[41].

Le droit constantinien n'opéra pas un changement complet dans les prescriptions qui violaient le christianisme et la morale. Une brusque transformation était impossible. Mais c'est à Constantin qu'il faut rapporter l'heureuse évolution juridique qui aboutit au Code théodosien. Trois grandes nouveautés s'y firent place. Ce fut, en premier lieu, l'effort fait pour donner au droit un caractère de publicité et de sincérité. Avec Constance, tombèrent les formules sacramentelles des testaments, des stipulations et de plusieurs actes et de sincérité du droit civil. On fit aussi disparaître ce que les empereurs appelèrent aucupatio syllabarum, c'est-à-dire les syllabes sacramentelles procédure ; et tous les restes de subtilités juridiques[42]. En second lieu, le temporel et le spirituel ne furent plus confondus. Que veulent donc ces gens, s'écriait Constantin, supplié par les donatistes d'intervenir dans une question religieuse. Ils demandent mon jugement, à moi qui attends le jugement du Christ ! Ils interjettent appel, comme dans les causes civiles. Mais, je le dis en vérité, le jugement des prêtres doit être reçu comme si Dieu en personne était assis sur leur tribunal pour juger[43]. Enfin Constantin commença à réparer la profonde inégalité qui faisait des femmes, des enfants et des esclaves des personnes diminuées. Il donna aux mères une place plus large dans la succession du droit de leurs enfants[44]. Elles devinrent leurs tutrices légales[45]. Le lien conjugal reprit une partie de sa dignité par la restriction des cas de divorce[46]. Dès le mois de mai 315, l'empereur écrivait : Qu'une loi soit promptement affichée dans toutes les villes d'Italie, pour détourner les parents de porter sur leurs enfants nouveau-nés une main parricide ; et, quelques années plus tard, en 321, il écrivait encore : Nous avons appris que les habitants des provinces, souffrant de la rareté des vivres, vendent et mettent en gage leurs propres enfants. Nous ordonnons que ceux qui seront trouvés sans ressource personnelle soient secourus par notre fisc. La loi punit désormais le meurtrier de son fils des mêmes peines qui atteignaient le parricide.

 La peine de mort, enfin, fut appliquée à ceux qui feraient périr leur propre esclave. Constantin facilita de toutes manières la mise en liberté des esclaves. Quiconque aurait déclaré son esclave libre devant le peuple assemblé ou dans une église, serait censé avoir rempli toutes les formalités par lesquelles se conférait le droit de cité romaine. Par deux constitutions impériales, l'Eglise était chargée d'une sorte de patronage officiel pour l'affranchissement du genre humain. Les lieux consacrés devenaient des asiles de liberté et des terres franches. Maîtres de provoquer et de recevoir toutes sortes d'affranchissements, en dehors de toute formalité juridique et de toute entrave légale, les évêques allaient désormais porter dans le sens de la liberté tout le poids de leur autorité religieuse. Il ne fallait pas moins pour faire fléchir, sans briser tous les ressorts de la vie sociale, des habitudes enracinées, défendues par toutes les passions comme par tous les besoins des hommes. L'abolition soudaine de l'esclavage aurait affamé la société antique, qui ne vivait que des produits du travail servile. Elle aurait jeté sur le sol des populations entières, sans guides, sans ressources, incapables de se gouverner elles-mêmes. L'Eglise, en ce moment solennel, accepta de Dieu et de Constantin la tâche d'émanciper le monde sans le bouleverser[47].

 

V

Impulsion donnée au développement du culte chrétien, répression du paganisme, réforme de la législation, tous ces moyens n'agissaient, après tout, que d'une manière extérieure ; ils n'auraient pas suffi à communiquer à la société chrétienne la force intérieure dont celle-ci avait besoin pour remplir sa mission divine à l'aurore de l'ère qui venait de s'ouvrir.

Cette force lui vint, comme toujours, d'un principe plus haut et plus efficace : la sainteté.

La sainteté s'était rencontrée d'abord auprès de Constantin. Dans le temps même où Constantin entourait la dignité impériale de plus de faste et de pompe, les chrétiens voyaient entrer dans leurs assemblées une humble femme, que rien ne distinguait, dans ses habits, des plus pauvres sujets de l'empire. Seule, la religieuse vénération qu'on lui témoignait eût pu faire reconnaître, sous ces modestes dehors, la mère du tout-puissant empereur[48].

Elle était née, vers l'an 248, en Bithynie, d'une famille idolâtre, de basse condition, et avait reçu le nom d'Hélène. Saint Jérôme nous apprend qu'elle avait exercé dans sa jeunesse l'humble profession de fille d'auberge. Or, vers 275, un officier romain, traversant la Bithynie avec l'expédition dirigée contre la fameuse Zénobie, reine de Palmyre, s'éprit des charmes d'Hélène et l'épousa. L'officier s'appelait Constance-Chlore. Dix-huit ans plus tard, ayant franchi les plus hauts degrés de la hiérarchie militaire, il était appelé par l'empereur Dioclétien à partager avec lui le gouvernement de l'empire romain. Cet événement avait eu pour conséquence de le séparer de celle dont il avait fait jusque-là sa compagne. Dioclétien, pour s'assurer la fidélité du nouveau prince, avait exigé de lui la répudiation d'Hélène, et lui avait imposé un nouveau mariage avec la belle-fille de son collègue Maximien Hercule.

L'épreuve avait été salutaire à la pauvre femme répudiée ; elle avait trempé son âme dans le support de la souffrance imméritée. Quand, plus tard, le fils de Constance et d'Hélène, Constantin, converti au christianisme et devenu seul maître de l'empire, appela auprès de lui sa mère très aimée, Hélène était prête à comprendre les enseignements de la religion du Christ. Eusèbe nous apprend que l'empereur lui-même se fit son apôtre : Constantin, dit-il, rendit sa mère, qui auparavant vivait dans l'ignorance du vrai Dieu, si pieuse et si fervente, qu'elle semblait avoir été instruite à l'école même du Sauveur. Nous manquons de détails sur la discrète et féconde influence qu'Hélène exerça dès lors sur son auguste fils. Nous savons que le prince lui ouvrit le trésor impérial, et qu'elle en profita pour secourir les pauvres et bâtir des églises. Nous sommes autorisés à voir son inspiration charitable dans la plupart des lois portées par l'empereur en faveur des humbles, des souffrants, des esclaves et des prisonniers. Nous la verrons, âgée de près de quatre-vingts ans, accomplir le voyage de Palestine et raviver dans l'Eglise le culte de la croix du Sauveur. La voix publique ne tarda pas à la vénérer du titre de sainte.

La sainteté, au début du IVe siècle, ne fleurissait pas seulement dans le palais impérial, elle s'épanouissait, avec une vitalité tout exceptionnelle, dans les déserts de l'Orient. La persécution ne faisait plus couler le sang des chrétiens ; mais les réserves d'héroïsme de l'Eglise n'étaient pas épuisées. Les âmes désireuses d'une vie plus parfaite prirent le chemin des solitudes où Paul et Antoine avaient établi leurs demeures. La persécution, a dit Fénelon, fit moins de solitaires que la paix et le triomphe de l'Eglise. Les chrétiens, si simples et si ennemis de toute mollesse, craignaient plus une paix flatteuse pour les sens qu'ils n'avaient craint la cruauté des tyrans. Les déserts se peuplèrent d'anges innombrables, qui vivaient dans des corps mortels sans tenir à la terre[49].

En 305, Antoine d'Héraclée, quittant le haut nid d'aigle qui lui servait de retraite dans le voisinage de Memphis, avait fondé, aux environs de la mer Rouge[50], la vie semi-érémitique. Les ermites avaient vécu jusque-là isolés, dans des cabanes construites en terre, en bois ou avec des cailloux. Quelques-uns avaient trouvé plus simple d'utiliser les cavernes naturelles, les grottes funéraires des anciens Egyptiens, ou encore les sépulcres abandonnés dans le voisinage des villes. Quelques-uns même, jugeant superflue l'habitation la plus modeste, vivaient en plein air[51]. Frappés de la sagesse d'Antoine, que plusieurs d'entre eux étaient venus visiter, pour lui demander conseil, ils se rapprochèrent de lui, se fixèrent dans les environs. Antoine devint le chef et le père de tous les anachorètes de la Thébaïde, qui trouvèrent, dans des réunions périodiques, tenues sous sa présidence, un nouveau stimulant pour leur ferveur. La renommée du patriarche s'accrut. Des païens, des philosophes platoniciens vinrent le consulter, et furent frappés de la profondeur de ses réponses. Le saint solitaire aimait surtout à disserter sur l'essence de Dieu, sur la trinité des Personnes divines, sur l'incarnation et la mort de l'une d'entre elles pour le salut du monde. L'empereur Constantin lui écrivit comme à son père pour recommander à ses prières l'avenir de son empire. L'enthousiasme des populations éclatait à sa vue. Les infidèles, et jusqu'aux prêtres des idoles, accouraient sur ses pas et s'écriaient : Laissez-nous voir l'homme de Dieu[52]. Mais il n'apparaissait que rarement et comme furtivement au milieu des foules. Les poissons meurent, disait-il, quand on les tire à terre, et les moines s'énervent dans les villes ; rentrons vite dans nos montagnes, comme le poisson dans l'eau[53]. Il y acheva sa vie au milieu d'une foule croissante de disciples et de pèlerins, qui recueillaient ses instructions en langue égyptienne, et qui admiraient en lui jusqu'à la beauté inaltérable de ses traits, que l'âge ne parvenait pas à détruire[54], et surtout sa gaieté, sa joyeuse et avenante affabilité, marque infaillible d'une âme qui plane dans les régions sereines[55].

Saint Athanase, son contemporain et son disciple, a recueilli et nous a transmis dans sa Vie de saint Antoine, le résumé des instructions du vénérable patriarche : Il insistait d'abord sur la persévérance au service exclusif de Dieu : ne pas se relâcher, ni se négliger, ne pas regarder en arrière, vers le monde, abandonné pour toujours ; on a laissé si peu, même si toute la terre était sacrifiée pour la solitude ! Il faut faire l'œuvre de tous les jours, sans se préoccuper du lendemain, avec confiance dans la grâce de Dieu[56]. Ses règles pour le discernement des esprits sont de tous points remarquables. Mille ans plus tard, saint Ignace de Loyola devait, en condensant le fruit de ses expériences et de ses lectures, rencontrer les mêmes idées, souvent les mêmes expressions que le père des moines d'Orient. Les voici, traduites du texte que nous a conservé saint Athanase :

Le discernement des bons et des mauvais esprits est possible et facile par la grâce de Dieu. La vue des saints n'est point troublante. Il ne querellera point, ne criera point, nul n'entendra sa voix. (Is. XLII, 2.) Cela se passe avec douceur et tranquillité, et produit aussitôt la joie et la confiance dans l'âme. C'est que le Seigneur est avec eux, lui qui est notre joie et la puissance de Dieu le Père. Les pensées restent paisibles, sans agitation, de sorte que l'âme contemple, dans une calme lumière, ceux qui lui apparaissent. Le désir des choses divines et des biens futurs la pénètre, et la volonté de s'unir à eux, si elle pouvait s'en aller avec eux. Si, parce qu'ils sont hommes, quelques-uns redoutent la vision des bons esprits, leur apparition fait évanouir toute crainte par leur charité. Ainsi agit Gabriel à l'égard de Zacharie ; ainsi l'ange du sépulcre dans son apparition aux saintes femmes. La crainte dont ils sont l'objet ne vient point de la timidité de l'âme, mais de ce qu'on reconnaît la présence d'un être supérieur. Telle est la vision des saints. L'irruption des mauvais esprits, au contraire, est troublante. Elle est accompagnée de bruits, de sons, de cris, comme s'il s'agissait d'un tumulte de jeunes gens grossiers ou de brigands. Aussitôt l'âme devient peureuse. C'est le trouble et le désordre des pensées, l'abattement, la haine pour les ascètes, la mélancolie, la tristesse, le souvenir du proches, la crainte de la mort, enfin le désir du mal, la torpeur dans la vertu et le bouleversement du caractère[57].

Hilarion et Pacôme, de 305 à 320, continuèrent l'œuvre d'Antoine.

Vers 310, Hilarion avait fait de Gaza, ville de Palestine, un centre de vie érémitique, sur le modèle de celui que saint Antoine avait établi en Thébaïde. Hilarion, dit saint Jérôme, était originaire du bourg de Tabatha, qui se trouve à cinq milles environ de Gaza, en Palestine. Ses parents étaient attachés à l'idolâtrie. Envoyé par eux à Alexandrie, il y donna bientôt, dans la mesure de son âge, des preuves évidentes de son talent et de son caractère. Il se fit aimer de tous, et se montra habile dans l'art de la parole. Mais, ayant embrassé la foi en Jésus, notre Seigneur, il ne se sentit attiré ni par la frénésie du cirque, ni par les jeux sanglants de l'arène, ni par les spectacles lascifs du théâtre. Il ne se plaisait que dans l'assemblée des fidèles.

Ayant entendu prononcer le nom, alors si célèbre, d'Antoine, il fut tout enflammé du désir de connaître le serviteur de Dieu. Il prit le chemin du désert. Il passa près de trois mois avec le saint patriarche, à contempler sa vie si bien réglée et la gravité de ses mœurs... Puis il retourna, avec quelques moines, dans son pays. Ses parents étaient morts. Il partagea ses biens entre ses frères et les pauvres, sans en réserver rien pour lui. Ainsi dépouillé de tout, et revêtu des seules armes du Christ, il s'enfonça dans cette solitude qui, à sept milles de Majoma, s'infléchit vers la gauche, quand on se rend en Egypte. Un manteau de peau, que le bienheureux Antoine lui avait donné à son départ, et une saie de paysan recouvraient son corps délicat et frêle. Il se fixa dans une vaste et affreuse solitude, entre la mer et les marais, bornant sa nourriture à quinze figues sèches, qu'il mangeait après le coucher du soleil.

Le démon essayait bien de chatouiller ses sens. Mais le jeune homme se frappait la poitrine à coups redoublés, pour chasser les pensées mauvaises en se meurtrissant ainsi. Il priait assidûment ; il chantait des psaumes. Il bêchait la terre. Il tressait aussi avec du jonc de petites corbeilles, à l'exemple des moines d'Egypte, et conformément à la sentence de saint Paul : Celui qui ne travaille pas ne doit pas non plus manger.

Nombreuses furent ses tentations ; nombreuses les embûches que Ses miracles. les démons lui dressaient nuit et jour. Mais nombreux aussi furent les miracles que Dieu lui fit la grâce d'accomplir : guérisons de malades, délivrances de possédés, apaisement des bêtes féroces[58]. Le bruit de ses miracles et de ses vertus attira auprès de lui des foules de visiteurs, qui lui amenaient des malades et des démoniaques, ou qui lui demandaient seulement de les bénir. Mais lui, continue son biographe, pleurait chaque jour, se rappelant avec des regrets inconcevables la vie solitaire qu'il menait autrefois. Je suis rentré dans le siècle, disait-il. Hélas ! J'ai reçu ma récompense en cette vie ! Que d'autres admirent ses prodiges, s'écrie ici saint Jérôme, qu'ils admirent sa science et son austérité. Pour moi, ce qui me frappe de stupeur, c'est son mépris de la gloire et des honneurs. A sa retraite accouraient à l'envi les évêques, les prêtres, des troupes de clercs et de moines, beaucoup de dames chrétiennes, sans compter le menu peuple des villes et des campagnes. Là venaient aussi les puissants et les magistrats. Mais lui ne rêvait qu'à la solitude. Il mourut à l'âge de quatre-vingts ans. Sa poitrine conservait à peine un reste de chaleur. Et cependant, les yeux ouverts, il parlait encore : Sors, que crains-tu, sors, mon âme, pourquoi cette hésitation ? Il y a près de soixante-dix ans que tu sers le Christ, et tu redoutes la mort ? Il exhala l'esprit avec ces mots[59].

Le genre de vie adopté par saint Hilarion et par les moines palestiniens qui se mirent sous sa conduite ne différait pas du régime suivi par saint Antoine et par ses moines égyptiens ; saint Pacôme fit faire un pas de plus à l'organisation de la vie monastique. C'est à lui que l'on doit la fondation, dans la Haute-Egypte, de la vie commune ou cénobitique[60].

Pacôme était né, non loin de Thèbes, aux environs d'Esneh[61]. Incorporé, à vingt ans, dans l'armée impériale, il fut touché de la charité avec laquelle les chrétiens prodiguaient les vivres indispensables à la colonne en marche. Il n'avait jamais vu pareille chose chez les païens. Il s'informa curieusement du caractère et de la religion de ses bienfaiteurs. Il apprit qu'ils s'adonnaient à ces œuvres de miséricorde par amour pour Jésus-Christ, Dieu fait homme et Sauveur des hommes. Pacôme, dit son biographe, fit alors à Dieu la prière suivante : Mon Dieu, qui avez fait le ciel et la terre, si vous daignez me faire connaître comment je dois vous servir, je vous promets de ne suivre que votre seule volonté, et, plein d'amour pour tous les hommes, conformément à vos ordres, je remplirai à leur égard tous les offices de la charité[62].

A peine libéré du service militaire, Pacôme se retira au village de Schénésit, dans une ruine appelée le temple de Sérapis, y cultivant quelques légumes, secourant, du produit de son travail, les pauvres de la contrée et les voyageurs qui passaient sur la route. Mais, ayant entendu parler d'un saint moine qui vivait non loin de ce village, il alla le trouver pour se mettre sous sa direction. Ce moine vénérable s'appelait Palamon. Suivant le récit d'un vieux biographe, Palamon entrouvrit la porte de sa cellule et dit à l'étranger : Tu ne peux pas devenir moine ici. Va d'abord essayer ailleurs. Ma règle est trop sévère pour un débutant. Je jeûne tous les jours pendant l'été : je ne prends que du pain, du sel, et, tous les deux jours, un légume, pendant l'hiver ; je passe la moitié de la nuit à chanter des psaumes ou à méditer sur les Ecritures ; parfois même je passe la nuit entière sans dormir. Pacôme dit : J'espère de Notre-Seigneur Jésus-Christ que, soutenu par vos prières, je persévérerai dans ce genre de vie jusqu'à la mort. Et il fut admis à partager l'existence du saint vieillard[63].

Peu de temps après, Pacôme, s'étant aventuré jusqu'à un village abandonné, nommé Tabenne, entendit une voix lui criant du haut du ciel : Reste ici, et construis-y un monastère, car beaucoup d'hommes désireux d'embrasser la vie monastique viendront ici te trouver. Le village de Tabenne était situé sur la rive orientale du Nil, vers l'endroit où le fleuve forme un coude, au nord de Thèbes[64]. Le fait se passait vers l'an 318[65]. Pacôme obéit à la voix mystérieuse et les choses arrivèrent comme il lui avait été dit.

Telle fut l'origine de la première institution cénobitique. Pacôme la considéra comme un progrès sur la vie anachorétique, telle qu'elle se pratiquait autour de lui. La vie du cénobite, disait-il, est plus parfaite que celle de l'anachorète, à raison des vertus dont la société quotidienne des confrères impose la pratique. On y est, de plus, stimulé par la vue des œuvres et des vertus qu'on a sous les yeux. Les imparfaits nous exercent à la mortification, et les parfaits nous montrent la voie à suivre. Il faut croire que la vie isolée avait eu des inconvénients, favorisé peut-être des pratiques étranges ou indiscrètes[66].

L'évolution de la vie anachorétique vers la vie cénobitique se fit peu à peu. Pacôme agrandissait son habitation à mesure que de nouveaux disciples venaient cohabiter avec lui ; mais plusieurs se contentèrent de bàtir des cabanes dans le voisinage. Pacôme leur donna des règles se rapprochant le plus possible de son idéal. Ainsi, il les détermina à mettre en commun le prix de leurs travaux et à manger ensemble.

Quand le nombre des disciples décidés à mener la vie commune eut atteint la centaine, Pacôme construisit une église dans son monastère. Bientôt, à quelque distance de Tabenne, un second monastère dut se bâtir à Pebôou. Quelques années plus tard, on en comptait jusqu'à neuf. Pacôme se transporta alors à Pebôou. C'est là que se tinrent désormais les assemblées plénières. Ce fut le siège de la nouvelle congrégation.

Car c'est bien d'une congrégation religieuse qu'il s'agissait. Chaque monastère formait comme une petite cité, entourée de murs. Plusieurs maisons s'y élevaient, comprenant chacune une quarantaine de moines, groupés suivant la nature de leur travail. On y distinguait des rues et des quartiers.

Le biographe de saint Pacôme raconte qu'un jour sa sœur vint le trouver et lui exprima son désir d'embrasser la vie parfaite. Pacôme lui dit : Examine-toi, et, si Dieu t'appelle, mes frères te construiront, près du village, une cellule et un petit autel. Ce fut bientôt tout un monastère qu'il fallut construire, car plusieurs femmes pieuses se rangèrent sous la direction de la sœur de Pacôme. Telle fut l'origine des monastères de femmes en Orient.

La règle donnée par le nouveau fondateur à ses moines fut naturellement plus douce que celle que s'imposaient la plupart des ascètes. Désirant la rendre uniforme et accessible à tous, il fut obligé de tenir compte d'une certaine moyenne de force physique et de ferveur. L'austérité de la règle fut modérée. De plus, elle fut souple. Ne savez-vous pas, disait le bon patriarche, que certains frères, surtout les plus jeunes, ont besoin de quelque relâchement et de quelque repos ? Il disait aussi : Laissez à la générosité de chacun l'initiative d'une mortification plus grande. Servez la table avec abondance, afin que chacun, suivant sa ferveur, se prive et progresse dans la vertu. Palladius nous a conservé un résumé de la règle pacômienne : on permettait à chacun de s'alimenter suivant les besoins de sa santé. Les travaux étaient proportionnés aux forces. La nourriture se prenait dans un local unique. Quand tout le monde était sur le point de manger, on chantait un psaume. On mangeait en silence, la tête couverte du capuchon. Chacun devait apprendre par cœur le Nouveau Testament et être capable de réciter le psautier sans livre. Un noviciat de trois ans était imposé à celui qui se présentait pour être moine. Pendant ce temps, il était surtout appliqué à des travaux corporels. Les trois ans d'épreuve terminés, il était admis au chœur. Ils portaient tous, sur une tunique de lin, sans manches, retenue par une ceinture, un manteau de peau de chèvre et une coule à capuchon. Ils dormaient assis, un peu renversés en arrière, après avoir disposé sur eux une couverture[67].

Palladius raconte que plusieurs monastères possédèrent bientôt des milliers de religieux[68]. Lorsque saint Athanase vint visiter, dans la Haute-Thébaïde, ces nombreuses communautés, dont la fidélité lui semblait le principal boulevard de l'orthodoxie, saint Pacôme mena au-devant de lui une immense troupe de moines, tous chantant des hymnes, tous enflammés de l'esprit qui devait vaincre et enterrer toutes les hérésies. Ce fut comme la première revue de la nouvelle armée de l'Eglise[69].

Cette armée nouvelle devait bientôt trouver son emploi pour la défense de la foi et de la discipline. La paix constantinienne, en effet, n'avait pas écarté toute menace d'orage. La protection de l'Eglise par l'Etat, inaugurée par Constantin, n'était ni gratuite ni exempte de périls. Le transfert de la capitale en Orient pouvait devenir une occasion de schisme. Le siècle qui avait vu naître Antoine et Pacôme avait vu paraître Arius. Les schismes et les hérésies seraient à l'avenir d'autant plus redoutables qu'ils pourraient espérer capter la bienveillance impériale. Mais le cénobitisme allait grandir. De l'Orient, il devait gagner l'Occident et couvrir le monde chrétien. C'est dans ses rangs que l'Eglise trouvera ses fils les plus dévoués. De saint Athanase à saint Augustin, de saint Augustin à saint Boniface, de saint Boniface à saint Grégoire VII, le monachisme lui donnera ses plus vaillants apologistes, ses docteurs les plus profonds, ses missionnaires les plus intrépides, ses plus grands papes.

 

FIN DU PREMIER TOME

 

 

 



[1] EUSÈBE, Vie de Constantin, II, 65.

[2] La conviction d'être l'instrument de Dieu se manifeste particulièrement dans la proclamation aux Orientaux, que cite EUSÈBE, Vie de Constantin, II, 55.

[3] EUSÈBE, Vie de Constantin, II, 60.

[4] Liber pontificalis, édit. DUCHESNE, t. I, p. 178-182.

[5] Mgr Duchesne a montré la haute valeur archéologique du document utilisé par le Liber pontificatis. Tout y est spécifié : qualité du métal, nombre des pierres précieuses, dimension et poids des sculptures.

[6] André PÉRATÉ, le Vatican, 1 vol. in-f°, Paris, 1895, p. 412-413.

[7] Le cardinal Rampolla a établi ce point dans sa vie de sainte Mélanie la Jeune.

[8] Sur les stations, voir DUCHESNE, Origines du culte chrétien, 2e édition, p. 218, 224, 236.

[9] Dom LECLERCQ, au mot catacombes, dans le Dict. d'arch. chrét., t. II, col. 2431.

[10] Dom LECLERCQ, au mot catacombes, dans le Dict. d'arch. chrét., t. II, col. 2433. Le pape saint Damase devait s'employer, avec une sollicitude admirable, à remédier à tous ces bouleversements.

[11] EUSÈBE en parle dans ses Démonstrations évangéliques, l. VI, ch. XVIII. Or cet ouvrage est antérieur à l'avènement de Constantin en Orient.

[12] Les mentions faites de la destruction de la basilique d'Edesse en 302, de celles de Tyr et de Nicomédie en 303, la mise sous scellés, en la même année, des églises d'Héraclée et de Cirta sont suffisamment démonstratives.

[13] Voir DU CANGE, au mot basilica.

[14] Didascalie, ch. XII, trad. NAU, Paris, 1902, p. 75-76 ; Constitutions apostoliques, l. II, ch. LVII ; Testament du Seigneur, édit. RAHMANI, Mayence, 1899, p. 23, 153-156.

[15] Dom LECLERCQ, au mot basilique, dans le Dict. d'arch, chrét., t. II, col. 541-544.

[16] BOUR, dans le Dict. de théol., t. V, col, 1207 ; LECLERCQ, dans le Dict. d'archeol., t. I, col. 3158, 3, 187.

[17] ROSSI, Bollet. di arch., 1877, pl. III, IV ; LECLERCQ, op. cit., t. I, col. 3175 et s. En disant que la basilique profane a servi de prototype à la basilique chrétienne, nous ne voulons pas exclure d'autres influences secondaires. Nous suivons l'opinion traditionnelle, savamment exposée au XVIe siècle par Léon-Baptiste Alberti. La question de l'origine architecturale des basiliques chrétiennes a soulevé depuis de vives controverses. L'Allemand Zestermann, qui a soutenu l'originalité absolue des basiliques chrétiennes, n'a pas été suivi. L'abbé Martigny est le dernier qui ait voulu voir dans les chapelles des catacombes l'origine des basiliques chrétiennes. On ne peut s'arrêter aux théories qui ont cherché la solution du problème dans les chapelles funéraires ou dans les synagogues juives. Un système plus séduisant, cherchant le modèle de la basilique dans la disposition de certaines salles des maisons particulières, n'a pu triompher. M. DE LASTEYRIE, après avoir consacré tout un chapitre (le chap. III) de sa monumentale Histoire de l'Architecture religieuse en France, Paris, Picard, 1912, à l'exposé et à la critique de ces différents systèmes, conclut ainsi : L'origine des basiliques est plus complexe qu'on ne le croit généralement. A la basilique du forum les fidèles ont emprunté la forme oblongue, la division des galeries parallèles, et surtout cette surélévation de la galerie médiane qui permet d'éclairer l'édifice par le haut. Aux lieux publics de réunion, et peut-être aussi à certains monuments funéraires, ils ont pris l'idée de l'abside. Aux maisons particulières ils doivent l'atrium et l'habitude qu'ils ont longtemps conservée d'accoler à leurs églises, sans souci d'en compromettre l'aspect extérieur, des dépendances diverses. LASTEYRIE, op. cit., t. I, p. 70.

[18] VIOLLET-LE-DUC, Dict. d'architecture.

[19] A. DE BROGLIE, l'Eglise et l'Empire, t. II, p. 168.

[20] A. DE BROGLIE, l'Eglise et l'Empire, t. II, p. 178.

[21] A. PÉRATÉ, le Vatican, les papes et la civilisation, p. 413. Cf. MARTIGNY, Dict. des ant. chrét., au mot baptistère.

[22] La trentième année du règne de Constantin, on commença à baptiser à Jérusalem le jour de la dédicace de l'église du Calvaire. Plus tard, on baptisa aux fêtes des martyrs. Saint LÉON, Ep. CLXVIII, n. 1.

[23] Constantin, en concédant à la basilique le privilège d'asile, avait voulu qu'aucune porte ne pût arrêter l'élan du condamné courant se réfugier au pied des autels.

[24] Constitutions apostoliques, l. II.

[25] On appelait compétents les catéchumènes admis à se préparer au baptême.

[26] On a longtemps admis sans preuves que les pénitents, comme les catéchumènes, étaient exclus de l'assemblée chrétienne après la partie didactique de l'office divin (PETAU, De pœnit. vet.). Cette erreur a été réfutée victorieusement par HUGO-KOCH, dans Theologische Quartalschrift, t. XXXII, 1900, p. 481-534, et les conclusions du savant allemand ont été portées à la connaissance du public français par M. BOUDINHOM, la Missa pœnitentium, dans la Revue d'hist. et de litt. relig., t. VII, 1902, p. 1-20. Mais ce qu'on doit admettre, c'est qu'une place spéciale était assignée dans l'église aux pénitents. (A. D'ALÈS, Limen ecclesiæ, note sur l'ancienne pénitence publique, dans la Revue d'hist. eccl., t. VII, 1902, p. 16-26.)

[27] Cédrénus raconte que, dans la grande église de Constantinople, Constantin avait fait paver d'onyx cette partie du sol.

[28] Voir ROHAULT DE FLEURY, la Messe ; HOPPENOT, la Messe ; Dom CARROL, la Prière antique.

[29] MARTIGNY, Dict. des antiquités chrétiennes, au mot liturgie.

[30] S. JÉRÔME, Œuvres, IV, 351. Cf. S. AUGUSTIN, Enarr. in psalm., LXXXV.

[31] EUSÈBE, H. E., l. X, ch. II.

[32] P. ALLARD, le Paganisme romain au IVe siècle, dans la Revue des quest. hist., t. LI, 1892, p. 345.

[33] P. ALLARD, le Paganisme romain au IVe siècle, dans la Revue des quest. hist., t. LI, 1892, p. 350.

[34] EUSÈBE, Vie de Constantin, l. I, ch. XLV ; l. IV, ch. XXIII, XXV.

[35] A. DE BROGLIE, l'Eglise et l'Empire, t. I, p. 462-467 ; DUCHESNE, op. cit., t. II, p. 77. Dans d'autres circonstances, on voit cependant Constantin tolérer la superstition ou même là réglementer par des édits.

[36] EUSÈBE, Vie de Constantin, l. III, ch. LVII.

[37] Jus est ars boni et aqui, cujus merito quis nos sacerdotes appellet. ULPIEN, Digeste, De just. et jure, l. I, tit. I, § 1.

[38] OZANAM, la Civilisation au Ve siècle, 4e édition, t. I, p. 261.

[39] OZANAM, la Civilisation au Ve siècle, 4e édition, t. I, p. 265.

[40] OZANAM, la Civilisation au Ve siècle, 4e édition, t. I, p. 265.

[41] OZANAM, la Civilisation au Ve siècle, 4e édition, t. I, p. 271.

[42] OZANAM, la Civilisation au Ve siècle, 4e édition, t. I, p. 276-277.

[43] Geste purgationis Cœcil. et Felic.

[44] Code Théodosien, De legit hœred.

[45] Code Théodosien, De his qui veniam.

[46] Code Théodosien, De repudiis.

[47] A. DE BROGLIE, op. cit., t. I, p. 306.

[48] A. ROUILLON, O. P., Sainte Hélène, Paris, 1908, p. 101.

[49] FÉNELON, Discours sur les avantages et les devoirs de la vie religieuse, édit. de Versailles, t. XVII, P. 396.

[50] À l'endroit où s'élève encore aujourd'hui le monastère de Saint-Antoine.

[51] Dom BESSE, D'où viennent les moines, p. 53-54. Cf. Dom BESSE, les Moines d'Orient, Paris, 1900.

[52] Saint ATHANASE, Vie de saint Antoine, ch. XLII.

[53] Saint ATHANASE, Vie de saint Antoine, ch. LIII.

[54] Saint ATHANASE, Vie de saint Antoine, ch. XIII, XL.

[55] MONTALEMBERT, les Moines d'Occident, t. I, p. 64.

[56] F. CAVALLERA, Saint Athanase, Paris, 1908, p. 331.

[57] Saint ATHANASE, Vie de saint Antoine, ch. 35-37. CAVALLERA, op. cit., p. 332-333. La règle qui porte le nom de saint Antoine est l'œuvre d'un moine d'une époque postérieure, qui en a pria les éléments dans la vie du saint, dans les écrits qui lui sont attribués et dans les sermons de l'abbé Isaïe. Dom BESSE, au mot Antoine, dans le Dict. de théol., de VACANT.

[58] Voir ces miracles dans saint JÉRÔME, Vie d'Hilarion, traduction de P. de LABRIOLLE, Paris, Bloud (Science et religion).

[59] La traduction des fragments de saint Jérôme que nous venons de transcrire, est empruntée à M. P. DE LABRIOLLE, Vie d'Hilarion.

[60] De κοινός, commun, et βίος, vie.

[61] Aujourd'hui Latopolis.

[62] Cette citation et les divers traits de la vie de saint Pacôme sont empruntés aux documents cités par P. LADEUZE, Etudes sur le cénobitisme pakhômien, 1 vol. in-8°, Paris, 1898.

[63] Quelques solitaires, établis dans les environs, semblent avoir vécu sous la direction spirituelle de Palamon. Mais c'est à tort qu'on a vu là une première organisation de vie cénobitique. LADEUZE, op. cit., p. 164.

[64] Dom LECLERCQ, au mot cénobitisme, dans le Dict. d'arch. chrét., t. II, col. 3092.

[65] LUCOT, Introduction à l'Histoire Lausiaque, de PALLADIUS, 1 vol. in-12°, Paris, Picard, 1912, p. IV.

[66] En Occident, la marche sera différente. La vie cénobitique n'y apparaîtra que comme une étape vers l'anachorétisme. La règle carthusienne sera considérée comme un perfectionnement de la règle bénédictine. Les deux mouvements n'impliquent pas une contradiction de doctrine. En soi, la vie contemplative est le plus haut degré de la perfection ; mais elle a besoin d'être garantie par des institutions et des probations protectrices.

[67] PALLADIUS, Histoire Lausiaque, trad. LUCOT, Paris, 1912, p. 212-220.

[68] PALLADIUS, Histoire Lausiaque, p. 220-221.

[69] MONTALEMBERT, les Moines d'Occident, t. I, p. 66.