HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — LA LUTTE

CHAPITRE V. — DE LA PERSÉCUTION DE DÈCE À L'AVÈNEMENT DE DIOCLÉTIEN (250-284).

 

 

La paix, une paix toujours précaire, toujours menaçante, toujours incomplète, mais réelle, avait régné d'une manière presque habituelle pendant la première moitié du IIIe siècle, et, par elle, l'Eglise avait pu consolider ses institutions et donner un libre essor aux études religieuses ; la persécution sera, sinon par sa durée, du moins par sa portée et par son retentissement profond, le régime dominant de la seconde partie du siècle. Dèce, en s'attaquant méthodiquement à toute la hiérarchie de l'Eglise, aura pour but de la détruire comme institution sociale ; Valérien, visant surtout ses biens, tendra à la ruiner dans son culte et dans ses œuvres ; Aurélien, en relevant et en protégeant de toutes ses forces le culte mithriaque, lui suscitera la concurrence religieuse la plus redoutable qu'elle ait connue dans l'antiquité. Mais le caractère même de ces persécutions renfermera la reconnaissance implicite d'un fait d'une importance capitale. Ce fait, c'est l'existence de l'Eglise comme association corporative, hiérarchiquement organisée et propriétaire, c'est-à-dire comme société parfaite, non seulement en droit, mais en fait. Le caractère social de l'Eglise, si violemment ébranlée qu'elle soit, survivra à toutes ces secousses. Persécuteurs ou tolérants, les chefs de la société civile compteront avec elle. Pendant un demi-siècle, le régime de la Terreur et le régime des Concordats se succéderont[1]. La science chrétienne ne pourra plus se développer ainsi qu'au temps de l'apogée de l'école d'Alexandrie ; mais, comme les résultats de l'organisation sociale, ceux de l'organisation théologique resteront acquis, et des docteurs nouveaux s'y appuieront pour réfuter des erreurs nouvelles. Enfin, dernier résultat des bienfaits sociaux de l'Eglise et de la science de ses docteurs, comme du courage de ses martyrs, les anciens préjugés populaires contre les chrétiens tomberont d'eux-mêmes. Le vieux cri des foules du u siècle : Les chrétiens aux lions ! ne retentira plus qu'au temps d'une calamité exceptionnelle, et trouvera peu d'échos. La persécution traduira de moins en moins les sentiments de la foule, et deviendra de plus en plus un calcul politique. A travers les épreuves les plus cruelles, l'Eglise verra s'affermir les bases sur lesquelles l'œuvre de la pacification définitive pourra s'établir sous l'empereur Constantin.

 

I

La persécution des chrétiens sous Dèce ne fut pas, comme la persécution néronienne, l'œuvre du caprice d'un despote ; elle fut le résultat d'une réaction, étroitement conservatrice et païenne, contre les faveurs accordées aux chrétiens sous l'empereur Philippe ; la vengeance d'une rivalité jalouse contre la situation sociale acquise par le christianisme pendant la première moitié du lue siècle. Dèce ne fut que l'instrument de cette réaction et de cette rivalité : instrument merveilleusement adapté, par ailleurs, à la besogne dont la faction qui le porta au trône paraît l'avoir spécialement chargé. Loué par les écrivains païens pour la régularité stoïque de sa vie[2], mais maudit par les chrétiens pour son œuvre de destruction calculée et méthodique[3], il fut l'intelligence étroite et le bras implacable au service d'une passion. La divinité de Jupiter et de Minerve le touchait peu, ou plutôt elle se confondait, pour lui, avec la divinité de l'Etat romain, la seule qu'il comprit et qu'il adorât, si c'est adorer quelqu'un ou quelque chose que de tout lui sacrifier, y compris la justice et la pitié[4].

La réaction païenne n'avait pas attendu la fin du règne de Philippe pour se manifester. Une lettre de saint Denys d'Alexandrie, conservée à l'histoire par Eusèbe, nous fait le récit vivant d'une émeute suscitée en 249 contre les chrétiens d'Alexandrie. Denys venait d'y être installé, quand un homme, que le saint évêque qualifie de méchant devin et mauvais poète, réussit à persuader au peuple que ses dieux étaient menacés par les chrétiens. Entraînée par cet homme, continue le récit, la populace pensa montrer une grande piété envers ses dieux en égorgeant nos frères[5]. On commença par se saisir d'un vieillard, et, sur son refus de prononcer des paroles impies, on le roua de coups, on lui enfonça dans le visage et dans les yeux des roseaux pointus, puis, l'ayant entraîné dans le faubourg, on le lapida. Une vierge, Apolline, reçut tant de coups violents sur sa mâchoire, que toutes ses dents furent brisées. Une foule de forcenés se précipita sur les maisons des chrétiens. On dépouilla les fidèles, on les chassa de leurs logis. De jour et de nuit, les rues retentissaient de ce cri : Quiconque refusera de blasphémer le Christ sera traîné et brûlé. Ces violences durèrent jusqu'au moment où une guerre civile, ayant éclaté dans la ville, donna une autre direction aux fureurs sauvages de la multitude. Les chrétiens jouirent alors d'une période de répit ; mais cette période fut courte. Bientôt l'édit de Dèce ralluma la persécution et la rendit, de quelque manière, plus redoutable, en la plaçant sous la direction des autorités légales.

Nous ne possédons pas le texte de cet édit ; mais des témoignages contemporains, surtout les lettres de saint Cyprien et les actes authentiques des martyrs, permettent d'en reconstituer le sens, sans crainte d'erreur. Tous les chrétiens de l'empire, clercs et simples fidèles, nés dans le christianisme ou nouveaux convertis, furent tenus de se présenter à jour fixe[6] pour offrir un sacrifice aux dieux de l'empire[7] et abjurer leur foi au Christ[8]. La désobéissance entraînait un procès criminel. Poursuivis alors d'office, les chrétiens devaient être soumis d'abord à la torture, et, si la torture n'amenait pas l'abjuration, ils devaient être punis de l'exil ou de la mort. Les biens des bannis et des fugitifs étaient dévolus au fisc. Jamais édit de persécution n'avait été conçu en termes aussi généraux et aussi précis à la fois. Septime-Sévère avait voulu arrêter la propagande et visé surtout les convertisseurs et les convertis ; Maximin s'était attaqué de préférence aux évêques et aux docteurs ; l'édit de Dèce frappait tout le monde, et, sans détour, demandait à tous les disciples de Jésus-Christ l'abjuration.

L'effet produit par un tel édit fut terrible. On vit alors se vérifier la pensée que l'auteur de limitation devait exprimer onze siècles plus tard avec tant de concision. Les tentations ne nous rendent pas mauvais ; elles nous montrent tels que nous sommes. La mollesse de la vie avait pénétré presque partout : la défection fut d'abord presque universelle. Un témoin digne de foi, saint Denys d'Alexandrie, nous en a laissé, dans un document d'une authenticité incontestée, l'émouvant tableau : L'édit nous rappela la terrible prédiction du Sauveur : la catastrophe épouvantable et rapide, où les élus eux-mêmes seraient scandalisés, si la chose était possible. Tous furent frappés de terreur. Beaucoup de chrétiens, et des plus considérables, se présentèrent aussitôt. Ceux-ci cédaient à la peur ; ceux-là, étant fonctionnaires, marchaient docilement sur l'ordre de leurs chefs ; d'autres étaient entraînés par leur entourage. A l'appel de leurs noms, ils allaient aux sacrifices impurs et impies. Les uns étaient pâles, tremblants, ressemblant moins à des sacrificateurs qu'à des victimes qu'on va immoler. La foule curieuse les accueillait par un rire moqueur. Certains autres, d'un ton résolu, affirmaient qu'ils n'avaient jamais été chrétiens. A leur sujet, la prophétie du Sauveur est très vraie : ils seront difficilement sauvés[9].

Cependant la pénétration des mœurs païennes n'avait point atteint tous les chrétiens, et, chez les plus amollis, elle avait laissé un fond de foi profonde. Sur l'exemple de quelques héros, l'ensemble de l'Eglise finit par se ressaisir. Les robustes et saintes colonnes du Seigneur, continue Denys, puisèrent dans leur foi solide une force proportionnée, et furent d'admirables témoins du royaume de Dieu[10]. A la vue de leur héroïsme, nous verrons les tombés, les lapsi, comme on les appela, demander humblement à rentrer dans l'Eglise.

La persécution sévit à la fois sur tous les points de l'empire. Rome, l'Italie, la Grèce, l'Asie et l'Afrique, donnèrent des martyrs. La crise fut courte : commencée avec l'année 250, elle était à peu près terminée en mai 251, avant même la mort de Dèce ; mais jamais persécution ne bouleversa plus profondément l'Eglise. Le scandale des apostasies, le malaise profond qui en résulta dans l'Eglise, les efforts des lapsi ou tombés pour obtenir leur réconciliation, les controverses qui s'élevèrent sur ce point entre les partisans de la rigueur et les partisans de l'indulgence, les schismes qui s'ensuivirent, étendirent et prolongèrent le trouble produit par cette courte et violente crise.

Systématique et froid, Dèce versait le sang en calculateur. Si le sens politique de cet empereur le trompait, en lui faisant voir dans les chrétiens les ennemis-nés de l'empire[11], il n'était pas en défaut en lui montrant dans l'évêque de Rome le chef suprême et indispensable de l'Eglise. Dèce avait pris possession du trône impérial en octobre 249 ; dès le 20 janvier, le pape saint Fabien subissait le martyre. Nous n'avons aucun détail sur sa mort ; nous possédons seulement la lettre écrite par saint Cyprien aux prêtres et diacres résidant à Rome, qui lui avaient annoncé la douloureuse nouvelle. Le bruit, encore incertain, de la mort de l'homme éminent, mon collègue, courait parmi nous, quand j'ai reçu la lettre que vous m'avez adressée et dans laquelle vous me donnez les détails de sa fin glorieuse. La gloire en rejaillit sur vous, en même temps qu'elle nous encourage à la foi et à la vertu[12].

C'était moins à la personne de Fabien que Dèce avait voulu s'attaquer, qu'à son autorité souveraine. Il avait moins voulu supprimer un homme qu'abattre une institution rivale. Pendant dix-huit mois, c'est-à-dire tant que Dèce put résider à Rome, il réussit, à force de ruses, de mesures de terreur, d'intrigues de toutes sortes, à empêcher l'élection d'un successeur au pape martyr. Ce ne fut qu'au printemps de 251, lorsqu'il dut partir en Mésie pour combattre une invasion de Goths, que les chrétiens se sentirent assez libres pour élire un successeur à saint Fabien.

Parmi les autres victimes de la persécution de Dèce en Italie, la tradition place l'illustre martyre de Catane, sainte Agathe. Le récit qui nous est parvenu de son martyre est l'œuvre d'un écrivain de basse époque... Cependant quelques traces exactes paraissent avoir été conservées. On aurait bien de la peine à ranger parmi les inventions du narrateur les sublimes réponses d'Agathe aux interrogatoires du gouverneur de Sicile. Quelle est ta condition ? lui demande le juge. — Je suis de condition libre et de condition noble, toute ma parenté en fait foi. — Si tu es d'une si noble et si illustre famille, pourquoi mènes-tu la vie basse d'une esclave ?Je suis servante du Christ, et par là de condition servile. — Si tu étais vraiment d'une famille noble, tu ne t'humilierais pas jusqu'à prendre le titre d'esclave. — La souveraine noblesse est d'être esclave du Christ[13]. Rien n'est plus conforme aux sentiments et au langage des chrétiens de cette époque, qui se plaisaient parfois à prendre, par humilité, le titre et la manière de vivre des esclaves[14].

En Grèce, où les chrétiens, plus amollis que partout ailleurs, apostasiaient en masse, abandonnés par leur évêque Endœmon, qui passa, dit-on, au sacerdoce païen, trois chrétiens donnèrent l'exemple d'un courage admirable. Le 23 février 25o, jour anniversaire de la mort de saint Polycarpe, disent les Actes, le prêtre Pione célébrait le sacrifice en l'honneur des martyrs, en présence d'un chrétien, Asclépiade, et d'une chrétienne, Sabine. Sabine était cette esclave que les chrétiens avaient arrachée à son injuste maîtresse païenne. Elle s'était retirée à Smyrne, chez le saint prêtre Pione, ancien rhéteur célèbre par son éloquence, mais surtout admirable par sa vertu. A peine la prière eucharistique était-elle achevée, continuent les Actes, à peine les assistants avaient-ils mangé le pain et le vin consacrés, que l'officier municipal Polémon entra dans l'appartement, suivi de plusieurs hommes de la police. Dès qu'il aperçut Pione, il lui dit : Vous n'ignorez pas le décret impérial, qui vous ordonne de sacrifier. Pione répondit : En fait de décrets, nous ne connaissons que ceux qui nous ordonnent d'adorer Dieu. L'officier municipal dit alors : Venez sur la place publique.

Dès qu'on arriva sur la place, une immense foule l'envahit. Tous voulurent voir. Ceux qui étaient trop petits montaient sur des escabeaux ou sur des coffres. Parvenu au milieu de la place, Pione étendit la main, et, s'adressant au peuple, le visage souriant et radieux : Hommes de Smyrne, s'écria-t-il, vous qui aimez la beauté de vos murs, la splendeur de votre cité et la gloire de votre poète Homère, écoutez-moi. J'entends dire d'abord que vous tournez en ridicule les chrétiens qui, cédant à la force, ont sacrifié aux dieux. Laissez-moi vous rappeler la parole d'Homère votre maître, qui dit : Ne vous réjouissez jamais de ceux qui sont morts, n'insultez pas un aveugle, n'attaquez jamais un cadavre... Quant à moi, je préfère subir la mort et les supplices, plutôt que de contredire à ce que j'ai appris et enseigné. Il parla longtemps. Toute la foule lui prêtait l'oreille avec tant d'attention, que personne n'osa le troubler. Quand il eut fini, on l'entraîna dans un des édicules qui bordaient la place. Là, chacun s'efforça de lui faire entendre raison. Pione, tu es pur et doux. Tu es digne de vivre. Tu as bien des motifs d'aimer la vie. Que c'est bon de vivre et de respirer dans cette douce lumière ! Pione répondait : Oui, oui, il est bon de s'enivrer de lumière. Je ne méprise pas les dons de Dieu. Mais je cherche une lumière plus belle... Polémon lui dit enfin : Sacrifie. Il répondit : Non. Quel Dieu adores-tu ?Le Dieu tout-puissant, que nous connaissons par son Verbe Jésus-Christ. Asclépiade fut aussi interrogé : Quel est ton Dieu ?Le Christ. — Quoi donc ? C'en est un autre ?Non, c'est le même Dieu que nous avons confessé tout à l'heure.

Quelques jours après, Pione, ayant fait des réponses semblables devant le proconsul, fut condamné à être brûlé vif. On dressa des poteaux, où Pione et un prêtre marcionite, Métrodore, furent attachés. Pione avait à sa gauche Métrodore. Il tenait ses yeux et son âme fixés au ciel. On apporta les mèches, et la flamme s'élança avec un joyeux crépitement. Pione, ayant fermé les yeux, pria en silence. Peu après, son visage s'éclaira d'une vive joie. Il dit amen et rendit l'âme comme un léger souffle. Telle fut la mort du bienheureux Pione[15], homme doux et pur, sans reproche et sans péché. Tel est le récit des Actes. Que devinrent Sabine et Asclépiade ? Les Actes n'en parlent pas. Les vraisemblances font croire qu'ils furent martyrisés avec Pione, ou peu de temps après lui[16].

Parmi les martyrs de l'Asie proconsulaire, nous ne pouvons oublier saint Babylas, le courageux évêque d'Antioche, qui n'avait pas craint d'arrêter l'empereur Philippe sur le seuil de l'Eglise, pour lui faire expier le crime qui l'avait porté au trône. Quoique son martyre soit certain, nous en ignorons les circonstances. Suivant Eusèbe, il mourut à Antioche dans sa prison[17]. Suivant saint Jean Chrysostome, il fut décapité[18]. On rapporte qu'il voulut être enterré avec ses chaînes, et que lorsque, cent ans plus tard, son corps fut transporté près du temple d'Apollon à Daphné, il fit taire l'oracle qui y parlait encore[19].

L'évêque d'Antioche de Pisidie, Acace, fut aussi arrêté. Son procès est un des plus curieux à étudier. Nous possédons la traduction latine authentique du procès-verbal original, lequel a dû être rédigé en grec[20]. Nous citerons les principaux passages de son interrogatoire, précieux document, car on y voit, comme en raccourci, l'ensemble des arguments que s'opposaient chrétiens et païens.

Un certain Martianus, qualifié de consulaire, s'adresse à l'accusé : Tu profites des lois romaines, tu dois aimer nos princes. — Eh ! qui donc aime l'empereur autant que les chrétiens ? Nous prions assidûment pour lui. — Je te félicite de ces sentiments. Offre donc à l'empereur un sacrifice. — Je prie le vrai Dieu pour mon prince, mais celui-ci n'a pas le droit d'exiger de moi un sacrifice. Qui peut adresser un culte à un homme ?Dis-nous quel est ce Dieu, afin que nous l'honorions. Acace feint alors de ne point apercevoir l'ironie de cette question. Il commence par exposer longuement la foi des chrétiens, puis il attaque, avec une verve tantôt ironique, tantôt indignée, les divinités du paganisme : Il connaît sans doute le scepticisme du magistrat qui l'interroge : il réédite, devant lui, et rajeunit, d'un ton piquant, les principales critiques d'Evhémère contre les dieux païens. Le magistrat laisse dire, répond avec mollesse, peu soucieux de se donner devant le peuple le ridicule d'une apologie dont on suspecterait trop la sincérité. L'évêque triomphe, insiste de plus en plus, mordant et acéré. Finalement, le magistrat, impatienté, l'interrompt : Sacrifie ou meurs, lui dit-il brusquement. — Tu ressembles aux brigands dalmates, réplique le chrétien, qui n'ont qu'un mot : la bourse ou la vie, et refusent toute autre explication du voyageur qu'ils ont arrêté. Juge-moi ; mais écoute ce que disent nos saints Livres : Comme tu auras jugé, tu seras jugé toi-même. — Je ne suis pas ici pour juger, reprend le magistrat avec impatience, mais pour contraindre. On ne pouvait exprimer avec plus de netteté le but de l'édit de Dèce. L'empereur ne se souciait nullement de juger la doctrine des chrétiens ou d'apprécier le degré de leur culpabilité ; il voulait les faire disparaître, par l'apostasie ou par la mort. N'osant, peut-être à cause de la popularité de l'évêque, prendre sur lui la responsabilité d'une condamnation, Martianus communiqua le procès-verbal de l'interrogatoire à l'empereur. Plus encore que son magistrat, Dèce était un sceptique. Sans doute, le ton plaisant avec lequel le chef de l'Eglise d'Antioche raillait des divinités dont il n'avait cure, l'intéressa. D'ailleurs, Dèce, dont la politique systématique était implacable, n'était point personnellement méchant. On a remarqué que toutes les fois qu'il s'est trouvé en présence d'un accusé, il lui a montré de l'indulgence. Un document de la même époque nous raconte que, présidant un jour, à Rome, à l'interrogatoire des martyrs, il fit grâce à l'un d'eux, Celerinus, dont la jeunesse et le courage l'avaient touché[21]. La tranquille hardiesse d'Acace eut le même résultat. Le courrier envoyé à Rome pour soumettre à l'empereur le procès de l'évêque d'Antioche rapporta à son retour la grâce de l'accusé.

 

II

L'Afrique chrétienne, fière de ses quatre-vingt-dix évêques[22] et de la gloire de son Tertullien, offrait l'aspect d'une vitalité puissante. Mais, plus effervescente que profonde, plus bruyante que solide, sa ferveur préparait bien des mécomptes. A côté de ceux qui bravaient les bourreaux et qui abordaient l'amphithéâtre avec des airs de gladiateurs, ou même, hélas ! parmi eux (la psychologie humaine n'explique que trop ces contrastes), saint Cyprien signale l'orgueil, l'attachement aux intérêts temporels, le luxe et la coquetterie des prétendus fidèles[23], la négligence du clergé, son faste et ses rivalités jalouses[24]. Ces Phéniciens et ces Berbères de race, qui parlaient la langue latine, n'avaient pas acquis la discipline romaine ; ces esprits, avides de culture grecque, ne possédaient point encore le poli d'Athènes et d'Alexandrie. Entre l'an 236 et l'an 248, de douloureuses divisions agitèrent l'Eglise d'Afrique ; nous n'en connaissons point la cause ni le caractère ; nous savons seulement, par les lettres de saint Cyprien, que le chef de la première Eglise après celle de Carthage, Privat, évêque de Lambèse, dut être condamné comme hérétique par un concile ; que Donat, évêque de Carthage, et Fabien, évêque de Rome, écrivirent contre lui des lettres sévères[25]. Quand, en 249, Cyprien fut porté au siège épiscopal de Carthage par une élection presque unanime, les ferments de révolte n'étaient pas apaisés Cinq prêtres lui firent une opposition qui devait se prolonger pendant tout le cours de son épiscopat. Ce fut l'un de ces cinq prêtres, Novat, qui, exploitant au profit de son esprit sectaire la situation troublée de l'Afrique, rendue plus troublée encore par la persécution, réussit, par ses intrigues, à former un schisme. Le schisme, une fois établi en Afrique, trouva à Rome et en Orient assez de complicités secrètes pour s'y répandre et envahir presque toute l'Eglise.

L'édit de Dèce, en parvenant dans les provinces africaines, y provoqua deux attitudes extrêmes. Ceux qui ne consultèrent que leur mollesse se précipitèrent en masse, avant même l'expiration du délai accordé, dans les bureaux des magistrats municipaux, pour y accomplir les sacrifices demandés. Pendant plusieurs jours, où vit se succéder sur les degrés du Capitole de Carthage, de longues processions de notables, suivis de leurs esclaves, de leurs affranchis et de leurs colons. Des parents amenaient leurs petits enfants, des maris traînaient leurs femmes[26]. Les riches offraient des chèvres, des brebis et des bœufs ; les pauvres jetaient un peu d'encens sur l'autel ; puis tous, sur des tables dressées à cet effet, mangeaient leur part des viandes immolées, se faisaient passer de main en main la coupe des libations. Le sacrilège était alors consommé. A Saturnum, l'évêque Repostus prit la tête du cortège qui se rendait au temple pour y sacrifier[27].

Mais bientôt on parla de signes terrifiants de la vengeance divine. Une femme qui avait sacrifié fut prise tout à coup de douleurs atroces, et mourut en mordant avec furie la langue qui avait touché aux viandes profanes. J'ai vu de mes yeux, atteste saint Cyprien, un petit enfant, dont la nourrice avait souillé les lèvres du vin idolâtrique, rejeter ensuite avec vomissements le sang du Sauveur qu'on lui offrait[28]. Le cours des apostasies s'arrêta. La magistrature impériale se mit alors en mouvement. Les résistants furent emprisonnés. On les soumit aux plus horribles tortures. On lacéra leur corps avec des ongles de fer, faisant repasser l'instrument sur les plaies saignantes, blessant, non plus les membres, dit saint Cyprien, mais les blessures elles-mêmes[29]. Plusieurs chrétiens firent preuve d'une constance et d'une humilité admirables, comme Paul, Fortunion, Bassus, Mappalique et ses compagnons. D'autres prononcèrent des discours, affectèrent une contenance fière, provoquèrent des mouvements d'admiration de la foule[30]. Les bourreaux avaient pour mot d'ordre, non point de tuer, mais de contraindre à sacrifier ; les tortures étaient arrêtées à temps ; on les reprenait dans la suite. Un bon nombre de ces confesseurs de la foi purent ainsi survivre à la persécution. Parmi ceux-ci était un certain Lucien, qui devait plus tard être un des premiers fauteurs du schisme.

Saint Cyprien se cache aux environs de Carthage et dirige de là son Eglise. Cyprien eut à prendre un parti dès les premiers jours. A Carthage, comme à Rome, l'évêque était un des premiers visés. Dès la publication de l'édit, les foules païennes firent entendre le cri : Cyprien aux lions ![31] On pensa autour de lui, il pensa lui-même que, dans une crise aussi violente, la conservation de l'évêque importait plus que son martyre. Il quitta la ville, et trouva au dehors une retraite sûre, où il put échapper aux recherches de la police, tout en se maintenant en communication avec ses fidèles et surtout avec les membres du clergé qui avaient pu demeurer parmi eux[32]. La fuite pendant les persécutions avait toujours été considérée comme licite ; plus d'une fois, l'Eglise avait eu l'occasion de le proclamer contre les exagérations du marcionisme et du montanisme. Mais les implacables ennemis de l'évêque se hâtèrent de profiter de la fuite de Cyprien pour saper son autorité.

Leurs procédés furent d'une habileté extrême. Ils cherchèrent d'abord à le faire condamner par l'Eglise de Rome ; et ce n'est pas une des moindres preuves de l'universelle autorité de l'Eglise romaine à cette époque, que cette tentative du schisme pour la tourner en sa faveur. Nous ne connaissons pas le détail des intrigues qui furent ourdies ; nous avons seulement la lettre qu'écrivit à Cyprien, pendant l'interrègne qui s'écoula entre la mort de Fabien et l'élection de Corneille, le conseil presbytéral qui gérait les affaires à Rome. Elle était destinée au clergé de Carthage, et, sous des formules déférentes et adoucies, laissait entrevoir une désapprobation fuite, de la fuite de Cyprien[33]. L'évêque de Carthage n'eut qu'à donner franchement les motifs de sa retraite, et à transmettre à Rome le dossier des treize lettres écrites par lui à son Eglise depuis son départ de sa ville épiscopale, pour montrer qu'il avait rempli, autant que la situation le permettait, son devoir de pasteur[34].

La première intrigue avait donc échoué. Novat et ses complices furent plus heureux dans une seconde tactique. Elle consistait à opposer à l'évêque en fuite les chrétiens qui avaient confessé leur foi par la torture. Les persécuteurs, lassés, ou pour toute autre cause, avaient relâché un grand nombre de ceux-ci. Le parti rebelle de la foi, les grisa de louanges. Tel qui n'avait pas fléchi devant les menaces du bourreau se laissa prendre au piège de la flatterie. Une antique coutume voulait que les recommandations des martyrs fussent prises en considération par les évêques pour abréger le temps des épreuves pénitentielles. L'apostasie des lapsi était passible d'une pénitence perpétuelle. D'un geste perfide, Novat et ses amis indiquèrent aux pastorales apostats les confesseurs comme ayant pouvoir de leur pardonner. A la tête des confesseurs était ce Lucien, qui, pour porter sur son corps les cicatrices de plusieurs blessures reçues pour la foi, en était venu à se considérer comme un être à part, supérieur au reste de l'humanité. Il se disait d'ailleurs mandataire d'un martyr, appelé Paul, et distribuait sans compter des billets d'indulgence. Ces billets n'étaient plus, comme ceux des anciens martyrs, des lettres de recommandation, soumettant le cas du tombé au jugement de l'évêque ; mais des lettres de pardon, conçues en termes impératifs. Communicet cum suis, écrivait-on, qu'il rentre en communion avec ses frères. Et des prêtres admettaient les tombés à la participation des sacrements sans en avoir référé à l'évêque. C'était, en somme, ériger, en face de l'épiscopat, une autorité religieuse rivale et supérieure, contrairement à toutes les traditions.

de Cyprien, de sa retraite, écrivit trois lettres pastorales : l'une aux confesseurs, les exhortant à ne donner de billets qu'aux tombés dont la pénitence toucherait déjà à la satisfaction[35] ; la seconde à ses prêtres, leur interdisant absolument d'admettre des tombés à la communion de leur propre autorité[36] ; la troisième au peuple, lui recommandant la patience, la paix, et l'obéissance au pouvoir épiscopal[37]. Les esprits sages entendirent cette parole épiscopale, et en référèrent à leur évêque pour la solution des difficultés pendantes. Les décisions de Cyprien furent prudentes et modérées. Il se montra exigeant pour ceux qui, spontanément, à la première injonction, avaient volé au-devant d'un sacrifice impie ; moins sévère pour ceux qui n'avaient failli qu'après une longue résistance ; il fut plus indulgent encore envers ceux qui, sans sacrifier, avaient eu la faiblesse de se procurer un certificat de sacrifice à prix d'argent. On appelait ces derniers les libellatici[38]. Ils étaient coupables, car c'était commettre un crime que de se faire passer pour apostat, alors même qu'on n'avait pas apostasié[39] ; néanmoins la culpabilité des libellati n'égalait point celle des sacrificati.

Ces décisions, conformes à celles que donnaient à Rome le clergé et les confesseurs[40], auraient mis fin à tout conflit, si le but des meneurs n'avait pas été de susciter à tout prix des difficultés à l'évêque de Carthage. Le confesseur Lucien écrivit à Cyprien, au nom d'un groupe de confesseurs, une lettre insolente[41]. Les billets de réconciliation furent multipliés à profusion. On en fit le trafic. Ce fut, suivant une expression pittoresque de Cyprien, la foire aux billets[42]. La manœuvre était de coaliser contre l'évêque à la fois les confesseurs et les tombés ; ceux-là en les décorant d'une autorité souveraine, ceux-ci en leur offrant au rabais le pouvoir d'échapper à la pénitence qu'ils avaient encourue.

 

III

Il ne restait plus qu'un pas à faire : organiser un schisme. Ce pas fut franchi vers la fin de 250. Les cinq prêtres qui n'avaient cessé de conspirer contre Cyprien en formèrent le noyau ; Novat en fut l'âme ; un riche laïque, de mœurs suspectes, mais influent par sa fortune et par sa position sociale, Félicissime, en fut le chef nominal. Cyprien convoqua aussitôt à Carthage une réunion d'évêques de la région. L'objet du concile était de préparer son retour en dissipant le schisme. Félicissime et ses amis ne voulurent rien entendre. Le concile prononça contre eux l'excommunication. Novat partit alors pour Rome. Il ne tentait rien moins que de se ménager un appui dans l'Eglise romaine.

L'apaisement progressif de la persécution permettait, en effet, d'espérer que l'interrègne pontifical touchait à son terme et que l'on pourrait bientôt procéder à l'élection de l'évêque de Rome : le futur successeur de saint Pierre devait être le pape des confesseurs, le pape des martyrs. C'est ce que Novat répétait en arrivant dans la Ville éternelle. Il y trouva la division. Parmi les candidats à la tiare se trouvait un prêtre savant[43], mais rompu à l'intrigue, Novatien. Pendant la persécution, il était parvenu, à la fois, à dépister les recherches par des moyens peu héroïques[44], et à se faire, dans le conseil presbytéral une situation prépondérante. C'est lui qui avait rédigé, au nom du clergé et des confesseurs romains, les lettres qui condamnaient l'attitude des confesseurs carthaginois et donnaient raison à l'évêque. Mais les fauteurs de schisme se sont toujours beaucoup plus groupés d'après leurs passions et leurs intérêts que d'après leurs idées. Novat et Novatien, sitôt qu'ils se furent rencontrés, firent aussitôt cause commune. Leur plan paraît avoir été d'abord de susciter à Rome, parmi les confesseurs de la foi, un mouvement pareil à celui de Carthage. Ils n'y réussirent que très imparfaitement. Un vénérable prêtre, Moïse, emprisonné depuis plusieurs mois, édifiait l'Eglise entière par sa patience au milieu des tortures et des privations. On essaya de le gagner ; mais quand il comprit qu'il s'agissait de s'unir à la cause de cinq prêtres révoltés contre leur évêque, il refusa tout concours à ses solliciteurs[45]. Malheureusement, après la mort de Moïse, qui arriva en janvier ou février 251, quelques-uns de ses compagnons de captivité se laissèrent séduire. Ce succès parut insuffisant. Novat et Novatien concentrèrent leurs efforts vers l'élection pontificale. Elle déconcerta leurs menées. Le prêtre élu, vers l'été de 251[46], pour succéder à saint Fabien, fut CORNEILLE, connu par la douceur et la modération de son caractère, universellement vénéré pour sa haute vertu. On conjecture qu'il appartenait à la haute aristocratie de Rome. Un de ses premiers actes fut de réunir à Rome un concile de soixante évêques, qui' approuva les solutions de l'évêque de Carthage sur les faillis. Tout l'Occident chrétien y adhéra aussitôt[47]. Le schisme de Félicissime était frappé à mort ; mais celui de Novatien allait commencer.

Il débuta comme par un coup de foudre. Tout à coup, le bruit se répandit que l'évêque de Rome était, non pas Corneille, mais Novatien lui-même. Deux amis de celui-ci, dont un paraît avoir été Novat, étaient allés chercher, au fond de l'Italie, trois évêques, hommes simples et rustiques, les avaient persuadés de venir à Rome sans retard, pour y apaiser, de concert avec les autres évêques, un grand conflit. Une fois à Rome, on les avait circonvenus, intimidés, trompés, et, vers le soir, après un repas abondant, on avait obtenu d'eux qu'ils accomplissent sur Novatien la consécration liturgique qui le faisait évêque[48]. Quant à Corneille, son élection était nulle de plein droit ; il s'était rendu radicalement indigne de l'épiscopat, disait-on, en se faisant donner des autorités romaines un certificat d'apostasie, et en communiquant avec des apostats. Du même coup, Novat et Novatien se faisaient les champions des exigences les plus rigoureuses. Suivant eux, l'apostat devait renoncer à tout espoir de rentrer dans l'Eglise, fût-ce à son dernier soupir ; quiconque lui pardonnerait se condamnerait par là même[49]. C'était, pour Novatien, et surtout pour Novat, rompre bien brusquement avec leurs anciennes doctrines. Mais les esprits révolutionnaires se sont toujours plus souciés d'être logiques avec leur but qu'avec leurs principes. Le but de Novat et de Novatien était de ruiner l'autorité du pape Corneille. Faire passer sa modération pour une apostasie, et présenter sa prétendue apostasie comme une irrégularité radicale, viciant son élection, leur paraissait conduire à la fin poursuivie.

 Le novatianisme se posa donc comme le parti de la morale austère et incorruptible. Cette position, la considération dont jouissait la personne de Novatien et l'active propagande de Novat, firent son succès. En dehors de Rome, une petite Eglise novatienne se fonda à Carthage, sous la direction d'un des évêques consécrateurs de Novatien, Evariste, et d'un confesseur de Rome, Nicostrate. En Gaule, l'évêque d'Arles, Marcien, appliqua le principe de Novatien dans le gouvernement de son diocèse et se rallia au schisme. En Orient, les idées rigoristes triomphèrent, surtout à Antioche, où l'évêque Fabius les patronna ouvertement, et se répandirent en diverses régions de l'Asie Mineure. Les adeptes de la secte s'appelaient entre eux les Purs, les Cathares[50]. Leur chef dédiait son encyclique à ceux qui sont restés fermes dans l'Evangile[51].

Le péril était grave. Un concile présidé par Corneille avait condamné la doctrine de l'extrême indulgence ; un nouveau concile condamna la doctrine de l'extrême rigueur. Soixante évêques, réunis à Rome, sans compter les prêtres et les diacres qui accompagnaient ou représentaient leurs évêques, réprouvèrent Novatien, ses adhérents et sa doctrine.

Mais les dissidents ne reconnaissaient pas l'autorité de Corneille ni de l'assemblée qu'ils appelaient son concile. Il fallait les convaincre, réfuter leurs erreurs, démasquer les sophismes de leurs chefs, faire briller à leurs yeux la vérité et la leur faire aimer. Cyprien de Carthage et Denys d'Alexandrie assumèrent cette tâche.

Nous connaissons Cyprien. Denys, qu'Eusèbe et saint Basile n'appellent que Denys le Grand, fut, après Grégoire le Thaumaturge, le plus brillant disciple d'Origène. Il était né à Alexandrie, d'une famille distinguée, mais païenne. Les leçons du Didascalé l'éclairèrent sur la vérité du christianisme. Il se convertit, et fut bientôt élevé au siège épiscopal de sa ville natale. Comme Cyprien, il avait jugé prudent de se dérober par la fuite aux persécuteurs. Il devait plus tard montrer, comme l'évêque de Carthage, qu'une basse crainte n'avait été pour rien dans sa détermination. A part quelques débris, sauvés par Eusèbe, la plupart des ouvrages de Denys le Grand ont péri. L'auteur de l'Histoire ecclésiastique nous dit qu'il écrivit beaucoup sur la Pénitence, au sujet des tombés. Il y exprimait une doctrine conforme à celle du pape Corneille et de saint Cyprien. Il combattit avec zèle l'Eglise novatienne établie à Antioche[52], rendit compte à Corneille de ses travaux contre l'hérésie, et écrivit à Novatien lui-même la lettre suivante, qu'Eusèbe a insérée dans son Histoire. Sa tendre charité ne s'y révèle pas moins que sa foi profonde. Denys à Novatien son frère, salut. Si c'est malgré toi, comme tu le dis, que tu as été entraîné, montre-le en revenant à nous spontanément. Ton devoir était de souffrir plutôt que de déchirer l'Eglise de Dieu. Si c'est un martyre glorieux que de tout affronter pour ne pas adorer les idoles, c'en est un plus glorieux encore, selon moi, que de tout supporter pour ne pas faire de schisme. Dans le premier cas, on est martyr pour son âme seule ; dans le second, on l'est pour toute l'Eglise. Et maintenant, si tu es convaincu, efforce-toi d'amener tes frères à l'union. Cet acte de vertu sera plus grand que ton péché. Si tu es impuissant auprès de ceux qui ne se laissent pas persuader, sauve avant tout ton âme. Je prie pour que tu te portes bien et que tu obtiennes la paix dans le Seigneur[53].

Quant à saint Cyprien, le schisme de Novatien fut l'occasion pour lui d'écrire son immortel traité De unitate Ecclesiæ. L'Eglise, dit-il, est l'épouse du Christ. Nul ne peut avoir Dieu pour père, s'il n'a pas l'Eglise pour mère, Habere non potest Deum patrem qui Ecclesiam non habet matrem[54]. Or l'Eglise est une. Saint Cyprien établit l'unité de l'Eglise sur deux fondements. Le premier est la parole du Christ à saint Pierre : Tu es Petrus. Par cette parole, Jésus-Christ a fondé l'Eglise sur un seul homme. Le second fondement est ce fait, que les dons faits par Jésus-Christ, particulièrement le baptême, le sacerdoce et l'autel, appartiennent à l'Eglise légitime et à nulle autre. L'interprétation de ce second principe donnera lieu un jour à la controverse baptismale. Cyprien conclut que les fauteurs de schisme n'ont pas d'excuse. Les moins excusables sont ceux qui, dans la persécution, se sont montrés de courageux confesseurs de la foi. Cette dernière réflexion était un coup droit aux confesseurs que Novatien avait entraînés à sa suite et dont il aimait à faire valoir l'autorité[55]. Il s'adressait aussi aux partisans de Félicissime[56], qui relevaient la tête à Carthage. A force de démarches, le chef du schisme avait fini par réunir à Carthage un soi-disant concile. Vingt-cinq évêques étaient annoncés. Il en vint cinq, dont trois apostats et deux hérétiques. Un de ces derniers était Privat de Lambèse, retranché de l'Eglise par un concile précédent. Cyprien s'empressa de réunir à son tour, le 15 mai 252, un concile de quarante évêques, qui proclamèrent une fois de plus les vrais principes de la pénitence. Le pseudo-concile répondit en prononçant la déposition de Cyprien, et en élisant à sa place un certain Fortunat, que Félicissime s'efforça, mais en vain, de faire reconnaître par Borne. Ainsi le schisme lui-même témoignait à sa façon de l'autorité suprême reconnue à l'Eglise romaine, dont saint Cyprien disait qu'elle était l'Eglise principale, d'où procède l'unité sacerdotale. Ecclesia principalis unde unitas sacerdotalis exorta est[57].

 

IV

La controverse pénitentielle, suscitée par la question des lapsi, n'était pas encore terminée, que la controverse baptismale surgissait.

Toutes les sectes qui avaient, à leur heure, prétendu absorber en elles le mouvement chrétien, avaient misérablement péri. Hérésies judéo-chrétiennes, gnosticisme, marcionisme, montanisme et novatianisme, s'éteignaient peu à peu ; et beaucoup de leurs adeptes venaient humblement demander leur incorporation dans les communautés chrétiennes traditionnelles. Mais à quelles conditions fallait-il soumettre ces hérétiques repentants ? La question était simple, et tout le monde était d'accord pour la résoudre dans le même sens, toutes les fois qu'il s'agissait d'un hérétique qui avait été baptisé dans la vraie Eglise. On le réconciliait par l'imposition des mains pénitentielle, ou même parfois par l'onction de l'huile[58], mais sans réitérer son baptême, dont on ne pouvait suspecter la validité. Il en était autrement quand l'hérétique repentant avait été baptisé dans une secte déjà séparée de l'Eglise.

Pour Cyprien, la solution semble n'avoir jamais fait l'ombre d'un doute. Elle résultait pour lui, comme corollaire, de sa conception de l'Eglise, telle qu'il l'avait exposée dans son traité De unitate Ecclesiæ. Le baptême qui est conféré hors de l'Eglise, avait-il dit, n'est pas un baptême[59]. Au commencement de l'année 255, il exposa cette conséquence dans une longue lettre[60]. En somme, sa doctrine reposait sur un double argument. En premier lieu, le baptême conféré hors de l'Eglise ne peut être un vrai baptême, parce que le propre du baptême est de remettre les péchés ; or, l'Eglise seule a ce pouvoir ; en elle seule se trouvent la grâce et les moyens de la communiquer ou de la recevoir ; elle seule est l'épouse du Christ, elle seule peut lui donner des enfants. La formule : hors de l'Eglise, point de baptême, est la suite nécessaire de la formule : hors de l'Eglise, point de Saint-Esprit[61]. En second lieu, comment un ministre du sacrement qui n'a ni la vraie foi, ni la grâce, ni le Saint-Esprit, pourrait-il les communiquer aux autres[62] ? Comment le baptisé lui-même qui n'a pas la foi de l'Eglise, pourrait-il être incorporé à l'Eglise[63] ? Certes, on ne saurait suspecter la sincérité du saint évêque de Carthage ; son ardent amour de l'Eglise l'inspirait seul lorsqu'il développait, avec une vivacité sans égale, de pareils arguments. Mais il maniait trop la dialectique à la manière de Tertullien, son maître. Son premier argument confondait la validité d'un sacrement avec son efficacité actuelle. Le second, poussé à ses dernières conséquences, aurait abouti à la ruine de l'Eglise visible, à la conception d'une Eglise invisible, dépendant des dispositions intérieures du ministre et du sujet. Pourquoi ne pas étendre à l'ordre, à tous les autres sacrements, et à tous les rites capables de donner la grâce, la théorie proposée pour le baptême ? Les théories de Wiclef et de Zwingle étaient au bout d'une pareille argumentation.

Fort de ces arguments, qu'il croyait invincibles[64], Cyprien réunit, à l'automne de 255, un concile à Carthage, y fit prévaloir son opinion et communiqua hardiment à l'Eglise de Rome la sentence conciliaire. Il y voyait, sans aucun doute, un argument de plus en faveur de cette unité et de cette sainteté de l'Eglise, qu'il avait tant à cœur de défendre et de faire prévaloir.

Le siège de saint Pierre était alors occupé par le pape Etienne.

Corneille, exilé à Centumælli (Civita-Vecchia), en 252, y était mort martyr en 254. Il avait été remplacé, peu de temps après sa mort, par Lucres. La durée du pontificat de ce dernier est, incertaine. Nicéphore lui donne à peine six mois de règne ; Eusèbe, huit mois. D'après saint Cyprien, il aurait écrit plusieurs lettres sur la manière dont il fallait agir l'égard des chrétiens tombés durant la persécution[65], mais ces lettres sont perdues. Nous savons aussi qu'il fut banni aussitôt après son élection. Saint Cyprien, ayant appris à la fois les deux événements, lui écrivit une lettre de félicitations et de condoléance[66]. Son exil ne fut pas de longue durée ; il lui valut, de la part de saint Cyprien, le titre de martyr, qui ne doit pas être pris, en ce qui le concerne, dans son sens le plus strict.

On lui donna pour successeur un prêtre romain, ETIENNE. C'était un homme charitable et pacifique. Au témoignage de saint Denys d'Alexandrie, il maintint l'antique renommée de l'Eglise romaine en pourvoyant,, avec une sollicitude paternelle, aux besoins spirituels des Eglises, même les plus lointaines. Très pénétré du respect des choses saintes, il défendit aux prêtres et aux diacres, nous dit le Liber pontificalis, de se servir des vêtements liturgiques en dehors de l'église. Son caractère conciliant, temporisateur, contrastait avec celui de l'évêque de Carthage, prompt à la décision et à l'action. Cette diversité devait amener entre Etienne et Cyprien des conflits regrettables.

Le pontife de Rome et l'évêque de Carthage se préoccupèrent, avec des vues parfois divergentes, mais avec un égal souci du bien des âmes, de régler la situation faite à deux diocèses d'Espagne, celui de Mérida et celui de Léon et Astorga, par la défaillance de leurs évêques, Basilide et Martial. Ceux-ci avaient demandé ou accepté des certificats de sacrifice. Cyprien, indigné d'un pareil scandale, demanda au pape leur déposition. Etienne se rendit aux justes raisons de l'évêque de Carthage. Les deux évêques furent déclarés indignes de l'épiscopat. Peu après, Cyprien appelait avec vivacité[67] l'attention du pape sur un péril tout opposé. L'évêque d'Arles, Marcien, gagné au novatianisme, en appliquait rigoureusement les principes, refusant tout pardon aux lapsi. Nous n'avons pas la réponse d'E tienne, mais il dut également faire droit à la requête de Cyprien et déposer Marcien, car le nom de celui-ci ne se retrouve pas dans la liste des évêques d'Arles[68].

Le souvenir de propos un peu vifs échangés dans ces deux affaires eût-il une influence sur l'attitude du pape lorsque les délégués de Cyprien arrivèrent à Rome pour lui notifier la décision du concile de Carthage ? On l'a conjecturé sans en présenter des preuves décisives. Ce qui est certain, c'est que les envoyés de Carthage furent reçus froidement à Rome[69]. L'Eglise romaine avait, sur la question du baptême des hérétiques, une tradition immémoriale ; il est même probable qu'une décision formelle du pape avait depuis peu solennellement confirmé cette tradition[70]. Ajouterons-nous que le pape et ses conseillers voyaient, comme nous les voyons aujourd'hui, après le protestantisme et le jansénisme, après le concile de Trente et le concile du Vatican, les vices et les périls de la théorie proclamée par Cyprien ? C'est peu probable. En présence des arguments de l'évêque de Carthage et de la décision du concile africain, le pontife romain se contenta d'invoquer la tradition et d'en prescrire impérativement l'observance. Nous n'avons de sa lettre que ce passage décisif : Si quelqu'un vient à vous de l'hérésie, vous ne devez rien innover de contraire à la tradition en vigueur ; vous vous contenterez de lui imposer les mains pour la pénitence[71].

La tradition invoquée ici par Etienne n'était pas seulement celle de Rome, c'était aussi celle d'Alexandrie et de toute l'Egypte, de Jérusalem et de la Palestine ; en somme, des principaux centres catholiques. Quant à Cyprien, il ne pouvait pas même invoquer l'unanimité de l'usage en Afrique, car, au concile de 255, les évêques de Numidie en avaient énergiquement appelé à une ancienne tradition contraire à celle de Carthage[72]. Antioche, il est vrai, la Syrie du nord et certaines contrées de l'Asie Mineure suivaient l'usage carthaginois. Quoi qu'il en soit, le pape, faisant appel à l'autorité que lui donnait sa chaire épiscopale[73], donna l'ordre à l'Eglise de Carthage de suivre ce qu'il jugeait être la tradition.

La décision du pape n'était pas une définition dogmatique, mais un commandement d'ordre disciplinaire adressé à une Eglise particulière. L'évêque de Carthage crut devoir protester. Il le fit avec la vivacité qui était dans son tempérament. Cyprien ne niait point l'autorité suprême de l'évêque de Rome, mais il pensait que, dans une question pareille, chacun des chefs d'Eglise est libre de conduire son administration comme il l'entend, sauf à en rendre compte au Seigneur[74]. L'intervention d'Etienne lui paraissait un empiétement sur ses droits à lui. Il réunit, le 1er septembre 256, un second concile. Quatre-vingt-sept évêques étaient présents. Cyprien prit le premier la parole : Nous n'entendons juger personne, dit-il, ni séparer de la communion ceux qui ne pensent pas comme nous. Aucun de nous ne se pose en évêque des évêques, ni ne recourt à une terreur tyrannique pour contraindre ses collègues à l'adhésion[75]. Faut-il voir dans ces paroles ambiguës la reconnaissance implicite des droits de l'Eglise romaine, ou le blâme, à peine voilé, de ses prétentions ? Les deux interprétations ont été soutenues[76]. Aucune protestation ne s'éleva contre l'autorité du pape, mais son nom ne fut même pas prononcé. Rien ne fut lu de sa correspondance. Malgré tout, il n'y avait pas d'évêque plus présent que lui à ce concile d'Afrique, frémissant de la leçon que l'évêque de Rome venait de donner à l'évêque de Carthage... L'un après l'autre, les quatre-vingt-sept évêques votèrent, en motivant chacun son vote : ils n'avaient d'autre doctrine que celle de Cyprien.

Or, à ce moment même, le pape Etienne faisait tenir à toute la chrétienté la décision par laquelle il reconnaissait la validité du baptême des hérétiques... L'épiscopat universel allait-il se séparer en deux camps adverses : d'un côté Rome et Alexandrie, de l'autre l'Afrique et l'Asie Mineure ? Quoi qu'on en ait dit, Rome n'excommuniait encore aucune Eglise, mais Rome parlait de rompre avec les Eglises qui ne reconnaîtraient pas la validité du baptême hérétique[77].

C'est alors que parut, contre le pape et sa doctrine, l'écrit le plus véhément auquel ait donné lieu cette douloureuse controverse. II avait pour auteur Firmilien, évêque de Césarée en Cappadoce, homme recommandable par ses vertus et par sa science, mais que les récents débats avaient passionné. Pour lui, le vrai schismatique est celui qui, voulant excommunier l'Eglise, ne fait autre chose que s'excommunier lui-même de l'Eglise. Le vrai hérétique, le pire de tous les hérétiques, le voilà. C'est du pape Etienne que ces paroles sont écrites[78]. Oui, s'écrie Firmilien, l'Eglise est hiérarchique, et l'Eglise est une. Nul ne le proclame plus haut que nous. L'Eglise est hiérarchique, parce que son autorité repose sur celle des apôtres. Les apôtres ont transmis leur autorité aux évêques. Sans évêque, point de baptême, point d'ordre, point d'autel. Mais quel est donc celui qui donne à l'hérétique, à Coré, Dathan et Abiron, le droit de conférer le Saint-Esprit ? Quel est-il donc, ce destructeur de la hiérarchie, sinon Etienne ? L'Eglise est une. La garantie de cette unité est précisément la fidélité à l'autorité apostolique. Qui est avec les apôtres, communie à l'unité, sans qu'il soit besoin d'une conformité de pratique en toutes choses. Est-ce que le rite pascal est célébré, de la même façon, à la même date, dans l'Eglise universelle ? Rome est-elle en tout d'accord, dans sa liturgie, avec Jérusalem ?

On voit par où pèche cette très habile argumentation. On veut la hiérarchie, mais en se taisant sur le pivot de cette hiérarchie ; on proclame l'unité, mais en oubliant qu'il faut un juge de cette unité, un arbitre des controverses qui pourraient la rompre. On assimile la question baptismale à un simple rite, sans faire attention qu'elle touche à des questions plus hautes, que le pape a le droit de trancher.

D'ailleurs, tandis que le pape ne mettait en avant que son droit et son devoir d'interpréter la tradition catholique, des polémistes s'étaient levés pour défendre sa cause. Parmi ceux-ci, il faut citer l'auteur d'une œuvre confuse, mal ordonnée, mais très suggestive, le Liber de rebaptismate[79]. Examinant la question baptismale au point de vue théologique, il insiste surtout sur la puissance des noms divins invoqués dans la formule du baptême, puissance qui s'exerce indépendamment de la foi ou de la dignité du ministre. Il commence à entrevoir la différence entre la validité et l'efficacité du rite baptismal, et par là il ruine l'argument fondamental des rebaptisants, à savoir que l'hérétique ne peut, en tant qu'hérétique, donner ou recevoir le Saint-Esprit. Il faut distinguer, dit-il, l'immersion et la vertu de l'immersion. Ces deux choses peuvent être séparées ; l'une peut aller sans l'autre. L'immersion faite au nom de la Trinité, même par un hérétique, a la puissance de donner un caractère ineffaçable, elle n'a pas besoin d'être renouvelée. Quant à la vertu de l'immersion, elle se produira au jour où l'hérétique se convertira à la vraie Eglise.

Le pape, malgré la vivacité des attaques dont sa décision était l'objet, eut la longanimité de n'excommunier personne. Un grand malentendu était au fond de ces ardentes disputes, et divisait des hommes dont le dévouement à l'Eglise n'était point douteux. Etienne et Cyprien allaient bientôt le montrer en donnant généreusement l'un et l'autre leur vie pour la foi. La voix de la modération s'était, au surplus, fait entendre. Comme autrefois Irénée au milieu des controverses sur la question pascale, Denys d'Alexandrie se fit l'avocat de la pacification auprès d'Etienne. Après le martyre de ce pontife, il renouvela ses démarches pacificatrices auprès de Sixte II, son successeur. Sixte et Cyprien renouèrent leurs relations interrompues. L'évêque de Césarée, Firmilien, se remit également en rapport avec Rome. A la fin du me siècle, l'Afrique entière était ralliée à l'usage romain. Les hésitations furent plus longues en Orient ; la pratique traditionnelle finit cependant par y triompher, en même temps que l'autorité du pontife de Rome[80].

 

V

Les persécutions que Gallus et Valérien renouvelèrent contre les chrétiens n'avaient pas peu contribué à rétablir l'union dans l'Eglise. Mais, pour mieux nous en rendre compte, il est nécessaire de reprendre notre récit de plus haut.

Une peste, qui décima Rome et les provinces sous l'empereur Gallus, avait été l'occasion de nouvelles rigueurs contre les chrétiens. Eux seuls, cependant, au milieu de l'épouvante universelle, de l'égoïsme et de la lâcheté païenne[81], y avaient donné l'exemple d'une vraie charité. Saint Denys d'Alexandrie nous les montre soignant les malades, fermant les yeux des morts, lavant les cadavres, et mourant victimes de leur dévouement, genre de mort, dit-il, aussi glorieux que le martyre[82] ; et saint Cyprien leur rend le même témoignage dans son traité De mortalitate : mais, en même temps, il voit dans le fléau un moyen de détacher les chrétiens de la vie présente et de les préparer aux luttes à venir[83].

La prévision du vaillant évêque ne tarda pas à se réaliser. Gallus, voulant fléchir la colère des dieux, ordonna de célébrer dans toutes les villes des sacrifices propitiatoires. La foi des chrétiens ne leur permettait pas de participer à ces actes idolâtriques. C'est alors qu'il fit arrêter l'évêque de Rome, le pape Corneille, espérant sans doute, par cet acte, terrifier les chrétiens, et voir se renouveler les scènes d'apostasie du temps de Dèce. Mais sa déception fut profonde. A peine la nouvelle de l'attentat commis contre le pontife se fut-elle répandue, que les chrétiens accoururent en foule, confessant leur foi et se déclarant prêts à mourir[84]. Un grand nombre de tombés dans la précédente persécution cherchèrent à se réhabiliter en faisant devant les magistrats des professions de foi héroïques, et plusieurs subirent la mort. L'empereur pressentit qu'une trop grande rigueur envers le pape ne ferait que raviver l'enthousiasme. C'est pourquoi il se contenta d'exiler Corneille à Centumcellæ, où le pontife mourut, et de bannir également son successeur Lucius, aussitôt après son élection.

 

VI

En somme, pendant la persécution de Gallus, qui avait duré deux ans, les défections avaient été rares. Les efforts de Corneille, de Cyprien et de Denys d'Alexandrie pour restaurer la vie chrétienne avaient porté leurs fruits. Ceux qui avaient été de vrais chrétiens pendant la paix s'étaient montrés de vrais martyrs pendant l'épreuve.

A l'avènement de Valérien, l'Eglise s'associa aux acclamations unanimes du peuple romain saluant l'homme intègre, aussi honoré dans la vie civile que dans l'armée, le vaillant capitaine qui avait défendu l'empire à toutes les frontières, et qui, chose rare en ce temps, arrivait au trône sans avoir les mains souillées du sang de sou prédécesseur.

Un des premiers actes du nouvel empereur fut de rappeler de l'exil le souverain pontife. Lucius rentra dans Rome en triomphe. Saint Cyprien nous a conservé le tableau des ovations dont il fut l'objet dans les rues de la Ville éternelle[85]. Il y mourut peu de temps après, le 5 mars 254. Peut-être les souffrances de l'exil abrégèrent-elles sa vie. Saint Cyprien lui donne le titre de martyr, comme à Corneille[86].

Valérien manifesta d'abord aux chrétiens une bienveillance particulière. Denys d'Alexandrie écrivait : Il est doux et bon pour les serviteurs de Dieu. Aucun de ses prédécesseurs, pas même ceux qui passent pour avoir été ouvertement chrétiens, n'eut pour nos frères un accueil plus affectueux. Sa maison est remplie de chrétiens comme une église[87].

L'Eglise profita de cette paix pour panser les plaies que la persécution, le schisme et les calamités des temps lui avaient faites. Çà et là, des vestiges des vieilles hérésies troublaient encore la pureté de la foi des fidèles. Des héritiers plus ou moins conscients du gnosticisme célébraient sans vin le sacrifice de la messe ; on les appelait les aquarii : ils avaient donné pour prétexte, pendant la persécution, que l'odeur du vin pris le matin les aurait trahis devant les païens. Cyprien réfuta leur erreur et leur fit honte de leur pusillanimité[88]. D'autres, encore imbus des traditions judaïques, attendaient le huitième jour pour conférer le baptême à leurs enfants, comme on le faisait pour la circoncision, et jusqu'à ce que leurs enfants fussent lavés du péché originel, ils ne leur donnaient aucune marque d'affection. Cyprien condamna leur superstition. Les pauvres abondaient. La persécution, la peste, et, plus que toute autre chose, la décadence progressive du monde romain, sous l'influence de la corruption païenne et du despotisme militaire, rendaient le travail plus stérile, la richesse moins abondante, la pauvreté plus fréquente et plus irrémédiable[89]. Cyprien, pour combattre ce fléau, écrivit son beau livre Sur les œuvres et sur l'aumône. L'évêque de Carthage ne se contentait pas de prêcher par ses exhortations ; il prêchait par ses exemples. Des évêques de Numidie lui écrivirent pour lui demander de contribuer au rachat des captifs. Une collecte faite parmi le clergé et le peuple de Carthage produisit cent mille sesterces (environ vingt-cinq mille francs). Cyprien s'empressa d'envoyer à ses collègues ce don magnifique[90]. De Rome, où le pape Corneille avait nourri quinze cents indigents[91], le pape Etienne faisait parvenir des secours aux Eglises de Syrie et d'Arabie[92].

Ce furent précisément ces bienfaits qui devinrent, pour les ennemis de l'Eglise, le prétexte d'une nouvelle persécution.

 

VII

Un des défauts de l'empereur Valérien, défaut capital pour un chef d'Etat, était de subir facilement les influences de son entourage[93]. Ce défaut s'accentuait avec son âge. Un soldat ambitieux, parvenu aux plus hautes dignités de l'empire, Macrien, gagna sa confiance, détourna ses sympathies du christianisme en l'initiant à la magie[94], et prit sur lui un ascendant tout-puissant. Puis il lui dénonça l'Eglise comme le grand danger de l'empire. Devant un empereur qui, comme Valérien, connaissait de près les chrétiens, leurs mystères, leurs mœurs et leur esprit, il n'était plus possible d'évoquer les prétendues infamies de leurs assemblées, comme on l'avait fait sous Néron et Domitien, ou la puissance menaçante de leur propagande, comme sous Septime-Sévère, ou leur hostilité systématique à l'égard de l'empire, comme sous Dèce. Macrien ne parla que des richesses de l'Eglise, de l'étendue de ses domaines, de l'immensité des trésors qui devaient se cacher dans l'ombre de ses sanctuaires, puisqu'il en sortait de si abondantes aumônes. Il ne comprenait pas, ou plutôt il feignait de ne pas comprendre, que l'Eglise, suivant l'expression de saint Cyprien, ne thésaurisait point, que tout ce qu'elle recevait allait aux pupilles et aux veuves[95], que ses églises et ses cimetières, si vastes qu'ils parussent, étaient des capitaux improductifs, que le fond de toutes ses ressources était dans le cœur généreux de tous ses fidèles, toujours prêts à secourir leurs frères dans leurs calamités, et non dans des coffres d'où l'on pourrait les arracher. L'imagination du vieil empereur fut dès lors obsédée par cette vision d'une Eglise accumulant des trésors dans ses temples, tandis que les caisses de l'Etat se vidaient. Au lieu d'attribuer la déplorable situation financière de l'empire à des causes économiques et morales, qu'un peu d'attention aurait fait apercevoir : à l'esclavage, à la mauvaise organisation du travail, à l'injuste répartition des richesses, à la consommation improductive des revenus, aux désordres moraux qui favorisaient en même temps la méfiance indolente de l'ouvrier et le luxe insolent du maître, Macrien laissait entrevoir qu'une puissante société accaparait la richesse, la détournait de l'Etat, amenait la ruine publique. En parlant ainsi, l'habile intrigant ne satisfaisait pas seulement une haine personnelle contre les chrétiens ; il se faisait l'écho de rumeurs populaires habilement entretenues et exploitées par le parti païen ; il était le porte-voix de ce dernier.

Deux édits de persécution, promulgués en 257 et en 258, furent le résultat de ces accusations. L'un et l'autre furent moins dirigés contre les chrétiens pris individuellement que contre la société chrétienne. On ne demandait à personne d'apostasier. Le premier édit enjoignait seulement aux chefs hiérarchiques de l'Eglise : 1° de faire adhésion officielle aux dieux de l'Etat, tout en conservant, s'ils le voulaient, le culte qu'ils rendaient au Christ ; 2° de renoncer à la forme collégiale qu'ils avaient donnée à leurs Eglises. Au premier abord, la double injonction pouvait paraître relativement modérée ; en réalité, aucune mesure aussi grave n'avait encore été prise par un persécuteur[96] ; elle visait à la fois la hiérarchie et la forme sociale de l'Eglise. Sans soulever les masses populaires, procédé toujours plein de risques, sans demander même aux chefs des Eglises une abjuration de leur croyance, on amènerait simplement ceux-ci à se rallier au culte national, en dissolvant tous les liens de société Habile tactique qui avaient jusque-là relié les fidèles. Peu importe, après cela, que ces de Valérien. derniers continuassent à refuser leur encens aux divinités romaines et à garder entre eux la forme d'un groupement. Ils ne pourraient le faire que séparés de leurs chefs et privés de leurs biens. Frappée à la tête et à la base, l'Eglise chrétienne ne pouvait que se dissoudre et mourir à bref délai.

La situation était surtout grave par les sanctions terribles que le vieux droit romain apportait à de pareilles prescriptions, et par une jurisprudence nouvelle, qui en augmentait encore les rigueurs.

A la rigueur du droit, tout crime d'impiété, c'est-à-dire tout refus d'honorer les dieux de l'Etat était passible de l'exil. Ainsi, obéissants ou réfractaires, prêtres et évêques étaient forcément séparés de leur peuple fidèle ; dans le premier cas, par leur idolâtrie ; dans le second, par leur départ hors des frontières.

Les sanctions des lois sur les associations étaient plus radicales encore. Le droit romain, dont il ne faut pas oublier l'absolutisme centralisateur, punissait toute tentative de fondation ou de reconstitution de société illicite à l'égal du crime d'un brigand qui s'empare à main armée de temples ou d'édifices publics[97]. Et comme, dans cette théocratie païenne, toute institution publique avait un caractère religieux et politique à la fois, la peine de ce crime devenait celle de lèse-majesté, crime à peu près identique au sacrilège[98] et méritant la mort[99]. Par là, d'une manière indirecte et cachée, mais terriblement efficace, l'édit de 257, qui semblait oublier les simples fidèles, les atteignait en fait : un laïque fréquentant un cimetière ou tenant une assemblée religieuse était passible de la peine capitale. La peine capitale, en droit romain, avait deux degrés : la mort ou les travaux forcés[100].

Malgré tout, ce premier édit n'obtint pas l'effet qu'on escomptait. On visait les têtes. Les têtes, c'était alors Etienne, Cyprien et Denys ; ils furent les premiers frappés ; mais leur courage fut un réconfort pour les fidèles. On manque de détails sur la mort du pape Etienne. Probablement condamné à l'exil aussitôt après la promulgation de l'édit, il y mourut bientôt et reçut de l'Eglise le titre de martyr[101]. L'évêque de Carthage fut exilé à Curube, en Afrique, et l'évêque d'Alexandrie à Kephro, en Libye ; mais l'un et l'autre se tinrent en rapport avec leurs collègues, qui continuèrent à tenir des assemblées religieuses. On n'osa pas frapper tous les évêques. On se contenta, pour l'exemple, d'arrêter un certain nombre de chrétiens, évêques, prêtres et laïques, pour tenue de réunions illicites, et on les condamna aux travaux forcés des mines. L'Etat se saisit des cimetières et des lieux de culte et en surveilla l'entrée ; mais les chrétiens surent y pénétrer encore à la dérobée. Déjà, sous Septime-Sévère, on avait pratiqué dans la catacombe de Calliste des passages secrets. On les multiplia. C'est du temps de Valérien que paraissent dater, dans les cimetières souterrains, ces travaux, destinés à dérouter les recherches, qu'on y remarque encore aujourd'hui. Il est vrai que de pareilles mesures n'étaient pas sans danger pour les chrétiens[102]. Dans une crypte de la voie Salaria, des chrétiens, tenant une assemblée liturgique, furent découverts par des soldats, qui bouchèrent à la hâte le souterrain avec des pierres et du sable. Après la paix de l'Eglise, on retrouva leurs squelettes, ainsi que les vases d'argent qui avaient servi au sacrifice de l'Eucharistie[103]. Le pape saint Damase, en restaurant la catacombe, ne voulut point toucher à tacs vénérables reliques ; il se contenta de faire percer dans la muraille une petite fenêtre, par où les pèlerins pussent vénérer les restes de ces martyrs du sacrifice eucharistique. Saint Grégoire de Tours dit que de son temps on pouvait encore contempler ces émouvantes reliques[104].

On doit probablement fixer à la même époque l'épisode, non moins touchant, d'un autre martyr de l'Eucharistie, saint Tarcisius. L'acolyte Tarcisius, attaché au service d'une des catacombes de Rome, portait les saintes espèces, consacrées dans la crypte, à quelque maison chrétienne, quand il fut surpris par une troupe de soldats, chargés sans doute de la surveillance des cimetières. On le somme de livrer ce qu'il porte sur lui. Il refuse, comme dit la belle inscription que le pape Damase lui a consacrée, de livrer aux chiens les membres de son Dieu, et périt sous les coups des soldats, en pressant sur son cœur la pyxide sacrée qui renferme le corps du Christ[105].

 

VIII

Tous les cimetières, du reste, tous les lieux du culte n'avaient pu être séquestrés par l'administration impériale ; plusieurs étaient la propriété de hauts personnages chrétiens, qui les mettaient à la disposition de leurs frères. Au fond, deux causes avaient empêché l'efficacité de l'édit de 257 : le courage des chefs des Eglises et les nombreuses relations qu'ils avaient en haut lieu, même dans le palais des Césars. Terrifier les prêtres par des sanctions plus terribles et paralyser l'action de leurs puissants protecteurs : tel fut l'objet de l'édit de 258. Pour les évêques, les prêtres et les diacres, l'exil fut remplacé par la mort, qui put leur être infligée sur-le-champ, sans jugement régulier, ni sentence motivée, ni interrogatoire. Quant aux nobles, chevaliers, sénateurs, qui continueraient à professer le christianisme, ils seraient immédiatement déchus de leur dignité, dépouillés de leurs biens et décapités. Les chrétiens de la maison de César verraient leur fortune confisquée et seraient assimilés aux derniers des esclaves[106].

La chancellerie impériale ayant expédié la copie de l'édit aux gouverneurs des diverses provinces, une recrudescence de persécution se produisit aussitôt dans toutes les parties de l'empire. Le pape saint Sixte et son diacre saint Laurent, à Rome, saint Cyprien à Carthage, saint Fructueux en Espagne en furent les principales victimes.

A Etienne avait succédé SIXTE II. L'auteur de la vie de saint Cyprien, Pontien, l'appelle un pontife bon et pacifique[107]. En dehors de ce qu'il fit pour mettre fin à la controverse baptismale et reprendre les relations épistolaires du Saint-Siège avec l'évêque de Cartilage, nous ne savons rien de certain sur son pontificat.

Un des premiers soins de la police fut de rechercher l'évêque de Rome. Sixte II n'avait point cessé de tenir des assemblées et de célébrer le culte chrétien. Mais il ne pouvait plus réunir les fidèles dans le cimetière de Calliste, connu officiellement de l'autorité romaine comme la propriété corporative de l'Eglise et surveillé par la police. Le 8 des ides d'août, c'est-à-dire le 6 août, il vint offrir le saint sacrifice de l'autre côté de la voie Appienne, dans une des chapelles souterraines du cimetière de Prétextat. Cette nécropole n'était probablement pas entrée encore dans le domaine ecclésiastique : propriété privée, elle échappait au séquestre. Cependant, l'inviolabilité des lieux religieux cédait aux prescriptions nouvelles, ordonnant de saisir immédiatement l'évêque et son clergé. Le cimetière fut envahi. Au moment où les soldats entrèrent, Sixte, assis dans sa chaire, adressait la parole aux fidèles. Il fut emmené, ainsi que les ministres du culte. Les assistants demandaient à mourir avec lui ; mais, satisfaits de leur importante capture, ou craignant de s'embarrasser d'un trop grand nombre de prisonniers, les soldats négligèrent les simples fidèles. Conduit devant un des préfets (du prétoire ou de la ville), qui, dit saint Cyprien, siégeaient en permanence pour juger les chrétiens, Sixte fut condamné à être décapité sur le lieu même où il avait été surpris célébrant les saints mystères.

Pendant qu'on le ramenait, le premier diacre, Laurent, absent lors de l'arrestation, accourut pour dire à son vénéré père un dernier adieu. La tradition leur prête un touchant dialogue : Où vas-tu, père, sans ton fils ? Où vas-tu, prêtre, sans ton diacre ? demandait Laurent du ton d'un doux reproche. Mon fils, répondait le pontife, je ne t'abandonne pas. De plus grands combats t'attendent. Cesse de pleurer ; tu me suivras dans trois jours. Laurent pouvait être arrêté sur l'heure ; mais les persécuteurs, dans un dessein secret, semblèrent ne pas le voir. On arrive au cimetière, on descend dans la crypte même où Sixte avait annoncé la parole de vie. Il s'assied pour la dernière fois dans sa chaire et présente la tête au bourreau : plus grand que cet empereur qui voulut mourir debout, il reçut le coup mortel en évêque, présidant, du siège des pontifes, l'Eglise persécutée[108].

La raison pour laquelle on n'avait pas exécuté sur-le-champ, comme la loi le permettait, le premier diacre Laurent, était visible. On espérait se servir de lui pour mettre la main sur les prétendus trésors de l'Eglise, dont on le soupçonnait d'avoir la garde. Le préfet de Rome le manda et lui ordonna de livrer les biens qu'il détenait. Le diacre, prévoyant une confiscation, avait déjà distribué en aumônes toute la réserve de l'Eglise. Il demanda un jour de délai pour répondre. Il revint le lendemain, suivi des pauvres que nourrissaient les chrétiens. Voici, dit-il, les trésors de l'Eglise... Dans ce trait, à la fois héroïque et spirituel, le préfet se sentit piqué au vif. Il condamna Laurent à être brûlé. On étendit le martyr sur un gril. En lui faisant subir le lent supplice du feu, le persécuteur cherchait à lui arracher avant la mort la révélation des richesses de l'Eglise. C'était en même temps la peine capitale et la torture. On raconte que Laurent eut la force de dire au juge : Ce côté-là est assez cuit, fais-moi retourner ; puis : Goûte maintenant. Ayant lancé cette dernière raillerie, l'intrépide diacre leva les yeux au ciel. Il mourut en priant pour Rome[109].

Peu de temps après, Cyprien fut arrêté comme sacrilège, conspirateur et fauteur d'association illicite. L'année précédente, à Curube, une mystérieuse vision lui avait annoncé son martyre[110], et il en avait conçu une grande joie ; car sa fuite, que ses ennemis lui avaient reprochée comme une lâcheté, et qu'il avait acceptée comme un devoir, avait été pour lui le plus douloureux des sacrifices. Les vrais sentiments de son âme s'étaient révélés dans cette brûlante Lettre aux confesseurs et aux martyrs, qu'il avait écrite au milieu de la persécution : Comment pourrai-je vous donner de dignes louanges, ô courageux martyrs, vous qui, loin de céder aux tortures, avez vu les tortures céder devant vous ? Le monde a donc pu le voir, cet étrange combat, combat de l'âme, vrai combat du Christ, où, privés des armes du siècle, vous n'aviez que les armes de votre foi et de votre amour !... Oh ! qu'il fut beau, aux yeux de Dieu, ce grand spectacle ! Et qu'elle est vraie, cette parole du Psalmiste, inspirée par l'Esprit-Saint : La mort des justes est précieuse devant le Seigneur... Oui, précieuse, puisque, au prix de notre sang, nous gagnons la vie immortelle... Que le Christ doit se sentir libre et joyeux dans de pareils serviteurs, combattant et victorieux en eux, encourageant, fortifiant et animant les confesseurs de son nom ! Car celui qui jadis a vaincu la mort pour nous, veut toujours la vaincre en nous[111].

Le 14 septembre 258, l'occasion fut enfin donnée à Cyprien de confesser sa foi à son tour devant les persécuteurs, en sa ville même de Carthage. La Providence a permis que le procès-verbal authentique de son interrogatoire et de son exécution capitale nous parvint sans altération. Voici ce document, d'une valeur inestimable[112].

Le proconsul Galère Maxime dit à Cyprien : Tu es Thascius Cyprien ?Je le suis. — Tu t'es fait pape de ces hommes sacrilèges ?Oui. — Les très saints empereurs ont ordonné que tu sacrifies. — Je ne le fais pas. — Réfléchis. — Fais ce qui t'a été commandé. Dans une chose aussi juste, il n'y a pas matière à réflexion.

Galère, ayant pris l'avis de son conseil, rendit à regret cette sentence : Tu as longtemps vécu en sacrilège, tu as réuni autour de toi beaucoup de complices de ta coupable conspiration, tu t'es fait l'ennemi des dieux de Rome et de ses lois saintes ; nos pieux et très sacrés empereurs, Valérien et Gallien, augustes, et Valérien, très noble césar, n'ont pu te ramener à la pratique de leur culte. C'est pourquoi, fauteur de grands crimes, porte-étendard de ta secte, tu serviras d'exemple à ceux que tu as associés à ta scélératesse : ton sang sera la sanction des lois.

Ensuite il lut sur une tablette l'arrêt suivant : Nous ordonnons que Thascius Cyprien soit mis à mort par le glaive.

Cyprien dit : Grâces à Dieu.

Dès que l'arrêt fut prononcé, la foule des chrétiens se mit à crier : Qu'on nous coupe la tête avec lui. Ce fut ensuite un désordre indescriptible. La foule cependant suivit le condamné jusqu'à la plaine de Sexti. Cyprien, étant arrivé sur le lieu de l'exécution, détacha son manteau, s'agenouilla et pria Dieu, la face contre terre. Puis il enleva son vêtement, qui était une tunique à la mode dalmate, et le remit aux diacres. Vêtu d'une chemise de lin, il attendit le bourreau. A l'arrivée de celui-ci, l'évêque donna ordre qu'on comptât à cet homme vingt-cinq pièces d'or. Pendant ces apprêts, les fidèles étendaient des draps et des serviettes autour du martyr.

Cyprien se banda lui-même les yeux. Comme il ne pouvait se lier les mains, le prêtre Julien et un sous-diacre, portant lui aussi le nom de Julien, lui rendirent ce service.

En cette posture, Cyprien reçut la mort[113]. Bien d'autres évêques et prêtres périrent aussi pour la foi en Afrique, en Asie, à Rome, en Gaule et en Espagne. Malheureusement nous n'avons pas les actes authentiques de tous ces martyrs. Ceux de saint Fructueux, évêque de Tarragone, et de ses deux diacres, Augure et Euloge, paraissent être à peu près contemporains des faits qu'ils racontent[114].

Le gouverneur Emilien dit à Fructueux : Tu sais les ordres des empereurs ?Non, mais je suis chrétien. — Sais-tu qu'il y a des dieux ?Je n'en sais rien. — Tu l'apprendras. Fructueux leva les yeux au ciel et pria. Emilien dit : Qui donc sera obéi, craint, honoré, si on refuse le culte aux dieux et l'adoration aux empereurs ? Puis il dit à Augure : N'écoute pas ce que dit Fructueux. Augure répondit : J'adore le Dieu tout-puissant. Emilien dit à Euloge : Adores-tu Fructueux ? Euloge répondit : Je n'adore pas Fructueux, mais le Dieu que Fructueux adore. Emilien dit alors à Fructueux : Tu es évêque ?Je le suis. — Tu l'as été. Et il ordonna que tous trois fussent brûlés vifs.

Quand les trois martyrs s'avancèrent dans l'amphithéâtre vers le lieu de leur supplice, ils parurent semblables aux trois Hébreux et firent ressouvenir, comme eux, de la Trinité. Quand la flamme eut brûlé les cordelettes qui leur liaient les mains, étant libres de leurs mouvements, ils s'agenouillèrent, dans l'attitude de la prière, et ils ne cessèrent de prier jusqu'au moment où ils rendirent l'âme[115].

Ceci se passait le 21 janvier de l'année 259. L'année suivante, l'empereur Valérien, fait prisonnier par le roi Sapor, suivait à pied le char de son vainqueur, les bras chargés de chaînes. Celui qui avait voulu réduire à la condition de vils esclaves les chrétiens de la maison de César était esclave lui-même. Il devait, pendant plusieurs années, traîner chez les Perses une vie misérable et déshonorée.

 

IX

La leçon fut profitable à son fils Gallien. Celui-ci comprit d'ailleurs que la société chrétienne avait des racines trop profondes et des ramifications trop étendues, pour qu'on pût espérer la détruire ou l'absorber dans l'administration impériale par un édit. Peut-être aussi l'influence de sa femme, l'impératrice Salonine, qui paraît avoir été chrétienne[116], l'inclina-t-elle vers le christianisme.

Non seulement Gallien mit fin à la persécution, mais il fit restituer aux chrétiens tous les biens qui leur avaient été confisqués, et, chose remarquable, il régla ces questions avec les chefs des Eglises. Nous avons encore la lettre qu'il adressa à ce sujet à Denys d'Alexandrie[117]. C'était reconnaître officiellement l'autorité hiérarchique des évêques. Son successeur Aurélien devait aller plus loin, et, dans un conflit de propriété qui divisait, en 272, les chrétiens d'Antioche, il devait écrire : Le bien litigieux devra appartenir à ceux qui sont en communion avec l'évêque de Rome[118]. Encore un pas, et l'Eglise et l'Etat traiteront entre eux, pour la première fois, de puissance à puissance. Une politique religieuse s'imposait, qui devait aboutir à l'édit de Constantin.

La faiblesse de Gallien ne permit pas cependant à son édit de porter tous ses fruits. Pendant qu'il disait à Rome : Amusons-nous, écrit son historien, il perdait l'empire du monde[119]. Des soldats ambitieux se taillaient des royautés éphémères dans les provinces. La Gaule, la Bretagne et l'Espagne se groupaient sous le gouvernement indépendant de Posthume ; une puissante confédération se formait en Orient sous Odenath et Zénobie ; l'Egypte et les provinces danubiennes se donnaient des maîtres. Ce fut l'ère des trente tyrans[120]. Un seul d'entre eux, Macrien, qui prit le gouvernement de l'Egypte, se montra nettement hostile aux chrétiens, mais il ne put détruire la grande influence que ceux-ci s'y étaient acquise par leur science et leurs vertus et qui faisait d'eux, aux heures du danger, des médiateurs tout-puissants. Un épisode, que nous rapporte Eusèbe, en est un exemple vivant. Pendant que les légions romaines assiégeaient Alexandrie, deux chrétiens éminents et universellement vénérés, Eusèbe, qui fut plus tard évêque de Laodicée, et Anatole, qui le remplaça sur le même siège, se firent les intermédiaires entre les Romains et les Alexandrins, et sauvèrent ainsi de la mort un grand nombre d'assiégés[121].

En somme, si l'on excepte trois persécutions, courtes et localisées : celle qui sévit en Egypte sous Macrien, celle qui éclata en 269 sous Claude le Gothique, et celle que déchaîna, en 274, un édit d'Aurélien, mais qui fut aussitôt arrêtée par sa mort, les chrétiens jouirent, pendant plus de trente ans, de 260 à 295, d'une paix relative.

L'Eglise profita de cette période de paix pour se réorganiser. Le siège de saint Pierre était resté vacant pendant une année après la mort de Sixte II. Au mois de juillet 259, les suffrages du clergé de Rome lui avaient donné pour successeur le prêtre DENYS.

Le nouveau pontife était intimement lié d'amitié avec son homonyme l'évêque d'Alexandrie. Cette intimité ne l'empêcha pas de demander des explications à son collègue, le jour où celui-ci lui fut dénoncé pour la manière peu orthodoxe dont il parlait de la Trinité. Denys d'Alexandrie, à la suite des observations que lui fit le pontife, s'empressa d'ailleurs de retirer les expressions qui avaient scandalisé les fidèles[122]. Le pape Denys écrivit ensuite, en son nom et au nom du synode qu'il avait réuni à Rome pour élucider la question trinitaire, une lettre circulaire à toutes les Eglises d'Egypte. Il y condamnait, tout à la fois, en conservant un juste milieu, l'unitarisme sabellien et le trithéisme subordinatien[123]. Denys écrivit aussi à l'Eglise de Césarée en Cappadoce, affligée par l'invasion des Perses ; et lui envoya des secours pour le rachat des captifs. Sa lettre, au témoignage de saint Basile, était religieusement conservée dans les archives de Césarée. Cet acte de charité, succédant aux rapports tendus qui avaient existé peu auparavant entre Firmilien, évêque de Césarée, et les prédécesseurs de Denys, était de nature à resserrer l'union des Eglises orientales avec Rome. C'est sous son pontificat qu'Aurélien, ayant à se prononcer sur l'attribution de biens ecclésiastiques entre deux compétiteurs, décida que les biens devaient revenir à celui qui était en communion avec l'évêque de Rome. Pour tous ces faits, le pontificat de Denys marque un moment important dans l'histoire du Saint-Siège.

Son successeur, FÉLIX, qui gouverna l'Eglise pendant cinq ans, continua dignement son œuvre. La lettre importante qu'il écrivit pour mettre en lumière la divinité et l'humanité parfaite du Christ devait mériter d'être insérée en grande partie dans les actes du troisième concile œcuménique.

Des deux successeurs de Félix, Eutychien et Caïus, nous ne savons à peu près rien. Les documents relatifs à leurs pontificats ont dû périr pendant la persécution de Dioclétien. Suivant le Liber pontificalis, EUTYCHIEN régna huit ans, onze mois et trois jours, mais ces chiffres ne concordent pas avec ceux d'Eusèbe, qui ne lui assigne que dix mois à peine, et avec le catalogue de Corbie, qui lui donne un an et un mois.

On remarque une pareille divergence entre le Liber pontificalis et Eusèbe pour ce qui concerne le pontificat du pape CAÏUS. Le Liber pontificalis lui donne treize ans de règne ; Eusèbe, quinze ans. La Passion de sainte Suzanne a donné lieu de croire que Caïus était parent de Dioclétien, mais la Passion de sainte Suzanne est peu sûre.

 

X

Au cours des trente et quelques années de paix relative que la Providence accorda à l'Eglise, deux œuvres principales s'imposèrent à la sollicitude de ses pasteurs : restaurer et consolider la discipline, défendre la pureté de la foi contre le paganisme et l'hérésie.

Pendant la seconde moitié du IIIe siècle, la hiérarchie ecclésiastique s'affermit et se complète : l'autorité du sacerdoce, de l'épiscopat, pardessus tout, celle du pontificat romain, s'imposent aux autorités civiles elles-mêmes ; et, au-dessous de ces degrés supérieurs de l'organisation traditionnelle, un certain nombre d'ordres inférieurs apparaissent.

L'empereur Gallien avait traité des questions religieuses avec les évêques ; Aurélien ne voulut reconnaître d'évêques légitimes que ceux qui étaient unis à Rome ; un texte du Liber pontificalis nous montre le pape Denys faisant remise aux prêtres des églises restituées[124]. On voit d'autre part le pape Corneille énumérer, parmi les ministres de son Eglise, des diacres, des sous-diacres, des acolytes, des exorcistes, des lecteurs et des portiers[125]. Tels sont désormais les divers degrés de la hiérarchie. C'est ce que Tertullien et Cyprien appellent l'ordo, le clerus[126], par opposition à la plebs des fidèles.

Mais d'autres textes nous permettent d'entrer dans plus de détails sur la nature et le fonctionnement de cette hiérarchie.

L'autorité suprême du pontife de Rome ressort assez des dernières controverses pour que nous n'ayons pas à y revenir. Jamais un Cyprien, un Firmilien ou un Denys d'Alexandrie n'ont osé parler avec autorité à toute l'Eglise ; lui seul le fait. Les docteurs agitent les questions ; l'évêque de Rome les tranche. Dans la vivacité du débat, on lui reproche d'abuser de son autorité, mais on ne la met pas en question.

L'évêque, le chef d'Eglise, a pourtant un grand pouvoir. Lui seul représente la tradition apostolique devant les fidèles ; lui seul représente ses fidèles dans leurs rapports avec les autres Eglises ou avec Rome. Une lettre n'est adressée au clergé que si le siège est vacant. On rencontre quelquefois cette expression : l'évêque et son peuple ce sont les deux éléments d'une Eglise[127].

Dans l'élection d'un évêque, nous voyons intervenir trois facteurs : les suffrages des fidèles de l'Eglise qui est à pourvoir, le vote de son clergé, et enfin la confirmation de ce choix par les évêques les plus voisins, qui imposent les mains à l'élu. Il apparaît clairement que ce dernier acte est la condition essentielle ; c'est celui qui donne l'épiscopat[128]. Novatien s'étant fait imposer les mains par trois pauvres évêques ignorants et circonvenus, le pape Corneille ne conteste son élection que parce que ces malheureux étaient ivres et avaient agi sous le coup de la fraude et de la terreur. La conduite de Novatien comme les paroles du pape, supposent la conviction que l'imposition des mains par trois évêques confère l'épiscopat[129].

Quant aux simples prêtres, leur fonction propre est d'offrir le sacrifice. Tertullien est aussi affirmatif sur ce point que saint Cyprien. Mais tandis que, dans les premiers temps, ils se tenaient autour de l'évêque, principal officiant, maintenant ils célèbrent souvent à part. On leur confie même des églises[130]. Leur seconde fonction est de catéchiser. Ils catéchisent d'abord les catéchumènes, les audiences, puis les fidèles, qui viennent chercher la science de la foi auprès d'eux[131]. Ils administrent enfin le sacrement de pénitence dans ce qu'il a de privé. Dans toutes ces fonctions, ils se trouvent sous la dépendance étroite de l'évêque, dont ils sont les auxiliaires. En Orient seulement, ils ont parfois la direction de quelques communautés rurales, sous le titre de recteurs du peuple, ou encore de chorévèques ou évêques de campagne[132].

Les chorévèques orientaux du IIIe siècle paraissent avoir eu, en principe, les pouvoirs épiscopaux. Le concile de Sardique, en 343, devait interdire de les leur confier. Les chorévèques ne furent plus alors que des prêtres visiteurs ou inspecteurs, parfois des sortes de curés résidants, mais toujours dépendants de l'autorité de l'évêque. L'institution des chorévèques ne devait être établie que plus tard en Occident. On y trouve pour la première fois deux prêtres décorés de ce titre au Ve siècle : Armentaire à Riez et Eugraphe en Dalmatie ; mais la signification de ce titre est encore peu claire ; elle ne se précisera qu'au vine siècle[133].

Les diacres ont toujours une grande importance dans l'Eglise. Le développement de l'Eglise, la multiplication des assemblées, l'augmentation du patrimoine ecclésiastique, ont considérablement compliqué leurs fonctions. On les a déchargés de plusieurs de leurs occupations par la création des ordres mineurs ; mais l'administration des biens d'Eglise et la direction des œuvres de charité est pour eux une charge souvent très lourde. Parmi les diacres, il en est un, dit premier diacre ou archidiacre, qui a la direction supérieure des biens et des œuvres ecclésiastiques. Nous avons vu la situation faite à Rome au premier diacre Laurent par de pareilles fonctions. Elle paraît avoir été la même à Carthage[134] et à Alexandrie[135].

Les sous-diacres, hypodiaconi, apparaissent à la fois à Rome, sous le pape saint Corneille[136], et à Carthage sous l'épiscopat de saint Cyprien[137]. En 251, l'Eglise de Rome compte 46 prêtres, 7 diacres, 7 sous-diacres, 42 acolytes, 52 exorcistes, lecteurs et portiers[138]. Les lettres de saint Cyprien signalent, à la même époque, l'existence en Afrique de tous ces ordres inférieurs, sauf celui de portier.

En Orient, les sources historiques nous montrent un développement différent du clergé inférieur. On y trouve bien, dès le milieu du IIIe siècle, des ministres remplissant des fonctions analogues. Mais ils ne sont pas comptés dans le clergé. Les sous-diacres et les lecteurs y prendront rang plus tard, à une époque où leurs attributions seront réglées d'une façon plus stable. Les autres clercs minorés ne reçoivent pas une vraie ordination ; tout au plus sont-ils l'objet d'une simple bénédiction de leur évêque au moment où celui-ci les choisit pour venir en aide aux diacres[139].

Un texte de saint Cyprien nous indique quel est de son temps le mode de rétribution des prêtres. Ils reçoivent un traitement mensuel, divisiones mensurnæ, et des dons manuels, sportulæ[140].

Les laïques sont subordonnés aux clercs, mais ne sont point absolument exclus de l'administration de l'Eglise. Dans plusieurs circonstances, saint Cyprien déclare ne vouloir point porter une sentence sans avoir préalablement obtenu l'avis de son clergé et l'assentiment de la plebs[141]. Quant à l'intervention du peuple pour l'élection du clergé, elle devient de plus en plus négative son rôle se bornera bientôt à signaler les cas d'indignité chez les candidats à la cléricature.

Tout chrétien a, sinon un droit strict, du moins un titre, dont l'évêque tient compte dans la mesure de ses ressources, à être assisté par son Eglise en cas de besoin ; car l'Eglise est une fraternité, une vraie société de secours mutuels, où le riche a le devoir de venir au secours de son frère déshérité[142].

Cette fraternité persiste après la mort. Les corps des chrétiens dorment de leur dernier sommeil dans des cimetières communs. Les plus connus de ces cimetières sont, à Rome, les catacombes de Calliste, de Lucine et de Prétextat. On place le corps du frère défunt, avec ou sans sarcophage, dans une niche, qu'on ferme avec une plaque de marbre ou de pierre, ou plus simplement avec des briques, le long des galeries souterraines. Les frères gravent sur ces tombeaux, avec le nom et l'âge du disparu, des inscriptions touchantes : Sois en paix. Puisses-tu vivre dans le Christ ! Puisses-tu vivre dans la gloire ! Prie pour nous. In pace, Vivas in Christo ! Vivas ingloria ! Pete pro nobis. Tout y respire, avec l'accent d'une fraternité tendre, un espoir confiant et tranquille. On vient souvent, dans ces lieux vénérables, célébrer le saint sacrifice sur la tombe des martyrs, non point seulement an temps de la persécution, mais même en temps de paix, pour marquer l'union qui doit toujours régner entre l'Eglise de la terre et celle du ciel. Les autels, les sièges épiscopaux, toute la disposition des catacombes, avec leurs atria, leurs absides, leurs chapelles, témoigne de cette pieuse coutume[143].

La fraternité, la mutualité, n'existent pas seulement dans l'intérieur d'une Eglise particulière, elles relient une Eglise à l'autre. La tradition des apôtres, quêtant pour les Eglises pauvres, s'est perpétuée et confirmée. L'union des Eglises ne forme pas cependant une simple fédération ; elle constitue une Eglise, l'Eglise catholique. Puisque tu es chrétienne, demande à l'esclave Sabine l'officier municipal Polémon, à quelle Eglise appartiens-tu ?A l'Eglise catholique. Le rhéteur Pione n'a pas d'autre réponse. Quel est ton nom ?Chrétien. — De quelle Eglise ?Catholique[144]. Et qu'on ne dise pas avec Renan[145] et avec Harnack[146] que ce catholicisme n'est qu'une impérialisation du christianisme, qu'une adaptation à la vie de l'empire romain. Dès le temps de la controverse pascale, il y a des Eglises au delà des frontières de l'empire, dans le royaume d'Edesse. Il est parlé des Eglises qui sont en Osroène comme de celles qui sont en Gaule. Elles ont beau être syriaques de langue, elles sont en correspondance avec l'évêque de Rome, cela suffit. Le catholicisme syriaque du royaume d'Edesse serait à lui seul une preuve que le catholicisme n'est pas la romanité[147].

Telle est la conception, telle est l'organisation de l'Eglise pendant la seconde moitié du me siècle : mais à côté des institutions nettement formées, il s'en trouve qui sont encore à l'état d'ébauche ou de formation incomplète. Telles sont, entre l'Eglise particulière ou le diocèse, et l'Eglise universelle, la province ecclésiastique, le patriarcat, la primatie.

Le concile de Nicée, en 325, constate l'existence de circonscriptions ecclésiastiques, appelées provinces ou éparchies, comprenant plusieurs Eglises particulières et groupées autour d'une ville, dite métropole, dont le chef ecclésiastique a un grade supérieur à celui des autres évêques[148]. La mention courante que font de ces provinces et de ces métropoles les écrivains du IVe siècle, sans en mentionner aucunement la nouveauté, nous incline à en reporter la formation lente et progressive à l'époque dont nous nous occupons.

La situation prépondérante faite à certaines Eglises, considérées comme Eglises mères, remonte aux origines. Dès le début, Jérusalem fut considérée comme Eglise mère de la Judée, de la Samarie et de la Galilée[149]. Antioche eut de bonne heure sous sa dépendance toutes les Eglises de Syrie, et Alexandrie toutes celles d'Égypte. Au IIIe siècle, Sérapion, évêque d'Antioche, écrit aux fidèles de Rhose en Cilicie pour les mettre en garde contre l'évangile apocryphe de Pierre, et Héraclas, évêque d'Alexandrie, dépose l'évêque Ammonius de Thmuis[150]. D'où venaient de pareilles primautés ? De ce fait que certaines Eglises, ayant été fondées par les apôtres ou par leurs disciples et, pour ainsi dire, sous leurs yeux, étaient considérées comme des centres particuliers de la foi orthodoxe. Tertullien, lorsqu'il reproche aux hérétiques de n'avoir pour eux aucune Eglise fondée par les apôtres ou apostolique de quelque manière[151], fait allusion à cette autorité spéciale de certaines Eglises. Sans doute, il se trouvera que plusieurs de ces villes métropolitaines seront en même temps des métropoles dans l'organisation administrative de l'empire romain. Mais il serait inexact de prétendre que l'Eglise a réglé son organisation sur celle de l'empire. Avant Dioclétien, on ne trouve nulle part, surtout en Occident, le moindre indice qui décèle la préoccupation de reproduire, dans le groupement des Eglises, la distribution de l'empire en provinces. L'Italie relève tout entière du siège romain. Alexandrie est un centre commun à l'Egypte et à la Cyrénaïque, bien que ces deux pays ne dépendent pas, au civil, du même administrateur[152].

 Les droits du métropolitain comprennent : 1° la convocation et la présidence du concile provincial annuel[153] ; 2° la présidence de l'élection des évêques de sa province, ainsi que leur consécration[154] ; 3° le droit de fournir des litteræ communicatoriæ aux évêques nommés[155].

En dehors de l'institution des métropoles en voie de formation, on aperçoit comme le germe de l'institution du patriarcat. L'évêque d'Alexandrie exerce une suprématie sur la Thébaïde, la Pentapole et la Libye, c'est-à-dire sur plusieurs provinces ; et parmi les évêques qui relèvent de celui d'Antioche, il en est qui président à des provinces entières. Alexandrie et Antioche seront bientôt considérées comme sièges de l'autorité patriarcale[156].

D'autre part, l'évêque de Carthage, exerçant une primauté sur toute l'Afrique, semble en être comme le primat.

Avec l'institution des métropoles se développe, d'une manière parallèle, l'institution des conciles. Il n'est pas question, avant Constantin, de concile œcuménique ou général[157]. Nous avons vu seulement, au IIe siècle, les querelles du montanisme et de la question pascale déterminer des conciles particuliers. Ces conciles deviennent réguliers au IIIe siècle et sont présidés par l'évêque de la ville principale. Les évêques sont justiciables de ces conciles et peuvent même être déposés par eux, ainsi que nous l'avons vu pour Privai de Lambèse.

A côté de la vie cléricale et de la simple vie chrétienne, apparaît, au IIIe siècle, la première organisation de la vie ascétique. Elle se rencontre parmi les vierges consacrées[158], les ascètes et les ermites.

Les vierges consacrées à Dieu ont fait entre les mains de leur évêque un vœu de chasteté. Les unes vivent dans leur famille ; d'autres, sans constituer des monastères proprement dits, forment certains groupements dont les évêques auront parfois à réprimer les abus[159] ; mais partout, parmi elles, règne une ardeur de zèle, qui les fait appeler par saint Cyprien le troupeau choisi des âmes fidèles, qui mène sur la terre la vie des anges du ciel[160]. Elles portent généralement un voile et de longs vêtements faits d'étoffes modestes[161].

Les ascètes ou continents sont des chrétiens qui tendent à réaliser la perfection évangélique. Ils portent généralement un vêtement particulier. Origène les nomme après les prêtres, les diacres et les vierges, dans une énumération qu'il donne des diverses classes de chrétiens[162]. Par la pratique austère de la chasteté et de la pauvreté, ils répandent un parfum d'édification parmi le peuple chrétien ; le clergé se recrute souvent parmi eux ; des évêques et des docteurs, comme Origène, sortent de leurs rangs. D'autres fois, au contraire, des évêques, comme Narcisse de Jérusalem, descendent de leur siège pour se mêler à leur vie de mortification et d'humilité. A la fin du IIIe siècle, Hiéracas, docteur d'Alexandrie, organise un groupe d'ascètes menant la vie commune. Ils habitent de préférence hors des villes, dans des lieux silencieux et solitaires, où ils joignent aux pratiques de l'ascèse la vie de contemplation.

Ceux que la vie contemplative attire davantage vont plus loin. Ils gagnent les déserts de Libye ou d'Egypte, et, loin des hommes, se sentent plus près de Dieu. Ce sont les ermites. Les Pères de la vie érémitique sont saint Paul de Thèbes et saint Antoine d'Héraclée. Paul de Thèbes, né vers 228, issu d'une riche famille, instruit dans les lettres profanes, s'avance dans le désert, jusqu'à ce qu'il y rencontre une caverne, ombragée d'un vaste palmier, auprès duquel jaillit une source d'eau vive. Il y passera quatre-vingt-dix ans dans la pratique de la méditation et de la pénitence, et il y mourra à 'l'âge de cent treize ans[163].

Antoine, qui sera le principal disciple de Paul de Thèbes, naît en 251, à Comon, près d'Héraclée, d'une famille copte. Vers 270, ses parents morts, il vend ses terres, place ses sœurs dans une maison de vierges et vit en ascète près de son village. En 283, il s'installe en plein désert, pour y méditer dans un recueillement plus complet[164].

Sous le règne de Dioclétien, le nombre des ermites ira croissant. Ces solitaires, en se séparant en apparence de l'humanité pour mener dans un désert la vie intérieure la plus intense, rendront à leurs contemporains et à la postérité les services les plus éminents que des hommes aient jamais pu rendre à leurs semblables. Pour connaître à fond la nature humaine, ses défauts, ses obstacles et la manière de les vaincre, pour s'instruire à fond sur les mystères de la contemplation et de l'union à Dieu, le moine Cassien n'aura qu'à recueillir les maximes des Pères du désert[165]. Après lui, tous les auteurs spirituels puiseront à cette mine incomparable. Toute notre ascétique et toute notre mystique sortiront de là[166].

Ainsi, au moment où les liens de la hiérarchie se précisent et s'affermissent, un nouvel élan d'ascétisme et de mysticisme se manifeste dans l'Eglise. Après Clément d'Alexandrie et Tertullien, après Origène et Cyprien, voici Paul et Antoine. Comment Renan a-t-il pu écrire, et surtout comment un historien de la valeur de M. Harnack a-t-il pu répéter que, dans l'histoire de l'Eglise, la hiérarchie a étouffé l'enthousiasme et que la médiocrité seule a créé l'autorité[167] ? Ce sont les enthousiasmes d'un Cyprien et d'un Antoine, comme plus tard ceux d'une Thérèse et d'un Ignace, qui ont réclamé le plus vivement le frein d'une règle ; et c'est la règle qui, en disciplinant ces enthousiasmes, les a rendus plus forts. L'union d'une vie intérieure puissante et d'une solide hiérarchie va justement permettre à l'Eglise de repousser à la fois les attaques de l'hérésie, renaissante en la personne de Paul de Samosate, et celles du paganisme, renouvelé et rajeuni sous le patronage de l'empereur Aurélien.

 

XI

L'Eglise a connu, dans le cours des siècles, parmi les hérésiarques, des penseurs plus originaux que Paul de Samosate ; elle n'a peut-être pas rencontré d'âme plus fuyante, de caractère plus habile, et, au fond, plus bas et plus effronté. Né dans la misère et la mendicité[168], mais insinuant et sans scrupules, on le voit s'élever peu à peu à la richesse et aux honneurs. La reine Zénobie l'a en grande estime. Ambitionnant à la fois les grandeurs du monde et celles de l'Eglise, il parvient, presque en même temps, et sur la recommandation des grands personnages qu'il fréquente et qu'il flatte, à la haute dignité d'évêque d'Antioche et à la charge très lucrative de receveur des finances aux appointements de 200.000 sesterces. Quand il s'avance avec magnificence sur les places publiques, accompagné d'une escorte de gardes, plein de faste et de morgue, il a plutôt l'air d'un procurateur de l'empire que d'un représentant du Christ[169]. Sa vie est mondaine, ses mœurs suspectes[170] ; mais comme il se montre coulant pour les faiblesses de son clergé, tout en montrant qu'il les connaît, ses prêtres se taisent sur lui, par crainte d'être frappés par lui. Quelques-uns, qu'il gorge d'or, publient ses louanges et attestent sa vertu[171].

Il ambitionne toutes les gloires, même celle de dogmatiser. La grande école d'Antioche, future rivale de celle d'Alexandrie, n'est pas encore fondée[172], mais dans les écrits de ceux qui, tels que Théophile et Sérapion, cultivent les lettres sacrées dans la métropole de l'Orient, on remarque déjà les caractères qui marqueront les docteurs de cette école. Aux spéculations toujours élevées, souvent nuageuses, des docteurs alexandrins, ils opposent une doctrine plus terre à terre, mais aux contours plus précis. Ils cultivent la dialectique plus que la métaphysique, et l'exégèse littérale plus que l'allégorie. L'ambitieux évêque s'empare de cette méthode, et bientôt met au jour, dans des écrits dont il ne nous reste que des fragments, toute une doctrine sur Dieu et sur le Christ.

Les Alexandrins se sont comme enivrés de la théorie du Logos. Le Logos ou Verbe, dit Paul, mérite tous nos hommages ; mais il n'est qu'un simple attribut de Dieu, sans subsistance propre, tout aussi impersonnel que la parole que profère une bouche humaine[173]. Il n'est en Dieu qu'une seule Personne, et on ne saurait en reconnaître qu'une seule, sous peine de détruire l'unité de Dieu et de donner un démenti à des centaines de textes formels de l'Ancien Testament. Mais il faut avouer que la Pensée du Dieu unique, après s'être manifestée par Moïse et les prophètes, s'est communiquée d'une manière plus parfaite à Jésus de Nazareth. La théodicée de Paul de Samosate, on le voit, n'est que le modalisme de Théodote et d'Artémon, rajeuni par une méthode d'exposition plus dialectique et plus positive.

Sa christologie s'inspire pareillement de l'adoptianisme de ces derniers ; mais il prétend la justifier par une exégèse plus scientifique. Certes, pour lui, le Christ est un être à part ; le Verbe de Dieu l'a tellement pénétré, qu'on ne ment pas en l'appelant le Dieu né d'une vierge, ou le Dieu de Nazareth[174] ; mais, au fond, le Christ n'est qu'un homme. N'a-t-il pas déclaré lui-même, en termes exprès et clairs, que son Père est le seul vrai Dieu[175], que son Père est plus grand que lui[176] ? Ne s'est-il pas plaint sur la croix d'avoir été abandonné par son Père[177] ? N'est-il pas dit dans l'Evangile que, dans son enfance, il croissait en grâce devant Dieu et devant les hommes[178] ?

La haute situation de Paul de Samosate, ses relations plus hautes encore, les ressources de son esprit subtil et disert, pouvaient entraîner bien des âmes. Cyprien n'était plus. Firmilien de Césarée, Denys d'Alexandrie et Grégoire le Thaumaturge se levèrent pour défendre la doctrine orthodoxe. Firmilien fit deux fois le voyage d'Antioche[179] ; Denys écrivit au clergé et aux fidèles de cette ville. L'hérésiarque protestait de son orthodoxie, modifiait ses formules, déclarait n'avoir jamais eu d'autre intention que d'exposer la doctrine traditionnelle ; il avait voulu seulement le faire d'une manière plus méthodique et plus précise : affirmer la divinité du Verbe, mais sans compromettre le dogme essentiel de l'unité de Dieu, et en déclarant le Logos consubstantiel au Père, omoousios ; affirmer la divinité du Christ, mais en l'expliquant par les textes évangéliques. Ses contradicteurs s'en allaient, désarmés par tant de souplesse ; mais quand, bientôt après, ils apprenaient que la négation de la Trinité et de la divinité du Christ se répandait de plus en plus parmi les auditeurs de l'évêque d'Antioche, ils s'indignaient de tant de mauvaise foi. Un prêtre d'Antioche, rompu à l'exégèse et à la dialectique aristotélicienne, Malchion, se proposa pour discuter avec son évêque. Pour couper court à toute échappatoire, on décida que la discussion aurait lieu en présence des évêques de la région et qu'elle serait notée par des sténographes. Plus de soixante-dix évêques d'Asie Mineure et de Syrie se rendirent à cet effet à Antioche. Forcé de fixer sa pensée, Paul de Samosate fut amené à avouer une doctrine que le concile déclara hétérodoxe. L'évêque d'Antioche fut déposé et le terme d'omoousios, sous lequel il cachait sa négation de la personnalité du Verbe, et par là même de la divinité du Christ, fut proscrit[180].

La condamnation de Paul de Samosate atteignait le judaïsme. Paul s'appuyait beaucoup sur les Juifs[181]. Sa doctrine, qui exaltait le monothéisme juif dans toute sa rigueur et réduisait le rôle de Jésus à celui d'un prophète, était peut-être une entreprise de restauration judaïque inspirée par la reine Zénobie, dont les sympathies pour les Juifs et le judaïsme étaient connues[182]. Privée de son temple, et par là même de ses grandes cérémonies religieuses, de ses prêtres et de ses lévites, disparus par extinction, la religion d'Israël, après avoir essayé vainement de se relever par la philosophie de Philon, puis par le gnosticisme, s'était renfermée dans un culte exclusif et farouche de la loi. Commenter la loi et paraphraser ses commentaires semblait être toute l'occupation de ses docteurs. La Mischna et les deux Talmud, de Galilée et de Jérusalem, représentent tout leur travail du IIe au IVe siècle. Mais comme les Juifs se répandaient partout, dans le monde romain, l'Eglise se préoccupait toujours de veiller sur les contacts qu'ils pouvaient avoir avec les chrétiens. Vers 3oo, le concile d'Elvire interdira aux chrétiens de manger avec les Juifs et de faire bénir par eux leurs récoltes[183].

 

XII

Le plus grand ennemi du christianisme était encore, à la fin du IIIe siècle, le paganisme. La critique d'Evhémère avait donné le coup de grâce au culte de Jupiter, de Saturne, de Vénus et des autres dieux antiques ; mais l'esprit païen était vivace. On se moquait de l'Olympe et de sa mythologie ; mais l'on avait toujours des dieux ; et, ces dieux ne sortant pas de l'ordre naturel et ne répondant pas à d'autres besoins qu'à des besoins terrestres, c'était encore là le paganisme. L'homme d'Etat romain était toujours prêt à tout immoler au dieu de la cité ; l'artiste grec considérait toujours la beauté de l'art et de la nature comme la raison d'être de la vie humaine ; la masse allait toujours à la volupté comme à sa fin suprême et à son dieu ; et pour tous, savants et ignorants, riches et pauvres, la pierre, l'arbre, la statue étaient, malgré tout, restés les objets d'un culte superstitieux. Un lettré de cette époque, Arnobe, faisant l'histoire de sa vie avant sa conversion au christianisme, dit : J'adorais des statues qui sortaient des forges... Si j'apercevais une pierre polie et frottée d'huile, j'y voyais une puissance divine et je l'invoquais[184]. Pendant le IIIe siècle, les calamités de l'empire, le pressentiment de sa désagrégation, avaient réveillé dans les âmes, avec une anxiété profonde, un vrai besoin de méditation religieuse et de prière. Malheureusement, ce sentiment, point de départ d'une conversion au christianisme pour les uns, fut, chez beaucoup d'autres, faussé et corrompu par le paganisme et devint son auxiliaire. Il s'exprima sous trois formes différentes : le néoplatonisme, le manichéisme et le culte de Mithra ou du Soleil.

Le néoplatonisme fut un essai de philosophie religieuse du paganisme, et comme sa théologie. Plotin, en échelonnant les divers degrés de l'être : l'Etre en soi, l'Intelligence, l'Esprit universel, les Âmes, les Astres et les Forces de la nature, avait fourni aux esprits païens comme un nouveau panthéon ; par sa théorie de la vertu commune, de l'ascèse et de l'extase, il avait donné comme un programme de vie religieuse qui ne manquait pas d'une certaine grandeur. Mais son œuvre fut à peine pour le paganisme ce qu'avait été l'œuvre de Philon pour le judaïsme, une brillante tentative, qui n'entraîna point les âmes[185]. Son plus célèbre disciple, Porphyre, ne put se signaler que par une œuvre de destruction : une critique des dogmes chrétiens, pleine de fiel[186].

Le manichéisme, qui devait, plus tard, revêtir toutes les apparences d'une hérésie chrétienne et faire de nombreux adeptes dans le monde romain, fut d'abord, dans l'esprit de son fondateur, dans ses dogmes et dans ses pratiques, une secte nettement païenne.

Son fondateur, Mani, dut venir au monde à Mardinu, au sud de Ctésiphon, entre les années 214 et 218, et fut élevé dans la secte des baptistes, à laquelle son père était agrégé. Mais plus tard, il reçut des révélations particulières et se mit, à vingt-quatre ans, à prêcher son propre système en Babylonie, en Perse, dans le Turkestan, et même dans l'Inde. Une conspiration des mages le perdit. Le roi de Perse Bahram Ier le fit saisir et décapiter vers l'an 274-275. Son système dérive de la vieille religion naturaliste babylonienne et chaldéenne, complétée par des éléments empruntés à des sectes persanes. Son fondement est le dualisme. Il y a de toute éternité deux principes ou plutôt deux royaumes opposés, celui de la Lumière et celui des Ténèbres. La Lumière est le bien à la fois physique et moral ; les Ténèbres sont le mal. Les deux royaumes sont juxtaposés par leurs parties inférieures[187]. Un être sorti des Ténèbres, Satan, a un jour envahi la région lumineuse. Le roi de la Lumière, Dieu, le repousse à l'aide de l'Homme primitif ; mais celui-ci est fait prisonnier, et, dans les étreintes de Satan, les éléments purs se mélangent en lui avec les éléments ténébreux. Depuis lors, l'homme, sollicité en sens contraires par les anges et par les démons, est le théâtre et la victime d'une lutte tragique.

Comment la libération de l'homme s'accomplira-t-elle ? Par la pratique d'un ascétisme austère. Il doit mettre trois sceaux ; l'un sur sa bouche, l'autre sur ses mains et le troisième sur son cœur[188], c'est-à-dire qu'il s'abstiendra de tout plaisir des sens. Le parfait ira plus loin. Il respectera la vie universelle jusqu'à ne pas cueillir un fruit ou froisser un brin d'herbe ; en compensation, il entrera, immédiatement après sa mort, dans le paradis de Lumière. Le culte était simple : il comprenait seulement des hymnes et des chants. Au mois de mars, une fête commémorative de la mort de Mani réunissait tous ses fidèles, qui venaient se prosterner devant un trône richement paré.

Tel fut le manichéisme primitif. Il répondait, d'une façon bien sommaire et arbitraire, mais singulièrement expressive, aux deux problèmes que se pose la conscience aux heures sombres de l'existence : l'origine du mal et la possibilité de s'en libérer. Le manichéisme gagna rapidement de nombreuses régions en Orient ; mais il ne parvint directement dans l'empire romain que vers l'an 280. L'Eglise paraît n'avoir commencé à le combattre qu'au début du IVe siècle.

Le culte de Mithra, dieu de la lumière, paraissait, au IIIe siècle, autrement menaçant. Depuis longtemps acclimaté à Rome[189], le mithraïsme était, dès le milieu du IIIe siècle, la forme la plus répandue de ce vague monothéisme qui se substituait peu à peu, dans les croyances païennes, aux fables déconsidérées de la mythologie classique. Dieu du Soleil, dieu du Feu, vivificateur et purificateur, Mithra correspondait à la fois au naturalisme des cultes primitifs et aux exigences croissantes des consciences. Pour les âmes inquiètes, pour les cœurs troublés par le remords, il avait le sacrifice du taurobole[190], qui expiait tout péché et faisait naître à une nouvelle vie. Aux amateurs de merveilleux, il offrait d'étranges cérémonies, la série des initiations, l'attrait des mystères. Mais, tout en parlant sans cesse de renaissance, d'expiation, il n'imposait à ses fidèles ni austérités, ni renoncement, ni vertu. Les tombes des prêtres et des initiés montrent des peintures immorales, des sentences matérialistes, mêlées à des images que l'on croirait sorties d'un pinceau spiritualiste ou même chrétien. Le mithraïsme résumait plus complètement que tout autre culte l'état d'une société partagée entre la corruption païenne et un idéal meilleur. Cette exacte conformité avec la situation morale du monde antique explique sa puissance sur toutes les classes de la population romaine[191]. Le culte de Mithra sembla devoir conquérir le monde méditerranéen, quand Aurélien, fils d'une prêtresse du temple du Soleil à Sirmium, résolut d'inaugurer dans Rome la religion du Sol Invictus. Adoré dans un temple splendide par des pontifes égalés aux anciens pontifes de Rome, fêté tous les quatre ans par des jeux magnifiques, l'invincible Soleil fut élevé au rang suprême dans la hiérarchie divine et devint le protecteur spécial des empereurs et de l'empire[192]. L'empereur espérait-il arrêter ainsi l'envahissement du christianisme ? Tout porte à le croire[193]. L'avenir le détrompa. Le succès du mithraïsme fut plus superficiel que profond. Son expansion s'arrêta partout où il se trouva en présence d'une doctrine religieuse nettement formulée. La Grèce, l'Egypte et la Syrie le repoussèrent, se disant, sans doute, que, dieux pour dieux, autant valait s'en tenir à ceux des ancêtres et ne pas se compromettre avec ceux des barbares[194]. Le judaïsme se montra absolument réfractaire. Quelques sectes gnostiques seulement se laissèrent séduire. Le christianisme ne fut pas entamé. Il fut défendu par la solidité de son organisation, la fermeté de son dogme et de sa morale. En vain les chrétiens entendirent-ils des prêtres du dieu nouveau leur dire : Mithra est vraiment chrétien[195] ; et un magistrat adjurer un martyr en ces termes : Tu regardes le ciel ? Sacrifie-lui[196]. Ils écoutèrent la voix de leurs docteurs leur disant que Dieu ne peut être adoré que sous les noms que lui ont donné Moïse, les prophètes et le Christ[197] ; ils regardèrent du côté de Rome ; et la religion de Mithra, malgré ses complaisantes avances, malgré son culte officiel, malgré la pression des magistrats de l'empire, n'arracha qu'un nombre insignifiant de fidèles à l'Eglise. Elle lui créa seulement un obstacle de plus. Le monde païen, désabusé de sa vieille mythologie, et cherchant à satisfaire un besoin d'adoration et de purification, trouva dans l'attrait nouveau de ce culte et dans ses cérémonies mystérieuses, une satisfaction factice, qui dut arrêter bien des âmes sur le chemin de la vérité[198].

 

 

 



[1] P. ALLARD, Hist. des persécutions, II, 436.

[2] AURÉLIUS VICTOR, Épitomé, 29 ; ZOZIME, I, 31 ; TREBELLIUS POLLION, Claudius, 13.

[3] LACTANCE, De morte pers., 4 ; S. OPTAT, Ad Parmen., III ; S. DENYS D'ALEXANDRIE, dans EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XLI, n. 10.

[4] Voir FUSTEL DE COULANGES, La Cité antique, p. 473 et suivantes.

[5] EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XLI.

[6] Saint CYPRIEN, De lapsis, 2-3.

[7] Saint CYPRIEN, De lapsis, 8 ; Ep. LII.

[8] Saint CYPRIEN, De lapsis, 8.

[9] EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XLI, n. 11-12.

[10] EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XLI, n. 14.

[11] M. AUBÉ, dans l'Eglise et l'Etat dans la seconde moitié du IIIe siècle, p. 4, 7, 13, 14, et, plus récemment, M. BOUCHÉ-LECLERCQ, dans son ouvrage l'Intolérance religieuse et la politique, Paris, 1911, ont voulu justifier Dèce et, en général, les empereurs persécuteurs par une prétendue nécessité de défense sociale. Certes, au milieu du me siècle, l'empire était fort menacé à l'extérieur par les peuples barbares qui se pressaient sur ses frontières ; mais les chrétiens étaient-ils pour quelque chose dans ces migrations des peuples ? L'empire était au.si très menacé à l'intérieur par la diminution de l'esprit militaire et par l'abandon des carrières civiles de la part de l'aristocratie ; mais si Commode, Caracalla et Gallien avaient dû successivement dispenser du service militaire les sénateurs, les décurions des cités, presque toute la bourgeoisie, si on avait enfin aboli le service militaire obligatoire, jusqu'à n'avoir plus que des soldats au rabais, suivant l'expression de M. DURUY (Hist. des Romains, VI, 366), si, dès le règne de Trajan, il avait fallu contraindre les riches à être décurions, édiles ou duumvirs, était-ce la faute de l'Eglise ? M. Littré est bien plus dans la note juste en écrivant que si le christianisme n'avait pas eu son avènement, comme le pouvoir impérial n'était capable de rien soutenir et vivifier, il y aurait eu stagnation profonde. (LITTRÉ, Etudes sur les Barbares, p. 27.)

[12] Saint CYPRIEN, Ep. III.

[13] Acta Sanctorum, février, t. I, p. 621.

[14] P. ALLARD, Hist. des persécutions, II, 301-302, — Cf. Id., les Esclaves chrétiens, p. 239-244.

[15] Passio sancti Pionii, Acta Sanctorum, février, t. I, p. 37-46 ; Dom LECLERCQ, les Martyrs, t. II, p. 67-88 ; EUSÈBE, H. E., l. IV, ch. XV.

[16] P. ALLARD, op. cit., p. 388.

[17] EUSEBE, H. E., l. VI, ch. XXXIX.

[18] S. JEAN CHRYSOSTOME, De sancto Babyla, II.

[19] P. ALLARD, Hist. des persécutions, II, p. 427.

[20] Voir Dom LECLERCQ, les Martyrs, t. II, p. 89-94. Cf. U. ROUZIÈS au mot Acace, dans le Dict. d'hist. ecclés., t. I, col. 237.

[21] Lettre de saint Lucien, dans saint CYPRIEN, Ep. XXI.

[22] C'est le chiffre donné par le concile africain qui condamna Privat de Lambèse. Sur l'Afrique chrétienne, ses origines, son organisation, ses luttes intérieures, ses martyrs, ses conciles et ses grands hommes, voir le savant article Afrique, par M. Aug. AUDOLLENT, dans le Dict. d'hist. et de géogr. ecclés., t, I, col. 705-861. Une bibliographie très complète occupe les col. 853-861.

[23] Saint CYPRIEN, De lapsis, 5, 6.

[24] Saint CYPRIEN, De lapsis, 5, 6.

[25] Saint CYPRIEN, Ep. LXIX.

[26] Tous ces détails sont donnés par saint CYPRIEN, De lapsis, 8-9 ; Ep. X, XIX, LIX.

[27] Saint CYPRIEN, Ep. LXIV.

[28] Saint CYPRIEN, De lapsis, 25.

[29] Saint CYPRIEN, De lapsis, 25, Ep. VIII.

[30] Saint CYPRIEN, De lapsis, 25, Ep. VIII.

[31] Saint CYPRIEN, Ep. LV.

[32] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise, I, 399.

[33] Parmi les lettres de saint CYPRIEN, Ep. LV.

[34] CYPRIEN, Ep. V, VI, X-XIX.

[35] S. CYPRIEN, Ep. X.

[36] Ep. IX.

[37] Ep. XI.

[38] Ep. LII.

[39] Ep. XXI (Inter Cyprianicas).

[40] Deux lettres de Rome, portées à la connaissance de toutes les Eglises, renvoyaient la cause des lapsi au jugement des évêques, qui décideraient une fois la paix établie. On ne pourrait réconcilier auparavant que ceux qui se trouveraient en danger de mort.

[41] Ep. XVI (Inter Cyprianicas).

[42] Negociationis nundinas. Ep. X.

[43] Son traité De Trinitate est composé avec un souci d'ordre et de méthode qui en fit le modèle pour longtemps des ouvrages de même genre... Ses écrits sont les premiers qui, à Rome, aient été rédigés en latin sur des matières théologiques. (TIXERONT, Histoire des dogmes, I, 353.)

[44] Ep. XVI ; EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XLIII, n. 16.

[45] EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XLIII, n. 20.

[46] TILLEMONT, Mémoires, t. III, note 1 sur saint Corneille dit en juin 251. Mgr DOULCET, Essai sur les rapports de l'Eglise avec l'Etat romain, fixe la date de l'élection en mars.

[47] EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XLIII.

[48] Voir les détails de cette ordination dans une lettre du pape Corneille reproduite par EUSEBE, H. E., l. VI, ch. XLIII. Cette lettre est conçue en termes très vifs ; mais la vivacité, bien explicable, avec laquelle les faits sont racontés et appréciés, ne paraît pas de nature à infirmer leur vérité substantielle.

[49] Voir le résumé de la doctrine de Novatien dans saint PACIEN, Ep. III, n. 1. P. L., t. XIII, col. 1063.

[50] S. CYPRIEN, Ep. XLI, LIX.

[51] Plebi in Evangelio perstanti salutem. Dédicace du De cibis.

[52] EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XLVI, n. 1-5.

[53] EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XIV.

[54] De unitate, 23. M. HARNACK, Dogmengeschichte, 4e édition, t. I, p. 409, considère l'expression Mater Ecclesia comme propre à l'Afrique. Bien plus, il estime que Clément d'Alexandrie s'oppose ici aux Africains. Il est certain que les docteurs de l'Afrique aiment à représenter l'Eglise comme la mère des chrétiens. (Voir TERTULLIEN, Adv. mart., 1, Adv. Marc., V, 4. ; De monog., 7 ; De orat., 2, cités par A. D'ALÈS, la Théologie de Tertullien, p. 215.) Quant à Clément d'Alexandrie, si, dans un passage de ses Stromates (VI, 16, 146), il interprète le commandement d'honorer notre père et notre mère par rapport à la Sagesse divine plutôt qu'à l'Eglise, il affirme nettement, dans deux passages bien connus, la maternité de l'Eglise. (Pedag., I, 5-21 ; I, 6-42.) De plus, cette conception de l'Eglise notre mère est, dès le siècle, classique et universelle. Elle est particulièrement chère à saint Irénée, elle se rencontre aussi dans la lettre des martyrs de Lyon et dans le Pasteur d'Hermas. On trouvera ces dernières citations dans une note du P. LEBRETON, Recherches de science religieuse, 1911, p. 573.

[55] On a remarqué justement que saint Cyprien, dans son traité, cherche uniquement à faire valoir l'unité de chaque Eglise particulière, et par là l'autorité de l'évêque. C'était, en effet, le grand point en question dans les récents conflits avec Félicissime, Novat et Novatien. Saint Cyprien ne s'occupe pas de l'unité de l'Eglise universelle ; mais son argumentation ne l'exclut pas, au contraire ; le principe d'unité qu'il fait valoir pour chaque Eglise vaut pour l'Eglise universelle ; et c'est l'unité de celle-ci qui est la meilleure garantie de l'unité de celles-là. Bossuet l'a dit admirablement : L'unité garde l'unité. Cf. BATIFFOL, l'Eglise naissante, 5e édition, p. 436-439.

[56] Le De unitate Ecclesiæ a-t-il été composé contre la faction de Novatien, comme le voulait TILLEMONT (Mémoires, IV, 105), ou contre la faction de Félicissime, comme le croit Dom CHAPMAN (Revue bénédictine, 1902 et 1903) Nous serions portés à croire que saint Cyprien a eu en vue les deux factions à la fois.

[57] Ep. LIX, n. 14.

[58] Ce qui, suivant certains auteurs, aurait constitué le sacrement de confirmation. (TIXERONT, op. cit., p. 393.) Ceux qui agissaient ainsi se seraient alors trompés sur le caractère de ce sacrement, qui ne peut être conféré qu'une fois. Sur les rites primitifs de la confirmation et sur les problèmes soulevés par la variation de ces rites, voir J. de GUIBERT, S. J., au mot Confirmation dans le Dict. apol. de la foi catholique, t. II, col. 651-654.

[59] Non abluuntur hic homines, sed potius sordidantur. De unit. Eccles., 11.

[60] Ep. LXIX. Voir A. D'ALÈS, la Question baptismale au temps de saint Cyprien, dans la Revue des quest. hist. d'avril 1907.

[61] Ep. LXIX, 2, 3 ; LXXIV, 6 ; LXXV, 14 ; LXIX, 10, 11 ; LXX, 3 ; LXXIII, 6 ; LXXIV, 4, 5 ; LXXV, 8, 12.

[62] Ep. LXIX, 8 ; LXX, 1 ; LXX, 2 ; LXXV, 7, 9-11.

[63] Ep. LXXIII, 4, 17, 18.

[64] Cyprien, qui, dans ses polémiques, opposera à la tradition romaine la tradition africaine, fait ici peu de cas de l'argument traditionnel. Non est de censuetudine præscribendum, dit-il dans une phrase à la Tertullien, sed ratione vincendum. (Ep. LXXI, 2-3.) Un historien protestant, Hugo KOCH, dans son étude Cyprian und der rœmische primat, Leipzig, 1910, prétend voir dans ce texte une négation radicale de la primauté romaine. Le contexte indique plutôt le sens suivant : représenter la tradition, jouir de l'autorité, ne dispense pas d'avoir raison, (Cf. H. HEMMER, dans le Bull. d'anc. litt., 1911, p. 74.)

[65] Saint CYPRIEN, Ep. LXVII.

[66] Ep. LXI.

[67] Ep. LXVIII. La lettre est fort pressante, jusqu'à paraître peu respectueuse.

[68] TILLEMONT, Mémoires, t. IV, art. 34 sur saint Cyprien.

[69] DUCHESNE, t. I, p. 419-421. Firmilien de Césarée, chaud partisan de Cyprien et, par conséquent, suspect de quelque exagération, dit tenir d'un diacre, Gratianus, que les légats de l'évêque de Carthage ne furent pas admis à voir Etienne, et qu'on traita Cyprien de faux prophète. (Ep. LXXV, 25.)

[70] BATIFFOL, Eglise naissante, p. 465

[71] Ep. LXXIV, 1. C'est le fameux texte : Nihil innovetur nisi quod traditum est. Tillemont, Bossuet, et plusieurs autres à leur suite, ont entendu le texte en ce sens qu'on ne doit rien renouveler que ce que la tradition veut qu'on renouvelle, c'est-à-dire qu'on doit renouveler l'imposition des mains seulement, et non le baptême. Ce n'est pas l'interprétation que les contemporains ont donnée à la phrase nihil innovetur, etc. Le pape pose un principe général il faut s'en tenir à l'usage traditionnel et, par conséquent, ne rien innover. C'est le sens que donne de ce passage EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. III. Saint VINCENT DE LÉRINS, en reprenant la phrase de saint Etienne dans son Commonitorium, l. I, ch. VII, lui donne aussi le même sens. Cf. S. CYPRIEN, Ep. LXXIV, 2 ; LXX, 5 ; De rebaptismate, 1. Voir SALTET, les Réordinations, p. 22-28.

[72] Dicunt se in hoc veterem consuetudinem sequi, dit Cyprien, sed non est de consuetudine præscribendum... (Ep. LXXI, 4.)

[73] Nous connaissons ce détail par Firmilien. S. CYPRIEN, Ep. LXXV, 5 (Inter cyprianicas).

[74] Ep. LXXV, 25.

[75] Voir le texte dans CYPRIANI opera, édit. HARTEL, t. I, p. 435.

[76] BATIFFOL, Eglise naissante, p. 470 ; D'ALÈS, Question baptismale, p. 26-27.

[77] BATIFFOL, Eglise naissante, p. 470-471.

[78] Tu hæreticis omnibus pejor es. (Ep. LXXV, 23.) Sur l'authenticité de cette épître, mise en doute par Molkenbuhr, voir BARDENHEVER, les Pères de l'Eglise, I, 353. Il est possible que le texte latin que nous avons ait été remanié par endroits par une main donatiste. Sur saint Firmilien, voir TILLEMONT, Mémoires, t. IV.

[79] Voir une analyse de cette œuvre dans P. MONCEAUX, Hist. litt. de l'Afrique chrét., t. II, p. 94-96.

[80] Les anglicans, les gallicans, les joséphistes et, plus récemment, les vieux catholiques, ont souvent cité les paroles violentes de saint Cyprien et de saint Firmilien dans la controverse baptismale, comme une confirmation de leurs erreurs. C'est oublier que, en dehors de la crise où des circonstances difficiles ont créé un pénible malentendu entre Rome et lui, Cyprien, suivant les expressions de M. Harnack, a reconnu l'Eglise de Rome comme la mère et la racine de l'Eglise catholique, répandue sur la terre, qu'il en a même appelé à l'Eglise romaine, à l'évêque de Rome, comme si la communion avec cette Eglise était en soi la garantie de la vérité. (HARNACK, Dogmengeschichte, t. I, p. 420.) Pour lui, la chaire de Rome a toujours été locus Petri, et l'Eglise de Rome Ecclesia principalis unde unitas sacerdotalis exorta est.

[81] S. CYPRIEN, De mortalitate, 16 ; PONTIUS, Vita Cypriani, 97 ; EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. XXII, n. 20.

[82] Cité par EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. XXII, n. 7, 8, 9.

[83] S. CYPRIEN, De mortalitate, 15.

[84] S. CYPRIEN, De mortalitate, versus finem.

[85] Ep. LVIII.

[86] Ep. LXVII.

[87] Saint DENYS D'ALEXANDRIE, Lettre à Hermammon, citée par EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. X, n. 3.

[88] Ep. LXIII.

[89] CHAMPAGNY, les Césars du IIIe siècle, II, 381.

[90] Ep. LX.

[91] EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XLIII, n. 11.

[92] EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. V, n. 2.

[93] AURELIUS VICTOR dit qu'il était multum iners, Épitomé. Cf. ZOZIME, I, 36.

[94] La magie était alors le dernier reste de la religion païenne. Les écrits des Pères des IIe, IIIe et IVe siècles sont pleins d'allusions à la pratique de la magie.

[95] De opere et eleemosynis, 15.

[96] P. ALLARD, Hist. des persécutions, II, p. 54.

[97] Quisquis illicitum collegium usurpaverit, ea pœna tenetur, qua tenentur qui hominibus armatis loca publica vel templa occupasse judicati sunt. ULPIEN, Digeste, XLVII, XII, 1.

[98] Proximum sacrilegio crimen est, quod majestatis dicitur, ULPIEN, Digeste, XLVIII, IV, 1.

[99] MARCIEN, Digeste, XLVIII, IV, 3.

[100] CALLISTRATE, Digeste, XLVIII, XIX, 28.

[101] Voir ROSSI, Roma sotterranea, t. II, p. 80-87 ; DUCHESNE, Liber pontificalis, t. I, p. XCVII et 154, note 1.

[102] ROSSI, Roma sotterranea, t. II, p. 258-259.

[103] Acta Sanctorum, octobre, t. X, p. 483.

[104] S. GRÉGOIRE DE TOURS, De gloria martyrum, I, 38.

[105] Voici l'épitaphe de saint Damase lui a consacrée :

Tarcisium sanctum Christi membra gerentem

Cum malesana manus premeret vulgare profanis,

Ipse animam potius voluit dimittere cæsus

Prodere quam canibus rabidis cœlestia membra.

[106] S. CYPRIEN, Ep. LXXX.

[107] P. L., t. III, col. 1494. Cf. EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. IX.

[108] Paul ALLARD, Hist. des persécutions, II, p. 85-86. Cf. DUCHESNE, Liber pontificalis, t. I, p. 155 et 156, notes. L'histoire du martyre et de la sépulture de saint Sixte a pu être reconstituée en rapprochant du témoignage de saint Cyprien (Ep. LXXX) l'inscription damasienne du tombeau de saint Sixte, celle du tombeau des saints Félicissime et Agapit et un passage des Devoirs de saint AMBROISE, I, 41.

[109] Paul ALLARD, Hist. des persécutions, II, p. 91-92. Les détails de ce martyre ont été contestés par la critique, mais la substantialité du récit n'a jamais été sérieusement attaquée.

[110] PONTIUS, Vita sancti Cypriani, 12.

[111] Saint CYPRIEN, Epistola ad martyres et confessores.

[112] Tout nous porte à croire que cette pièce n'est pas seulement, comme l'ont prétendu Basnage et Goerres, composée de matériaux antiques, mais, comme le pensent Allard et Dom Leclercq, le procès-verbal officiel de l'interrogatoire, copié par les chrétiens. Cf. Dom CABROL, au mot Actes des martyrs, dans le Dict. de litt. et d'arch. chrétiennes.

[113] Dom LECLERCQ, les Martyrs, t. II, p. 105-106. Cf. P. MONCEAUX, Saint Cyprien, Paris, 1914.

[114] P. ALLARD, Hist. des persécutions, t. III, p. 98 et suivantes.

[115] Dom LECLERCQ, les Martyrs, II, 118-220.

[116] C'est une singulière et attachante figure que celle de l'impératrice Salonine. Romaine de race, elle semblait être de la famille intellectuelle de ces princesses syriennes, qui, telles que Julia Domna et Mammée, exercèrent un ascendant supérieur à la cour des Sévère. Passionnée pour les études grecques et surtout pour la philosophie, elle fut d'abord en relations avec Plotin et Porphyre. Tandis que ce dernier se retournait amèrement contre les chrétiens et que Plotin se contentait de mettre dans ses Ennéades un vague parfum d'Evangile, Salonine alla-t-elle jusqu'à embrasser la foi de Jésus-Christ ? La question est discutée. Paul Allard et M. de Witte tiennent pour l'affirmation. A. de Barthélemy, Kraus et Duruy croient qu'elle s'arrêta à un compromis entre le christianisme et les doctrines néo-platoniciennes, mais pensent aussi qu'elle inclina Gallien à traiter favorablement les chrétiens.

[117] EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. XIII.

[118] EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. XXXII.

[119] TREBELLIUS POLLION, Gallieni duo, 16, 17, 21.

[120] Ces rois éphémères, la plupart anciens officiers impériaux, qui gouvernèrent suivant les traditions romaines, ne furent, à la vérité, ni trente, ni plus tyranniques que les empereurs de Rome. Mais tel est le nom qu'ils reçurent.

[121] EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. XXXII, n. 7-11.

[122] Saint ATHANASE, De sententia Dionysii, 13 ; P. G., t. XX, col. 464 ; De synodis, 43, P. G., t. XXV, col. 479.

[123] Saint ATHANASE, De decret. syn. Nic., 26 ; P. G., t. XXVI, col. 464-465.

[124] Liber pontificalis, t. I, p. 157. Cf. Introduction, p. C.

[125] EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XLIII, n. 11-12.

[126] TERTULLIEN, De monogamia, 11 et 12 ; CYPRIEN, Ep. XL, LII.

[127] CYPRIEN, Ep. LVIII, 4.

[128] CYPRIEN, Ep. LXVII, 5.

[129] EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XLIII, n. 10.

[130] Liber pontificalis, I, 157.

[131] CYPRIEN, Ep. XVIII, 2, XXIX, LXIII, 3 ; PONTIUS, Vita Cypriani, 3-4.

[132] Franz GILLMANN, Das Institut des Chorbischöfe im Orient, Munich, 1903. L'excellent travail de M. Gillmann se trouve résumé, et critiqué sur certains points, par le R. P. Martin JUGIE, les Chorévèques en Orient, dans les Echos d'Orient, t. VII, 1904, p. 263-268.

[133] Jacques ZEILLER, Revue d'hist. ecclés., 1906, p. 27 et s. — L'histoire des chorévèques ne peut être étudiée qu'en distinguant soigneusement le chorépiscopat oriental du chorépiscopat occidental. Ils diffèrent à la fois par l'époque à laquelle ils ont existé et par leurs caractères propres. Le chorépiscopat a existé, en Orient, du IIe siècle au VIIIe siècle. La plus ancienne mention connue d'un chorévèque en Orient est celle de Zotique, chorévèque à Kumane, en Phrygie, dans la seconde moitié du IIe siècle. Le dernier texte qui en fasse mention est le compte rendu du concile de Nicée en 787. L'Occident chrétien, au contraire, si l'on excepte le cas exceptionnel et énigmatique d'Armentaire et d'Eugraphe, n'a pas connu les chorévèques avant la seconde moitié du vine siècle. Les chorévèques d'Orient furent d'abord des évêques ruraux, pleinement indépendants des évêques urbains, puis leur furent par la suite de plus en plus subordonnés, jusqu'à ne plus conserver aucun caractère épiscopal. La réglementation de leur subordination progressive fut l'œuvre des conciles d'Ancyre, de Néocésarée, de Nicée, d'Antioche, de Sardique et de Laodicée. Les chorévèques occidentaux se présentent plutôt comme des coadjuteurs de l'évêque, chargés de gouverner certaines portions du diocèse, plus ou moins éloignées de la ville épiscopale, à laquelle ils demeurent cependant attachés, à la fois réellement possesseurs de la dignité épiscopale, mais dépendant de l'évêque urbain, dont ils ne sont que les auxiliaires. (Jacques ZEILLER, dans la Revue d'hist. ecclés., t. VII, 1906, p. 87.) — Cf. H. BERGÈRE, Etude historique sur les chorévèques, 1 vol. in-8°, Paris, 1905.

[134] TERTULLIEN, De baptismo, 57 ; De præscriptione, 42.

[135] CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromates, VI, 3.

[136] EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XLIII, n. 11-13.

[137] Ep. XXIX, XXXIV, 4 ; XLV, 4, etc.

[138] EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XLIII, n. 11-13.

[139] HERGENRÖTHER-KIRSCH, Kirchengeschichte, t. I, IVe partie, ch. VIII, § I.

[140] S. CYPRIEN, Ep. XXXIX, 5. Cf. Ep. XLI, 2 ; EUSÈBE, H. E., l. V, ch. XXVIII, n. 10.

[141] Ep. XIV, 1. Cf. Ep. XXXIV, 4. Saint Cyprien demande au clergé son consilium et au peuple son consensus.

[142] S. CYPRIEN, Ep. II, 2 ; VII, 4 ; XLII, 4.

[143] ROSSI, Roma soterranea, passim ; MARUCCHI, Eléments d'archéologie chrétienne, t. II ; Henri DE L'EPINOIS, les Catacombes de Rome, Paris-Bruxelles, 1896.

[144] Dom LECLERCQ, les Martyrs, II, 76.

[145] RENAN, Marc-Aurèle, p. 69.

[146] HARNACK, Dogmengeschichte, 4e édition, t. I, p. 480 ; Entschung, p. 117-118.

[147] BATIFFOL, op. cit., p. 275.

[148] Conc. de Nicée, can. 4

[149] Hégésippe, dans EUSÈBE, H. E., l. III, ch. XXXIII. Après la destruction de Jérusalem, on voit peu à peu Césarée prendre sa place. Au temps de Constantin, Jérusalem reprendra son rang de métropole de la Palestine.

[150] P. G., t. CIV, col. 1229.

[151] Ab Ecclesiis quoquo modo apostolicis (TERTULLIEN, Prescription, c. XXXI et s.)

[152] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise, I, 526-527. L'adaptation des provinces ecclésiastiques aux provinces impériales se fit à la fin du IIIe siècle, pour l'Orient, sous Dioclétien ; pour l'Occident, à une date postérieure. (DUCHESNE, op. cit., p. 527.)

[153] EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. XXIV. En Afrique, les conciles sont bisannuels : ils se tiennent au printemps et à l'automne.

[154] Conc. de Nicée, can. 4.

[155] Conc. d'Elvire, can. 25, 28.

[156] Voir S. VAILHÉ, Formation du patriarcat d'Antioche, dans les Echos d'Orient de mars-avril 1912, p. 109.

[157] Nous avons parlé plus haut de l'assemblée des apôtres à Jérusalem, où nous avons vu un vrai concile.

[158] TERTULLIEN, De jejunio, 13 ; S. CYPRIEN, Ep. LXXV.

[159] Par exemple celui des mulieres subintroductæ, EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. XXX ; Concile d'Elvire, can. 87 ; H. ACHELIS, Virgines subintroductæ, Leipzig, 1902 ; LADEUZE, dans la Revue d'histoire ecclés., t. VI, 1905, p. 58-62. Ne pas confondre les mulieres subintroductæ avec les Agapètes, à propos de qui saint Jean Chrysostome composa un écrit spécial. Voir V. ERMONI au mot Agapètes dans le Dict. d'hist. et de géogr. ecclés., t. I, col. 892-893.

[160] S. CYPRIEN, De habitu virginum.

[161] S. CYPRIEN, De habitu virginum.

[162] ORIGÈNE, Homel. II in Num., 10, 19 et s. ; In Ep. ad Rom., VI, 15 et s.

[163] S. JÉRÔME, Vita sancti Pauli ; P. L., t. XXIII, col. 17. Cf. Analecta bollandiana, t. II, p. 561 ; t. XI, p. 292 ; t. XX, p. 121, 127, 211. Une traduction de la Vie de Paul de Thèbes, par saint JÉRÔME, a été publiée, avec introduction et notes, par M. DE LABRIOLLE, Paris, Bloud (collection Science et religion).

[164] S. ATHANASE, Vie de saint Antoine, P. G., t. XXVI, col. 867. Cf. Analecta bollandiana, t. II, p. 341 ; t. XVIII, p. 70 ; t. XX, p. 90.

[165] CASSIEN, Collationes.

[166] Le P. RODRIGUEZ, dans son Traité de la perfection et des vertus chrétiennes, emprunte la plupart de ses maximes fondamentales et la plupart de ses exemples aux Pères du désert.

[167] Cité par BATIFFOL, Eglise naissante, 5e édition, p. 490.

[168] EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. XXX, n. 6.

[169] EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. XXX, n. 8.

[170] EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. XXX, n. 12-14.

[171] EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. XXX, n. 12.

[172] Eusèbe parle déjà cependant d'une Ecole hellénique d'Antioche. (H. E., l. VII, ch. XXIX.)

[173] ROUTH, Reliquiæ sacræ, t. III, p. 300 ; S. EPIPHANE, Hæres., XXV, 3.

[174] Contra Apollinarium, II, 3.

[175] Jean, XVII, 3.

[176] Jean, XIV, 28.

[177] Matthieu, XXVII, 46.

[178] Luc, II, 52. Voir EUSÈBE, H. E., l. VIII, ch. XXVII-XXX.

[179] EUSÈBE, H. E., l. VII, ch. XXX, n. 2.

[180] Le mot grec ousia avait alors un sens indéterminé et pouvait aussi bien exprimer la personne que la substance. Il était évident, par les explications que donnait Paul de Samosate, que, pour lui, la communauté de l'ousia, l'omoousia entre le Père et le Fils signifiait l'identité des personnes. Quand, plus tard, le sens du mot ousia fut précisé dans le sens de substance et opposé aux mots persona et prosopon, l'expression omoousios, consubstantiel, fut consacrée par l'Eglise, comme exprimant la doctrine orthodoxe. Voir saint HILAIRE, De synodis, 81-86, et saint BASILE, Ep. LII.

[181] Th. REINACH, Hist. des Israélites, p. 39.

[182] Voir DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise, I, p. 471.

[183] Concile d'Elvire, canons 49-50.

[184] ARNOBE, Adversus nationes, l. I, ch. XXXIX.

[185] Le christianisme en utilisa les bons éléments, comme il l'avait fait pour la philosophie de Philon.

[186] Méthode d'Olympe et Eusèbe de Césarée le réfutèrent. Mais leurs œuvres ne nous sont point parvenues. Il ne nous reste du livre de Porphyre que quelques fragments.

[187] TIXERONT, Histoire des dogmes, I, 434-435.

[188] Signaculum oris, manus et sinus.

[189] Sous Septime-Sévère, Julia Domna et ses lettrés avaient propagé le culte du Soleil.

[190] Dans la cérémonie de taurobole, le fidèle, couché au fond d'une fosse, recevait le sang d'un taureau, égorgé au-dessus de lui sur un plancher disjoint ou percé de trous. Il en sortait purifié de ses fautes par cette aspersion, qui le faisait renaître pour l'éternité, in æternum renatus.

[191] P. ALLARD, Hist. des persécutions, t. III, p. 221-222.

[192] Franz CUMONT, les Religions orientales dans l'empire romain, Paris, 1906, p. 138-139.

[193] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise, I, p. 547.

[194] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise, I, p. 546.

[195] Saint AUGUSTIN, Tract. V in Joannem.

[196] Actes de saint Pione. Dom LECLERCQ, les Martyrs, t. II, p. 85.

[197] ORIGÈNE, Exhort. ad mart., 47.

[198] Sur le culte de Mithra, voir Franz CUMONT, Textes et documents figurés relatifs au culte de Mithra, 2 vol. in-8°, Bruxelles, 1896-1899 ; A. D'ALÈS, Mithriacisme et christianisme dans la Rev. prat. d'apol., 1er février 1907 ; MARTINDALE, dans Christus, p. 383-405 ; M.-J. LAGRANGE, les Religions orientales et les Origines du christianisme, dans le Correspondant du 25 juillet 1910, p. 209-241 ; Albert VALENSIN, l'Image du Christ devant le syncrétisme gréco-romain, dans les Etudes, t. CXXVII, 1911, p. 441-480 ; PINARD, Infiltrations païennes dans le culte juif et dans le culte chrétien, Extrait de la Revue apologétique, 1909.