HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

DEUXIÈME PARTIE. — LA LUTTE

CHAPITRE III. — LA VIE ET LES INSTITUTIONS CHRÉTIENNES AU COMMENCEMENT DU IIIe SIÈCLE.

 

 

Pendant que l'apologétique chrétienne faisait entendre ces fiers accents, l'Eglise jouissait d'une liberté relative. Les six dernières années de l'empereur Commode et les neuf premières années de Septime-Sévère furent pour elle une période de paix. Elle en profita pour développer ses institutions hiérarchiques, sacramentelles et liturgiques, pour compléter l'organisation de la propriété ecclésiastique, pour promouvoir les grandes études de théologie et pour donner une nouvelle impulsion à son mouvement d'expansion apostolique. Le moment est venu de jeter un regard d'ensemble sur cette activité intérieure de l'Eglise ; nous aurons bientôt à reprendre le récit de ses luttes contre la persécution et l'hérésie.

 

I

Les œuvres de Tertullien mettent en pleine lumière l'organisation hiérarchique de l'Eglise. Elles nous la montrent d'abord comme une société essentiellement inégale. Les laïques sont subordonnés aux diacres et aux prêtres, et tous doivent l'obéissance à l'évêque[1]. Il n'est plus question de conseil presbytéral. L'épiscopat monarchique est établi partout. Les séries épiscopales données au milieu du IIe siècle par l'historien Hégésippe ne laissent aucun doute sur ce point[2]. L'autorité de l'évêque vient de ce qu'il est le dépositaire de l'autorité apostolique, laquelle lui a été transmise par une série ininterrompue d'évêques se rattachant aux apôtres[3]. A la différence des apôtres, l'évêque a une circonscription déterminée, qu'on a appelée d'abord paroisse, puis diocèse. Les premiers évêques ont été choisis et institués par les apôtres ; mais de bonne heure la coutume s'est établie de les nommer par voie d'élection. A la vacance d'un siège épiscopal, les clercs inférieurs du diocèse se réunissent et portent leur choix sur l'un d'entre eux, après avoir toutefois demandé au peuple un bon témoignage en faveur de leur candidat. Ils présentent ensuite ce candidat aux évêques du voisinage, lesquels se sont réunis au chef-lieu du diocèse vacant pour présider à l'élection et donner à l'élu l'institution canonique[4]. Les documents du IIe siècle et du début du IIIe siècle nous montrent l'évêque administrant son diocèse avec une absolue indépendance à l'égard du clergé inférieur. Dans plusieurs circonstances cependant, il prend conseil de celui-ci, et parfois même demande l'avis du peuple lui-même[5].

Les simples prêtres et les diacres ne sont promus à leurs ordres, comme les évêques, que sur le bon témoignage que le peuple leur rend. Ils ne peuvent exercer aucune fonction sans l'approbation de l'évêque qui les a ordonnés[6] ; et, en cas de faute grave, ils peuvent être déposés par lui[7]. Ils sont ses coadjuteurs dans l'enseignement des fidèles et dans l'administration des sacrements. Dans les réunions de la communauté chrétienne, ils se tiennent autour de l'évêque, comme sa couronne ; et, en cas de vacance de siège, ils assument la charge de l'administration du diocèse, dont ils rendront compte au futur évêque[8].

Les fonctions des diacres sont toujours très importantes. A eux incombe le soin de prêcher, de baptiser, d'administrer, sous le contrôle de l'évêque, les biens de l'Eglise, de servir l'évêque à, l'autel, d'annoncer les assemblées des fidèles, d'y maintenir le bon ordre, de recevoir les oblations et de les répartir entre les fidèles indigents[9].

La virginité, que l'apôtre saint Paul a si vivement recommandée, et dont le Sauveur, sa sainte Mère et l'apôtre saint Jean ont donné l'exemple, est l'idéal duquel les fidèles et surtout les clercs aiment à se rapprocher ; mais elle n'est encore imposée aux clercs par aucune loi positive. Les lois impériales, qui prohibent le célibat, mettraient une trop grande entrave au recrutement du clergé si on en faisait une obligation stricte. On se contente d'exiger, suivant le précepte de l'apôtre[10], que le candidat à la cléricature n'ait été marié qu'une seule fois[11].

 

II

L'initiation à la vie chrétienne se fait par le baptême, précédé du catéchuménat, immédiatement suivi de la confirmation et de la participation à l'Eucharistie. Quand un païen, désenchanté des mystères de sa religion, touché par le courage des martyrs ou par l'exemple des vertus chrétiennes, vient frapper à la demeure de l'évêque pour demander de participer aux mystères chrétiens, l'évêque le soumet à une épreuve préalable, vaguement indiquée par Hermas[12] et saint Justin[13], nettement organisée à l'époque de Tertullien[14], et qui s'appelle le catéchuménat. Pendant bien des jours, le postulant demeurera sur le seuil de l'assemblée chrétienne au moment de la célébration des mystères, car, les premières prières achevées, le diacre exclut les catéchumènes. Mais l'Eglise lui donnera une instruction à part[15]. Elle exigera ensuite qu'il renonce au démon, à ses pompes et à ses anges[16], qu'il se prépare enfin à l'initiation solennelle par la prière, les jeûnes, les veilles, la confession de ses péchés[17]. Telle est, du moins, la règle du catéchuménat à Carthage, telle que la décrit Tertullien. Si l'on est si exigeant pour le candidat au baptême, c'est, dit le prêtre africain, pour avoir l'assurance qu'il ne retombera plus dans le péché une fois baptisé[18]. L'Eglise ne doit se composer que de saints !

Vient le jour du baptême, de l'illumination, de la réconciliation, de la palingénésie, comme on l'appelle[19]. En règle ordinaire, l'initié est plongé trois fois dans l'eau, en mémoire de la sépulture du Christ, et sa triple sortie du bain figure le mystère de la Résurrection. A chaque immersion est prononcé le nom d'une des trois personnes divines[20]. En cas de nécessité cependant, surtout en cas de maladie, le baptême peut se conférer par aspersion ou effusion ; et quelques peintures du IIIe siècle reproduisent peut-être des rites remontant à la fin du IIe siècle, quand elles représentent l'initié debout dans le baptistère, ayant de l'eau jusqu'aux genoux seulement et recevant une aspersion sur la tête[21].

Les jours spécialement réservés pour l'initiation des catéchumènes sont le samedi qui précède la fête de Pâques et celui qui précède la fête de la Pentecôte, mais Tertullien déclare qu'à la rigueur elle peut être conférée un simple dimanche ou même un simple jour ordinaire[22].

Le rite baptismal achevé, le nouveau chrétien est revêtu d'une robe blanche et introduit dans l'assemblée des fidèles. L'évêque, assis, préside la réunion. Les prêtres, placés à ses côtés, et les diacres, chargés de maintenir l'ordre, occupent seuls une place d'honneur. Le riche y coudoie le pauvre, et l'homme libre l'esclave. Le nouvel initié s'approche de l'évêque. Le chef de l'Eglise lui confère, par l'imposition des mains et l'onction du saint chrême, le sacrement de confirmation, qui le fait parfait chrétien et qui est regardé comme le complément du baptême[23].

Enfin, le baptisé est admis à participer au sacrifice de l'Eucharistie. Nous en connaissons déjà les principales cérémonies par la description donnée par saint Justin. Des textes précieux de Tertullien, de saint Cyprien et des canons d'Hippolyte[24] nous permettent d'en compléter le tableau. Depuis le milieu du siècle, la fraction du pain est définitivement séparée du repas fraternel qui l'accompagnait. L'office sacré se déroule dans toute la pureté de son rite, exempt désormais des abus qui avaient tant affligé saint Paul. On imagine facilement l'émotion du néophyte lorsqu'il se trouve pour la première fois en présence du mystère si longtemps attendu.

Un mouvement des diacres et des ministres inférieurs indique que le moment du sacrifice approche. Les uns se répandent dans l'assemblée pour y maintenir chacun à son rang et diriger les mouvements liturgiques ; les autres apportent et disposent sur l'autel les pains et les calices préparés pour le repas sacré.

Que le Seigneur soit avec vous tous, dit l'évêque. — Et avec votre esprit. — En haut les cœurs !Ils sont avec le Seigneur. C'est convenable et juste.

Après plusieurs prières, dont la principale est une invocation au Dieu trois fois saint, l'évêque, au milieu d'un profond silence, prononce lentement sur le pain et sur le vin les mystérieuses paroles prononcées d'abord par le Sauveur la veille de sa mort. Le mystère est consommé. Le Christ est là, sur l'autel, au milieu de ses fidèles, sous les voiles mystiques des aliments consacrés. La prière recommence, plus ardente, adressée au Dieu présent, quoique invisible. Tout à coup la voix d'un diacre retentit : Sancta sanctis. Les choses saintes sont pour les saints. — Amen, répond le peuple. La communion a lieu alors. L'évêque communie le premier, puis les prêtres, les diacres, enfin toute l'assistance. L'évêque dépose le pain dans la main droite du fidèle, ouverte et supportée par la gauche. Le diacre tient le calice ; on y boit directement. A chaque communiant l'évêque dit : Le corps du Christ, et le diacre : Le sang du Christ. Chacun répond Amen.

La communion finie, le diacre donne le signal de la prière. Tous prient, tantôt agenouillés et même prosternés, en signe d'humiliation et de pénitence, tantôt debout, les bras étendus et les mains ouvertes comme Jésus sur la croix, pour témoigner qu'ils sont prêts à endurer tous les supplices. Le chrétien prie en regardant le ciel, dit Tertullien, ouvrant les mains parce qu'elles sont innocentes, la tête nue parce qu'il n'a pas à rougir. Ainsi debout, devant Dieu et les bras ouverts, que les ongles de fer nous déchirent, que les croix nous soulèvent, que la flamme lèche notre chair, que le glaive nous ouvre la gorge : par son attitude même, le chrétien se montre prêt à tout souffrir[25].

 

III

De telles paroles expriment bien les sentiments qui doivent animer le néophyte, lorsque, au jour de son initiation, il a reçu le triple sacrement. Est-il maintenant possible que cet homme, préparé d'abord par tant de jeûnes et de prières, puis comblé de tant de grâces, offense jamais le Seigneur ?

Nous savons que, du temps d'Hermas, plusieurs chrétiens répondaient par la négative. Leurs erreurs, à peine adoucies, ne tarderont pas à renaître. Mais l'expérience continue à leur donner un lamentable démenti.

C'est précisément en vue de ces tristes rechutes que le Sauveur a établi un autre sacrement, une pénitence seconde, un baptême laborieux, comme on l'appelle quelquefois, le sacrement de Pénitence. Il l'a institué le jour où il a donné à ses apôtres et à leurs successeurs le pouvoir de remettre et de retenir les péchés. Au début du IIIe siècle, le sacrement de Pénitence nous apparaît comme une institution partout reconnue, mais diversement organisée dans les différentes Eglises.

Les Canons d'Hippolyte mettent dans la bouche du pontife qui consacre un nouvel évêque ces paroles significatives : Accorde-lui, Seigneur, l'épiscopat, l'esprit de clémence et le pouvoir de remettre les péchés[26]. D'autre part, Tertullien, dans son traité De pænitentia, enseigne formellement que cette remise des péchés se fait par le moyen d'une confession. L'acte par lequel nous confessons notre faute, dit-il, s'appelle, d'un nom grec, l'exomologèse. Cette confession opère la repentance et la repentance apaise Dieu[27]. Ce pardon des péchés est applicable d'ailleurs à toutes les fautes sans exception. Quelle que soit la faute, dit encore Tertullien, que ce soit une faute de la chair ou une faute de volonté, Celui qui lui a réservé une peine pour le jour du jugement en a promis le pardon par la pénitence, car il a dit : Faites pénitence, et je vous sauverai[28].

Si maintenant nous cherchons quelles étaient les règles suivies dans la pratique de la confession et des œuvres satisfactoires qui l'accompagnent, nous nous trouverons en présence de coutumes divergentes. Certaines Eglises se montrent extrêmement sévères à l'égard des grandes fautes, particulièrement de l'homicide, de l'adultère et de l'idolâtrie. Quiconque a commis, fût-ce une seule fois, l'un de ces trois crimes, est exclu pour toujours de la communauté chrétienne. Doit-on conclure de ce simple fait que ces Eglises considèrent ces trois péchés comme irrémissibles ? Nullement. Leur décision est purement canonique et extérieure. Le failli, s'il n'a plus à attendre son retour dans la communion chrétienne, peut espérer de Dieu la rémission de son péché. L'Eglise se refuse seulement à proclamer extérieurement ce pardon[29].

La confession est-elle publique ou secrète ? Il semble résulter d'un texte de Sozomène que, primitivement, la confession était publique, au moins dans certaines Eglises[30]. En toute hypothèse, cet usage a été vite supprimé[31]. Ce qui est certain, c'est que la confession recommandée à la fin du ue siècle et au commencement du IIIe siècle par Clément d'Alexandrie, Tertullien et saint Cyprien, est une confession secrète[32].

En règle ordinaire, l'œuvre satisfactoire ou la pénitence doit précéder l'absolution. Souvent cette œuvre satisfactoire n'est autre chose que la confession publique ; d'autres fois, elle consiste en jeûnes, en aumônes et en prières. Ne nous plaignons pas de la rudesse de cette discipline : c'est elle qui a arraché nos pères aux tentations d'un paganisme sensuel et sanguinaire, qui les a fixés dans la foi au Christ, qui en a fait des héros et des martyrs[33].

 

IV

Il est vrai qu'en même temps, des fêtes, des prières liturgiques, d'une douceur ineffable, attachent tendrement les âmes à l'Eglise, entretiennent en elles, à côté de la crainte, base de toute sagesse, l'amour, sommet de toute perfection.

Le centre de toutes ces fêtes est l'Eucharistie.

Nous avons vu comment, du simple récit de la Cène, la liturgie de la Messe était née. Les cérémonies de la Messe, à leur tour, deviennent l'inspiration de toutes les prières formant le cadre religieux de chaque journée, de chaque semaine et de chaque année.

Le Maître avait dit : Il faut toujours prier et ne jamais se lasser. L'idéal de la vie chrétienne est une perpétuelle communion avec Dieu par la prière. Mais la nature et le ton de ces prières varient suivant les heures, les circonstances, les souvenirs.

C'est ainsi que, dans chaque journée, des heures sont assignées à la prière. Nous voyons dans les Acte que les apôtres et leurs disciples se réunissent pour prier, de préférence à la troisième heure, ou à la sixième, ou à la neuvième, c'est-à-dire à neuf heures du matin, midi ou trois heures de l'après-midi, à tierce, sexte et none. On remarquera plus tard que tierce est l'heure où le Saint-Esprit descendit sur les apôtres ; sexte, celle du crucifiement du Sauveur ; none, celle de sa mort. Le matin et le soir sont aussi des heures naturellement indiquées pour la prière dans l'usage de tous les peuples. La journée chrétienne est ainsi constituée. L'office canonial n'en sera, alors, que la réglementation et le développement[34].

Dans la semaine chrétienne, une place à part sera bientôt faite au dimanche. Comment la substitution du dimanche au sabbat s'opère-t-elle ? D'une manière fort naturelle et fort simple, à ce qu'il paraît. La réunion chrétienne se tient d'abord le jour du sabbat au soir, comme dans la synagogue. On y prie, on y prêche. Puis a lieu la fraction du pain. La cérémonie s'achève à l'aurore, le dimanche[35]. Mais cette fraction du pain, n'est-ce pas l'essentiel ? C'est donc le dimanche que s'accomplit la grande prière liturgique. On ne peut s'empêcher de le remarquer et de se souvenir en même temps que le dimanche est le jour de la résurrection du Sauveur, le jour du Seigneur. Dès lors, c'est ce jour qui devient un jour de prière spécial, puis, par voie de conséquence, le jour du repos, substitué au jour du sabbat. La vieille coutume sabbatique lutte quelque temps encore. On trouve des vestiges de sa persistance dans certains rites monastiques rappelés par Cassien et dans la célèbre Peregrinatio Silviæ. Finalement le dimanche est universellement accepté comme le grand jour de fête de la semaine. Le mercredi et le vendredi, au contraire, sont des jours de pénitence. Nous trouvons mention de ce fait dans les plus anciens livres, tels que la Didachè[36] et le Pasteur d'Hermas[37]. Le vendredi est le jour de la mort du Seigneur et le mercredi celui de sa trahison. Le samedi finit par être aussi considéré comme un jour de tristesse et de deuil. Telle est l'origine de la semaine liturgique. L'institution des Quatre-Temps nous en a conservé les reliefs[38].

En même temps que la journée liturgique et que la semaine liturgique, s'épanouit l'année liturgique. La première fête que nous y voyons apparaître est la fête de Pâques. Sous ce titre, à l'origine, on comprend non seulement la fête de la Résurrection du Sauveur, mais le souvenir de la passion et de la mort du Christ. Ces trois fêtes sont d'abord comme une fête unique. On dit : la Pâque de la passion, la Pâque de la crucifixion et la Pâque de la résurrection[39]. Le souvenir du divin Sacrifice, qui a inspiré la journée chrétienne, créé le dimanche et sanctifié la semaine, crée aussi la solennité pascale. Celle-ci est le noyau de toute l'année liturgique.

Pâques entraîne à sa suite la Pentecôte, qui est fixée au cinquantième jour après la Résurrection. Ces deux fêtes sont mentionnées par les plus anciens écrivains ecclésiastiques. Mais une telle solennité exige une préparation par la prière et par le jeûne. De là le Carême, qui, après quelques hésitations, commence quarante jours avant Pâques.

La pensée des souffrances et de la mort du Sauveur est inséparable de la pensée de son Incarnation, qui lui a donné une nature capable de souffrir et de mourir. Le souvenir de sa naissance à la vie glorieuse rappelle aussi le souvenir de sa naissance à la vie terrestre. La fête dite de Noël ne tarde pas à être instituée.

Noël et Pâques deviennent alors comme les deux pôles de l'année liturgique. Noël a sa préparation, comme Pâques : c'est l'Avent. Le reste de l'année sera attiré dans l'orbite de ces deux fêtes[40]. Toutes les autres fêtes, tous les autres dimanches de l'année se rattachent soit au cycle de Noël, soit au cycle de Pâques. Chaque fidèle peut désormais, en s'unissant simplement aux prières liturgiques de la communauté chrétienne, suivre les voies de Jésus, s'unir à ses vertus et communier à ses mystères, c'est-à-dire réaliser toute la religion, et le cycle liturgique devient à la fois la joie des peuples, la lumière des doctes et le livre des humbles[41].

L'Eglise du siècle ne célèbre pas d'autres fêtes d'une manière universelle. Mais chaque Eglise particulière fête pieusement l'anniversaire de la mort de ses plus illustres martyrs. Dès l'an 155, les fidèles de Smyrne, dans la lettre où ils racontent le martyre de saint Polycarpe, annoncent le dessein de célébrer la fête du martyr par une réunion au lieu même où repose son corps. Vers la fin du siècle, Tertullien mentionne l'usage de commémorer le souvenir des défunts par l'oblation eucharistique. Ces fêtes ne deviendront universelles dans l'Eglise que plus tard[42].

 

V

La controverse pascale. L'œuvre liturgique, lentement élaborée au ne siècle, devait devenir, en se développant, une des bases les plus solides et un des signes les plus marquants de l'unité de l'Eglise. Mais il est peut-être dans les desseins providentiels de faire conquérir les plus grands bienfaits au prix des plus grandes épreuves : la fixation même de la fête de Pâques, centre de toute la liturgie, devint, vers la fin du IIe siècle, l'occasion d'un des conflits les plus douloureux qui aient affligé l'Eglise.

D'un commun accord, toutes les Eglises de l'Orient et de l'Occident avaient acclamé la fête de Pâques comme la grande solennité de l'année chrétienne. Mais on ne s'était pas concerté sur la date de sa célébration, et la fixation de cette date n'allait pas sans difficulté. On convenait généralement que le Sauveur avait mangé la pâque le 14e jour du mois juif de nisan, correspondant au 14e jour de la lune de mars. Les chrétiens d'Asie s'en tenaient à cette date, et, en somme, ne faisaient que substituer, ce jour-là, la cène eucharistique au repas rituel des Juifs. Ils célébraient d'ailleurs leur fête de Pâques à quelque jour de la semaine que cette date tombât. C'est ainsi, disaient-ils, que les apôtres Jean et Philippe, et, depuis eux, toutes les Eglises d'Asie avaient célébré la grande fête. Les chrétiens d'Occident avaient fait un autre calcul. Pour eux, la grande fête chrétienne avait surtout pour but de commémorer la résurrection du Christ. Or le Christ était ressuscité le dimanche. N'était-ce pas précisément pour célébrer ce mystère que le dimanche de chaque semaine était devenu un jour saint ? La fête commémorative annuelle leur parut donc ne pouvoir se célébrer qu'un dimanche. Ils la fixèrent au dimanche qui venait après le 14 de nisan. Leur fête ne correspondait pas toujours à la date où le Christ était sorti du tombeau, mais elle correspondait au moins au jour de la semaine où s'était accompli le mystère. Le dimanche gardait sa solennité, et par là on accentuait la séparation du christianisme d'avec le judaïsme. Les Occidentaux, du reste, opposaient à la tradition de saint Jean et de saint Philippe celle de saint Pierre et de saint Paul. Ils reprochaient aux Asiates, aux quartodécimans, comme on les appela, de sembler suivre la loi ancienne, de donner à leur fête une teinte juive. Au fond de cette simple question de date, la vieille opposition entre l'esprit judaïsant et l'esprit universaliste réapparaissait.

Sous le pape Anicet, le vénérable évêque de Smyrne, Polycarpe, avait essayé en vain de faire prévaloir dans l'Eglise universelle l'usage quartodéciman. Le pontife de Rome, à son tour, avait été impuissant à faire adopter au vieil évêque l'usage romain. Les deux vénérables représentants de l'Eglise avaient inutilement conféré entre eux sur cette question. Cependant la concorde n'avait nullement été rompue. La diversité des pratiques causait seulement un malaise dans l'Eglise. Telle communauté était plongée dans le deuil, au moment même où telle autre chantait l'alleluia de la Résurrection. Le contraste était plus choquant quand on voyait dans la même ville, à Rome, des Asiates rester fidèles à leurs coutumes, célébrer la Pâque, au milieu des chrétiens, le même jour que les Juifs. Sous le pape Soter, les rapports entre Occidentaux et Orientaux furent particulièrement tendus. Des troubles, sur lesquels nous sommes vaguement renseignés, se produisirent à ce sujet à Laodicée de Phrygie. Les esprits se passionnèrent. Vers 191, le pape Victor prit le parti d'intervenir directement. Il demanda à l'évêque d'Ephèse, Polycrate, de réunir à Ephèse les évêques d'Asie et de les amener à se rallier à l'usage de Rome. Polycrate réunit les évêques, mais, en leur nom comme au sien, il crut devoir répondre au pape que ni lui ni ses frères ne pouvaient abandonner une tradition apostolique[43]. La tradition apostolique n'était-elle point la suprême règle, le dernier canon de la foi ? Les adversaires invoquaient un argument identique.

Le conflit entre les deux traditions apostoliques se fût trouvé sang issue, ou du moins la seule issue eût été le schisme, si une autorité supérieure, interprétative de la tradition, n'eût été, dès lors, universellement reconnue. Le pape Victor était le titulaire de cette autorité suprême. Il crut le moment venu de l'exercer à l'égard de l'Eglise entière. En vertu du pouvoir qu'il tenait de Jésus-Christ par l'apôtre saint Pierre, le pape Victor donna l'ordre à tous les évêques de la chrétienté de célébrer la fête de Pâques le jour du dimanche. De tous les points de l'univers chrétien, de Jérusalem comme d'Alexandrie, des Eglises du Pont comme de celles des Gaules, les adhésions arrivèrent au Pontife de Rome[44]. Mais la province d'Asie résistait toujours. Victor crut pouvoir aller jusqu'au bout de ses pouvoirs. Il écrivit à toutes les Eglises que les frères insoumis, sans exception, seraient séparés de la communion catholique.

Pas une voix ne s'éleva dans l'Eglise pour prétendre que l'évêque de Rome outrepassait ses droits, s'arrogeait un pouvoir nouveau ; mais une voix vénérable se fit entendre, respectueuse et pacifique. C'était celle du vieil évêque de Lyon. Irénée, amené providentiellement en Occident, avait accepté sans hésiter pour son Eglise la coutume occidentale ; mais il vit avec peine ces vieilles Eglises d'Asie, où il avait passé sa jeunesse, et cette grande Eglise d'Ephèse, dont il aimait tant à invoquer les traditions contre les hérétiques, sur le point d'être séparées du corps de l'Eglise universelle. Il écrivit à l'évêque de Rome une lettre dont Eusèbe nous a conservé un fragment célèbre. En substance, Irénée rappelait au pape Victor que la non-observance de la pâque dominicale ne lui semblait pas être un de ces faits pour lesquels on doit repousser personne dans l'Eglise, et il lui remémorait l'entrevue du saint évêque Polycarpe, disciple de Jean, avec son prédécesseur Anicet : Quoique suivant des coutumes différentes, lui disait-il, ces deux grands hommes restèrent unis l'un à l'autre, ils se quittèrent l'un et l'autre en paix ; et dans l'Eglise tous avaient la paix, quoique n'ayant pas la même observance[45].

Comme autrefois saint Pierre s'était rendu aux justes observations de saint Paul, le pontife romain se rendit à l'avis que lui donnait, au nom de tous les frères qu'il gouvernait[46], le vieil évêque des Gaules. Aucune suite ne fut donnée à l'excommunication des Eglises Et l'on vit par là, dit Eusèbe, qu'Irénée portait vraiment son nom, qui signifie paix, car il fut le pacificateur de la controverse[47]. Peu à peu les Eglises d'Asie finirent par adopter l'usage romain, que le concile de Nicée n'eut plus qu'à consacrer.

 

VI

A mesure que l'autorité de l'Eglise se fortifiait à tous les degrés de sa hiérarchie, elle multipliait ses œuvres de charité, d'enseignement et d'apostolat.

Depuis l'origine, l'Eglise avait son trésor de la charité. Les prémices, les dîmes et les offrandes spontanées des fidèles en avaient été les premières sources.

La Didachè[48], la Didascalie[49], les Constitutions apostoliques[50] et les Canons d'Hippolyte[51] mentionnent la coutume d'apporter à l'Eglise et de déposer entre les mains de l'évêque les prémices des récoltes. Le Sacramentaire léonien nous a conservé la formule de bénédiction prononcée alors par l'évêque sur les oblations[52]. La Didascalie[53] et les Constitutions apostoliques parlent aussi de la dîme. Cette contribution, qui devait plus tard être rendue obligatoire, était seulement admise comme offrande volontaire et n'était pas générale au IIIe siècle. Les dons spontanés des riches entre les mains de l'évêque, pour qu'il les mît au service des pauvres, paraissent, par contre, avoir été très abondants au début du IIIe siècle. L'argent, qui vous divise, disait Tertullien aux païens, sert, au contraire, à nous réunir. Comme nous sommes unis par l'âme et par le cœur, nous n'hésitons pas à mettre nos bourses en commun. Et il ajoutait, avec la rude crudité de son langage : Chez nous, tout est commun, les femmes exceptées ; chez vous, les femmes exceptées, tout est distinct[54]. Saint Cyprien nous apprend que les églises avaient un tronc destiné à recevoir les collectes des fidèles[55]. L'Eglise paraît n'avoir possédé cependant aucun bien-fonds pendant les deux premiers siècles. C'est au commencement du IIIe siècle, tout au plus à la fin du précédent, qu'on peut fixer l'acte de naissance de la propriété ecclésiastique immobilière.

A cette époque correspond, dans tout l'empire, un grand développement des associations funéraires. Dans les dernières années du IIe siècle[56], Septime-Sévère avait permis, par un rescrit, sous certaines conditions, la formation de sociétés capables de posséder des cimetières. On a tout lieu de penser que ce rescrit, donné probablement en réponse à la consultation d'un gouverneur effrayé du nombre des associations non autorisées, consacra plutôt qu'il ne créa ce mouvement général[57]. Or rien n'était plus cher aux chrétiens que le culte des défunts. Ils consacraient à l'ensevelissement de leurs frères disparus les aromates que les païens offraient à leurs dieux. Les disciples du Christ, disait Tertullien, n'ont de luxe que dans la mort[58]. L'Eglise se hâta de profiter des facilités que lui offrait le rescrit de l'empereur[59]. Des cimetières devinrent la propriété d'associations funéraires composées uniquement de chrétiens[60]. Il est même vraisemblable que ceux-ci aient fait entrer dans le cadre d'une association de secours mutuels des institutions déjà fondées pour l'entretien du clergé ou l'assistance des pauvres[61].

Le livre des Philosophoumena, publié vers 230, nous apprend que l'administration des cimetières appartenait à l'évêque[62]. Thomassin a établi, d'une manière générale, que les évêques avaient alors une autorité souveraine dans l'administration des biens et des revenus de l'Eglise, lesquels étaient possédés par des communautés. Ils se faisaient aider, dans l'exercice de cette lourde charge, par les prêtres et les diacres de leur Eglise. Ceux-ci leur rendaient compte de leur gestion, mais les évêques n'avaient de compte à rendre qu'à Dieu[63].

Les biens et les revenus ecclésiastiques formaient donc une masse commune administrée par l'évêque, seul titulaire de cette administration ; et l'évêque devait employer ces biens, au nom de la communauté, aux saints usages qui se rapportaient à trois chefs. Il devait entretenir Notre-Seigneur, en sa personne, présente au milieu de son peuple, par le culte ; en la personne de ses ministres, suivant cette parole : Qui vous reçoit me reçoit ; en la personne des pauvres, suivant cette autre parole : Ce que vous faites au plus petit, vous le faites à moi-même[64].

Pendant les deux premiers siècles, le culte fut réduit à la plus grande simplicité. Quant aux ministres du culte, ils vivaient du fonds commun, avec les pauvres[65]. Beaucoup avaient abandonné leur patrimoine pour vivre uniquement de l'autel. Ceux qui n'avaient point fait profession de ce renoncement étaient censés avoir renoncé par là même à leur part dans les distributions ecclésiastiques, et l'on mettait à la charge des clercs riches l'entretien des plus pauvres[66]. Plusieurs, à l'exemple de saint Paul, travaillaient de leurs mains. En un mot, le patrimoine ecclésiastique se confondait absolument avec celui des pauvres[67].

Rien n'est plus touchant que ce culte religieux de la pauvreté aux premiers siècles de l'Eglise. De même, dit le Pasteur d'Hermas, que l'ormeau, qui semble stérile, s'associe à la fertilité de la vigne, de même le pauvre porte des fruits de prière qui appartiennent à lui et au riche qui le soutient... Leurs bonnes œuvres sont leur patrimoine commun devant Dieu[68].

Certes, il ne pouvait venir à la pensée d'aucun chrétien de nier le droit de la propriété individuelle. En maints endroits des saintes Lettres et surtout dans le Décalogue, le vol était montré comme un péché. Mais quel contraste entre la conception qu'avait alors le chrétien des richesses de ce monde, et celle que s'en faisait, à côté de lui, le païen ! Dans chaque cité, dit Fustel de Coulanges, le pauvre et le riche étaient deux ennemis qui vivaient à côté l'un de l'autre, l'un convoitant la richesse, l'autre voyant sa richesse convoitée. Entre eux nulle relation, nul service, nul travail qui les unît. Le pauvre ne pouvait acquérir la richesse qu'en dépouillant le riche. Le riche ne pouvait défendre son bien que par son habileté ou par la force. Ils se regardaient d'un œil haineux[69].

 

VII

Les veuves, les orphelins, les vieillards, les infirmes, étaient les objets privilégiés de la charité chrétienne. Tertullien montre la femme riche ayant son jour marqué, où elle va, de porte en porte, dans les pauvres logis, porter un soulagement à ses frères qui souffrent[70].

Pour le chrétien d'alors, comme pour les auteurs inspirés des Psaumes, le pauvre, c'était tout être faible et susceptible d'être opprimé ; c'était l'étranger, l'esclave, la femme, l'enfant. Aux yeux du païen, l'étranger à la cité, c'était l'ennemi, c'était le barbare ; mais le chrétien reconnaissait un autre lien que la cité. Toute région étrangère, dit l'Epître à Diognète, est pour le chrétien une patrie, et toute patrie est une région étrangère : sa république est dans le ciel[71]. Ce sentiment se manifestait surtout par la manière avec laquelle les L'hospitalité, disciples du Christ exerçaient l'hospitalité. Un étranger, écrit Franz de Champagny, arrive le soir dans une famille chrétienne. Il est pauvre, inconnu. Il tire de dessous son manteau un vieux papyrus marqué du sceau d'un autre pauvre, que les chrétiens appellent l'évêque de telle cité. Quelquefois même il ne porte rien, car les lettres, les sceaux, tout a été contrefait par les hérétiques. Un signe convenu le fait reconnaître. La famille se lève. On lave les pieds poudreux de cet étranger. C'est ce que saint Paul appelait laver les pieds des saints. On lui demande de prier avec la famille et au nom de la famille. S'il est évêque, on lui demande de prêcher dans la petite église domestique. Et les païens qui, en revenant de l'orgie, ont passé le soir devant cette demeure, et ont vu un pauvre entrer chez ces pauvres, ne se doutent guère de cette visite pastorale rendue par un évêque des pays éloignés à cette Eglise où son nom même était inconnu[72].

Dans l'antiquité païenne, l'esclave était sans droit, sans famille, sans patrie ; il était même sans Dieu[73]. Claude, Néron, Domitien,  Hadrien, Antonin le Pieux et Marc-Aurèle portèrent quelques lois de détails, tendant à améliorer le sort des esclaves ; mais presque toutes ces lois furent aussitôt abrogées par le non-usage ; presque toutes, en effet, avaient le même objet, reproduisaient les mêmes dispositions[74].

Le monde païen n'avait trouvé le secret, ni de donner à l'esclave une âme d'homme libre, ni d'inspirer au maître un sentiment de vraie et efficace fraternité envers son serviteur : L'Eglise chrétienne, au contraire, en prêchant la rédemption universelle par le Christ, en enseignant à tous l'obéissance et l'humilité de cœur, en même temps que le respect de la dignité humaine, pouvait sans danger faire retentir dans ses assemblées les paroles de saint Paul : Nous avons tous été baptisés en un seul Esprit, Juifs et Gentils, esclaves et libres[75]... Vous avez été rachetés d'un grand prix, au sang du Christ ; ne devenez jamais esclaves des hommes[76]. Quand un esclave chrétien, comme Marie, Evelpiste, ou Blandine, versait courageusement son sang pour Jésus-Christ, l'Eglise se faisait une joie de l'honorer entre tous[77], et un contemporain d'Hadrien, Hermès, converti par saint Alexandre, ne faisait courir aucun péril à l'ordre public en affranchissant à la fois, le jour de Pâques, 1.250 esclaves. Ils étaient tous chrétiens, donc tous mûrs pour la liberté.

Peu à peu les mœurs chrétiennes exercèrent leur influence sur la société païenne elle-même. Le progrès partit de l'Eglise, passa par la philosophie, arriva dans le droit, qui l'accepta sans se douter peut-être de son origine chrétienne[78]. Ces magistrats, qui avaient entendu les sublimes réponses d'un Evelpiste ou d'une Blandine, ces foules qui les avaient vus mourir, ne pouvaient rester totalement insensibles à de tels spectacles. Les idées de justice, de fraternité humaine, d'égalité des âmes devant Dieu, montaient des ergastules et des amphithéâtres jusque sous les lambris du mont Palatin. On arriva à reconnaître à l'esclave une sorte de droit civil ; une jurisprudence plus douce que le droit strict se fit jour et s'imposa. Entre l'esclave et sa compagne, on admit une sorte d'union anonyme et d'affinité. Dans les ventes, le fils ne fut plus séparé de son père, tout comme si l'esclave avait une famille[79].

La femme et l'enfant devinrent également plus libres. Leur triple servitude était née du même principe ; leur triple liberté marcha de front[80]. Claude avait affranchi la femme de la nécessité d'une tutelle permanente. Le fils de famille, exclu, comme l'esclave, de tout droit de propriété, y arriva au temps de Nerva et de Trajan. Le meurtre, le refus d'aliments, l'exposition, la vente à un étranger d'un enfant nouveau-né furent punis par Antonin le Pieux, au moins chez le riche. Chez le pauvre, on les toléra ; que pouvait-il faire, disait-on, de ses enfants ?

 

VIII

Pendant les deux premiers siècles, l'Eglise n'avait guère pu agir sur le monde que par son influence morale. Cette influence avait été considérable. Mais la cité antique portait en elle des germes de dissolution. Ses trois pivots, la religion, la famille et la propriété, étaient comme sapés à leur base. La religion romaine était minée par le scepticisme philosophique. En vain le stoïcisme avait-il essayé de la restaurer. Tout l'apport du stoïcisme était une attitude morale, non une doctrine. L'ancien régime de la famille avait disparu, non point par réforme, mais par corruption. Le régime économique, fondé sur l'exploitation des vaincus et sur l'esclavage, épuisait le monde et marchait à une catastrophe[81]. Le christianisme se présentait avec un programme complet de restauration sociale[82], capable de relever le monde antique, si celui-ci voulait accepter son inspiration, capable de le remplacer, s'il se décidait à la repousser. A l'abri d'une religion pure et sainte, l'Eglise eût pu fournir à la cité antique, par la restauration de la famille, le respect de la femme et de l'enfant, le fondement indispensable de toute société organisée. En relevant l'âme de l'esclave et en sanctifiant le travail, il eût transformé le régime économique. Le régime politique lui-même aurait pu être restauré. Par sa doctrine de la séparation des pouvoirs, en enseignant de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, la religion chrétienne eût ruiné le despotisme impérial dans ce qu'il avait de plus atroce. Par la diffusion de son esprit de charité, elle eût apaisé les conflits inévitables, et fait régner, autant que ce monde peut les comporter, la concorde et la paix.

Mais la cité antique ne devait pas accepter cette restauration chrétienne. Elle devait tomber alors sous les coups des Barbares, tandis que l'Eglise, inlassable, reprendrait son œuvre au milieu des peuples vainqueurs.

 

IX

L'Eglise n'avait pas seulement un plan de restauration sociale ; elle possédait aussi un programme de rénovation intellectuelle. Sa doctrine elle-même, celle que saint Irénée s'était contenté de résumer et Tertullien de défendre, était un programme, le plus vaste et le plus fécond qui se fût offert à l'intelligence humaine. Un écrivain étranger à notre foi l'a constaté lui-même avec une rare élévation de pensée : D'un côté, la doctrine de l'Eglise était si simple qu'on pouvait la résumer en quelques formules, la vivre dans une seule grande émotion ; de l'autre, elle était assez complexe et riche pour féconder toutes les pensées, pour vivifier tous les sentiments. Elle pouvait rivaliser, non seulement avec toute recherche du bien et de l'héroïsme moral, mais aussi avec toutes les spéculations et avec tous les mystères. Elle était claire jusqu'à la transparence et, en même temps, riche d'insondables profondeurs. Elle était une doctrine et plus qu'une doctrine. Elle était une philosophie et plus qu'une philosophie[83].

La ville d'Alexandrie était tout indiquée pour devenir le centre du mouvement intellectuel chrétien. Cette grande ville était toujours le foyer des spéculations scientifiques. Des maîtres, recrutés de toutes parts, y discutaient, devant les auditoires les plus mêlés, mais toujours avides de s'instruire, les théories les plus diverses, empruntées aux milieux juifs et païens. C'est là que la Gnose avait jeté son plus grand éclat. C'est là qu'un chrétien hardi résolut de fonder une grande école de philosophie religieuse, ou plutôt de réorganiser sur un plan plus vaste le Didascalé, qu'Eusèbe fait remonter aux premiers temps du christianisme[84].

Cet homme, que Clément d'Alexandrie, son disciple, appelle le premier par la valeur de tous les hommes saints et dignes qui furent ses maîtres[85], s'appelait Pantène. L'Eglise l'honore du titre de saint. Il était originaire de Sicile[86] et avait été, avant d'embrasser le christianisme, partisan des doctrines stoïciennes[87]. Les entretiens qu'il eut avec quelques disciples des apôtres, peut-être avec saint Polycarpe, qu'il dut connaître en Orient, suivant la conjecture de Tillemont[88], l'amenèrent à la foi chrétienne. Il s'adonna avec ardeur à l'étude des saintes Ecritures[89]. Sa réputation d'exégète, de philosophe et de théologien se répandit au loin. Elle passa jusqu'aux Indes, c'est-à-dire probablement à l'Arabie du Sud, dont les populations étaient en rapports fréquents de commerce avec Alexandrie. Les habitants de ce pays, ravis de ce qu'ils entendaient raconter du célèbre philosophe chrétien, exprimèrent le désir d'entendre l'Evangile de sa bouche. Pantène se rendit auprès d'eux, avec l'agrément de Démétrius, son évêque[90], et y trouva, dit-on, l'Evangile de saint Matthieu en hébreu[91]. De retour à Alexandrie, il continua son enseignement, jusqu'en 212, suivant saint Jérôme[92], jusqu'en 202 seulement suivant d'autres auteurs. Il eut la joie, avant de mourir, de voir les premiers travaux de Clément d'Alexandrie, son disciple, et ceux d'un jeune disciple de ce dernier, Origène. L'influence de saint Pantène, qui fut prêtre, s'exerça surtout par son enseignement oral ; mais il composa aussi plusieurs commentaires des Ecritures dont il nous reste quelques fragments[93].

Au temps de Pantène, l'école chrétienne d'Alexandrie, dont l'administration devait revêtir dans la suite un caractère en quelque sorte officiel sous la direction de l'évêque, n'avait qu'une organisation très rudimentaire. Elle ne possédait aucun local déterminé. On se réunissait dans la demeure du professeur, à une heure quelconque de la journée[94]. Mais quand, pour parler comme Clément d'Alexandrie, le vénérable Pantène, à l'instar d'une véritable abeille de Sicile courant les prés et butinant les fleurs, recueillait le suc des prophètes et des apôtres pour former dans les âmes de ses auditeurs une pure richesse de gnose[95], à voir l'enthousiasme de ses auditeurs, on pouvait prévoir le grand éclat que jetterait un jour cette école sur le monde chrétien.

 

X

Ce monde chrétien s'était merveilleusement agrandi pendant les persécutions du IIe siècle. D'une statistique publiée d'après les documents les plus authentiques, il résulte que le christianisme avait alors des communautés organisées dans toutes les provinces et que déjà même, grâce aux Eglises de Mésopotamie, il avait franchi les limites de l'empire[96]. Tertullien pouvait s'écrier avec fierté : Nous ne sommes que d'hier, et nous remplissons tout votre empire, les villes, les îles, les places fortes, les municipes, les assemblées, les camps mêmes, les décuries, le palais, le sénat, le forum : nous ne vous laissons que les temples[97].

La pénétration du christianisme dans toutes les classes de la société s'était accentuée pendant tout le cours du IIe siècle[98]. La carrière militaire répugnait à quelques-uns, soit comme opposée à la douceur évangélique, soit surtout à cause du perpétuel danger d'apostasie qui menaçait les soldats. Les plus rigoristes, comme Tertullien, enseignaient même que la profession des armes était absolument incompatible avec le christianisme[99]. Mais l'Eglise fut plus tolérante et n'empêcha jamais les chrétiens d'entrer dans l'armée[100]. Le nombre des soldats martyrs est considérable, précisément parce que des actes d'idolâtrie leur étaient souvent demandés. Mais bien des fois les soldats chrétiens, par leur sentiment profond du devoir et de la discipline, avaient été reconnus comme les meilleurs défenseurs de la patrie. Sous Marc-Aurèle, pendant la campagne de Germanie, n'avaient-ils point sauvé l'armée, l'empereur et peut-être l'empire ? Etabli dans un camp fortifié, au pays des Quades, c'est-à-dire vers le nord-ouest de la Hongrie actuelle, Marc-Aurèle s'était laissé envelopper par les Barbares. C'était en plein été. L'eau manquait. Le soldat romain, dévoré par la soif, devenait incapable de combattre. On eut recours aux dieux. Marc-Aurèle pria comme sa philosophie lui permettait de prier, et fit faire des incantations par les magiciens, compagnons inévitables des armées. La douzième légion, surnommée Fulminante, recrutée dans le district chrétien de Métilène en Cappadoce, était chrétienne en totalité. Ses soldats se donnèrent rendez-vous hors du camp, s'agenouillèrent et prièrent le vrai Dieu comme priaient les chrétiens. Ces six mille hommes en prière et les bras étendus formaient un spectacle si étrange, que les Barbares s'arrêtèrent surpris[101]. Mais ils reprirent bientôt l'offensive. C'est alors qu'une pluie abondante commença à tomber sur l'armée. Les soldats romains tendent leurs casques et leurs boucliers pour la recevoir et repoussent les ennemis tout en se désaltérant. Mais voici que tout à coup la foudre et la  grêle tombent sur l'armée barbare avec une telle impétuosité que ses soldats se débandent dans une panique indicible. L'armée romaine est sauvée.

Quand, plus tard, un monument commémoratif des victoires de Marc-Aurèle en Germanie fut élevé au Champ de Mars, c'est à Jupiter Pluvius que l'on attribua le prodige. Mais à côté du témoignage officiel, le souvenir du fait, tel qu'il s'était passé, se répandit dans le peuple, inspirant aux païens une vénération religieuse pour le Dieu qu'adoraient les chrétiens et fortifiant en même temps la foi des fidèles.

 

XI

Bref, au début du IIIe siècle, par la large tolérance dont le christianisme jouissait, par son influence croissante, par son expansion continue, par la multiplication de ses œuvres de zèle et de charité au milieu des pauvres et par l'élan scientifique qui se manifestait parmi son élite intellectuelle, l'Eglise semblait pouvoir donner libre carrière aux plus magnifiques espérances. Mais il est sans doute dans les desseins de la Providence, que les périodes de paix et de prospérité, données par Dieu à ses fidèles, ne soient que des trêves, pendant lesquelles ils doivent se fortifier pour de nouveaux combats. Tandis que se déroulaient les événements que nous venons de raconter, une secte, née obscurément dans un bourg de la Mysie phrygienne, grandissait, qui devait bientôt ravir à l'Eglise et retourner contre elle le plus éloquent de ses apologistes ; plus d'un docteur de l'Ecole d'Alexandrie allait troubler les fidèles par des témérités doctrinales ; et l'expansion même du christianisme était près, de soulever contre lui une terrible persécution. Nous aurons à faire, au chapitre suivant, le récit de ces nouvelles épreuves. Il nous reste seulement à raconter ici la naissance et le progrès de l'hérésie montaniste, où devait succomber Tertullien.

La Phrygie, pays des corybantes et des cultes orgiaques, était, de toutes les régions de l'antiquité, la plus portée aux rêveries religieuses. Saint Justin fait allusion à la simplicité niaise avec laquelle les Phrygiens acceptaient toute nouveauté bizarre[102]. Un néophyte, nommé Montan, ancien prêtre de Cybèle, y exploita cette tendance, en colorant habilement de christianisme toutes les extravagances de son esprit orgueilleux et pervers[103]. A l'autorité régulière des pasteurs hiérarchiques, il substitua l'inspiration personnelle et l'extase. C'était, disait-il, revenir aux charismes des temps apostoliques ; c'était se mettre en contact direct avec Dieu, sans l'intermédiaire des hommes. A ces deux titres, il présenta sa conception comme un christianisme plus parfait que celui de l'Eglise traditionnelle. Plusieurs le crurent et s'attachèrent à lui. Les chrétiens ordinaires glorifiaient le martyre ; Montan ordonna de le rechercher : Honte, disait-il, au chrétien qui meurt dans son lit. On vit quelques-uns de ses adeptes se précipiter au-devant des tourments, sauf à fléchir lâchement au moment de les subir, comme ce Phrygien Quintus, dont il est question dans la relation du martyre de saint Polycarpe ; il avait entraîné plusieurs compagnons au martyre, mais à la vue des bêtes, il prit peur et apostasia[104]. Les chrétiens louaient la chasteté ; Montan condamna le mariage. Les chrétiens, sur la foi de saint Jean, se confiaient au Paraclet ; mais le Paraclet, c'était lui, Montan, ou, du moins, il en était l'organe authentique[105]. A la lecture des livres des prophètes, des visions de l'Apocalypse, il ajouta la lecture et l'étude du livre d'Enoch, qui contenait bien plus de détails précis sur les derniers jours du monde. Ce livre présentait, en effet, la description idyllique de la terre que Dieu fera fleurir, au dernier jour, pour ses élus, où Dieu donnera aux justes toutes les joies de l'esprit et des sens, an bonheur sans mélange et une fécondité sans bornes. Les adeptes de la nouvelle doctrine déclarèrent que Montan avait reçu la révélation de beaucoup plus de choses que Jésus-Christ[106]. De fait, il en prêchait beaucoup plus. Le procédé de Montan, on le voit, était bien simple : faire à l'Eglise traditionnelle une sorte de surenchère, en exagérant ses dogmes et ses préceptes. Ce sera, dans le cours des âges, la tactique de plus d'un hérésiarque.

Malheureusement une pareille attitude était plus facile à tenir en paroles qu'en action. Il semble, a écrit l'auteur des Origines du christianisme, que l'inspiration individuelle ait eu, cette fois comme d'ordinaire, pour compagne, la licence et l'audace[107]. Deux femmes, Priscille et Maximille, s'attachèrent au nouveau Paraclet, prophétisant comme lui, tombant comme lui en extase, s'attribuant l'exercice des fonctions ecclésiastiques, révolutionnant toute la région. Si l'enthousiasme aveuglait les uns, d'autres élevaient des doutes sur la virginité de Priscille, qui, disait-on, avait, tout comme sa compagne Maximille, abandonné son mari pour s'attacher à Montan[108]. On découvrit qu'un prétendu confesseur, très honoré dans la secte, Thémison, avait acheté sa mise en liberté. Un autre, Alexandre, valait beaucoup moins ; s'il avait comparu devant les tribunaux, ce n'était pas comme chrétien, mais comme brigand[109].

Comment de telles extravagances parvinrent-elles à séduire d'autres hommes que les simples gens des campagnes phrygiennes ? Montan était habile, dit-on ; plusieurs de ses disciples le furent encore plus que lui. Ils surent adapter merveilleusement leurs théories aux milieux où ils les prêchèrent. Ils les modifièrent totalement au besoin. Les doctrines du libre examen ont été rarement des modèles de cohérence. En se propageant en Afrique, le montanisme devait se transformer et s'adoucir. Il ne se posa plus en adversaire de la Grande Eglise ; il affecta surtout la piété, l'édification, une intransigeante austérité[110] ; et c'est par là que l'auteur génial, mais dur et passionné, de l'Apologétique et du traité de la Prescription tomba dans les pièges de la secte.

 

 

 



[1] Præscr., XXXII.

[2] Nous connaissons Hégésippe par les citations qu'Eusèbe fait de lui dans les premiers livres de son Histoire ecclésiastique.

[3] IRÉNÉE, Hæres., III, 2 ; TERTULLIEN, Præscr., XXXII.

[4] TERTULLIEN, Apologétique, XXXIX ; SAINT CYPRIEN, Ep., 67 (alias 78), édit. Hartel, pars II, p. 735 et s. ; EUSÈBE, H. E., I. VI, ch. XLIII ; S. CYPRIEN, Ep., 38-39, p. 579 et s.

[5] Saint CYPRIEN, Ep., 14, p. 512 ; Ep., 34, p. 370 ; Ep., 39, p. 572.

[6] TERTULLIEN, De baptismo, c. XVII ; S. IGNACE, A. Smyrn., c. VIII.

[7] TERTULLIEN, De baptismo, c. XVIII.

[8] CYPRIEN, Ep., 30-36, édit. Hartel, p. 549-572.

[9] JUSTIN, Apologie, 65 ; IGNACE, Ad Trall., II.

[10] Première épître aux Corinthiens, IV, 12 ; IX, 7 et s. ; Actes, XX, 34.

[11] A. Sabatier, reprenant une théorie déjà soutenue par Renan et par Ritschl, a prétendu que l'Eglise catholique ne s'est constituée hiérarchiquement et n'est devenue une Eglise d'autorité que par réaction contre le mouvement gnostique. (SABATIER, les Religions d'autorité et la religion de l'Esprit, Paris, 1904, passim, surtout p. 69-82.) Toute l'histoire des deux premiers siècles, telle que nous venons de la raconter, proteste contre une pareille assertion. On peut en voir la réfutation directe dans BATIFFOL, l'Eglise naissante, p. 172-193, 253-260.

[12] HERMAS, Vis., III, 7-3.

[13] JUSTIN, Première Apologie, LXI.

[14] TERTULLIEN, Præscr., XLI. C'est aux catéchumènes que s'adresse le De pænitentia de Tertullien.

[15] TERTULLIEN, De baptismo, I.

[16] TERTULLIEN, De coron milit., III.

[17] TERTULLIEN, De baptismo, XX.

[18] TERTULLIEN, De pænit., VI ; De baptismo, XX.

[19] CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Le Pédagogue, I, 6.

[20] Sur la triple immersion, voir TERTULLIEN, Adv. Præx., XXVI.

[21] ROSSI, Roma sotterr., II, 334. Sur les rites primitifs du baptême (admission au catéchuménat, rites préparatoires et baptême), voir VILLIEN, la Discipline des sacrements, dans la Revue du clergé français du 15 septembre 1909, p. 641-664 et du 15 janvier 1910, p. 385-405.

[22] TERTULLIEN, De baptismo, XIX

[23] Sur la confirmation, voir saint IRÉNÉE, Hær., l. IV, ch. XXXVIII, n. 2 ; TERTULLIEN, De bapt., VII, VIII ; Saint CYPRIEN, ep., 73, p. 785. Le sacrement de confirmation est parfois appelé consignation. Ce dernier mot est employé par le Sacramentaire gélasien. Sur l'origine et la nature de ce rite, voir P. GALTIER, la Consignation à Carthage et à Rome, dans les Recherches de science religieuse, 1911, p. 350-383.

[24] On sait quelle est l'autorité de Tertullien et de saint Cyprien. Quant aux Canons d'Hippolyte, nous n'avons pas, écrit Mgr Batiffol, de description plus complète et plus explicite des institutions de l'ancienne Eglise : ce document est de premier ordre. BATIFFOL, Anciennes littératures chrétiennes, p. 158. Sauf quelques retouches faciles à reconnaître, dit Mgr Duchesne, les canons d'Hippolyte concordent admirablement avec tout ce que nous savons de la liturgie en vigueur au commencement du IIIe siècle. Cité ibid.

[25] TERTULLIEN, Apologétique, XXX. Pour plus de détails, voir Dom CABROL, le Livre de la prière antique, ch. VIII : Une messe à Rome au commencement du IIIe siècle, p. 90-118.

[26] Canones Hippolyti, can. XVII.

[27] TERTULLIEN, De pænit., IX, 1-2.

[28] TERTULLIEN, De pænit., VI. Telle est l'affirmation de Tertullien catholique. Après son passage au montanisme, il déclarera certains péchés irrémissibles.

[29] C'est ce que Mgr Batiffol nous parait avoir démontré dans ses Etudes d'histoire et de théologie positive, Ire série, p. 73-89.

[30] SOZOMÈNE, H. E., l. VII, ch. XVI, P. G., t. LXVII, col. 1460.

[31] VACANDARD, au mot Confession, dans le Dict. de théologie catholique, t. III, col. 855 ; J. BAINVEL, Note sur la conf. sacrement. dans les premiers siècles dans les Recherches de science rel. de mai-août 1920, p. 212-224.

[32] Saint CYPRIEN, De lapsis, ch. XXVIII ; TERTULLIEN, De baptismo, ch. XX. Sur ce texte, voir D'ALÈS, la Théologie de Tertullien, p. 332, note ; CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromates, et Quis dives salvetur, passim.

[33] Renan, et, depuis lui, un certain nombre de savants rationalistes, ont prétendu trouver l'origine de nos sacrements ou mystères dans les mystères orientaux, en particulier dans les mystères des gnostiques. Nous avons eu l'occasion de rappeler les origines évangéliques de l'Eucharistie, de la pénitence et du baptême. Les ressemblances qu'on peut remarquer entre les mystères chrétiens et les mystères des religions orientales s'expliquent toutes seules, soit parce qu'elles tiennent à l'essence de toute religion, soit parce qu'elles sont purement formelles et tiennent à la culture profane du milieu commun où se recrutaient les adeptes des religions en cause. (ALLO, l'Evangile en face du syncrétisme païen, p. 68-69.) Il suffit d'un médiocre sens historique, écrit Mgr Duchesne, pour comprendre que les premières Eglises, composées de gens qui sortaient de la synagogue, devaient tendre à se modeler sur celle-ci, et que les apôtres missionnaires, qui avaient vécu plus ou moins longtemps au milieu des communautés chrétiennes de Jérusalem et d'Antioche, portaient avec eux des habitudes, des traditions déjà précises. On n'avait nul besoin de demander à des institutions païennes le type d'une organisation qui existait déjà. Du reste, l'horreur profonde que l'on éprouvait pour le paganisme s'opposait à toute innovation de ce genre. (DUCHESNE, Hist. ancienne de l'Eglise, t. I, p. 51.) Ce qu'on doit reconnaître, c'est que, à l'heure où l'Eglise triompha des obstacles extérieurs et put paraître au grand soleil... elle révéla au monde tout ce que, sans nuire à sa pureté doctrinale, elle pouvait développer de puissance d'assimilation... Déjà, au IIIe siècle, saint Grégoire le Thaumaturge avait compris que, parmi les habitudes religieuses des convertis, beaucoup étaient en soi aptes à servir à la vraie piété... La commémoration de la naissance de Jésus fut célébrée le jour même du Natalis Invicti. Ce fait est admirablement symbolique. (ALLO, op. cit., p. 148 à 152.) Dans l'épigraphe célèbre d'Abercius, évêque phrygien du IIe siècle, le symbolisme du langage est tellement semblable à celui des cultes orientaux, que des savants ont cru pouvoir nier le caractère chrétien de l'inscription. Voir Dom LECLERCQ, au mot Abercius, dans le Dict. d'archéol. chrét. La prétendue influence des mystères païens sur le culte chrétien a été étudiée par M. MANGENOT, dans la Revue du clergé français des 1er et 15 avril, 1er et 15 mai, 1er et 15 juin 1913. Sur les origines du culte chrétien, le caractère de son développement, ses emprunts su culte juif et aux cultes païens, et la portée de ces emprunts, voir Dom CABROL, au mot Culte chrétien, dans le Dict. apol. de la foi cath., t. I, col. 832-851. On trouvera, à. la suite de cette étude, une bibliographie très complète du sujet.

[34] Dom F. CABROL, le Livre de la prière antique, p. 204-234.

[35] Dom CABROL, le Livre de la prière antique, p. 231.

[36] Didachè, VIII, 1.

[37] Simil., V, 1.

[38] Dom CABROL, Le Livre de la prière antique, p. 230-234.

[39] Dom CABROL, Le Livre de la prière antique, p. 235.

[40] Dom CABROL, Le Livre de la prière antique, p. 238. Dans cet exposé de la liturgie, nous nous sommes beaucoup servi des idées et souvent des expressions mêmes du savant bénédictin.

[41] Dom GUÉRANGER, l'Année liturgique, l'Avent, p. XVII.

[42] Pour plus de développement, voir Dom CABROL, Le Livre de la prière antique, p. 290-301, et DELEHAYE, S. J., bollandiste, les Origines du culte des martyrs, 1 vol. in-8°, Bruxelles, 1912.

[43] Sur les conciles concernant la fête de Pâques, voir HEFELE-LECLERCQ, Histoire des conciles, t. I, Ire partie, p. 133-151.

[44] EUSÈBE, H. E., l. V, ch. XXV.

[45] EUSÈBE, H. E., l. V, ch. XXIV, n. 17-18.

[46] EUSÈBE, H. E., l. V, ch. XXIV, n. 11.

[47] EUSÈBE, H. E., l. V, ch. XXIV, n. 18. Dans sa lettre, saint Irénée ne conteste nullement à saint Victor le droit d'excommunication de l'Eglise universelle. Comment veut-on que nous parlions, conclut Mgr Duchesne après avoir raconté ces faits, si on nous interdit de désigner par le nom de Chef de l'Eglise le dépositaire d'une pareille autorité ? (DUCHESNE, Eglises séparées, p. 144.)

[48] Didachè, XIII, 3-7 ; FUNK, Patres apostolici, I, 32.

[49] Didascalie, c. VIII, IX, trad. NAU, p. 47 et s.

[50] Constitutions apostoliques, l. II, ch. XXV, XXXIV, XXXV ; P. G., t. I, col. 660, 681 et s., 1020-1021.

[51] Canons d'Hippolyte, can. 186-194, dans DUCHESNE, Origines du culte chrétien, 2e édit., p. 516.

[52] Cité dans DUCHESNE, Origines du culte chrétien, p. 175.

[53] Didascalie, c. IX, trad. Nau, p. 52.

[54] TERTULLIEN, Apologétique, XXXIX.

[55] S. CYPRIEN, De opere et eleemosyna.

[56] ROSSI, Boll. di arch. crist., 1866, p. 11.

[57] ALLARD, Hist. des persécutions, II, 10.

[58] TERTULLIEN, Apologétique, XLII.

[59] Jusque-là les chrétiens avaient été ensevelis dans des domaines particuliers, de même qu'ils tenaient leurs réunions dans des maisons particulières.

[60] Nous ne disons pas la propriété de l'Eglise. Jamais, avant Constantin, l'Eglise n'a eu à Rome une existence légale, même comme agrégation de petites associations funéraires. La loi défendait, du reste, d'appartenir à plus d'une association. (Digeste, l. XLVII, t. XXII, r.) Mais l'Etat pouvait, en ignorant l'Eglise, reconnaître des associations particulières ayant un but spécifiquement déterminé.

[61] On peut comparer ces paroles de TERTULLIEN, Apologétique, XXXIX : COIMUS ad Deum... ARCÆ genus est... modicam unusquisque STIPEM MENSTRUA DIE... apponit avec les textes suivants de GAÏUS, Digeste, l. III, t. IV, I : Permissum est habere ARCAM communem, de MARCIEN : Permittitur STIPEM MENSTRUAM conferre... Semel in mense COEANT. (Digeste, l. XLVII, t. XXII, 1.)

[62] Philosophoumena, II, 12 ; P. G., t. XVI, col. 3383.

[63] THOMASSIN, Ancienne et nouvelle discipline, IIIe partie, l. II, ch. V.

[64] Dom GRÉA, Rapport présenté au congrès des jurisconsultes catholiques le 27 octobre 1906, Revue catholique des institutions et du droit, 1906.

[65] Didachè, ch. XIII  ; FUNK, Patres apost., I, 30-32.

[66] Dom GRÉA, Rapport présenté au congrès des jurisconsultes catholiques le 27 octobre 1906, Revue catholique des institutions et du droit, 1906.

[67] P. FOURNERET, au mot Biens ecclésiastiques dans le Dict. de théol., t. II, col. 854.

[68] HERMAS, Simil., II.

[69] FUSTEL DE COULANGES, la Cité antique, 12e édit., p. 401.

[70] TERTULLIEN, Ad uxorem, II, 4 ; De culta fæm., II.

[71] Épître à Diognète, V.

[72] Franz DE CHAMPAGNY, la Charité chrétienne dans les premiers siècles de l'Eglise, 1 vol. in-12°, 2e édit., 1856, p. 82-83.

[73] Quibus extera sacra aut nulla, dit le jurisconsulte Cassius dans le Digeste. L'esclave ou quelque autre animal, dit le jurisconsulte Ulpien. Les esclaves, les bêtes et les autres choses, dit le jurisconsulte Gaïus. Une tête servile n'a pas de droits, selon le jurisconsulte Paul. Les esclaves paient à la douane le même tarif que les chevaux et les mules.

[74] Voir P. ALLARD, Esclaves, serfs et mainmortables, ch. IV, édit, in-8°, p. 61-65.

[75] Première épître aux Corinthiens, III, 13.

[76] Première épître aux Corinthiens, VII, 23.

[77] Le tombeau de l'esclave Ampliatus, découvert au XIXe siècle, surpasse en magnificence la plupart des sépultures de la Rome souterraine. Voir P. ALLARD, le Tombeau d'un esclave chrétien, dans les Lettres chrétiennes, de mars-avril 1882.

[78] F. DE CHAMPAGNY, op. cit., p. 151.

[79] P. ALLARD, les Esclaves chrétiens.

[80] TROPLONG, Influence du christianisme sur le droit civil des Romains, p. 316. Sur l'influence du christianisme aux premiers siècles, voir CALIPPE, Saint Paul et la cité chrétienne ; André BAUDRILLART, la Charité aux premiers siècles du christianisme ; BIDET, la Femme chrétienne au temps des persécutions ; G. D'AZAMBUJA, Ce que le christianisme a fait pour la femme ; Maxime SABATIER, l'Eglise et le travail manuel ; L. LALLEMAND, Histoire de la charité, t. II ; KURTH, les Origines de la civilisation moderne, t. I ; BALMÈS, le Protestantisme comparé au catholicisme dans ses rapports avec la civilisation, 3 vol. in-12°.

[81] CHEVALIER et LEGENDRE, le Catholicisme et la société, Paris, 1907, p. 16.

[82] Voir GARRIGUET, Valeur sociale de l'Evangile ; LUGAN, l'Enseignement social de Jésus ; CALIPPE, Saint Paul et la cité chrétienne. Voir aussi la première lettre pastorale du cardinal Pecci (plus tard Léon XIII) sur l'Eglise et la civilisation, trad. Lury, 1 broc., Paris, Desclée, l'Encyclique Immortale Dei et la Lettre au cardinal Lavigerie du 27 octobre 1888 sur l'abolition de l'esclavage.

[83] A. HARNACK, Die Mission, 2e édit., t. V, 1. IV, p. 73. Cité par RIVIÈRE, la Propagation du christianisme dans les trois premiers siècles, Paris, 1907, p. 73-74.

[84] EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. III.

[85] CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromates, l. I, ch. I, P. G., t . VIII, col. 700.

[86] CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromates, l. I, ch. I.

[87] S. JÉRÔME, Catal., XXXVI ; EUSÈBE, H. E., l. V, ch. X.

[88] TILLEMONT, Mémoires, t. III, Ire partie, édit. de 1699, Bruxelles, in-16°, p. 288.

[89] PHOTIUS, Cod., 118 ; TILLEMONT, Mémoires, t. III, p. 288.

[90] TILLEMONT, Mémoires, t. III, p. 290.

[91] S. JÉRÔME, Ep. LXX, ad Magn.

[92] S. JÉRÔME, De viris ill., XXXVI.

[93] TILLEMONT, Mémoires, t. III, p. 292.

[94] A. DE LA BARRE, au mot Alexandrie (Ecole chrétienne d') dans le Dict. de théol. de VACANT, t. I.

[95] CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromates, l. I, ch. I.

[96] HARNACK, Die Mission, p. 411-412.

[97] TERTULLIEN, Apologétique, ch. XXXVII.

[98] Voir J. RIVIÈRE, la Propagation du christianisme dans les trois premiers siècles, ch. II : Pénétration sociale.

[99] TERTULLIEN, De coron militis, 1.

[100] Voir sur ce point P. ALLARD, Dix leçons sur le martyre, p. 182-185 ; J.  GUIRAUD, Hist. partiale, hist. vraie, t. I, p. 120-126.

[101] F. DE CHAMPAGNY, les Antonins, t. III, p. 115-116.

[102] Saint JUSTIN, Dialogue, CXIX.

[103] Selon saint Epiphane, les débuts de Montan remonteraient à l'an 157. Saint EPIPHANE, Hæres., XLI, 1. Cf. HARNACK, Chronologie, p. 372.

[104] Mart. Polycarpi, IV. Eusèbe parle aussi d'un montaniste, Alcibiade, qui, mêlé dans la prison aux autres confesseurs de la foi, commença par vivre de pain et d'eau, suivant la rigueur de la secte, mais bientôt après usa avec gratitude des dons du Créateur. (EUSÈBE, H. E., l. V, ch. III.)

[105] Sur l'identification de Montan au Saint-Esprit, voir une curieuse inscription publiée par M. CLERMONT-GANNEAU, dans le Bulletin archéologique du comité du travail historique et scientifique, 1901, p. 310, n. 7. Le texte de l'inscription est le suivant : Flavius Abus, domesticus, i(n) nomine Patris et Filii (et ?) Do(mi)ni Muntani, quod promisit complevit. Sur quelques inscriptions montanistes récemment découvertes, voir les Echos d'Orient, t. V, p. 148 ; t. VI, p. 61 ; t. VII, p. 53.

[106] PSEUDO-TERTULLIEN, De præscr., LII.

[107] RENAN, Marc-Aurèle, p. 216.

[108] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise, I, 276.

[109] DUCHESNE, Hist. anc. de l'Eglise, I, 276.

[110] A. D'ALÈS, la Théologie de Tertullien, p. 441-444.

Voir P. de Labriolle, la Crise Montaniste, un vol in 8, Fribourg et Paris, 1913, et les Sources de l'histoire montaniste, in vol. in-8°, Fribourg et Paris, 1913.