HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE

 

PREMIÈRE PARTIE. — LA PREMIÈRE EXPANSION

CHAPITRE V. — ÉPHÈSE ET ALEXANDRIE, L'ÉGLISE NAISSANTE ET LE MONDE ORIENTAL (68- 100).

 

 

I

Le mystérieux personnage dont Papias invoque si fortement le témoignage, et qu'il appelle Jean l'Ancien, a de tout temps excité la sagacité des historiens et des exégètes. Pour notre part, nous n'hésitons pas à y voir saint Jean l'apôtre. Le texte de Papias nous paraît assez clair. Eusèbe, il est vrai, en fait un personnage différent ; mais l'interprétation qu'il donne du texte cité par lui, nous semble inspirée par l'unique désir d'enlever à l'apôtre Jean la paternité de l'Apocalypse. L'évêque de Césarée repoussait la doctrine de ce livre et désirait pouvoir l'attribuer à un écrivain de moindre autorité[1]. Nous avons à peine rencontré jusqu'ici le nom de Jean l'apôtre[2]. Jusqu'aux dernières années du siècle apostolique, la tradition, comme l'Ecriture, est à peu près muette sur les travaux du second fils de Zébédée. L'Enfant du Tonnerre n'avait point encore pris l'essor que faisaient présager l'impétuosité de son caractère et la vivacité de son amour. Le disciple que Jésus aimait, celui dont la tête avait reposé sur le cœur du Sauveur à la dernière Cène, avait dû, pour obéir à une divine mission de son Maître[3], mener, dans l'humble logis où il avait recueilli la Vierge Marie, une vie de silence, de prière et de recueillement. Cette ardeur, dont Jésus avait refréné plus d'une fois la fougue indiscrète, s'était employée à creuser les fondements d'une vie intérieure dont la profondeur se révélerait un jour. Dans l'intimité de la Vierge Mère, l'âme de l'apôtre vierge s'était enrichie d'onction et de charité, sans rien perdre de sa puissance. Le tonnerre de sa voix devait se faire entendre, mais à l'heure et de la manière marquées par Dieu.

Après la mort de Marie, dont il ferma les yeux[4], après la disparition successive de chacun des apôtres, mis à mort pour leur foi, Jean restait seul survivant du groupe intime qui avait reçu les confidences du Sauveur. Les regards de l'Eglise entière se portèrent alors vers l'apôtre bien-aimé. Tous pressentaient en lui on ne sait quelles mystérieuses destinées. Si je veux que celui-ci demeure jusqu'à ce que je vienne, avait dit le Sauveur en parlant de Jean, que vous importe ?[5] Et le bruit avait couru que ce disciple ne mourrait point[6]. Mais Jésus lui avait dit aussi : Tu boiras mon calice et tu seras baptisé de mon baptême[7].

A une époque qu'il est difficile de préciser d'une manière absolue, entre la mort de saint Pierre et de saint Paul et la ruine de Jérusalem, l'apôtre Jean était venu s'établir à Ephèse[8].

On peut avec vraisemblance fixer l'arrivée de Jean à Ephèse vers l'an 68. Papias, évêque d'Hiérapolis, parle, en effet, de tout un cortège d'anciens réunis autour de Jean[9]. Le départ de cette colonie hiérosolymite s'explique naturellement par la crise de la dispersion qui précéda de deux ans la ruine de la Ville sainte. Ephèse était en relations suivies avec Jérusalem. Les nombreux Juifs qui l'habitaient et qui y pratiquaient ouvertement leur culte, grâce aux privilèges qu'Hyrcan avait obtenus, en leur faveur, de Dolabella[10], venaient en grand nombre faire leurs dévotions au Temple. Il est probable que plusieurs d'entre eux furent témoins des prodiges de la Pentecôte et qu'une communauté chrétienne se forma de bonne heure à Ephèse. Des disciples de Jean-Baptiste paraissent en avoir constitué le principal élément. Saint Paul, en revenant de Galatie, avait, en effet, trouvé à Ephèse quelques chrétiens insuffisamment formés, qui s'en tenaient au baptême du Précurseur[11]. Malgré des oppositions violentes, la prédication de l'apôtre des Gentils y avait obtenu des succès merveilleux, qui lui faisaient dire : Une grande porte m'est ici ouverte, bien que nos adversaires soient nombreux[12]. La première épître à Timothée nous apprend que Paul, empêché de continuer son apostolat à Ephèse, avait confié à ce disciple, originaire du pays, la direction de l'Eglise qu'il y avait établie[13].

Le choix fait par Jean et par ses compagnons de la ville d'Ephèse pour s'y établir était providentiel. Sur la côte d'Ionie, presque en face de l'île de Samos, Ephèse occupait un des sites les plus heureusement choisis, comme point de transit, entre l'Orient et l'Occident. Le mouvement des affaires commerciales, si grand qu'il y fût, n'y absorbait pas cependant l'activité des esprits. Ephèse avait été, de temps immémorial, un grand foyer d'action religieuse. Son temple, vénéré dans le monde entier, y avait entretenu plus qu'ailleurs le besoin religieux qui tourmentait alors tant d'âmes païennes.

Aussi vit-on bientôt Jean et le groupe de ses disciples devenir le centre d'un mouvement très important. Les Eglises de Smyrne, de Pergame, de Thyatire, de Sardes, de Philadelphie, de Laodicée ne tardèrent pas à se ranger sous sa direction. Mais avant de raconter l'histoire de ce nouveau développement du christianisme, il est utile de jeter un rapide coup d'œil sur la situation générale de l'Eglise en Palestine, à Rome et en Asie.

 

II

Réfugiée en grande partie à Pella, comme nous l'avons vu, la communauté chrétienne de Jérusalem n'avait pas tardé à fonder, un peu plus avant vers le nord, dans la ville de Kokaba, une chrétienté d'égale importance[14]. Mais, ici comme là, les conditions d'existence des pauvres réfugiés avaient été des plus précaires. La plupart n'eurent de ressources que dans leur travail. Eusèbe nous raconte comment, quelques années plus tard, les parents de Jésus montraient aux persécuteurs, inquiets de leur noble origine, la rudesse de leurs membres et les durillons incrustés dans leurs mains durcies par le labeur[15]. Le même historien nous apprend, en s'appuyant sur un vieux texte d'Hégésippe, que le successeur de Jacques le Mineur dans l'épiscopat appartenait aussi à la famille du Sauveur. C'était Siméon, fils de Cléophas, cousin germain de Jésus[16]. Il devait mourir martyr sous Trajan, vers l'an 110[17]. Pour le moment, il supportait sa détresse avec un héroïsme digne de son glorieux prédécesseur. On croyait voir revivre en lui cet apôtre Jacques, qui avait si énergiquement jeté l'anathème à l'opulence et déclaré les pauvres les élus de Dieu, les riches de foi, les héritiers du royaume[18]. Mais ces admirables chrétiens ne paraissaient pas devoir essaimer autour d'eux. Pieux et austères, attachés au Christ de toute leur âme, mais pas assez détachés encore du passé d'Israël, ils restèrent presque totalement en dehors du grand mouvement qui allait régénérer le monde en l'affranchissant de la loi.

Malgré les apparences, la situation n'était guère meilleure à Rome. A bien des égards, les deux premiers empereurs Flaviens, Vespasien et Titus, avaient mérité l'éloge dont saint Augustin se fit plus tard l'écho en les appelant les plus aimables des Césars[19]. Les sympathies qu'ils accordèrent aux Juifs s'étendirent aux chrétiens[20]. Mais ni l'un ni l'autre n'abolit ce principe de droit public qui, reconnaissant dans le christianisme une opposition à la civilisation romaine, avait servi de base à la persécution néronienne. Tout fut aboli des institutions de Néron, dit Tertullien, sauf son édit de persécution[21].

Les débuts du troisième empereur de la famille des Flaviens, Domitien donnèrent aux chrétiens des espérances non moins grandes, mais suscitèrent en même temps des suspicions terribles. Tandis que les hommes de lettres, comblés d'honneurs par le nouvel empereur[22], lui prodiguaient leurs éloges[23], la rumeur publique l'accusait de la mort de son frère Titus[24], et quelques esprits perspicaces se demandaient si ses vertus n'étaient pas des vertus de parade. Les deux dernières années du règne de Domitien devaient réaliser les plus sinistres prévisions.

En attendant, l'Eglise chrétienne profita de la large tolérance que lui accorda l'empereur. La foi pénétra dans les rangs de la plus haute société de Rome, et fut pratiquée ouvertement, en toute sécurité. Nous en trouvons le témoignage dans l'aspect des cimetières contemporains des Flaviens. Ils sont tous à fleur de terre ; leurs entrées ne sont jamais dissimulées ; elles s'ouvrent sur la campagne, le long des voies publiques, et quelquefois étalent aux regards des façades monumentales. Quelques-uns de ces lieux de sépulture, creusés avec un soin magnifique et presque royal, sont ornés de tous les raffinements de l'art[25]. Parmi les cimetières de cette époque, on remarque, sur la voie salarienne, la catacombe de Priscille, appartenant à la noble lignée des Pudens ; sur la route d'Ostie, le cimetière de Lucine, laquelle n'est autre probablement que la célèbre patricienne Pomponia Græcina, et près de la porte ardéatine, le grand domaine funéraire des Flaviens, appartenant à la propre petite-fille de Vespasien, Flavia Domitilla[26].

Or, les trois papes qui présidèrent, pendant cette période, aux destinées de l'Eglise de Rome appartenaient aux conditions les plus basses du peuple. Le premier, LINUS ou LIN, était, croit-on, un ancien esclave. C'est, du moins, ce que certains historiens ont cru pouvoir conclure de son nom même[27]. Le premier successeur de saint Pierre paraît avoir appartenu, en toute hypothèse, à une classe très humble. On sait fort peu de chose de son pontificat. Saint Epiphane, qui nous a conservé la liste des onze premiers papes d'après un document très ancien, nous dit que Lin gouverna l'Eglise pendant douze ans[28]. La tradition recueillie par le Liber pontificalis ajoute qu'il maintint les règles établies par saint Pierre[29], qu'il mourut martyr et qu'il fut enseveli au Vatican[30].

La vie de son successeur, ANACLET ou CLET, est encore moins connue[31]. Son nom semble encore ne convenir qu'à un esclave ou à un affranchi. Il appartenait, sans doute, à ce groupe de pauvres gens qui formèrent le noyau primitif de l'Eglise de Rome. On aime à s'imaginer cet humble disciple des apôtres modifiant son nom d'Anaclet l'irréprochable, en celui plus modeste de Clet, l'appelé du Seigneur. Il fut martyrisé, comme ses deux prédécesseurs[32]. Eusèbe dit que son pontificat fut de douze ans[33]. Peut-être faut-il réduire ce chiffre de deux ou trois années.

Le successeur de Clet sur la chaire de Pierre fut CLÉMENT Ier. Il n'est pas de nom plus vénérable et plus illustre, après le nom des apôtres, dans l'antiquité chrétienne. Moins de cent ans après la mort de Clément de Rome, comme on l'appelle, sa figure est entourée d'une auréole merveilleuse. Tandis que les fidèles invoquent son autorité, les hérétiques cherchent à s'abriter sous son nom respecté. Toute une littérature pseudo-clémentine surgit alors. Malgré cette célébrité, et peut-être à cause d'elle, la vie et les œuvres de Clément de Rome sont entourées d'ombres. La légende s'est tellement mêlée à son histoire qu'elle l'a presque complètement obscurcie. On en a fait un homme de race sénatoriale, apparenté à la dynastie des Flaviens. Certains historiens sont allés jusqu'à l'identifier au consul Titius Flavius Clemens, cousin de Domitien, que l'empereur fit exécuter pour cause d'athéisme, c'est-à-dire de christianisme. Mais comment s'expliquer le silence des Pères sur l'élévation d'un membre de la famille impériale à la tête de l'Eglise romaine ? Il est plutôt à croire que le pape Clément était un simple affranchi ou le fils d'un affranchi de la maison du consul Clemens[34]. Tillemont, et d'autres savants critiques après lui, ont cru découvrir dans le fond et dans la forme de sa lettre aux Corinthiens les indices de son origine juive[35]. Ce qui est certain, c'est qu'il n'y a pas de témoin plus autorisé que lui de la tradition apostolique. Clément, écrit saint Irénée, avait connu les bienheureux apôtres (Pierre et Paul) et s'était entretenu avec eux ; il avait encore la voix des apôtres dans les oreilles et leurs exemples devant les yeux[36]. Suivant Origène et Eusèbe, on lui attribua la rédaction de l'épître aux Hébreux sous l'inspiration de saint Paul, ou tout au moins la traduction de cette épître sur le texte araméen primitif[37]. Le seul écrit authentique de saint Clément de Rome est la longue et belle épître aux Corinthiens, dont nous aurons bientôt à parler.

Du texte de cette lettre, il appert qu'elle fut écrite au sortir d'une grande persécution. Il s'agit de la persécution qui éclata, en 95, contre les chrétiens de Rome.

Les craintes que quelques esprits clairvoyants avaient manifestées dès le début du règne de Domitien sur les instincts de ce prince, s'étaient, en effet, accentuées et généralisées. Sous prétexte d'embellir la ville de Rome et de rendre la vie heureuse à ses sujets, l'empereur avait multiplié les plus folles dépenses. Par ces constructions immenses, par ces fêtes sans fin, que chantaient les poètes Martial et Stace, le trésor impérial s'épuisait ; l'ivresse du pouvoir, une sorte de folie de divinité, prenaient dans l'âme du potentat une place de plus en plus grande. Domitien était de ces hommes sans conscience que le besoin fait rapaces et la peur cruels[38]. Rome trembla de voir revenir les plus mauvais jours de Néron. L'opinion publique ne se trompait pas. Comme sous Néron, l'Eglise chrétienne allait être la première à souffrir du déchaînement de la tyrannie. Le développement du christianisme, ralenti en Judée, allait s'arrêter également à Rome.

 

III

Par bonheur, en ce moment-là même, l'Asie s'ouvrait toute grande à la propagation évangélique. Après la ville d'Ephèse, la ville d'Alexandrie semblait lui promettre le plus brillant avenir.

Comme Ephèse, devenue métropole de la province romaine d'Asie en 129 avant notre ère, la ville bâtie par Alexandre le Grand et dépositaire de son tombeau, était tombée à son tour, un siècle plus tard, sous la puissance de Rome. La vieille Egypte était devenue province romaine et sa grande capitale était désormais le centre et comme le point de ralliement de tout ce qu'il y avait par le monde de philosophes, de penseurs, de poètes, d'artistes- et de mathématiciens. Mais, sous l'autorité des Romains, Alexandrie gardait jalousement son autonomie religieuse. L'immense temple de Sérapis, dominant du haut de sa colline artificielle toute l'agitation commerciale de la ville, semblait symboliser cette indépendance hautaine. Là se trouvait la grande bibliothèque de 200.000 volumes, qu'Antoine avait apportée de Pergame pour remplacer celle du Muséum, brûlée quand Jules César fit incendier la flotte égyptienne. Cette bibliothèque fut le rendez-vous de l'hellénisme alexandrin et de la culture juive. Les Israélites étaient depuis longtemps établis en Egypte. Ils formaient à Alexandrie une communauté importante, qui, dans cette ville, peuplée d'un million d'âmes[39], atteignait le chiffre de plus de trois cent mille, environ le tiers de la population totale[40]. Un de nos livres canoniques, celui de la Sagesse, paraît avoir été écrit à Alexandrie vers le milieu du IIe siècle avant Jésus-Christ[41]. La Bible y avait été traduite en grec sous les premiers Ptolémées, de l'an 280 à l'an 230 avant notre ère. L'influence des livres juifs s'était fait sentir sur les conceptions de la philosophie grecque. D'autre part, le judaïsme alexandrin, sans cesser de vénérer à Jérusalem le centre de la religion théocratique, s'était renouvelé au contact de la civilisation hellénique. De cette influence réciproque était née l'œuvre de Philon.

On a peu de renseignements sur la vie de cet écrivain juif, contemporain de Jésus-Christ. On sait seulement que son frère, ou plutôt le fils de son frère, fut alabarque, ou fermier général des impôts d'Alexandrie, et qu'il fut lui-même député par ses coreligionnaires auprès de Caligula, en l'an 40, pour fléchir la colère de cet empereur, irrité contre les Juifs qui avaient refusé de l'adorer comme un Dieu[42], Philon d'Alexandrie fut avant tout exégète, mais il appliqua à l'interprétation des livres saints l'idéalisme de Platon. Plusieurs Pères de l'Eglise parlent de lui avec un respect voisin de l'admiration. Philon n'a rien de l'étroitesse du pharisien attaché à la lettre de la loi. Il est homme de mysticisme et de culte intérieur. Chez lui, l'idée de la philosophie et celle de la révélation, loin de s'exclure, s'appellent l'une l'autre[43]. Mais ce qu'il importe, au surplus, de remarquer, c'est que les idées que Philon expose dans ses livres sont bien moins des idées personnelles que des idées lentement et profondément élaborées dans le milieu alexandrin et qui, hors du cercle restreint des savants, ont pénétré dans le peuple lui-même[44].

Dans de telles conditions, la philosophie alexandrine, mal dirigée, pouvait contribuer à pervertir le mouvement chrétien, l'orienter vers des rêveries vagues et dissolvantes ; mais on pouvait aussi espérer que, sagement réglée, elle deviendrait, par son esprit largement ouvert, un puissant instrument de propagande chrétienne. De fait, Alexandrie fut abordée dès la première heure par les missionnaires de l'Evangile. D'après Eusèbe, la première communauté chrétienne y aurait été établie par saint Marc[45]. Il est probable que les Alexandrins et les Cyrénéens présents à la Pentecôte l'y avaient devancé. Les Actes nous apprennent qu'un des plus éloquents prédicateurs de la Bonne Nouvelle, Apollon, âme ardente et esprit puissant dans la science des Ecritures, était d'Alexandrie. Les Juifs alexandrins sont cités parmi les adversaires d'Etienne[46]. On verra bientôt, à côté des brillants apologistes de l'école de Clément d'Alexandrie, les sectes gnostiques y pulluler. Tout, erreur et vérité, s'y manifestera d'une manière puissante, vivante, débordante de vie et d'éclat.

La culture alexandrine n'avait pas seulement exercé son action dans la province romaine d'Egypte ; elle avait pénétré dans la province romaine d'Asie, dont Ephèse était la capitale. Cette dernière région ne se bornait pas à l'Ionie proprement dite, c'est-à-dire aux trois bassins du Méandre, du Caystre et de l'Hermus ; elle comprenait la Mysie jusqu'au mont Olympe, la Lydie, la Carie et une portion de la Phrygie[47]. L'apôtre des Gentils y avait dépensé l'ardeur de son zèle et saint Pierre était venu y confirmer la foi des néophytes conquis par saint Paul. Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée, comme Ephèse, gardaient fidèlement le souvenir de leur grand fondateur ; mais d'étranges rêves mystiques, germes des hérésies gnostiques et judaïsantes qui allaient bientôt s'affirmer avec force, menaçaient d'y corrompre la pureté de la foi. Rien n'avait été plus opportun que l'arrivée en ces pays du disciple que Jésus aimait. Paul leur avait donné, en discutant contre les docteurs d'une loi asservissante, la théorie d'une grâce libératrice. Jean venait leur parler, en témoin authentique, de ce Verbe de vie, qu'il avait vu de ses yeux et touché de ses mains[48]. Ces ardentes populations de l'Asie, après avoir été conquises par la dialectique enflammée de Paul, allaient nourrir leurs âmes de la parole plus tendre et plus mystique de Jean. Non point certes que l'apôtre de l'amour se soit jamais tu sur la nécessité d'une doctrine précise et d'une autorité souveraine dans l'Eglise. Tout au contraire. Nul n'a manifesté plus d'amertume et de sainte horreur contre l'hérétique, qui trahit son Maître comme Judas. Pour lui, point d'hospitalité, point même de simple salut pour ce traître ; car saluer un hérétique, c'est communiquer à ses œuvres mauvaises[49]. Si le Verbe de Dieu s'est fait chair, s'il est venu en ce monde, pour y apporter la lumière et la vie[50], cette lumière et cette vie doivent servir à distinguer les fils de Dieu et les fils du diable, les fils de la lumière et les fils des ténèbres[51]. Mais l'irréductible intransigeance de l'apôtre en présence du mal vient uniquement de la force et de l'ardeur de son amour. Ses auditeurs en auront le sentiment profond ; et leur langage, dont il saura, avec une admirable souplesse, emprunter le tour et les formules, sera le moyen par lequel le génie de l'Asie et celui de l'Europe fraterniseront dans l'esprit de l'Evangile.

 

IV

Jean, nous l'avons vu, n'était pas venu seul à Ephèse. Il y avait amené des compagnons et des disciples, ou du moins, il y fut visité et aidé par plusieurs d'entre eux.

Parmi ses frères en apostolat, nous connaissons surtout l'apôtre Philippe[52]. Il était né comme Jean sur les bords du lac de Tibériade, et un lien particulier d'amitié paraît avoir uni les deux apôtres. C'est à Philippe que Jésus avait dit cette parole profonde : Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ?[53] Les plus anciennes traditions nous apprennent qu'il évangélisa la Phrygie, et tous les monuments sont d'accord pour lui faire passer les dernières années de sa vie à Hiérapolis. Il avait trois filles, dont l'une, mariée, fut enterrée à Ephèse ; les deux autres restèrent vierges et secondèrent l'apôtre en se dévouant à des œuvres de charité[54].

Les trois principaux disciples de Jean, dont l'histoire nous a conservé les noms, sont Ignace, Polycarpe et Papias. Ignace était probablement né en Syrie. C'est, du moins, la conjecture de quelques savants[55]. On sait très peu de chose sur sa vie et sur ses travaux dans l'Eglise d'Antioche, dont il fut l'évêque[56], mais l'admirable lettre qu'il écrira aux chrétiens de Rome, en se rendant à cette ville pour y subir le martyre, fera connaître à fond sa grande âme. L'histoire n'en connaît pas de plus courageuse en face de la mort. De Polycarpe, qui nous sera également connu par son glorieux martyre, on ne sait ni la famille, ni la patrie. Tertullien nous rapporte qu'il fut institué évêque de Smyrne par saint Jean[57]. C'est par son autorité, souvent invoquée par saint Irénée, son disciple, que l'Eglise des Gaules peut se glorifier d'avoir reçu la plus pure tradition apostolique. L'évêque de Lyon, devenu vieux, écrivait à l'hérétique Florinus : Les doctrines (que tu enseignes) ne s'accordent pas avec l'Eglise... J'ai connu le bienheureux Polycarpe. Je pourrais dire en quel endroit il s'asseyait pour parler, comment il entrait et sortait, quel était le caractère de sa vie, son aspect physique, les entretiens qu'il faisait à la foule, comment il parlait de ses relations avec Jean et les autres disciples qui avaient vu le Seigneur, comment il rappelait leurs paroles et les choses qu'il leur avait entendu raconter concernant le Seigneur ; comment Polycarpe avait reçu tout cela des témoins oculaires du Verbe de vie. Ces choses, par la miséricorde de Dieu, j'en ai conservé la mémoire, non sur un papier, mais dans mon cœur... Et je puis témoigner devant Dieu que si ce bienheureux Ancien, cet homme apostolique, avait entendu des choses pareilles à celles-ci, il aurait poussé des cris et se serait bouché les oreilles, et il aurait quitté, qu'il fût debout ou assis, la place où il aurait entendu de tels discours[58].

Nous avons déjà rencontré, à propos de la composition des évangiles, le témoignage de Papias. Sa vie n'est pas plus connue que celles d'Ignace d'Antioche et de Polycarpe de Smyrne. On sait qu'il fut évêque d'Hiérapolis. Eusèbe l'appelle un homme d'une instruction variée et notamment versé dans l'Ecriture sainte. Il se donna beaucoup de peine pour réunir les traditions orales relatives à la vie et aux paroles du Sauveur ; il visita plusieurs Eglises à cet effet, et résuma ce qu'il apprit en cinq livres intitulés : Exégèses des paroles du Seigneur. Les fragments qui nous ont été conservés de ce livre sont des plus précieux pour l'histoire des origines chrétiennes[59]. Mais, consciencieux dans ses relations, Papias parait avoir manqué de tact et de discernement dans l'interprétation de la doctrine. Il comprit mal les récits des apôtres, dit Eusèbe, et ne vit pas qu'ils se servaient (parfois) de figures et s'exprimaient dans un langage symbolique[60]. C'est ainsi que son travail, entrepris pour conserver les traditions les plus authentiques, servit plus tard aux millénaristes, qui invoquèrent son autorité en faveur de leurs rêveries.

Nous avons vu que parmi les disciples du Seigneur qu'il avait vus et consultés, l'évêque d'Hiérapolis citait encore André, Pierre, Thomas, Jacques et Matthieu[61]. Ces apôtres ont pu ne venir qu'en passant visiter leurs frères d'Asie. En somme, les deux chefs dont l'Orient se glorifia furent Jean et Philippe. Deux grands astres, écrit Polycrate, évêque d'Ephèse, se sont couchés en Asie, qui se lèveront au dernier jour : Philippe, l'un des Douze, qui repose à Hiéropolis, et Jean l'apôtre, qui a dormi sur la poitrine du Sauveur ; et qui, martyr et docteur, a son tombeau à Ephèse[62]. Le vrai chef des Eglises d'Asie fut Jean l'apôtre. Nous en verrons bientôt la preuve dans la Lettre aux sept Eglises. Quand saint Jean arriva en Asie, les Eglises que saint Paul avait fondées étaient en voie de prendre la forme définitive généralement adoptée plus tard ; elles abandonnaient, l'une après l'autre, ce collège d'Anciens qui les avait gouvernées, sous la direction d'un évêque résident ou sous celle d'un apôtre, pour se placer sous l'autorité d'un évêque. Sans s'attacher particulièrement à aucun siège, Jean exerça sur tous cette juridiction universelle dévolue par le Sauveur à ses apôtres et qui ne devait s'éteindre qu'avec le dernier d'entre eux.

 

V

Vers l'an 95, le paternel gouvernement de Jean fut subitement troublé par la violente persécution de Domitien. Voici quel en fut le point de départ. Les étonnantes profusions du dernier des douze Césars avaient ruiné le trésor public. On ne pouvait songer à en combler le vide par une augmentation des impôts fonciers ou des contributions indirectes, qui pesaient déjà d'un poids très lourd sur le commerce de Rome. L'empereur se rappela l'impôt que, depuis 70, les Juifs d'origine payaient à leur vainqueur ; il l'étendit à tous ceux qui vivaient de la vie judaïque[63]. La formule était vague ; elle ouvrait la voie aux plus odieuses inquisitions. En toute hypothèse, elle atteignait les chrétiens, et peut-être les visait-elle principalement. Par la troupe innombrable de ses délateurs officiels[64], Domitien avait pu connaître les progrès accomplis par la religion nouvelle parmi les grandes familles de Rome. On sait que les biens des condamnés à mort et des proscrits allaient à l'empereur.

Beaucoup de chrétiens refusèrent de se laisser confondre avec les Juifs. La séparation des deux religions était alors, nous le savons, un fait accompli. Payer la taxe juive leur parut un mensonge, bien plus, une sorte d'abjuration. L'empereur s'irrita. Quels étaient ces hommes qui, étrangers aux cultes officiellement admis à Rome, et vivant à la juive, répudiaient ainsi la religion du peuple juif ? On leur jeta à la face les noms de novateurs et d'athées.

Les recherches inquisitoriales redoublèrent. La fureur de Domitien fut à son comble, quand un de ses délateurs lui signala, parmi les judaïsants et les athées, son propre cousin germain, Flavius Clemens, le père de deux enfants qu'il destinait à l'empire. Flavius Clemens, consul de cette année 95, était fils du frère aîné de Vespasien, Flavius Sabinus, qui, préfet de Rome, au temps de Néron, et témoin, en 64, du massacre des chrétiens, en avait gardé, paraît-il, une impression douloureuse et profonde. Tacite raconte que dans ses dernières années, on remarquait sa douceur, sa modération, son horreur des conflits sanglants, ce qui le faisait taxer de lâcheté par les gens ardents[65]. Le fils et la belle-fille de Flavius Sabinus avaient courageusement embrassé la religion chrétienne. C'était un cas de mort ou de proscription. Flavius Clemens fut exécuté l'année même de son consulat. Flavia Domitilla, sa femme, fut exilée dans l'île de Pandataria. Une autre Flavia Domitilla, leur nièce, fut internée dans l'île Pontia. L'historien Dion Cassius, en rapportant ces exécutions, dit qu'ils furent condamnés pour crime d'athéisme[66]. Suétone parait faire allusion à d'autres exécutions de chrétiens appartenant aux plus hautes situations, quand il écrit à son tour : Domitien fit périr un grand nombre de sénateurs et même quelques consulaires, parmi lesquels, comme coupables de nouveautés, Civicus Cerealis, alors proconsul d'Asie, Salvidienus Orfitus, Acilius Glabrio, déjà exilés[67]. Acilius Glabrio avait été consul en 61.

Au besoin d'argent, à la haine du nom chrétien, venait se joindre, dans l'âme du tyran, la peur. Hégésippe, cité par Eusèbe, raconte que Domitien craignait, comme Hérode, la venue du Christ[68], car le bruit courait par tout l'Orient que le gouvernement du monde appartiendrait à un rejeton de David. Il ordonna donc qu'on recherchât tous les descendants de cette noble race. Nous avons vu que les petits-fils de Jude, arrivés à Rome du fond de la Batanée, ne furent renvoyés qu'à la vue de leurs mains calleuses, indice de leurs travaux manuels. Peut-être Jean, si renommé pour son intimité avec Jésus, fut-il mandé au même titre. Tout ce que nous savons, c'est que, venu ou conduit à Rome, il y subit la terrible épreuve de l'huile bouillante. Mais, ajoute Tertullien, par qui nous connaissons ce fait, il n'y subit aucun mal et fut relégué ensuite dans une île[69]. Le lieu traditionnel de son exécution est la Porte Latine, ou pour mieux dire, l'espace libre qu'occupa plus tard cette barrière de Rome[70].

La persécution du tyran s'étendit au dehors de Rome et jusqu'en Asie. L'Apocalypse, écrite peu de temps après, parle des âmes de ceux à qui l'on a tranché la tête pour avoir rendu hommage à Jésus. L'ange du Seigneur dit à l'ange de Smyrne : Je connais tes tribulations, et à l'ange de Pergame : Je sais que tu n'as pas renié ma foi[71]. Les Actes du martyre de saint Ignace d'Antioche racontent que pendant les tempêtes et les persécutions, il détournait le péril par la fermeté de son âme[72]. Pline, dans une lettre écrite de Bithynie en 111 ou 112, a déclaré que certains chrétiens lui avouaient avoir abjuré leur foi depuis vingt ans[73], sans doute pendant cette persécution de Domitien.

 

VI

L'île où le tribunal de Domitien venait de reléguer l'apôtre Jean était une' des Sporades, dans la mer Egée, la plus aride et la plus sauvage de ces îles chantées par les vieux aèdes. Une longue chaîne de rocs volcaniques, rompue en deux et rattachée par un isthme étroit, y nourrissait à peine quelques maigres vergers. L'apôtre y fut probablement soumis aux travaux des mines. C'est là que, par quelques fidèles sans doute, venus de Milet ou d'Ephèse, qui n'étaient qu'à quelques heures de mer, il apprit qu'en Asie, comme à Rome, les chrétiens étaient traqués, spoliés, mis à mort pour leur foi. Il y apprit aussi les progrès d'un mal bien autrement redoutable. L'hérésie, qui avait tant inquiété saint Paul, s'y développait d'une manière effrayante. L'apôtre des Gentils s'était préoccupé de certains hommes d'Asie, qui mêlaient à un souci exagéré d'observances, de fêtes, d'abstinences et de pratiques d'humiliation, un culte immodéré des puissances angéliques, diminuant ainsi le rôle du Sauveur[74]. Il ne s'agissait plus, comme, naguère en Galatie, d'une opposition entre la loi et la foi, mais d'une doctrine nouvelle, savamment coordonnée, et tendant à corrompre la religion chrétienne dans son essence. Sous l'influence de certains hommes, qui prétendaient se rattacher au diacre Nicolas, et s'appelaient Nicolaïtes, la secte se propageait d'une manière effrayante. Aux étranges mystères de ses dogmes, elle joignait un caractère particulier d'immoralité dans ses pratiques. Saint Irénée parlera des mœurs indiscrètes[75] qu'il y découvre, et saint Jean des profondeurs de Satan[76] qu'il y entrevoit. La présence de l'apôtre à Ephèse les avait sans doute contenus ; son exil à Patmos semblait leur laisser libre carrière. Or, un jour du Seigneur, c'est-à-dire un dimanche, pendant que l'exilé s'affligeait à la pensée de tant de maux, il fut ravi en esprit. J'entendis derrière moi, dit-il, une grande voix semblable au son d'une trompette : Ce que tu vois, disait-elle, écris-le dans un livre. Et je me retournai. Et je vis quelqu'un qui ressemblait au Fils de l'homme, vêtu d'une robe longue, la poitrine ceinte d'une ceinture d'or. Sa voix semblait la voix des grandes eaux... Son visage brillait comme le soleil... Je tombai à ses pieds, comme mort ; mais il mit sa main droite sur moi. Ne crains rien, me dit-il, j'ai été mort, et voici que je suis vivant pour les siècles des siècles ; je tiens les clefs de la mort et de l'enfer[77].

Des révélations de cette sorte, des apocalypses, comme on les appelait alors, n'étaient pas rares à cette époque. Nous avons vu que les dons surnaturels ou charismes étaient fréquents dans la primitive Eglise. Malheureusement l'illusion et la supercherie s'y étaient mêlées. Une trentaine d'années auparavant, en 58, saint Paul avait trouvé tant de prophètes et de prophétesses à Corinthe qu'il avait senti l'urgence de régler les manifestations de leurs inspirations tumultueuses[78].

La relation des visions de Jean, écrite à Patmos[79], ou peut-être à Ephèse après son retour d'exil, était adressée directement aux sept Eglises de l'Asie proconsulaire : Ephèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie, Laodicée. Indirectement, elle était destinée à l'Eglise entière. Une préface, souvent désignée sous le nom de Lettre aux sept Eglises, distribue, avec une autorité qu'on sent appuyée sur une mission divine, le blâme et l'éloge à chacune des chrétientés. L'Eglise d'Ephèse s'est relâchée de sa première ferveur[80] ; les fidèles de Laodicée sont tièdes[81] ; ceux de Sardes sont morts spirituellement[82]. Les communautés de Pergame et de Thyatire se sont laissé séduire en partie par les Nicolaïtes[83]. Seuls les chrétiens de Smyrne et de Philadelphie ne reçoivent que des louanges, pour avoir souffert avec courage la persécution de la part des ennemis de leur foi[84].

Après ce préambule, une série de visions commence, dont le caractère étrange et le désordre apparent déconcertent au premier abord, mais dont la puissance saisit et captive. Toutes les beautés de l'Ecriture, dit Bossuet, sont ramassées dans ce livre... Malgré ses profondeurs, on y ressent, en le lisant, une impression si douce et tout ensemble si magnifique de la majesté de Dieu, qu'il y a de quoi ravir le ciel et la terre... Nous voyons dans l'Evangile Jésus-Christ homme, conversant avec les hommes, humble, pauvre, faible, souffrant. Mais l'Apocalypse est l'Evangile de Jésus-Christ ressuscité : il y parle et il y agit comme un vainqueur[85]. Le but du livre est, en effet, d'encourager les fidèles à qui il s'adresse, de leur montrer que le triomphe des saints est assuré, que l'empire persécuteur sera terrassé, et que sur ses ruines s'élèvera une Jérusalem nouvelle et glorieuse. Tout le livre est un cri d'espérance, un sursum corda invitant les Eglises à chercher la force dans l'espérance au Christ, qui reviendra triomphant[86].

A côté de ce but moral, qui est l'intention principale de l'Apocalypse, il est facile d'y découvrir une grande inspiration dogmatique

et une grande inspiration liturgique.

La doctrine de ce livre, on l'a remarqué, est surtout christologique et eschatologique[87]. Le Christ y est appelé l'alpha et l'oméga, le  prince des rois de la terre, le chef des Eglises, celui qui sonde les cœurs, celui qui juge, celui qui triomphe, celui qui a pouvoir sur la mort et sur l'enfer, le Seigneur Dieu, objet d'adoration pour le ciel et pour la terre.

Quant à ce monde visible, il finira après des catastrophes épouvantables. Le démon sortira de l'abîme, séduira les peuples et environnera d'ennemis la cité des saints. Mais Dieu et les siens triompheront. Les méchants seront, pour l'éternité, la proie de l'enfer, où ils tomberont avec la bête, le faux prophète et le dragon ; tandis que les justes entreront en possession du ciel ; pour eux, Dieu créera des cieux nouveaux, une terre nouvelle, une nouvelle Jérusalem, où ils régneront éternellement. L'Apocalypse ne fournit d'ailleurs aucune donnée précise permettant de fixer la date de ces catastrophes. Il est évident que tous les chiffres qui y sont donnés sont des chiffres symboliques[88]. Le monde devait ignorer une date que le Christ lui-même avait affecté de ne point connaître ou de ne vouloir point révéler à ses plus intimes confidents eux-mêmes.

Les magnifiques tableaux par lesquels l'Apocalypse représentait la gloire éternelle du Christ devaient, d'autre part, exercer une influence profonde sur le développement de la liturgie chrétienne. Cet agneau immolé, debout sur le trône, au milieu de la foule innombrable des élus ; ces vieillards qui l'entourent, portant dans des coupes les prières des saints ; ce cri des martyrs qui s'élève de dessous l'autel ; ce chant d'actions de grâces qui monte de la foule vers Dieu, comme un cantique nouveau, pour glorifier l'Agneau d'avoir racheté par son sang des hommes de toute race et de toute tribu ; ces anges, rangés autour des vieillards, qui tombent sur leurs faces en disant : Amen ; cet encens qui s'élève vers le trône ; toutes ces scènes grandioses devaient peu à peu inspirer les cérémonies liturgiques de cette fraction du pain, qui, par l'adjonction de rites nouveaux, ailait devenir la grand'messe solennelle, célébrée par l'évêque, entouré de ses prêtres, au milieu de la fumée de l'encens, devant un autel chargé de reliques des saints, et portant souvent l'image même de l'Agneau de Dieu immolé pour le salut des hommes[89].

Ces visions sublimes et ces exhortations chaleureuses durent faire sur les Eglises d'Asie la plus grande impression. Tel détail, telle allusion, devenus obscurs pour nous, parlaient sans doute vivement aux âmes de ce temps.

 

VII

Mais l'Eglise n'est pas seulement une société qu'une inspiration commune dirige, c'est une organisation hiérarchique, dont une autorité souveraine doit régler le fonctionnement et juger les conflits. Précisément, à l'heure où la persécution et l'hérésie multipliaient leurs ravages, un pénible différend venait d'éclater dans la communauté chrétienne de Corinthe. A la suite de troubles, dont on ne sait pas au juste la cause particulière, des membres du collège presbytéral avaient été déposés. Dans une cité comme Corinthe, le désordre pouvait prendre des proportions particulièrement graves. L'esprit grec, naturellement particulariste et ondoyant, ne se prêtait qu'avec peine à la loi fondamentale du christianisme, qui établit la hiérarchie sur l'unité de doctrine et de gouvernement. Trente ans plus tôt saint Paul avait été obligé de morigéner vivement les Corinthiens, qui disaient : Je suis à Paul, ou à Pierre ou à Apollon[90], comme ils auraient dit : J'appartiens au Portique, ou au Lycée, ou à l'Académie. Le schisme menaçait de déchirer l'Eglise ; et, pour l'empêcher de naître, il fallait autre chose que les exhortations d'un docteur ou d'un prophète ; il fallait la décision d'un chef suprême et d'un juge souverain. Voilà pourquoi on eut recours au successeur de l'apôtre Pierre, à Clément de Rome.

Le pontife romain intervint par une lettre où se révèle, en même temps qu'un admirable esprit de sagesse, la conscience d'une autorité incontestée.

Il commence par s'excuser de n'être pas intervenu d'une manière plus prompte. Nous avons été affligé nous-mêmes, dit-il, par une série de calamités qui sont venues fondre sur nous à l'improviste[91]. C'est là une allusion évidente à la persécution de Domitien. Puis le chef de l'Eglise romaine aborde nettement la question capitale : la nécessité de se soumettre avec humilité à l'ordre établi par Dieu en toutes choses et principalement dans son Eglise. Frères, soyons humbles d'esprit, déposons tout faste et toute arrogance... Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, mais que tous se glorifient dans le Seigneur en faisant ce qui est juste et droit[92]. Or, ce qui est juste et droit, c'est de s'incliner devant l'ordre et l'harmonie que Dieu a établis en toutes choses. L'Océan lui-même a ses lois. Les diverses saisons se succèdent paisiblement l'une à l'autre... Le grand Ouvrier, le Maitre du monde a voulu que tout soit réglé dans un accord parfait[93].

Cette comparaison, tirée de l'harmonie du monde physique, que les Grecs avaient précisément appelé le Cosmos ou l'ordre par excellence, était particulièrement bien choisie. Clément pousse plus loin son argumentation. Il prend ses analogies dans le corps humain et dans l'organisation sociale. Prenons notre corps pour exemple, dit-il. La tête n'est rien sans les pieds ; mais les pieds à leur tour ne sont rien sans la tête[94]. Il rappelle que, dans l'Ancien Testament, Dieu, auteur direct de la loi, avait institué une hiérarchie composée de quatre degrés : les laïques, les lévites, les prêtres et le grand prêtre[95]. Ainsi, les apôtres, annonçant l'Evangile de la part de Jésus-Christ, qui parlait de la part de Dieu son Père... ont institué l'obéissance des évêques et des diacres[96]. L'évêque de Rome n'hésite pas enfin aux autorités à comparer la discipline ecclésiastique à la discipline militaire.

Voyez, dit-il, les soldats qui font leur service... Tous ne sont pas éparques, chiliarques, hécatontarques, pentécontarques, et ainsi de suite ; mais chacun, à son rang, exécute les commandements du basileus et des chefs[97]. Nous savons que saint Paul avait aimé ces comparaisons guerrières[98]. Mais les fidèles ne sont pas seulement une armée ; Clément se hâte de dire qu'ils sont aussi le troupeau du Christ[99], mieux encore, le corps même du Christ[100]. Le troupeau doit être en paix sous la garde des Anciens[101] ; les membres du corps de Jésus-Christ ne doivent pas être déchirés[102].

Les conséquences de ces principes sont fermes et claires. Que personne ne se révolte contre la discipline[103]... Que tous soient soumis aux Anciens[104]... Que les offrandes et les liturgies soient faites, non pas comme il plaît et sans ordre, mais comme le Maître l'ordonne et à des heures déterminées[105]. Abandonnons les recherches vides et vaines, s'écrie le pontife en un appel qui résume tout, et venons au glorieux et vénérable canon de notre tradition[106]. Bref, la lettre se termine par ces lignes, où respire une si ferme et si calme autorité : Vous nous causerez une grande joie si, obéissant à ce que nous vous avons écrit dans l'Esprit-Saint, vous mettez fin à vos injustes ressentiments... Nous avons envoyé vers vous des hommes fidèles et probes, qui, depuis leurs jeunes années jusqu'à la vieillesse, ont vécu sans reproche au milieu de nous ; ils seront témoins entre vous et nous. En agissant ainsi, notre unique but a été et est encore de rétablir parmi vous l'ordre et la paix[107].

Soit que l'on considère en lui-même cet acte spontané de l'Eglise romaine, soit que l'on pèse les termes de la lettre, on ne peut échapper à cette impression que, dès la fin du Ier siècle de notre ère, une cinquantaine d'années après sa fondation, cette Eglise se sentait déjà en possession de l'autorité supérieure exceptionnelle, qu'elle ne cessera de revendiquer plus tard... Mais quel accueil les Corinthiens firent-ils aux exhortations et aux envoyés de l'Eglise romaine ? Un accueil si parfait, que la lettre de Clément passa chez eux presque au rang des Ecritures sacrées. Soixante-dix ans plus tard, on la lisait encore, le dimanche, dans l'assemblée des fidèles[108]. Rome avait commandé : on lui avait obéi[109].

Par la plénitude et la sûreté de sa doctrine, l'épître de saint Clément méritait les honneurs qui lui furent rendus dans les premiers siècles. Quoique les vérités de la foi n'y soient rappelées qu'en passant et dans la mesure seulement où elles concourent au but pratique de la lettre, elles forment comme un tableau des croyances chrétiennes dans leurs grandes lignes. L'auteur est amené à faire appel, tour à tour, à l'autorité souveraine de Dieu, à sa puissance créatrice, à sa providence et à son amour[110]. Le jugement dernier, le ciel, la résurrection de la chair sont présentés comme les fins dernières de l'homme[111] ; le Christ, comme son divin modèle. Le Fils de Dieu, égal au Père et à l'Esprit par sa nature divine, s'est fait homme comme nous pour nous sauver par sa mort[112]. C'est par lui, notre grand prêtre et notre avocat auprès de Dieu le Père, que l'homme, aidé par la grâce et fécondant sa foi par ses œuvres, a l'espérance de se sauver[113].

Comme un témoignage des liens qui ont uni de tout temps, dans l'Eglise, la loi de la croyance à la loi de la prière[114], le dogme à la liturgie, le pontife insère dans sa lettre une formule solennelle de supplication, où l'on peut voir, sinon la formule officielle de l'oraison liturgique de ce temps, du moins un spécimen de la manière dont les célébrants développaient le thème de la prière eucharistique : Toi qui abaisses l'insolence des orgueilleux et qui déroutes les machinations des peuples... toi qui donnes la mort et la vie, Dieu de toute chair... toi qui as choisi parmi les peuples ceux qui t'aiment par Jésus-Christ, ton Fils bien-aimé ; nous t'en prions, ô Maître, sois notre secours, assiste-nous... Apaise la faim de l'indigent, délivre ceux de nous qui souffrent en prison, prends pitié des petits, délivre ceux qui sont tombés... Ô Dieu bon et miséricordieux, remets-nous nos fautes, nos injustices, nos chutes, ne compte pas les péchés de tes serviteurs et de tes servantes... Donne la concorde et la paix à nous et à tous les habitants de la terre... A nos princes, à ceux qui nous gouvernent en ce monde, c'est toi, Seigneur, qui as donné le pouvoir... Accorde-leur, Seigneur, la santé, la paix, la concorde, la stabilité... Dirige leurs conseils suivant le bien... Toi seul as la puissance de faire cela et de nous accorder encore de plus grands bienfaits ; nous le proclamons par le grand prêtre et le chef de nos âmes, Jésus-Christ, par qui soit à toi gloire et grandeur, maintenant, dans toutes les générations, dans les siècles des siècles. Amen[115].

Telle est la belle prière qui montait vers Dieu des assemblées chrétiennes de Rome, comme un hymne de paix sereine et d'ineffable pureté, au lendemain de la persécution de Domitien, au milieu de cette société corrompue et corruptrice, dont le burin de Tacite et la plume de Suétone nous ont raconté les turpitudes et les cruautés[116].

 

VIII

Il faut, du reste, reconnaître que la chute des Flaviens fut suivie d'une réaction conservatrice, dont les chrétiens profitèrent. A la mort de Domitien, en 96, saint Jean revint d'exil et rentra dans Ephèse. Il y retrouva la société de fidèles où, pendant trente années environ, il avait vécu : tout ce monde de convertis, venus, les uns du judaïsme, les autres de la gentilité, mais tous plus ou moins imbus d'un même fonds d'idées philosophiques issues d'Alexandrie. Les lettrés en discutaient les systèmes abstraits, hardis et nuageux ; le peuple lui-même en parlait le langage ; et, par cette influence insensible qui, des sommets de la science spéculative descend peu à peu dans la pratique de la vie, des théories étranges s'insinuaient dans les croyances populaires. Plusieurs en étaient venus à distinguer le Christ de Jésus, ne voyant en ce dernier qu'un homme semblable aux autres.

Cette théorie avait été surtout enseignée par un personnage mystérieux, Cérinthe, dont la vie nous est presque totalement inconnue, mais dont saint Irénée nous a conservé la doctrine[117]. Cérinthe parait originaire d'Egypte. Il était juif avant sa conversion. Devenu chrétien, il conserva ses vues étroites, se refusant à admettre le caractère universaliste du christianisme. Il organisa même autour de saint Paul, s'il faut en croire saint Epiphane[118], une sorte de contre-prédication ayant pour but de maintenir la religion chrétienne sous la dépendance stricte du judaïsme. Mais le judaïsme auquel Cérinthe s'attachait était celui dont Philon s'était fait l'interprète, synthèse de sagesse païenne et d'enseignement mosaïque. Après avoir parcouru la Palestine, la Syrie et la Galatie, Cérinthe était revenu en Asie. Il paraît même, pendant l'exil de saint Jean, s'être établi à Ephèse. Pour lui, le Dieu suprême est si élevé au-dessus de tout, que les anges eux-mêmes ne le connaissent pas. Il n'est ni le créateur ni le législateur du monde. Ce rôle appartient à des anges. Quant à Jésus, il est le fils de Joseph et de Marie. Au moment de son baptême, une vertu du Dieu suprême descendit sur lui et y demeura jusqu'à la Passion exclusivement. Cette entité divine était le Christ. Par son union aveu cette entité divine, Jésus devint Jésus-Christ. La vertu du Dieu suprême t'abandonna pendant sa Passion, mais il ressuscita néanmoins[119].

Cérinthe se borna-t-il à un enseignement oral ? Consigna-t-il ses idées dans un écrit ? Les témoignages des contemporains sont trop vagues sur ce point pour nous permettre de rien affirmer. Nous savons qu'il se fit, parmi les chrétiens, des disciples dévoués. Bref, au retour de saint Jean à Ephèse, l'hérésie des cérinthiens était le grand péril de l'Eglise. Polycarpe racontait que Jean, le disciple du Seigneur, entrant un jour dans un bain à Ephèse, y aperçut l'hérésiarque, et sortit aussitôt en disant : Fuyons ; cette maison pourrait s'écrouler, puisqu'elle abrite Cérinthe, l'ennemi de la vérité[120].

Y avait-il, à côté de Cérinthe, des précurseurs du docétisme, qui devait plus tard s'affirmer avec Saturnin, Basilide, Valentin et Marcion, c'est-à-dire de l'erreur qui ne donnait à Jésus-Christ que l'apparence de la chair ? Ou bien Cérinthe lui-même enseignait-il cette hérésie ? On ne sait. Il est certain que plusieurs passages des écrits de saint Jean semblent viser une pareille doctrine[121].

Quoi qu'il en soit, pour réfuter les rêveries qui circulaient au sujet de la personne adorable du Maître, rien ne valait le témoignage de celui qui l'avait connu dans son intimité, qui avait reposé sa tête sur sa poitrine la veille de sa mort et qui avait reçu ses dernières paroles sur le Calvaire. L'apôtre Jean adressa aux communautés d'Asie Mineure, issues du paganisme, une lettre qui peut être regardée comme la préface de l'Evangile qu'il allait écrire. Cette lettre débutait ainsi : Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l'annonçons, afin que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous, et que notre communion soit avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ[122].

Ces paroles marquent bien le but du quatrième Evangile : montrer, à l'encontre des nouveaux hérétiques, l'identité de Jésus de Nazareth avec le Fils éternel de Dieu, vie et lumière du monde. Déjà les trois premiers Evangiles avaient laissé entrevoir l'éternelle préexistence de Jésus-Christ[123]. Saint Paul, dans son épître aux Colossiens, et, plus tard, l'épître aux Hébreux, l'avaient présenté comme l'unique révélateur et l'unique médiateur du Père invisible[124]. L'originalité de saint Jean consistait en ceci : 1° qu'à la lumière de souvenirs plus intimes et d'illuminations surnaturelles plus profondes, il précisait mieux, sur ces points, la révélation chrétienne, et 2° que, dans son exposé, il employait hardiment les formules abstraites du langage oriental, habituelles au pays où il écrivait.

Peu de temps après, parut l'Evangile de Jean. Il débutait ainsi : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. Ce mot de Verbe ou Logos était communément employé par les philosophes alexandrins. Mais on se tromperait fort si l'on en concluait à une dépendance quelconque de la pensée de l'évangéliste à l'égard d'une philosophie particulière. Si, dans la philosophie de Philon le mot Logos désignait vaguement un organe de la puissance divine, sans qu'on pût préciser distinctement s'il se confondait avec Dieu ou s'il constituait une personne distincte ; pour d'autres philosophes, ce mot signifiait soit un être intermédiaire entre le monde et Dieu, soit la raison divine répandue dans le monde, soit toute autre chose. Le Logos, c'était, pour les hellénistes de ce temps, le mot en faveur, par lequel on entendait tout ce qu'il y a de beau, d'harmonieux et de grand. On pourrait s'en faire peut-être quelque idée en songeant à ce que les philosophes du XVIIIe siècle ont mis sous le nom de Raison, ceux du XIXe sous le nom de Science, ceux du XXe sous le nom de Vie. L'apôtre s'empare de ce mot, — qu'il n'emploiera d'ailleurs que quatre fois dans l'ensemble de ses écrits, — et il déclare à ce monde alexandrin, séduit par toutes les grandes choses qu'une telle expression lui suggère, que son idéal ne s'est pleinement réalisé que dans ce Jésus, dont lui, Jean, est le témoin[125]. L'évangéliste d'ailleurs précise l'idée du Verbe ou Logos par les deux mots, plus clairs, de lumière et de vie. Le Verbe était en Dieu... En lui était la vie, et la vie est la lumière des hommes[126].

Le merveilleux prologue qui contient ces mots dépasse tellement les conceptions ordinaires de l'esprit humain, qu'il l'éblouit et l'étonne. Cet enfant du tonnerre, dit Bossuet, ne parle point un langage humain ; il éclaire, il tonne, il étourdit, il abat tout esprit créé sous l'obéissance de la foi, lorsque, par un rapide vol, fendant les airs, perçant les nues, s'élevant au-dessus des anges, il entonne par ces mots : Au commencement était le Verbe[127].

Mais une fois que le théologien a exposé la grande conception qu'on doit avoir de Jésus-Christ, le rôle du témoin commence. Saint Jean a évidemment pour but, en écrivant son Evangile, de prouver la foi, mais il veut la prouver par l'histoire, principalement par celle qu'il connaît d'une manière plus personnelle. Sans se préoccuper de mettre son récit d'accord avec celui de ses devanciers, il ordonne, en général, les faits, d'après la suite des temps ; néanmoins, l'on peut reconnaître, dans leur marche, certaine progression de pensées, allant à diviser le Livre saint en trois parties. La première raconte l'accueil si divers fait par le monde à la lumière que lui apporte le Verbe incarné[128] ; la seconde décrit la résistance implacable que lui opposent les hommes de ténèbres[129] ; la troisième nous expose l'échec de la lumière, échec apparent, toutefois, car Jésus en tire la plus éclatante manifestation de sa divinité : son amour, porté au comble par l'Eucharistie et par le sacrifice de la croix[130]. Il n'y a que Dieu, en effet, qui puisse aimer jusque-là[131].

Le quatrième Evangile semble avoir été coulé d'un seul jet. Les faits et les discours s'enchaînent, s'expliquent et se complètent dans une magnifique unité. Tout y est vivant, tout y rayonne ; les scènes racontées sont entremêlées de dialogues, de reparties animées, d'interruptions prises sur le vif ; les personnages semblent revivre. Les idées abstraites elles-mêmes y prennent un corps, et les faits les plus matériels y évoquent des réalités surnaturelles. La physionomie du Sauveur y apparaît elle-même plus vivante que dans les Evangiles précédents ; des profondeurs plus intimes de son âme s'y révèlent ; car, si l'apôtre, rédigeant son récit après un long intervalle, a pu, en reproduisant des entretiens ou des discours qu'il n'avait pas sténographiés, faire subir à ces entretiens et à ces discours certaines transformations purement littéraires par l'adjonction d'un cachet personnel dans la construction des phrases et le groupement des idées[132], il est tout naturel de penser que le disciple bien-aimé a pu atteindre des réalités plus profondes que ses trois devanciers, soit par les confidences plus intimes que son divin Ami avait pu lui faire entendre, soit par ce qu'un amour plus ardent lui avait fait plus facilement comprendre et retenir, soit par ce qu'un demi-siècle d'une vie mystique particulièrement intense lui avait révélé de clartés dans une parole d'abord imparfaitement comprise[133].

 

IX

L'apparition de l'Evangile selon saint Jean fut un des plus grands événements de la primitive Eglise. Elle eut lieu vers l'an 98[134]. L'évangéliste atteignit son but. Sans polémique directe, sans indiquer avec précision l'hérésie qu'il avait l'intention de combattre, par la simple exposition des faits dont il se portait le témoin[135], il avait mis à néant toutes les affirmations de Cérinthe. Désormais, dans l'enseignement des fidèles, l'influence de ce livre fut immense. Il est connu, dit Eusèbe, par toutes les Eglises qui sont sous le ciel[136]. Des hérétiques cherchèrent à l'attirer à eux ; d'autres le combattirent avec acharnement. Dans la ville d'Alexandrie surtout, il devint l'occasion de nombreuses spéculations métaphysiques. Eusèbe nous parle, en effet, d'une école des saintes lettres ou didascalée, qui se fonda à Alexandrie dès la première heure[137]. C'était le germe de la fameuse école sur laquelle Clément d'Alexandrie et Origène devaient jeter un incomparable éclat. C'était le début d'une phase nouvelle dans l'histoire de l'Eglise. A Jérusalem, le christianisme s'était surtout révélé comme une fraternité, dont saint Jacques le Mineur avait été le père. A Antioche, il s'était montré comme une propagande, dont saint Paul avait été le héros. A Rome, il s'était affirmé comme un gouvernement, dont saint Pierre avait été le chef. A Alexandrie, il allait se proposer comme une philosophie, dont saint Jean serait le docteur. Mais ce n'étaient là que les aspects divers, que les adaptations successives d'une doctrine toujours une, toujours identique, et pour laquelle grandir et se développer n'étaient autre chose qu'achever de se retrouver dans l'enseignement du divin Maître, de plus en plus approfondi.

L'histoire des dernières années du saint apôtre n'a point été faite ; elle se perd dans la fantaisie des légendes que les gnostiques ont brodées à son sujet. Ce que l'on peut retenir comme trait de vérité, c'est la persistance de sa bonté tout aimante envers les hommes. Toutes les traditions nous le représentent comme un vieillard miséricordieux, résumant toute sa doctrine dans une parole d'amour. Mes petits enfants, disait-il, aimez-vous les uns les autres, non pas de parole et de langue, mais en action et en vérité[138]. Les mêmes traditions sont encore unanimes à dire que sa mort fut douce comme un sommeil[139]. Le tombeau du disciple bien-aimé du Christ fut bientôt l'objet d'une vénération universelle. Aujourd'hui, sur les ruines de la grande ville d'Ephèse, on croit en trouver les traces aux flancs d'une colline où se sont groupées huit ou dix pauvres familles, et le souvenir du grand apôtre lui survit dans le nom du petit village que ces familles ont fondé, Aya Soulouk, le pays du saint théologien, aghiou apostolou[140].

 

 

 



[1] Voici la traduction littérale du fameux texte de Papias, tel qu'il est rapporté par Eusèbe : Pour toi, je n'hésiterai pas à ajouter ce que j'ai appris des anciens et dont j'ai fort bien conservé le souvenir, pour confirmer la vérité de mes explications. Car ce n'était pas auprès des beaux parleurs que je me plaisais, comme le font la plupart, mais auprès de ceux qui enseignent le vrai. Je n'aimais pas ceux qui me rapportaient des préceptes étrangers, mais ceux qui me transmettaient les commandements imposés par le Seigneur à notre foi et nés de la vérité même. Et si parfois aussi je rencontrais ceux qui avaient été dans la compagnie des anciens, je cherchais à savoir les propos des anciens : ce que disaient André, ou Pierre, ou Philippe, ou Thomas, ou Jacques, ou Jean, ou Matthieu, ou quelque autre des disciples du Seigneur ; ce que disent Aristion et Jean l'Ancien, disciples du Seigneur (EUSÈBE, Hist. ecclés., l. III, c. XXXIX, n. 4.) Si Jean l'Ancien, disciple du Seigneur, est nommé deux fois, une fois parmi ceux qui ont parlé (au passé) et une fois parmi ceux qui parlent (au présent), c'est que seul il survit aux autres apôtres, c'est que seul il parle encore. D'ailleurs l'intention de montrer qu'il s'agit du même personnage apparaît dans l'identité des titres qui sont accolés aux deux noms. Il s'agit toujours de Jean l'Ancien, de Jean, disciple du Seigneur. Eusèbe, dont on connaît l'antipathie pour l'Apocalypse de Jean, et qui tient de Denys de Corinthe que ce livre serait l'œuvre d'un certain Jean, distinct de l'apôtre, se hâte de saisir dans la double mention de Jean, faite par Papias, un argument pour sa thèse. Il est indispensable de faire attention à ceci, dit-il, car il est vraisemblable que ce soit le second Jean qui ait composé l'Apocalypse (Ibid., n. 5) ; et, dans son désir de fortifier l'opinion qu'il veut faire prévaloir, il invoque deux arguments bien peu concluants, à savoir : 1° que le second Jean est appelé l'Ancien ; c'est vrai, mais le premier n'a-t-il pas également ce titre ? 2° qu'Ephèse possède deux monuments de Jean, laissant entendre qu'il s'agirait de monuments funéraires ; mais le nom même de ces monuments, qu'Eusèbe ne peut s'empêcher d'employer, μνηματα, n'indique-t-il pas des monuments commémoratifs ? Et quoi d'étonnant que deux monuments de ce genre aient été élevés en l'honneur d'un même personnage ?

[2] Il n'en est plus question depuis le jour où saint Paul vint à Jérusalem exposer son évangile devant Pierre, Jacques et Jean, qu'on tenait alors pour les colonnes de l'Eglise. Épître aux Galates, II, 1, 2, 9.

[3] Jean, XIX, 27.

[4] Probablement à Jérusalem. Un texte assez obscur du concile d'Ephèse est le fondement de l'opinion qui fait mourir à Ephèse la sainte Vierge Marie. La tradition qui veut qu'elle ait fini ses jours à Jérusalem ne date, d'autre part, que du Ve siècle. Voir, sur ce point, FOUARD, Saint Jean, p. 94.

[5] Jean, XXI, 22.

[6] Jean, XXI, 23.

[7] Marc, X, 39.

[8] Le témoignage de la tradition est unanime sur ce point. HARNACK (Die Chronologie des altchristlichen bis Eusebius, t. I, p. 320-381), et Jean RÉVILLE (le Quatrième évangile, p. 9-18) ont en vain cherché à ébranler le témoignage très précis et très autorisé de saint Irénée sur ce point. Contra hœres., II, 22, n. 5, P. G., VII, col. 785. Cf. J. LABOURT, De la valeur du témoignage de saint Irénée sur la question johannine, dans Revue biblique, t. VII, 1888, p. 9-18 ; MANGENOT au mot Jean l'Evangéliste, dans le Dict. de la Bible, t. III, col. 1562-1164, et LEPIN, dans le Dict. apol. de la foi cath., t. I, col. 1662-1672.

[9] EUSÈBE, H. E., III, 39.

[10] JOSÈPHE, Ant. jud., l. XIV, ch. II, 11-13.

[11] Actes, XIX, 1-5.

[12] Première épître aux Corinthiens, III, 9.

[13] Première épître à Timothée, I, 3. Cf. II Timothée, I, 18 ; IV, 13.

[14] S. EPIPHANE, Hæres., XXX, 2.

[15] EUSÈBE, H. E., l. III, ch. XX.

[16] EUSÈBE, H. E., l. III, ch. XI et XXXII.

[17] EUSÈBE, H. E., l. IV, ch. V.

[18] Épître de Jacques, II, 5.

[19] S. AUGUSTIN, Cité de Dieu, V, 21.

[20] Quelques écrivains, se fondant sur un texte de saint HILAIRE (Contra Arianos, 3), et sur une inscription conservée dans la crypte de l'église de Sainte-Martine à Rome, ont rangé Vespasien parmi les persécuteurs. Mais il est probable que dans le texte de saint Hilaire, Vespasien est nommé par erreur au lieu de son fils Domitien (P. ALLARD, Hist. des persécutions, t. I, p. 85), et l'inscription de sainte Martine est certainement fausse, comme le démontre MARUCCHI (Éléments d'archéologie chrétienne, t. I, p. 20).

[21] Permansit, erosis omnibus, institutum neronianum. TERTULLIEN, Ad nat., I, 7. Tertullien fait allusion à cette accusation que Néron porta contre les chrétiens, indépendamment de l'accusation d'incendie de Rome, à savoir qu'ils étaient les ennemis du genre humain, odium generis humani, c'est-à-dire les ennemis de la civilisation romaine.

[22] Tacite et Pline furent décorés par lui de la préture. TACITE, Annales, XI, 11 ; PLINE, Lettres, III, 11 ; VII, 16.

[23] Quintilien l'appelle le censeur très saint (QUINTILIEN, Instit., IV, Præf.). Martial le loue d'avoir contraint la pudeur à rentrer dans les familles. (MARTIAL, Épigrammes, VI, 2-4, 7.)

[24] DION CASSIUS, LXVI, 26.

[25] J.-B. DE ROSSI, Inscr. christ., Urb. Rome, p. 2. On a divisé l'histoire des catacombes en quatre périodes. Pendant la première période, qui comprend les deux premiers siècles, les catacombes sont des tombeaux de famille, protégés par le droit privé et reconnus comme loca sacra, loca religiosa. Les propriétaires de ces tombeaux, ou plutôt de ces cimetières privés, parfois très vastes, et comprenant jardins et maisons, avec salles à manger pour les festins funéraires, pouvaient y recevoir les corps de leurs clients. Les chrétiens riches y admirent les corps des chrétiens pauvres, et on y célébra, au lieu de banquets funéraires, des réunions liturgiques Pendant le me siècle, l'Eglise, profitant de la loi romaine sur les associations, fonda des cimetières communs. Ce fut la seconde période. Pendant la troisième période qui va de Constantin à Alaric (313-410), on n'établit plus de cimetières qu'à la surface du sol ; les catacombes restèrent cependant toujours un lieu de pèlerinage et beaucoup de chrétiens tinrent à reposer après leur mort auprès des restes vénérés de leurs prédécesseurs. C'est la période des grandes inscriptions, dont beaucoup sont dues au pape Damase. Enfin, à partir de 410, les catacombes cessent d'être des lieux de sépulture, on n'y fait plus d'inscriptions sur les tombeaux, elles continuent néanmoins à être visitées pendant plusieurs siècles. C'est la quatrième période de leur histoire. Cf. MARUCCHI, Eléments d'archéologie chrétienne, t. I, p. 113- 117.

[26] MARUCCHI, Eléments d'archéologie chrétienne, t. I, p. 23.

[27] FOUARD, Saint Jean, p. 64. Mgr DUCHESNE constate que ce nom est extrêmement rare dans l'épigraphie chrétienne. Liber pontificalis, t. I, p. 121.

[28] EPIPHANE, Hær., XXVII, 6.

[29] Le Liber pontificalis semble dire qu'il commença à gouverner l'Eglise du vivant de saint Pierre ; quelques auteurs ont, en effet, pensé que saint Pierre, absorbé par les travaux de l'apostolat, se déchargea sur lui et sur Clet de l'administration de l'Eglise romaine. (RUFIN, Préface des Récognitions, P. G., I, col. 1207-1208.) Cette opinion est généralement rejetée.

[30] Liber pontificalis, édit. DUCHESNE, t. I, p. 121. J.-B. de Rossi n'ose pas affirmer que le sarcophage découvert au VIIe siècle dans le sous-sol, auprès de la confession de Saint-Pierre, soit le tombeau authentique de saint Lin. (Ibid., p. 121.) Le successeur de saint Pierre est probablement le personnage dont parle saint Paul. (II Timothée, IV, 21.)

[31] Voir dans DUCHESNE, Liber pontificalis, t. I, p. LXIX-LXX, les raisons qui portent à ne faire qu'un seul personnage de Clet et d'Anaclet. Cf. P. DE SMEDT, Dissertationes selectæ, VII, art. II.

[32] Liber pontificalis, t. I, p. LXIX-LXX.

[33] EUSÈBE, H. E., l. III, ch. XV.

[34] Lightfoot, par d'heureux rapprochements, a donné une grande vraisemblance à cette hypothèse. LIGHTFOOT, The Apostolic Fathers, t. I, p. 60-63.

[35] TILLEMONT, Mémoires sur les six premiers siècles, édit. de 1694, t. II, p. 149-166 ; 545-568 ; ROSSI, Bullet. di arch. crist., 1863, p. 27-39 ; 1865, p. 20 ; LIGHTFOOT, The Apostolic Fathers, t. I, p. 16-61 ; DUCHESNE, Hist. de l'Egl., t. I, p. 221.

[36] IRÉNÉE, Hœres., I. III, ch. III. Clément, dit Mgr Duchesne, était d'âge à avoir vu les apôtres et a conversé avec eux, comme le rapporte saint Irénée. Hist de l'Egl., t. I, p. 220-221. Origène l'identifie avec le personnage de même nom qui travailla avec saint Paul à l'évangélisation de Philippes. (ORIGÈNE, In Johann., I, 29.)

[37] EUSÈBE, H. E., l. VI, ch. XXIII.

[38] Inopia rapax, metu sævus. (SUÉTONE, Domitien, 3.)

[39] Dict. de la Bible, t. I, col. 354.

[40] DUCHESNE, op. cit., p. 329.

[41] Dict. de la Bible, t. I, col. 356. J. TOUZARD, dans Où en est l'histoire des religions, La religion d'Israël, § 7, n. 148-152.

[42] BEURLIER, le Culte impérial, Paris, 1891, p. 264-271.

[43] E. BRÉHIER, les Idées philosophiques et religieuses de Philon d'Alexandrie, Paris, 1908, p. 311-318. Cf. LOUIS, Philon le Juif, Paris, Blond, 1911. Le P. J. LEBRETON (les Théories du Logos au début de l'ère chrétienne, Etudes, t. CVI, 1906, et les Origines de la Trinité), a montré que la doctrine de Philon est fondamentalement une doctrine juive, altérée et déviée, non pas une doctrine empruntée aux païens, comme on l'a parfois prétendu. Le Logos, pour Philon, c'est le monde des idées du Dieu personnel selon Moïse. L'origine de cette conception se rattache à la littérature sapientielle de l'Ancien Testament. En Palestine, comme en Egypte, on méditait ces pages inspirées, notamment Baruch, III, 10-38 ; Job, XXVIII ; et plus encore Prov., I, 18 ; Eccli., XXIV, 5-47 ; Sap., VII, 10 ; X, 17. A considérer l'opération extérieure de cette Sagesse, on la trouve assez semblable soit au Logos stoïcien, soit à l'Hermès populaire d'Egypte, soit aux Ameshas Spentas de Perse, soit au Logos philonien. Mais au matérialisme panthéiste du Portique, aux fantaisies mythologiques de l'Egypte et de la Perse, produit indéfinissable de la spéculation alexandrine, l'Ecriture opposait la ferme notion de la Sagesse hypostatique, en qui Israël adorait le seul vrai Dieu. A quelle profondeur cette notion avait pénétré la conscience du peuple élu, les apocryphes contemporains en rendent témoignage, comme les livres de la Bible. A. D'ALÈS, Etudes, t. CXXXI, 1912, p. 90.

[44] E. BRÉHIER, les Idées philosophiques et religieuses de Philon d'Alexandrie, Paris, 1908, p. 311-318.

[45] EUSÈBE, H. E., l. II, ch. VI.

[46] Actes, VI, 9.

[47] MARQUARDT, Römische Staatsverwaltung, t. I, p. 333 et s.

[48] Première épître de Jean, I, 1.

[49] Seconde épître de Jean, X, 4.

[50] Jean, I.

[51] Jean, III, 19-20.

[52] Eusèbe semble confondre Philippe l'apôtre avec Philippe le diacre. Polycrate, évêque d'Ephèse dans la dernière partie du IIe siècle, qui avait tous les moyens d'être bien informé, dit positivement que le compagnon de saint Jean en Asie fut l'apôtre Philippe. Le fragment de Polycrate est dans EUSÈBE, H. E., l. III, ch. XXXI.

[53] Jean, IV, 7-10.

[54] EUSÈBE, H. E., l. III, ch. XXXI.

[55] Les arguments de ces savants sont contestés par le Maronite ASSEMANI, Bibl. orient., t. III, 1re partie, p. 16.

[56] Voir HÉFÉLÉ au mot Ignace d'Antioche, dans le Dict. de théologie de WETZER et WELTE. Cf. EUSÈBE, Chron., ad annum II Trajani.

[57] TERTULLIEN, De præscr., 32.

[58] EUSÈBE, H. E., l. V, ch. XX, n. 4-7.

[59] Ils ont été publiés par HARNACK, Patrum apostolicorum opera, Leipzig, 1892, et par FUNK, Patres apostolici, Tubingue, 1905. Les Exégèses de Papias existaient encore au XIIIe siècle. On en trouve mention dans un catalogue de la cathédrale de Nîmes remontant à cette époque.

[60] EUSÈBE, H. E., l. III, ch. XXXIV, n. 12. Aussi Eusèbe l'appelle-t-il un homme d'esprit médiocre. Ibid., n. 13.

[61] EUSÈBE, H. E., l. III, ch. XXXIX.

[62] EUSÈBE, H. E., l. III, ch. XXXI, n. 3.

[63] SUÉTONE, Domitien, 12.

[64] TACITE, Hist., IV, 50 ; Vie d'Agricola, 45 ; PLINE, Ep., I, 5 ; II, 11 ; JUVÉNAL, IV, 110-118.

[65] TACITE, Histoires, III, 65-75.

[66] DION CASSIUS, l. LXVII, ch. XIV. Cf. SUÉTONE, Domitien, 15. Cinquante ans après la mort de Clemens, saint Justin écrit que les païens donnent encore aux chrétiens le nom d'athées. (S. JUSTIN, I Apol., 6.) Le mot athée, dans la langue juridique de Roule, à partir du n. siècle, no signifie pas à proprement parler négation absolue de la Divinité, mais plutôt refus d'honorer les dieux de l'Empire, de participer au culte public. Ce sont là les seuls dieux que l'Etat reconnaisse, et non seulement il les reconnaît, mais il en incorpore le culte dans ses institutions politiques. Si les sacra privata et gentilitia n'intéressent que la famille ou la gens, les sacra publica sont étroitement liés à la prospérité de la cité. L'Etat peut forcer d'y participer. Telle est la loi de Rome. Cf. CICÉRON, De legibus, II, 8-10 ; TITE-LIVE, XXV, I.

[67] SUÉTONE, Domitien, 2.

[68] EUSÈBE, l. III, ch. XX, n. 1.

[69] TERTULLIEN, Præscr., 36.

[70] TILLEMONT, Mémoires, saint Jean l'Evangéliste, art. 5.

[71] Apocalypse, II, 9-10, 13 ; VI, 9-11 ; XI, 4.

[72] Acta S. Ignatii, éd. FUNK, t. II, p. 260.

[73] PLINE, Lettres, l. X, 97.

[74] Épître aux Colossiens, I, 11.

[75] S. IRÉNÉE, l. I., ch. XXVI, v. 3.

[76] Apocalypse, II, 24.

[77] Apocalypse, I, 10-18.

[78] Première épître aux Corinthiens, XIV, 26.

[79] Sur l'attribution de l'Apocalypse à saint Jean l'Evangéliste et aux derniers temps de Domitien, voir les mots Apocalypse dans le Dict. de la Bible (CORLUY), le Dict. de théologie (MANGENOT) et le Dict. apol. (LEMONNYER). Je professe cette hérésie, écrit Harnack, qui attribue l'Apocalypse et le quatrième Evangile à un même auteur. HARNACK, Chronologie, t. I, p. 675, note.

[80] Apocalypse, II, 4 et s.

[81] Apocalypse, III, 15-20.

[82] Apocalypse, III, 1.

[83] Apocalypse, III, 10.

[84] Apocalypse, II, 2, 9, 10.

[85] BOSSUET, l'Apocalypse, Préface, § 2 et 3, édit. Lachat, t. II, p. 300-313.

[86] BRASSAC, Manuel biblique, 13e édit., t. IV, p. 731-732.

[87] BRASSAC, Manuel biblique, t. IV, p. 733. On y rencontre aussi des indications importantes sur Dieu, la Trinité, les Anges, l'Eglise, etc. Voir ibid., IV, p. 733-735.

[88] Il est visible, par exemple, que le chiffre 7, qui se trouve partout, est symbolique. Après les sept Eglises, voici les sept sceaux, les sept trompettes, les sept signes, les sept coupes, les sept prédictions des Anges sur la grande Babylone, les sept caractères du triomphe final (CRAMPON, la Sainte Bible, t. VII, p. 434-435). Les mille ans de paix annoncée indiquent simplement une longue période de temps. Le chiffre 7 indique partout quelque chose à achevé, de complet, et le chiffre 666, qui est le signe de la bête, indique l'inachevé, l'imparfait, le mal, triplement, c'est-à-dire absolument caractérisé.

[89] Voir Dict. d'archéol. chrét., au mot Agneau. Cf. OLIER, Cérémonies de la grand'messe, l. VI, ch. II. L'office de la Toussaint est tout inspiré de l'Apocalypse.

[90] Première épître aux Corinthiens, I, 12.

[91] Clem., I ad Cor., I, 1. FUNK, Patres apostolici, Tubingue, 1901, p. 98. L'adresse ne porte que le nom de l'Eglise de Rome, mais nul critique ne met en doute que l'auteur en soit le pape Clément.

[92] Clem., I ad Cor., XIII, 1. FUNK, p. 116.

[93] Clem., I ad Cor., XX, 8-9. FUNK, p. 126.

[94] Clem., I ad Cor., XXXVII, 5. FUNK, p. 146.

[95] Clem., I ad Cor., XL, 5. FUNK, p. 150.

[96] Clem., I ad Cor., XLII, 2-5. FUNK, p. 152.

[97] Clem., I ad Cor., XXXVII, 2-3. FUNK, p. 146.

[98] Seconde épître aux Corinthiens, X, 3-6 ; Ephésiens, VI, 10-18 ; Philippiens, II, 24 ; I Timothée, I, 18 ; II Timothée, XI, 3.

[99] Clem., I Cor., LIV, 2. FUNK, p. 168.

[100] Clem., I Cor., XLVI, 7. FUNK, p. 158.

[101] Clem., I Cor., LIV, 2. FUNK, p. 168.

[102] Clem., I Cor., XLVI, 7. FUNK, p. 158.

[103] Clem., I Cor., LVI, 2. FUNK, p. 170.

[104] Clem., I Cor., LVII, 1-2. FUNK, p. 178.

[105] Clem., I Cor., XL, 2-4. FUNK, p. 150.

[106] Clem., I Cor., VII, 2. FUNK, p. 108.

[107] Clem., I Cor., LXIII, 2-4. FUNK, p. 182.

[108] Témoignage de Denys de Corinthe, dans EUSÈBE, H. E., I. IV, ch. XXIII.

[109] DUCHESNE, Eglises séparées, p. 126.

[110] Cf. ch. XIX, XXIII, XXIX, XXXV.

[111] Cf. ch. V, XXIV, XXV, XXVI, L.

[112] Cf. ch. II, VII, XII, XXXI, XXXII, XXXV, XLIX.

[113] Cf. ch. VII, VIII, XVI, XVII, XVIII, XXXII, XXXIII, XXXV.

[114] On connaît la formule : lex orandi, lex eredendi.

[115] Clem., I Cor., LIX-LXI, FUNK, p. 174-180. Cette lettre, d'abord très répandue et très vénérée dans l'antiquité chrétienne, parait avoir été négligée en Occident à partir du IVe siècle. Le moyen âge l'ignora complètement. On l'a retrouvée en partie au XVIIe siècle dans le célèbre Codex alexandrinus. Le métropolite Philothée Bryennios en a reconstitué en 1875 le texte intégral. La belle prière que nous venons de citer fait partie des fragments récemment découverts.

[116] Corrumpere et corrumpi seculum vocatur. TACITE, Mœurs des Germains, 19.

[117] Saint IRÉNÉE, Hœres., I, 26.

[118] Saint ÉPIPHANE, Hœres., XXVIII, 2-4, P. G., t. XLI, col. 380-381.

[119] S. IRÉNÉE, Hœres., l. III, ch. XI, n. 8, P. G., t. VII, col. 884-885. Sur Cérinthe, cf. ibid., l. I, ch. XXVI, n. 1, P. G., t. VII, col. 684 ; PSEUDO-TERTULLIEN, Præscr., 48, P. L., t. II, col. 67 ; Philosophoumena, l. VII, ch. V, n. 33.

[120] EUSÈBE, H. E., l. IV, ch. XIV, n. 6.

[121] Jean, I, 14 ; XIX, 34 ; Première épître de Jean, I, 1 ; IV, 3 ; Seconde épître de Jean, 7.

[122] Première épître de Jean, I, 1.

[123] Marc, XII, 35-37 ; Matthieu, XXII, 41-46 ; Luc, XX, 41-44.

[124] Épître aux Colossiens, I, 13-20 ; Hébreux, I, 9 et s. ; VII, 6 ; IX, 15 ; XII, 24. Cf. I Corinthiens, VIII, 6.

[125] Sur la comparaison du Logos de Philon avec celui de saint Jean, voir LEBRETON, les Origines du dogme de la Trinité, t. I, p, 515-523.

[126] Il suffit de consulter une Concordance aux mots lumière et vie, pour se rendre compte de la place que ces deux idées tiennent dans l'Evangile de saint Jean.

[127] BOSSUET, Elévations sur les mystères, VIIe élévation, édit. Lachat, t. VII, p. 207.

[128] Jean, ch. I-IV.

[129] Jean, ch. V-XII.

[130] Jean, ch. XII-XX. Le dernier chapitre, ajouté sans doute après coup, est rédigé dans des vues un peu différentes.

[131] FOUARD, Saint Jean, p. 242.

[132] LEPIN, au mot Evangiles, dans le Dict. apol. de la foi cathol., t. I, col. 1737.

[133] M. FOUARD, S. Jean, p. 233, admet comme vraisemblable que d'autres mains ont concouru, avec saint Jean, à la rédaction de ses souvenirs. Le P. CALMES, Comment se sont formés les Evangiles, 3e édit., p. 5-7, et l'Evangile selon saint Jean, Introduction, n'hésite pas à faire assez large la part des disciples de saint Jean dans la rédaction de son Evangile. Mais, en toute hypothèse, ces auteurs admettent que l'Evangile tout entier reproduit la pensée de l'apôtre. Même avec cette restriction, l'hypothèse admise par M. Fouard et le P. Calmes nous parait invraisemblable. La parfaite unité de plan et de style que l'on remarque dans le quatrième Evangile se concilierait difficilement avec le fait de la pluralité des collaborateurs ; e moins d'admettre que ceux-ci n'ont été que de simples scribes, des secrétaires passifs, uniquement préoccupés de rendre, avec un soin scrupuleux, les pensées et les formules de l'apôtre, ce qui serait alors revenir, au fond, à la thèse traditionnelle.

Sur l'histoire du Quatrième Evangile, voir E. LEVESQUE, Nos Quatre Évangiles, 1 vol. in-12°, Paris, 1917.

[134] Il est probable que l'apôtre avait commencé à composer son Evangile pendant son exil à Patmos ou même avant. Cet Evangile, d'ailleurs, était-il autre chose que la reproduction et la mise en ordre de sa prédication habituelle ?

[135] DÖLLINGER, le Christianisme et l'Eglise à l'époque de leur fondation, trad. Bayle, p. 177.

[136] EUSÈBE, H. E., l. III, ch. XXIV, n. 2. Sur l'Evangile de S. Jean, voir CORLUT, Com. in Ev. S. Joannis, 2e édit. 1880 ; KNABENBAUER, id. ; LEPIN, la Valeur historique du quatrième Evangile, Paris, 1910 ; NOUVELLE, l'Authenticité du quatrième Evangile, Paris, 1905.

[137] EUSÈBE, H. E., l. V, ch. X, n. 1.

[138] Première épître de Jean, III, 18.

[139] ZAHN, Acta Johannis, p. 256.

[140] LE CAMUS, Voyage aux pays bibliques, Paris, 1890, L III, p. 132 et s.