L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

 

La révolution

Chapitre XIII — La littérature et l’art.

 

 

Dans la littérature comme dans la politique, le VIe siècle fut une grande et vivace époque. Comme dans la politique il est vrai, on n’y rencontre guère dans les lettres, de génie du premier ordre. Nœvius, Ennius, Plaute, Caton, tous ces écrivains richement doués et alertes, d’une individualité fortement accentuée, ne sont point, je le concède, des créateurs, dans le sens élevé du mot : pourtant, quel élan, quel mouvement, quelle hardiesse dans tous leurs essais, drame, épopée, histoire ! On sent qu’ils ont le pied sur les champs de bataille de ces guerres de géants, les guerres puniques. Nombreuses sont les transplantations artificielles, nombreuses les fautes de la couleur et du dessin : les formes, la langue n’y sont ni pures ni habiles : l’élément grec, l’élément national s’y enchevêtrent à tort et à travers : toute l’oeuvre enfin trahit les routines de l’école : ni liberté d’allure, ni détails achevés. Qu’importe ! s’ils n’ont point la force qui porte au but suprême, tous ces poètes, tous ces écrivains ont le courage et l’espoir : ils osent lutter avec les Grecs.

Au VIIe siècle les choses ont bien changé. Les nuages du matin sont tombés. Les poètes ont entamé leur noble entreprise, ayant en eux, le sentiment des énergies populaires retrempées dans la guerre récente : à peine nés de la veille, ils n’ont ni vu les difficultés de l’œuvre commencée, ni mesuré la portée de leur talent; mais, du moins, ils ont marché avec l’ardeur et la passion! A cette heure, les voilà qui s’arrêtent : les vapeurs asphyxiantes des révolutions que charrie l’orage, remplissent les airs : et quand chez beaucoup les yeux s’ouvrent à l’incomparable magnificence de l’art et de la poésie des Grecs, ils constatent en même temps la condition modeste faite au génie artistique de leur peuple. La littérature du vie siècle était le produit du retentissement de l’art grec chez des esprits à demi cultivés, mais émus et sensibles. La culture hellénique plus relevée du vile siècle amène une réaction littéraire : comme le vent glacé de l’hiver, la réflexion dessèche dans le germe la fleur de l’imitation naïve, et détruit pêle-mêle les bonnes et les mauvaises herbes de la première récolte. Cette réaction se fait surtout et se prononce, dans le cercle de Scipion. Émilien, dans cette société qui réunit l’élite du beau monde de Rome ; où l’on rencontre entre autres le plus vieil ami et le conseiller du grand homme, Gaius Lælius (consul en 614 [140 av. J.-C.])[1], ses compagnons plus jeunes que lui Lucius Furius Philus (consul en 618 [-136])[2], et Spurius Mummius[3], le frère de Mummius qui mit Corinthe à sac ; où l’on voit accueillis enfin tous les littérateurs, qu’ils soient romains ou grecs, Térence le comique, Lucilius le satyrique, Polybe l’historien, et Panætius le philosophe. A tous ces hommes qui lisaient couramment l’Iliade, les pages de Xénophon. et celles de Ménandre, comment imposer encore l’Homère parlant romain, ou les pauvres traductions des drames d’Euripide, naguère servies au peuple par Ennius, et continuées par Pacuvius ? Je veux que par patriotisme on arrêtât le fouet de la critique, qu’on ménagea les Chroniques nationales, Lucilius n’en décochait pas moins ses flèches les plus acérées contre les tristes personnages et les expositions guindées de Pacuvius[4]. Le patriotisme n’arrêtait pas le reproche non moins sévère et nullement injuste d’ailleurs, que l’élégant auteur de la Rhétorique à Hérennius, vers la fin de la présente époque, leur adresse à tous, qu’ils se nomment Ennius, Pacuvius, ou Plaute[5], ces poètes ayant privilège pour se montrer illogiques et boursouflés. Les familiers de Scipion haussaient les épaules aux additions grossières jetées par la rude muse populaire sur l’élégant manteau comique de Philémon et de Diphile. Moitié riant, moitié enviant, on délaisserait aujourd’hui les essais mal dégrossis d’une époque lourde et confuse : les juges élégants les traitaient comme fait l’homme mûr les vers de sa jeunesse, et renonçant à acclimater l’arbre merveilleux dans le pays latin, ils abandonnaient les hautes voies de l’art dans la poésie et dans la prose : il leur suffisait de savoir goûter les chefs-d’œuvre de la muse étrangère. Aussi le siècle actuel n’est-il guère productif que dans les genres secondaires, dans la comédie légère, dans les Miscellanées poétiques, la brochure politique, et les sciences spéciales. Le dernier mot de la littérature, c’est la correction du style, avec ses artifices savants; c’est, par-dessus tout, la correction de la langue. Par là, de même que le cercle étroit des érudits se sépare de la foule, de même désormais la langue se bifurque : le latin classique des hautes classes tranche sur le latin vulgaire de l’homme du commun. Parler purement[6] voilà le mot d’ordre des prologues de Térence : redresser les fautes de langage, voilà l’une des missions principales de la satire de Lucilius[7] : par une coïncidence remarquable, c’est alors aussi que les Romains désertent la manie d’écrire en grec. Certes, tout cela constitue un progrès : les oeuvres littéraires, dans la période actuelle, sont complètes bien plus souvent, beaucoup plus achevées et plus satisfaisantes dans leur genre que celles qui les ont précédées ou les suivront; et sous le rapport du langage enfin, Cicéron affirme que le siècle de Scipion et de Lælius est l’âge d’or du latin écrit purement, et sans faux alliage. De même l’opinion publique commence à voir, non plus un métier, mais un art, dans la profession littéraire. Au début du siècle encore, les compositions dramatiques, sinon toutes les compositions poétiques, et leur lecture en public sont choses messéantes au noble Romain : Pacuvius et Térence vivent de leurs pièces : écrire des drames est faire oeuvre d’artisan, et l’auteur ne marche pas sur l’or. Au temps de Sylla, tout est changé. Les honoraires recueillis au théâtre attestent alors que l’auteur favori est bien venu à compter sur de beaux bénéfices : le haut prix payé efface la tache originelle. La poésie dramatique s’élève au rang d’art libéral ; et les hommes des plus nobles, des plus hautes classes, un Lucius Cœsar, par exemple (édile en 664, † 667 [90-97 av. J.-C.])[8], ne dédaignent pas de travailler pour le théâtre romain, et sont fiers de s’asseoir dans la confrérie des poètes[9] romains, à côté d’un Accius sans aïeux. Mais si l’art a gagné du côté de l’honneur et de l’intérêt qu’il inspire, l’élan n’est plus le même ni dans la vie, ni dans la littérature. L’audace et la sûreté de somnambule, qui fait que le poète est le poète, qui donne à Plaute entre autres sa verdeur et son allure, jamais plus vous ne la rencontrerez : les Epigones des lutteurs du temps d’Hannibal sont devenus gens corrects, mais éteints.

Examinons d’abord sur le théâtre la littérature dramatique des Romains. Dans la tragédie, nous voyons pour la première fois les hommes spéciaux se produire : les tragiques, à l’inverse de ce qui fut jadis, ne cultivent plus en même temps les poésies comique et épique. Que si dans les cercles lettrés où l’on écrit et l’on récite, le genre est manifestement tenu en plus grande estime, il y aurait erreur à croire que la poésie tragique soit en réel progrès. Dans la tragédie nationale (prœtexta), créée jadis par Nœvius, nous ne pourrions guère nommer que l’enfant attardé de l’époque Ennienne, ce Pacuvius, dont nous allons de suite et plus amplement parler. D’ailleurs, il y eut encore, ce semble, bon nombre de poètes arrangeurs de tragédies grecques. Parmi eux, deux seulement se firent un nom considérable.

Marcus Pacuvius, de Brundusium (535 - † vers 625 [219-129 av. J.-C.]), avait consacré sa jeunesse à la peinture : ce ne fut que devenu vieux qu’il demanda à la tragédie les moyens de vivre. Par son âge, et par la nature de ses oeuvres, il appartient au VIe plutôt qu’au VIIe siècle, encore bien que sa veine poétique n’ait rien produit qu’au cours de ce dernier. Il suivit en tout la manière d’Ennius, son compatriote, son oncle et son maître. Limant davantage son vers, ayant la visée plus haute que son prédécesseur, il fut, au jugement des critiques tout favorables qui vinrent plus tard, un modèle de poésie savante et de beau style : d’ailleurs les quelques fragments qui nous en restent justifient et les reproches que Cicéron lui adresse, quant à la langue, et ceux de Lucilius, sous le rapport du goût. Sa langue est plus raboteuse et inégale, sa poésie plus ampoulée, plus prétentieuse que celle d’Ennius[10]. Comme Ennius, il semble qu’il ait donné plus à la philosophie qu’à la religion : seulement, il ne l’a pas suivi dans ses préférences pour le, drame conçu selon les tendances néologiques, et prêchant la passion sensuelle ou les soi-disant nouvelles lumières : il puisa sans distinction chez Sophocle et chez Euripide ; mais de cette veine hardie d’Ennius, de ces aspirations d’un génie presque original, vous ne trouvez rien chez son jeune successeur. — Lucius Accius a laissé des imitations des tragiques grecs d’une lecture plus courante et plus facile que ne sont les vers de Pacuvius. Il était son contemporain, quoique moins âgé. Fils d’un affranchi de Pisaurum (588 - † vers 651 [166-103 av. J.-C.]), il fut, avec Pacuvius, le seul dramaturge tragique qui ait marqué au VIIe siècle. Écrivant aussi l’histoire littéraire, et cultivant l’art du grammairien, nul doute qu’il n’ait voulu substituer la pureté du langage et du style à l’ancienne manière, rude et crue, de la tragédie latine : néanmoins, son inégalité, son incorrection, lui méritèrent les graves reproches de Lucilius, et des hommes de la stricte règle[11].

Dans le genre comique, nous rencontrons à la fois et une production bien plus active, et des succès bien plus grands. Dès le commencement de la période, il s’était manifesté une sérieuse réaction contre la comédie courante et populaire, réaction qui eut Térence pour organe principal. Térence (558-595 [196-159 av. J.-C.]) est assurément l’une des plus intéressantes figures dans l’histoire des lettres romaines. Natif de l’Afrique phénicienne, amené tout jeune à Rome comme esclave, il s’initia aux élégances de la culture hellénique ; et tout d’abord, il sembla destiné à rendre à la comédie nouvelle athénienne son caractère cosmopolite, qui s’était quelque peu effacé dans les dures mains des Nœvius, des Plaute, et des autres arrangeurs à la solde du peuple romain. Par le choix même et l’emploi qu’il fait des modèles, on voit aussitôt à quelle distance il entend se placer de celui de ses prédécesseurs auquel seul il convient de le comparer. Plaute va prendre ses fables dans tout le bagage de la comédie nouvelle, sans dédaigner les poètes plus audacieux et plus populaires, comme Philémon. Térence s’en tient presque exclusivement à Ménandre, le plus orné, le plus élégant, le plus châtié de tous les poètes de l’école, obéissant à l’inévitable loi qui s’impose à tout faiseur de pièces latines, il continue d’ailleurs, à nouer ensemble dans le même drame l’intrigue de plusieurs drames grecs, il y met du moins une habileté, un soin dépassant tout ce qu’on a fait avant lui. Plaute, dans son dialogue, s’écartait fort souvent de ses modèles : Térence se vante de la fidélité textuelle de ses copies, sans qu’il faille pourtant croire qu’il ne s’agisse plus ici que d’une traduction littérale, dans le sens que nous attribuons â ces deux mots. Il rejette et bannit soigneusement le relief d’une couleur exclusivement romaine, et ces touches rudes parfois, mais toujours vives, que Plaute se complait à jeter sur son canevas grec : jamais une allusion qui: ramène le spectateur à Rome, jamais un proverbe. A peine rencontrerait-on chez lui une seule réminiscence[12] : ses titres de pièces, il les transcrit du latin en grec. Même différence dans le matériel de l’art. Tout d’abord les acteurs ont repris le masque de chaque rôle : la mise en scène est disposée avec un soin exact, et l’on n’assiste plus dans la rue, comme chez Plaute, à tous les incidents du drame, qu’ils. s’y passent ou se passent ailleurs. Plaute noue et dénoue tant bien que mal et sans autrement s’en soucier son intrigue, mais sa fable est plaisante, et porte coup souvent. Térence, bien moins vivant, tient toujours compte de la vraisemblance, dût l’intérêt languir : il se gendarme sans cesse contre les moyens grossiers, contre les expédients routiniers et plats dont usent ses prédécesseurs, contre les songes allégoriques, par exemple[13] !

Plaute dessine à grands traits ses caractères : ce n’est parfois qu’un croquis, enlevé à l’effet à distance, par l’ensemble et par les masses. Térence s’arrête au développement psychologique : sa peinture est une miniature soignée souvent excellente : c’est ainsi que dans les Adelphes, le citadin aimant à bien vivre fait excellemment contraste avec l’homme des champs usé, harassé, mal odorant[14]. Les tableaux de Plaute et sa langue sentent le tripot : ceux de Térence respirent la bonne et honnête bourgeoisie. Térence ne vous mène plus dans les cabarets licencieux : chez lui, plus de ces fables sans vergogne ; si aimables qu’elles soient, avec l’hôte obligé qui les abrite ; plus de ces traîneurs de sabres, et de cette valetaille, amusante d’ailleurs et facétieuse, qui n’a pour ciel que la voûte du cellier, engeance vouée au fouet ! Ou si parfois on les rencontre encore, quel changement s’est fait en eux ! Chez Plaute on est toujours en piètre compagnie, roués débutants, ou roués complets : chez Térence vous avez régulièrement affaire à d’honnêtes gens. Que si d’aventure le gîte du souteneur [leno] est mis au pillage, ou si quelque adolescent est conduit au lupanar, l’incident ne laisse pas que d’avoir son côté moral. Tantôt il a l’amour fraternel pour motif : tantôt on veut inspirer au jeune héros l’horreur des mauvais lieux. Dans le théâtre de Plaute, la taverne avec ses Philistins[15] fait opposition au toit domestique : les femmes sont attaquées, rabaissées à la grande joie des maris qui s’émancipent, ou ne sont rien moins que sûrs d’un aimable accueil à domicile. Non que la comédie de Térence nous montre une moralité plus grande chez les femmes, mais la nature féminine, et la vie conjugale y sont plus habilement saisies. La pièce finit d’ordinaire par un mariage honnête, ou même, s’il se peut, par deux mariages : ne disait-on pas à l’éloge de Ménandre, qu’il réparait la séduction par des noces ? Quant à vanter le célibat, comme Ménandre aussi le fait souvent, son copiste romain ne s’y laisse aller qu’avec une réserve de tous points caractéristique[16]. En revanche de quels traits élégants sont peints dans l’Eunuque, dans l’Andrienne, l’amoureux et ses peines, le tendre mari près du lit de l’accouchée, la sœur aimante près du lit de son frère qui se meurt. L’Hécyre [la Belle-Mère] finit par la survenue de la courtisane vertueuse apparaissant en ange sauveur ? Vraie figure telle que les créait Ménandre ! Le public de Rome il est vrai, la siffla, et eut raison ! Chez Plaute, le père n’est là que pour être bafoué par son fils qui le dupe : dans l’Heautontimôroumenos [le Bourreau de soi-même] de Térence, l’enfant prodigue revient au bien, la sagesse paternelle y aidant ; et comme notre poète est excellent pédagogue, il fait voir dans les Adelphes, la meilleure de ses pièces, quel est, entre l’oncle trop facile et le père trop rigoureux, le juste milieu à suivre pour l’éducation de enfants. Plaute écrit pour la foule : il a le mot railleur et impie à la bouche : il va aussi loin que le permet la censure dramatique. Térence, lui, veut plaire aux gens choisis, et comme Ménandre, ne blesser personne. Plaute se comptait dans le dialogue rapide, et fait souvent tapage : son acteur s’agite, et gesticule du bras et du corps : à Térence il suffit d’une calme conversation. La langue de Plaute fourmille de tournures burlesques, de jeux de mots, d’allitérations, de formes nouvelles comiques, d’un cliquetis, de paroles tout aristophanesques, de termes bizarres et moqueurs, empruntés à la Grèce. Térence ne connaît point ces capricieuses échappées : son dialogue marche d’un pas égal : il n’a pour assaisonnement que le torr de sa phrase aiguisée en sentence, en épigramme. On ne peut voir dans sa comédie la continuation de la comédie plautine, ni sous le rapport poétique, ni sous le rapport moral. D’originalité, il n’en saurait être question ni chez l’un, ni chez l’autre, mais moins encore chez Térence. Que si on lui accorde la louange douteuse d’avoir plus correctement copié, il faut dire aussi, et par voie de compensation, qu’à rendre l’humeur aimable de Ménandre, il n’a nullement saisi sa gaieté, tellement que les comédies de Plaute, imitées du même auteur, le Stichus, la Cassette, les deux Bacchis, ont mieux gardé le charme pénétrant de l’original, que ne l’a su faire le plus jeune émule du poète latin, ce demi Ménandre, comme on l’a appelé[17] ! De même qu’en passant de la rudesse de Plaute à la politesse sans relief des Esthétiques, Térence n’a pas fait faire un vrai progrès à la comédie latine, de même sa morale accommodante est inacceptable, bien qu’elle répudie les obscénités de Plaute et son indifférentisme. De progrès, il n’en existe que du côté, de la langue. L’élégant parler, voilà l’orgueil du poète à l’inimitable attrait de son style il a dû la palme qui lui fut décernée sur tous les poètes romains de l’ère républicaine par les plus fins connaisseurs des temps postérieurs, Cicéron, César, Quintilien. A ce point de vue, c’est avec juste raison que dans l’histoire littéraire de Rome, où l’on attachait moins de prix au développement de la poésie qu’à celui de la langue latine, le répertoire de Térence fait date nouvelle, et vient le premier parmi les pures et artistiques copies des chefs-d’oeuvre de la Grèce. D’ailleurs, la comédie moderne de Rome eut à se frayer sa voie de haute lutte. L’école de Plaute avait poussé ses racines dans la bourgeoisie; et Térence se heurta à la vive résistance d’un public, pour qui sa langue était plate et qui ne tolérait pas son style énervé. Notre poète trop sensible voulut répondre aux malveillants. Ses prologues, nullement destinés pourtant à une telle besogne, leur renvoient la critique ; et tout chargés d’arguments offensifs et défensifs, en appellent au beau monde, ait monde élégant, des condamnations de la foule, qui laissant là l’Hécyre en plein cours de représentation, s’en était allée par deux fois voir les pugilistes et les funambules. Térence enfin déclare qu’il ne vise qu’aux applaudissements des bons [bonis], ajoutant qu’il est malséant de ne pas donner d’estime aux œuvres d’art qui ont le don de plaire au petit nombre. Le bruit court-il que de nobles personnages lui prêtent conseil, et l’aident même de leurs mains, il ne s’en Biche pas trop, et même s’y prête de bonne grâce[18]. Quoi qu’il en soit, il perça : l’oligarchie dominant aussi clans la république des lettres, la comédie artificielle des exclusifs repoussa dans l’ombre la comédie populaire, tellement que, vers 620 [134 av. J.-C.], les pièces plautiniennes ont disparu du répertoire. Disparition d’autant plus remarquable, qu’après la mort précoce de Térence, nul talent distingué n’est venu occuper la scène ; et qu’à la fin de la période actuelle, on entendit tel bon juge, par exemple, parlant des œuvres de Turpilius[19] († 651 [-103], fort âgé) et autres poètes tout à fait ou à peu près oubliés, s’écrier que les comédies récentes étaient beaucoup plus mauvaises encore que la nouvelle mauvaise monnaie.

Nous avons dit ailleurs, comment au cours du VIe siècle, suivant toute vraisemblance, à côté de la comédie gréco-romaine (Palliata), la comédie nationale (Togata) avait aussi fait son apparition, retraçant l’image sinon de la vie même et des mœurs de la capitale, du moins du mouvement et de la vie usuels dans le pays latin. Naturellement, l’école de Térence ne négligea pas ce genre, en même temps qu’elle restait fidèle à sa mission d’acclimatation de la comédie grecque en Italie, soit qu’elle publiât des œuvres de simple traduction, soit qu’elle mit au jour des imitations purement romaines. L’auteur principal des Togatœ, fut Lucius Afranius (il florissait vers 660 [94 av. J.-C.]). Impossible de se faire une idée nette de son talent ; il ne nous reste de lui que de trop rares fragments[20] qui d’ailleurs ne semblent pas donner le démenti aux jugements des critiques. Il écrivit de nombreuses pièces, composées sur le plan des comédies grecques d’intrigue, mais en même temps, ainsi qu’il arrive d’ordinaire chez les imitateurs, plus simples et plus courtes que les originaux. Pour les détails il puisait où il lui plaisait, tantôt dans Ménandre et tantôt dans l’ancienne littérature nationale. Il n’a plus guère cette saveur et cet accent local, si remarquables encore dans Titinius, le créateur du genre[21] : rien de précisé, de caractéristique dans ses sujets : ils ne ressemblent plus qu’à un décalque des comédies grecques : le costume seul est changé. Comme Térence, Afranius se distingue par l’éclectisme élégant, par l’habileté de sa diction poétique : fréquemment il se permet l’allusion littéraire : en commun avec Térence, il vise à l’enseignement moral, et par là, son théâtre se rapproche du drame sérieux avec Térence encore, il observe fidèlement les lois de la police, et les règles de la langue. Enfin, preuve dernière de sa parenté avec Ménandre et Térence, citons le jugement de la postérité : Afranius, dit-on, aurait porté la toge comme l’eût fait Ménandre, si Ménandre avait été a italien[22]. Lui-même ne s’écrie-t-il pas quelque part, que Térence est au-dessus de tous les autres[23].

C’est aussi vers notre époque que la Farce prend définitivement rang parmi les genres littéraires. Elle était de toute ancienneté, d’ailleurs ; et longtemps avant Rome fondée, les jeunes gens du Latium, dans les jours de fête, s’amusaient aux improvisations de caractère dont le masque avait une fois pour toutes fixé les types. La scène de la farce avait été localisée plus tard dans la ville armée latine, dans la cité autrefois osque d’Atella[24], détruite au siècle des guerres d’Hannibal, et par suite abandonnée à la verve des poètes comiques, d’où ces sortes de pièces prirent le nom de Jeux osques [Ludi osci] ou a Atellanes[25]. Mais la farce n’avait à vrai dire rien de commun avec la littérature et le théâtre[26] : elle était exécutée par des amateurs où et comme ils l’entendaient : elle n’avait point de texte écrit ou publié. Voici cependant, que dans la période actuelle, on confie pour la première fois l’atellane à des comédiens de profession[27] : on en fait, à l’instar du drame satirique grec, la petite pièce après la tragédie ; et les auteurs dramatiques lui consacrent bientôt leur talent. Ce genre a-t-il progressé seul et de lui-même? N’a-t-il pas dû beaucoup au contraire, à la farce venue de la Basse-Italie, laquelle lui ressemblait par tant de traits communs[28] ? On ne saurait plus le dire aujourd’hui : mais ce qu’il y a de sûr, c’est que les fables atellanes constituaient, prises en soi, un travail original. Le fondateur du genre littéraire nouveau, appartient à la première moitié du VIIe siècle[29]. Lucius Pomponius, ainsi il s’appelait, était né dans la colonie latine de Bononia. Il eut pour rival, dans la faveur publique, un autre poète du nom de Novius. Autant qu’on en peut juger par les rares débris que nous possédons, et par les indications tirées des auteurs anciens, les atellanes étaient de courtes pièces en un acte, dont l’attrait tenait moins à l’intrigue, folle et à peine nouée, qu’à la vive et mordante peinture des classes et des situations sociales. Les fêtes, les actes publics lui servaient volontiers de thème : les Noces, le Premier Mars [Kalendæ Martiæ], Pappus [le Pantalon] candidat, [Pappus petitor] : tels sont ses titres : ailleurs elle s’en prend aux nationalités étrangères, aux Gaulois transalpins, aux Syriens : mais ce sont les métiers surtout qu’elle aime à faire parader sur les planches. Ici nous voyons défiler le gardien du temple [œditumus], le devin, l’augure, le médecin, le douanier, le peintre, le pêcheur, le boulanger [pistor] : elle est impitoyable pour les hérauts et les crieurs publics [prœco posterior] et plus encore pour les foulons, qui parmi les grotesques de Rome, paraissent avoir joué le rôle du tailleur [en Allemagne]. Non contente d’envelopper dans son cadre les multiples situations du monde des citadins, la fable atellane s’emparait aussi de la vie rurale, des joies et des maux du paysan. Et les titres de nombreuses pièces nous disent assez combien abondamment elle puisait à cette mine féconde : la vache, l’ânesse, la chèvre, la truie, le cochon, le cochon malade, le paysan, le laboureur, Pappus laboureur, le bouvier, les vendangeurs, le ramasseur de figues, les bûcherons, la sarcleuse, le poulailler, etc., etc. Toujours, dans toutes ces pièces, le valet stupide ou rusé [Maccus et Bucco], le vieux bonhomme [Pappus], le sage docteur [Dossennus], faisaient la joie du public : le premier surtout, le Pulcinella de la farce romaine, le Maccus glouton, sale et ventru, hideux, amoureux à toute heure, sachant retomber toujours sur ses deux pieds, bafoué par tous, par tous menacé du bâton, le bouc émissaire de tous à la fin de la pièce ! Il donne son nom à une multitude d’atellanes : Maccus soldat [Maccus miles], Maccus tavernier [Maccus topo], Maccus vierge [Maccus virgo], Maccus en exil [Maccus exul], les deux Maccus [Macci gemini]. Si peu que vous soyez en veine, vous vous représenterez facilement ce spectacle remuant et bariolé de la mascarade romaine ! Les libretti, du jour où on les coucha par écrit, tout au moins, s’accommodèrent tant bien que mal à la loi littéraire commune : ils adoptèrent la métrique du théâtre grec : mais en faisant cette concession, ils n’en demeurèrent pas moins fidèles à la loi de leur latinité exclusive et populaire : la comédie, dite nationale, venait loin derrière eux, sous ce rapport. L’atellane aborda aussi le monde grec, mais elle ne s’y montra guère que sous la forme de la tragédie travestie[30] : Novius, le premier, s’essaya dans ce genre, qui n’alla pas loin. Le même poète osa monter sinon jusqu’à l’Olympe, du moins jusqu’à la divinité restée voisine de l’homme : il écrivit son Hercule vendeur à l’encan (hercules auctionator). Que le ton régnant dans la farce ne fût pas des plus fins, chacun le comprend : mots à double entente par trop clairs, lazzis de paysans indécents et du plus gros sel, spectres à faire peur aux enfants, et les mangeant dans l’occasion, voilà ce qu’à chaque pas l’on y rencontre, avec l’assaisonnement obligé des allusions personnelles, même en y glissant les noms propres ! Quoi qu’il en soit, elles avaient la vie, la vérité du tableau : et de ce pêle-mêle de saillies grotesques, de pointes qui portaient coup, d’arlequinades et parfois aussi de fortes sentences, s’échappait un attrait réel ! L’atellane se fit sa place et sur le théâtre de la capitale, et aussi dans la littérature.

Quant au matériel du théâtre en général, nous ne sommes pas renseignés sur les détails : mais nous pouvons dire en toute certitude que le public y prenant un intérêt croissant, les spectacles y étaient tous les jours plus fréquents et plies magnifiques. Désormais, pas de fête populaire ordinaire ou extraordinaire sans ces jeux a dans les villes de l’intérieur, dans les maisons particulières même, les troupes d’acteurs â gage donnaient habituellement des représentations. Mais, tandis que mainte ville municipe avait déjà son théâtre de pierre, la capitale n’en possédait point. Un entrepreneur en soumissionna un jour la construction : mais sur la motion de Scipion Nasica, le Sénat intervint et arrêta tout (599 [155 av. J.-C.]). C’était chose bien conforme aux faux-semblants de la politique intérieure, que de défendre ainsi l’érection d’une scène permanente par pur respect pour les usages des anciens temps, alors que d’un autre côté les jeux scéniques prenaient irrésistiblement faveur, que chaque année il s’y dépensait des sommes incalculables, soit pour l’échafaudage d’un théâtre de bois, soit pour sa décoration. L’organisation scénique marcha du même pas dans la voie du progrès. L’amélioration de la mise en scène, la résurrection du masque, au temps de Térence, coïncident évidemment avec la prise en charge par le trésor des frais d’établissement et d’entretien de la scène et du matériel (580 [-174])[31]. Les jeux donnés par Mummius, après la prise de Corinthe, firent époque dans l’histoire du théâtre romain (609 [-145]). Ce fut alors sans doute que, pour la première fois, s’ouvrit une scène construite selon les lois de l’acoustique grecque, pourvue de sièges pour les spectateurs, et qu’il fut donné une attention toute spéciale à l’ensemble des jeux[32]. C’est alors qu’on entendra souvent parler d’un prix donné à l’auteur victorieux; partant, d’un concours entre les pièces présentées, de la faveur du public qui prend parti pour tel ou tel principal acteur, des coteries, et enfin de la claque ! Les décors, les engins du machiniste progressent : les coulisses artistement peintes et le tonnerre de théâtre datent de l’édilité de Gaius Claudius Pulcher (655 [99 av. J.-C.])[33]. Vingt ans plus tard (675 [-79]), les frères Lucius et Marcus Lucullus étant édiles, les changements à vue s’exécutent au moyen de coulisses à pivot. A la fin de la période, florissait le plus grand des artistes dramatiques de Rome, l’affranchi Quintus Roscius († en 692 [-62], chargé de jours), l’ornement et l’orgueil du théâtre pendant plusieurs générations[34], l’ami et le convive fréquent de Sylla nous aurons encore à parler de lui.

L’épopée, au VIe siècle, avait certainement occupé le premier rang dans la littérature écrite : au VIIe siècle, sa nullité a de quoi surprendre. Non qu’elle n’ait encore ses représentants nombreux. Mais elle n’en compte pas un qui puisse se vanter d’un succès même éphémère. Dans l’époque présente, nous ne trouvons que quelques radés essais de traductions homériques, quelques continuations des Annales Enniennes, la Guerre d’Istrie d’un Hostius[35], les Annales (de la Guerre gauloise peut-être ?) d’un Aulus Furius (vers 650 [104 av. J.-C.]), reprenant suivant toute apparence le récit des faits, à la date où Ennius s’est arrêté au cours de l’expédition d’Istrie de 576 et 577 [-178/-177].

Il en est de même dans la poésie didactique et dans l’élégie : nul nom qui sorte et soit célèbre. Les seuls succès que la poésie récitative enregistre, appartiennent à la satura, à ce genre libre, comportant toutes les formes et tous les sujets comme l’épure et la brochure, n’observant ni règles critiques, ni lois spéciales, se caractérisant suivant l’individualité de chaque poète, à cheval sur la limite de la poésie et de la prose, et plus qu’à moitié en dehors du vrai domaine de la littérature. Un des jeunes familiers du cercle de Scipion, Spurius Mummius[36], le frère du destructeur de Corinthe avait envoyé, à ses amis, du camp sous Corinthe précisément, une suite de lettres poétiques et humoristiques, qui se faisaient lire encore au bout d’un siècle. Il se peut que de nombreux et semblables badinages en vers, non destinés d’ailleurs à la publicité, aient de même circulé au milieu de cette société aimable, intelligente et choisie de Rome. Quoi qu’il en soit, elle a eu son coryphée littéraire dans la personne de Gaius Lucilius (606-651 [148-103 av. J.-C.]). Issu d’une famille considérable de la colonie latine de Suessa, vivant, lui aussi, dans l’intimité des Scipions, il écrivit des poésies, véritables lettres familières, tout ouvertes pour le public, et dont le contenu, selon l’expression ingénieuse d’un juge sagace postérieur, nous déroule la vie entière d’un honnête homme, cultivé, indépendant Commodément assis aux meilleures places du théâtre politique, et par occasion visitant les coulisses, il assiste aux événements ; il passe son temps avec ses meilleure, plutôt qu’avec ses égaux ; prend part en curieux au mouvement de la littérature et de la science, sans trop prétendre lui-même au titre de poète ou de savant : tout ce qu’il rencontre de bon et de mauvais, choses consommées ou choses attendues dans la politique, remarques grammaticales et jugements portés, visites, dîners, voyages, anecdotes recueillies, petits et grands événements de la vie, tout enfin, il consigne tout sur ses tablettes de poche ! Caustique, plein de caprice et d’individualité, il avive ses vers d’une couleur d’opposition tranchée : par suite, en littérature, en morale et en politique, il accuse des tendances fortement dogmatiques : il a comme un levain de révolte, révolte de la province contre la capitale : il a par-dessus tout conscience du bien parler, de l’honnête savoir vivre du simple bourgeois de Suessa : il le pose fièrement au milieu de la confusion des langues et des mœurs de la Babel latine. En lui, pour la mission littéraire qu’elle s’est donnée, la société des Scipions a trouvé son parfait et plus spirituel organe.

Lucilius consacra son premier écrit au fondateur de la philologie romaine ; à Lucius Stilo, et il se choisit pour public, non les cercles cultivés qui parlent le pur et classique langage, mais bien les Tarentins, les Bruttiens, les Siciliens, c’est-à-dire, ces demi grecs d’Italie, dont le latin réclamait les corrections du maître[37]. Il est dans son oeuvre des livres entiers, où il ne traite que de l’orthographe, de la prosodie dont il fixe les règles, luttant corps à corps contre les idiotismes provinciaux, prénestins, sabins, étrusques, et mettant au rebut les solécismes usuels. D’ailleurs, n’oubliant jamais de se moquer aussi du pédantisme plat et pédant de l’école isocratique, du purisme étroit du mot et de la phrase[38]. Il osera même, enjoué et sérieux tout à la fois, reprocher à Scipion la recherche précieuse de son langage[39]. Mais notre poète ne prêche pas seulement le beau parler correct, il vante aussi Ies bonnes mœurs dans la vie publique et dans la vie privée. Sa situation lui donnait toutes facilités pour cet enseignement. Étant l’égal des nobles romains, ses contemporains, parla naissance, la fortune et l’éducation ; propriétaire d’une belle maison dans Rome, il n’était cependant pas citoyen romain; il n’avait que le droit latin ; et son intimité avec Scipion, que dans son adolescence il avait accompagné devant Numance, chez qui on le voyait à tonte heure, son intimité, dis-je, tenait peut-être à l’origine aux relations multiples de ce même Scipion avec les Latins, à ce patronat latin qu’il avait accepté au cours des graves discordes politiques de ces temps. Les carrières publiques étaient donc fermées à notre poète : il n’avait que dédain pour les spéculations des capitalistes : il ne voulut pas, c’est lui qui le dit, cesser d’être Lucilius pour devenir publicain en Asie ! Il traversa ainsi les jours tumultueux de la réforme des Gracques, et les temps précurseurs de la guerre sociale, visitant les grands de Rome, dans leurs palais et leurs villas, sans être le client d’aucun ; porté dans le plein courant des coteries et des factions en lutte, sans prendre directement parti pour l’une ou pour l’autre ; semblable à Béranger, qu’il me rappelle souvent, comme poète et comme homme politique. Debout sur le terrain de son indépendance, il parla haut le langage du bon sens, toujours sain, toujours imperturbable, s’en prenant aux habitudes mauvaises de la vie publique à Rome ; et lançant à profusion les traits d’une verve intarissable et les saillies d’un esprit toujours en ébullition.

Aujourd’hui, du matin au soir, fête ou non fête, vous voyez tout le long du jour peuple et sénateurs se précipiter tous dans le Forum, et ne pas quitter la place. Ils n’ont qu’une chose à cœur, et ne travaillent qu’à une chose : donner de belles paroles à duper les gens, combattre à coups de ruse, flatter à qui mieux mieux, singer l’honnête homme, et se tendre des trappes, ni plus ni moins que s’ils étaient en guerre, tous contre tous !

Et les commentaires de suivre sur ce texte inépuisable, moqueurs et sans pitié pour personne, pas même pour les amis du poète ou pour le poète : les maux du temps, les coteries, la guerre d’Espagne qui engloutit sans fin les levées de la milice, que sais-je encore ? tout y passe, et dès le début de ses satires, il nous fait entrer dans le Sénat des Dieux en grand délibéré sur la question que voici : Rome mérite-t-elle encore la protection des Immortels ? Il nomme par leurs noms corporations, corps d’état, individus : la poésie politique et sa polémique, exclues du théâtre romain, vivent et respirent dans son œuvre, comme en leur vrai élément ; et jusque dans les trop rares débris qui nous restent, nous retrouvons le charme et la puissance d’une inspiration ardente et riche : nous voyons le poète encore s’élançant l’épée levée [ense velut stricto] sur l’ennemi, qu’il transperce. Aussi quel ascendant moral, quel sentiment noble et fier chez ce Latin venu de Suessa ? Et quand plus tard, au siècle alexandrin de la poésie romaine, le poète aimable de Vénousie voudra reprendre et continuer l’œuvre de la satire Lucilienne, il faudra bien que justement modeste, en dépit de sa forme et de son art plus fins, il rende les armes au vieux poète son meilleur !

La langue de Lucilius est celle d’un homme ayant reçu à fond la culture gréco-latine: tout d’une venue et d’abandon, il est trop pressé de dire pour châtier son vers : il improvisera jusqu’à deux cents hexamètres avant la table mise et deux cents encore après la table desservie. Aussi rencontrerez-vous chez lui d’inutiles longueurs, les mêmes tours se répétant de façon bavarde, les négligences les plus fâcheuses : le premier mot qui lui vient, grec ou latin, lui est le meilleur. De même il en agit avec le rythme, avec l’hexamètre, son langage habituel ; défaites les mots, dit son ingénieux imitateur, et bien fin qui verra qu’il n’a pas araire à de la simple prose : ses vers ne sont pas autre chose que notre prose rimée[40]. La poésie de Térence et celle de Lucilius se placent exactement au même niveau, tenant compte d’ailleurs de ce que peuvent être l’une à l’autre l’œuvre littéraire soigneusement travaillée, affinée à la lime, et la simple épître écrite au courant de la main. Mais le chevalier de Suessa avait sur l’esclave africain l’avantage d’une inspiration incomparablement plus haute, et d’un génie observateur plus libre : de là sa fortune littéraire éclatante et rapide. Pendant que Térence n’avait que de pénibles et douteux succès, à Lucilius il fut donné d’être le favori de la nation ; et il put dire de ses vers, à peu près comme Béranger, qu’ils seraient lus, seuls entre tous, par le peuple ! L’incroyable popularité des poésies Luciliennes est en effet un événement remarquable, historiquement parlant. Il ressort de là que la littérature est devenue une puissance ; et nous en rencontrerions souvent les manifestations, si nous avions par le détail les annales de ce siècle. La postérité vint, qui confirma le jugement des contemporains : parmi les critiques de Rome, les anti-alexandrins placèrent toujours Lucilius, au premier rang parmi les poètes latins. En ce qui touche la satire et la formé qui lui est propre, on peut dire qu’il l’a vraiment créée ; et il a créé avec elle l’unique genre que les Romains puissent revendiquer comme leur appartenant, et qu’ils aient légué aux siècles postérieurs[41].

Quant à la poésie se rattachant à l’alexandrinisme, rien à Rome qui vaille la peine d’être nommé, au VIIe siècle, sauf pourtant quelques petites épigrammes traduites des Gréco-Égyptiens, quelques imitations dont on ne devrait rien dire pour elles-mêmes, si ce n’est qu’elles font pressentir le siècle de la jeune littérature. En dehors du petit nombre de poètes peu connus, et dont l’âge même ne se peut avec sûreté préciser, citons seulement Quintus Catulus (consul en 652 [102 av. J.-C.])[42], et Lucius Manlius, sénateur considérable, qui écrivait vers 657 [-97]. Celui-ci, le premier, aurait mis en circulation parmi les lecteurs beaucoup de ces contes bavards et voyageurs tant aimés des Grecs, la légende de Latone et de Délos, par exemple, la fable d’Europe, celle du Phénix, l’oiseau merveilleux. C’est à lui encore qu’il aurait été réservé, au cours de ses voyages, de découvrir à Dodone et de décrire le Trépied fameux, où se lisait l’oracle que le dieu donna aux Pélasges avant leur migration vers la terre des Sicèles et des Aborigènes : trouvaille admirable, aussitôt et religieusement enregistrée sur les livres des Annales romaines !

L’histoire, dans ce siècle, ne met guère en avant qu’un nom d’écrivain, lequel en outre, n’appartient au mouvement italien ni par sa naissance, ni par les tendances de son esprit, ni par son génie littéraire. Le premier pourtant, il a su transporter la grande et universelle figure de Rome dans le monde des lettres ; et c’est à lui que les races venues plus tard, et nous-mêmes, nous sommes redevables des meilleurs documents qui nous aient été laissés sur la marche de la civilisation romaine. Polybe (vers 546 - † vers 627 [208-127 av. J.-C.]) naquit à Mégalopolis du Péloponnèse : il était fils de l’homme d’État achéen Lycortas. En 565 [-189], il aurait suivi les Romains dans l’expédition contre les Celtes d’Asie-Mineure ; et pendant la troisième guerre de Macédoine, il aurait, dans de nombreuses missions militaires ou diplomatiques, fructueusement servi ses compatriotes. Après la crise que la Grèce traversa au lendemain de la guerre, il fut emmené en Italie avec les autres otages d’Achaïe. Il y vécut sept ans interné (587-604 [-167/-150]), mais admis en même temps, grâce aux fils de Paul-Émile, dans les cercles de la haute société romaine. Lors du renvoi des otages, il retourna dans sa patrie, où il devint le médiateur habituel entre sa confédération et Rome. Il assista à la destruction de Carthage et à celle de Corinthe. Les vicissitudes de sa fortune lui avaient montré, mieux qu’aux Romains eux-mêmes, la grandeur historique de leur capitale. Placé comme il l’était, homme d’État grec, captif transporté en Italie, hautement estimé, envié même, dans l’occasion, pour sa culture hellénique, aussi bien par Scipion Émilien, que par les premiers citoyens de Rome, il vit se réunir en un seul lit unique les fleuves qui si longtemps avaient coulé séparés : les États méditerranéens et leur histoire allaient se fondre dans l’hégémonie de l’empire romain et de la civilisation grecque. Il est le premier Hellène de marque, qui soit entré avec une conviction sérieuse dans le cercle des Scipions et dans leurs visées embrassant le monde ; qui ait eu la vue claire de la supériorité de l’hellénisme dans l’ordre moral, de la supériorité de Rome dans l’ordre politique. Les faits avaient jugé en dernier ressort : des deux côtés il était juste ou nécessaire de se soumettre à la sentence. Soit qu’il agit, homme d’État, soit qu’il écrivit, historien, Polybe resta dans la ligne tracée. Que si dans sa jeunesse, il avait sacrifié au sentiment honorable mais impuissant du patriotisme Achéen local, arrivé à l’âge mûr, il se fit dans son pays, avec l’intelligence de la nécessité inéluctable, le représentant de la politique étroitement attachée à la suzeraineté de Rome. Politique bien pensante, et voyant de haut (qui peut en douter ?), mais où la fierté nationale et la magnanimité du cœur n’ont plus rien à voir. Polybe ne sut pas non plus, de sa personne, se dégager pleinement des vanités et des petitesses de l’homme d’État contemporain. A peine est-il relevé de sa captivité, qu’il demande au Sénat la restitution en bonne forme et par écrit de tous les litages dans leurs rangs et honneurs au sein de leurs villes natales ; à quoi Caton répondit fort bien, qu’il lui semblait voir Ulysse rentrant dans l’antre de Polyphème, pour y redemander sa ceinture et son chapeau. Je concède que Polybe mit souvent au service de ses compatriotes le crédit dont il jouissait auprès des grands de Rome : mais se courber, comme il le fit, sous leur protection, et s’en faire gloire, ce n’en est pas moins faire concurrence à la servilité du chambellan : telle sa souplesse habile dans les actes de la vie, tel son génie littéraire. L’histoire de la réunion des États méditerranéens sous l’empire de Rome, voilà la tâche de sa vie d’écrivain ! Son livre embrasse les fortunes diverses de tous les États alors civilisés, Grèce, Macédoine, Asie-Mineure, Syrie, Égypte, Carthage, Italie, depuis la première guerre punique jusqu’à la chute de Carthage et de Corinthe : il raconté jusque dans ses causes leur absorption successive dans l’orbite italien, croyant, pour son compte, avoir touché le but lorsqu’il a montré Rome marchant méthodiquement et rationnellement à l’empire universel. Conception, exécution, tout dans cette œuvre savante diffère de l’historiographie contemporaine des Grecs et des Romains. L’auteur s’écarte à dessein et hardiment des voies battues. A Rome, on en est encore à la simple chronique : non qu’il n’y ait là force matériaux sérieux pour l’histoire; mais à l’exception de Caton peut-être, dont les travaux estimables et tout individuels ne dépassent pas la première étape de l’investigation et de l’exposition critiques, ce qui s’appelle l’histoire en est encore aux contes de nourrices, ou à de sèches notices enfilées les unes au bout des autres. Pour ce qui est des Grecs, ils écrivaient l’histoire, ils l’avaient écrite surtout : malheureusement sous le régime dissolvant des Diadoques, les notions d’État, de nationalité, s’étaient oblitérées complètement ; et parmi les innombrables metteurs en oeuvre du jour, il n’en était pas un seul qui marchât sur la trace des maîtres athéniens, ayant comme eux l’inspiration, comme eux la divination du vrai, et s’emparant des matériaux contemporains au profit de l’histoire universelle pour laquelle ils étaient faits. Leur genre n’était que le précis des événements purement externes : ailleurs, à leur récit se mêlaient la phrase et le mensonge débités par l’école des rhéteurs de l’Attique : trivialité, platitude, bassesse de langue, amertume, tous les vices du siècle y déposaient leur lie. Ni chez les Romains ni chez les Grecs, rien qui ressemblât à l’histoire des cités et des races. Vint Polybe, le Péloponnésien : le premier, on l’a dit avec justesse, se tenant aussi loin des Attiques, par la pensée tout au moins, que des Romains, il franchit hardiment ces importunes barrières ; il appliqua le sens plus mûr de la critique grecque aux matériaux que Rome lui fournissait ; il légua à la postérité, non pas sans doute une œuvre d’histoire universelle, mais une œuvre vaste, planant au-dessus des cités locales, et envisageant l’État romano-grec dans son essor et dans son avenir. Jamais peut-être il ne s’est rencontré d’historien réunissant aussi complètement en lui les qualités précieuses de l’écrivain qui puise à même les sources. Il embrasse nettement et à toute heure l’ensemble de son plan. Jamais sa vue ne dévie et ne cesse de suivre le mouvement des faits dans leur vrai progrès. Légendes, anecdotes, notices confuses et inutiles des chroniques, tout cela, il le rejette : mais il décrit les pays et les peuples, il expose leur système politique ou mercantile et il remet à leur place trop longtemps négligée tous les faits multiples et importants que les annalistes ont laissés au rebut, faute de savoir à quel clou, à quelle date précisé les suspendre. Chez Polybe quelle circonspection, quelle persévérance dans l’emploi des matériaux ! Jamais ancienne l’emporta ici sur lui : on le voit collationnant les titres publics, étudiant à fond la littérature des diverses nations, tirant étonnamment parti de sa situation personnelle pour apprendre les faits de quiconque y a mis la main ou en fut le témoin oculaire, parcourant enfin, et méthodiquement, toute la région méditerranéenne, et une partie des côtes de l’Océan atlantique[43]. L’amour de la vérité lui est une seconde nature : en toute chose d’importance, il ne prend parti ni pour ni contre tel ou tel état, tel ou tel homme : il ne veut rien voir que les événements, leur enchaînement intime : montrer les rapports des causes et des effets, voilà, à son sens, la première, l’unique mission de l’historien. Son récit qui n’oublie rien est un modèle de simplicité, de clarté. Et pourtant avec tant de qualités précieuses, Polybe n’atteint pas le premier rang. Comme il conçoit son œuvre du côté pratique, il la conçoit de même, littérairement, avec une remarquable intelligence, mais avec l’intelligence toute seule. L’histoire est le combat de l’absolu et de la liberté, problème moral, s’il en fut jamais ! Polybe la traite en problème de mécanique. Il n’a d’yeux que pour l’ensemble, dans la nature et dans la cité les événements particuliers, les individus, si merveilleux qu’ils se montrent, ne sont rien pour lui que des moments, que des rouages perdus dans l’immense et artificielle machine qu’on nomme l’État. A cet égard il fut mieux doué qu’aucun autre pour retracer les destinées d’un peuple qui, comme celui de Rome, résolvait le problème unique d’une grandeur inouïe au dedans et au dehors, sans produire jamais un seul grand génie politique, dans le sens élevé du mot ; de ce peuple que nous avons vu construisant sur de simples et solides bases, avec une rigueur imperturbable et presque mathématique, l’édifice de ses succès ! Mais dans toute histoire nationale passe le souffle de la liberté morale : ce souffle, Polybe ne l’a-t-il pas, à son dommage, méconnu ? Toutes les questions où s’agitent le droit, l’honneur, la religion, il ne les voit que superficiellement, il les voit foncièrement mal. Convient-il de, remonter à la genèse des choses ? Il lui substitue des explications purement mécaniques ; c’est à désespérer l’homme sérieux qui le lit. Est-il méthode politique plus absurde que d’aller faire sortir l’excellente constitution de Rome d’un habile mélange des éléments monarchique, aristocratique et démocratique ; que de faire sortir les succès de Rome de l’excellence de sa constitution ? Sur les rapports généraux des choses, rien qu’un positivisme effrayant à force de sécheresse et de froideur : sur la religion, rien que l’infatuation irritante et que les dédains d’une fausse philosophie ? Le style et le récit contrastent à dessein avec la manière habituelle des Grecs et leur prétention au beau langage : tout exact et précis qu’il est, Polybe est en même temps sans force et incolore, il s’égare plus souvent que de raison dans les digressions polémiques, ou dans les détails complaisants de sa vie personnelle ; il tourne alors aux simples mémoires, à tort presque toujours, dans son propre intérêt. On sent d’ailleurs dans tout son livre comme un courant d’opposition. Écrivant surtout pour les Romains, et n’ayant parmi eux qu’un cercle étroit d’auditeurs qui le pussent comprendre, il se sentait étranger dans Rome, quoi qu’il pût faire : pour ses compatriotes il restait un apostat : avec sa vaste intelligence des choses il voulait appartenir à l’avenir, plutôt qu’au présent. De là cette teinte de morosité, de là cet accent amer dans sa polémique contre les historiens grecs, fugitifs comme lui ou vendus, et contre les historiens sans critique de Rome : il leur cherche mesquinement querelle, et délaissant alors la gravité du genre, il prend le ton du journaliste. Écrivain sans charme, au résumé : mais si la vérité, si la sincérité valent plus que l’ornement et l’art, convenons qu’il n’est point d’auteur ancien à qui nous devions un enseignement plus solide. Son livre me rappelle les soleils de nos pays [du Nord] : au début, les nuages s’élèvent et disparaissent à l’horizon des guerres du Samnium et de Pyrrhus : à la fin, le crépuscule redescend, plus triste, s’il se peut, que la veille.

A côté de cet effort grandiose, et de cette large conception de l’histoire de Rome, quel contraste nous offre la littérature indigène contemporaine ! Au début de la période actuelle, nous rencontrons encore plusieurs chroniques en langue grecque, celle d’Aulus Postumius (consul en 603 [151 av. J.-C.]), dont nous avons dit un mot déjà, toute viciée par l’esprit de convention ; celle de Gaius Acilius (mort très âgé vers 612 [-142])[44]. Mais bientôt, soit entraînement du patriotisme catonien, soit imitation des manières élégantes du beau monde des Scipions, la langue latine prit le dessus complètement : c’est à peine si parmi les écrits historiques nouveaux) il s’en présente un ou deux rédigés en grec[45]. Les chroniqueurs hellénistes de l’ancien temps sont traduits en latin, et très probablement circulent de préférence sous cette forme récente. Malheureusement, si nous laissons de côté cette question de l’emploi de l’idiome national, nous n’avons rien à louer chez les chroniqueurs latins. Ils sont nombreux pourtant, et chargés de détails : citons Lucius Cassius Hemina (vers 608 [-146]), Lucius Calpurnius Pison (consul en 621 [-133]), Gaius Sempronius Tuditanus (consul en 625 [-129]), Gaius Fannius (consul en 632 [-122])[46]. Ajoutons à ces travaux la rédaction des annales officielles de la ville, dressées en quatre-vingts livres, par les soins du grand pontife Publius Mucius Scævola, consul en 624 [130 av. J.-C.], et non moins fameux par sa science juridique[47]. Par cette publication qui fait époque, Scævola achève, et ferme les grandes annales de Rome : après, lui, s’arrêtent les notices sacerdotales, ou, du moins, alors que les chroniques particulières vont partout se multipliant, le livre pontifical a perdu désormais son importance littéraire. Mais toutes ces annales, qu’elles s’annonçassent comme officielles ou privées, n’étaient autre chose que de pures compilations, grossies de tous les matériaux contemporains, historiques ou quasi-historiques : exactes et sincères autant que faire se pouvait, elles allaient d’autant moins puiser aux sources, et de la forme elles n’avaient souci. Quoi qu’il en soit, comme, jusque dans la chronique, la poésie touche à la vérité, il y aurait injustice grande à imputer à crime à Nævius ou à Fabius Pictor d’avoir suivi la même route qu’Hécatée, ou que Saxon le Grammairien[48]. Mais ce fut aussi mettre à rude épreuve la patience du lecteur, que de vouloir plus tard bâtir des châteaux avec ces nuages en l’air. Il n’y eut point de si profonde lacune dans la tradition qu’on ne tentât de la combler follement et en se jouant sous de plats mensonges, galamment raffinés et polis. Les chroniqueurs enfilent sans scrupule les éclipses du soleil, les chiffres du cens, les tableaux généalogiques, les triomphes, remontant de l’année courante à l’an 1 de Rome [754 av. J.-C.] : ils vous donnent à lire l’an, le mois et le jour de l’apothéose de Romulus : ils vous racontent que le roi Servius Tullius a triomphé sur les Étrusques, une première fois, le 25 novembre 183 [571 av. J.-C.], une seconde fois le 25 mai 187 [-567]. Ils vous disent ailleurs, en cela d’accord avec eux-mêmes, qu’on montrait aux bonnes gens, dans l’arsenal romain, l’embarcation sur laquelle Enée était venu d’Ilion dans le Latium. La Truie même qui l’avait guidé, ils vous l’auraient fait voir conservée dans la saumure, dans le temple de Vesta ! Tous ces bons chroniqueurs, à leur talent de mentir veulent joindre l’exactitude fastidieuse des archivistes : mais, comme ils rejettent bien loin les vrais éléments de la poésie et de l’histoire, ils n’ont plus sous la main que les énormes platitudes dont ils chargent leur canevas. Nous lisons dans Pison, par exemple, que Romulus s’abstenait de boire lorsqu’il devait y avoir conseil le lendemain ; qu’en livrant la citadelle de Rome aux Sabins, Tarpéia obéissait à l’amour de la patrie, et qu’elle voulait dérober à l’ennemi ses boucliers[49]. Comment s’étonner, après cela, du jugement sévère des contemporains à l’endroit de pareilles œuvres ? Ce n’est pas là l’histoire, se sont-ils écriés, ce n’est que contes d’enfants ! Que j’aime bien mieux d’autres et rares écrits du même siècle, suries événements de la veille et sur ceux du jour, l’Histoire des guerres d’Hannibal, par Lucius Cœlius Antipater (vers 633 [-121])[50], et l’Histoire de mon temps, par Publius Sempronius Asellio[51], un peu plus jeune que ce dernier ! Ici du moins se rencontraient avec des documents précieux, le sens exact de la vérité : chez Antipater même le récit n’était point sans énergie, quoique sentant son terroir. Mais, à en croire les jugements des critiques, et aussi les fragments qui nous restent, nul de ces livres n’approcha des Origines de Caton l’ancien, de cette composition si forte dans la forme, si neuve dans le fond, et qui, hélas ! ne fit école ni chez les historiens ni chez les politiques.

Enfin, un dernier genre se produisit, qui fut fécond. Genre secondaire, tout individuel et éphémère, mais touchant encore à l’histoire, je veux parler des mémoires, des lettres missives et des harangues. Déjà les principaux hommes d’État de Rome aimaient à écrire leurs souvenirs : citons Marcus Scaurus (consul en 639 [115 av. J.C.]), Publius Rufus (consul en 649 [-105]), Quintes Catulus (consul en 652 [-102]), et jusqu’au régent de Rome, Sylla[52]. Mais ces productions diverses, en dehors des matériaux précieux qu’elles contenaient, semblent n’avoir en rien influé sur la littérature. Autrement en fut-il des lettres de Cornélie, mère des Gracques, aussi remarquables par la pureté exemplaire du langage, que par la hauteur des idées : elles forment la première correspondance qui ait été publiée dans Rome, et la première œuvre littéraire sortie des mains d’une dame romaine[53]. Quant aux harangues, elles conservent les caractères de l’éloquence catonienne : les plaidoyers des avocats n’appartiennent point encore au domaine des belles-lettres ; et ce ne sont à vrai dire que des pamphlets politiques qui circulent sous le titre de discours. Toutefois, pendant le mouvement révolutionnaire, la brochure croit en étendue et en importance, et parmi d’innombrables et éphémères produits, il s’en trouve quelques-uns, qui, semblables aux Philippiques de Démosthène ou aux pamphlets de Courier, empruntent le succès à la haute position de leurs auteurs, ou se font leur place et durent par leur seul mérite. Faut-il rappeler les discours politiques de Gaius Lælius et de Scipion Émilien, ces modèles de latinité parfaite, et du plus noble patriotisme[54] ; et les pétillements piquants de l’éloquence de Gaius Titius, ces peintures si vives du temps et des localités, ce portrait, qu’on n’a point oublié, des sénateurs faisant office de jurés ? Que d’emprunts la comédie nationale a pu faire à Titius[55] ? Mais citons avant toutes les autres les harangues nombreuses de Gaius Gracchus, et ses périodes enflammées reflétant comme dans un miroir fidèle la passion profonde, les nobles aspirations, et les fatales destinées de ce haut génie[56] !

Passons à la littérature scientifique. — Le juriste Marcus Brutus publie vers l’an 600 [154 av. J.-C.] un recueil d’avis et consultations[57]. Tentative remarquable, en ce qu’elle introduit à Rome la forme du dialogue, usitée chez les Grecs, quand ils traitent des matières scientifiques. Les interlocuteurs, le temps, le lieu, tout y est disposé comme en une mise en scène, et l’œuvré y revêt une allure tout à la fois artistique et dramatique. Mais les savants qui viennent après Brutus, Stilo, le philologue et le grand jurisconsulte Scævola, tout les premiers, se hâtent de délaisser une méthode plus ornée de poésie qu’elle n’est pratique, soit qu’ils traitent des sujets qui se rattachent à la culture générale, soit qu’ils écrivent sur des sujets tout spéciaux. Dans ce prompt abandon des liens de la forme artistique, on pressent la valeur de la science accrue pour elle-même, et l’intérêt croissant qu’elle excite. En ce qui touche les humanités, la grammaire, ou plutôt la philologie, la rhétorique et la philosophie, nous avons dit ce que nous avions à dire : comme elles constituent désormais un des éléments essentiels de la culture commune dans Rome, elles commencent à se séparer des sciences spéciales proprement dites. Dans les lettres, la philologie latine est en pleine floraison : elle tient par des liens étroits à la littérature, à la philologie grecques, qui depuis longtemps ont leurs lois assurées et délimitées. Nous avons aussi fait voir que dès le début du VIIe siècle, les épiques latins ont leurs Diascévastes et leurs Scholiastes ; que ce n’est pas seulement dans le cercle des Scipions qu’on raffine sur la correction, et que plusieurs des poètes en renom, Accius, Lucilius et d’autres, visent à réglementer l’orthographe et la syntaxe. Vers la même époque, et parmi ceux qui cultivent l’histoire, on pourrait signaler quelques essais de philologie réelle[58] : mais dans cette branche nouvelle, les maladroits annalistes d’alors ne réussirent pas mieux qu’en écrivant l’histoire. On cite le travail de Hemina sur les censeurs ; celui de Tuditanus sur les magistrats. Un livre plus intéressant sur les fonctions publiques sortit de la plume de Marcus Junius, l’ami de Gaius Gracchus : le premier il appela l’étude des antiquités au secours des tentatives politiques du jour[59]. Le tragique Accius, dans ses Didascalies métriques [Libri didascaliôn], avait à son tour esquissé une sorte d’histoire du drame latin. Mais tous les travaux scientifiques sur la langue nationale s’inspirent encore du pur dilettantisme, et nous rappellent, à nous Allemands, la littérature de l’orthographe des temps de Bodmer et de Klopstock[60] ; et quant aux productions des antiquaires, il convient aussi de leur assigner la plus modeste place. Vint Lucius Ælius Stilo. Pour lui, disciple fidèle des érudits de l’école alexandrine, il traita ex professo la langue et les antiquités (vers 650 [104 av. J.-C.]). On le voit remonter aux plus anciens monuments de l’idiome romain, commenter les Litanies des Saliens, et le Droit civil de Rome [les XII Tables]. Il se livre à de studieuses recherches sur la comédie, au VIe siècle, et dresse une liste critique des pièces authentiques de Plaute. Comme les Grecs, ses maîtres, il poursuit la genèse historique de tous les faits de la vie romaine, et du commerce qu’elle suscite et entretient; il veut pour chacun de ces faits donner le nom de l’inventeur : il fait entrer dans le cadre de ses études l’immense amas des traditions annalistiques. Son succès fut grand parmi ses contemporains : les poètes, les historiens les plus importants lui dédièrent leurs livres, Lucile ses Satires, Antipater ses Annales : véritable père de la philologie romaine, il en fonda et délimita la science, en même temps qu’il laissait à Varron, son grand disciple, la suite de ses travaux d’érudition grammaticale et historique.

La rhétorique latine, on le conçoit, demeure bien en arrière des genres littéraires qui précèdent. Il ne saurait être question ici que de manuels ou d’exercices sur le modèle des Traités grecs d’Hermagoras[61] ou de ses confrères : les besoins réels de l’art, mais aussi la vanité et l’amour du gain, suscitèrent les maîtres en foule. Nous ne parlerons que d’une œuvre, celle d’un inconnu, qui selon la mode d’alors enseignait à la fois la littérature et la rhétorique latines, écrivant sur l’une et sur l’autre. Il nous est resté de lui un traité composé, je crois au temps de la dictature de Sylla[62] ; œuvre remarquable, d’une exacte, sure et claire méthode, remarquable aussi par une certaine indépendance d’allure à l’égard des Grecs. Quoiqu’au fond il les suive pas à pas, il ne laisse pas que d’écarter et rejeter, même avec vivacité, tout ce bagage inutile qu’ils étalent, uniquement pour exagérer les difficultés de la science ! Il blâme amèrement cette dialectique habile à fendre un cheveu, cette science bavarde de la non éloquence. Tout maître complet qu’il est dans son art, il craint d’avoir parlé quelquefois de façon équivoque, et finit par ne pas dire son nom, évitant avec soin d’ailleurs et presque partout d’avoir recours à la terminologie hellénique ; conseillant à son élève de se garder de l’abus de l’école ; confessant cette règle d’or, que ce que le professeur doit montrer avant tout, c’est à marcher seul ; soutenant avec grand sérieux que l’école est l’accessoire, que la vie est la chose principale ; mettant à coté des préceptes une suite d’exemples qu’il choisit lui-même, et qui nous rendent comme l’écho des plaidoiries célèbres des avocats romains qu’a entendues la dernière génération. Nous avons vu comment l’opposition qui lutta contre les excès de l’hellénisme, s’élevait de même contre la création de la rhétorique dite latine : l’opposition se continue, après que celle-ci a conquis sa place ; et l’éloquence romaine, si on la compare à la théorie et à la pratique grecques contemporaines, y gagne singulièrement en dignité et en utilité vraie.

La philosophie n’est point encore entrée dans la littérature. Les besoins moraux d’une école nationale ne se faisaient point sentir ; et nulle cause venue du dehors ne poussait les Latins à écrire sur ces matières. On ne saurait même sûrement assigner à cette période quelques rares traductions des Manuels grecs les plus populaires : quiconque s’occupait de philosophie, lisait et disputait en grec.

Dans les sciences spéciales, l’activité des études est minime. Tout bon laboureur, tout bon cultivateur qu’on fut à Rome, le sol n’y était point propice aux études physiques et mathématiques. Ce dédain de la théorie scientifique se manifeste par ses résultats. Voyez combien infime est la condition de l’art médical, et de la plupart des sciences militaires. Seule la jurisprudence fleurit. Impossible d’exposer la chronologie de son progrès interne : disons-en gros que le droit sacré [jus sacrale] tombe en désuétude, et qu’à la fin de la période il n’est plus à Rome que ce qu’est chez nous le droit canon : en revanche l’idée juridique se formule plus profonde et plus nette tous les jours. Au temps des XII Tables, on ne connaissait que les symboles extérieurs : on ne leur avait point encore substitué les éléments intimes et caractéristiques : on ignorait, par exemple, la notion complexe de l’imputabilité intentionnelle ou sans intention, la notion de la possession, à laquelle est due tout d’abord la protection de la loi [interdictum][63]. Au temps de Cicéron la science a marché ; et son progrès réel date sans doute du vue siècle. Bien des fois nous avons vu la politique réagir star la jurisprudence, influence qui fut loin d’être toujours salutaire. Par exemple, la création de la juridiction centumvirale, en matière de succession, mit les fortunes dans la main d’un collège de justice, qui statuant comme les jurys criminels, comme eux aussi, au lieu d’appliquer la loi, en vint bientôt à se mettre au-dessus d’elle, et obéissant à la soi-disant équité, mina profondément l’édifice des institutions juridiques : citons entre autres la règle insensée qui s’établit dans la pratique, et suivant laquelle tout parent, omis par le testateur, a droit de demander l’annulation du testament en justice, le juge décidant ex arbitrio[64].

Sur la littérature juridique, nous sommes mieux renseignés. Elle s’était autrefois restreinte aux formulaires et aux vocabulaires : aujourd’hui on rencontre des recueils de consultations, assez semblables à nos recueils jurisprudentiels modernes. Ces consultations [responsa], depuis longtemps, on ne les demandait plus aux seuls membres du collège des pontifes. Quiconque recevait gens venant le questionner, leur répondait dans sa maison ou au Forum : de là des conclusions, des discussions rationnellement motivées, et se rattachant aux controverses courantes dans la science : au commencement du siècle on Ies couche déjà par écrit et on les rassemble. Caton le jeune († v. 600 [154 av. J.-C.]) et Marcus Brutus, son contemporain, les premiers, rangèrent et publièrent leurs avis par ordre de matières[65]. De là à l’exposition scientifique et systématique du droit civil, il n’y avait qu’un pas. Elle eut pour fondateur et interprète l’illustre Quintus Mucius Scævola (consul en 659, † en 672 [95-82 av. J. C.]), dont la famille possédait, comme par droit d’héritage, la science de la jurisprudence, et le grand pontificat. Ses dix-huit livres sur le droit civil[66], renfermaient toute la matière du droit positif ; on y trouvait les textes de la loi, les préjugés et les autorités puisés, soit dans les plus anciens recueils, soit dans la tradition orale. Rédigés avec toute l’exactitude et tout le soin possible, ils servirent de base et de modèle aux systèmes postérieurs. Un autre livre de Scævola, sur les définitions (περί öρων) enfanta les manuels et les résumés venus après lui [de regulis juris]. Les progrès de la science du droit n’avaient, on le comprend, rien de commun au fond avec l’hellénisme. Pourtant la connaissance des méthodes doctrinales et philosophiques de la Grèce contribua indubitablement à l’édification systématique de la jurisprudence : ne voyons-nous pas l’influence grecque percer jusque dans le titre du dernier des écrits de Scævola ? Rappelons ici d’ailleurs ce que nous avons dit plus haut : les préceptes du Portique réagirent puissamment aussi sur la jurisprudence romaine externe.

L’art n’offre rien dont on puisse se féliciter beaucoup. La curiosité des dilettantes est partout en progrès, dans l’architecture, la sculpture et la peinture, mais l’habileté pratique des Romains recule plus qu’elle n’avance. Durant les séjours qu’ils font en Grèce, ils prêtent aux oeuvres artistiques une attention chaque jour plus grande, et, sous ce rapport, le passage des Syllaniens dans l’Asie-Mineure fera époque (670-671 [-84/-83]). Les connaisseurs se multiplient aussi en Italie. On a recherché d’abord les petites œuvres d’argent et de bronze : mais voici qu’au commencement du siècle, on court après les statues et même après les tableaux des artistes grecs. Le premier tableau qui ait été exposé publiquement dans Rome fut le Bacchus d’Aristide[67], que Lucius Mummius retira de l’encan du butin de Corinthe, lorsqu’il eût vu le roi Attale en offrir 6.000 deniers (1.716 thaler = 6.435 fr.).

Le faste gagne dans les constructions. On fait usage du marbre d’au-delà des mers, du Cipollin de l’Hymette : quant aux carrières italiennes, elles ne sont point encore exploitées. Un portique superbe, merveille admirée jusque sous les empereurs, et que Quintus Metellus le Macédonique (consul en 611 [143 av. J.-C.]) avait élevé sur le champ de Mars, enferma le premier temple de marbre bâti à Rome[68] : des constructions pareilles suivirent, l’une sur le Capitole, œuvre de Scipion Nasica (consul en 616 [-138]), l’autre sur la place du Cirque, œuvre de Gnæus Octavius (consul en 626 [-128])[69]. La première maison particulière où l’on ait vu des colonnes de marbre était la maison bâtie par l’orateur Lucius Crassus († 663 [-91])[70], sur le Palatin. Malheureusement les Romains achetaient et pillaient mieux qu’ils ne savaient créer : quel plus éloquent témoignage de leur pauvreté architecturale, que de les voir enlever et transporter déjà les colonnes des antiques temples dé la Grèce, et décorer le Capitole, comme le fit Sylla, avec celles enlevées au sanctuaire de Jupiter, à Athènes ? Que si l’époque produit quelques œuvres originales, encore sortent-elles des mains des artistes étrangers : ceux qu’on répute, et ils sont peu nombreux, sont tous, sans en excepter un seul, des Grecs d’Italie, ou de la Grèce propre, ayant élu domicile à Rome. Citons l’architecte Hermodore, de Salamine en Chypre, le restaurateur des ports de Rome : il édifia aussi pour le compte de Quintus Metellus (consul en 611 [143 av. J.-C.]), et à l’intérieur du portique dont il vient d’être parlé, le temple de Jupiter stator : il construisit pour Decimus Brutus (consul en 616 [-138]) le temple de Mars, du Cirque Flaminien[71]. Citons aussi le sculpteur Pasitèle (vers 665 [-89]), natif de la grande Grèce, auteur des statues des dieux, en ivoire, pour les temples de Rome[72] : le peintre et philosophe Métrodore, d’Athènes, qui prit à l’entreprise les peintures destinées au triomphe de Paul-Émile (587 [-167])[73].

Les monnaies du VIIe siècle, comparées à celles du VIe, offrent une plus grande variété de types : mais sous le rapport du coin elles sont en décadence bien plutôt qu’en progrès.

Restent la musique et la danse. Elles aussi, elles avaient émigré de Grèce à Rome, à titre d’accessoires rehaussant le luxe décoratif. Non que ces arts étrangers fussent nouveaux dans la capitale : de toute antiquité la flûte et les danses étrusques avaient officiellement figuré dans les fêtes : les affranchis et les citoyens des basses classes du peuple en faisaient même métier. Ce qui était une nouveauté, c’était de voir les danses et la musique grecques devenir l’accompagnement régulier des banquets des nobles personnages : c’était de voir tenir école ouverte de danse, où, pour emprunter les paroles d’une invective de Scipion Émilien, plus de cinq cents jeunes garçons et jeunes filles, la lie du peuple, pêle-mêle avec les enfants des hauts dignitaires, recevaient les leçons d’un maître de ballets, dansant au son indécent des crotales, chantant des chants non moins méprisables, et tenant en main les instruments à corde maudits dont usaient les Grecs ! Qu’un consulaire et grand pontife, que Publius Scævola (consul en 621 [133 av. J.-C.]), s’agitât sur l’arène, et reçût et lançât la balle, au moment même où il tranchait les questions de droit les plus embrouillées, c’était peu de chose encore ! Mais que les jeunes nobles de Rome se produisissent devant le peuple, dans les jeux donnés par Sylla, et y fissent assaut comme jockeys, le mal était grand et nouveau ! Un jour, le gouvernement voulut intervenir : en 639 [-115], les censeurs proscrivirent tous les instruments de musique, à l’exception de ceux indigènes. Mais Rome n’était point Sparte, et ces vaines prohibitions ne firent que mettre dans son jour la faiblesse du pouvoir, loin qu’il tentât de leur assurer sanction par des moyens persistants et sévères de coaction !

Jetons un dernier regard sur l’ensemble du tableau. De la mort d’Ennius au commencement de l’ère cicéronienne, la littérature et l’art en Italie, si on les compare avec ce qu’ils furent durant la période précédente, descendent certainement la pente d’une décadence, inféconde. Dans la littérature, les genres nobles, épopée, tragédie, histoire, sont morts ou languissent. Seules les branches secondaires fleurissent encore, traduction et imitation de la pièce à intrigue, farce, oeuvres familières en vers ou en prose. Là, sur ce dernier terrain, au milieu des rafales rugissantes de la révolution, nous rencontrons les deux plus grands talents de l’époque, Gaius Gracchus et Gains Lucilius; ils dépassent de la tâte la foule des autres écrivains, tous plus ou moins modestes, absolument comme dans une récente époque de la littérature française, Courier et Béranger dominent la multitude des nullités ambitieuses qui les entourent. Dans les arts plastiques et du dessin, les facultés productives de Rome, toujours médiocres, dorment aujourd’hui complètement inertes. Mais les goûts littéraires et artistiques, purement passifs, sont en plein progrès ; et de même que les Épigones politiques se contentent au vile siècle de recueillir et d’utiliser l’héritage légué par leurs pères, de même ils se font assidus spectateurs au théâtre, aiment les lettres, sont connaisseurs en choses d’art, et par dessus tout collectionnent. De telles tendances ont leur avantage d’ailleurs : elles mènent aux études érudites. Dans la jurisprudence, dans la philologie grammaticale et réelle, nous constatons un effort indépendant, intelligent. Les sciences se fondent à Rome : malheureusement si leur œuvre commence dans les temps que nous venons de parcourir, à la même date aussi correspondent les premiers et pauvres débuts, les premières imitations de la poétique de serre, chaude, annonçant l’avènement précoce de l’alexandrinisme romain. Dans toutes les productions du siècle, on admire le poli, la correction, la méthode, choses inconnues au siècle antérieur; et ce n’était point sans raison que les lettrés et les dilettantes du jour tenaient en dédain leurs grossiers prédécesseurs. Mais tout en riant et se moquant de leurs essais inachevés ou informes, il fallait bien, à ceux mêmes qui comptaient parmi les plus habiles maîtres nouveaux, se faire tout bas l’aveu que le printemps de la nation avait fini. Peut-être alors arriva-t-il à plus d’un de sentir se glisser comme un regret dans les replis silencieux de sa pensée ; peut-être eût-il voulu recommencer, lui aussi, les aimables erreurs des jeunes temps !

 

 

 



[1] [C. Lælius Sapiens, le fils du Lælius ami du premier Africain. Cicéron lui a élevé un monument impérissable dans son Lælius, ou dialogue de Amicitia. Il avait écrit plusieurs livres, entre autres un panégyrique de son ami (Laudationes S. Africani minoris), qui ne nous sont point parvenus.]

[2] [L’un des interlocuteurs du de Republ. Moderatissimus et continentissimus, dit de lui Cicéron.]

[3] [L’un des prédécesseurs d’Horace dans l’épître et la satire.]

[4] [V. l’exemple cité par la Rhetor. ad Herenn., 2, 23.]

[5] [V. ibid. 3, passim : Quibus hoc modo loqui concessum est, dit l’auteur, 2, 22… infirma ratione ulitur, 2, 23.]

[6] [Pura oratio. Heautont., 46.]

[7] [Il avait consacré tout son IXe livre à l’orthographe (orthographia). V. les fragments cités par M. Egger (Latini sermonis vetustioris reliquiœ, p. 262 et 263).]

[8] [Gaius Julius Cæsar Strabo Vopiscus, l’un des interlocuteurs du de orat., célèbre par son vif esprit. Il fit entre autres les tragédies d’Adraste et de Tecmessa. Il périt dans la persécution de Marius et de Cinna.]

[9] [Collegium poetarum. V. dans Valère Maxime, III, 7, 11, une anecdote curieuse.]

[10] Dans le Paulus, pièce originale, on lisait ce vers, sans doute tiré de la description des Passes de Pythion (IV, p. 25) :

Qua vix caprigeno generi gradilis gressio est. (*)

[Où à peine la chèvre pourrait poser le pied...]

Dans une autre pièce, le poète donne à deviner à son public le tableau qui suit :

Quadrupède au lent marcher, agreste, à ras de terre et rude ; à la tête petite, au cou de serpent, à l’œil hagard. — Ôtez-lui les entrailles, tuez-la, elle rend des sons animés !

A quoi le public répond naturellement : Que nous débites-tu là en mots enchevêtrés comme broussailles ? Le plus malin ne saurait le deviner ! Si tu ne parles pas clairement, nous ne te comprendrons point.

Vient alors l’explication : c’est de la tortue qu’il s’agit. [Testudo, dont la carapace, montée sur la lyre, y fait table d’harmonie.] — J’ajoute que les tragiques attiques eux-mêmes ne s’étaient point fait faute de ces puériles énigmes : péché dont la comédie moyenne les relève souvent en termes plus que vifs.

(*) [L’allitération et la tournure de phrase sont à peu près intraduisibles.]

[11] [V. sur Pacuvius et Accius , A. Pierron, Hist. de la littérature romaine, ch. XI. — Il reste du Prométhée d’Accius un monologue célèbre, qu’on peut citer après Eschyle. — V. Egger, l. c., p. 497. — Enfin on croit qu’Accius avait écrit des Didascalica, des Parerga et des Pragmatica. Egger, p. 200-203.]

[12] L’exception unique se trouve dans l’Andrienne (4, 5).

Comment cela va-t-il ?Moi ! comme on peut, selon le proverbe, puisqu’on n’a pas le droit de vivre comme on veut. (v. 815)

La réponse ne fait que reproduire le proverbe grec déjà imité par Cæcilius :

Vis comme tu peux, puisque tu ne le peux comme tu veux. (Phocium)

L’Andrienne est la plus ancienne pièce de Térence. Elle fut jouée à la recommandation de Cæcilius. La réminiscence est un remerciement tacite, mais clair.

[13] L’allégorie peu ingénieuse de la chèvre et du singe imaginée par Plaute (Mercator, 2. 1) a son pendant reconnaissable dans les vers où Térence nous montre, en se moquant, la biche qui fuit, poursuivie par les chiens, et sollicite en pleurant le secours de l’adolescent qu’elle rencontre !

Toutes superfétations qui remontent, à n’en pas douter, à la rhétorique euripidienne (ex. : Euripide, Hector, 90).

[14] [C’est à cette opposition heureuse que Molière a dû l’idée de ses deux caractères de l’Ecole des Maris, de Sganarelle et d’Ariste.]

[15] Nous traduisons littéralement.

[16] Micion, dans les Adelphes (1, 1) vante son sort et surtout sa condition de célibataire :

Ego hanc clementem vitam urbanam, atgue otium

Seculus sum, et quod fortunatam isti pulant

Uxorem nunquam habui…

[Moi, j’ai mieux aimé cette vie clémente et reposée de la ville et, chose que ceux-ci tiennent pour un bonheur, je n’ai jamais pris femme !] Isti, ceux-ci : les Grecs, sans doute.

[17] [Le mot est de J. Cœsar dont les vers, cités par Suétone (J. Cœsar), sont bien connus :

Tu quoque ; tu, in summis, ô dimidiate Menander

Poneris, etc.

Et toi, aussi, toi, notre demi Ménandre, on te met au premier rang !...]

[18] Dans le prologue de l’Heautontim., Térence met dans la bouche de ses critiques le reproche qu’il se serait tout à coup adonné au commerce des Muses, s’appuyant sur le talent de ses amis, bien plus que sur ses dons naturels.

Plus tard, dans le prologue des Adelphes (594 [160 av. J.-C.]), il dit encore : La malveillance fait à l’auteur un reproche de nobles personnages lui viendraient en aide, et seraient ses collaborateurs assidus : crime énorme à leurs yeux ! Pour lui, il se fait sa plus grande gloire de plaire aux hommes qui plaisent à vous tous et à tout le peuple, dont la vie s’est passée à servir dans la paix, dans la guerre, dans les affaires, sans en être plus fiers pour cela ! (v. 15 et s.)

Dès le temps de Cicéron, c’était chose reçue que Térence ici avait fait allusion à Lælius et à Scipion Émilien : on indiquait même les scènes appartenant à leur collaboration : on racontait les allées et venues du pauvre poète aux villas de ses nobles bienfaiteurs aux environs de Rome : on trouvait enfin impardonnable à eux de n’avoir rien fait pour améliorer sa fortune. Nulle part, on le sait, la légende ne jaillit plus spontanément que dans l’histoire littéraire. Comme déjà l’avaient constaté quelques critiques plus sagaces de Rome, il est clair que les vers qui précédent ne peuvent s’appliquer ni à Scipion, alors âgé de vingt-cinq ans seulement, ni à son ami, son aîné de bien peu. Selon une autre et plus raisonnable tradition, il s’agirait ici des poètes distingués Quintus Labeo (consul en 571 [-183]) et Marcus Popillius (consul en 581 [-173]), et de l’amateur éclairé des arts en même temps que bon mathématicien Lucius Sulpicius Gallus (consul en 588 [-166]) : encore en restons nous sur une pure supposition. Non qu’on puisse révoquer en doute l’intimité de Térence avec la maison de Scipion : il est remarquable que la première représentation des Adelphes et que la seconde de l’Hécyre ont eu lieu durant les fêtes funéraires données en l’honneur de Paul-Émile par ses fils Scipion et Fabius.

[19] Sextus Turpilius, † 653 [101 av. J.-C]. Il reste les titres de douze ou treize pièces de lui, et quelques vers isolés. — V. Otto Ribbeck, Comicor. latin. reliquiœ, Leipzig, 1865, p. 73 et s.

[20] [V. Ribbeck, p. 140 et s. — Les comédies d’Afranius étaient encore connues au IVe siècle de l’ère chrétienne. Le pape Grégoire les aurait fait brûler.]

[21] A cela il convient d’assigner une cause extérieure très probable. Après la guerre sociale, toutes les cités italiques ayant eu la communication du droit civique romain, il ne fut plus permis désormais d’y placer la scène des togatœ, et le poète dut en laisser désormais le lieu indéterminé, ou choisir des localités disparues ou étrangères. Cette circonstance, déjà prise en considération au début même des comédies plus anciennes, n’a pas pu ne pas réagir fâcheusement sur la comédie nationale.

[22] [Horat., Ep. ad August., 57.]

[23] [Compilalia, Ribbeck, p. 144.]

[24] [Entre Capoue et Naples ; plus tard restaurée. On en trouvé quelques ruines non loin d’Aversa. Sur la colline on voit encore debout une vieille église du nom de Santa Maria di Atella.]

[25] Les erreurs, depuis des siècles, fourmillent à propos de l’atellane. On rejette actuellement partout, et avec raison, l’indication mensongère fournie par les chroniqueurs grecs, que l’atellane aurait été jouée à Rome en langue osque : et, pour peu que l’on y regarde, il ne parait pas moins inadmissible que ce genre, né dans le Latium et s’inspirant de la vie rurale et urbaine du Latium, se soit jamais, en quoi que ce soit, rattaché à la nationalité osque. Il est une autre explication à donner à ce titre de jeux d’Atella. On avait besoin d’une mise en scène usuelle pour la farce latine, avec ses personnages et ses plaisanteries stéréotypés : toujours il faut une capitale à la folie et à ses grotesques. Or, la police du théâtre romain ne permettait pas de placer la scène dans l’une des cités romaines ou des cités latines en simple alliance avec Rome, bien que la togata eût obtenu droit de domicile chez ces dernières. Mais Atella, qui, partagea le sort de Capoue et n’eut plus d’existence légale à dater de 543 [211 av. J.-C.], n’en continua pas moins d’exister à titre de village habité par des paysans romains, et convenait parfaitement à la désignation scénique. Ce qui prouve l’exactitude de notre conjecture, c’est que d’autres farces avaient aussi élu domicile dans d’autres villes de langue latine qui n’existaient plus ou qui n’avaient plus d’existence civique : nous citerons les Campaniens de Pomponius (Campani), peut-être aussi ses Adelphes (Adelphi) et ses Quiquatries, dont la scène était à Capoue, et encore les Soldats Poméliens (Milites Pometinenses) de Novius, dont la scène était à Suessa Pometia. Au contraire, l’atellane ne hante jamais une cité qui soit debout : ce serait faire injure à celle-ci. La vraie patrie de l’atellane est donc le Latium : sa localisation poétique et scénique est le pays osque : mais elle n’a rien de commun avec la dation osque. En vain l’on oppose le fait qu’une pièce de Nævius († après 550 [-204]), en l’absence d’acteurs dramatiques proprement dits, aurait été exécutée par des joueurs d’atellanes et aurait été appelée pour cela comédie à masque (Festus, au mot Personata, p. 217, éd. Müller). Le mot joueurs d’atellanes [atellani] n’est ici employé que par prolepse, et l’on est en droit de conclure que, même avant, ces acteurs s’appelaient déjà acteurs à masque [personati]. — Pareille explication s’applique aux chants fescennins [carmina Fescennina]. Ils appartiennent aussi à la poésie bouffonne et burlesque de Rome, et se localisaient dans la ville sud-étrurienne de Fescennium, sans pour cela appartenir plus à la poésie étrusque que les atellanes à la poésie osque. Rien ne prouve sans doute que, dans les anciens temps, Fescennium ait été une vraie ville, et non un simple village : le fait n’en est pas moins vraisemblable, à en juger par la manière dont les auteurs font mention de cette localité, et aussi dans le silence significatif des inscriptions.

[26] On a souvent, et Tite-Live le premier (VII, 2), rattaché l’atellane par le fond et par l’origine à la satyre (satura), et au théâtre qui sortit de la satyre : mais nette opinion ne se peut soutenir. Entre l’histrion et le joueur d’atellane, il y avait la même distance qu’aujourd’hui entre l’artiste dramatique et l’acteur d’une mascarade. Entre le drame, qui jusqu’à Térence ne connut pas le masque, et l’atellane, dont le masque est l’attribut caractéristique, il y a une différence essentielle et d’origine que rien ne comble. Le drame provient de ce chant accompagné de flûte, chant et danse sans récit déclamé, qui plus tard s’augmenta d’un texte (satura), puis, par les mains d’Andronicus, emprunta son libretto au théâtre grec, les antiques flûtistes tenant la place du chœur. Où peut-on voir dans ce développement progressif du drame, à ses premières étapes, l’ombre d’un contact avec la farce, jouée par les dilettantes ?

[27] Sous les empereurs, l’atellane était exécutée par des acteurs de profession (V. Friedlænder, dans le Beeker’s Handbuch [Manuel], 4, p. 546). La tradition ne nous renseigna pas sur l’époque précise où l’innovation se fit : mais elle ne peut être autre que celle où l’atellane prit régulièrement rang parmi les jeux scéniques, c’est à savoir l’époque qui précède immédiatement Cicéron (ad famil. 9, 6). Et Tite-Live n’y contredit pas, quand il nous enseigne (7, 2) que les acteurs d’atellanes, à la différence des autres comédiens, avaient gardé les droits honorifiques du citoyen. De ce que les acteurs de profession commencèrent à jouer aussi les atellanes, et moyennant salaire, il ne s’ensuit nullement qu’ailleurs, dans les campagnes par exemple, les amateurs n’aient pas continué à les exécuter gratuitement, se maintenant ainsi en possession de leur privilège.

[28] On ne peut nier que la farce grecque a fleuri de préférence dans la Basse Italie, et que bon nombre des pièces de ce genre ressemblaient de très près aux atellanes. Citons, par exemple, dans le théâtre de Sôpater le Paphien, contemporain d’Alexandre le Grand, le Plat de lentilles, les Noces de Bacchis, le Valet de Mystachos, les Savants, le Naturaliste. Ce genre a pu se perpétuer jusque vers les temps où les Grecs formèrent comme une enclave, à Naples et autour de Naples, au milieu des Campaniens parlant latin : l’un des auteurs burlesques de la Basse Italie, Blœsus, de Caprée, porte un nom latin et écrivit une farce de Saturne.

[29] Au dire d’Eusèbe, Pomponius florissait vers 664 [90 av. J.-C.] : Velleius Paterculus le fait contemporain de Lucius Crassus (614-663 [-140/-91]) et de Marcus Antonius (611-667 [-143/-87]). La première de ces dates est d’une trentaine d’années, peut-être, trop élevée : dans ses Peintres (Pictores), Pomponius parle d’un compte chiffré en victoriats, lesquels furent émis aux environs de 650 [-104] ; et d’ailleurs, vers la fin de notre époque avaient apparu aussi les Mimes, qui chassèrent l’atellane du théâtre. [V. O. Ribbeck, p. 191 et s. : fragments de Pomponius et Novius.]

[30] Elle s’y donnait toute licence de plaisanterie. Nous lisons ce vers dans les Phéniciennes (Phœnissœ) de Novius : Arme-toi : et gare à ma massue de jonc ! je te tue ! — De même Ménandre avait mis son faux Hercule sur les planches.

[31] Jusque là, le personnage qui donnait les jeux avait dû défrayer la construction du théâtre et tout l’appareil de la scène au moyen d’une somme reçue à forfait, ou sur ses propres ressources ; et les sommes consacrées à la mise en scène avaient dû , le plus souvent, n’être qu’assez minces Mais voici qu’en 580 [174 av. J.-C.] les censeurs afferment aux édiles et aux préteurs, spécialement, l’établissement du théâtre où doivent se donner les jeux (Tite-Live, 41, 27) : à dater de ce jour, le matériel de la scène n’est plus créé ou acquis pour une seule représentation, et les améliorations marchent rapidement.

[32] Vitruve (5, 5, 8) enseigne quelle attention on prêtait aux prescriptions des Grecs en matière d’acoustique. Quant aux places avec siège (V. Ritsch, Parerg., 1, 227, XX), il semble, d’après Plaute (Captiv., prol., 11), que ceux-là seuls y avaient droit qui n’étaient point capite censi. C’est aussi, vraisemblablement, aux jeux scéniques de Mummius, lesquels firent époque, je viens de le dire, dans l’histoire du théâtre (Tacite, Annales, 14, X31), qu’Horace a fait allusion dans son vers fameux :

Grœcia capta ferum victorem cepit, et artes

Intulit agresti Latio.... (Ep. ad Aug., 156.)

[33] Il fallait bien que les coulisses de Pulcher fussent peintes, puisqu’on rapporte que les oiseaux s’y seraient venus percher sur ce qu’ils croyaient être des tuiles (Pline, Hist. nat. 35, 4, 23 ; Valère Maxime, 2, 4, 6). Jusqu’alors on avait imité le tonnerre en agitant des clous et des cailloux dans un bassin de bronze : Pulcher enchérit en faisant rouler des pierres derrière la scène : de là le nom de tonnerre claudien donné à son appareil (Festus, v° Claudiana, p. 57).

[34] Parmi les rares petites poésies de l’époque on rencontre l’épigramme qui suit, adressée au célèbre acteur : J’étais debout, saluant l’Aurore à son lever : tout à coup, Roscius apparaît sur ma gauche. Hôtes du ciel, laissez-moi le dire sans vous blesser : mortel, il me parut plus beau qu’un Dieu ! — L’auteur de cette épigramme toute grecque en la forme, toute inspirée de l’enthousiasme grec, n’est rien moins que Quintus Lutatius Catulus, le consul de 652 [102 av. J.-C.] et le vainqueur des Cimbres. [Roscius plus beau qu’un Dieu ! Et pourtant, ajoute Cicéron (de nat. Deor., 1, 28), il avait les yeux tout de travers (pervertissimis oculis).]

[35] [Bellum Histricum. Il nous reste six hexamètres d’Hostius, cités par Macrobe, 6, 3, 5 ; Festus, v° Tesca, et Servius, XII, 121.]

[36] [V. Cicéron, de Rep., I, 12 ; de amic., 19, 27 ; ad Attic., XIII, 5, 6, 30.]

[37] [Cicéron, de fin., 1, 3.]

[38] Belle fabrique de phrases ! Belles petites pièces de mosaïque ou de pavé artistement bigarré ! — [V. aussi Aul. Gell., 18, 8.]

[39] Il lui conseille en riant de dire pertisum, et non pertœsum, afin de sembler plus délicat et plus savant.

[40] Voyez le fragment de quelque étendue qui suit, donnant à la fois l’échantillon caractéristique et de son style et de son vers. Impossible de couler dans le moule de notre hexamètre allemand [ou de l’alexandrin français] cette lâche et diffuse matière.

La vertu, Albinus, c’est pouvoir mettre le vrai prix aux choses à notre portée, au milieu desquelles nous vivons : la vertu, c’est savoir ce que toute chose comporte : la vertu, c’est savoir le juste, l’utile et l’honnête ; savoir le bien, le mal, l’inutile, ce qui serait honteux ou déshonnête : la vertu, c’est savoir la mesure, la limite à la fortune cherchée; c’est pouvoir payer le prix de la richesse : la vertu, enfin, c’est honorer ce qui mérite de l’être ; c’est être l’ennemi des méchants et des mauvaises mœurs, être le champion des bons et des bonnes mœurs : n’est de faire cas de ceux-ci, leur vouloir du bien, être leur ami ; c’est de mettre en première ligne l’intérêt de la patrie, puis celui de la famille, et ne songer à soi qu’en troisième et le dernier !

[J’ai traduit mot à mot et de façon à mettre en évidence les qualités et les défauts littéraires énumérés dans le jugement de M. Mommsen, jugement puisé, à toutes les lignes, aux sources de la critique antique.]

[41] [Comparer à ce jugement sur Lucilius les études du regrettable Ch. Labitte sur la Satire à Rome et les Satires de Lucile (Revue des deux Mondes, 1er mai 1844 et 1er octobre 1845), et A. Pierron, Hist. de la Littérature romaine, ch. X, pp. 142 et s.]

[42] [Le héros de la bataille de Verceil.]

[43] Ces voyages scientifiques n’étaient d’ailleurs point rares chez les Grecs d’alors. Dans Plaute (Ménechmes, 248, cf. 235), Messénion, qui a couru toute la Méditerranée, s’écrie : Pourquoi donc ne pas rentrer chez nous, à moins que nous ne voulions écrire l’histoire ?

[44] [G. Acilius Glabrio, qui servit d’interprète à l’ambassade athénienne de 599 [155 av. J.-C.], où figura Carnéades. Cicéron (de offic., 3, 92) et Plutarque (Romulus, 21) le citent. Il paraît que son livre avait été traduit en latin par un certain Claudius, sous le titre d’Annales Aciliani (Tite-Live, 25, 39 ; 35, 14).]

[45] [Il est une exception, la seule, à ma connaissance. J’entends parler de l’histoire (en grec) de Gnœus Aufidius, qui florissait vers l’an 660 [94 av. J.-C.], au temps de l’enfance de Cicéron (Tuscul., 5, 38. 112). Quant aux mémoires de Publius Rutilius Rufus (consul en 649 [-105]), on ne pourrait les invoquer ici : leur auteur les a écrits, durant son exil, à Smyrne.]

[46] [L. Cassius Hemina, contemporain de la chute de Carthage et de Numance, souvent cité par les grammairiens Nonius, Priscianus, Servius. Pline dit qu’il recourut aux sources anciennes (autor ex antiquis, Hist. nat. XIII, 13, 29). — V. Calpurnius Piso Frugi, l’antagoniste des Gracques et l’auteur de la loi Calpurnia de repetundis. Son style était maigre (Cicéron, Brutus, 27). — C’est Tuditanus qui, étant consul, alla faire la guerre en Illyrie, pour éviter les difficultés de la situation, au milieu des discordes des Gracques. Cicéron vante ses discours et son livre historique (Brutus, 25). — C. Fannius Strabo, le gendre de Lælius, l’un des interlocuteurs du de Republ. et du de Amicitia de Cicéron, qui dit de son style: Neque nimis infans, neque perfecte diserta. Brutus abrégea son histoire, et Salluste en loue la sincérité.]

[47] [Il s’agit ici du Scævola qui périt dans les proscriptions de Sylla (Cicéron, de Off., 3, 15 ; de Orat., 1, 39 ; Brutus, 89), et dont Cicéron avait suivi les leçons.]

[48] [L’historien légendaire des peuples scandinaves, qui écrivait au XIIe siècle de notre ère.]

[49] [Tite-Live, I, 11.]

[50] [Orateur et juriste (de Orat., 2, 12 ; de Legib., 1, 2 ; Brutus, 26). Remarquable par son style orné et véhément. L’empereur Hadrien le préférait à Salluste (Spartianus, Hadrian, 16) : certus Romanœ historiœ auctor, dit Valère Maxime (1, 7).]

[51] [Tribun militaire devant Numance : on croit que son livre était intitulé Libri rerum gestarum (A. Gell., 3, 21 ; 1, 13 ; 4, 9 ; 13, 3, 21).]

[52] [Ces trois noms reviennent souvent au cours des guerres de Jugurtha et des discordes civiles. Cicéron classe Scaurus, l’aristocrate, parmi les orateurs stoïques. Il écrivit trois Livres sur sa vie. — Les harangues de Rufus étaient dans le genre sévère (tristi ac severo genere, v. le Brutus, 29). On a conservé les titres de sept d’entre elles. Ses mémoires sont de même perdus. — Il ne nous est rien resté non plus de Catulus, le collègue de Marius à Verceil, et de son livre de Consulatu suo et rebus gestis. Il écrivait purement (Cicéron, de Orat., 3, 8 ; Brutus, 35). V. supra, l’épigramme sur Roscius.]

[53] [V. liv. IV, c. II, deux citations des Lettres de Cornélie, malheureusement perdues.]

[54] [De Lælius il ne reste guère que les titres de quelques-uns de ses discours : de Scipion Émilien il nous reste trois ou quatre fragments un peu considérables et fort curieux, conservés par un scholiaste de Cicéron (ad orat. pro Milone, 7, 2), par Aul. Gelle (V, 19 ; VII, 11) et par Macrobe (Saturn., 2, 10). — M. Egger les a aussi donnés, p. 177 et s. — Cf. A. Pierron, Hist. de la Litt. rom., qui les traduit, pp. 192 et s.]

[55] [G. Titius était chevalier. Il est cité par Cicéron (Brutus, 45) et par Macrobe (2, 9, 12).]

[56] [V. Egger, loc. cit. p. 181. — Cf. Plutarque (Tib. Gracchus, 2).]

[57] [M. Junius Brutus, dont Pomponius fait l’un des fondateurs du droit civil à Rome. Post hos fuerunt P. Mucius et Manilius et Brutus qui fundaverunt jus civile (Dig., 1, tit. 2. s. 39). Il laissa trois livres de jure civili (de Orat., 2, 55). Il est une grave autorité pour Cicéron (de fin., 1, 4; ad famil., 7, 22. Cf. Dig., 7, tit. 1, s. 63, prœm.). On lui reprochait d’avoir publié ses responsa avec les noms des parties consultantes.]

[58] [Etude des Antiquités historiques.]

[59] Soutenir, par exemple, comme il le fit, que du temps des rois les questeurs étaient élus non par ceux-ci, mais par le peuple, c’était soutenir un fait manifestement faux et portant avec soi le cachet du parti.

[60] [Vers le milieu du XVIIIe siècle. Bodmer, suisse de naissance, professeur d’histoire, contribua avec Gottsched, Breitinger et autres, à l’avancement de la philologie allemande. Il encouragea l’auteur de la Messiade, qui écrivit, lui aussi, sur la grammaire. Nul ne lit aujourd’hui la Noachide et les autres oeuvres poétiques de Bodmer.]

[61] [Hermagoras, de Tennos, contemporain de Cicéron et de Pompée, appartenait à l’école rhodienne. Cicéron et Quintilien le citent comme un maître.]

[62] [Rhetoricorum ad G. Herennium libri, attribués à tort à Cicéron et publiés dans toutes les éditions complètes de ses œuvres.]

[63] [Possessor ante omnia restituendtus disait et dit encore l’adage de droit.]

[64] [M. Mommsen fait allusion à la querela inofficiosi testamenti. — Instit., 2, tit. 18. — Dig., 5, tit. 2. De inoff. testam.]

[65] [Il s’agit ici de M. Porcius Cato Licinianus, fils du Censeur, gendre de Paul-Émile, et l’auteur de la fameuse règle de droit catonienne quod initio non valet, id tractu temporis non potest convalescere (Dig., 50, tit. 16, s. 98 § 1). — Quant à M. Brutus, v. sup. — Le livre de Caton paraît s’être intitulé de Juris disciplina (Gell., 13, 20) : celui de Brutus, de jure civili (Cicéron, pro Cluent., 51 ; de Orat., 2, 55). Mais ce n’était là que des recueils de consultations : v. Cicéron, de Orat., 2, 33.]

[66] [Jus civile primas constituit generatim in libros decem et octo redigendo, dit Pomponius.]

[67] [L’un des plus fameux peintres grecs. Il était de Thèbes et florissait au IVe siècle. – Pline, Hist. nat., 35, 36 ; 19, 35, 40, 41.]

[68] [Le temple de Jupiter et Junon, portant sur l’entablement le groupe fameux des cavaliers de Lysippe. Le portique fût remanié par Auguste. V. Paterculus, 1, 14. On en retrouve les fragments à la Pescheria Vecchia.]

[69] [Le Portique corinthien, ainsi appelé a capilulis œneis columnarum (Pline, Hist. nat., 34, 5).]

[70] [Il y avait six colonnes de marbre de l’Hymette, de 12 pieds de haut (Pline, l. c., 36, 3).]

[71] [Le temple de Brutus Gallœcus (Pline, l. c., 36, 5).]

[72] [Pline, l. c., 35, 12.]

[73] [Pline, l. c., 35, 11, 40. Les Athéniens l’avaient envoyé comme leur meilleur artiste.]