LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE DEUXIÈME. — LES MAGISTRATURES.

LE PRINCIPAT.

 

 

LES CONSULATS IMPÉRIAUX.

Nous avons déjà remarqué que ce fut d’abord le consulat qui fut choisi pour âtre la puissance à laquelle se lierait théoriquement le principat, mais qu’Auguste l’abandonna dans cette forme dès l’an 731. A partir de, là, le consulat a été détaché du principat et il ne subsiste, entre eux qu’un lien assez lâche. Nous avons aussi déjà expliqué que, tandis que le prince n’administre pas en cette qualité les autres magistratures républicaines et, quand il les a occupées précédemment, les passe sous silence dans ses titres, il revêt[1] et fait figurer dans ses titres le consulat comme la censure en qualité de magistratures allant de pair avec la sienne. Nous devons ici relever, au sujet des consulats impériaux, les rares traits qui leur sont propres[2].

L’acquisition du consulat fait, pour ainsi dire, partie de l’acquisition du pouvoir ou de l’association au pouvoir. Cependant, comme il y a, dès le début de l’Empire, une différence établie entre le consulat ordinaire commençant au début de l’année et les consulats acquis dans le cours de l’année, le nouveau prince ou le nouveau co-gouvernant revêt d’ordinaire le consulat seulement le ter janvier qui suit le commencement de son pouvoir[3]. Quelques princes impatients ont seuls devancé la date de leur consulat[4] et il a été encore plus rare qu’un empereur administrât autrement un consulat non ordinaire[5].

Probablement parce qu’il déplaisait aux empereurs de fonder l’éponymie sur leur puissance tribunicienne, on voit se manifester parfois une tendance à lier l’éponymie consulaire au principat d’une manière stable[6]. La collation du consulat au prince régnant pour la durée de sa vie a été décidée pour Gaius[7] et pour Vitellius[8] ; celle pour une série d’années pour Tibère et pour Séjan[9], pour Néron[10] et pour Domitien ; cependant il n’y à que la dernière de ces résolutions qui soit arrivée à exécution au moins dans ses termes essentiels[11]. On rencontre, en outre, des essais d’appropriation exclusive de l’éponymie consulaire sous Gaius[12], sous Vespasien[13] et sous Élagabal[14], sans pourtant que les désignations aient probablement cessé d’être renouvelées pour eux annuellement selon le mode ordinaire. En tout cas, il ne s’agissait que de la perpétuité du consulat éponyme et non de celle du consulat lui-même ; si bien que ce système ne ressemble qu’en apparence à la continuité du consulat qui avait été le fondement juridique du principat démocratique de Marius et de Cinna et même encore du pouvoir d’Auguste à ses débuts.

Au reste, l’occupation ou la non occupation du consulat par le prince dépend exclusivement de ses convenances, et il n’y a jamais eu à ce sujet de règles fixes[15].

Nous avons déjà dit que les empereurs, lorsqu’ils revotaient le consulat, le résignaient d’ordinaire avant le terme général habituel, souvent au bout de peu de jours. On voit encore là le rôle dominant joué par le souci de l’éponymie.

Il est arrivé que les empereurs, afin d’accomplir des actes auxquels ils n’avaient pas le droit de procéder en cette qualité, se soient fait conférer la puissance consulaire pour ces actes déterminés. Auguste a ainsi procédé au cens en vertu de la puissance consulaire la plus forte et Claude a ainsi donné des jeux. Ces exceptions confirment le principe établi par d’autres preuves, selon lequel les empereurs n’ont aucunement eu la puissance consulaire d’une façon générale.

 

 

 



[1] Dion, 53, 17. Appien, B. c. 1, 103, rattache cela à la combinaison faite par Sulla de la dictature et du consulat.

[2] On comprend que les empereurs se sont soumis, en qualité de consuls, aux usages ordinaires ; ainsi par exemple, ils faisaient déclarer leurs accensi à l’Ærarium pour les y faire rémunérer. C’est à tort que Hirschfeld, p. 290, voit là une particularité du gouvernement de Vespasien.

[3] Ainsi Pline dit, Panég. 57 : Initio principatus (c’est-à-dire après la mort de Nerva, pour le 1er janvier 99)... consulatum recusasti, quem novi imperatores destinatum aliis in se transferebant. Cela se rapporte sans doute directement à Domitien, qui, très peu de temps après son élévation au trône (13 septembre 81), s’intitulait sur ses monnaies cos. VII des. VIII et qui a probablement supplanté un ordinarius désigné. Biographie de L. Ælius, 3 : Mox consul creatus et quia erat deputatus imperio, iterum consul designatus est. Les monuments confirment cette règle et montrent qu’à la bonne époque on ne s’en écarte pas sans motif. Trajan et Alexandre Sévère ont refusé le consulat comme Augustes parce qu’ils l’avaient occupé immédiatement auparavant comme Césars, Marc-Aurèle et Lucius Verus, parce qu’ils arrivèrent au pouvoir en qualité de consuls. Commode, Geta, Diadumenianus et d’autres encore ne sont pas arrivés de suite au consulat comme Césars, Caracalla, ni comme César, ni comme Auguste, évidemment à raison de leur jeunesse, Des exceptions véritables et historiquement très importantes sont Tibère, son fils Drusus et Geta comme Auguste.

[4] Le consulat a été immédiatement offert à Caligula ; il attendit tout au moins qu’il devint vacant le lei juillet (Dion, 56, 6. 7 ; Pline, Panég. 57). Othon, après la mort de Galba le 15 janvier 65, revêtit le consulat le 26/29 janvier (acte des Arvales). Élagabal (Dion, 79, 8) revêtit également le consulat de suite en écartant le possesseur actuel, qui n’était pas son prédécesseur Macrin, qui sen était déjà démis auparavant. Le consulat impérial est le plus souvent traité dans ces cas pour les dates comme consulat ordinaire, quoiqu’il ne le soit pas.

[5] Néron l’a fait en l’an 68. Suétone, Nero, 43 : Consules ante tempus privavit honore atque in utriusque locum solus iniit consulatum, quasi fatale esset non posse Gallias debellari nisi a consule (et non a se consule). On reproche à Claude d’être entré en charge à la place du consul éponyme, désigné pour l’an 43, celui-ci étant mort avant d’entrer en fonctions (Suétone, Claude, 24). Il est aussi remarquable que Domitien, en qualité de César, s’accommoda presque toujours du consulat de second rang (Suétone, Dom. 2).

[6] Cela s’appelle, sous l’Empire, continuare consulatus, ainsi que le montre de la manière la plus claire Suétone, Auguste, 26, en désignant les consulats d’Auguste de l’an 3 à l’an 11 comme continuati et seulement ceux de l’an 6 à l’an 10 comme annui. Lorsqu’il parle du continuus consulatus d’Auguste, Cæsar, 16, il ne parle pas non plus de la continuité du consulat lui-même, mais seulement de celle de l’éponymie. Une continuité véritable, telle que l’entendait la langue rigoureuse du temps de la République, eut été incompatible avec les institutions d’Auguste, qui avaient besoin de consulaires.

[7] Elle fut prononcée en sa faveur, mais il la repoussa (Dion, 59, 6).

[8] Suétone, Vitellius, 11 : Comilia in decem annos ordinavit seque perpeluum consulem. L’inscription du même avec imperator cos. perp. (C. I. L. VI, 929) peut facilement être moderne, d’autant plus qu’elle est rédigée au nominatif. Sa mort empêcha la mise à exécution.

[9] En l’an 29, Tibère et Séjan furent désignés comme consuls pour cinq ans (Dion, 58, 4).

[10] Des continui consulatus furent votés à Néron par le sénat en l’an 58 (Tacite, Ann. 13, 41) ; ce qui ne signifie pas sans doute à vie. Il n’en a pas fait usage.

[11] Dion, Ép. 67, 4 (aussi chez Zonaras, 11, 19). L’acquisition de la puissance censorienne eut lieu en l’an 84 et les monnaies confirment que l’acquisition du consulat décennal eut lieu en même temps ; c’est-à-dire qu’il fut désigné en l’an 84 comme cos. X pour les années 85-94 : en effet, elles indiquent aux trois premières années de son règne la désignation consulaire pour l’année suivante (81, cos. VII des. VIII, 82, cos. VIII des. VIIII. 83, cos. VIIII des. X) et ne font plus ensuite allusion à la désignation, évidemment parce que la désignation spéciale pour l’année suivante disparut à la suite de la décision de l’an 84. La désignation décennale n’arriva pas à une exécution complète. Domitien revêtit le consulat seulement dans les années 85-81, 90, 92 et, après l’expiration des dix ans, de nouveau en 95. Suétone, Dom. 13. Ausone, Grat. act. 6, 21 : Scis... septem ac decem Domitiani consulatus, quos Ille invidia alios provehendi continuando conseruit... in ejus aviditate derisos.

[12] Gaius régna de 37 à 41 et fut consul en 37 et 39-41.

[13] Sous Vespasien on ne rencontre en dix ans de 70 à 79 que trois particuliers comme éponymes. Titus, au contraire, ne revendiqua que le premier consulat qui suivit son entrée en fonctions.

[14] Élagabal régna de 218 à 222 et fut consul en 218-220 et 222.

[15] Auguste, ne revêtit le consulat après 731 que deux fois, afin de pouvoir présenter au peuple, en qualité de magistrat le plus élevé, les deux princes impériaux u, moment où ils prirent le costume viril (Suétone, Auguste, 26). Tibère le revêtit de même dans l’intérêt de ses fils Germanicus et Drusus, lorsqu’ils reçurent le second consulat (Tacite, Ann. 2, 42. 3, 31) ; on voit donc de quelle importance il est qu’il ait fait la même chose, quand Séjan arriva au consulat. Le droit consulaire d’organiser des fêtes publiques extraordinaires peut aussi avoir joué un rôle dans ces occupations du consulat. En somme, on peut considérer les consulats impériaux comme étant, lorsque n’intervient pas l’ambition de l’éponymie, un acte de condescendance générale envers le sénat ou spéciale envers les collègues. Pline, Panég. 61. 78. 79.