LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE DEUXIÈME. — LES MAGISTRATURES.

LE PRINCIPAT.

 

 

LES POSTES IMPÉRIALES.

La poste impériale[1] est une création d’Auguste. Il créa, d’abord sur les grandes voies, des relais de messagers pour le transport des dépêches ; mais il les remplaça bientôt par des voitures de poste pourvues de relais où elles changeaient de chevaux[2], et c’est le système qui a subsisté. La fonction de ce service des postes est, en premier lieu, de transporter de station en station, non seulement le prince et les magistrats et les courriers voyageant par son ordre, mais tous ceux à qui le prince ou les autorités à qui il en avait donné le droit accordaient un permis de circulation ; et, en second lieu, de fournir dans chaque station à ces personnes tout ce qui leur était nécessaire[3], seconde charge qui, en particulier pour les voyages impériaux, a une portée très étendue. L’usage de la poste est donc exclusivement restreint à ceux à qui l’empereur l’accorde directement ou par intermédiaire et qui reçoivent, à titre de pièce justificative, une lettre de poste (diploma)[4]. Les véhicules et les attelages nécessaires et les autres choses dont on avait besoin ont été obtenus des cités par voie de réquisition[5], jusqu’à ce qu’à la suite de l’abus criant fait de cette institution par des gouvernants antérieurs à Domitien[6] et, par dessus tout, par Domitien lui-même dans ses voyages[7], ce service fut mis par les empereurs subséquents à la charge du fisc[8]. Cependant, même dans la période postérieure on ne s’est pas seulement déchargé abusivement d’une partie de ces frais, probablement très considérables, sur les cités et les particuliers ; l’État ne s’est, en outre, probablement jamais chargé que des prestations courantes et ordinaires fixées à une certaine moyenne, tandis que, dans les cas extraordinaires, en particulier lors des voyages impériaux, on a certainement toujours recouru en même temps à de larges réquisitions faites sans grande indemnité.

En vue de ce service de voitures de poste, l’ensemble de l’empire a été divisé, dans la période récente, en districts postaux[9] à la tête de chacun desquels était placé un præfectus vehiculorum, le plus souvent de rang équestre. Ces directeurs des postes sont classés entre eux d’après leurs appointements et ont à peu près le même rang que les procurateurs provinciaux[10]. Le plus haut placé et le mieux appointé est celui de la voie Flaminia de Rome à Ariminum, qui était la grande artère, par laquelle s’effectuaient principalement à cette époque les relations entre la capitale et Ies pays transalpins et par laquelle l’empereur se rendait ordinairement à l’armée en cas de guerre. Ce directeur ajoute en conséquence parfois à son titre officiel le complément a copiis Augusti[11].

 

 

 



[1] Cf. sur cette institution dont nous ne donnons ici qu’un aperçu, Marquardt, Handb. 4, 558 et ss. = tr. fr. 9, p. 587 et ss., et les ouvragés cités, en particulier Hirschfeld, Untersuch. p. 98 et ss.

[2] On est surpris que la République n’en soit pas arrivée à cette institution si facile à trouver et bien connue des Grecs ; mais nous ne voyons à cette époque que de simples courriers, et Suétone dit, Auguste, 42 : Il disposa sur les routes stratégiques, à de courtes distances, d’abord des jeunes gens, puis des voitures, afin d’avoir des nouvelles plus promptes des provinces, et de pouvoir plus aisément aussi interroger les courriers qui lui étaient dépêchés d’un lieu quelconque, quand les circonstances l’exigeaient.

[3] La nécessité que les voyageurs soient logés et nourris se comprend, pour ainsi dire d’elle-même, dans une institution de cette nature et la chose est suffisamment attestée pour le cursus publicus récent, soit en ce qui concerne le logement dans les mansiones, soit en ce qui concerne la nourriture. Mais ce à quoi avait droit le voyageur officiel variait naturellement beaucoup selon les lieux et aussi selon le rang du voyageur. Les services qu’il reçoit ressortent surtout lorsqu’il ne trouverait pas sans cela au dehors l’abri nécessaire pour voyager et, lorsque la poste est utilisée par l’empereur ou des personnages haut placés.

[4] V. les détails dans Hirschfeld, Untersuch. p. 404 et ss. Nous pouvons seulement remarquer ici que la délivrance d’un diplôme en son propre nom était regardée comme une usurpation du principat (Tacite, Hist. 2, 65) et que pendant l’intervalle qui sépara la mort de Néron de l’arrivée de Galba à Rome, on discuta le point de savoir si la délivrance des lettres de poste appartenait aux consuls ou au præfectus prætorio (Plutarque, Galba, 8) ; ce qui revenait à se demander si Galba était ou non déjà reconnu comme souverain légitime.

[5] Plutarque, Galba, 8.

[6] Un édit de l’an 48 de l’empereur Claude duquel un exemplaire s’est conservé à Tégée en Arcadie (Eph. ep. V, n. 487 = C. I. L. III, suppl. 7254) commence en exprimant le regret que l’empereur ait à plusieurs reprises vainement essayé et colonias et municipia non solum Italiæ, verum etiam provinciarum, item civitat[es] cujusque provinciæ lebare oneribus ver[ædo]rum præbendorum.

[7] Pline, Panég. 20 : Nullus in exigendis vehiculis tumultus, nullum circa hospitia fastidium... quam dissimilis nuper alterius principis transitus, si tamen transitus ille, non populatio fuit, cum abactus (peut-être abactu ou abactibus) hospilium exerceret (le texte qui nous a été transmis porte, peut-être avec raison, exereret) omniaque dextra lævaque perusia et attrita. Cf. et Suétone, Tibère, 38.

[8] Il y a des monnaies de Nerva avec la légende Vehiculatione Italiæ remissa (Eckhel, 6, 408), d’après laquelle la remise se restreignait fit l’Italie. Trajan modifia aussi le régime des postes (Victor, Cæs. 13, 6). Mais les véritables créateurs du cursus fiscalis furent Hadrien (Vita, 7) et, après que la poste fut redevenue une charge communale, Sévère (Vita, 44). — Les mancipes et junctores jumentarii viarum Appiæ, etc., qui offrent des présents aux præfecti vehiculorum en 244 et 226 sont nécessairement les premiers les redemptores de ce service des voitures et les seconds (cf. Digeste, 50, 46, 203) les voituriers. Si les premiers sont, comme il semble, les mancipes viarum cités chez Tacite, Ann. 3, 3t, et dans les inscriptions C. I. L. VI, 8468. 8469 (οί έργολαβήσαντές τι παρ' αύτών — les curatores viarum — chez Dion, 59, 15), l’entretien des routes italiques et le service des postes leur étaient affermés simultanément et ils étaient à la fois en rapports avec les curatores viarum et les præfecti vehiculorum.

[9] Via Flaminia dans les deux inscriptions citées, note 11, et dans une troisième, C. I. L. X, 7585. — Viæ Appia, Trajana, item Annia cum ramulis (probablement trois districts soumis à trois præf. vehiculorum inscription de Rome de l’an 214, Bull. della comm. mun. 12, année 1884, p. 8. 9. — Viæ... ciæ Veneti[m Tra]nspadanæ, A[emiliæ] (également sans doute plusieurs districts postaux : inscription de Rome de l’an 226, loc. cit. p. 9). — Gallia : C. I. L. VI, 1641. — Lugdunensis, Narbonensis, Aquitanica : C. I. L. VI, 1624 = XIV, 170. — Pannonia utraque, Mœsia superior, Noricum : C. I. L. III, 6075. — Le procurator pugillationis et ad naves vagas récemment découvert dans le territoire de Laurentum, un affranchi impérial évidemment employé au service de l’empereur dans les ports du Latium (C. I. L. XIV, 2045) a été rapporté par Henzen à une poste maritime ; on pourrait plus vraisemblablement y voir un employé chargé d’enregistrer (pugillatio) les navires venant à titre isolé dans les ports latins (par opposition aux flottes permanentes du service des grains).

[10] Les præfecti vehiculorum sont, selon leur traitement, ou ducenarii (C. I. Gr. 5895, rapproché de la note 11 ; C. I. L. X, 6662. 7580) ou centenarii (C. I. L. X, 5180) ou sexagenarii (C. I. L. VI, 1624).

[11] C. I. L. X, 6662, avec laquelle (ainsi que l’avait déjà reconnu pour les points essentiels Hirschfeld, chez Friedlænder, Sillengesch., 1, 5 ed. 159) concorde exactement la pierre difficile C. I. Gr. 5895 (maintenant au Capitole), de l’inscription de Nicopolis en Épire, C. I. Gr. II, 1813 b, p. 983, si c’est là le complément exact des lettres ΑΠΟΔΙ// qui nous ont été transmises et s’il ne faut pas lire avec Hirschfeld, Untersuch. 1, 18, άπο[τιμή]σεων. — Le poste a copiis militaribus ou castrensibius se rencontre dans les premiers temps de l’Empire comme poste d’affranchi (C. I. L. VI, 8537-8540), du temps de Claude et des Flaviens. L’affranchi d’Antonin le Pieux qui semble avoir occupé à la fois ce poste et la præfectura vehiculorum (C. I. L. VI, 1598) est trop exceptionnel sous d’autres rapports encore pour qu’on puisse en conclure que la præfectura vehiculorum ait été un emploi d’affranchi avant de devenir une fonction équestre. Sous Marc-Aurèle on rencontre un chevalier considéré prœpositus copiarum expeditionis Germanicæ secundæ de rang équestre (Orelli, 198.= C. I. L. II, 4114). Sur les dispensatores voisins, cf. la fin du chapitre La cour et la maison de l’empereur. — Hirschfeld, Getreideverwaltung, p. 29 ; Untersuch. p. 102, rapporte à une fonction analogue occupée près de Domitien pendant la campagne de Dacie les mots de Stace, Silves, 4, 9, 16 : Priusquam le Germanicus arbitrum sequenti annonæ dedit omniumque late præfecit stationibus viarum. La poésie est adressée en l’an 95 à Plotius Grypus, qui est désigné dans le préambule comme majoris gradus juvenis et qui était probablement le fils du consul du même nom de l’an 88 (Henzen, Acta Arv. p. 194) ; d’après l’ensemble de la pièce il doit s’agir d’une fonction administrative exercée hors de Rome et on ne peut donc penser avec Henzen, Relazione, p. 48, au præfectus frumenti dandi qui est sûrement urbain. Annona peut être employé dans ce sens, montre Pline, Panég. 20 (m’écrit Hirschfeld) et la sequens annona peut facilement être rapportée aux copiæ suivant l’empereur. Je préférerais maintenant cette explication de Hirschfeld au rattachement antérieurement proposé par moi à une cura viæ ; il reste cependant cette objection qu’alors un homme de rang sénatorial est mis dans un poste occupé d’abord par des affranchis impériaux et plus tard par des personnages de rang équestre.