LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE DEUXIÈME. — LES MAGISTRATURES.

L’ÉDILITÉ.

 

 

Il n’y a pas de magistrature romaine dont la portée primitive se soit postérieurement modifiée au môme degré que celle de l’édilité, et par suite il n’y en a aucune dont la signification première soit aussi obscure. Quoique les fils de rattachement n’aient naturellement pas fait défaut, l’édilité de l’époque où la cité plébéienne avait une existence indépendante à côté de la cité patricienne est une institution absolument différente de l’édilité de la cité patricio-plébéienne unie ; or, tandis que nous sommes suffisamment instruits sur l’édilité moderne par -des témoignages contemporains, nous sommes réduits, pour l’autre, à des déductions douteuses et à de prétendus témoignages qui sont probablement en grande partie fondés sur de pareilles déductions et par suite encore plus douteux s’il est possible. Il sera donc à propos d’étudier, en tant que cela se peut, les deux institutions séparément.

 

I. — L’ÉDILITÉ DE L’ANCIENNE CITÉ PLÉBÉIENNE.

Tous les témoignages sont d’accord sur ce point : l’institution de l’édilité plébéienne coïncide avec la constitution de la plèbe elle-même et de son tribunat, ou, ce qui revient au même, la plèbe, en s’organisant en communauté, s’est donné une double autorité directrice dans le tribunat et l’édilité[1]. Si le tribunat est, comme nous l’avons vu, une copie du consulat patricien, l’édilité plébéienne se présente encore plus nettement comme une copie de la questure patricienne. Lorsque la plèbe obtint ou s’arrogea le droit de s’organiser en État dans l’État, elle le fit naturellement sur le module des formes de l’État existant : elle se donna, en même temps qu’une assemblée délibérante, un gouvernement de quatre magistrats : deux chefs et deux auxiliaires. C’est à parfaitement bon droit que le récit de ces événements représente l’établissement du concilium, des tribuns et des édiles non pas comme des faits séparés, mais comme des faits unis, comme des parties inséparables du grand acte de la constitution de la plèbe. La collégialité, l’annalité, l’élection par le peuple, la hiérarchie, tous les principes directeurs de la cité romaine ont été transportés à la plèbe nouvelle : il en a été de même des modalités des diverses magistratures, en tant que les choses le permettaient. Nous devons donc toujours avoir devant les yeux, pour I’exposition de l’édilité originaire, la questure la plus ancienne à laquelle elle est corrélative.

Le nom ædilis, au sens propre un adjectif[2], qui est la seule dénomination attestée pour cette magistrature et qui en a probablement été le titre originaire[3] n’a pas été, autant que nous sachions, transporté, comme celui des tribuns, d’une autre institution à la nouvelle magistrature, il a probablement été créé pour elle. Peut-être le déterminatif plebeius ou plebi[4], n’a-t-il pas été attaché dès le principe à ce nom de magistrature et n’a-t-il apparu que lorsque l’établissement d’édiles non plébéiens rendit nécessaire de distinguer les deux catégories.

On appliqua pareillement à ces fonctions les règles générales de la magistrature romaine : en premier lieu, la collégialité ou plutôt, d’après la forme qu’elle revêtait alors, la dualité, en second lieu, l’annalité ; et enfin le principe de l’élection des magistrats par le peuple sous la direction des magistrats supérieurs. Si, ainsi qu’il est possible, les édiles ont d’abord été nommés par les tribuns sans le concours de la plèbe, comme les questeurs par les consuls, il ne s’en est conservé aucun souvenir. Le droit des tribuns de nommer les édiles s’est, s’il a jamais existé, de bonne heure transformé, comme celui des consuls de nommer les questeurs, en droit de présider leur élection. Naturellement l’assemblée qui élisait était la plèbe et le magistrat supérieur qui présidait un de ses tribuns[5] ; et le plébéiat était aussi exigé symétriquement comme condition nécessaire d’électorat et d’éligibilité : nous reviendrons sur ce dernier point, au sujet de l’édilité moderne.

La protection juridique fondée sur le serment de la foule au lieu de l’être sur la loi du peuple que nous avons déjà rencontrée chez les tribuns, la sacrosancta potestas[6], est commune au tribunat et à l’édilité. De fait il était indispensable d’étendre cette garantie à tous les magistrats de la plèbe[7], puisque aucun d’eux n’était tenu légalement pour un magistrat du peuple et qu’aucun d"eux n’aurait pu accomplir ses obligations, si les magistrats du peuple avaient pu le faire citer devant eux et le faire arrêter comme un simple particulier. Cependant de la position subalterne occupée par l’édilité en face du tribunat, que nous allons avoir à étudier dans un moment, il suivait une idée que nous avons déjà relevée en nous occupant du tribunat : les édiles sont bien sacro-saints au sens primitif, étant protégés en droit par un serment et non par une loi ; mais l’idée de puissance la plus élevée de toutes, liée à la puissance sacro-sainte des tribuns, est étrangère à celle des édiles. Car, si, nous ne dirons pas la puissance, mais l’inviolabilité des édiles est en face des particuliers et des magistrats du peuple aussi absolue que celle des tribuns, elle ne peut pourtant être efficace contre les tribuns eux-mêmes, et ceux-ci ont forcément été aussi libres de citer les édiles devant eux et de les faire arrêter, que les consuls l’étaient en face des questeurs.

Relativement aux attributions des édiles, tous les témoignages sont d’accord pour affirmer qu’ils ont été d’abord les tribunats auxiliaires et les subalternes des tribuns[8], tandis que par la suite l’édilité nous apparaît non seulement comme absolument dégagée du tribunat, mais comme placée au-dessus de lui dans l’ordre hiérarchique. Que cette allégation soit un véritable témoignage ou une ; simple conclusion des savants romains, elle est indubitablement véridique, et, comme nous avons déjà dit, une conséquence du régime primitif a subsisté jusqu’à l’époque la plus récente, c’est la présidence des élections de ces édiles par les tribuns.

Pour déterminer de plus près les attributions des édiles[9] il faut partir de l’idée que les édiles sont les auxiliaires des tribuns ; par suite, d’une part, ils sont, comme les questeurs, non pas enfermés dans un cercle d’attributions défini, mais employés dans des buts très divers[10] ; d’autre part, les actes étrangers à la compétence des tribuns ne peuvent qu’exceptionnellement avoir été compris dans celle des édiles. Il résulte immédiatement de là un caractère négatif que l’édilité a conservé de tout temps : sa sphère d’action est exclusivement relative à l’administration de la ville et étrangère au territoire militiæ.

Les points de repère positifs doivent aussi être cherchés, pour la compétence primitive des édiles, dans leur rôle d’auxiliaires. Le rôle positif des tribuns rentrant dans la sphère générale de l’État, — leur rôle négatif d’intercession n’entre pas en ligne de compte pour les édiles à cause de leur caractère de magistrats inférieurs, se résume à l’origine en totalité, dans l’exercice du droit de punir ; il faut admettre la même chose pour les édiles ; et, c’est ce que font les deux auteurs qui définissent le caractère de l’ancienne édilité par opposition à la moderne[11]. L’édilité imite là aussi son modèle patricien ; car, comme on sait, l’exercice de la justice criminelle appartient, dans l’ancienne République, principalement à la questure.

Mais, selon la conception des autorités anciennes, le rôle des édiles en matière de procès criminels est double. En premier lieu, ce sont eux qui, lorsque les tribuns exercent leur juridiction criminelle, procèdent pour eux à la prensio et à l’exécution[12]. C’est probablement, en première ligne, pour cela qu’on les appelle positivement les serviteurs des tribuns ; vraisemblablement ces derniers n’avaient pas encore alors de viatores ou, s’ils en avaient, ces agents ne faisaient pas encore partie des personnes soustraites à la coercition des magistrats du peuple : le magistrat attaqué pouvait donc se servir contre eux de ses droits opposés de magistrat ou le particulier attaqué du droit de se défendre lui-même. En second lieu, les édiles ont le droit d’intenter d’une manière indépendante une poursuite criminelle et — c’est une conséquence forcée — de défendre leur sentence devant le peuple. Tout au moins les maîtres du droit public romain l’admettent et ils paraissent même avoir accordé aux édiles plébéiens de cette époque une compétence plus étendue que la compétence édilicienne postérieure et égale à celle des tribuns[13]. Nous ne pouvons dire de quel droit ils l’ont fait. Certainement il est contre nature d’accorder aux mêmes magistrats qui sont en matière d’arrestation et d’exécution les serviteurs des tribuns un droit de prononcer des sentences indépendantes et de défendre leurs jugements, égal à celui des tribuns. Mais il est sage de ne pas s’écarter de la tradition juridique, en général digne de foi, sans raisons impérieuses ; or il n’y en a pas de pareilles. La juridiction criminelle des tribuns étant probablement issue de leur droit de se faire justice, la même chose a pu s’étendre aux édiles. Si en outre il faut nécessairement admettre pour les corvées, dont nous allons nous occuper tout à l’heure, que la coercition inférieure exercée par voie d’amendes et de prises de gages a été de !bonne’ heure exercée par les édiles du peuple, elle leur a peut-être, été accordée dès la fondation de l’édilité, de telle façon qu’ils pussent prononcer des amendes supérieures au taux des multæ et qu’ils eussent, en pareil cas, le droit de défendre leurs sentences devant le peuple. Enfin la conformation donnée à la magistrature en 387 n’implique pas sans doute avec nécessité une juridiction criminelle plus ancienne des édiles plébéiens, mais elle apparaît cependant comme infiniment plus compréhensible en partant de cette supposition.

Selon la tradition, les édiles avaient en outre, sous la surveillance des tribuns, la conservation des titres concernant la plèbe, et en particulier les sénatus-consultes, c’est-à-dire probablement ceux desquels dépendait, à l’époque ancienne, la validité des plébiscites, étaient déposés entre leurs mains au temple de Cérès[14]. Nous avons encore là une contrepartie de l’activité symétrique des questeurs avec leur local officiel situé au temple de Saturne. Lorsque après la loi Hortensia de 465-468, les plébiscites n’eurent plus besoin de cette ratification, le dépôt doit avoir disparu. Cependant c’est là l’origine certaine de la participation des édiles à l’administration des archives que nous retrouverons plus loin.

Les fonctions relatives à l’ensemble de l’État ne conviennent point à l’édilité primitive ; les récits qui font remonter la surveillance des édiles sur le marché aux grains[15] et la police des édiles[16] jusqu’à l’époque de l’édilité purement plébéienne sont probablement des anticipations défectueuses. Cependant il pourrait y avoir à l’exclusion des fonctions officielles véritables, qui est absolue pour les tribuns, une exception importante pour les édiles. Si les édiles de la plèbe n’ont pas même été créés directement pour cela, ils paraissent avoir eu dès le principe un emploi déterminé, nous ne dirons pas dans les constructions publiques, mais dans les corvées qu’elles nécessitaient. Selon les allégations des annales la reconstruction de la ville après l’incendie des Gaulois est surveillée par les édiles plébéiens[17]. Pour les travaux publics qui sans aucun doute ont été le plus longtemps accomplis par le travail direct des citoyens, pour le pavage des rues, l’adjudication du marché, quand elle a finalement été étendue là, est toujours restée aux édiles, verrons-nous ; c’est un autre indice de leur compétence première. On peut aussi rattacher à la création de l’édilité plébéienne la prescription qui nous a été transmise comme faisant partie du régime municipal et selon laquelle un certain maximum doit être observé dans l’imposition des corvées[18] et la haute surveillance appartient aux édiles[19]. Les corvées ont probablement joué un rôle saillant dans la constitution de la plèbe : les plébéiens ont probablement alors non seulement contraint à ce qu’on les soumit à un maximum, mais en outre obtenu la création d’une autorité plébéienne dont le contrôle remplaça celui des consuls. Assurément on ne peut pas admettre que les corvées, qui ont toujours été considérées comme une charge foncière, ne se soient pas étendues aux patriciens, et il n’est pas plus vraisemblable que ces derniers aient été mis alors sous un contrôle plébéien. Mais, si nous ne pouvons que relever les difficultés sans les résoudre, il n’en reste pas moins vraisemblable que les édiles de la plèbe ont eu, dès l’origine, la surveillance des constructions publiques élevées au moyen de corvées des plébéiens. Cette solution est recommandée à la fois par le caractère général de l’édilité et par sa dénomination. Si les édiles sont nés comme autorités plébéiennes concernant les constructions faites par corvées, la compétence générale de police de l’édilité patricio-plébéienne postérieure a pu aisément et naturellement sortir de là. La dénomination[20] enfin est d’autant plus importante pour la détermination de la sphère d’opérations première de l’édilité qu’elle paraît avoir été créée pour cette magistrature et avec elle. Or ædilis, est avec ædis dans la même relation que sedilis, civilis, juvenilis avec sedes, civis, juvenis[21]. La relation du mot dérivé et de sa racine, a comme on le conçoit, été entendue différemment tant parmi les anciens que parmi les modernes[22] et l’étymologie du mot tirée du temple de Cérès en sa qualité de local officiel des édiles de la plèbe est admissible. Cependant on peut lui objecter que le temple de Cérès n’était pourtant pas le temple au sens absolu et qu’on n’eut guère pu se passer d’une détermination plus précise. Si au contraire les édiles de la plèbe ont eu dès l’origine la surveillance des corvées, il était correct de leur donner le nom de chefs des constructions. Il est en outre d’accord avec cette idée qu’ainsi que nous l’avons déjà remarqué, les édiles plébéiens aient reçu, semble-t-il, avant tous les autres magistrats inférieurs, un droit de coercition limité aux moyens de contrainte pécuniaires de la prise de gage et de l’amende.

 

 

 



[1] Il est surprenant que Tite-Live omette la fondation de l’édilité. Mais ce n’est qu’une faute de négligence. Il en suppose l’existence dès l’an 291 (3, 6, 9) et il la cite, 4, 4, parmi les magistratures créées postérieurement, à la suite du tribunat. Denys, 6, 90, après avoir relaté la conclusion de la paix entre le peuple et la plèbe et la création du tribunat, représente la plèbe comme demandant au sénat et obtenant de lui la création de l’édilité. Zonaras, 7, 15. Aulu-Gelle, 17, 21, 11. Festus, p. 230 (avec les compléments de l’Epitomé). Pomponius, Digeste, 1, 2, 2, 21. L’antiquité n’a évidemment pas connu de récit distinct de la création de la plèbe.

[2] Duo viri ædiles dans un sénatus-consulte, chez Tite-Live, 6, 42.

[3] Il n’y a pas grand fond à faire sur l’assertion de Denys, 6, 90, selon laquelle les deux magistrats qui s’appellent maintenant édiles auraient été d’abord nommés ύπηρέτας τών δημάρχων καί συνάρχοντας καί δικαστάς.

[4] Ædilis plebeius ne se trouve pas seulement dans Festus, note 1, et Tacite, Ann. 13, 28 ; un document du temps de la République récemment découvert à Rome (C. I. L. VI, 3821) porte [ar]bitratu ædilium plebeium. Ædilis plebi auquel s’applique la remarque faite sur tribunus plebei, plebi, plebis, se trouve en toutes lettres sur l’inscription C. I. L. VI 1396 ; æd. plebei, C. I. L. VIII, 971. En grec, le même personnage est appelé άγορανόμος δημοτιχός (Plutarque, Mar. 5) ou (έκ) τοΰ πλήθους (Dion, 43, 48. 47, 40), aussi sans doute καταδεέστερος ou έλάττων (v. plus bas).

[5] C’était là le système primitif de vote, Denys, 6, 90, le montre sans équivoque. Pour la période postérieure, il est tout au moins avéré que les élections plébéiennes suivaient leur cours en dehors de celui des patriciennes et que dans les années 701 et 709 l’absence des dernières n’eut pas d’influence sur elles (Suétone, Cæsar, 76. Dion, 42, 20). Elles ne peuvent avoir été présidées par un autre magistrat que par un magistrat plébéien, et quoique il n’y ait pas à ce sujet de témoignages exprès, on ne voit pas de motif pourquoi le mode primitif de scrutin aurait été modifié plus tard et la présidence de l’élection de leurs successeurs aurait été transférée aux édiles à l’encontre des analogies. C’est précisément sans doute en cela et par là que le souvenir de la subordination primitive des édiles aux tribuns est demeuré aussi vivant que nous le voyons chez les Romains de la période récente.

[6] En dehors de ce qui a été dit à ce sujet à propos du tribunat au tomme III, ce privilège est spécialement attesté pour les édiles par le discours de Caton (chez Festus, v. Sacrosanctum, p. 218) ædiles plebis sacrosanctos esse et par la remarquable exposition de Tite-Live, 3, 55, distinguant entre le privilège des tribuns fondé sur le serment populaire et celui des édiles basé uniquement sur la loi. Nous reviendrons plus loin sur ce dernier point. Lorsque Tite-Live, 29, 20, 11, dit de l’édile du peuple adjoint à l’ambassade du sénat à Scipion : Quem... prendere tribuni juberent acjure sacrosanctæ potestatis reducerent, la puissance sacro-sainte des édiles est tout an moins englobée dans son idée. Enfin on pourrait encore rattacher à cela la tentative inutile faite par C. Scantinius Capitolinus pour se soustraire, en invoquant sa puissance sacro-sainte, au procès en paiement d’une amende intenté contre lui par l’édile curule M. Marcellus (Val. Max. 6, 1, 7) ; car Capitolinus est bien appelé tribun du peuple par Val. Maxime ; mais Plutarque le dit collègue de Marcellus (Marc. 2) et cette dernière version est préférable, d’une part, attendu que la sacro sainteté, peu connue, des édiles pouvait aisément être confondue avec celle universellement connue des tribuns, d’autre part, attendu que l’appel a l’auxilium tribunicium se conçoit bien d’un édile tandis que pour un tribun on s’attendrait tout au moins à une autre rédaction. Au reste, si Denys ramène, comme il semble, la sacro sainteté des édiles à ce que l’offense au serviteur implique offense au maître (17, 35), est faux et c’est même un contresens. D’abord ce n’est pas du tout la même chose de résister à un licteur ou à un mandataire privé des consuls, et ensuite, si le principe en question avait été vrai, il eut été fort superflu de pourvoir les agents ordinaires des tribuns d’une puissance sacro-sainte propre.

[7] La loi exposée dans Tite-Live, loc. cit., l’étend même aux judices decemviri.

[8] Denys, 6, 90. 6, 95. Zonaras, 7, 15.

[9] Comme on ne peut trouver dans la tradition rien de plus que des points d’appui relativement aux plus anciennes fonctions des édiles plébéiens, c’est exclusivement dans le vide qu’on a esquissé tout dernièrement quelques systèmes. Soltau, Die urspruengliche Competenz der ædiles plebis, Bonn, 1882, p. 36, en fait une magistrature de classe plébéienne et une justice arbitrale plébéienne. Il n’y a place ni pour l’une ni pour l’autre a côté des institutions du peuple, et la dernière conjecture est contradictoire : la justice arbitrale avec la force exécutoire est la justice que les édiles n’ont pas, et une justice arbitrale sans pouvoir de juridiction est en dehors des fonctions publiques. — L’hypothèse d’Ohnesseit, Zeitschr. d. Savignystiftung, rom. Abth. 1883, p. 200 et ss., selon laquelle l’édilité romaine, plébéienne ou curule, serait dérivée de l’édilité latine, ne vaut pas mieux. Si l’édilité était dans les cités latines une institution primitive, elle l’était aussi à Rome, car Rome était avant tout une ville latine et tous les éléments de la constitution politique sont d’accord avec cela. Or l’édilité de Rome, en sa qualité d’institution plébéienne, n’y date certainement pas des origines ; elle ne peut donc pas non plus en dater dans le Latium. L’édilité latine qui correspond notoirement à l’édilité curule plus récente, est visiblement un élément introduit par l’influence romaine dans les institutions des villes latines que nous connaissons : l’uniformité des deux institutions force Ohnesseit lui-même à l’admettre pour les modalités, p. 202. Certainement l’édilité et la questure étant l’une et l’autre des magistratures inférieures ont eu pour origine les fonctions d’auxiliaires de magistrats supérieurs ; mais précisément pour cela il n’y a évidemment eu place dans les institutions primitives que pour l’une d’elles, ainsi que cela se voit dans les anciennes institutions romaines, et elles n’ont été coordonnées que par une combinaison postérieure.

[10] Cette idée se trouve appliquée dans le récrit de l’affichage public des Douze Tables donné par Tite-Live, 3, 51, 10, comme variante : Sunt qui jussu sribunorum ædiles functos eo ministerio scribant. Il peut en outre se lier à ce que ce code pouvait en un certain sens être compté parmi les privilèges de la plèbe et que ces derniers étaient sous la garde des édiles. Cependant l’histoire est en réalité mal inventée ; car comment unie loi du peuple romain aurait-elle pu, a cette époque, être publiée par les magistrats de la plèbe ?

[11] Zonaras le fait nettement (7, 15) ; Denys (loc. cit.) s’exprime dans une langue hésitante ; mais pourtant il représente aussi la juridiction comme étant tout au moins le principal.

[12] C’est le rôle joué par les édiles dans le procès de Coriolan et surtout dans celui projeté contre P. Scipio, chez Tite-Live, 29, 20, 44. 38, 52, 7 et Diodore, p. 511.

[13] Dans les indications générales de Denys et de Zonaras (note 8), δικάζειν signifie nécessairement quelque chose de plus que l’aide apportée à la juridiction des tribuns ; et cette idée est confirmée par l’assertion des annales relatives à l’an 300. Dies dicta est Romilio ab C. Calvio Cicerone tr. pl., Veturio ab L. Allieno æd. pl. : uterque... damnatus Romilius X milibus æris, Veturius XV (Tite-Live, 3, 34 ; Denys, 10, 48). On remarquera l’égalité complète qui est admise là entre les deux espèces de magistrats et qui n’est aucunement vraie à l’époque historique. A cette époque, verrons-nous, le tribun serait seul compétent ; si donc le récit vient d’un homme du métier, il a voulu attribuer aux anciens édiles plébéiens une juridiction plus étendue que celle des édiles des temps historiques. On pourrait rapprocher de là la restriction générale apportée à la juridiction plébéienne par la loi des XII tables.

[14] Tite-Live, 3, 55, sur l’an 305. Il n’y a pas en présence du caractère de l’écrivain grand fond à faire sur l’allégation plus détaillée de Pomponius, Digeste, 1, 2, 2, 21, quoique elle ne soit pas en elle-même invraisemblable. C’est sans doute à cette institution plébéienne que pense Cicéron, De leq. 3, 20, 46, en parlant de la garde des titres pour laquelle il existait anciennement une surveillance de magistrats plus tard disparue. Certainement ce n’est pas non plus par hasard qu’à l’époque récente les édiles plébéiens offrent fréquemment des présents au temple de Cérès et les édiles curules jamais (Schwegler, Rœm. Gesch. 2, 278, note 5), ni que César a créé des édiles plébéiens de Cérès distincts.

[15] L’édile plébéien M’. Martius, auquel Pline, H. n. 18, 3, 15, fait remonter la cura annonæ (cf. ci-dessous) parait être placé avant Sp. Mœlius (315 de Rome). Cependant les meilleures annales ne connaissent, conformément à la définition de l’édilité première, la cura annonæ que comme fonction des consuls ou de magistrats extraordinaires, ainsi qu’Hofmann, De ædil. p. 64, le remarque avec raison.

[16] Tite-Live, 3, 6, sur l’an 291, dans la description d’une peste. Le même, 4, 30 sur l’an 326, pendant une calamité semblable. Il n’est pas absolument impossible que dès cette époque les édiles de la plèbe se soient inquiétés de pareilles choses et aient reçu du sénat des mandats de ce genre. Mais il est bien plus vraisemblable de regarder ces récits comme des anticipations de l’état de choses postérieur.

[17] Tite-Live, 5, 55, 3. 6, 4, 6. Ces constructions considérées comme des constructions publiques (en sorte qu’il est donné caution à l’État de leur achèvement dans l’année) sont analogues aux constructions publiques accomplies par corvées en ce sens qu’il n’y a pas pour elles de marché de travaux et que l’accomplissement d’une certaine tâche peut parfaitement avoir été aussi imposé à l’obligé dans les travaux faits par corvées. La réception (exigere) de ces travaux par les édiles, et par les édiles plébéiens seuls existants à cette époque, peut être conçue en ce sens que les annalistes bien informés auraient attribué aux édiles la réception au cas des travaux faits par corvées, et aux censeurs au cas de marché. On peut encore comprendre dans ce sens la réception des travaux par les édiles citée à côté de celle par les censeurs en matière d’aqueducs par Frontin.

[18] La disposition contenue à ce sujet dans le statut césarien de la colonie d’Urso, c. 98, et selon laquelle pouvaient être imposées annuellement par sénatus-consulte cinq journées de travail (Operæ : cf. l’inscription de Tibur, C. I. L. XIV, 4259) à chaque homme (libre ou esclave) de quatorze à soixante ans et trois à chaque attelage est probablement une imitation de dispositions romaines.

[19] Eique munitioni, dit le texte précité, ædiles qui tum erunt ex decreto decurionum præsunto. Les édiles ont donc à Urso exercé la surveillance sur tous les travaux accomplis manuellement ou par charrois par le peuple ; et quoiqu’il s’agisse là en première ligne des rues et des chemins, les élévations de murailles et les autres constructions publiques sont aussi comprises.

[20] Toutes les autres acceptions du mot paraissent être dérivées du titre de la magistrature romaine. Il en est indubitablement ainsi des édiles qui sont magistrats de nom et prêtres de fait que l’on rencontre, par exemple, à Ostie, à Tusculum et à Pompéi. Si le ou les chefs du vicus et du pagus peuvent être appelés ædiles, ainsi que cela se présente déjà dans le titre de 696 C. I. L. IX, 3543, et dans l’inscription C. I. L. IX, 3392, qui n’est pas plus récente, cela vient sans doute de l’édilité municipale, et d’ailleurs le vicus est souvent considéré comme un pseudo-municipe ; les travaux commandés se rencontrent du reste aussi là (Siculus Flaccus, p. 446). L’ædilis a vexillatione factus, C. I. L. VI, 4063, est appelé ainsi comme donnant des jeux et il faut sans doute entendre de même l’ædilis castrorum C. I. L. VI, 231. L’emploi d’ædilis dans le sens d’ædituus n’est, en dehors de l’hypothèse étymologique, avéré nulle part et moins que partout ailleurs dans le fragment gravement corrompu de Varron chez Nonius, v. Gallare, p. 449.

[21] Il suffit de mentionner l’allégation de Festus, Ep. p. 13, selon laquelle dictus est ædilis, quod facilis ad eum plebi aditus esset, et que Théophile, Inst. 1, 2, 7, reproduit comme τό πάντων άληθέστατον.

[22] Tite-Live, 3, 55. Pomponius, Digeste 1, 2, 2, 21. Selon Varron, De l. l. 5, 84, est appelé ædilis, qui ædes sacras et privatas procuraret, et la même définition étymologique revient chez Festus, Ep. p. 43 : Ædilis initio dictus est (magistratus que placent ici les Mss. est effacé avec raison par Scaliger) qui ædium non tantum sacrarum, sed etiam privatarum curam gerebat : postea hoc nomen et ad magistratis translation est. Denis, 6, 90 et Théophile, Inst. 1, 2. Cf. aussi Lydus, De mag. 3, 35. Cette étymologie varronienne ne peut dans les termes où elle est présentée être exacte ; car les édiles originaires de la plèbe n’ont jamais pu avoir la surveillance des temples du peuple.