LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE DEUXIÈME. — LES MAGISTRATURES.

LA CENSURE.

 

 

RÈGLEMENT DES INTÉRÊTS PÉCUNIAIRES DU PEUPLE.

Selon la notion romaine, l’État comme le particulier doit, pour le calcul de ses recettes et de ses dépenses, en premier lieu, compter avec lui-même. Ses revenus ordinaires consistent en conséquence dans le produit de ses biens, en particulier des immeubles qui lui appartiennent ; et c’est avec eux qu’il doit pourvoir aux dépenses ordinaires qu’impliquent l’entretien et l’amélioration de ces propriétés, en particulier des édifices publics. La fixation des recettes et des dépenses ordinaires de l’État se lie avec le cens, parce qu’il rend possible l’impôt public destiné à couvrir les dépenses extraordinaires qui pourraient se présenter pour l’État. On est parti de l’idée raisonnable d’arrêter les recettes et les dépenses à prévoir en même temps et de la même façon qu’on fixait le tableau de répartition des recettes extraordinaires que le peuple pourrait être dans la nécessité d’opérer pour parer à des dépenses imprévues. C’est une des conceptions des maîtres du droit public romain, exprimées dans la prétendue constitution de Servius, que jusqu’à Servius, le peuple n’a pas possédé de procédé réglé pour parer aux dépenses imprévues et que ce résultat n’a été atteint que lorsque fut fondé l’État basé sur la fortune. C’est pourquoi notre tradition place les origines des deux dans le cens de Servius, le prototype de tous les suivants, et dans la construction de la muraille de Servius, le type idéal des constructions des censeurs[1] : elle embrasse donc, et certainement à bon droit, le règlement des recettes et des dépenses de l’État parmi les fonctions qui ont, dès le principe, appartenu à la censure[2].

Mais il ne faut pas prendre cette réunion des deux ordres d’attribution des censeurs pour une nécessité juridique. Le règlement par les censeurs des recettes et des dépenses de l’État, la tuition, comme nous l’appellerons[3], n’est pas du tout une portion intégrante des actes qui préparent le lustre, et la validité des actes de tuition n’est pas du tout subordonnée au lustre. Des censeurs qui ne sont pas arrivés au lustre ont, on peut l’établir, valablement accompli des actes de ce genre[4]. Les deux ordres d’attributions réunies dès le début dans la censure sont ainsi séparés en droit et en fait.

Cette séparation ressort encore nettement et pratiquement à un autre point de vue. Le lustre et ses actes préparatoires rentrent exclusivement dans les fonctions des censeurs. Les consuls en sont légalement aussi exclus depuis la création de la censure qu’ils le sont de la juridiction civile depuis la création de la préture. Au contraire, les autres actes d’ordre patrimonial concernant le peuple, qui ne peuvent naturellement être omis en aucun temps, sont, s’il y a des censeurs, accomplis par eux et ils y parent d’avance dans la mesure du possible ; mais, dans les intervalles de la censure, tous les actes qui ne peuvent être différés sont accomplis par les magistrats supérieurs du moment[5], en particulier ceux qui doivent être accomplis dans la capitale par les consuls[6] s’ils sont présents, ou, en leur absence, par un des préteurs, en général par le préteur urbain[7], tandis que les magistrats inférieurs, les édiles[8] et les questeurs[9] ne procèdent qu’exceptionnellement, et toujours en vertu d’un mandat spécial du sénat, aux actes des hautes fonctions des censeurs[10].

En conséquence, Sulla, lorsqu’il supprima pratiquement la censure, confia de nouveau au consulat les actes ordinaires relatifs au patrimoine de l’État et chargea les consuls du moment d’y procéder de lustre en lustre. Quand la censure, d’abord perdit du terrain, puis disparut, celles de ces fonctions pour lesquelles il ne fut pas créé de fonctionnaires spéciaux, en particulier les locations, passèrent aux consuls[11].

Conformément à l’indépendance de la tuition censorienne, les actes qui y rentrent commencent, de même que ceux se rapportant au lustre, aussitôt après l’entrée en fonctions[12], et ils suivent leur cours à côté des opérations lustrales pendant toute la durée des fonctions des censeurs[13]. Il y a pour eux un ordre fixe. Les baux à ferme et les adjudications de travaux, — je désigne par le premier mot les actes générateurs de créances de l’État contre les tiers et par le second les actes générateurs de créances des tiers contre l’État — suivent à la vérité simultanément leurs cours[14] ; mais la révision des contrats existants précède régulièrement dans le temps ta conclusion des nouveaux[15], et il y a un ordre fixe établi pour les premiers par l’usage. On commençait par affermer le lacus Lucrinus à cause du bon présage et, soit à cause du caractère religieux attribué à ces actes, soit parce qu’ils étaient les marchés permanents les plus anciens, on continuait en adjugeant la nourriture des oies du temple du Capitole et la peinture de l’image du dieu de ce temple[16].

L’activité des censeurs en matière économique s’étend à toutes les affaires financières de l’État sans distinction de lieu : ils afferment les immeubles appartenant à l’État, qu’ils soient situés à Rome, en Italie ou de l’autre côté des mers, et ils adjugent à la fois la construction du temple du Capitole et celle de la voie Appienne, de la voie Æmilienne et de toutes les routes qui sont la propriété de l’État[17]. Pourtant, si Rome a tiré les conséquences de cette règle qui lui étaient avantageuses, elle s’est en grande partie soustraite aux charges qui en auraient résulté pour elle. Le soin exceptionnellement énergique qu’ont apporté les censeurs aux ; routes italiques est une exception qui confirme la règle ; car ces routes intéressaient la capitale aussi directement que le dehors : le proverbe tous les chemins mènent à Rome, est surtout d’une vérité frappante en Italie. C’est seulement depuis l’Empire qu’a fini le gouvernement étroitement égoïste de la capitale.

La fiction par laquelle on considérait l’État romain, lorsque Rome était déjà depuis longtemps devenue un grand État, comme l’État de la ville de Rome n’a nulle part été appliquée d’une manière aussi brutale et aussi oppressive pour les, membres de l’État qui n’appartenaient pas à la ville que dans la théorie des attributions des censeurs. Nous en trouverons plus loin les effets dans la liaison partie de droit et partie de fait des actes des censeurs à la ville de Rome, dans la restriction pratique des constructions des censeurs i~ la capitale. Mais il faut remarquer avant tout le rôle joué par eux en face de l’autonomie administrative des cités de citoyens. A l’origine, elles n’en avaient aucune : les constructions publiques des cités de citoyens regardaient les censeurs comme celles de la capitale elle-même[18]. En 580, un certain nombre de villes italiques de ce genre prièrent les censeurs d’adjuger à leurs frais les constructions qu’on ne leur accordait pas sur les fonds du trésor ; mais cette prière se heurta contre des objections — à la vérité justifiées en droit, — et ce ne fut que par la connivence rigoureusement inconstitutionnelle de l’un des censeurs que ces cités arrivèrent à obtenir d’avoir, avec leur propre argent, des constructions qui leur étaient nécessaires[19]. Au contraire, en l’an 649, les duumvirs de la colonie de citoyens de Puteoli adjugent eux-mêmes une construction pour leur cité[20]. Mais, comme nous le montrerons dans le chapitre du régime municipal (VI, 2), ce fut seulement la guerre sociale qui fit acquérir aux cités l’autonomie qu’on leur vit par la suite. A partir de la, chaque cité de citoyens fait les constructions qu’elle veut et qu’elle peut payer.

Si la compétence des censeurs était, sous ce rapport, topographiquement illimitée, il n’en était pas de même pour l’accomplissement des actes qui en résultaient. Tous les baux et les marchés de travaux à raison desquels des paiements devaient être faits au trésor de la cité ou par lui[21], qu’ils fussent conclus par les censeurs ou par un autre magistrat agissant à leur place, étaient conclus aux enchères publiques par une licitation préalablement annoncée dans une forme convenable[22], avec indication précise et sans doute toujours écrite des conditions (leges censoriæ)[23], et faite à Rome sur le forum[24]. L’adjudication était, sur garantie suffisante fournie par voie de gages (prædia) et de cautions (prædes)[25], faite au plus offrant (manceps[26] ou idem præs)[27]. L’unique exception durable qui nous soit connue[28] à cette règle est la disposition contenue dans la loi organique de la province de Sicile, selon laquelle les dîmes traditionnelles devaient être affermées dans cette province par le questeur ; et cette exception elle-même n’est qu’apparente ; car ces dîmes étaient considérées non pas comme un fermage du sol, mais comme un véritable impôt : le sol sicilien devenu romain par la conquête a toujours été lui-même affermé à Rome par les censeurs[29]. Lorsque ensuite l’opinion selon laquelle tout le sol provincial était romain prévalut, on vit là une concession extraordinaire faite lors de la prise de possession de leur pays aux premiers sujets romains d’outre mer, et en conséquence le sénat a fait transporter à Rome en 679 une partie des mises à ferme des dîmes[30]. Cette façon de procéder devait, d’une part, écarter les intrigues et les indélicatesses par l’étendue de la publicité, d’autre part, soustraire le censeur aux influences des citoyens du dehors et avant tout concentrer les grosses affaires dans Rome[31]. Le dernier résultat, tout au moins, fut entièrement atteint. Toutes les grandes compagnies appelées à l’existence par ces affaires avaient quel que fit leur champ d’opération, leur siège à Rome.

Cela ne veut d’ailleurs pas dire que le censeur eût, comme le préteur urbain et les questeurs urbains, ses fonctions officielles légalement enfermées dans la ville. Le contraire est attesté par les voies censoriennes dont la réception n’a pu être faite que sur les lieux et par ce que nous dirons plus loin de la justice des censeurs. Mais, selon toute apparence, les censeurs ont été régulièrement retenus à Rome pendant la durée de leurs fonctions proprement dites par les actes qui ne pouvaient avoir lieu que là, le cens lui-même et les locations, et c’est seulement pendant leur temps de prorogation, lui-même spécialement destiné aux réceptions de travaux, qu’ils peuvent selon les circonstances avoir exercé leur activité hors de Rome. Les actes des censeurs qui ne pouvaient avoir lieu dans la capitale tombèrent du reste, verrons-nous, en désuétude ou furent accomplis par leurs représentants, en particulier par les consuls.

La tuition censorienne se décompose en trois ordres d’opérations : la fixation des revenus publics qui en comportaient et en demandaient une (vectigalia) ; la fixation des dépenses publiques correspondantes (ultro tributa), et la juridiction entre le peuple et les particuliers[32]. — Les vectigalia et les ultro tributa sont déjà considérés par les Romains comme des recettes et des dépenses corrélatives et ils lient à leur ensemble une idée à peu prés semblable à celle de notre budget moderne[33]. Mais les différences sont au moins aussi grandes que les ressemblances. Non seulement les évaluations romaines ne mentionnent ni dans l’actif, ni dans le passif, les articles courants qui, comme l’æs hordearium, doivent à la fois être touchés et payés par le peuple[34] ; elles omettent aussi avant tout les articles de l’actif et du passif déjà liquidés : donc, pour l’actif, l’encaisse du trésor et toutes les créances liquides — c’est-à-dire fixées une fois pour toutes ou par les censeurs précédents en certa pecunia — du peuple contre les particuliers pour le passif, les créances liquides au même point de vue des particuliers contre le peuple, par conséquent l’argent versé aux esclaves publics et aux appariteurs, les frais des jeux. Le budget romain ne comprenait pas davantage les recettes et les dépenses qui ne peuvent s’apprécier d’avance avec certitude, ainsi notamment le produit des impôts qui devaient être établis et la solde qui devait être payée aux soldats soumis au service. Notre distinction des recettes et des dépenses ordinaires et extraordinaires ne correspond aucunement aux idées romaines : une quantité de recettes et de dépenses ordinaires sont en dehors des vectigalia et des ultro tributa, ainsi que les plus importantes des recettes et des dépenses extraordinaires, l’impôt et la solde, tandis que les frais extraordinaires de construction y sont communément compris. On ne peut donc se servir là qu’avec une grande prudence de nos définitions des recettes et des dépenses de l’État.

 

 

 



[1] Remarquez la liaison des deux récits dans Tite-Live, 1, 44.

[2] La relation de la création de la censure de Tite-Live, 4, 8, ne parle pas à la vérité expressément de ces fonctions ; mais elles sont certainement tout au moins comprises dans l’expression res operosa. Les censeurs, qui sont (vraisemblablement) les premiers, construisent immédiatement leur local officiel, la villa publica (Tite-Live, 4, 22). La première construction des censeurs qui ne soit pas destinée à servir au cens lui-même est, à notre connaissance, celle des murs de la ville en 377 (Tite-Live, 6, 32, 1).

[3] Par un phénomène étrange, la langue romaine ne paraît pas avoir eu d’expression simple pour cette idée si énergiquement conçue. L’expression tuitio ne comprend, au sens strict, que les charges résultant pour le propriétaire de sa possession et non les avantages corrélatifs qu’il en retire.

[4] Les preuves en sont : les pierres terminales des rives du Tibre posées par les censeurs de 699 qui ne sont point parvenus au lustre (C. I. L. I, 608-614 = VI, 1234), puis le litige soulevé à la fin de 693 et ensuite sur la validité des locations des recettes d’Asie conclues par des censeurs (Cicéron, Ad Att. 1, 17, 9) qui ne peuvent être que les censeurs de 693, qui n’ont pas procédé au lustre, et non ceux du lustre antérieur de 684/685. Selon la relation de Tite-Live, 24, 18, les contrats faits par les censeurs de 540, qui n’ont pas non plus procédé au lustre, sont aussi immédiatement parfaits et le trésor doit en payer le montant immédiatement. En fait, ce serait une idée hasardée d’admettre que la validité de nombreux et importants contrats ait dépendu, pendant plusieurs mois, de l’éventualité du lustre. — Si, comme nous l’avons développé plus haut, l’entrée des censeurs constituait une dénonciation générale des marchés publics en cours pour le 15 mars suivant, la pratique doit avoir été que chaque contrat révisé par les censeurs entrât en vigueur à cette date, tandis qu’au contraire ceux dont la révision n’avait lieu que plus tard continuaient à courir jusqu’au 45 mars prochain et que ceux qui n’étaient pas révisés restaient en vigueur comme s’ils n’avaient pas été dénoncés.

[5] Le général victorieux peut, s’il veut, affermer les terres nouvelles conquises (Tite-Live, 27, 3, 1). Cependant ce n’est arrivé que rarement, parce qu’en règle générale les locations publiques ne se font qu’à Rome.

[6] Comme exemple de locations consulaires, on peut citer la mise à ferme des terres publiques italiques contre un fermage nominal en 554 (Tite-Live, 31, 13, 7) et celle (peu claire dans ses circonstances) des terres publiques d’Afrique par le consul de 641 (loi agraire, ligne 89) ; des adjudications de constructions (Cicéron, Ad Att. 4, 1, 7) ; de statues (Cicéron, In Catil. 3, 8, 20 ; De divin. 2, 21, 47 ; Suétone Claude, 9), de tombeaux (Cicéron, Phil. 14, 14, 38). Le statut de Malaca, c. 64, attribue aussi toutes les locations des vectigalia et des ultro tributa au II vir j. d. — Nous traitons plus loin à part de la représentation des censeurs par les consuls pour la juridiction. C’est spécialement là qu’on voit clairement que les actes relatifs aux biens ne sont pas faits par les consuls et les préteurs en vertu d’un mandat spécial du sénat, mais que les censeurs absents sont représentés de droit par les consuls présents et, en leur absence, par le préteur, à défaut d’une résolution du sénat, à la vérité très fréquente en matière de location et de réception de constructions.

[7] On peut citer comme exemples de locations faites par le préteur urbain en l’absence des consuls, les marchés faits en 539 pour l’armée d’Espagne (Tite-Live, 23, 48) et en 385 pour l’année de Macédoine (Tite-Live, 44, 16, rapproché de 43, 16, 13) ; en outre, la remarquable construction de l’aqueduc Marcien en 616, qui provoqua une prorogation anormale (Frontin, De aqu., 7). — Réception de construction par des préteurs : Cicéron, Verr. l. 1, 50, 130. — La remarque qui vient d’être faite pour la justice consulaire s’applique exactement ri la justice prétorienne.

[8] Réception de constructions par des édiles : Frontin, De aquis, 96.

[9] Locations des questeurs : Cicéron, Philipp. 9, 7, 16. — Réception par les questeurs de la construction d’un aqueduc selon le sénatus-consulte de 738 : Frontin, loc. cit. — Sur la location exceptionnelle des dunes de Sicile par le questeur de la province, cf. plus bas.

[10] Sur la réception des routes des censeurs par les curatores viarum au VIIe siècle, on comparera plus loin la section consacrée à ces derniers.

[11] Sénatus-consulte de 743 (Frontin, De aq. 100). Ovide, Ex Ponto, 4, 9, 45 (de même 4, 5, 19) cite aussi les locations parmi les fonctions consulaires permanentes. Si, d’après Alfenus Varus (Digeste, 39, 4, 15), Cæsar cum insulæ Cretæ colorias locaret, legem ita dixerat, le dictateur, duquel il s’agit sans doute là peut avoir conclu cette location en qualité de consul. — Le sénatus-consulte cité plus haut dit que les magistrats finis à la tête le l’Ærarium, les questeurs urbains et, plus tard, les préteurs ci les præfecti ærarii concouraient sous l’Empire a ces locations et test aussi la conclusion à laquelle conduit l’adnotatio ou exactio quæstorie mentionnée chez Tertullien, Ad nat. 1, 10. Apol. 13, dans sa remarquable description de l’adjudication de l’entretien des temples n son époque. Cela s’explique par l’idée que le questeur avait des paiements à faire en vertu des adjudications et cela peut s’être présenté fréquemment dès l’époque ancienne, quoique ce ne fut peut-être pas alors exigé en la forme.

[12] Plutarque, Q. R. 98.

[13] La relation précise et ordonnée chronologiquement de la censure de 585/586, dans Tite-Live, 43, 14 et ss. 44, 16. 43, 15, est instructive à ce point de vue. L’indication de la lustration corrélative a disparu, 45, 15, où elle ouvrait la relation finale comme 42, 10 ; elle est conservée dans l’Épitomé, mais elle a été dérangée de sa place et transportée en 587. Des dispositions d’ordre économique se trouvent 43, 16, 2-7 (renouvellement des contrats en cours ; jugement sur les terres publiques), — 44, 16, 9. 10 (conclusion de contrats relatifs à des constructions nouvelles), — 45, 15, 9 (demande d’une prolongation de délai pour leur réception). Les textes 43, 16, 2. 6. 7, rapprochés de 43, 16, 12. 44, 16, 8, montrent que les relocations étaient déjà faites en septembre 585. — La loi agraire, ligne 21, cite une location conclue le 20 septembre 639.

[14] C’est ce que montrent les contrats placés en tête de la liste que nous allons citer.

[15] C’est ce que montre encore la relation de la censure de 585/585.

[16] Plutarque, Q. R. 98. Pline, H. n. 10, 22, 51. Le même, 33, 7, 111. Cf. Cicéron, Pro Sex. Roscio, 20, 56.

[17] Le gouvernement romain n’a jamais construit une route hors de Rome sans que la propriété du sol, sur lequel elle s’étendait, eut été transférée au peuple romain. Quand les traités de paix avec les diverses cités ne comportaient pas par eux-mêmes les cessions correspondantes, comme cela s’est certainement présenté dans la plus large mesure, on provoquait par voie de convention privée une cession, volontaire au moins en la forme ; il peut aussi y avoir eu expropriation contre indemnité (cf. mon commentaire sur la lex col. Gen. dans l’Eph. epigr. II, p. 131). Un expédient plus topique fut plus tard fourni dans les provinces par le principe que tout le sol appartient à Rome, — un principe dans l’établissement duquel la considération des voles de terre et d’eau ainsi que celle des côtes ont certainement joué un rôle essentiel. Mais, dés l’époque la plus ancienne, la considération qu’il fallait réserver à l’État la propriété des fleuves et de leurs rives a évidemment exercé une influence décisive sur la restriction de la propriété aux terres limitées.

[18] Parmi les huit cités pour lesquelles des constructions furent adjugées par les censeurs de 570, 576, 580 (Tite-Live, 35, 44, 6. 40, 51, 2. 41, 27), il en a cinq — Auximum, Pisaurum, Potentia, Sinuessa, Tarracina, — qui sont des cités de citoyens romains, Calatia est dans la condition juridique de Capoue (R. M. W. p. 336 = tr. fr. 3, 215), Fundi et Formias sont incorporées à l’État romain par la loi Valeria de 566. Donc, dans toutes, ce qui apparaît en fait comme la propriété de la cité est en droit ager publicus populi Romani. Il faut aussi remarquer pour la construction faite à Antium d’après Tite-Live, 43, 4, 6, qu’Antium est une cité de citoyens.

[19] Tite-Live, 41, 27. Un censeur déclare nihil nisi senatus Romani populive jussu se locaturum ipsorum pecunia (§ 11), c’est-à-dire qu’il ne construira pas sans l’autorisation du peuple ou du sénat autrement qu’avec l’argent de Rome.

[20] C. I. L. X, 1181.

[21] Si au contraire un général ou un édile fait marché pour une construction au moyen de ses gains militaires ou judiciaires, c’est une affaire privée. Il peut accomplir cet acte même lorsqu’il n’occupe aucune position officielle (Tite-Live, 48, 4) et sans doute dans la forme qu’il veut.

[22] Assurément les magistrats romains prenaient de grandes libertés dans l’exclusion de personnes déterminées des enchères, non seulement quand ces magistrats s’appelaient Verrès (Cicéron, Verr. 1, 54), mais quand ils s’appelaient Caton l’ancien (Tite-Live, 39, 44, 8) et d’autres noms encore (Tite-Live, 43, 16).

[23] Les leges censoriæ, qu’il faut distinguer de la lex censui censendo dicta étudiée plus haut, se rapportent aux locations publiques. Leur dénomination exprime qu’elles sont faites régulièrement par les censeurs et seulement à titre subsidiaire par d’autres magistrats. A la base on trouve là, comme pour toute lex, l’idée d’acte bilatéral ; mais il n’y a pas accord de volontés pleinement égales comme dans le pacium : il y a une offre formulée d’une part et simplement une acceptation ou un refus de l’autre. Cicéron, Verr. 3, 7, montre jusqu’à quel point Ies entrepreneurs pouvaient obtenir une modification des conditions de la licitation. La formule ressort de la façon la plus claire de Cicéron, Verr. l. 1, 55. Elle présentait un caractère traditionnel à ce degré que l’on ajoutait pour les clauses nouvelles le nom de leur auteur. Les leges censoriæ sont citées chez Cicéron, De prov. cons. 5, 12 ; De deor. nat. 3, 19, 49 ; Ad Q. fr. 1, 1, 12, 35 ; Varron, De re r. 2, 1, 16 ; Pline, 33, 4, 78 ; Festus, p. 229, v. Produit et ailleurs souvent.

[24] Cicéron, De l. agr. 1, 3, 7. 2, 21, 55. Le même, In Verr. 1, 54, 141.

[25] Les formes légales employées là, par les censeurs sont les formes générales des sûretés publiques. Cf. Cicéron, Verr. 1, 54, 142.

[26] Le mot manceps, d’après Festus, p. 151, se rapporte d’après son étymologie transparente, en première ligne aux licitations publiques de choses mobiliers, par exemple d’esclaves sur lesquels l’acheteur met la main après qu’ils lui ont été adjugés. Il est ensuite étendu à tous les achats faits du peuple, par exemple chez Cicéron, Pro Sex. Roscio, 8, 21, à celui d’un bien rural dans la sectio de la fortune des proscrits, et il a ensuite été rapporté à la fois la prise à ferme des revenus publics (ainsi des terres sacerdotales, chez Hygin, tome III, p. 76, note 3, et du vectigal foricularium et ansarium, C. I. L. VI, 1016 ; cf. la schol. In div. in Cæc. 10, 33, éd. Orelli, p. 113) dont le soumissionnaire s’appelle en général plutôt publicanus et à la soumission de travaux publics (rarement de privés : Suétone, Vespasien, 3, Pline H. n. 10, 43, 122), où il est synonyme de redemptor (même sur des inscriptions, par exemple pour des Boïes rurales, C. I. L. VI, 8468. 8469 et des temples : Manceps ædis per annos XIII, C. I. L. XIV, 2863, en outre C. I. L. VI, 8155 ; Orelli, 2619. L’acception indiquée la dernière est l’habituelle à l’époque récente. [On trouve aussi dans l’inscription (Dessau, inscr. lat., I, 1461), le manceps opposé aux conductores pour une dédicace faite par les conductores piscatus mancip[e] Q. Valerio Secundo. Les adjudications étant faites à des sociétés, mais le manceps seul figurant aux enchères, il apparaît comme le chef des conductores et quand il fait une dédication, on peut dire qu’elle a lieu sous sa présidence. La lex metalli Vipascensis exprime la même idée par les mots conductor et socius, en considérant le manceps comme le principal conductor et les autres intéressés comme des socii. Cf. Th. Mommsen, Westdeulsch. Korr. Blatt, 8, 1889, p. 7 et Bull. dell’ ist. di diritto romano, 2, 1899, p. 132.]

[27] Festus, Ep. p. 151 ; C. I. L. I, n. 577 (3, 17).

[28] Nous avons déjà noté que le général victorieux peut immédiatement affermer les terres conquises.

[29] C’est ainsi que s’expliquent les deux locations de Sicile : celle des decumæ qui comprend tout le sol imposable, par les questeurs de Sicile, et celle du territoire devenu romain par droit de conquête par les censeurs (Cicéron, Verr. 3, 6, 15 et ailleurs). Les dîmes de Leontini étaient donc affermées en Sicile et son sol lui-même à Rome, sans aucun doute contre une somme d’argent. Les aratores de Leontini ne sont pas, comme la plupart de ceux de Sicile, des propriétaires ou des fermiers privés, mais des fermiers domaniaux. La ferme domaniale différente de la ferme des dîmes ressort clairement Verr. 5, 21, 53. Elle se révèle également dans l’assimilation financière de l’ager Leontinus et de l’ager Campanus (Cicéron, Phil. 2, 39, 101, etc.) ; ces fermages avaient pour le trésor un tout autre poids que la somme qui y venait comme équivalent des dîmes de grains de Leontini avec le reste du prix de fermage des dîmes de Sicile. Ce n’est d’ailleurs que logique. Leontini avait, comme les autres villes d’Hiéron, payé avant la conquête la dîme à Syracuse ; le passage de la propriété du sol au peuple romain n’y changea rien. Ce régime est mal compris Handb. 5, 249 = tr. fr. 10, 314.

[30] Selon Cicéron, Verr. 3, 7, 18, le sénat transporta en 619 les dîmes du vin, de l’huile et des menus fruits (fruges minutæ), qu’avaient jusqu’alors vendues les questeurs de Sicile, aux consuls faisant alors fonction de censeurs ; la vente des dînes en Sicile se trouva donc restreinte aux céréales.

[31] On peut encore ajouter que ces traités étaient opposables aux tiers, — ainsi nous savons désormais que le droit de saisie de gage des publicains contre les débiteurs de droits de douane ou d’autre vectigal se fondait exclusivement sur une clause stable des contrats des censeurs (Gaius, 4, 28), — et que par conséquent le publie avait tout droit de désirer que ces contrats fussent portés à la connaissance de tous. En face du public on peut considérer les leges censoriæ comme un édit de magistrats relatif aux modalités sous lesquelles le peuple permet aux citoyens L’usage de sa propriété.

[32] Les Romains partageaient seulement ces actes en deux catégories : les vectigalia et les ultro tributa : ainsi la loi Julia Municipalis (ligne 73), Cicéron (Ad fam., 13, 11, 1), si j’ai bien corrigé le texte ; Zonaras, 7, 19. La juridiction n’est à vrai dire autre chose que la solution des questions relativement auxquelles un différend existe entre le peuple et un particulier pour l’application des vectigalia ou des ultro tributa. Mais il parait opportun d’abandonner pour cette exposition le système romain.

[33] Cette conception se révèle clairement chez Cicéron, Ad fam. 13, 11, 1 ; et encore plus clairement dans l’affectation d’un vectigal annuum ou d’une quote-part d’une telle recette à l’acquittement des ultro tributa (Tite-Live, 40, 46, 14).

[34] L’expression technique pour les articles relativement auxquels l’État est à la fois créancier et débiteur est attribuere aliquem, le questeur passant au crédit d’un créancier du peuple le débiteur d’une somme d’argent, et le renvoyant à se faire payer par lui.