LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE DEUXIÈME. — LES MAGISTRATURES.

LA DICTATURE.

 

 

Les relations des annales sur l’origine de la dictature sont contradictoires. Elles indiquent bien un premier dictateur[1] ; mais elles varient sur le nom et sur la date[2]. Suivant une version, le premier dictateur a été W. Valerius, petit-fils de Volesus Valerius et fils du consul de 249 M. Valerius ; lui-même n’est point arrivé au consulat[3]. Cette dictature semble se présenter sans date[4]. Suivant une autre version, extérieurement mieux appuyée, le premier dictateur a été T. Larcius Flavus[5], consul en 253 et 256[6] ; sa dictature est placée tantôt durant son premier consulat[7], tantôt l’année suivante[8], tantôt durant son deuxième consulat[9], peut-être aussi l’année suivante[10]. Ces oscillations tiennent probablement, comme l’indique Tite-Live, à ce que les interprètes modernes du droit public considéraient, par une, opposition décidée avec la coutume ancienne, ceux qui étaient consuls ou qui l’avaient été comme seuls aptes à revêtir la dictature, et que, le dictateur le plus ancien et, sous ce rapport, le plus important faisant défaut dans la liste des consuls, ils le remplaçaient de la manière qu’on a vu par un consulaire. La seconde dictature, celle du vainqueur du lac Régille, A. Postumius, consul en 257, a probablement été pour la même raison descendue de l’an 255, où elle se trouvait d’abord, à l’an 258[11].

L’introduction de la dictature n’est pas mise par les annales dans un rapport ferme avec des faits historiques. Dans les récits qui nomment Larcius, le motif de la nomination du dictateur est tantôt un péril militaire, tantôt la menace d’un soulèvement de la plèbe qui fait sembler nécessaire une magistrature soustraite à la provocation[12]. La version qui fait de Valerius le premier dictateur parait avoir adopté le second motif[13]. Aucun de ces récits n’a de véritable consistance et n’a obtenu une reconnaissance unanime ; ils ont tous l’air d’être issus de la maxime de droit public romain que nous étudierons plus bas, selon laquelle la dictature doit intervenir in asperioribus bellis aut in civili motu difficiliore.

Tout cela suffit à rendre vraisemblable que la tradition originaire était muette sur l’introduction de la dictature, et ce sentiment est encore confirmé par le silence qu’elle garde sur la loi d’introduction de la dictature dont l’auteur n’est jamais nommé et qui n’est mentionnée qu’en termes très généraux et absolument invraisemblables[14]. S’il avait existé quelque information digne d’une foi quelconque sur l’introduction de la dictature, elle aurait sans doute été liée au nom et au contenu de la loi d’institution.

En face donc de l’état de la tradition, qui, d’une part, fait remonter la dictature aux premiers temps :de la République et, d’autre part, n’en peut rattacher solidement l’origine ni à un fait ni à une personne, la conclusion la plus vraisemblable est celle qui, verrons-nous, est aussi commandée par le fond des choses, à savoir que la dictature n’a pas été introduite isolément, qu’elle a été, comme le’ consulat, dès le principe, une portion intégrante de la constitution de la République romaine.

Pas plus que pour le consulat, la désignation qui a plus Dénomination. tard été la dénomination courante de la dictature n’est pour elle la plus ancienne. C’est le terme magister populi que l’opposition avec le terme corrélatif magister equitum suffit pour révéler comme le plus ancien ; il est seul usité dans les livres auguraux[15] et il prévaut dans le langage solennel[16]. — Nous avons déjà remarqué que la dénomination prætor est applicable, à l’origine, au dictateur aussi bien qu’au consul et au magistrat plus tard appelé de ce nom ; et quoique le nom de prætor maximus ne lui appartienne pas comme titre, il est au moins appelé chez Polybe et d’autres Grecs στρατηγός αύτοκράτωρ[17]. — Plus tard, la désignation de ce magistrat du nom de maître de peuple a disparu et peut-être même a été positivement abolie, sans doute parce que le caractère monarchique de la fonction se révélait là avec une clarté que ne pouvait plus tolérer la République récente, La dénomination mise à la place, celle de dictator, est au contraire suffisamment dépourvue de transparence. En Même temps que le nom modern& du 99zagisler populi romain, elle est aussi le titre moderne et affaibli du roi latin, d’ailleurs absolument différent, en tant qu’il n’a pas été effacé par l’introduction du système de la collégialité. Nous ne sommes pas en état de concilier son sens étymologique avec son sens matériel ; car dictare n’a jamais revêtu la signification de regere et le sens de chef unique du mot dictator ne peut être déduit en aucune façon de la seule étymologie possible[18]. Au reste, il n’est pas invraisemblable, surtout étant donné que Caton emploie le mot pour le général en chef[19], que dictator ait d’abord désigné en général le magistrat supérieur qui n’avait point à ses côtés de collègue égal en droits et que les deux acceptions techniques précitées soient l’une et l’autre relativement récentes, mais celle qui se rapporte au magister populi est probablement la plus récente et aura été copiée sur celle du dictateur latin. Néanmoins, elle se rencontre déjà pour le magistrat romain chez Nævius[20] et Ennius[21] et même dans une inscription de l’an 537 de Rome[22] et, dans la mesure où nous les connaissons, les fastes annuels et les annales s’en servent exclusivement.

Relativement à l’éligibilité, les dispositions qui régissaient le consulat semblent s’être appliquées de droit à la dictature. Il n’est pas question d’une loi spéciale qui ait ouvert la dictature aux plébéiens : le premier dictateur plébéien, C. Marcius Rutilas, est nommé en 398, sans qu’il y ait d’opposition contre la validité du vote[23], uniquement, semble-t-il, en vertu de la loi licinienne de 387. L’allégation de Tite-Live ; selon laquelle la loi qui introduisit la dictature aurait déclaré les consulaires seuls éligibles[24], est peu en harmonie avec la liberté suivant laquelle les magistrats des premiers temps dé la République étaient choisis par les autorités compétentes, et encore moins avec le fait que le consulat a été en pratique longtemps remplacé par le tribunat consulaire et que la dictature a subsisté néanmoins. Avant tout cette assertion est en contradiction directe avec la liste des magistrats. Relativement aux deux premières dictatures, il y a, comme nous l’avons déjà remarqué, deux traditions, l’une se rapportant à des non consulaires et l’autre à des consulaires. Ensuite, jusqu’à 433, le nombre des dictateurs non consulaires l’emporte sur celui des consulaires[25]. A partir de là, la dictature n’est en règle revêtue que par d’ex-consuls. Cependant, on rencontre par la suite quelques dictateurs non consulaires, qui ont à vrai dire tous plus ou moins un caractère d’opposition[26]. Il est donc probable que l’usage s’est établi vers le milieu du vu siècle de n’admettre que des consulaires à la dictature et qu’on a même appuyé cette pratique sur une prétendue loi rendue dans ce sens dès l’époque de l’introduction de la magistrature. Mais cette limitation n’a au contraire vraisemblablement jamais été portée par la loi.

Le cumul de la dictature, magistrature extraordinaire, avec une magistrature supérieure ordinaire, préture ou consulat, est possible légalement. C’est sans doute par un simple hasard qu’on ne trouve pas d’exemple de son cumul avec le tribunat consulaire.

Le dictateur est, en premier lieu, nommé par le consul. L’accomplissement en commun est aussi inconcevable pour cette nomination que pour celles faites par l’intervention des comices ; le droit d’y procéder est donc, lorsque les deux consuls sont en état et en disposition de le faire, attribué, selon le système romain, par leur entente amiable ou par le sort. — Une résolution des augures décida en 328 que le pouvoir de nommer un dictateur appartient également aux tribuns consulaires, et cela a eu lieu depuis fréquemment[27]. — La nomination du dictateur faite par un préteur, comme celle de César en 706, est signalée comme inconstitutionnelle[28] ; mais elle doit nécessairement s’être présentée antérieurement. Car, non seulement les consuls et les préteurs en général sont indiqués comme en droit de nommer le dictateur[29], mais Q. Fabius Maximus est nommé dictateur, en 537, après la bataille du lac Trasimène, sans le concours de consuls. Sans doute le peuple fut alors consulté précisément pour cette raison ; mais il a cependant fallu que les comices fussent présidés et que le dictateur fut proclamé, et cela n’a pu être que par un préteur[30]. Il se peut donc qu’on ait posé, dès cette époque, la règle plus tard mise à profit par César selon laquelle le droit de nommer un dictateur appartient au consul sans aucun appui et au préteur seulement avec le concours des comices. — Jamais un dictateur n’a été nommé par un autre dictateur. — La nomination d’un dictateur par l’interroi était, ainsi que nous le montrerons plus loin, contraire à la nature de l’institution. Sulla a reçu la dictature de cette manière en 672, mais en vertu d’une loi spéciale et non du système ordinaire.

La dictature étant un remède aux inconvénients de la collégialité, il était dans sa nature qu’on ne put nommer en même temps plusieurs codictateurs, ni exercer de nouveau le droit de nommer un dictateur après la nomination d’un premier dictateur, tant que le dictateur nommé restait en fonctions. Cependant, cette règle n’a sans doute jamais été posée formellement et l’on s’en est parfois écarté dans la dernière période de l’existence de la dictature d’abord en 537 ; où M. Minucius, maître de la cavalerie du dictateur Q. Fabius fut mis à ses côtés par une loi avec des pouvoirs égaux, c’est-à-dire probablement fut également nommé dictateur dans la forme déjà suivie pour Fabius[31] ; puis, en 538, où M. Junius Pera a été en campagne comme dictateur, pendant que M. Fabius Buteo complétait le sénat également comme dictateur[32].

Le magistrat auquel appartient le droit de nommer un dictateur ne peut être arrêté dans l’exercice de ce droit par aucun autre pouvoir de l’État. L’intercession dés collègues et des tribuns elle-même ne s’applique pas à cet acte. Non seulement on ne connaît pas d’exemple de nomination de dictateur empêchée par le veto d’un consul ou d’un tribun, mais des cas précis établissent l’inadmissibilité d’une pareille intercession[33].

L’assentiment du sénat n’était pas non plus nécessaire pour autoriser le magistrat à nommer un dictateur ; sans cela le consul n’aurait pas pu, comme c’est arrivé, nommer un dictateur alors que le sénatus-consulte qui l’y invitait avait été dépouillé de sa force par une intercession[34]. Dans la rigueur du droit, le sénat ne pouvait pas non plus, en sens inverse, forcer par sa décision le magistrat à instituer un dictateur ; car la menace d’emprisonnement, adressée par les tribuns aux magistrats supérieurs pour le cas où ils désobéiraient à un pareil sénatus-consulte[35], indique clairement que le sénat n’avait pas en la forme droit à cette obéissance, et ce n’est pas sans raison que cet événement est rapporté comme subordonnant le consulat au tribunat et non pas au sénat[36]. Cependant, aussi loin que remontent les témoignages historiques dignes de foi, l’obéissance ne parait jamais avoir été refusée à de pareils sénatus-consultes, avec quelque déplaisir que les consuls s’y soient plus d’une fois résignés (par exemple, Ti. Æmilius en 415, P. Claudius en 505). Cicéron, dans sa constitution, fait la nomination du dictateur dépendre positivement du sénat[37].

Le sénat décidait donc en fait, dès une époque précoce, si la dictature devait ou non intervenir. Au contraire, le droit impératif de proposition de l’assemblée du peuple qui, pour les magistratures ordinaires, joue un si grand rôle, et est la pierre angulaire de la constitution républicaine, n’a pas été étendu à la dictature[38]. C’est seulement dans les dernières décades qui ont précédé la disparition pratique de la dictature que l’on voit cette règle vaciller d’abord, ainsi que nous l’avons expliqué, en 537, lorsque, faute de magistrats théoriquement en droit de nommer un dictateur, on fit les comices — nous ne savons lesquels       — nommer le dictateur qui fut ensuite probablement proclamé par un préteur ; en sorte que la creatio ordinaire prit la place de la dictio. Quelques années plus tard, en 544, on fit un pas de plus. On eut l’idée de faire indiquer au consul M. Lævinus le dictateur qu’il nommerait, par les comices par centuries ou éventuellement si, comme il le pouvait, il en empêchait la réunion, par le concile de la plèbe. Lævinus repoussa, à la vérité, cette prétention comme une limitation inconstitutionnelle de ses pouvoirs ; mais son collègue, M. Marcellus, fut plus docile et nomma le dictateur désigné par la plèbe[39]. Sans aucun doute, ces événements ont été la cause directe de la disparition de la dictature ; car son importance politique se fondait précisément sur ce que ce magistrat élevé entre tous n’était pas nommé par le peuple. L’institution devint superflue lorsque les comices dictatoriaux ne purent plus être refusés aux progrès de la démocratie.

Le sénat a aussi très souvent indiqué au magistrat qui faisait la nomination la personne à nommer[40] et on peut voir là la façon ordinaire de procéder surtout pour l’époque récente. Mais ces propositions ne s’imposaient aucunement au magistrat et on rencontre à toutes les époques des cas où le magistrat qui fait la nomination choisit le dictateur contre le vœu du sénat et même au mépris de ce vœu[41]. C’est donc avec raison que l’on dit que le dictateur n’est élu ni par le peuple ni par le sénat, mais est institué à son gré par le magistrat qui le nomme. A la vérité, spécialement quand la nomination avait lieu à Rome, le sénat ne pouvait point facilement être empêché de constater, en consultant les augures, le caractère défectueux de la nomination qui le gênait et d’en provoquer la cassation[42].

La nomination est réalisée par une déclaration verbale du magistrat qui y procède ; cela se nommé, en langue technique : dictatorem dicere[43], plus rarement facere[44], legere[45], nominare[46], aussi creare[47]. Ces expressions se rencontrent aussi pour la nomination du consul ; mais elles sont employées ici dans une relation différente qui est une conséquence de la différence matérielle des modes de nomination : dicere et les expressions correspondantes se rapportent, pour le consul, aux citoyens qui l’élisent (VI, 1) et, pour le dictateur, au magistrat qui le nomme. — La présence du dictateur à nommer au moment de la nomination n’est pas plus nécessaire que celle du futur consul au moment de l’élection. — Le consul procède à la nomination oriens nocte silentio, c’est-à-dire immédiatement au sortir de sa couche, entre le milieu de la nuit et le lever du jour ; après avoir pris les auspices dans le silence de la nuit. — Comme la nomination du préfet de la ville, elle ne pouvait avoir lieu valablement que sur le plus ancien terri toisé de la ville (in agro Romano), et, en conséquence, les consuls ont été fréquemment rappelés à Rome pour nommer un dictateur[48]. Le droit religieux postérieur a découvert un expédient consistant à attribuer par fiction le caractère du sol primitif à un morceau de terre situé hors, de ce territoire, pourtant, à l’époque où existait la dictature, ce n’était admis que sur le sol italique, et, par suite, il n’y a jamais eu de dictateur nommé ailleurs qu’en Italie[49].

La règle selon laquelle l’imperium n’existe pleinement en droit qu’après que le nouveau magistrat a reçu l’engagement des curies, s’applique au dictateur[50]. C’est là un acte de pure forme ; mais il avait une importance pratique, parce que la résolution des curies devait être provoquée par le dictateur lui-même et dans l’intérieur de la capitale ; en conséquence, l’entrée en fonctions du dictateur, tout comme celle du consul, avait ordinairement lieu à Rome. Cependant il se confirme ici de nouveau qu’au moins à l’époque ancienne, la loi curiate était seulement dans l’usage et n’était pas légalement nécessaire. Le dictateur pouvait, probablement, procéder à des actes de ses fonctions, par exemple, nommer le maître de la cavalerie, aussitôt après avoir été informé de sa nomination ; du moins la tradition, qui à la vérité ne peut guère être historique, représente Camille comme revêtant la dictature à Véies, en 364, sans retourner à Rome ni y être habilité à l’exercice de l’imperium par la loi curiate. Seulement, de même que le dictateur devait être nommé en Italie, il fallait aussi que la dictature fût revêtue en Italie[51].

 Insignes. Nous avons déjà parlé des insignes du dictateur. Il suffit de rappeler ici qu’il a, comme le consul, le siège curule et la prétexte, qu’au contraire il a, non pas douze licteurs, comme le consul et comme, selon la tradition, le roi lui-même, mais vingt-quatre licteurs ; cependant les dictateurs de la. République semblent n’avoir pris ce nombre de, faisceaux qu’en campagne et Sulla paraît avoir été le premier à les avoir pris rhème à Rome. Il est aussi d’accord avec la situation légale occupée par le dictateur, au moins dans la première période de la République, qu’il fasse porter les haches devant lui partout, même dans l’intérieur de la ville[52].

Au point de vue de l’autorité, le dictateur doit, en général, être considéré comme un collègue extraordinaire des consuls et des préteurs. Le même nom officiel prætor est, à l’époque la plus ancienne, pareillement attribué aux trois catégories de magistrats. Les insignes de la magistrature sont les mêmes ; le nombre seul des licteurs diffère. Le préteur, qui n’a que la moitié des faisceaux consulaires ; est appelé collega consulum asque iisdem auspiciis creatus ; on peut à tout aussi bon droit appeler ainsi le dictateur qui a le double de faisceaux. Celle de ces trois puissances qui a été directement constituée à l’image de la puissance royale est la puissance consulaire, qui a aussi, pour cette raison, été assimilée à. la puissance royale quant au nombre des faisceaux. Le nombre des faisceaux a été doublé pour le dictateur et réduit à la moitié pour le préteur, afin d’exprimer matériellement que la préture a une puissance de même nature que celle des consuls, mais plus faible, et que le dictateur a une puissance de même nature que celle des consuls, mais plus forte (majus imperium). A la vérité, notre tradition ne dit pas expressément que le dictateur soit collègue des consuls ; la différence des titres, qui semble remonter à. l’origine ; a de bonne heure obscurci cette conception[53]. Mais elle est quelque chose de plus qu’une simple hypothèse ; car elle donne la clef de la manière dont la magistrature est traitée par les annales et par le droit public. Elle explique pourquoi les anciens annalistes sont muets sur l’introduction de la dictature comme sur son ouverture aux plébéiens ; ils la considéraient comme une portion intégrante du consulat, qui avait été juridiquement fondée avec lui et qui lui était assimilée au point de vue de l’éligibilité. Elle éclaircit également le motif pour lequel les soldats qui prêtent serment au dictateur ont par là même prêté serment aux consuls du moment[54]. Le serment prêté par l’armée n’est pas prêté au consul qui le reçoit, mais aux deux consuls. Il est de simple logique, lorsque le collège a trois membres, de l’étendre à tous trois. — Enfin, on s’explique par là le mode de nomination du dictateur et les règles qui régissent sa retraite. Le mode de nomination est alors simplement une application de la cooptation qui se présente absolument sous le même aspect dans la magistrature supérieure plébéienne tout au moins[55], tandis qu’il faudrait sans cela admettre pour la création des dictateurs un principe absolument isolé. Nous verrons, en outre, que le terme des fonctions des consuls actuels s’applique à celles du dictateur nommé par eux ; cela ne peut aussi s’expliquer d’une manière satisfaisante que par l’idée qu’il était regardé comme un membre du collège. Le jour auquel doivent se retirer les consuls est également, avec une nécessité légale, celui de la retraite des préteurs. — Ce qu’on appelle la dictature se résume donc proprement dans la faculté donnée, lors de la suppression de la monarchie à vie, aux nouveaux chefs de l’État annuels de s’adjoindre à leur gré un troisième collègue, relativement auquel ils n’auraient pas besoin de consulter préalablement le peuple, mais qui serait au-dessus d’eux.

Le dictateur a donc une autorité de même nature que celle des consuls et des préteurs, mais plus énergique[56]. Si par conséquent un dictateur et un consul sont en fonctions dans la même guerre, le second commande sous lés ordres du premier et combat sous ses auspices[57]. Par suite, en pareil cas, le dictateur seul peut triompher selon la rigueur du droit. De même, le consul ne se démet pas des faisceaux à l’établissement de la dictature, mais il ne peut paraître avec eux devant le dictateur. C’est aussi dans ce sens que l’on dit du dictateur que sa puissance est égale à celles des deux consuls réunies, formule qui d’ailleurs n’est point exacte et qui veut sans doute seulement faire allusion au nombre des licteurs[58]. Au reste, les magistrats pourvus d’un imperium plus faible ne cessent aucunement d’exercer leurs fonctions lors de l’entrée en activité de I’imperium plus fort[59] Les consuls et les préteurs[60] restaient ; au contraire, en fonctions sous la dictature, absolument comme les préteurs, sous le consulat. Cependant il n’est pas invraisemblable qu’à l’époque ancienne les consuls considéraient leurs pouvoirs comme suspendus pour la sphère de la compétence du dictateur et par conséquent s’abstenaient d’ordinaire de faire la guerre ; c’est au moins la conclusion à laquelle conduit le fait qu’il ne semble pas avoir été d’usage d’employer les consuls pour commander sous les ordres du dictateur, qu’on adjoint au contraire au dictateur un commandant en sous-ordre distinct dans la personne du maître de la cavalerie[61].

Une différence importante entré la puissance dictatoriale et la puissance consulaire réside en ce que l’idée de compétence, de limitation à une affaire donnée qui a été primitivement étrangère à la puissance consulaire, et qui, en un certain sens, l’est toujours demeurée, est au contraire de l’essence de la dictature. La preuve en est dans là maxime, évidemment d’ordre traditionnel, également formulée par Cicéron et l’empereur Claude, selon laquelle la dictature intervient en présence de graves complications militaires ou de troubles intérieurs aigus[62], et avec laquelle le récit sur l’introduction de la dictature a pareillement été mis en harmonie ; puis en outre dans l’usage des fastes d’indiquer la compétence du dictateur dans son titre lui-même. Les additions ainsi incorporées en quelque sorte dans le titre officiel sont, par exemple, rei gerundæ causa[63] ; seditionis sedandæ et rei gerundæ causa[64] ; clavi figendi causa[65] ; comitiorum habendorum causa[66] ; on rencontre aussi des dictateurs nommés pour procéder à des solennités religieuses[67] et exceptionnellement pour compléter le sénat[68] tandis que d’autres destinations sont douteuses ou erronées[69]. Cependant ces différentes destinations ne sont pas toutes sur la même ligne. L’autorité, militaire est toujours la compétence prépondérante, même en un certain sens la compétence unique et essentielle du dictateur. Car non seulement on ne rencontré pas jusqu’en 391 d’autres dictateurs que ceux nommés rei gerundæ causa[70] ; mais on peut établir que, d’une part, si on s’est écarté alors de la règle ancienne c’est parce qu’on craignait de manquer autrement à, la lettre du système relatif à l’enfoncement du clou, et que, d’autre part, le dictateur ainsi nommé clavi figendi causa revendiqua néanmoins le droit de faire la guerre[71], sans doute parce que ce droit était rigoureusement inhérent à la magistrature et ne pouvait légalement lui être enlevé par une détermination de compétence. Même postérieurement on trouve encore des indices que la détermination de compétence liait le dictateur plutôt en fait qu’en droit[72].

Cette restriction de la dictature au commandement militaire ne doit pas être entendue au point de vue territorial, mais au point de vue du fond ; le dictateur exerce le commandement aussi bien dans le territoire domi, au cas de siège et d’émeute, que dans le territoire militiæ, à la tête d’une armée en campagne. Mais il n’a probablement jamais eu la juridiction civile comme droit effectif ; il a, sous ce rapport, été dans la situation où fut plus tard le consul après la création de la préture. — Seulement, la juridiction civile étant restée en la forme au consul après lui avoir été retirée pratiquement, elle est accordée dans la même mesure au dictateur. L’attribution d’une compétence au dictateur doit donc être considérée plutôt comme un lien de fait, en sorte que l’indivisibilité de l’imperium est sauve et qu’on peut attribuer en théorie au dictateur la puissance la plus élevée dans tout le cercle des fonctions des magistrats supérieurs[73].

Nous avons dégagé là dans la situation du dictateur un élément spécifique important qui donne la clef des particularités de sa magistrature et, en particulier, des divergences qui la séparent du consulat. Le roi et les consuls qui continuent la royauté ne sont pas exclusivement ni même en première ligne des généraux ; ils sont avant tout les juges et les régulateurs des affaires des citoyens. Au contraire, le dictateur est en première ligne et, en un certain sens, exclusivement le général en chef du peuple à la guerre. Par là s’explique d’abord que les consuls soient nommés régulièrement et le dictateur seulement à titre extraordinaire : même dans la cité la plus guerrière, l’état de paix est la règle et on n’a besoin qu’exceptionnellement d’un chef militaire. Par là s’explique en outre le but de l’institution : le concours de deux puissances supérieures est possible dans la paix, en particulier pour l’administration de la justice ; mais la guerre exige l’unité de commandement. Il n’y a pas besoin pour cela d’admettre, contrairement à la tradition, que, selon le type constitutionnel primitif, l’imperium militaire le plus élevé ait fait défaut aux consuls et qu’il ait fallu nommer un dictateur pour chaque guerre ; il suffit que, comme dit la vieille définition traditionnelle, le chef militaire soit intervenu et ait paralysé le consulat au cas de péril militaire grave. — Nous, montrerons plus loin que le terme de six mois assigné à la dictature s’explique aussi par le caractère militaire spécifique de notre magistrature. En outre, cette doctrine est en harmonie avec la plus ancienne dénomination de ce magistrat, l’expression magister populi ; en particulier, le rapprochement du terme corrélatif magister equitum ne permet pas de traduire autrement que par maître de l’armée, par chef de l’armée[74]. Mais il faut aller encore plus loin. Deux des prescriptions les plus originales relatives à la dictature sont, d’une part, que le dictateur est obligé de mettre immédiatement, à ses côtés, comme commandant sous ses ordres, un magister equitum[75] et, d’autre part, qu’aucun magister populi n’est autorisé a monter à cheval, à moins d’avoir été délié de cette défense par une loi ou du moins par un sénatus-consulte[76]. Elles sont évidemment entre elles dams une étroite connexité. Le général devant nécessairement s’adjoindre un martre de la cavalerie, il a lui-même nécessairement sa place prés de l’infanterie et ne peut, par conséquent, monter à cheval, à l’époque ancienne où on ne connaissait pas d’officiers d’infanterie montés. Le magister populi n’était donc pas seulement le général en chef, il était en même temps et directement le chef supérieur de l’infanterie. Ce rôle spécifiquement militaire n’appartient, parmi tous les magistrats romains, qu’au seul dictateur. Sans parler d’autres preuves, ce qui montre combien le rôle du consul est différent et combien peu il est considéré comme un officier, c’est que, même en campagne, il a, à ses côtés, au lieu du magister equitum, le questeur qui directement n’est pas plus un officier que lui-même.

Le principe de l’annalité ou plus largement du terme certain n’était pas applicable à une magistrature instituée pour l’accomplissement d’une opération déterminée. Le terme résulte pour les dictateurs, comme pour les autres magistrats qu’on peut leur comparer à ce point de vue, par exemple, les censeurs et les duoviri ædi dedicandæ, en première ligne et avant tout, de leur compétence spéciale. L’opération accomplie, ils se retirent et naturellement les magistrats se font honneur d’accomplir leur mandat dans le plus bref délai possible. — Mais, à côté de cela, le dictateur est soumis à deux limitations de temps, l’une absolue : il ne peut rester en fonctions que six mois au plus[77], l’outre relative : il ne peut demeurer en fonctions après le terme des pouvoirs des magistrats ordinaires qui l’ont nommé. La dictature finit nécessairement non pas ; il est vrai, avec la disparition du magistrat qui a nommé le dictateur[78], mais avec la fin du délai imparti à ses pouvoirs ; ce n’est dit nulle part, mais cela résulte nettement soit de témoignages relatifs aux dictatures de Camille en 364[79] et de C. Servilius en 552[80], soit avant tout de ce que jamais on n’a nommé de dictateur pour éviter l’interrègne et pour diriger les élections après la retraité des magistrats ordinaires[81]. Cette limitation est, comme nous l’avons déjà remarqué, une conséquence forcée de la collégialité. Le dictateur n’étant rien de plus qu’un collègue des consuls créé par cooptation, le terme fixé au collège s’impose aussi à lui. — Le délai maximum de six mois fixé en outre à la dictature trouvé son explication dans ce que le dictateur citait en première ligne un chef militaire et que les campagnes ne duraient dans la notion ancienne que tout l’été au plus. Il y a une nouvelle confirmation de cette règle dans le fait qu’on considérait comme inconvenant de la part des dictateurs qui n’étaient pas nommés pour le commandement militaire de rester en fonctions pendant tout le délai[82].

La prorogation ne semble pas avoir été jamais appliquée à la dictature. Lorsque le dictateur ne trouvait, à l’expiration de son commandement, aucun magistrat convenable à qui il put le remettre, il le conservait sans doute jusqu’à l’arrivée d’un pareil magistrat ; mais nous ne pouvons citer aucun cas de ce genre. Il n’y a certainement jamais eu pour la dictature de prolongation expresse prononcée par une loi ou plus tard par un sénatus-consulte qui corresponde à la prorogation du consulat. En dehors des objections politiques contre une magistrature déjà périlleuse en elle-même, la considération qu’une magistrature non conférée épar une loi ne pouvait guère être prolongée par une loi, a pu jouer un rôle[83].

Le dictateur a une plus grande latitude d’action et une puissance plus complète que les consuls, non seulement par suite du manque de collègue égal en droit, mais aussi par suite de la mise à l’écart des dispositions restrictives Cela se montre en premier lieu pour la délégation de puissance. Tandis que le consul, dans l’administration de la ville, peut bien transmettre sa puissance à celui qui le représente quand il est absent, au præfectus urbi, mais ne peut lui en transmettre les insignes, le préfet de la ville nommé par le dictateur a les faisceaux. En outre, la loi Licinia de 387 a, sauf en ce qui concerne la fête latine, enlevé au consul le droit de nommer un préfet ; au contraire, le dictateur conserve en droit le pouvoir de nommer un préfet de la ville au cas d’absence de Rome de tous les magistrats supérieurs, quoique, par suite de l’établissement de la préture, il ne puisse -guère lui-même avoir occasion d’en user.

Les différences qui existent entre le droit de délégation du consul et celui du dictateur sont encore plus importantes, quant à l’imperium militaire. Le premier peut, quand il est absent, déléguer cet imperium dans toute son étendue, de telle sorte que les faisceaux eux-mêmes soient transmis. Au contraire, le consul présent ne peut déléguer les faisceaux et il ne peut probablement non plus déléguer sa puissance que par la mise d’officiers égaux sous les ordres les uns des autres. Le dictateur possède en revanche le pouvoir important qui est en même temps un devoir, de s’adjoindre un homme librement choisi par lui, en première ligne pour la conduite de la cavalerie, mais aussi plus largement comme second dams le commandement en chef, quand il est présent dans le camp, et comme représentant quand il en est absent, et de lui concéder les faisceaux, dont le nombre fixé à douze exprime d’ailleurs que ce personnage est subordonné au dictateur. — Nous ayons déjà précédemment ramené ces deux droits à ce que le dictateur a gardé l’ancien pouvoir royal de nommer des magistrats ; car le droit de porter les insignes de magistrat dans la ville est le critérium de la magistrature et, tandis qu’il n’appartient à aucun mandataire des consuls, il faut compter parmi les magistrats le préfet de la ville nommé par le dictateur et avant tout le maître, de la cavalerie.

La même supériorité de liberté du dictateur sur le consul se révèle dans l’exercice de la coercition et de la juridiction. Selon la tradition, il a fallu dès le principe au consul s’incliner devant la provocation dans le territoire domi. Le dictateur, au contraire, pouvait le faire, matis n’y était pas obligé même dans la ville[84]. L’application de cette idée se présentait moins pour la justice, la condamnation des criminels ne rentrant pas en général dans la destination de cette magistrature, que pour l’emploi de la coercition contre les citoyens insubordonnés qui entravaient le général dans l’exercice de sa magistrature. Le dictateur est, dans la conception primitive, partout général et son imperium militaire est efficace même quand il est en fonctions dans le territoire urbain. Les pouvoirs du général s’exercent non seulement contre les dangers militaires extérieurs graves, mais aussi contre les mouvements intérieurs sérieux[85]. Si le droit de légitime défense qui appartient aux magistrats contre les troubles se manifeste moins ou ne se manifeste pas du tout chez les consuls dans les premiers temps de la République, c’est uniquement parce que l’institution de la dictature en est l’organe propre et qu’elle est destinée à permettre, lorsque quelques citoyens mettent l’État en danger, — de leur appliquer légalement toute la rigueur du droit de la guerre. La dictature est donc assurément un pouvoir d’exception, à peu près ce que sont aujourd’hui la suspension de la justice civile et la proclamation de l’état de siège. Si l’on ajoute que tout chef de l’État qui juge ne pas pouvoir dominer les troubles intérieurs, a le pouvoir constitutionnel de mettre en exercice ce pouvoir d’exception en suspendant son collègue et lui-même, il est parfaitement compréhensible qu’après la chute de la Royauté la suppression de la dictature soit devenue à Rome l’objectif du parti de la liberté. — En fait, il a atteint son but, il a assujetti la dictature à la provocation. L’attestation certaine s’en trouve dans le témoignage de Festus (Ed. Müller, p. 198), selon lequel l’addition ut optima pelle, contenue dans le plus ancien formulaire de nomination du dictateur, a été écartée depuis que la provocation de la décision du dictateur a été déclarée admissible. Mais nos sources ne donnent pas de réponse satisfaisante à la question de savoir quand et par quelle loi la dictature a subi cette grave limitation. Les relations contenues dans nos annales sous les dates de 345[86], 369[87], 391[88], 429[89], 440[90], supposent, à la vérité, d’une manière médiocrement digne de foi et en partie seulement à titre d’amplification, un dictateur soustrait à la provocation. Si l’on attache quelque autorité à ces allégations, l’innovation ne peut être ramenée aux lois sur la provocation rendues en 305, qui, d’ailleurs, d’après leur texte, ne se rapportaient qu’aux magistrats élus par le peuple et non à ceux simplement choisis par un magistrat[91]. Ce pourrait plutôt être la troisième loi Valeria sur la provocation, de 154, où, dit-on, se trouvaient des dispositions plus précises sur l’appel[92], qui aurait étendu au dictateur la provocation formée dans l’intérieur de la ville.

Il en est de l’intercession des tribuns du peuple et de la coercition qui s’y lie comme de la provocation aux comices. Il est dit, en termes précis, qu’elle n’est pas~valable en face du dictateur[93] et l’intercession, moyen de droit essentiellement urbain, étranger au droit de la guerre, comme la provocation, a par là même été forcément, au moins en général, sans force obligatoire contre le dictateur, à l’époque ancienne. Mais la dictature affaiblie du temps postérieur a été soumise à l’intercession comme à la provocation et, dans des cas particuliers, les tribuns du peuple ont forcé lés dictateurs eux-mêmes à s’incliner devant eux[94]. Il faut donc que le tribunat du peuple ait été plus tard, bien que peu de temps avant la disparition de fait de la dictature, mis au dessus de l’imperium majus du dictateur comme de l’imperium consulaire.

Enfin le dictateur a une plus grande indépendance que le consul en face du sénat comme en face du, peuple et des tribuns. Les consuls, dit Polybe (3, 87, 7), ont besoin, en beaucoup de choses, du sénat pour exécuter leurs projets ; le dictateur, au contraire, est un magistrat supérieur qui ne dépend que de lui-même. C’est même de là qu’est tiré le nom d’αύτοκράτωρ στρατηγός ou d’αύτοκράτωρ tout court, par lequel Polybe et ses successeurs désignent en grec le dictateur. Il est d’accord avec cela que le consul et non le dictateur soit tenu de rendre compte des sommes qu’il a reçues ; le magistrat qui n’a pas besoin d’autorisation, ne peut non plus logiquement être astreint à rendre compte. Au fond, le dictateur n’est pas, à la vérité, dans une meilleure situation que le consul sous le rapport de la compétence financière. Tous deux reçoivent l’argent dont ils ont besoin, au moins s’ils sont en campagne, uniquement en vertu d’un sénatus-consulte[95]. Il se peut même que la faculté de tirer des fonds du trésor qui appartenait au consul, quand il se trouvait à Rome, ait fait défaut même alors au dictateur[96]. Mais la dispense de rendre compte trouve son expression dans l’absence de questeur comptable des deniers reçus qui soit adjoint au dictateur, comme au consul.

Même pour le surplus, la situation militaire du dictateur peut fort bien avoir été plus indépendante que celle du consul. Le consul n’était probablement pas libre, au moins d’après l’usage, de lever plus de quatre légions sans l’ordre du sénat ; les droits du dictateur peuvent avoir été illimités sous ce rapport. Il n’est lié par les instructions du sénat ni pour les armements ni pour les dispositions militaires, et c’est ce qu’exprime en première ligne sa dénomination grecque[97] ; mais c’est un trait qui lui est commun avec le consul auquel Polybe attribue également un pouvoir à peu près indépendant[98] ; pourtant ; même à ce point de vue, les pouvoirs du dictateur peuvent s’être étendus au-delà de ceux des consuls, aussi loin qu’il était possible sans détruire le droit du peuple de décider des guerres offensives. La restriction de fait apportée à l’indépendance du consul qui est en campagne par la présence des légats que le sénat envoie près de lui semble s’être présentée plus rarement et avec une intensité moindre en face du dictateur. Ce n’est pas sans raison que Denys le qualifie de maître de la guerre et de la paix (5, 73).

Pour aborder, en finissant, la question du rapport dans lequel la dictature se trouve avec la royauté, elles sont en la forme essentiellement différentes, et c’est le consulat mien plutôt que la dictature qu’il faut considérer comme la continuation de la royauté. Car, dans la conception romaine, les insignes de la royauté et du consulat sont les mêmes et ceux de la dictature sont différents ; et la dictature présente dans ses attributions spécialement militaires dans le commandement de l’infanterie qui y est attaché, dans la nomination du maître de la cavalerie et dans d’autres points, une série de caractères propres que l’on ne fait remonter, ni ne peut faire remonter à la royauté. En la forme, la dictature est organisée comme un renforcement du consulat et en est issue. Mais au fond, le consulat n’étant autre chose qu’une royauté affaiblie sous divers rapports et particulièrement à l’aide du principe de la collégialité, le renforcement du consulat ramène inévitablement à la royauté et en ce sens on peut admettre la maxime selon laquelle l’établissement de la dictature est le rétablissement temporaire de la royauté[99]. Sauf le terme, les éléments qui, dans la notion romaine, distinguent la magistrature supérieure de la période républicaine de celle de la période royale sont absents de la dictature. La provocation est suspendue. L’élection par le peuple est remplacée, à l’exemple de ce qui existait probablement sous la royauté, par la nomination par le magistrat. L’intercession des collègues est également suspendue et la subsistance des consuls comme collègues inférieurs en droit masque à peine la suspension du principe de la collégialité. Même l’affectation du dictateur aux périls militaires, si, d’une part, elle trace une ligne de démarcation entre lui et le roi, fait, d’autre part, d’autant plus nettement ressortir la dictature comme une puissance anormale remontant à l’époque où la liberté du peuple n’existait pas. En droit public, on s’est visiblement efforcé d’écarter la parenté de la dictature et de la royauté. Mais le fond est plus puissant que la forme et il est exact historiquement qu’en supprimant la royauté on se réserva la possibilité de la rappeler à la vie sous un autre nom et pour un bref délai, constitutionnellement quoique à titre extraordinaire[100]. La tradition montre aussi à quel point la dictature était considérée comme une institution étrangère et même hostile à la constitution libre de l’État. Le combat contre elle ne cessa que quand on fut arrivé à la soumettre à l’intercession du collège des tribuns, à la provocation du peuple et même finalement à l’élection populaire ; alors, il est vrai ; elle perdit sa raison d’être et elle disparut.

Les crises intérieures dans lesquelles périt la dictature, se placent à l’époque de la guerre d’Hannibal ; elle ne lui a pas survécu. Le dernier dictateur chargé de faire la guerre a été nommé en 538[101], le dernier dictateur en 552[102] les dictateurs n’ont joué aucun rôle dans les grandes guerres conduites hors de l’Italie[103], et la magistrature n’était au reste pas faite pour de pareilles guerres, ne fut-ce qu’à raison de sa brève durée. Sans doute elle ne fut pas abolie, elle est encore considérée comme existant en droit jusqu’à la fin de la République[104]. Et cela a eu une portée pratique ; car c’est en par tant de là qu’on a rattaché au nom de cette magistrature constitutionnelle, plus élevée que toutes les autres, la nouvelle magistrature étrangère à la constitution au moyen de laquelle Sulla refondit l’État dans le sens de la réaction aristocratique. Mais la dictature de Sulla n’a de commun avec l’ancienne dictature que le none et quelques traits extérieurs ; elle a aussi une base juridique différente. Ce n’est pas en vertu de l’ancienne loi constitutionnelle, mais en vertu de lois spéciales que Sulla et ses imitateurs[105] ont été nommés dictateurs et leur compétence est réglée d’une façon radicalement différente. Nous en traiterons dans le chapitré consacré aux pouvoirs extraordinaires.

La dictature romaine est parente quant au fond de la royauté ; la dictature latine, toute différente de la romaine[106], est probablement issue, même quant à la forme, de la royauté latine. — Ainsi qu’on sait, l’on rencontre, dans les cités,latines, à côté de la magistrature supérieure analogue au consulat, de la préture, un autre système, dans lequel un dictateur unique est, à la place des deux préteurs ou duumvirs, l’autorité supérieure ordinaire de la cité[107] ; et si le premier système est proprement le système constant., si spécialement il est le seul pratiqué dans toutes les cités directement organisées par Rome., en particulier dans les colonies latines[108], l’autre se rencontre principalement dans les cités qui paraissent avoir conservé d’une manière ou de l’autre, avec une pureté relative, la forme originaire de leurs institutions, telles que sont, par exemple, Albe, Lanuvium, Cære, Tusculum, Nomentum. A la vérité, le principe du terme s’applique encore là. Il est en particulier démontré pour Albe, que le dictateur, qui n’apparaît plus, à vrai dire, que dans des fonctions sacerdotales, y était nommé chaque année[109]. Quant aux dictatures auxquelles restaient des attributions politiques, leur conformation politique primitive a aussi été altérée par I’introduction au moins partielle de la collégialité[110]. Cette dictature diffère donc radicalement de la dictature romaine, d’abord par le caractère de magistrature ordinaire, puis par l’annalité, et partie même par la collégialité ; et l’on peut d’autant moins invoquer en sens contraire la similitude de nom que le titre de dictateur a remplacé le nom ancien et propre de la magistrature à Rome certainement et dans le Latium probablement. La dictature latine n’est évidemment pas autre chose qu’une continuation de forme de la royauté latine qui a seulement changé de nom et passé d’une durée viagère à une durée annale. Les Romains eux-mêmes l’ont envisagée ainsi : cela résulte tant du rôle qu’ils lui attribuent dans l’histoire légendaire que des noms de roi et de dictateur donnés indistinctement au magistrat à Albe[111]. L’origine royale de la dictature latine se révèle encore plus clairement à ce que le dictateur latin a le pouvoir de nommer les prêtres, pouvoir qui n’était pas lié au consulat et aux magistratures corrélatives, y compris la dictature romaine, et qui l’était à la royauté. Il est donc probable que les cités latines, de constitution dictatoriale, ne sont pas arrivées par les mêmes voies que Rome à l’abolition de la royauté, que la royauté y a subsisté, mais qu’elle a plus fard été contrainte, sous l’influence romaine, à changer de nom[112] et à se soumettre à l’annalité et même finalement à la collégialité. Pourtant l’idée que la dictature latine n’était pas autre chose que la royauté primitive demeura fermement ancrée dans la conscience du peuple. Si le magister populi romain fut dépouillé de son nom primitif et appelé dictateur par une habitude de langage, définitivement fixée longtemps avant la guerre d’Hannibal, ce fut là probablement encore une ex-pression choisie pour qualifier cette magistrature comme une royauté à temps ; peut-être fut-ce en même temps une protestation muette des plébéiens contre cette magistrature exécrée par eux plus que toute chose et en réalité médiocrement compatible avec le caractère des institutions républicaines. L’ombre de l’ancienne royauté nationale latine devait même être encore une fois rappelée à la vie, avec la puissance d’un fait, à la fin de la République. La dictature annale de César a été indubitablement constituée à l’image de la dictature albaine et le souvenir de la gens albaine des Julii a sûrement joué là son rôle à côté d’autres considérations plus importantes.

 

 

 



[1] Au reste, la liste des dictateurs, pouvant prétendre à une plausibilité historique, commence sensiblement plus tard que celle des consuls, sans doute parce qu’elle n’était pas, comme elle, déterminante pour le calcul des années. Les cinq premières dictatures de nos fastes — ce sont en dehors des deux discutées au texte, celles des années 260 (sécession) — 296 (actes d’héroïsme de Cincinnatus) — 315 (catastrophe de Sp. Mælius, sans dictature d’après la plus ancienne version) — sont séparées par de larges intervalles de temps et toutes rattachées à des légendes originairement dépourvues de dates et indubitablement apocryphes. C’est seulement depuis 319 que les dictateurs apparaissent dans les fastes d’une manière fréquente et non suspecte.

[2] Tite-Live, 2, 18, 4.

[3] Festus, v. Optima lex, p. 198 ; Tite-Live, 2, 18. Cf. C. I. L. I, p. 284.

[4] Si cependant la combinaison proposée par O. Müller (sur Festus, p. 389) est aussi exacte qu’ingénieuse, on plaçait la dictature de ce Valerius comme celle de Larcius, en 253.

[5] Le cognomen du dictateur est partout ailleurs Flavus, même dans les fastes d’Idatius et du Chronicon paschale ; au contraire, il s’appelle Rufus chez le chronographe de 351 et chez Eusèbe (Syncellus, p. 412), c’est-à-dire chez Africanus, qui proviennent donc probablement tous deux de la même source.

[6] Ce système est suivi par Cicéron (De rep. 2, 32, 56) ; Tite-Live, 2, 18, qui invoque les plus anciennes annales (d’après Tite-Live, Cassiodore, Chr. ; Eutrope, 1, 12 ; Jérôme, Chr.) ; Denys, 5, 71. 73 ; Anon. (Dion ?) chez Suidas, v. ίππαρχος ; Zonaras, 7, 14 ; Eusèbe, chez Syncellus, p. 472. 477. Varron fait aussi allusion au dictateur T. Larcius (chez Macrobe, Sat. 1, 8, 1), sans le désigner expressément comme le premier. Le passage de Lydus, De mag. 1, 37. 38 est absolument confus.

[7] Tite-Live, loc. cit. et les sources qui en dépendent, Eutrope, 1, 12, et Joannes Antiochenus, fr. 45, éd. Müller.

[8] Cicéron, loc. cit. A la vérité, ces indications de dates sont dans Cicéron fréquemment données en chiffres ronds.

[9] Denys, loc. cit. Zonaras, 7, 13, rapporte l’établissement de la dictature entre 254 et 260.

[10] Varron, dans Macrobe, loc. cit., attribue au dictateur Larcius la dédicace du temple de Saturne, que Tite-Live, 2, 21, et Denys, 6, 1, placent en l’an 257.

[11] La première date se trouve chez Tite-Live, 2, 19, la seconde chez le même, 2, 21, comme opinion divergente d’autres annalistes isolés, et chez Denys, 6, 3 ; l’explication de cette divergence chronologique tirée de la différence des points de départ des ères romaines, qui est donnée dans notre Chron., p. 191, note, est moins simple que celle-ci que nous avons déjà proposée C. I. L. I, p. 557.

[12] Le motif est dans Tite-Live (et dans Eutrope, Orose, 2, 5, Joannes Antiochus qui le copient) la guerre qui menace avec les Sabins et surtout les Latins ; en général un danger militaire grave dans Suidas, v. δικτάτωρ et dans Pomponius, Digeste, 1, 2, 2, 38. Dans Denys, Zonaras, Eusèbe, au contraire, la menace de la guerre avec les Latins intervient bien aussi ; mais la dictature est directement établie contre les plébéiens qui refusent le service militaire. Il est surprenant qu’on n’ait rattaché l’établissement de la dictature ni à la bataille du lac Régille, ni à la première sécession de la plèbe.

[13] Tout au moins Festus indique une coïncidence de la première dictature et de la suspension de la provocation.

[14] La lex de dictatore creando lata de Tite-Live, 2, 36, est invoquée en faveur du principe absolument faux selon lequel les consulaires auraient, dès l’origine, seuls été capables d’être dictateurs ; cette allégation rentre évidemment parmi les falsifications suggérées par la pratique récente. Denys, 5, 70, entre encore moins en ligne de compte.

[15] Cicéron, De rep. 1, 40, 63. D’où Sénèque, Ep. 408, 31, où il est ajouté : Et testimonium est, quod qui ab illo nominatur magister equitum est.

[16] Velius Longus, éd. Putsch, p. 2234, sans aucun doute d’après les commentarii consulares : Oriri apud antiquos surgere frequenter significabat, ut apparet in eo quod dicitur : consul oriens magistrum populi dicat. Cicéron, De leg. 3, 3, 9, c. 4, 10. De fin. 3, 22, 75. Varron, 3, 82. 6, 61. Festus, v. Optima lex, p. 193. Cette expression ne se rencontre que dans le style solennel et dans la langue savante ; elle avait disparu, dans la vie commune, au temps de Varron et de Cicéron.

[17] Le dictateur s’appelle στρατηγός αύτοκράτωρ, chez Polybe, 31 86, 1. c. 87, 8, pareillement chez Diodore, 19, 76, αύτοκράτωρ, chez Polybe, 3, 403, 4, et chez Diodore, 42, 64. 14, 93.447. 19, 72. Denys, dit, 3, 34, στρατηγοί αΰτοκράτορες είρήνης τε καί πολέμου pour deux dictateurs latins, στρατηγός αύτοκράτωρ, 3, 5, pour le général album Mettius Fuffetius, αύτοκράτωρ, 2, 57, pour l’interroi. La dictature est appelée αύτεξούσιος άρχή, dans la traduction grecque de l’inscription commémorative d’Auguste. Appien, B. c. 1, 97, nomme Sulla ήγεμών. On rencontre plus tard habituellement le mot latin qu’a déjà Polybe et qu’emploient aussi Diodore, 12, 80, et l’inscription attique de César (C. I. Att. III, 428). — Chez Jean d’Antioche (car c’est à lui que doit appartenir le fragment de Suidas, v. ΰπαστοι) les στρατηγοί αύτοκράτορες sont les consuls.

[18] L’ancienne étymologie dictator ab eo appellatur quia dicitur (Cicéron, De rep. 1, 40, 63 ; Varron, 6, 61 ; Pæanius, 1, 12 ; en outre, à côté de l’explication postérieure, Varron, 5, 82 ; Denys, 5, 73 ; Plutarque, Marcell. 24) est comme la plupart de celles de ce genre, elle est impossible au point de vue linguistique, mais fait ressortir un trait de la dictature essentiel au point de vue du fond. L’autre explication se rattache ou à dicto audiens (Varron, 5, 82) ou à dictare (Priscien, 8, 14, 78) ou à edictum. Denys, 5, 73, et de même Plutarque, Marcell., 24. Becker rapporte aussi avec raison à cela Tite-Live, 8, 34, 2. Peut-être faut-il aussi faire rentrer dans cet ordre d’idées la définition du dictateur chez Jean d’Antioche, fr. 45, éd. Müller (d’où Suidas, h. v.), et celle de Lydus, De mag. 1, 36, c’est-à-dire qui, à cause de la courte durée de son pouvoir, ne donne pas des lois, mais rend des édits. Mais, si un sentiment linguistique plus juste se manifeste dans cette seconde étymologie, on ne peut en revanche aucunement eu être, avec Becker, satisfait au point de vue du fond ; car, d’un côté, on ne voit pas pourquoi le dictator pourrait avoir fait précisément du droit de rendre des édits nu usage si fréquent et si remarquable qu’Il en eut tiré son nom, et, d’autre part, l’edicens ne peut linguistiquement être identifié avec le dictans. En outre, une explication tirée de la langue ne, peut être satisfaisante qu’à condition de tenir compte, en même temps que du dictateur romain, du dictateur latin qui juridiquement est absolument différent.

[19] Pour le carthaginois, éd. Jordan, p. 21 (aussi dans l’inscription des rostres. C. I. L. I, n. 195 et p. 39) ; pour le latin, éd. Jordan, p. 12.

[20] Varron, 5, 153, probablement tiré de la guerre punique de Nævius (éd. Buech., p. 10).

[21] Vel tu dictator vel equorunn equitumque magister esto vel consul. Festus, Ep. p. 369 = Ennius, Sat., 18, éd. Vahlen.

[22] C. I. L. I. n. 1503, p. 556.

[23] Tite-Live, 75 17. 10, 8, 8. Cf. 8, 23.

[24] Tite-Live, 2, 18 : Consulares legere (parfait et non, comme le voulait Becker, infinitif) : ita lex jubebat de dictatore creando lata.

[25] V. des explications plus détaillées C. I. L. I, p. 557. Sont seuls consulaires les dictateurs des années 296, 315, 369, 394, 396, 398, 403, 409, 410, 412, 415, 419, 427, 429, 432 ; non consulaires ceux de 260, 317 (320, 328), 319 (336), 323, 346, -358 (364, 365, 388, 387), 374, 386, 391, 392, 393, 401 (405), 402, 404, 414, 417, 420, 422, 423, 433, parmi lesquels ceux désignés par des astérisques ont, à la vérité, du moins occupé antérieurement le tribunat consulaire.

[26] Ce sont C. Pœtelius Libo Visolus, en 444 (cf. cependant Rœm. Forsch. 2, 243), Q. Hortensius en 465/468 ; Ap. Claudius Glicia en 505, M. Minucius Rufus en 537. Cf. C. I. L., loc. cit., et l’addition, Bullett. dell’ Inst. 1883, p. 58 et ss., qui établit définitivement la leçon des fastes du Capitole en concordance avec l’inscription dédicatoire. La rédaction, certainement toujours la même, du sénatus-consulte de Tite-Live, 26, 10, 9, qui dictatores consoles censoresve fuissent, prouve aussi qu’un non consulaire pouvait parvenir à la dictature.

[27] Tite-Live, 4, 46. 57. 5, 19. 6, 2. 11. 28. 38.

[28] Cicéron, Ad Att. 9, 15, 3, de l’an 705. Cf. Drumann, 2, 475. 3, 469. L’allégation contenue dans un discours de Denys, 11, 20, est une simple faute ; car l’auteur ne veut évidemment pas dire que les consuls seraient nommés par l’interroi, puis le dictateur par eux.

[29] Plutarque, Marc., 24.

[30] Tite-Live, 22, 8 (cf. sur la lecture du texte, C. I. L. I, p. 288). Polybe, 3, 87, les fastes, l’elogium de Maximus et les autres documents sont tous dans le même sens et appellent Fabius simplement dictateur ; au contraire Tite-Live, dans un passage postérieur, lui conteste cette qualité et veut seulement le considérer comme pro dictatore dans le sens indiqué tome I, Magistratu, etc. ; Lydus, De mag. 1, 38 parait venir de là, selon toute vraisemblance, sans motif. — Il en est de même de son codictateur postérieur M. Minucius ; lui non plus ne peut avoir acquis cette dignité avec le concours d’un consul (cf. C. I. L. I, p. 557). — Or, ces dictateurs n’ayant été nominés par aucun consul, ils ne peuvent ravoir été que par un préteur ; on peut indiquer dans le même sens la disposition analogue dans Tite-Live, 21, 5, 16.

[31] Polybe, 3, 403. Tite-Live, 22, 25. C. I. L. I, p. 556. L’inscription contemporaine prouve que Polybe donne avec raison à 14linucius le titre de dictateur que lui refusent les fastes.

[32] Tite-Live, 22,22. 23. Si cet écrivain met dans la bouche de Fabius les mots : Neque duos dictatores tempore uno, quod numquam antea factum esset, probare se, ces mots impliquent sans doute chez l’annaliste auquel ils sont empruntés, un blâme de la codictature de 537. Le dictateur nommé accomplit, en dépit de sa déclaration, la tâche qui lui est assignée.

[33] Le tribun militaire cos. pot. de 346 L. Servilius Ahala accomplit la nomination du dictateur malgré la résistance de ses collègues et dés tribuns du peuple (Tite-Live, 4, 57). L’incident de 544, rapporté plus bas, montre également que l’un des consuls ne pouvait empêcher l’autre de nommer un dictateur.

[34] Tite-Live, 4, 57.

[35] Dans Tite-Live, 4, 26 (an 323), les tribuns décident, sur la prière du sénat, placere consules senatui dicto audientes esse ; si adversus consensum amplissimi ordinis ultra tendant, in vincta se duci eos jussuros. Cf. 4, 56.

[36] Tite-Live, 4, 26.

[37] Cicéron, De leg. 3, 3, 9 : Si senatus creverit.

[38] Il y a, à la vérité, quelques textes, dans lesquels le peuple apparaît comme participant au choix régulier du dictateur. Mais Becker (1re éd.) et Schwegler, 2, 124, remarquent avec raison que ces faits sont tous défigurés ou erronés ou susceptibles d’une autre interprétation. Dans Festus, p. 195, les mots primus magister a populo creatus est sont indubitablement corrompus et doivent être corrigés en magister populi ; la transmission du texte est très défectueuse dans cette portion, Denys, 5, 10 : Ένα δ' άνρα, όν άν ή τε βουλή προέληται καί ό δήμος έπιψηφίση... άρχειν est rapporté par Becker, loc. cit., probablement avec raison à la loi curiate. Si enfin Tite-Live dans une sérié de textes (5, 46. 61 6, 8. 22, 14, 11) et à sa suite Plutarque (Camil. 40) considèrent Camille comme un dictateur élu par le peuple, c’est sûrement une erreur (VI 1). — Le système de Niebuhr (Rœm. Gesch. 1, 593 = tr. fr. 2, 362), selon lequel le dictateur aurait été à l’origine élu par les ourles, n’a pas besoin à être aujourd’hui réfuté en détail.

[39] Tite-Live, 27, 5. Plutarque, Marcell. 24.

[40] Tite-Live, 2, 30. 4, 17. 21. 4, 23 46. 7, 12. 7, 26. 8, 17. 9, 29. 10, 11. 22, 51. Par suite, les auteurs grecs attribuent parfois l’élection du dictateur directement au sénat ; ainsi, par exemple, Denys, 5, 70. 7, 56. Plutarque, Camill. 39. Zonaras, 7, 20. Dans un endroit Denys représente même le dictateur comme nommé dans la curie entre le milieu de la nuit et le matin.

[41] En 398, le consul plébéien nomme un plébéien dictateur, ce qui soulève le mécontentement du sénat (Tite-Live, 7, 17). En 415, le sénat se prononce pour la dictature, finire imperium consulibus cupiens ; mais le consul qui fit la nomination T. Æmilius nomma son collègue (Tite-Live, 8, t2). En 441, le sénat désire que L. Papirius Cursor soit nommé dictateur et, le seul consul qui se trouve à proximité, Q. Fabius, étant avec lui dans l’inimitié la plus extrême, il envoie à ce sujet une ambassade spéciale à Q. Fabius qui la laisse sans réponse ; le matin suivant il nomme pourtant Papirius et repousse les remerciements (Tite-Live, 9, 33 ; Dion, éd. Bekk. fr. 36, 36). En 505, le consul P. Claudius nomme, en dérision du sénat, son viator, M. Claudius Glicia, dictateur (Tite-Live, Ep. 19 ; Suétone, Tib. 2).

[42] Tel parait avoir été le motif pour lequel le consul de 544, M. Lævinus, ne nomma pas immédiatement à Rome M. Messala qu’il se proposait de choisir comme dictateur, mais qui était désagréable au sénat, et projeta de le nommer dans sa province de Sicile (Tite-Live, 27, 5), ce qui aurait été une infraction à la règle posée sept notes plus bas. Il est évident et il résulte aussi du récit de Tite-Live, 8, 23, que la cassation motivée par un vice était beaucoup plus malaisée pour une nomination faite au camp que pour une nomination faite Rome.

[43] Nombreux témoignages dans Schwegler, 2, 122, note. — On en a même fait dériver le nom de la dictature.

[44] Festus, v. Optima lex, p. 198.

[45] Tite-Live, 2, 18.

[46] Tite-Live, 9, 28.

[47] Tite-Live, 2, 18. c. 30. 4, 26, 6. Festus, loc. cit. Becker fait remarquer que l’on dit bien dictator creatur, mais non consul creat dictatorem, parce que creare, surtout quand il se rapporte au magistrat qui fait la nomination, désigne de préférence l’élection populaire, le creare per suffragia populi (cf. Rubino I, p. 17, note). La différence de dictatorem dicere et creare ressort de la manière la plus énergique dans Tite-Live, 22, 8 et 22, 31. Cf. 6, 6, 8.

[48] Ainsi, en 401, le consul M. Valerius, qui était devant les Volsques à la frontière du territoire de Tusculum (Tite-Live, 7, t9) ; en 538, le consul Varron rappelé pour cela d’Apulie a deux reprises (Tite-Live, 22, 57. 23, 22).

[49] Tite-Live, 27, 5. Dans Tite-Live, 27, 29, le consul de 546, Crispinus, qui se trouve blessé à Capua, est invité si ad comitia venire Romam non posset, dictatorem in agro Romano diceret comitiorum causa. Ager Romanus désigne toujours le territoire primitif ou celui qui y est compris fictivement, et cette signification doit être maintenue même ici (cf. VI, 2). Par conséquent, il ne faut pas effacer in. Il est au contraire caractéristique pour la désignation du morceau de terrain exceptionnellement transformé en territoire primitif de Rome. Il faut comprendre de même les autres nominations de dictateurs faites au camp (Tite-Live, 7, 21. 8, 23. 9, 38. 44).

[50] Tite-Live, 9, 38 : Papirius C. Junium Rubulcum magistrum equitum dixit atque ei legem curiatam de imperio ferenti triste omen diem diffidit, quod Faucia curia fuit principium... c. 39 : Dictator postero die auspiciis repetitis pertulit legem. Sur Tite-Live, 5, 46, que Schwegler, 2, 923, rapporte à ceci, cf. VI, 1.

[51] Dans Dion, 42, 21, il est reproché César d’avoir revêtu la dictature καίπερ έξω τής Ίταλίας ών.

[52] Tite-Live, 2, 18. Denys, 5, 75. Lydus, De mag. 31.

[53] La possibilité du cumul de la dictature avec le consulat et la préture peut aussi y avoir contribué ; quoiqu’on eût pu facilement trouver, pour la cooptation une formule qui englobe ces cas.

[54] Tite-Live, 2, 32.

[55] Par suite, on dit aussi consuli dictatorem adrogari, Tite-Live, 7, 25, 11, en employant à la vérité rogari dans un sens impropre.

[56] Tite-Live, 31, 24, le même, 8, 32, 3. Chez Pomponius, Digeste, 1, 2, 2, 18, le dictateur s’appelle majoris potestatis magistratus. Cf. Tite-Live, 5, 9, 7. C’est pourquoi le dictateur est adjoint au consul comme moderator et magister (Tite-Live, 2, 18).

[57] Tite-Live, 4, 41. Cf. 5, 9, 2. 3.

[58] Cicéron, De leg. 3, 3, 9. Suidas, s. h. v. Cela n’est pas exact, par ce simple motif que, comme Becker le relève avec raison, il n’y aurait pas alors de différence entre le dictateur et le consul sine collega (p. 92).

[59] Voir ce que dit Polybe, il est vrai, du dictateur, 3, 87, 8, et il a par là trompé Appien, Hann. 12, ainsi que Plutarque, Anton. 8 et Q. R. 81. Peut-être vient-il aussi de la même source que Denys représente les consuls comme se retirant après la nomination du premier dictateur (5, 70. 72. 77 ; 11, 20). Mais aucun auteur romain ne partage cette idée fausse qu’on s’étonne à bon droit de rencontrer chez Polybe, qui, il est vrai, n’a pas connu personnellement la dictature. L’élection des seuls magistratus plebis pour 707, pendant la dictature de César (Dion, 42, 20. 27), n’a rien à faire avec cela, la raison en a été au contraire qu’on lui donna la présidence des élections de magistrats du peuple et qu’il était absent.

[60] Nous avons remarqué précédemment que le dictateur, en quittant Rome, ne nomme de préfet de la ville que dans le cas où il n’y reste ni consul ni préteur.

[61] On comparera à ce sujet le chapitre de la maîtrise de la cavalerie. Polybe doit avoir eu sous les yeux une formule de ce genre.

[62] Cicéron, De leg. 3, 3, 9. Claude, dans la table de Lyon, 1, 28 et ss.

[63] En grec, αύτοκράτωρ τοΰ πολέμου, Diodore, 19, 72, ou κατά τόν πόλεμον, Diodore, 12, 64. Le dernier dictator rei gerundæ caussa a été M. Junius Pera en 538.

[64] Un dictator seditionis sedandæ et r. g. c. (ainsi abrégé) se rencontré dans les fastes en 386 ; il est vraisemblable que, lorsque des dictateurs sont ailleurs ainsi créés à raison de troubles intérieurs, leur titre leur attribue la même double compétence.

[65] Dans les années 394 (Tite-Live, 7, 3, et les fastes), et 491 ; les compétences de même nature de 423 (Tite-Live, 8, 18) et 441 (Tite-Live, 9, 28 rapproché de 34) sont transmises d’une façon incertaine et probablement fausses. V. Chronol., p. 176 et ss.

[66] D’abord, en 403 (Tite-Live, 7, 22), puis fréquemment ; cf. au reste Tite-Live, 3, 20, 8 et 7, 9.

[67] Le dictateur feriarum constituendarum causa de 408 (Tite-Live ; 7, 28) et le dictateur comitiorum ludorumque faciendorum causa de 546 (Tite-Live, 27, 33) furent créés pour des fêtes extraordinaires. Au contraire, en 432, le dictateur fut nommé, selon quelques-uns, rei gerundæ caussa selon d’autres, pour donner aux jeux romains le signal du départ des chars, les consuls étant en campagne et fie préteur malade (Tite-Live, 8, 40). Les fastes du Capitole citent également en 4J7 un dictator Latinarum feriarum caussa. Cf. Tite-Live, 9, 34, 42.

[68] M. Fabius Buteo, 538.

[69] Tite-Live, 9, 26 (cf. 30, 24) cite un dictateur de 440 quæstionibus exercendis ; mais les fastes du Capitole le qualifient rei gerundæ caussa et les anciennes annales rapportent au contraire une rébellion des Campaniens et l’envoi d’une armée contre eux (Diodore, 49, 76). Peut-être la première désignation ne doit-elle pas, comme on fait d’ordinaire à cause de Tite-Live, 9 34, 14, être rapportée à la dictature antérieure du même personnage de 434, mais filtre considérée comme n étant pas technique. — Sur le dictator interregni caussa, v. plus bas.

[70] En ce sens on peut spécialement admettre que les rares dictateurs nommés à raison de troubles civils pouvaient être qualifiés de dictator seditionis sedandæ et r. g. c.

[71] Tite-Live, 3, 3. Il fut plus tard accusé à raison de la rigueur qu’il avait montré dans les enrôlements, ou plutôt de ces enrôlements eux-mêmes (Tite-Live, 1, 4).

[72] Tite-Live, 9, 34, 12. Il rentre aussi dans cette idée que le maître de la cavalerie soit donné à tout dictateur, même à celui qui n’est pas nommé rei gerundæ causa.

[73] Dans Tite-Live, 30, 24, un dictateur comitiorum habendorurn causa (comme l’appellent tout au moins les fastes) rappelle le consul de la province en vertu de son imperium plus fort et ouvre ensuite en Italie des instructions criminelles.

[74] A la vérité, dans ses autres acceptions, le mot populus n’a nulle part une couleur spécifiquement militaire.

[75] En dehors du dictator sine mag. eq. (fastes du Capitole) de 505, M. Claudius Glicia, qui fut forcé de se retirer immédiatement avant d’avoir pu se nommer un maître de la cavalerie, l’unique exception sûre est M. Fabius Buteo, dict. sine mag. eq. senatus legendi causa, en 538, qui ne nomma sans doute pas de maître de la cavalerie uniquement, parce qu’il y avait en même temps en campagne un autre dictateur accompagné d’un maître de la cavalerie. Tite-Live, 23, 23, lui met en outre dans la bouche les mots neque dictatorem se (probare) sine magistro equitum. Cependant les deux codictateurs de 537, Fabius et Minucius, ne paraissent pas avoir nommé de maîtres de la cavalerie distincts. Denys, 5, 75, dit en termes trop généraux : Οϋδείς είς τόδε χρόνου δικτάτωρ αίρεθείς χωρίς ίππάρχου τήν άρχήν διετέλεσεν.

[76] Plutarque, Fab., 4. Tite-Live, 23, 14. Zonaras, 7, 14, où la chose est présentée faussement par une confusion. Il est difficile que Properce 4(3), 4, 8, se rapports à cela.

[77] Cicéron, De leg. 3, 3, 9. Tite-Live, 3, 29, 7. 9, 34, 12. 23, 22, 1. c. 23, 1. Denys, 5, 70. 7, 56. 10, 25. Appien, Hann. 16. B. c. 1, 3. Dion, 36, 34 (17]. 42, 21. Zonaras, 7, 13. Digeste, 1, 2, 2, 38. Lydus, De mag. 1, 36. 37. — On trouve dans les fastes sous les dates de 421, 430,445, 453, au lieu de couples de consuls éponymes, un dictateur et son maître de la cavalerie avec l’addition : Hoc anno dictator et mag. eq. sine cos. fuerunt. Mais ces prétendues dictatures annales, sans consuls à côté d’elles, qui figurent au contraire dans les annales aux années qui précédent sous la forme régulière, sont un pur expédient chronologique destiné à trouver une expression compatible avec la table des magistrats pour les quatre années dont la table des magistrats rapprochée de la table des années se trouvait trop courte et qui sont représentées là par l’intercalation de postes de magistrats fournissant quatre noms. Cf. ma Chronologie, p. 114 et ss. — La prétendue dictature annale de Camille n’est qu’un contresens de Plutarque.

[78] Ainsi, en 546, le dictateur T. Manlius Torquatus resta encore en fonctions après la mort du consul Crispinus qui l’avait nommé, alors que l’autre, Marcellus, avait déjà péri antérieurement.

[79] Après que Camille eut terminé la tâche militaire pour laquelle il avait été fait dictateur et qu’il eût triomphé, il resta en fonctions sur la prière du sénat et il ne se retira qu’anno circum acto (Tite-Live, 6, 1) ; ce qui, selon la juste observation de Weissenborn, ad h. l., peut seulement signifier d’après l’ensemble du texte : A la fin de l’année de magistrature en cours 364, en sorte qu’il se retira avec les tribuns de cette année. Plutarque, Cam. 41, et après lui les modernes (y compris moi-même, Chronol. p. 99) ont interprété faussement ces mots comme signifiant que Camille serait demeuré dictateur pendant la durée d’une année. Entendu correctement, le texte montre que le terme extinctif établi pour le magistrat qui nomme le dictateur s’applique au dictateur lui-même.

[80] Les consuls sont absents de Rome et le dictateur C. Servilius nommé comitiorum habendorum causa est empêché par l’orage de tenir les comices électoraux en temps convenable (Tite-Live, 30, 39, 5). Il ne résulte pas de là, comme Becker l’admet dubitativement, que la dictature ne soit pas une magistrature curule, mais que le consulat des deux consuls et la dictature de Servilius expirèrent en même temps le 14 mars. Les élections pour 552 ont donc été dirigées par un interroi.

[81] Si Q. Fabius est cité en 531 dans les fastes comme dictator interregni causa, cela s’ajoute aux autres grossières erreurs de ce titre (Chronol. p. 111). Il n’y eut pas d’interrègne cette année-là. La mention de dictateurs sine consulibus est aussi, en droit public, un non-sens. On ne pourrait employer cette tournure que, par exemple, dans le cas du dictateur T. Manlius Torquatus, en 546, qui resta encore en fonctions après la mort du consul Crispinus qui l’avait nommé.

[82] Tout au moins le dictateur M. Fabius Buteo désapprouve qu’on l’ait proclamé dictateur pour six mois, bien qu’il eut seulement à compléter le sénat (Tite-Live, 28, 23). L. Manlius, qui avait été nommé en 391 dictateur clavi figendi causa, mais qui ne se retira pas aussitôt après (Tite-Live, 7, 3, 4), fut accusé peur ce motif (Cicéron, De off. 3, 31, 112). Le formulaire primitif de la dictature contenait probablement les mots in sex menses, qui auront été omis pour les dictateurs nommés autrement que rei gerundæ causa, en sorte que, pour ces derniers, la limitation de délai résultait seulement de leur destination.

[83] En ce sens donc, il n’y a pas de prodictature. Nous avons discuté, le point de savoir si le titre de dictateur appartient au dictateur nommé simplement par un préteur et les comices ou s’il est seulement pro dictatore.

[84] Tite-Live, 2, 18. 2, 30. 3, 20. Denys, 5. 75. 8, 58. Zonaras, 7, 13. Pomponius, Digeste, 1, 2, 2, 18. Lydus, 1, 37.

[85] La portée politique de la dictature se manifeste peut être plus clairement que partout ailleurs dans le fait que les actes illégaux commis par le consul pendant et après la chute de C. Gracchus sont représentés comme rentrant légalement dans lés pouvoirs du dictateur. Plutarque, Ti. Gracch. 18.

[86] Tite-Live, 4, 13. Il s’agit de la procédure suivie contre Sp. Mælius, dans laquelle un dictateur n’a été intercalé que par l’annalistique récente, Hermes, 5, 260 = Rœm. Forsch. 2, 205.

[87] Tite-Live, 6, 16, dans le récit de l’arrestation de M. Manlius, par le dictateur A. Cornelius Cossus (cf. Hermes, 5, 248 = Rœm. Forsch. 2, 187).

[88] Les verges infligées par le dictateur de 391 à ceux qui ne se présentent pas de suite au recrutement (Tite-Live, 7, 4) indiquent l’exclusion de la provocation ; celle-ci étant entrée en vigueur en même temps, selon l’opinion courante, pour les peines corporelles et la peine de mort.

[89] Dans la procédure introduite par le dictateur L. Papirius Cursor contre son maître de cavalerie Q. Fabius Maximus (Tite-Live, 8, 33-35), le père de celui-ci dit, quand le dictateur commande d’arrêter l’accusé (c. 33, 8) : Tribunos plebis appello et provoco ad populum eumque tibi... judicem fero, qui certe unus plus quam tua dictatura potest polletque ; videro cessurusne provocationi sis, cui rex Romanus Tullus Hostilius cessit. Le dictateur réplique (c. 34, 6) optare, ne potestas tribunicia, inviolata ipsa, violet intercessione suit Romanum imperium neu populus in se potissimum dictatorem et jus dictaturæ extinguat et déclare enfin (c. 35, 5) que Q. Fabius noxæ damnatus donatur populo Romano, donatur tribuniciæ potestati, precarium, non justum auxilium ferenti. L’admission de la provocation est traitée là, de même qu’à l’époque royale, comme un droit et non comme un devoir du magistrat. Ce procès ne peut être regardé comme fait imperio militiæ, car il s’agit bien d’un délit militaire, mais le procès a lieu à Rome.

[90] Tite-Live, 9, 26 (cf. c. 34, 14) représente C. Mænius, comme nommé dictateur quæstionibus exercendis, directement à raison de menées de trahison en Campanie ; mais ensuite l’instruction se tourne contre des Romains considérés. Il n’est pas question de provocation ; il n’en est pas à la vérité question non plus par rapport aux consuls qui continuent ensuite l’instruction. Il n’y a pas grand fond à faire sur ce récit fait évidemment à l’imitation des questions extraordinaires de la République récente.

[91] Magistratum sine provocatione creare (Tite-Live, 3, 55) ne s’applique, selon la langue technique, qu’à la création par les comices, et il est dans la nature des choses qu’il agisse là en premier lieu des décemvirs élus dans les comices.

[92] Tite-Live, 40, 9.

[93] Zonaras 1, 13. Les tribuns ont empêché le procès de Volscius, jusqu’à ce qu’un dictateur fut nommé : Ne impedirent, est-il dit alors (Tite-Live, 3, 29, 6), dictatoris obstitit metus. Les tribuns empêchant les enrôlements, il faut nommer un dictateur (Tite-Live, 8, 21). Les récits du procès de Manlius (et de celui de Fabius rassemblent l’exclusion de l’intercession (du non justum auxilium, Tite-Live, 8, 35) et celle de la provocation. Cf. Tite-Live, 6, 28, 3. C’est par là qu’il s’explique que le dictateur soit menacé d’une multa par plébiscite (Tite-Live, 6, 38, 9). Cette procédure inouïe et en sa qualité de privilegium inconstitutionnelle se fonde évidemment sur ce que le tribun du peuplé n’a pas le droit de prononcer d’amende contre le dictateur.

[94] Un exemple certain de pareille intercession est fourni par l’opposition des tribuns du peuple aux élections consulaires pour 545, présidées par un dictateur (Tite-Live, 27, 6, 5). Les témoignages pour l’époque antérieure ne sont ni vraiment dignes de foi, ni dépourvus de doutes aux autres points de vue. L. Manlius dictator clavi figendi causa, en 391, et disposé à considérer sa dictature comme rei gerundæ causa, abdiqua à la vérité omnibus in eum tribunis plebis coortis seu vi seu verecundia victus (Tite-Live 7, 3) ; mais les derniers mots montrent précisément qu’il se retira volontairement. Les tribuns du peuple peuvent avoir, en 401, détermine de la même façon le dictateur à ajourner plusieurs fois les comices (Tite-Live, 7, 21). Nous avons remarqué que leur intercession dans le procès intenté à Fabius n’était pas un justum auxilium. Ils refusèrent aussi en 460. Leur assistance aux personnes atteintes par l’instruction du dictateur C. Mænius (Tite-Live, 9, 20). Nous ne savons si ce fut parce qu’ils ne jugeaient pas en avoir le droit en face du dictateur ou pour un autre motif.

[95] Dans Tite-Live, 22, 23 (d’où Dion, fr. 51, 16), le sénat refuse de rembourser au dictateur Fabius les rançons payées par lui à Hannibal, quoniam non consuluisset patres ; c’est en harmonie avec la situation financière du consul qui, étant en campagne, ne peut disposer des fonds de l’Ærarium.

[96] Zonaras, 1, 13. A la vérité on est étonné que les droits du dictateur soient ici plus faibles que ceux des consuls et la règle n’est peut-être, qu’une abstraction fausse déduite de la conduite du sénat à l’égard de Fabius.

[97] Cf. surtout les αύτοκράτορες πρεσβευταί chez Polybe, 25, 5, 9 (de même Diodore, 11, 21 et ailleurs) et Estienne, s. h. v.

[98] Polybe, 6, 12, 3. Cf. c. 14, 2.

[99] Cicéron, De rep. 2, 32, 56. Cf. Tite-Live, 8, 32, 3. Les Grecs de la période impériale emploient des expressions encore plus énergiques. Le traducteur de l’inscription commémorative d’Auguste traduit dictatura (3,2) par αύτεξούσιος άρχή. Denys appelle la dictature une αύθαίρετος (5, 70) ou αίρετή τυραννίςς (5,13), une ίσοτύραννος άρχή (s, 71), Appien (B. c. 1, 99) une τύραννος άρχή όλίγω όριζομένη ; Dion (dans Zonaras, 7, 13) parle de δικτατωρία κατά γε τήν έξουσίαν τή βασιλεία ίσόροπος, Plutarque (Fab. 4) dit τυραννικόν καί μέγα τής άρχής κράτος, pour omettre les formules analogues qui se rencontrent chez Eutrope, 1, 12 (d’où Jean d’Antioche, fr. 45) Suidas, v. δικτάτψρ et beaucoup d’autres. Mais ces dernières expressions subissent toute l’influence de la dictature de Sulla et de César, différente en caractère de l’ancienne, ainsi que de l’extrême antipathie d’Auguste pour cette forme politique. On ne peut donc en tirer aucune conclusion relativement à la notion de l’ancienne dictature faisant corps avec la constitution.

[100] Ce que dit Strabon, 6, 1, 3, p. 254 des Lucaniens, est vrai mot pour mot de Rome.

[101] Fastes du Capitole : M. Junius D. f. D. n. Pera dict. rei gerund. caussa.

[102] Fastes du Capitole : C. Servilius C. f. P. nepos dict. comit. habend. caussa.

[103] Dion, 36, 34 [17] représente Catulus comme détournant dans un discours de nommer un dictateur pour une guerre à conduire hors d’Italie. Il s’agit d’A. Atilius. Calatinus, qui, en 505, primus dictator extra Italiam exercitum duxit (Tite-Live, Ep. 19). Au reste, si ce n’est point par un pur hasard qu’il ne fut fait qu’une fois usage de la dictature pour les guerres d’outre mer dans la courte période qui va de leur début à sa disparition, ce n’est certainement pas à cause des objections politiques formulées par Dion, mais parce que le délai de six mois et l’exclusion, observée tout au moins en fait, de la prorogation ne convenaient pointa ces guerres.

[104] Les sénatus-consultes et les lois de la période postérieure citent toujours la dictature parmi les magistratures légalement existantes ; Varron nomme aussi le dictateur dans l’énumération des magistrats en droit de convoquer le sénat.

[105] La brève dictature revêtue par César en 705 et celle proposée en 702 pour Pompée sont conformes au type de la dictature de Sulla et non au type ancien, verrons-nous plus loin.

[106] S’il est indispensable, dans l’étude de la dictature romaine, particulièrement de celle de César, de ne pas perdre da vue la dictature latine annale, l’institution elle-même ne peut être ici exposée que sommairement. Je renvoie pour les détails aux recherches approfondies de C. G. Lorenz. De dictatoribus Latinis et municipalibus, Grimma, 1844, in-4°, et de Henzen, Bullett. dell’ Inst. 1851, 186 et ss. 4858, 169, Annali dell’ hist. 1859, 493 et ss.

[107] Il est vraisemblable en soi que, dans le Latium comme à Rome, l’idée de puissance unitaire était liée à celle de dictature et que c’était là-dessus que se fondait l’opposition, dans un cas, avec le régime consulaire, dans l’autre, avec le régime prétorien ; les témoignages sont dans le même sens. Ils ne souffrent aucun doute pour la dictature albaine ; et cette dictature, qui, à l’époque historique, n’est, comme le sacerdotium Cæninense et d’autres institutions d’États disparus, rien autre chose qu’une fonction sacerdotale romaine (Orelli, 2293 = C. I. L. VI, 2161), est celle qui a conservé le plus purement les formes de l’ancien système. La même chose est établie pour Aricia par l’inscription Orelli, 4455 = C. I. L. XIV, 2213 et pour Lanuvium par l’inscription Orelli, 3786 = C. I. L. XIV, 2097, dans les dates desquelles on trouve un dictateur à côté de deux questeurs ou de deux édiles.

[108] L’unique exception est l’inscription attribuée à la colonie latine de Sutrium, Henzen, Bullet. dell’Inst., 1865, p. 248 = C. I. L. XI, 3615 : T. Egnatio T. f. Vol. Rufo q., a[e]d., dict., æd. Etrur. où l’ordre des magistratures empêche de rapporter la dictature à l’Étrurie. Mais, ainsi que me le communique Bormann, cette inscription, qui se trouve aujourd’hui à Sutri, a été trouvée à Cære ; et l’objection qui en résultait, contre la règle selon laquelle le système dictatorial ne se rencontre pas dans les colonies latins, est ainsi écartée.

[109] Plutarque, Rom. 27. Après la chute d’Albe, Tullus laissé le dictateur à son poste pour trois ans (Denys, 3, 22. 23. 28). Asconius, en disant de la dictature de Lanuvium de Milon, p. 32 : Ibi tum dictator, montre aussi que la magistrature était temporaire.

[110] Relativement aux dictatures qui se rattachent à des cités encore existantes, les témoignages les plus nombreux de beaucoup ne permettent pas de discerner si la magistrature était ou non organisée en collège. Mais les deux inscriptions de Cære dont la première (Orelli, 3787 = C. I. L. XI, 3614) désigne les magistrats supérieurs comme étant l’un dictateur et l’autre ædilis jure dicundo præfectus ærarii et dont la seconde (Henzen, 5772 = C. I. L. XI, 3593) les appelle tous deux dictators, montre, d’une part, qu’en droit il n’y avait qu’un dictateur et, d’autre part, qu’en lui adjoignant un autre collègue, plus ou moins égal en droit, dans la magistrature supérieure, on s’efforçait d’enfermer l’institution dans les liens étrangers de la collégialité. Ainsi s’expliquent aussi les deux dictatores du temps de Gallien, de Fidena (Orelli, 412 = C. I. L. XIV, 4058), où sont nommés des duumvirs au temps de la République ou d’Auguste (C. I. L. I, n. 1111).

[111] Tite-Live appelle le général albain C. Cluilius rex (1, 22, 7. a 23, 4. 7 ; Caton, chez Festus, v. Oratores, p. 182, l’appelle prætor) ; son successeur Mettius Fuffetius, tantôt dictator (1, 23, 4 ; στρατηγός αύτοκράτωρ, chez Denys, 3, 1), tantôt rex (1, 24, 2), et il ne signale en aucune façon ces deux puissances comme inégales (cf. Strabon, 5, 3, 4, p. 231). Si, en outre, on dit que le dictateur César prit la chaussure des rois albains, il ne faut certainement pas penser là à un usage suivi au théâtre ou dans la peinture, mais au mulleus du dictateur sacerdotal d’Albe.

[112] Sa conservation nominale dans le rex sacrorum se rencontre aussi dans des municipes latins (Orelli, 2279-2281 = C. I. L. XIV. 2634. XI, 1610. XIV, 2413 ; Henzen, Bullett. dell’Inst. 1868, p. 160 = C. I. L. XIV, 2099).