LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE PREMIER. — LA MAGISTRATURE.

LE CONSEIL (CONSILIUM) DES MAGISTRATS.

 

 

Le droit romain, surtout dans sa forme ancienne, remet, aussi bien pour les affairés publiques que pour les affaires privées, le pouvoir de décider à un seul. Les décisions prises par des collègues à la majorité s’y rencontrent d’autant plus rarement que l’on remonte plus haut dans le passé, et elles lui étaient peut-être complètement étrangères à l’origine. Mais autant le droit romain fait résolument prévaloir le principe de la décision par un seul, autant il lui apporte nettement le seul correctif dont il soit susceptible : l’obligation pour celui à qui la décision appartient de ne la prendre qu’après avoir entendu des conseillers compétents et impartiaux. La liberté de décision n’est pas restreinte, elle n’est que purifiée et éclairée par la nécessité de différer la manifestation de la résolution jusqu’au moment où l’on aura pris conseil. Car bien entendu celui qui a demandé avis garde ensuite intact le droit de ne pas suivre le conseil qui lui a été donné par la plupart ou même par la totalité de ceux qu’il a consultés, comme à l’inverse sa responsabilité n’est pas écartée, pour un acte, par le fait qu’il l’a accompli sur l’anis de ses conseillers. Cependant l’évolution historique a très souvent transformé l’influence morale du conseil en une autorisation formelle ; mais alors la décision passe de celui qui reçoit l’avis à ceux qui le donnent, et l’institution se détruit elle-même. Nous devons exposer ici les développements qu’a reçus en droit public romain, le principe de l’avis du conseil, du consilium, en grec, du συμβούλιον[1], comme l’appelle la langue technique.

Ce principe s’applique même en droit privé, spécialement dans les cas où il est nécessaire qu’une affaire soit appréciée par un individu et ou elle doit être plutôt tranchée en conscience que d’après les règles du droit[2]. Ainsi il est probable qu’anciennement l’usage était de consulter ses amis sur les affranchissements, dont la moralité pouvait soulever des doutes, et que c’est là l’origine du conseil dont l’avis fut plus tard exigé pour certains affranchissements, quand la faculté d’affranchir fut limitée par la loi[3]. Mais le consilium intervient surtout dans le cas où le droit privé empiète au moins de fait sur le terrain du droit criminel, pour l’exercice de la juridiction domestique. La coutume réclame alors, non pas pour les esclaves, mais pour les personnes libres en puissance, que le père ne prononce pas de sentence capitale contre son fils, ni le mari contre sa femme sans avoir pris l’avis des parents et des amis[4]. Assurément il n’y avait pas là une obligation légale et la sentence rendue sans consilium n’en aurait pas moins été valable[5] ; mais il y aurait tout au moins eu, dans une telle infraction, un motif de notatio pour le censeur[6].

L’ancien droit n’admet d’avis qui soit indispensable à prendre et que l’on soit obligé de suivre que pour les personnes qui sont considérées comme n’étant pas complètement capables de vouloir, dont la capacité doit par conséquent être renforcée, requiert une augmentation (auctoritas), dit-on dans la notion romaine, c’est-à-dire seulement pour les enfants et pour les femmes ; et ce système s’est en somme toujours maintenu. Môme dans le droit postérieur, la volonté de l’homme fait est pleinement libre. C’est un principe fondamental du droit privé romain. Il ne s’en est écarté pour admettre un avis obligatoire que dans des hypothèses tout à fait isolées, ainsi pour les limitations apportées par Auguste à la faculté de faire des affranchissements, qui ont été citées plus haut.

Le droit public a recouru dans une bien plus large mesure à notre système, afin de restreindre ce pouvoir de décision d’un seul dont là non plus l’on ne pouvait se passer, mais que là surtout son absence de limites rendait éminemment dangereux. Nous devons essayer ici d’énumérer les décisions des magistrats ou des délégués du peuple qui ont été soumises à cette limitation. Au reste il ne peut être question que d’usages et de coutumes et non pas de règles de droit rigoureuses ; nous ne garantissons pas ni que le consilium n’ait jamais fonctionné dans les cas qui d’après la coutume lui étaient étrangers, ni qu’il ait toujours fonctionné dans ceux qui lui appartenaient d’après elle.

Il faut d’abord exclure toutes les décisions qui sont prises à la majorité par des magistrats ou des individus chargés d’une affaire publique quelconque au nombre de trois au moins ; ainsi il n’est jamais question de consilium pour les tres arbitri ou les recuperatores de la procédure civile. Une institution destinée à protéger contre l’erreur ou la passion d’un seul n’a pas de raison d’être en face d’un collège. Le principe de la consultation du conseil et celui de la majorité s’excluent en théorie comme en pratique. Mais le principe de la majorité n’est pas celui sur lequel reposent les collèges de magistrats romains. Chaque acte se produit au contraire comme celui d’un magistrat unique réunissant en sa personne tous les pouvoirs attachés à la fonction ; la participation du collègue de ce magistrat n’y est pas essentielle. Et par suite c’est au premier principe que se trouvent soumises les décisions des consuls, et en général des magistrats. La même solution devrait s’appliquer aux tribuns du peuple ; car l’appellatio ne s’adresse pas nécessairement à tous les tribuns en même temps, et, légalement parlant, il n’est’ pas statué sur elle à la majorité. Mais la situation des tribuns les uns par rapport aux autres commandait l’examen en commun des appellationes, et ce fut l’usage de toute antiquité ; ce qui, surtout en présence du nombre des membres du collège, rendait sans objet la réunion d’un conseil. Aussi n’en a-t-il probablement jamais été réuni, ou du moins n’en a-t-il été réuni que par exception pour les décisions des tribuns[7].

Il faut en outre probablement exclure tous les décrets de magistrats qui sont soumis à la provocatio, la garantie légale plus forte rendant la garantie plus faible superflue. Il n’y a du moins aucun document qui indique que des conseillers prissent part à la première procédure dans les instances criminelles qui pouvaient aboutir à une provocatio, et l’annulation complète dont la première procédure est frappée porte à croire que le magistrat reste livré à lui-même pour une décision qui est sujette à réformation et qui par suite, à proprement parler, n’en est pas une.

On excluait encore enfin, semble-t-il, toutes les décisions qui pouvaient être destituées de leur effet par l’intercession des tribuns. Cela s’applique spécialement à l’ensemble des décrets rendus par les magistrats en matière de procédure civile[8]. Mais même, pour les décrets étrangers à la procédure civile dont on peut établir qu’ils sont soumis à l’intercessio des tribuns, en particulier pour les ordres donnés par les consuls en matière de recrutement ou parles censeurs en matière de constructions[9], nous ne pouvons tout au moins pas démontrer qu’un conseil fût réuni.

Au contraire, le consilium intervient régulièrement lorsqu’un seul individu, soit magistrat[10] soit prêtre, soit chargé d’une fonction publique quelconque, prend une décision définitive. Cette règle reçoit les applications qui suivent.

1. L’expression la plus importante de notre limitation des pouvoirs du magistrat est le rôle même du sénat, dont l’avis préalable doit être demandé par le magistrat pour certains actes. Ce principe ne peut ici être étudié dans tous ses détails. Mais nous devons, pour la suite de nos développements, relever quelques points que l’on connaît bien en général, mais qui ne sont pas toujours assez nettement compris. D’abord, le sénat dans son ensemble ne joue jamais le rôle du conseil du magistrat pour les actes qui rentrent dans la compétence ordinaire du magistrat, ainsi en matière de recrutement ou de procédure ; c’est là un fait qui a été déterminant surtout pour la formation du consilium de procédure. De plus la question capitale, celle de savoir dans quels cas le magistrat doit consulter le sénat et dams quelle mesure il peut agir sans son avis ou même contre cet avis, n’a probablement jamais été tranchée en principe par une loi expresse : peut-être même, dans la rigueur du droit et abstraction faite des lois spéciales, le consul était-il libre de ne pas faire ce qu’il plaisait au sénat qu’il fit et de faire ce que le sénat le priait de ne pas faire (si ei videretur). C’est l’indétermination de ce droit qui a produit aussi bien la prédominance absolue du sénat sur les magistratures annales de la République que la soumission immédiatement réalisée, sans cause législative directe, du sénat au Principat à vie. Enfin une des différences les plus importantes, peut-être en fait la différence’ la plus importante entre la forme civile et la forme militaire de la puissance publique est que, les fonctions du sénat étant urbaines, son autorité ne s’exerce qu’en face de l’imperium domi et qu’il ne peut directement influer par ses avis sur l’imperium militiæ.

2. Rien que les questions importantes de l’administration fussent soumises à Rome, au sénat, au moins à l’époque récente, on rencontre aussi des cas où le magistrat les y tranche avec l’assistance d’un conseil[11]. Cela se présente particulièrement lorsque le sénat renvoie une affaire à la décision des consuls[12]. Il peut même se faire que des commissions sénatoriales permanentes de quinze membres soient formées pour des catégories particulières d’affaires[13].

Dans le gouvernement de l’extérieur, le sénat disparaissait, et par suite les consultations de conseils spéciaux y étaient d’autant plus fréquentes. C’était avant tout le cas des conseils de guerre si souvent convoqués par les généraux romains. Mais l’avis des personnes compétentes était également pris fréquemment pour les affaires civiles[14]. A l’époque de la suprématie complète du sénat, il envoyait, verrons-nous, près du général des députés permanents, qui avaient dans les délibérations le rôle prépondérant, et de cette façon, il faisait sentir son influence même dans ce domaine. Il est aussi arrivé, dans la période récente de la République, pour des cas spécialement importants, avant tout pour des négociations de paix[15], mais aussi pour d’autres affaires[16], que le sénat adjoignit aux généraux des commissions à l’avis desquelles ils étaient obligés d’obéir.

3. Pour les questions religieuses, spécialement pour les questions augurales, le magistrat réunit en règle des conseillers à ce connaissant ; mais en outre l’augure lui-même s’entoure d’un consilium ; en effet il y a bien des cas où l’activité de l’augure se présente sous une autre forme que celle du conseil donné à un magistrat unique, et, même lorsqu’elle prend cet aspect, l’augure agit souvent avec une telle indépendance que la décision émane, à proprement parler, de lui plutôt que du magistrat. Dans les décisions des pontifes également, en particulier dans leurs décisions judiciaires, le collège prend, sous bien des rapports, la situation d’un consilium en face de son chef.

4. En droit public comme en droit privé, le devoir d’entendre un conseil avant de statuer s’impose avec une force particulière en matière pénale. C’est plus un droit qu’un devoir pour le général de tenir un conseil de guerre avant la bataille. Mais, en dehors des cas de force majeure, c’est un abus de pouvoirs de prononcer à titre définitif une peine, une peine capitale surtout, sans avoir préalablement pris l’avis d’un conseil. Cette règle concerne, en premier lieu, les procès criminels jugés par le magistrat sans provocatio : elle s’applique à ceux de l’époque la plus ancienne à laquelle l’appel obligatoire n’était pas encore introduit[17], et elle s’applique aussi à ceux des temps historiques, en particulier, aux procédures criminelles ouvertes par les magistrats urbains[18] ou les gouverneurs de province[19] qui ne conduisent pas à une provocatio, et aux quæstiones extraordinariæ dont la loi constitutive écarte la provocatio[20]. La procédure des quæstiones perpetuæ, dérivée de celle des délits civils, et la procédure du même genre, suivie en matière d’hérédités devant le tribunal dés centumvirs, sont également des développements de notre principe. Mais ce sont des développements dans lesquels il dépasse ses limites et s’anéantit lui-même. En effet, dans les cas où l’on soumit ainsi, pendant toute sa durée, l’action civile à la présidence d’un magistrat, au lieu de la faire seulement introduire devant un magistrat, on organisa la procédure en chargeant bien le magistrat, dans la forme, du prononcé du jugement, mais en lui adjoignant un certain nombre de conseillers et en le renvoyant, pour le contexte du jugement, à la décision de la majorité d’entre eux. Ce consilium correspond donc moins aux conseils consultatifs ordinaires qu’aux collèges de jurés de la procédure civile, desquels au reste il tire son origine[21].

Le Principat rétablit, comme procédure criminelle ordinaire, la procédure suivie devant un magistrat sans provocatio ad populum. Cette procédure est également soumise à notre principe. Il s’applique à la procédure consulaire-sénatoriale, dans laquelle le sénat tout entier sert de conseil aux consuls, et alors les rapports des magistrats et du conseil sont régis par des règles analogues à celles de la procédure des quæstiones. Il s’applique aussi aux procès criminels jugés par le prince[22] ou par les représentants délégués par lui, particulièrement par le préfet de la ville[23], et alors le conseil garde son rôle habituel.

5. Dans la procédure civile ordinaire, l’usage est de réunir un conseil pour les décisions définitives que doit rendre une seule personne, que cette personne soit un judex[24] ou un arbitre[25].

Il en est de même pour les cognitiones civiles de l’époque impériale, aussi bien pour celles de l’empereur lui-même que pour celles de ses gouverneurs et des autres délégués ou fonctionnaires inférieurs qu’il commettait à de telles fonctions[26].

6. Enfin on réunissait un conseil, pour les questions pécuniaires pendantes entre un citoyen et l’État, ce qui s’appliquait en première ligne au cens qui déterminait le montant de l’impôt futur[27], mais ce qui s’appliquait aussi aux contestations de propriété foncière[28] et aux litiges relatifs aux créances de l’État contre les citoyens[29] ou des citoyens contre l’État[30].

La composition du conseil ne peut être étudiée ici que pour les hypothèses où elle n’était pas réglée par des dispositions législatives spéciales du genre de celles qui régissaient le sénat, les conseils des quæstiones, les conseils des centumvirs et qui durent nécessairement être établies dans les cas où le conseil émettait une décision au lieu d’un avis. En dehors de telles réglementations spéciales, c’est, en droit, celui qui réunit le conseil qui détermine sa composition soit quant au nombre, soit quant au choix de ses membres[31]. Mais les préférences personnelles ne décident là ni exclusivement ni peut-être même en première liane. Lorsqu’un magistrat réunissait un consilium, il convoquait, semble-t-il, en premier lieu, ses collègues, s’ils ne participaient pas déjà à l’acte en leur propre nom[32]. Il convoquait également, au moins dans certains cas, les magistrats d’une espèce différente de la sienne qui étaient ses égaux en rang : ainsi le censeur appelait une fois pour toutes dans son conseil les préteurs et les tribuns du peuple[33]. En outre, le magistrat ne devait pas facilement écarter les magistrats inférieurs qui lui étaient spécialement attachés ni ses conseillers officiels ; le gouverneur a, par exemple, pour conseillers réguliers, son questeur et ses légats[34]. C’est un des traits de l’époque où la domination du sénat est pleinement développée que les magistrats en fonctions hors de Rome y convoquent à leur conseil, pour les affaires importantes, toutes les personnes de rang sénatorial, qui se trouvent sur les lieux[35].

Quelles autres personnes prenaient encore part au conseil ? C’était un point qui, dans chaque hypothèse, dépendait du but en vue duquel l’avis était demandé et, en dernière analyse, de l’arbitraire de celui qui le demandait.

Pour les conseils de guerre réunis par le magistrat qui avait le commandement, il était d’usage de convoquer tous les tribuns militaires[36] et le premier centurion de chaque légion[37] ; il n’est arrivé qu’exceptionnellement que tous les centurions aient pris part à une telle délibération[38]. Il faut aussi appliquer au conseil de guerre ce qui vient d’être dit sur la convocation du questeur, des légats[39] et des membres du sénat aux conseils réunis par le gouverneur.

Si, pour les questions militaires et administratives, le conseil ne se recrutait en règle que dans la suite et l’armée du général, pour l’administration de la justice, le magistrat sortait régulièrement de ce cercle, à l’époque de la République. Mais il semble que, même pour ce choix fait dans un cercle plus large, le rang était encore déterminant. A Rome c’était, semble-t-il, de préférence parmi les consulaires que les magistrats prenaient leurs conseillers pour de telles questions[40]. L’unus judex lui-même devait dans le choix de ses conseillers, tenir compte non seulement bien entendu du savoir juridique[41], mais du rang[42]. Les mêmes considérations déterminaient les choix dans les provinces. Le consilium réuni pour les procès y était composé partie des personnes les plus notables de la suite du gouverneur, partie des principaux citoyens romains résidant dans l’endroit où il se trouvait[43]. Il n’est même pas invraisemblable que, d’une part, la convocation de tout citoyen romain ayant le rang équestre y était considérée comme allant de soi et que, d’autre part, ceux qui n’avaient pas le cens de la première classe ne pouvaient siéger dans le consilium[44]. Il résulte de tout cela que le personnel du consilium était plus variable en droit qu’en fait : en fait, il devait comprendre, d’une façon permanente, un certain nombre de personnes considérées et expérimentées, aussi bien à Rome que dans tous les chefs-lieux judiciaires[45]. Peut-être un nombre minimum d’assesseurs, dix, quinze ou vingt, selon les circonstances, était-il aussi prescrit par l’usage pour les cognitiones importantes du magistrat[46]. — Sous le Principat, la catégorie des Romains résidant dans la localité fut exclue du consilium, au moins dans les provinces régies par des gouverneurs impériaux[47], et il se développa de l’autre catégorie de conseillers, de celle des conseillers pris dans la suite du gouverneur, une classe de fonctionnaires auxiliaires proprement dits, celle des adsessores (consiliarii) rétribués du præses provinciæ.

Quant à la procédure suivie pour les délibérations du conseil et à ses attributions, il suffira de donner quelques indications générales, — les règles établies pour des catégories particulières de conseils ne devant pas être exposées ici. — On peut en somme considérer comme constituant le type, le mode de délibération du sénat qui est le consilium publicum par excellence. Il ne suffit pas que celui qui demande l’avis le demande en particulier à chaque individu[48]. Il faut que les conseillers soient réunis et soient suffisamment informés des faits ; ils doivent même, autant qu’il convient, être mis à même de baser leur opinion sur un examen personnel. De plus il y a des formes qui dépendent du motif pour lequel le conseil est réuni ; en particulier, quand il se réunit pour un procès, l’observation des formes judiciaires est tout indiquée. Après la clôture des débats, chaque membre du conseil exprime successivement son avis, probablement par ordre de rang. Il ne rentre pas dans la nature de l’acte que l’on procède à une constatation en forme de la majorité[49]. Dans l’usage, la décision mentionne expressément que l’avis du conseil a été pris[50], comme aussi le conseil du juré partage la responsabilité qui pèse sur lui pour sa sentence[51]. Cependant, l’absence de réunion du conseil ne donnant lieu au cas le plus extrême qu’à une note des censeurs ou à une poursuite des tribuns, mais n’empêchant pas l’acte d’être valable, on peut encore moins attacher une telle suite à son fonctionnement irrégulier ; la procédure que nous venons d’indiquer ne peut être désignée que comme la procédure régulière et non pas comme une procédure nécessaire en la forme. Lorsque au contraire le magistrat est lié par la décision du conseil[52], la loi détermine, en règle, la procédure des délibérations du conseil aussi bien que sa composition.

 

 

 



[1] Déjà dans la lettre du proconsul Q. Fabius Maximus de 610 (C. I. Gr. 1543) et en beaucoup d’autres lieux. Cf. Hermes, 20, 287.

[2] Pline, dans le texte célèbre sur le groupe de Laocoon, 36, 5, 37, parait, comme je l’ai expliqué Hermes, 20, 285, vouloir dire que les artistes fixèrent le plan de leur œuvre de consilii sententia, après avoir pris l’avis de leurs amis, tout en jouant suivant son habitude sur une expression qui ne convient pas à des questions de cette espèce.

[3] La prescription de la loi Ælia Sentia, de l’an 1 de l’ère chrétienne, d’après laquelle, tant que le maître n’a pas vingt ans ou que l’esclave n’en a pas trente, l’affranchissement ne peut avoir lieu qu’avec l’approbation d’un consilium composé de cinq sénateurs et cinq chevaliers romains ou bien en province de vingt récupérateurs (Gaius, 1, 20. Digeste. 1, 13 ; et d’autres textes) a sans doute pour fondement l’usage ou étaient les patresfamilias consciencieux de soumettre  préalablement les cas embarrassants de ce genre aux amis de la maison. Le quasi affranchissement inter amicos rentre lui-même dans le même ordre de coutumes. — Cf. Tite-Live, 1, 31, 12.

[4] On conçoit que, dans ce cas, en particulier pour la juridiction pénale du mari sur la femme, ce soient de préférence les parents qui soient convoqués. Mais les amis sont aussi indiqués à leurs côtés (Val. Max. 5, 8, 2. c. 9, 1).

[5] Un père pouvait sans consilium, introduire une procédure capitale contre son fils, pourvu que l’opinion publique lui fût favorable (Val. Max. 5, 8, 8).

[6] Comparez, tome IV, la théorie de la Censure, sur les motifs de nota censoria.

[7] On arriverait à peu prés aux mêmes résultats en partant de l’idée que l’appellatio s’adresse a un seul tribun et que celui-ci grand ses collègues pour conseil ; mais cette conception ne concorde pas avec notre tradition.

[8] Il ne peut, à ma connaissance, être établi par des exemples que le préteur, dans la procédure in injure, ni, d’une manière générale, le magistrat, pour les décrets qu’il rend en matière de procédure civile, convoque un consilium. Certainement, il est arrivé au magistrat, pour des affaires difficiles et importantes, de se concerter préalablement avec des personnes compétentes ; lorsque Crassus, dans Cicéron, De orat. 1, 37, 168, assiste, assis au tribunal, à des débats de ce genre dirigés par un préteur urbain de ses amis, il est probable qu’il s’est rendu là précisément dans ce but. Mais il y a une différence essentielle entre le fait de consulter une personne compétente de sa connaissance et celui de réunir un consilium en forme qui assiste aux débats ; il est difficile que le dernier fait se soit jamais produit dans la procédure in injure.

[9] Cf. tome IV, la théorie de la Censure. À l’inverse, l’intercession des tribuns ne peut être établie et était probablement inadmissible dans les hypothèses indiquées plus bas où il est établi que les censeurs ou leurs représentants réunissaient un conseil.

[10] Les hypothèses précises auxquelles se rapportent les convocations du consilium faites par le préteur (Cicéron, Pro Flacc. 32, 77) et par les édiles (Juvénal, 3, 162) ne sont pas claires.

[11] Par exemple, le consul de 688 trancha la question de savoir si Catilina devait être admis comme candidat au consulat en dépit de l’accusation qui pesait sur lui, en s’adjoignant un consilium publicum composé des personnages les plus considérables (Asconius, In or. in toga cand. p. 89).

[12] Ce fut ce qui eut lieu pour les plaintes formulées devant le sénat en 680 par les Oropiens contre les perceptions irrégulières d’impôts des publicains. Le sénat renvoya l’affaire aux consuls, en se réservant la ratification (Hermes, 20, 268).

[13] Hermes, 20, 281.

[14] Par exemple, Q. Cicéron, gouverneur d’Asie, décida, de consilii sententia, de renvoyer devant les autorités de Rome une demande formée par les publicani, au sujet des douanes maritimes (Cicéron, Ad Att. 2. 16, 4).

[15] Comparez, tome IV, le chapitre consacré aux Légats.

[16] On rencontre au moins un cas de ce genre. Lorsque les consuls de 574 reçurent le mandat de transférer les Ligures Apuans dans le pays de Bénévent et de leur y attribuer des terres publiques, postulantibus tamen ipsis quinqueviri ab senatu dati, quorum ex consilio agerent (Tite-Live, 40, 38). Cette attribution de terres n’était sans doute pas une assignation proprement dite ; car il est difficile que ceux qui recevaient les terres en aient reçu la pleine propriété privée, comme les membres des colonies latines et des colonies de citoyens ; niais pratiquement elle revenait cependant au même, et c’est ce qui explique que les consuls aient au moins voulu avoir la solidarité du sénat pour cet empiétement sur les droits réservés du peuple.

[17] On reproche au dernier roi que cognitiones capitalium rerum sine consiliis per se solus exercebat (Tite-Live, 1, 49, 4 ; Dion, fr. 11, 6 ; cf. Denys, 4, 42). Le même fait se trouve cité parmi les motifs du meurtre de Romulus (Denys, 2, 56).

[18] C’est le cas du procès de Pleminius, sur lequel on comparera, tome III, ce qui est dit de la juridiction capitale des consuls.

[19] Cicéron, Verr. l. 2, 29. 30.

[20] On rencontre de tels consilia dans les quæstiones extraordinariæ établies contre les fermiers des extractions de résine du Bruttium (Cicéron, Brut. 22, 86) et contre les partisans de Ti. Gracchus (Cicéron, De amic. 11, 36 ; Val. Max. 4, 7, 1).

[21] Ceci sera développé de plus prés, tome IV, au sujet des magistrats présidents de jurys. Le point de départ a été l’action furti de droit commun, délivrée par le préteur et jugée par les récupérateurs institués par lui ; l’action repetundarum ne s’en distingue, dans le principe, qu’en ce que le préteur y prend, aussi la présidence in judicio, et que par conséquent les récupérateurs deviennent son consilium. Les tresviri capitales et les decemviri litibus judicandis (voir, tome IV, les sections qui leur sont consacrées) ont un caractère différent. On peut bien les regarder, dans une certaine mesure, comme des récupérateurs permanents chargés de certaines catégories de procès ; mais ils ne sont pas sous la présidence d’un magistrat et sont eux-mêmes des magistrats.

[22] On comparera, à ce sujet, tome V, le chapitre spécial consacré au consilium impérial.

[23] Pline, Ep. 6, 11, 1.

[24] Valère Maxime, 8, 2, 2. Cicéron, Pro Quinct. 2, 10. 10, 36. 30, 91. Pro Q. Roscio, 4, 12. 8, 22. In Verr. 2, 99, 71. Aulu-Gelle, 12, 13, 2. 14, 2, 9. Suétone, Domitien, 8.

[25] Pline, Ep. 5, 1.

[26] Les documents se trouvent partout ; un certain nombre d’entre eux sont cités note 49.

[27] Les censeurs avaient coutume de s’adjoindre in consilium les préteurs, les tribuns du peuple, et encore d’autres personnages importants (Varron, 6, 87).

[28] Cicéron (De l. agr. 2, 12, 33) reproche aux décemvirs de Rullus, qui devaient avoir le pouvoir de statuer sur le caractère public des terres, leur cognitio sine consilio.

[29] On réunissait sans doute toujours un consilium pour les réceptions de constructions, comme pour la détermination de ce dont l’entrepreneur était encore tenu ou de ce à quoi il avait encore droit le marché de construction de Pouzzoles fait en 649 (C. I. L., I. n. 577), décide au moins que la construction devra être faite arbitratu duovir(um) et duoviratium (plutôt duoviralium), qui in consilio esse solent Puteoleis, dum ni minus viginti adsient, cum ea res consuletur.

[30] L’indemnité attribuée à Cicéron pour la dévastation de l’emplacement de sa maison fut fixée par les consuls — faisant fonctions de censeurs — de consilii sententia (Cicéron, Ad Att. 4. 2, 5).

[31] L’invitation à faire parie du consilium est, par suite, considérée comme une preuve de bienveillance de son auteur envers celui qu’il invite (Cicéron, Pro Flacco, 32, 77 ; Tite-Live, 1, 34, 12, et beaucoup d’autres textes).

[32] Il n’est, à ma connaissance, dit nulle part que le collègue qui ne peut ni intercéder ni coopérer à l’acte, par exemple, en matière d’élection, le consul ou le tribun du peuple qui ne préside pas le scrutin, soit in consilio de son collègue. Mais cela résulte de la nature des choses. Cf. plus haut ; voir en outre Tite-Live, 3, 21, 8. c. 64. 5. 7, 22, S, et, tome II, le début de la théorie de la Capacité d’être magistrat.

[33] Note 27. Les consuls font défaut seulement parce qu’ils sont en règle absents de Rome au moment du cens (cf. tome IV, la théorie de la Censure) et non parce qu’ils sont supérieurs en rang. Dans la procédure contre Pleminius également, les deux tribuns, et l’édile adjoints au préteur ne sont pas, il est vrai, expressément indiqués par Tite-Live, 29, 20. 21 comme membres du consilium ; mais il est supposé aller de soi qu’ils en font partie.

[34] Dans le décret (C. I. L., X, 7852), rendu par le proconsul de Sardaigne, en l’an 69de l’ère chrétienne, dans une contestation de limites survenue entre deux communes (caussa cognita pronuntiavit), les conseillers sont énumérés à la fin : In consilio fuerunt —, ce sont le legatus pro prætore, le quæstor et six autres personnes, La huitième lettre de Fronton à Antonin le Pieux donne une image vivante de cette suite du proconsul dont les membres n’étaient pas de véritables magistrats.

[35] Salluste, Jug. 62, 4 : Metellus propere cunctos senatorii ordinis ex hibernis accersi jubet; eorum et aliorum, quos idoneos ducebat, consilium habet. 104, 1 : Marius..... Sullam ab Uticam venire jubet, item L. Bellienum prætorem Utica, præterea omnis undique senatorii ordinis, quibuscum mandata Bocchi cognoscit. Telle est aussi l’assemblée des sénateurs pompéiens à Thessalonique (Dion, 42, 43 ; Drumann, 3, 432) et plus tard à Utique (Plutarque, Cat. min. 59).

[36] Polybe, 1, 49, 3. De même, 3, 41, 8. 8, 9, 5. 11, 25, 8. 220, 10, 10. Le tribunal militaire est même appelé le συνέδριον τών χιλιάρχων (6, 37,1). Cette formule alterne chez lui avec συγκαλέσας τό συνέδριον et des tournures analogues, 14, 9, 1. 11, 26, 2. 27, 8, 6. Il n’est ici fait aucune allusion aux præfecti socium.

[37] Polybe, 6, 24, 2. Je ne trouve pas d’autres documents qui attestent ce privilège du primus pilus.

[38] César, Bell. Gall. 1, 40 : Convocato consilio omniumque ordinum ad id consilium adhibilis centurionibus, où cela se révèle clairement comme une exception. Il faut entendre de même Bell. Gall. 5, 23 : Lucius Aurunculeius compluresque tribuni militum et primorum ordinum centuriones nihil temere agendum... existimabant : les expressions employées n’excluent pas la possibilité que tous les centurions aient pris part un conseil dans ces circonstances difficiles. Au reste il faut remarquer que, dans l’hypothèse, le chef militaire qui convoque le consilium n’est qu’un chef de corps ; naturellement le conseil de guerre se compose, selon le rang de celui qui a le commandement, de membres plus ou moins élevés en grade.

[39] Le conseil de guerre, composé, dans Polybe, des tribuns, l’est, dans Tite-Live, des légats et des tribuns, ainsi 8, 6, 12 : Adhibilis legatis tribunisque. 9, 2, 13 : Ad consules... ne advocantes quidem in consilium... sua sponte legati ac tribuni conveniunt. 25, 14, 2. 34, 33, 1. La présence des légats, qui est une vérité pour l’époque récente de la République, est ici en partie une anticipation.

[40] D’après l’inscription de Pouzzoles, de l’an 649 de Rome, la coutume y triait de convoquer aux réceptions de constructions publiques les ex-duumvirs et en régie, selon toute apparence, tous les ex-duumvirs. Cela ne peut guère s’expliquer que par une imitation des usages de Rome. Le peu que nous savons des consilia de magistrats tenus à Rome n’est pas en contradiction avec cette idée ; l’empereur Claude, encore fit souvent partie de tels conseils (Suétone, Claude, 12).

[41] Cicéron, Top. 17, 63 ; 14, 2, 9. Les adsessores des gouverneurs impériaux doivent être des jurisconsultes (Josèphe, Contra Apion, 2, 18 ; Digeste 1, 22, 1 ; Augustin, Confess. 6, 10 ; Ammien, 23, 6, 82), et ils sont à ce point de vue plus responsables que le gouverneur lui-même (Digeste, 2, 2, 2).

[42] Le M. Perpenna, qui fut invité à assister au procès de l’acteur Roscius (8, 22), est sans doute le consul de 662. Pline, Ep. 5, 1, convoque également, pour rendre son espèce de sentence arbitrale, les chefs du Sénat, Corellius Rufus et Sex. Julius Frontinus. Le proconsul d’Afrique Lollius Urbiens statue encore dans une affaire de succession de sententia consularium virorum (Apulée, Apolog. 2).

[43] Cela ressort très clairement de l’instructif exposé du procès de Sopater dans Cicéron, Verr. l. 2, 28 à 30.

[44] La disposition de la loi Ælia Sentia, d’après laquelle le conseil des affranchissements ne peut être composé que de récupérateurs et de laquelle on peut rapproches la disposition de la loi de Salpensa c. 28 qui n’admet en pareil cas que des décurions, autorise une conclusion générale sur la composition du conseil dans les provinces. Il est probable que la liste des personnes aptes à faire partie du consilium servait en même temps, pour la localité, de liste du jury, c’est-à-dire là de liste des récupérateurs, et que le cens de la première classe était exigé chez les récupérateurs. Mais il n’est pas possible d’insister ici davantage sur ces points.

[45] Qui in consilio solent esse, y a-t-il dans le contrat de Pouzzoles. Le procès de Sopater fut débattu à deux reprises devant deux gouverneurs de Sicile, Sacerdos et Verrès, et Verrès in consilio habebat homines honestos e conventu Syracusano qui Sacerdoli quoque in consilio fuerant tum cum est idem hic Sopater absolutus (Cicéron, Verr. l. 2, 29, 70).

[46] C’est ce que donnent à croire les vingt membres présents requis par l’inscription de Pouzzoles, les quinze du procès consulaire d’Oropos, et les dix ou vingt exigés par la loi Ælia Sentia, selon qu’on est à Rome ou en province. Il en figure huit dans la concilio du proconsul de Sardaigne.

[47] C’est la conséquence de la règle que nul ne peut être adsessor du gouverneur dans sa province d’origine (Digeste 1, 22, 1. 6. Cod. Just. 1, 51, 30. Cod. Theod. 1, 35, 1).

[48] La demande d’une consultation, telle qu’elle a par exemple été fréquemment adressée aux collèges sacerdotaux, aboutit au même ; mais ce n’est pas là l’interrogation d’un consilium.

[49] Il suffira, à titre d’explication, de citer un exemple, le conseil de guerre tenu pour accorder la paix à Jugurtha. Salluste, Jug. 29. Cf. César, Bell. Gall. 3, 3.

[50] On l’exprime par la formule : C(um) c(onsilio) c(onlocutus) (avec l’explication donnée dans les Notæ Lidenbroganiæ, Grammat. Lat. éd. Keil, 4, 289) qui se trouve, par exemple, en tête de sentences de l’Empereur (Cod. Just., 7, 26, 6), du præfectus vigilum (C. I. L., VI, 266), du préfet de la flotte de Misène (C, I. L., X, 3334), du légat de la Tarraconensis (C. I. L., II, 4125) et du procurateur de Judée (Act. apost. 25, 92). Pro consilio imperare, dans Salluste, Jug. 29, est un synonyme.

[51] Suétone, Domitien, 6 : Nummarios judices (des jurés subornés) cum suo quemque consilio notavit.

[52] En pareil cas, la formule cum consilio collocutus est remplacée par la formule de consilii sententia, qui est mise sur le même pied que les formules de senatus (decurionum, conscriptorum) sententia et de collegii sententia. La loi repetundarum, C. I. L., I, 198, ligne 57, dit, par exemple, de consilii majoris partis sententia, et c’est la formule constamment employée pour les légations de dix membres envoyées prés du général pour la réglementation définitive de la paix (cf. tome IV, le chapitre consacré aux Légats). C’est seulement dans un langage moins rigoureux que de consilii sententia est employé même pour les cas où les conseillers n’ont que voix consultative.