LE DROIT PUBLIC ROMAIN

LIVRE PREMIER. — LA MAGISTRATURE.

MAGISTRATURE ET POUVOIRS DE MAGISTRATS.

 

 

Le caractère même de l’État romain prescrit de commencer par ses magistrats le tableau de sa constitution juridique. C’est ainsi que, dans la très ancienne image que cet état nous a laissée de lui-même ; sous forme de récit de sa fondation, le roi est représenté comme antérieur à la cille et au peuple. Il y a, pour ne pas étudier le conseil ou  magistrat et que par conséquent tout acte de l’un ou de l’autre est en même temps l’acte d’un magistrat. Mais il y alun autre motif, qui pour notre sujet est le plus important : bien que les jurisconsultes romains ne soient pas restés étrangers è la notion d’un droit public désigné du nom de jus publicum[1], ce n’est pas elle qu’ils ont donnée pour base à leurs travaux scientifiques[2]. Ce dont ils sont partis, c’est de la division fondamentale des affaires publiques en rapports avec les dieux et relations entre les hommes et, de même que, pour les premiers, ils ont rattaché leurs explications à la théorie des sacerdoces[3], ils les ont rattachées, pour les secondes, à la théorie des magistratures. Au reste ce n’est que par exception qu’ils traitent de la magistrature en général[4]. La littérature de la matière se compose dans son ensemble d’instructions rédigées pour l’exercice de magistratures déterminées[5], comme aussi pour l’accomplissement d’autres fonctions[6]. On débuta en notant ou en conservant des décrets particuliers de magistrats, pour servir de précédents aux titulaires postérieurs des mêmes fonctions[7], et la plus ancienne activité théorique s’exerça d’abord elle-même sous cette forme, se restreignit à la rédaction de formules destinées aux magistrats et arbitrairement attribuées à tel ou tel de leurs prédécesseurs[8] ; ce ne fut qu’ensuite qu’on arriva progressivement, dans les différentes branches de la science, à une exposition franchement théorique en la forme aussi bien qu’au fond[9].

L’exposition du système de la magistrature romaine n’est, sous aucun rapport, une tâche aisée. Mais la plus grande difficulté est peut-être de trouver un ordre de matières exact, qui tienne autant compte des idées juridiques fondamentales que de l’arbitraire et de la multiplicité infinie des formations politiques, et en particulier de séparer exactement la partie générale et la partie spéciale. Les traités publiés jusqu’à ce jour se sont principalement occupés d’étudier une à une les magistratures de l’époque récente de la République. Il m’a au contraire paru nécessaire de donner en principe plus d’étendue aux développements généraux sur la magistrature et les attributions qu’elle confère. Pour les magistratures inférieures, qui, par opposition aux supérieures, ont pour trait distinctif de n’avoir qu’une compétence limitée, on peut bien se contenter d’une étude spéciale ; et encore y a-t-il des attributions, par exemple le droit de parler au peuple et le droit de parler dans le sénat, qui sont liées à l’idée abstraite de magistrature et qui par conséquent ne peuvent être suffisamment développées que dans une partie générale. Mais c’est avant tout la magistrature supérieure pour laquelle la méthode suivie jusqu’à présent n’est aucunement satisfaisante. Naturellement nous ne pourrons nous dispenser de consacrer une étude distincte au Consulat, à la Dictature, à la Préture et aux autres variétés de la magistrature supérieure qui existent sous la République. Mais les principes fondamentaux qui sont en jeu ne peuvent entrer tout entiers dans un pareil cadre. L’État romain a’eu pour point de départ l’unité de puissance publique, et il n’a jamais renié cette origine. C’est une règle capitale du droit public romain que la notion d’imperium est prise pour base, avec une uniformité parfaite par la Royauté et par le Consulat primitif[10]. Et, puisque, dans l’état des sources, nous n’avons pas de tradition directe sur la première, il nous faut bien prendre d’abord pour tâche l’étude générale de cet imperium, qui plane au-dessus des catégories diverses de magistratures, reconstituer, à l’aide des institutions historiquement, connues du Consulat, de la Dictature et de la Préture, cette puissance qui primitivement se concentrait tout entière dans les mains d’un seul magistrat suprême. — Ce qui est vrai de l’imperium des hauts magistrats patriciens, l’est également, en grande partie, pour les hauts magistrats de la plèbe. Les magistratures de la seconde espèce ont emprunté aux premières leur constitution et, si étendues qu’elles soient, leurs attributions positives et négatives ; elles ne peuvent donc être comprises qu’avec elles et en même temps qu’elles.

Par conséquent, cette première partie du traité de droit public romain commencera par développer la notion du magistrat (magistratus) et des pouvoirs qui lui appartiennent (imperium, potestas), puis par expliquer la théorie des conflits de pouvoirs (par majorve potestas) et l’idée importante et difficile de collégialité. Les subdivisions suivantes de la partie générale seront consacrées aux diverses attributions qui résultent de la magistrature, en tant qu’elles réclament et comportent une étude générale : d’abord, au point de vue positif, aux auspices, à l’imperium militaire, au droit de coercition, à la juridiction criminelle, administrative et civile, au droit d’agir avec le peuple et à celui d’agir avec le sénat, au droit de se nommer des successeurs, des collègues et des auxiliaires, au droit général de représenter le peuple sous le double rapport politique et économique ; puis, au point de vue négatif, au droit d’interdire ou de casser l’acte fait par un autre magistrat en vertu de ses pouvoirs. Ensuite viendront les émoluments affectés à la magistrature, le conseil du magistrat, sa suite et ses insignes, les honneurs accordés à ceux qui ont été magistrats ou qui sont fictivement réputés l’avoir été. Nous passerons de là à l’étude des conditions de capacité requises pour être magistrat, du commencement des fonctions et de leur fin. Et nous terminerons cette partie générale par la théorie de la responsabilité des magistrats et celle de leur représentation.

 

MAGISTRATUS. PRO MAGISTRATU. IMPERIUM. POTESTAS.

La qualification de magister, c’est-à-dire d’individu qui, parmi les membres d’une cité ou d’une corporation originairement égaux entre eux en droit, est devenu plus élevé et plus puissant, ne s’emploie plus, dans la langue récente, en dehors de quelques formules, consacrées depuis l’époque ancienne[11], que pour désigner des présidences d’ordre religieux ou privé[12]. Le terme magistratus, qui n’est, au sens propre, que l’expression abstraite correspondant au mot concret magister, se confond primitivement avec lui[13]. Mais, la puissance des magistrats se ramenant toujours dans la constitution romaine à un mandat du peuple[14], il désigne, dans la période récente de la République, soit dans un sens abstrait où il alterne avec honor[15], la magistrature politique régulière, soit, dans un sens concret, l’individu investi rie cette magistrature régulière, en tant qu’il émane de l’élection populaire. Cet élément de l’élection populaire est le criterium spécifique pour le magistratus comme pour l’honor, et le sens des mots le montre déjà ; car ce n’est pas le maître quelconque, mais celui qui a été appelé au pouvoir par des égaux, et par conséquent par leur libre chois, qui est plus puissant, et la même conception se retrouve au fond de l’idée d’honneur. C’est aussi ce qu’indiquent les habitudes de langage. D’une part, ces expressions sont employées pour désigner les chefs de tous les états organisés constitutionnellement ou à peu près, et elles ne le sont jamais pour ceux des états où le vote des citoyens est inconnu et qui par suite constituent plutôt des regna. D’autre part, c’est le caractère tiré de l’élection par le peuple[16] qui distingue les magistratus, soit des sacerdoces pour lesquels le suffrage populaire est exclu en principe[17], soit des nombreuses fonctions ou charges publiques d’officier, de soldat, de juré et autres, auxquelles les citoyens peuvent être appelés par l’ordre du magistrat, par roulement en de toute autre façon, et qui sont habituellement réunies sous le nom commun de munera. Il résulte de là que l’idée de magistratus et d’honor n’est pas liée à une catégorie de fonctions publiques qualitativement déterminables et qu’elle n’est pas restée la même à toutes les époques[18]. Elle est étrangère à la Rome royale ; dans la Rome républicaine, on n’a d’abord entendu par elle que les magistrats supérieurs, tant qu’eux seuls sont sortis de l’élection populaire ; et ils étaient du reste les seuls auxquels la désignation de magister ou de magistratus s’appliquât parfaitement au sens grammatical du mot. Mais, lorsque, dès une époque très reculée, probablement dès l’an 305, l’élection populaire fut étendue à Rome à la questure, le cercle des magistratures s’étendit du même coup ; et naturellement nos sources ne connaissent plus le mot dans son ancienne signification étroitement limitée. Beaucoup d’autres fonctions, en partie encore moins élevées, sont de même entrées parla suite parmi celles conférées par le peuple ; elles ont du même coup été rangées parmi les magistratures. Et le principe a été si rigoureusement observé que, pour celles où la nomination émanait partie du peuple et partie des magistrats, comme pour celles des tribuns militaires et des præfecti jure dicundo, en ne rangeait que la première catégorie parmi les magistratus[19]. La limite la plus extrême que l’on ait atteinte dans cette ligne descendante est marquée par les tribuns militaires a populo, les vigintisexviri et les vigintiviri postérieurs.

Pour déterminer d’une manière complète la notion de magistrature, il y a cependant une observation à ajouter. Tout radicalement qu’elle se base sur l’institution de l’élection populaire et que par suite elle contredise le système de la royauté, les Romains de la République ont dans leur conception, plutôt théorique que traditionnelle, de la royauté, reporté l’élection populaire et par conséquent l’idée de la magistrature à la royauté ; puis en outre, ils ont compté parmi les magistratures, probablement sous l’influence de l’indice extérieur résultant du droit de porter les insignes de la magistrature dans l’intérieur de la ville, toutes les institutions de l’époque royale qui survécurent à la royauté, bien que le criterium tiré de l’élection par le peuple se trouvât là en défaut. C’est pourquoi on considère comme des magistrats tant le roi[20] que l’interroi[21] et le dictateur, c’est-à-dire le roi élu à temps. De plus, comme le roi avait le droit de conférer à ses délégués l’usage des faisceaux dans la ville et par conséquent, au moins d’après la manière de voir adoptée par la suite, la magistrature, on compta également parmi les magistrats, les individus nommés sous la République en vertu de la même prérogative royale par le dictateur[22], c’est-à-dire le maître de la cavalerie[23] et le préfet de la ville nommé par le dictateur.

Le magistratus est donc, quant à la forme extérieure des choses, celui qui a le droit d’avoir dans la ville les fasces ou les autres insignes impliquant la même autorité. Au point de vue du droit public, c’est celui qui administre, dans la ville de Rome[24], les affaires de l’État, soit en vertu de la constitution primitive, en tant qu’elle est encore en vigueur, soit conformément aux institutions de la République, en vertu de l’élection directe des citoyens ou de la cooptation d’un magistrat électif.

A la définition du magistratus romain en doit rattacher comme complément de la même idée la détermination de ce qu’on appelle être pro magistratu[25]. Cette désignation s’applique, dans son sens technique[26], à ceux qui, sans être magistrats, sont autorisés à faire fonctions de magistrat. Par Conséquent, au point de vue négatif, le promagistrat n’est pas un magistrat, mais, en même temps, au point de vue positif, il est investi constitutionnellement des pouvoirs des magistrats. Le motif juridique pour lequel il y a lieu à la promagistrature, au sens strict du mot, est ou une prorogation ou une délégation de fonctions.

Pour les fonctions qu’il exerce hors de la ville, le magistrat ale droit et le devoir de continuer, avec une égale validité, après l’expiration de son temps d’exercice et jusqu’à l’arrivée de son successeur, les opérations de sa charge, biais, puisque le mandat qu’il avait reçu était limité dans le temps, il n’agit plus désormais en vertu du vote du peuple, et par suite il n’est plus magistrat, il est pro magistratu.

Pour les mêmes fonctions, le magistrat supérieur a le droit et le devoir de constituer, lorsqu’il s’absente et pour la durée de son absence, un représentant investi de ses droits ; ce représentant, n’émanant pas du vote du peuple, n’agit pas en qualité de magistrat, mais pro magistratu. — Lorsqu’on admet, hors de la ville, au cas de vacance du commandement militaire, que le citoyen qui se met à la tète de l’armée, obtient, par son usurpation licite, la représentation et les pouvoirs du général, et une sorte de fonction publique, ce citoyen n’est pas magistrat non plus ; mais il est pro magistratu, et on a au moins tenté de l’envisager comme tel[27].

La promagistrature, l’autorité publique exercée par prorogation ou délégation, si elle était indispensable polir la République, était absolument inconciliable avec la constitution royale. En effet, il ne peut être question de prorogation dans un régime où le pouvoir est concédé à vie ; et l’exercice par représentation de l’autorité royale constituait, au moins dans l’opinion de l’époque républicaine, une magistrature. De plus l’idée de promagistrature a pour fondement celle qui sera traitée plus loin de compétence domi et de compétence militiæ ; or, précisément être dernière idée, du moins dans la mesure où elle restreint les droits du magistrat, ne s’est produite que sous la République.

Mais il y a encore une troisième variété de promagistrature, sinon dans le sens absolument rigoureux[28], au moins dans le sens habituel des mots. C’est la fonction publique qui est bien conférée par le peuple, mais de la compétence de laquelle la ville est exclue.

Les comices souverains peuvent décider ce qui leur plait relativement aux magistratures et par conséquent déroger aux lois essentielles de la constitution républicaine, notamment aux premières de toutes, à la constitution dictatoriale et consulaire du pouvoir suprême et aux règles sur la durée des magistratures. Il y a eu des dérogations de ce genre, même en ce qui concerne les fonctions urbaines, par exemple la concession de l’imperium au magistrat qui triomphe, pour le jour du triomphe, si celui-ci a lieu après l’expiration de ses pouvoirs, et un petit nombre de nominations faites au mépris de la règle qui excluait la prorogation des fonctions urbaines[29] ; puis le decemvirat legibus scribundis et le tribunat consulaire ; la dictature de Sulla et de César ; la cura annonæ de Pompée, et d’autres encore. Cependant de telles anomalies ne sont pas seulement, abstraction faite de l’époque d’agonie de la République, excessivement rares ; la façon dont on se comporte à leur égard montre leur caractère à proprement parler inconstitutionnel. D’une part, la dénomination pro magistratu est pour les affaires de la ville, même lorsqu’elle serait exacte au fond, évitée non pas absolument, mais au moins dans la mesure du possible, surtout à l’époque récente[30]. En outre, on observe, pour les situations de cette espèce, à l’époque ancienne, ce phénomène remarquable que les individus institués, bien que nommés directement par le suffrage du peuple, ne sont pas considérés comme des magistrats ayant la plénitude des pouvoirs ; ainsi notamment les tribuns consulaires ne peuvent ni nommer de préfets, ni triompher. Cela montre que les comices qui jugent à propos de procéder à de telles créations croient bien pouvoir se permettre de s’écarter de l’organisation régulière, mais non de concéder directement à leurs élus la plénitude des pouvoirs du magistrat. La meilleure preuve de la répugnance que l’on éprouvait à accorder, par résolution populaire, dans l’intérieur de la ville, les attributions du pouvoir suprême autrement que d’après les règles constitutionnelles, est dans ce fait qu’en dehors de l’époque d’Hannibal et de la longue agonie de la République, on n’a jamais conféré directement par un vote la fonction de général en chef. Le motif était, sans nul doute, que le commandement militaire supposé des auspices pris à Rome pour le départ et que par conséquent toute nomination de ce genre eût forcément empiété sur le domaine des fonctions urbaines, ce qui, dans la conception romaine, était constitutionnellement impossible[31]. Il est vrai que l’on a, sous d’autres rapports, souvent modifié l’ancien système, par exemple plus d’une fois créé des places nouvelles dans le collège des hautes magistratures. Sans doute, à Rome comme partout, l’idée d’une loi fondamentale de la République, s’imposant même à l’assemblée souveraine des citoyens, a été aussi vacillante en pratique qu’elle était illogique en théorie. Mais ce sont ces idées illogiques et vacillantes qui, ici comme bien d’autres fois, ont fait l’histoire ; et en particulier elles ont été couse que la concession extraordinaire des droits du pouvoir suprême et la dérogation à l’annalité de la magistrature, — cette dernière probablement considérée comme un pas vers le rétablissement de la monarchie et abhorrée à son exemple, — n’ont jamais sérieusement pénétré dans l’administration urbaine.

Mais, lorsqu’il s’agit de pouvoirs qui ne doivent pas s’exercer dans l’intérieur de la ville, ces scrupules constitutionnels s’évanouissent. Le peuple a, dès une époque reculée, voté pour le général en chef des prolongations de pouvoirs auxquelles l’objection relative aux auspices ne s’opposait pas comme aux élections nouvelles, et on n’a pas soumis à la règle de l’annalité la concession de certaines fonctions souvent importantes, par exemple de celles de commissaire pour des partages de terres. Les comices agissent là eu pleine liberté. Mais ils reconnaissent le principe que de telles nominations ne créent pas de magistrats encore plus nettement que dans le cercle de la compétence urbaine ; car les fonctionnaires dont les pouvoirs sont limités à l’extérieur de la ville sont constamment comptés parmi les promagistrats.

Telle est la source de la troisième catégorie de promagistrature, autorité provenant d’un vote spécial du peuple, constitutionnellement anomale et limitée à l’extérieur de la ville.

La combinaison d’une magistrature et d’une promagistrature peut se produire de plusieurs façons. Ainsi par exemple, une personne peut en même temps occuper la questure comme magistrat et faire fonctions de préteur en vertu d’une délégation. De même, il n’est pas rare que la promagistrature de la troisième catégorie soit concédée de telle sorte que les attributions d’une magistrature supérieure soient jointes à une inférieure par un acte du peuple ou un vote équivalent. Par exemple, il arrive fréquemment à la fin de la République et régulièrement sous le Principat que les fonctions de propréteur soient liées à la questure provinciale, et les gouverneurs de l’époque républicaine ont également été chargés, régulièrement en Espagne et souvent dans les autres provinces, de faire fonctions de consuls en même temps qu’ils étaient investis de la préture.

Si la distinction de la magistrature et de la promagistrature caractérise la République en face de la Royauté, la disparition de cette distinction ne caractérise pas moins nettement la fin de la République et l’apparition du Principat. Nous montrerons, en étudiant la durée des magistratures et la délégation des pouvoirs, que la promagistrature résultant d’une prorogation aussi bien que celle résultant d’une délégation ont disparu avec la constitution du Principat. Ce qu’on appelle encore de ce nom rentre dans la promagistrature au sens impropre indiqué plus haut comme troisième catégorie : c’est-à-dire qu’il s’agit de fonctionnaires qui sont exclusivement employés à des fonctions s’exerçant hors de la ville et qui par suite ne sont pas tenus pour magistrats au sens strict du mot.

Les magistrats électifs de l’État proprement dit s’appellent, chez les Romains, magistratus populi, ou du moins ils pouvaient légalement être appelés ainsi[32]. C’est à eux que doit être principalement consacré, le présent travail. Les magistrats de tout État étranger reconnu par les Romains étaient, dans la conception romaine, des magistratus, pourvu qu’ils émanassent de l’élection populaire ; mais le droit public romain n’a pas à s’en occuper. Il y a même, dans l’intérieur de l’État romain, au moins à l’époque récente, des cercles plus étroits qui ne sont pas, comme les simples associations privées, sous la direction de magistri, mais qui sont des sortes d’États dans l’État soumis à des magistratus : la plèbe avec ses magistrats et les municipes et les colonies avec les leurs. L’existence des uns et des autres provient de circonstances exceptionnelles, en partie de circonstances révolutionnaires. La plèbe en particulier, c’est-à-dire tout le peuple à l’exception des anciennes familles de citoyens complets, veut dès le principe être plus qu’une simple association ; elle élève et finit par faire admettre la prétention de mettre son autonomie sûr le même pied que celle de l’État (lex sive id plebi scitum est). En revanche, la constitution des municipes est dominée parce fait qu’ils se sont transformés, en passant par les échelons intermédiaires de la fédération dépendante, d’États souverains en parties de l’État romain. Quelques débris de leur ancienne égalité politique se sont conservés, principalement ; mais non pas exclusivement quant aux noms et quant aux formes, et constituent le caractère propre du régime municipal étranger à l’ancien droit romain[33]. Il ne peut être question des magistrats municipaux dans un traité de droit public qu’à titre de rapprochement. Mais les magistrats de la plèbe ne peuvent être séparés de ceux de l’État, et ils ont au reste été de fort bonne heure classés parmi eux pour les points essentiels. Le droit public de l’État patricio-plébéien[34] divise à ce point de vue les magistratures en magistratus patricii, qui sont non pas les magistratures réservées à l’ordre des patriciens, mais les magistratures du peuple tout entier[35], et en magistratus plebeii[36], et l’expression magisiratus embrasse, même dans la langue officielle, au moins à l’époque récente de la République, les deux catégories[37].

En dehors de cette division des magistrats romains en patriciens et plébéiens, qui est d’ordre historique, on les divise encore, selon leur rang, en magistrats curules ou non, et en magistrats supérieurs (majores) ou inférieurs (minores).

La catégorie des magistrats curules, qui se rattache au siège curule comme insigne de la juridiction et qui comprend, outre les magistrats qui ont l’imperium, les édiles de l’État patricio-plébéien et probablement les censeurs, trouvera mieux sa place dans la partie des Insignes des magistrats.

La division des magistrats en majores et minores, envisagée d’une manière absolue, se rattache au mode d’élection : les magistrats qui ont l’imperium et les censeurs, étant élus par les comices par centuries, sont majores et les autres minores[38].

Cependant il n’est pas sûr que cette distinction, que l’on rencontre surtout en ce qui concerne les auspices, soit autre chose qu’une théorie relativement récente. On n’en trouve dans la pratique aucune application certaine[39], et cette opposition semble fréquemment être plutôt usitée d’une façon purement relative[40], de telle sorte que des magistratures tout à fait différentes seront, selon les circonstances, classées parmi les majores et les minores.

En dehors des divisions des magistratures indiquées, il n’y en a pas qui soient, en droit public romain, techniquement arrêtées. La distinction formelle des magistratures ordinaires et extraordinaires est inconnue au droit romain ; tout ce qu’il connaît, c’est une collation ordinaire et une collation extra ordinem des magistratures de l’État[41]. Le caractère permanent ou non est pour les magistratures d’une telle importance qu’il ne peut manquer de prendre le premier rang dans toute étude d’ensemble des institutions politiques, et les jurisconsultes romains eux-mêmes se sont occupés, instinctivement pourrait-on dire, des divisions qui s’y rapportent ; mais cette distinction n’a jamais été posée théoriquement d’une manière expresse. Au fond, on peut à ce point de vue distinguer trois classes de magistratures romaines : les magistratures permanentes et nommées qui sont légalement conférées tous les ans[42], comme le consulat, la préture, l’édilité, la questure ; celles qui sont également nommées et constituées avec une compétence précise par une loi générale, niais qui ne sont pas permanentes et n’entrent jamais en activité qu’en vertu d’un acte spécial, régulièrement d’un sénatus-consulte[43], comme la dictature, le tribunat militaire consulari potestate, la censure[44] ; enfin les magistratures appelées à l’existence par une loi spéciale ou un acte équivalent., qui sont parfois pourvues d’une appellation propre, comme le décemvirat législatif et le triumvirat pour le partage des terres, mais qui plus fréquemment sont dépourvues de qualification technique et ne se désignent que d’une façon générale, ainsi par la formule cum imperio ou cum potestate esse, et dont la compétence est toujours fixée par la loi spéciale faite pour la circonstance[45]. Nous appellerons les trois espèces de magistrats : magistrats annuels, magistrats ordinaires non permanents et magistrats extraordinaires.

La puissance publique[46] est appelée, chez les Romains, à la fois imperium et potestas. Imperium, dont l’étymologie est obscure[47], désigne, dans son sens technique le plus général[48], la puissance publique la plus élevée, y compris la juridiction et le commandement militaire, par opposition, d’une part, au pouvoir exclusif de défendre tel que l’ont les tribuns du peuple et, d’autre part, au pouvoir subalterne d’ordonner qui appartient aux magistrats inférieurs et aux délégués des magistrats supérieurs. Ce pouvoir illimité d’ordonner est, dans la Rome royale, sans distinction de catégories d’ordres, concentré dans une seule main, et, dans la Rome républicaine, il appartient, également dans sa totalité, bien qu’affaibli, aux consuls et à ceux qui sont collègues des consuls ou investis de la puissance consulaire[49]. Pour la preuve, il suffira ici de signaler un fait qui sera ultérieurement développé. C’est qu’il y a bien un imperium regium, dictatoris, consulare, prætorium[50], mais que l’imperium n’appartient ni aux tribuns du peuple ni aux censeurs, édiles, questeurs, etc. — Par rapport à l’imperium la potestas constitue l’idée large ; elle est reconnue, et cela au sens technique, à ceux qui ont l’imperium, — on dit consularis potestas comme on dit consulare imperium[51], — et par suite elle coïncide là avec l’imperium ; mais les magistrats qui n’ont pas l’imperium n’en ont pas moins la tribunicia, censoria, ædilicia, quæstoria potestas. Pourtant la langue courante, non contente de réserver le mot imperium pour les hauts magistrats, emploie de préférence potestas pour ceux qui n’ont pas l’imperium, de sorte qu’imperium et potestas apparaissent comme en opposition[52]. Aussi, parmi les magistratures innommées, on désigne les supérieures comme cum imperio et les inférieures comme cum potestate[53].

 

PUISSANCE ÉGALE OU INÉGALE DES MAGISTRATS.

La constitution romaine primitive part d’une concentration si intense de la puissance publique que toute possibilité de conflit en est exclue ; les auxiliaires qui se trouvent dès le principe aux côtés du roi ne peuvent être considérés comme des magistrats dans le sens postérieur ; car ils ne tiennent pas leurs attributions des comices, mais sont nommés par le magistrat supérieur lui-même, et ils ne sont par suite que ses instruments. Ce principe fondamental du droit public romain, d’après lequel les magistrats inférieurs doivent obéissance aux magistrats supérieurs et sont par conséquent, à proprement parler, dans un état de dépendance, n’a jamais complètement disparu. Mais, si toute l’histoire interne de la constitution romaine se résume dans l’affaiblissement de l’imperium, l’un des traits essentiels de cette évolution a été l’accroissement de l’indépendance des magistrats inférieurs. Par suite de cela, par suite aussi de l’établissement de la collégialité que nous allons avoir, tout à l’heure à étudier, par suite enfin de l’admission des magistrats de la plèbe parmi ceux de l’État, on a, dans le plein développement du droit public de l’époque républicaine, été amené à porter des règles précises sur le conflit des puissances des différents magistrats.

Le droit public romain répartit, à ce point de vue, l’ensemble[54] des magistrats en trois catégories, selon qu’ils ont, les uns par rapport aux autres, une puissance ou supérieure[55], ou égale, ou inégale.

1. Les magistrats qui ont une puissance supérieure (major potestas), sont d’abord tous les magistrats qui ont l’imperium par rapport à ceux qui ne l’ont pas, c’est-à-dire en particulier le consul et le préteur par rapport à l’édile, au questeur et au triumvir capitalis[56]. En revanche, il est très douteux que cette distinction s’applique au censeur ; bien que n’ayant pas l’imperium, il ne parait pas être considéré comme étant une minor potestas en face de ceux qui l’ont[57]. — Parmi ceux qui ont l’imperium, le dictateur est considéré comme étant une major potestas par rapport à tous les autres, le consul comme en étant une par rapport au préteur et le magistrat comme en étant une par rapport au promagistrat[58]. —Jusque vers la fin de la République, le conflit entre plusieurs titulaires de l’imperium qui se rencontrent dans une même sphère d’attributions ne se produit exclusivement que sous une forme : l’exercice par le dictateur de sa puissance supérieure à l’encontre du consul, par le consul de la sienne à l’encontre du préteur ou du proconsul. Le fait qu’entre plusieurs titulaires de l’imperium également compétents et égaux dans la hiérarchie dès magistratures, cet imperium soit donné à l’un comme imperium majus, et que par conséquent les autres lui doivent obéissance, ne commence à se produire que vers la fin de l’époque républicaine[59] ; plus tard, l’adjonction de cet imperium majus à la puissance proconsulaire est devenue l’un des instruments du Principat. — La puissance analogue à celle des magistrats, reconnue au grand pontife[60] et la puissance des magistrats supérieurs de la plèbe ont également la qualité de major potestas[61], et cela, au moins pour la dernière, par rapport à tous les magistrats cum imperio sauf le dictateur[62], comme à plus forte raison par rapport à tous ceux qui n’ont pas l’imperium.

2. Les magistrats qui ont une puissance égale (par potestas) sont tous les collègues les uns par rapport aux autres, pourvu qu’ils n’aient pas été transformés en collègues inégaux par les dispositions spéciales qui viennent d’être indiquées sur la gradation de l’imperium, c’est-à-dire les consuls, les préteurs, les censeurs, les édiles, les questeurs, les tribuns du peuple, les tribuns militaires, chacun entre eux. Des développements plus détaillés seront donnés et la question de savoir laquelle de ces puissances égales l’emporte en cas de conflit, laquelle par  conséquent se produit en fait comme imperium majus, sera résolue dans la partie qui suit.

3. Enfin les autres magistrats sont considérés comme ayant une puissance qui n’est ni égale, ni supérieure. Cette situation est celle dans laquelle se trouvent les censeurs, par rapport aux magistrats qui ont l’imperium ; puis tous les magistrats qui n’ont pas l’imperium les uns par rapport aux autres en tant qu’ils ne sont pas collègues, ainsi le censeur par rapport à l’édile, l’édile par rapport au questeur, et ainsi de suite.

Les conséquences de ces importants principes ne peuvent être tirées ici ; c’est sur cette organisation de la magistrature qu’est édifié tout le droit public romain. Dans toutes les parties de notre travail, et par dessus tout dans celles où il s’agira du droit de magistrats d’empêcher l’acte d’un autre magistrat, il nous faudra revenir à la théorie de la par majorve potestas.

 

 

 



[1] Jus publicum, dans le sens de règles de droit concernant spécialement l’État et par opposition au jus privatum concernant spécialement les particuliers, se trouve notamment dans Ulpien, Digeste 1, 1, 1, 2 (d’où Inst. 1, 1, 4, et Isidore, Orig. 5, 8) : (Juris) studii duæ sunt positiones, publicum et privatum : publicum jus est quod ad statum rei Romane spectat, privatum quod ad singulorum utilitatem... publicum jus in sacris, in sacerdotibus, in magistratibus consistit. C’est dans le même sens que Cicéron, Pro Balbo, 15, 34, fait les publici juris periti Gaditani insister pour la modification d’un traité public irrégulier et qu’il dit, Brut., 59, 214 : Non publicum jus, non privatum et civile cognaverat. De même les XII tables s’appellent, dans Tite-Live, 3, 34, 6, fons omnis publici privatigue juris (voir la même opposition dans Pline, Ep. 1, 22, 2. 8, 14, 1, Pomponius, Digeste 1, 2, 2, 46, Aulu-Gelle, 10, 20, 2). — Les droits appartenant au peuple eux-mêmes sont ainsi désignés (Tite-Live, 45, 18, 4 : Ubi publicanus esset, ibi aut jus publicum vanum aut libertatem sociis nullam esse). — Cependant, d’ordinaire et particulièrement dans les ouvrages de droit, jus publicum signifie non pas le droit concernant le peuple, mais celui qui vient de lui ; c’est ainsi que, par exemple, les dispositions sur l’usucapion (Digeste 39, 2, 18, 1), sur le gage (Digeste 24, 1, 7, 6), sur la nullité des conventions onéreuses adjointes aux affranchissements (Digeste 38, 1, 42), sur la nullité des aliénations frauduleuses faites par le débiteur insolvable (Digeste 26, 1, 8), sur les excuses (Digeste 26,12, 29. 27, 1, 36, 1), la responsabilité et la reddition de compte des tuteurs (Digeste, 26, 7, 5, 7. 27, 8, 1. 9), sur la quarte Falcidie réservée à l’héritier (Digeste 35, 2. 15, 1), sur les cautions à fournir ou non par l’héritier (Digeste 35, 1, 77, s. 36, 3, 12), sur le droit de sépulture (Digeste 11, 7, 20, pr.) sont désignées comme jus publicum. De préférence on désigne comme jus publicum les règles de droit privé qui lient les particuliers non pas seulement à titre de présomption, mais d’une manière impérative (Digeste 2, 14, 38 : Jus publicum privatorum pactis mutari non potest. 50, 17, 45, 1), quoique des lois purement permissives (par ex. Digeste 35, 1, 77, 3. 36, 3. 12. Cod. Just. 10. 43, 2) soient aussi rattachées au jus publicum. Dans ce dernier sens, le jus publicum est absolument ce que l’ancienne langue juridique désignait par les mots lex publica (et VI, 1, p. 353, note 2).

[2] Je ne connais pas d’ouvrage ancien que l’on puisse indiquer comme ayant traité du droit public dans ce sens. Les Antiquitates rerum humanorum et divinarum de Varron ont un sujet beaucoup plus vaste. Ulpien indique aussi, en divisant le jus publicum en droit des sacra, des sacerdotes et des magistratus, qu’il songe non pas à quelque ouvrage de ce genre, mais bien à l’espèce d’ouvrage dont il va immédiatement être question. Au reste, il ne cite peut-être les sacra que par amour de la division tripartite. Du moins, la littérature du droit sacré ne semble aucunement se prêter à une division en droit des sacra et droit des sacerdoces.

[3] Les libri de sacerdotibus publicis compositi, comme les nomme Aulu-Gelle, 10, 15, t (cf. 13, 23, 1), spécialement les commentarii pontificum et augurum, forment, ainsi qu’on sait, la base de la littérature religieuse, pour ne pas dire toute cette littérature. Comme les écrits du même genre sur les magistrats, ils parurent d’abord sans noms d’auteurs (cf. Teuffel, Gesch. der rœm. Litt. 4e éd. § 73, $ 77 = tr. fr. 1, pp. 112, 119), et ce ne fut que plus tard que les augures populi R. qui libros de auspiciis scripserunt, Aulu-Gelle, 43, 14, 1, remplacèrent les anciens commentarii augurum. Les livres pontificaux jouent dans le domaine des sacerdoces un rôle analogue à celui du droit prétorien dans le domaine des magistratures.

[4] Les plus anciens ouvrages de cette espèce qui nous soient cités avec un nom d’auteur, paraissent cependant avoir traité de la magistrature d’une façon générale. Ce sont les libri magistratuum de C. Sempronius Tuditanus, consul en 623 (Peter, Fr. hist. 4, p. CCXI, 145 ; car on ne peut penser ici à une de ces listes de magistrats pour lesquelles l’expression était également usitée), et le traité de potestatibus de Junius Gracchanus ; dont le septième livre traitait des questeurs (Digeste 1, 13, 4, pr.).

[5] C’est à ce point de vue qu’il faut envisager toute la littérature consacrée à Rome soit à l’ensemble, soit aux détails de l’organisation publique. Dans la partie qui nous en est le mieux connue, celle qui traite du droit privé, cette division d’après la compétence des magistrats se révèle de la manière la plus évidente. Les ouvrages sur le droit civil ne sont pas autre chose que les plus anciennes instructions faites pour le préteur urbain et, dans ce sens, correspondent aux commentaires sur l’édit de l’époque postérieure, et nous trouvons, dans le reste de la littérature, des manuels faits pour les édiles curules, pour les présidents de quœstiones (traité de judiciis publicis), pour les autorités qui statuaient sur les matières fiscales (traités de jure fesci et populi et ad legem Juliam et Papiam), polir les autorités chargées des affaires de fidéicommis et de tutelles. Le même caractère se représente, avec moins de développements, dans les écrits destinés à servir d’instructions aux autres magistrats, soit dans les commentaires anonymes des rois (Teuffel, Gesch. der rœm. Litteratur, § 72 = tr. fr. 1, p. 112), des consuls, des censeurs, des questeurs, etc. (Teuffel, op. cit. § 78 = tr. fr. 1, p. 119), soit dans les ouvrages plus récents placés sous le nom d’un auteur déterminé et parmi lesquels, les livres d’Hemina de censoribus donnant au moins lieu à doute (Peter, Hist. rom. 1, p. CLXXVI), le plus ancien connu est l’ouvrage de Cincius de consulum potestate, qui date de l’époque d’Auguste. Les ouvrages de comitiis (par exemple celui de Cincius ; celui de Veranius auspiciorum de comitiis ne devait être qu’une partie de ses pontificalia) et de senatu habendo (par exemple de Varron, V. p. 4, note 3, et de Nicostratus) peuvent être considérés comme des chapitres séparés de cette littérature composée d’instructions. Il est d’ailleurs à peine besoin de remarquer que ces manuels des magistrats pouvaient et devaient également servir à renseigner les particuliers intéressés.

[6] Cette catégorie comprend les ouvrages de re militari, parmi lesquels celui de Caton ouvre la liste, ceux de officio senatoris, sujet traité par Capiton, et de officio judicis, sujet traité par Tuberon.

[7] L’usage connu des grandes familles de conserver spécialement dans leurs archives privées (tablinum) les monumenta rerum in magistratu gestarum (Pline, H. n. 35, 2, 7 ; Festus, v. Tablinum, p. 356 ; Denys, 1, 74) aura contribué à produire ce résultat, à moins qu’au contraire, ainsi qu’il est également possible, l’usage nait été provoqué par cet intérêt pratique, par le désir de permettre au fils du consul actuel, s’il arrive à son tour au consulat, de s’instruire sur ses devoirs en consultant les pièces officielles laissées par son père. — C’est à cela que se rapporte le souhait de Cicéron, — car ce n’est rien de plus qu’un souhait, dit-il lui-même, selon lequel les magistrats sortants rendraient leurs papiers officiels (De leg. 3, 4, 11, c. 20, 47 : Apud censores qui magistratu abierint, edant et exponant quid in magistratu gesserint).

[8] Tels sont par exemple, le commentarium du roi Tullus (Cicéron, pro Rab. ad pop. 5, 15) sur la procès des Horaces et celui de Servius Tullius qui servait de base à la tenue des comices par centuries (Tite-Live, 1. 60 ; invoqué dans Festus, p. 216. 249, sous le nom de discriptio classium ou centuriarum du roi Servius, dans Cicéron, Orat. 46, 156, sous celui de fabula censoria) et sur lequel nous reviendrons dans la partie des centuries (VI, 1, p. 277, note 1). Il faut d’ailleurs remarquer, au sujet de ces décisions attribuées aux rois, que les commentaires des pontifes en contenaient un grand nombre. Les commentaires des prêtres et ceux des magistrats ont sans nul doute été, dés le principe, aussi distincts que les sacerdotes et les magistratus. Il est caractéristique que les deux matières aient l’une et l’autre les commentarii regum pour point de départ ; mais les premiers n’ont rien à faire avec les seconds.

[9] C’est naturellement dans le domaine du droit civil, où les formules des legis actiones existent de toute antiquité, que cela. S’est produit le plus tôt. Mais la rédaction des formules proprement dites s’est aussi produits à une époque probablement fort précoce pour d’autres matières. Les formulas des commentaires des magistrats citées par Varron, 6, 86 et ss. pour la convocation du peuple par les consuls et les censeurs, et même le commentarium vetus pour sa convocation par le questeur, appartiennent déjà à la littérature franchement didactique, car ces testes ne rapportent pas des faits passés, mais viennent fournir des conseils et des prescriptions pour l’avenir. Il faut encore, suivant l’observation de Reifferscheid (Rhein. Mus. 15, 627), comprendre dans cette littérature la maxime rapportée par Velius Longus, éd. Putsch. p. 2234 : Oriens consul magistrum populi dicat. Je ne tranche pas la question de savoir si l’on peut conclure de ce qu’elle se scande comme un vers saturnien que les plus anciens recueils de prescriptions de cette nature aient été en vers. Mais cela n’a rien d’invraisemblable. Par la suite, la forme théorique se généralisa de plus en plus. Parmi les formules données par Varron, la plus ancienne, celle des questeurs, donne encore un nom propre au magistrat et à l’accusé celles des consuls et des censeurs n’en contiennent plus. Mais le but pratique de cette branche de littérature, l’intention de fournir au magistrat entrant en charge les renseignements nécessaires à l’exercice de ses fonctions, ne se modifie pas. Varron écrivit encore un traité de ce genre pour Pompée, lorsqu’il obtint le consulat en 691. Aulu-Gelle, 14, 7 : Eum magistratum Pompeius cun initurus foret, quoniam per militiæ tempora senatus habendi consulendigue [reliquarumque] rerum expers urbanarum fuit, M. Varronem familiarem suum rogavit, uti commentarium faceret isagogicum (sic enim Varro ipse appellat.), ex quo disceret, quæ facere disereque deberet, cum senatum consuleret.

[10] Cf. ce qui est dit, tome III, dans la partie consacrée au Consulat, sur la compétence du consul.

[11] L’expression magister equitum est spécialement à citer ici, tandis quo magister populi est vieilli. Cette désuétude du terme magister vient probablement de ce que le mot, dans son sens précis et le plus ancien, désignait un président unique et par conséquent semblait moins convenir pour les magistratures organisées d’après le principe de la collégialité que le terme abstrait magistratus. Sans doute on rencontre des magistii en nombre multiple, par exemple pour les quindecemvirs, les pagi, les vici, etc. Mais ce parait être une altération ultérieure de l’expression.

[12] On peut citer le magister des Arvales, celui des Saliens, ceux des quindecemvirs et beaucoup d’autres magistri de collèges, auxquels on oppose les ministri, ainsi que les magistri pagi et vici, sacerdotaux en première ligne ; puis les magister societatis, magister navis, magister honorum, ludi magister, etc.

[13] Le mot est encore employé dans ce sens à côté de magister, dans le sénatus-consulte de Bacch. (C. I. L. I, p. 43) : Magister neque vir nequo mulier quisquam eset... neve magistratum neve pro magistratud neque virum neque mulierem quiquam fecise velet.

[14] Cicéron, De l. agr. 2, 7, 17 : Omnes potestates Imperia curationes ab universo populo Romano profecisci convenit. Des indications analogues se rencontrent fréquemment.

[15] Parfois magistratus et honor sont employés l’un à côté de l’autre, comme dans Suétone, Aug. 26, Modestin, Digeste 50, 12,11, Dion, 44, 47 (καί τιμών καί άρχών έξίωσε) et spécialement dans Gaius, 1, 96, d’après lequel la cité romaine est acquise par les Latins qui honorem aliquem aut magistratum gerunt. Il est difficile de ne voir là qu’une tautologie, mais je suis hors d’état d’indiquer une distinction. Il est certain que les promagistratures et encore moins les sacerdoces sont aussi peu des honores que des magistratus, et aussi que le Latin n’acquiert aucunement la qualité de citoyen en occupant de telles situations.

[16] Si le dictateur, issu de la cooptation et non de l’élection populaire, est néanmoins compté parmi les magistrats, cela tient à la raison donnée plus bas. Pour le surplus, le droit public de la République ne connaît la cooptation que pour les sacerdoces ; il ne la connaît pas pour les magistratures patriciennes. Elle a d’abord été admise, en vertu de raisons d’opportunité, pour la pseudo-magistrature plébéienne, mais elle y a bientôt disparu.

[17] C’est pour cela que l’assemblée électorale, lorsque en fait elle intervient, est organisée comme minor pars populi, de façon à n’8tre pas dans la forme une assemblée du peuple. Cette opposition sera étudiée de plus près, tome III, au sujet des Pouvoirs de magistrat du grand pontife.

[18] C’est ainsi que, dans beaucoup de cités, la questure n’est pas comptée parmi les honores et est restée ce qu’elle fut partout à l’origine, un mucus, comme la cura annonæ et les fonctions analogues. Charisius. Digeste 50, 4, 18, 2 : Et quæstura in aliqua civitate inter honores non habetur, sed personale munus est. Les Fastes de Venusia notent sur l’an 720 : Hoc anno quæstores creati, et ils les comptent désormais parmi les magistrats.

[19] Cela se montre particulièrement bien par le rapprochement de la récapitulation de ceux qui magistratum habuerunt dans Cicéron, Pro Cluent. 57, 156, et des termes de la loi rapportée eod. loco, c. 54, qui cite les tribuns militaires des quatre premières légions, les questeurs, les tribuns du peuple, et deinceps omnes magistratus. Cela résulte encore de la lex Bantina, ligne 15, avec l’explication donnée au C. I. L. I, p. 47. Quant aux præfecti, comp. Festus, v. Præfecturæ, p. 233, où il oppose les quatre préfets populi suffragio creati, que nous retrouverons en étudiant les vigintisexviri, aux autres préfets nommés par le préteur. Les décrets de Pise rendus en l’honneur des fils d’Auguste portent aussi, au lieu de la désignation habituelle II vir præfecitusve, la formule magistratus sine qui ibi jure dicendo prærunt.

[20] Pomponius, Digeste I, 2, 2, 14 : Quod ad magistratus attinet, initio civitatis hujus constat reges omnem potestatem habuisse.

[21] Asconius, in Mil. p. 34, nomme expressément ce dernier magistratus curulis. Cf. tome II, la théorie de la Représentation.

[22] La loi δέ οΰ πάτ' τοΐς παρίι δεκιάτωρος άρχήν τινα λαβοδσι χρήσθα : αύτοΐς (aux faisceaux) έδίοτο est citée par Dion, 43, 48. Des détails plus étendus seront donnés, tome II et III, dans les théories des faisceaux, de la représentation et de la dictature.

[23] On verra, tome III, dans la partie qui lui est relative, que le magister equitum est indubitablement un magistrat ; cependant il n’émane pas de sélection populaire, et c’est en vain que j’ai antérieurement essayé de considérer sa nomination comme une cooptation.

[24] Il n’y a de magistrat que celui dont la compétence s’étend à Rome. Ce caractère de la magistrature va être établi par la démonstration que les fonctionnaires de la compétence desquels la ville de Rome est exclue ne sont pas, d’après les Idées romaines, des magistrats, mais des promagistrats. Il ne faut cependant pas comprendre parmi ces derniers les magistrats, — d’ailleurs peu nombreux et de date récente, — dont les attributions sont exclusivement militaires, comme les tribuns militaires élus par les comices et les duoviri navales. Car, si leurs attributions sont limitées quant au fonds, elles ne sont pas soumises à une limitation locale correspondante et les fonctions militaires, rentrent en partie parmi celles qui s’exercent dans l’intérieur de la ville. Les tribuni mititum font le dilectus à Rome, et les IIviri navales y procèdent aussi probablement à la levée des rameurs, dans la mesure où elle y a lieu. En ce qui concerne les préteurs provinciaux et les questeurs italiques et provinciaux, la magistrature dont ils étaient investis, telle qu’elle résultait du vote, comprenait la compétence urbaine. Le caractère général des attributions du collège n’était pas modifié parce qu’une répartition de fonctions, accomplie ensuite par la voie du sort, plaçait hors de la ville la sphère principale d’opérations de certains de ses membres.

[25] L’opposition est faite par la langue technique. Lex Rubria, 1, 50 : Nei quis mag. prove mag. neive quis pro quo imperio potestateve erit ; de même Lex repetundarum, ligne 70 (cf. ligne 81) : Nei quis magistratus prove magistratu prove [quo imperio potesrateve erit]. Loi agraire, ligne 87 : Mag(istratus), prove mag. queive pro eo imperio judicio [curationeve erit]. Lignes 30. 72 : Nei qui mag. neive pro mag. facito. De même encore dans la loi sur les questeurs de Sulla, 2, 32 ; dans celle sur les Thermenses, 2, 2. 6. 14, dans la loi Rubria, 1, 15. Statut municipal de Genetiva, c. 97 : Ne quis IIvir neive quis pro potestate... facito, c. 125 : Quive tant magistratus imperium potestatemve colonorum suffragio... habebit quive pro quo imperio potestateve tum in colonia Genetiva erit. Pro magistratu est employé substantivement comme pro consule ; mais promagistratus ne se dit pas. La même opposition se rencontre en matière de sacerdoces dans le vieux sénatus-consulte cité p. 7, note 3.

[26] Il n’y a peut-être pas, dans toute la sphère du droit public, une terminologie aussi difficile que celle des qualifications de fonctions composées avec la préposition pro. Il est par conséquent nécessaire d’en réunir les différentes acceptions possibles pour un examen d’ensemble. Mais il faut soigneusement observer que le sens technique par excellence, celui de la langue officielle, est limité avec une rigueur absolue et doit être strictement distingué d’autres acceptions qui ne sont pas moins correctes au point de vue du langage, mais qui ne sont pas techniques :

(1) Pro magistratu, pro dictatore, etc., signifie assez souvent : en vertu de la fonction. Tite-Live, 6, 38, 9 : Si M. Furitu pro dictatore quid egisset. 3, 96, 1 : Magistro equitum vetito quicquam pro magistratu agere. 9, 7, 12 : Consules in privato abditi nihil pro magistratu agere. 9, 26, 15. 39, 5, 2. C. Gracchus dans Aulu-Gelle, 10, 3, 5 : Missus est... pro legato. Statut de Genetiva, c. 94 : Pro eo imperio potestate relativement au duumvir et à son préfet. C’est même dans ce sens qu’il faut entendre la particule dans le membre de phrase pro imperio potestateve esse, cité note 25, tandis que le membre de phrase pro magistratu, qui précède immédiatement, l’emploie dans l’acception technique toute différente. Il est vraisemblable que, dans cette division tripartite, les termes en question désignent les magistratures nommées par magistratus, les promagistratures nommées par pro magistratu et les situations qui n’ont pas de nom juridique par cum imperio ou cum potestate. — Pro est souvent pris dans un sens analogue dans d’autres expressions, par exemple dans pro imperio (Tite-Live. 1, 51, 12) ; pro collegio, pro consilio (Salluste, Jug. 29), c’est-à-dire de consilii sententia, pro tribu.

(2) Pro magistratu, pro dictatore, etc. signifie en outre : à la place du magistrat, à la place du dictateur ; de telle sorte que l’on implique par là que la personne en question n’a pas la magistrature, la dictature. C’est le sens le plus habituel, établi comme employé dans les titres par la désignation officielle des tribuns militaires magistrats comme pro consule, aujourd’hui attestée par le feriale latin (cf. tome IV, la partis de ces tribuns). C’est ainsi qu’on emploie pro milite à côté de miles (Salluste dans Servius, ad Æn. 2. 157) pour désigner le volontaire qui fait le service de soldat ; pro censore (Caton dans Aulu-Gelle, 10, 23) pour désigner le juge qui, dans le judicium de moribus, décide, comme le censeur dans les questions de moralité, dans la liberté de sa conscience ; pro legato (Tacite, Ann. 15, 28 ; C. I. L. III, 605) pour désigner l’officier qui fait fonctions de légat sans avoir le rang sénatorial requis pour ce poste. Mais il faut bien remarquer si la négation contenue dans cette formule se rapporte d’une façon générale à la qualité de magistrat, comme c’est incontestablement le cas dans pro magistratu, ou seulement à la magistrature particulière qui est désignée. Dans les cas de beaucoup les plus fréquents, pro consuls et les expressions analogues désignent celui qui est pro magistratu, c’est-à-dire auquel manque non seulement le consulat, mais d’une façon générale la qualité de magistrat. Au contraire, la dénomination tribunus militum pro consule implique bien que le personnage n’est pas consul, mais pas du tout qu’il ne soit pas magistrat. C’est dans le même sens que Tite-Live, 22, 31, 10, mentionne l’institution d’un personnage qui pro dictatore esset. Cette institution s’éloignait assez des règles de la dictature pour qu’on put contester à l’élu la qualité et le titre de dictateur, mais on ne contestait pas pour cela sa qualité de magistrat, et, dans la distinction de la magistrature et de la promagistrature, cette prodictature appartient certainement à la première catégorie. On rencontre même cette désignation employée dans le langage officiel pour le prætor pro consule de l’époque récente de la République : c’est un préteur qui n’est pas consul, mais qui est égal en rang et en puissance aux consuls.

[27] On comparera à ce sujet, tome II, la théorie de la Représentation des magistrats. Dans des cas particuliers, un représentant de ce genre s’est intitulé pro prætore et s’est comporté comme tel mais cette conception riche en conséquences n’a visiblement pas pénétré dans la pratique.

[28] C’est à cet usage rigoureux de pro magistratu que se rapporte la division tripartite faite par les lois citées plus haut en note : Magistratuspro magistratupro (c’est-à-dire cum) imperio ; on verra, tome IV, dans la partie relative aux pouvoirs extraordinaires, que la table triomphale refuse pour l’an 558 à un agent de cette nature la qualification pro consule et emploie par suite une périphrase.

[29] Elles sont rassemblées, tome II, dans la partie de la Prorogation.

[30] Le gouvernement urbain lui-même n’a jamais pu se passer de promagistrature ; c’est une idée que le droit public romain n’a jamais méconnue ni obscurcie, ainsi que le prouve notamment le régime établi pour la représentation de la magistrature municipale supérieure. Le titre officiel des tribuns militaires pro consule prouve aussi qu’à l’époque ancienne la dénomination tirée de la promagistrature n’était pas absolument étrangère à l’administration urbaine. Mais, depuis le développement de la République, le nom est encore bien plus proscrit que la chose. Pour les magistratures exclusivement  urbaines, telles que la censure et l’édilité, l’exclusion de tout exercice anormal des fonctions a été observée en fait et par suite il n’a pu y avoir ni procensure ni proédilité. Les titres de promagistrats très rares et secondaires, qui se rencontrent dans les magistratures subalternes urbaines, seront relevés dans la théorie de la Représentation des magistrats inférieurs dans l’administration urbaine. Toutes les magistratures d’exceptions exercées dans le cercle de l’administration urbaine, dont le titre est avéré, évitent la dénomination de promagistrature ; Dion, 39, 9, appelle, exactement quant au fond, la cura annoncer de Pompée de 697 une άρχή άνθυπάτου ; mais Pompée n’a pas pris le nom de proconsul. Quand bien même on rencontrerait une exception ou deux, parmi les fonctions dont le titre ne nous a pas été sûrement transmis, quand même par exemple le titre proconsulaire aurait été attribué aux magistrats électoraux de άντί ύπάτων (Dion, 46 ; 35), la régie n’en serait pas moins établie en elle-même. — Des magistrats réels ne prennent naturellement jamais le titre de promagistrats, à moins qu’on ne veuille en trouver un exemple dans la qualification pro prætoribus attribuée par Suétone, Cæs. 76, aux præfecti urbi du dictateur pour indiquer leur rang prétorien.

[31] Naturellement les comices pouvaient décider que Scipion pourrait, sans être magistrat, prendre les auspices au Capitole, ou même partir pour l’armée sans prendre les auspices, de même qu ils auraient pu supprimer absolument les auspices. Mais le droit ainsi exercé était l’anéantissement de la République ; c’est ainsi que la démocratie s’est toujours détruite en tirant les conséquences extrêmes de son principe.

[32] A la bonne époque, les Romains ne spécifient, relativement à leurs magistrats, qu’ils sont eux-mêmes romains, que lorsque l’addition est nécessaire ou désirable pour faire une opposition (Bell. Hisp. 42, dans un discours aux Espagnols : More barbarorum populi Romani magistratibus... manus... attulistis ; Valère Maxime 8, 1, amb. 2 : Populi R. magistratus, par opposition à Areopagitæ ; Aulu-Gelle, 10, 3, 2. 11, 1, 4 ; magisiratus Romanus se rencontre également dans la loi agraire, ligne 47), on pour donner a la phrase une énergie spéciale (Cicéron, in Vat. 9, 21 : Consul populi Romani, de même, Tite-Live, 39, 32, 11 ; Cicéron, Verr. 5, 31, 81 : Prætor populi Romani ; Tacite, Hist. 1, 27 : Imperator populi Romani ; Velleius, 2, 42, 1, rapproché de Tacite. Ann. 12. 60 ; Vita Severi, c. 2). Dans la langue juridique récente, les auteurs disent souvent magistratus populi Romani (Gaius, 1, 6. 2, 24. Digeste 4, 2, 3, 1. 42, 1, 15, pr. 43, 4, 1, 1. 49, 3, 3), probablement parce que pour eux magistratus tout court ne désigne plus comme autrefois les magistrats de l’État romain, mais bien les magistrats municipaux (note 33). — Sans doute il y a eu une époque où les magistrats de l’État, par opposition à ceux de la plèbe, se sont appelés magistratus populi (Romani) ; cela résulte forcément, d’une part, de l’opposition connue faite entre populus Romanus et plebs, d’autre part, de la désignation des tribuns et des édiles de la plèbe comme magistratus plebeii ; les documents et les témoignages incontestables, qui nous disent que les tribuns et les édiles de la plèbe n’étaient pas regardés comme magistrats à l’époque ancienne, ne peuvent non plus avoir de sens qu’à condition qu’ils ne fussent pas magistratus populi. Mais dans les sources que nous possédons, non seulement on ne trouve nulle part l’expression magistratus populi opposée à magistratus plebeii, mais il y a pour cette opposition un autre terme, l’expression magistratus patricii (note 35). La raison est que les tribuns et les édiles de la plèbe ont été classés parmi les magistrats de l’État à une époque bien antérieure à l’origine de nos plus anciens monuments et ne sont restés magistrats de la plèbe que par le nom. Cette contradiction dit nom et de la chose a pu contribuer à faire en général écarter l’expression magistratus populi pour n’a voir ni à comprendre ni à exclure les magistrats de la plèbe.

[33] Il est caractéristique à ce sujet que les pagi et les vici ont aussi nécessairement des magistri que les colonies et les municipes des magistratus. Déjà dans l’ancienne langue juridique, les documents de l’État romain emploient sans scrupules pour les magistrats municipaux l’expression magistratus potestasve, au moins en combinaison avec municipium, etc. (par exemple, l. Jul. mun. lignes 84. 90. 95. 98. 100. 106. 133. 140. 143) et même sans complément (ainsi probablement dans la loi Rubria, 1, 15 : Mag. prove mag. IIvir IIIIvir præfec. ve). Sous l’Empire, les magistrats municipaux sont même appelés magistratus tout court, dans la langue technique, par opposition aux magistrats de I’empire. Comp. Dig. 50, 16, 13, et note 32).

[34] Dans l’État purement patricien, les fonctions publiques étaient naturellement appelées les magistratures tout court et non pas les magistratures patriciennes ; car le qualificatif n’est justifié que par l’opposition. Il s’est nécessairement introduit à l’époque où le peuple proprement dit et la plèbe existaient, l’un à côté de l’autre, à peu près comme deux États Indépendants, dans le sein de la cité patricio-plébéienne.

[35] Messala, dans Aulu-Gelle, 13, 15, 4 : Patriciorum (sous-entendez magistratuum) auspicia in duas sunt divisa potestates : maxima sunt consulum prætorum censorum... reliquorum magistratuum minora sunt auspicia. Tite-Live, 3, 39, 9 : Fuisse regibus exactis patricios magistratus, creatos postea post secessionem plebis plebeios. 4, 8, 5 : Quo plures patricii magistratus in re publica essent. 6, 38, 7 : Nihil patricium magistratum inseram concilio plebis. 9, 33, I : Inter patricios magistratus tribunosque certamina. 6, 41, 5 : Nobis adeo propria sunt auspicia, ut... quos populus creat patricios magistratus non aliter quam auspicato creet. Cf. 3, 59, 4. 4, 43, 10. Cicéron, De lege agr. 2, 11, 26 : Cum centuriata lex censoribus ferlur, cum curiala ceteris patriciis magistratibus. Le même, De domo 14, 38 : Auspicia populi Romani, si magistratus patricii creati non sint, intereant necesse est. Salluste, Hist. éd. Dietsch, 3, 61, 15 : Ne vos ad virilia illa vocem, quo tribunos plebei modo, patricium magistratum (c’est-à-dire l’éligibilité aux magistratures de l’État), libera ab auctoribus patribus suffragia majores vestri paravere. Dion, 46, 45. Pseudo-Cicéron, Ad Brut. 1, 5, 4 : Dum unus erit patricius magistratus, auspicia ad patres redire non possunt. — Tite-Live, 7, 4, 5, et Tacite, Ann. 11, 24, emploient patricii et plebeii magistratus dans un autre sens, pour désigner les magistrats de classe patricienne ou plébéienne.

[36] Plebeii magistratus se trouve dans Festus, Ép. p. 231, et est fréquent dans Tite-Live, par exemple 2, 33, 1 : Ut plebi sui magistratus essent sacrosancti ; 2, 56, 2 : Rogationem tulit ad populum, ut plebei magisiratus tributis comitiis fierent ; v. de plus 2, 34, 9. c. 44, 9. 3, 39, 9. 6, 11, 7. e. 35, 3, et les textes cités note 33.

[37] Ainsi les expressions magistratus imperiumve dans la lex Bantina, lignes 47. 10, et dans la lex repetundarum, lignes 8. 9, se rapportent à tous les magistrats, y compris ceux de la plèbe ; magistratus est de même employé dans la loi municipale de César, lignes 24. 25, pour les édiles curules et les édiles plébéiens. Le langage régulier de nos sources (par exemple Cicéron, De r. p. 1, 31, 47 : Mandant imperia magistratus) est le même. Il est vrai qu’il y a des textes où magistratus est synonyme de magistratus patricii : ainsi dans Cicéron, De leg. 3, 3, 9, où il est indiqué comme condition de l’interregnum : Reliqui magistratus ne sunto, alors que le passage parallèle du De domo 14, 33, parle de magistratus patricii et que l’on sait que les magistrats plébéiens n’ont pas de rapport avec l’interregnum. Dans Tite-Live, 3, 21, 2 (cf. mon édition du palimpseste de Vérone, p. 186), les magistratus, c’est-à-dire les consuls, paraissent aussi être opposés aux tribuni. Mais je ne voudrais pas déduire de ces témoignages que magistratus fut encore employé, à l’époque de Cicéron et d’Auguste, dans un sens qui, à l’époque de la domination patricienne, ôtait assurément le seul correct et concevable. Mieux vaut admettre que, de même que les Fastes de Préneste ne parient que des consuls, des préteurs et des édiles quand ils disent pour le 1er janvier que magistratus ineunt, magistratus est aussi souvent employé a potiori par des auteurs considérables pour appliquer ce qu’ils disent non pas à tous les magistrats, mais à la plupart. Cf. note 32.

[38] Messala (dans Aulu-Gelle, 13, 15) l’exprime de la façon la plus positive, lorsque, après avoir parlé des consuls, des préteurs, des censeurs, il continue en disant : Reliquorum magistratuum minora sunt auspicia : ideo illi minores, hi majores magistratus appellantur : minoribus creatis magistratibus tributis comitiis magistratus... datur... majores centuriatis comitiis fiunt. Il n’est sans doute tenu là aucun compte des magistrats extraordinaires. Ils sont fréquemment nommés par les tribus, et pourtant ils ont, sans nul doute, lorsqu’ils reçoivent l’imperium consulaire ou prétorien, les auspicia majora. S’il était établi que l’allégation de Festus, p. 136 ; Major magistratus consul dicitur remontât à l’époque où il n’y avait pas d’autres magistrats ordinaires que les consuls et les questeurs, elle s’accorderait parfaitement avec le langage de Messala. Mais il peut aussi s’y agir de la distinction du prætor major et minor. Cf. tome III, la théorie du Consulat.

[39] Il est bien conforme à la définition de Messala que Tacite, Ann. 4, 6, oppose aux consuls et aux préteurs les minores magistratus ; que Tite-Live, 3, 55, 9, oppose aux édiles les majores magistratus et que les édiles et les triumviri capitales s’appellent chez lui, 95, 1, 10. 11, minores magistratus par opposition au préteur (de même Tite-Live, 32, 46, 17 : Minores magistratus et IIIviri carceris lautamiarum intentiorem curam habere jussi, et Salluste, Cat. 30 : Romæ per totam urbem vigiliæ haberentur eisque minores magistratus præessent) ; ensuite qu’Ulpien (Digeste 47, 10, 33) appelle minores magistratus ceux qui sine imperio aut potestate essent, en entendant, semble-t-il, par potestas, la potestas gladii (voir note 45). Mais, dans tous ces passages, l’expression peut également s’entendre en son acception relative habituelle.

[40] Aulu-Gelle, qui rapporte les paroles de Messala pour expliquer l’ancien édit consulaire ne quis magistratus minor de cælo servasse velit, ne fera croire à personne que cette défense ne fut dirigée que contre les magistrats élus dans les comices par tribus. Ulpien dit de même, Digeste 4, 4, 18, pr. : Minor magistratus contra cententiam majorum non restituet. Il ne manque pas non plus d’applications spéciales de la distinction qui ne sont pas conciliables avec le criterium de Messala. Les minores magistratus apparaissent dans Tite-Live, (36, 3, 3 : Qui senatores essent quibusque in senatu sententiam dicere liceret quique minores magistratus essent), par opposition aux magistratures curules ; dans Cicéron, (De leg. 3, 3, 6), qui réunit les questeurs, les XXVIviri et les tribuns militaires sous le nom de minores magistratus, par opposition aux autres magistratures jusqu’à l’édilité inclusivement ; par opposition à toutes les magistratures qui donnent le droit de siéger au Sénat, dans Suétone, Cæs. 41 : Pratorum ædilium quæstoram, minorum etiam magistratuum numerum ampliavit ; cf. Tite-Live, 39, 16, 12, où les IIIviri capitales et autres magistrats de police s’appellent minores magistratus par opposition aux consuls ; dans Tite-Live, 23, 23, 6, le texte qui nous a été transmis qui magistratus cepissent doit être corrigé en intercalant non pas minores, mais non. On s’est habitué en partant du passage de Suétone à appeler les Vigintisexviri ou les Vigintiviri de l’époque plus récente minores magistratus ; comme désignation technique, cela ne concorde pas avec les sources. On fera mieux, au moins en dehors de la théorie des auspices, de ne pas employer comme ayant une portée générale les désignations de magistratus majores et minores ; car elles peuvent facilement égarer et on ne peut guère les considérer comme des qualifications puisées dans les auteurs.

[41] Ordo et extra ordinem se rattachent à Rome, en ce qui concerne les magistratures, au certus ordo des magistrats (Cicéron, De l. agr. 2, 9, 24 ; Callistratus. Dig. 50, 4, 14, 5) et à l’ordre de succession légalement fixé des magistratures (cf. tome II, la partie de l’inéligibilité). Par conséquent, le consul ordinarius est déjà dans le langage du temps de la République (Tite-Live, 41, 18, 16) celui qui a reçu sa magistrature conformément à l’ordre de suer cession légalement établi ; on considère comme extra ordinem toute magistrature qui est obtenue à l’encontre d’une des prescriptions légales (Dion, 36, 39 [22]), soit de celle qui concerne la succession des magistratures (Cicéron, Brut. 63, 226 ; Tacite, Ann. 2, 32. 13, 29), soit de celle sur les intervalles qui doivent les séparer ( César, B. c. 4, 32), soit de celle sur le tirage au sort (Cicéron, De domo 9, 23. 24 ; Philipp. 11, 7, 17), ou même qui n’est pas prévue dans la constitution, comme le commandement militaire attribué par une loi spéciale (tables triomphales pour l’année 553 ; Cicéron, Philipp. 11, 8, 20 ; Suétone, Cæs. 11). Cette opposition n’est par conséquent pas du tout appropriée à partager les magistratures et en particulier ne peut aucunement s’appliquer à l’époque qui précède l’établissement du certus ordo magistratuum. En réalité, elle n’est jamais prise pour base d’une division ; seulement Varron, en parlant du droit de convoquer le sénat qui appartient aux magistrats (dans Aulu-Gelle, 14, 7), après avoir cité les magistrats ayant qualité à cet effet existant de droit à son époque, entre autres le dictateur, l’interroi, le préfet de la ville, ajoute que la même faculté est accordée extraordinario jure aux tribuns militaires consulari potestate, aux decemvirs legibus scribendis et aux triumvirs rei p. constituendæ. Varron aura regardé ces trois magistratures compte extraordinaires pas rapport aux précédentes, parce qu’il ne les compte pas au nombre des institutions organiques et stables de l’État, point sur lequel il peut à la vérité se tromper pour le tribunat militaire (comp. ce qui concerne celui-ci). En aucun cas, il ne pourrait être opportun de baser une division de droit public sur cet extrait isolé et peut-être mal fait.

[42] L’expression magistrats annuels, est employée ici communément, par exemple par Suétone, Aug. 30, et Appien, Præf. 6. B. c. 2, 107. 5, 133.

[43] Naturellement il s’agit d’un sénatus-consulte autorisé par la constitution, réglant la mise en vigueur d’une magistrature fondée sur un vote du peuple. La magistrature fondée par un sénatus-consulte qui remplace le vote du peuple rentre dans la troisième catégorie.

[44] Ces magistratures sont indiquées comme composant une classe par Zonaras, 7, 19, qui indique même leur ordre hiérarchique.

[45] On peut rapprocher de cette classe les contrats innommés, les actions præscriptis verbis du droit civil, ainsi nommées parce que les vulgaria atque usitata actionum nomina font défaut (Digeste 19, 5, 2). Il y a de ces actions qui sont nommées en fait, comme L’action qui nuit de l’échange, mais elles n’ont pas de qualification formelle fixe. Leur formule, dont la rédaction varie avec les hypothèses, correspond exactement à la loi spéciale qui, en droit public, établit une magistrature particulière.

[46] Lorsqu’on attribue imperium et potestas au peuple, pour qu’il les transfère au magistrat (Ulpien, Dig. 1, 4, 1, pr.), ou lorsqu’on se demande si le populus Romanus n’a pas plutôt le summum imperium, que ceux qui le reçoivent de lui (Tite-Live, 4, 5, 1), ce sont lui des spéculations politiques et non pas des discours techniques. Imperare n’est employé qu’abusivement pour le sénat lui-même (Tite-Live, 42, 28, 7). Au sens local imperium populi Romani est correct ; c’est ainsi que Varron, De l. L. 5, 87), fait venir imperator ab imperio populi, qui eos qui id attemptassent, oppressisset (le Ms. : oppressi hostis) et qu’Auguste dit (Ancyr. 5, 24) : Ægyptum imperio populi Romani adjeci.

[47] La première syllabe est naturellement la préposition, comme le montre déjà enduperator ; mais il est douteux que la suite soit réellement parare, acquérir (Corsen, Ausspe. 2, 410. 411), d’autant plus que l’on a rencontré récemment la forme inpeirator dans un titre du sixième siècle. (C. I. L. II, 5041). L’analogie de vituperare, æquiperare ne justifie pas suffisamment le changement de voyelle en présence de comparare, reparare, etc. Par ailleurs le sens d’agir par l’intermédiaire d’un tiers (comp. indicere, injungere) serait assez approprié, bien qu’on pût s’attendre à ce que l’idée de commandement fut plus fortement mise en relief.

[48] L’acception plus étroite, également technique et beaucoup plus fréquente, où la mot désigne l’imperium militaire, sera examinée à propos de ce dernier ; la terminologie difficile du mot sera traitée là d’une façon générale. Le sens large indiqué plus haut, que le mot possède à côté de son sens étroit, est prouvé par la relation dans laquelle les jurisconsultes mettent l’imperium et la juridiction civile et sera étudié à propos de cette dernière. — Il est à peine besoin de remarquer qu’Imperium désigne, en même temps que la magistrature suprême, le temps pendant lequel elle existe (Salluste, Cat. 6, 7 ; Gaius, 4, 105 ; Tacite, Ann. 1, 80).

[49] Consules et ceteri qui habent imperium (Varron, dans Aulu-Gelle, 13, 12, B). L’organisation des licteurs montre en particulier que la différence de l’imperium entre ses divers titulaires, dictateurs, consuls, préteurs, existe pour ainsi dire plutôt quantitativement que qualitativement.

[50] Il faut, pour la notion de l’imperium, se tenir à ces applications précises, et généralement correctes, en y joignant l’absence non moins caractéristique de l’emploi du mot pour les autres magistratures. Ce ne peut être par hasard que le mot se rencontre partout où sont les licteurs et les faisceaux et qu’on ne le trouve pas où ils font défaut. Cependant il subsiste quelques difficultés, non seulement où l’interprétation est embarrassée par l’accumulation de mots plus ou moins exactement synonymes, mais dans les applications particulières qui sont en général beaucoup plus précises. Les triumvirs pour la fondation de colonies ne paraissent avoir eu, à l’époque ancienne, qu’une puissance identique à celle des censeurs : Tite-Live, 31, 53, 1, leur attribue pourtant imperium in triennium ; ce ne peut être que par une négligence de langage. Il sera question, au sujet de l’imperium militaire, d’un second texte (9, 30, 3) encore plus surprenant.

[51] C’est ainsi que l’on attribue tant aux tribuns consulaires qu’aux décemvirs tantôt la consularis potestas tantôt le consulare imperium (v. les preuves dans les parties qui leur sont relatives).

[52] Imperium potestasve dans la lex Rubria de Gallia cisalpina (C. I. L. I, 203) 1, 51, et dans la loi municipale de César pour la colonie Genetiva (c. 94, 423), l’une et l’autre visant les magistrats municipaux. La lex Julia municipalis (C. I. L. I, 206) dit dans le même cas magistratus potestasve (3. 84, 133. 140. 143), peut-être pour réserver aux magistrats de l’État romain l’expression plus relevée imperium. Les expressions imperium et potestas sont également souvent rapprochées de cette façon dans les ouvrages juridiques, par ex. Digeste 4, 6, 26, 2 : Consulem prætoremve ceterosque qui imperium potestatemve quam habent. 48, 4, 1, 1. tit. 6, 1. 10 p : Paul, 5, 5 A, 1. Dans les deux mots de cette formule, potestas parait désigner de préférence la puissance inférieure et imperium la supérieure. Cependant l’on rencontre aussi imperium et potestas employés cumulativement pour ceux qui ont la plénitude de l’imperium (Cicéron, Verr. act. 1, 13, 37 : Erit tunc consul Hortensius cum summo imperio et potestate. Le même, Ad Qu. fr. t, 1, 10, 31 : in istis urbibus cum summo imperio et potestate versaris. Ulpien, Digeste 1, 4, 1, pr.), ce qui ne peut être considéré que comme un pléonasme. — A l’époque récente de l’Empire probablement par suite d’une abréviation incorrecte de la formule potestas gladii, potestas est parfois (Digeste 2, 1, 3 et aussi 41, 10, 32) employé comme signifiant la pleine juridiction criminelle et par suite en ce sens comme plus énergique qu’imperium ; ce dernier point sera traité, tome III, au sujet de la juridiction criminelle des gouverneurs de provinces.

[53] Festus, Ep. p. 50 : Cum imperio est dicebatur apud antiquos, eui nominatim a populo dabatur imperium ; cum potestate est dicebatur, de eo, qui a populo negotio alicui præficiebatur. Il est traité d’une façon plus approfondie de la désignation cum imperio dans la partie du Commandement militaire.

[54] Il est à remarquer ici que les officiers qui ne sont pas issus du suffrage populaire, ni les soldats, ni les agents des magistrats ne sont jamais considérés comme magistrats et n’ont aucune puissance indépendante. On peut mettre le rapport du tribun militaire avec le centurion sur la même ligne que celui du consul avec le questeur ; mais le premier ne rentre pas et le second seul rentre dans la théorie de la puissance des magistrats.

[55] Il a été parlé de la distinction des magistratus majores et minores en tant que ces qualifications sont employées ou sens absolu. Il n’est ici question que du rapport relatif de puissance.

[56] C’est dans la disposition de la table de Salpensa sur l’appel de l’édile ou du questeur au duumvir, dont il sera traité avec plus de détails au sujet de l’intercession, que ce rapport apparaît le plus nettement.

[57] Abstraction faite de la situation générale de la censure, que l’on ne pourrait pas sans réserve considérer comme déterminante pour la relation primitive des magistratures, on pourrait, en particulier, argumenter dans ce sens de ce que les censeurs ont, comme les magistrats munis de l’imperium, les maxima auspicia (voir la partie des Auspices). Traduit dans les faits, cela peut signifier simplement que le préteur n’a pas le droit de citer le censeur devant lui et qu’il n’y a pas d’appel au consul de la décision du censeur. Mais on ne peut pas aller jusqu’à reconnaître au censeur le droit d’intercession contre l’édile et le questeur. Les développements seront donnés, tome IV, dans la théorie de la Censure.

[58] Le consul peut renvoyer le proconsul d’un territoire (Denys, 17-18, fr. 4, éd. Kiessling) et le second descend de cheval devant la premier (Aulu-Gelle, 2, 2, 13). Le proconsul L. Volumnius adjutor du consul Q. Fabius (Tite-Live, 10, 26, 3, rapproché de c. 22, 9). Le propréteur (en qualité de représentant) est sous la juridiction du préteur (Tite-Live, 29, 20).

[59] Un tel imperium majus fut demandé pour la première fois pour Pompée, lors de sa cura annonæ, en 697 (Cicéron, Ad Att. 4, 1, 7), et fut pour la première fois accordé à Brutus et Cassius en 711 (Appien, B. c. 4, 58. Velleius, 2, 62). Les détails sont donnés, tome IV, dans la théorie des Pouvoirs extraordinaires.

[60] Cette puissance elle-même est étudiée en son lieu : il suffit ici de remarquer que, dans les cas où le grand pontife a le jus multæ dictionis, il peut l’exercer même contre les consuls, ainsi que le montrent les multæ prononcées contre les consuls A. Albinus en 512 et L. Flaccus en 623, qui sont discutées là. Il n’y a pas contradiction à ce que le consul ou le préteur puisse être dans le cas de prononcer une multa contre le grand pontife, et sur ce point le débat juridique du même genre dé 565 nous fournit un témoignage. — Il n’y a pas, à ma connaissance, d’exemple de collisions analogues entre grand pontife et tribun ; cependant, Cicéron disant, De domo 45, 117, que le tribun peut légalement inviter le pontife à accomplir une dedicatio et l’y contraindre au besoin (vel denuntiare sel etiam cogere), on pourrait en conclure que le tribun pouvait recourir à la prononciation d’une multa et aux autres moyens de coercition contre le pontife et même le grand pontife, mais non que celui-ci pût y recourir contre le tribun.

[61] Ceci est examiné de plus prés, tome III, dans la partie du Tribunat du peuple. Si le tribun du peuple n’avait qu’égalité de puissance avec les consuls, cela suffirait bien pour expliquer l’intercession du tribun ; mais l’inadmissibilité de l’intercession des consuls contre les tribuns et le droit de coercition des tribuns contre les consuls impliquent forcément l’idée de major potestas. Certainement de ce que la tribunicia potestas mérite d’être appelée major en face de la consulaire, il ne résulte pas qu’elle ait été crûment appelée de ce nom. Un pourrait supposer que la puissance tribunicienne reste absolument en dehors de la théorie de la par majorve potestas, et s’appuyer sur Cicéron, qui, après avoir cité dans sa constitution, De leg. 3, 3, 0, l’intercession de la par majorve potestas, y met encore, 3, 3, 9, la réglé spéciale : Quod, ii (tribuni pl.) prohibessint... ratura esto. Mais cette esquisse n’est pas faite suivant un plan rigoureux. Puis, quand Varron, dans Aulu-Gelle, 14, 7. G, fait le droit d’intercession contre les sénatus-consultes uniquement dépendre de la par majorve potestas, il serait inconcevable qu’il eût fait abstraction de l’intercession de beaucoup la plus importante et la plus fréquente. Diodore, 12, 25, désigne aussi expressément les tribuns comme μεγίστας έχοντας έουσίας τών κατά πόλιν άρχόντων, et le consul nomme de même dans Denys, 7, 50, le tribunat du peuple κρείττω τιμήν ήν δεδώκατε ΰμεΐς τοΐς ύπάτοις. En général les écrivains se bornent à dire qu’en face du consul, οί άρχοντες οί λοιπσί πάντες ύποτάττονται καί πειθαρχοΰσι πλήν τών δημάρχως, suivant l’expression de Polybe (6, 12, 2), ou, selon les expressions équivalentes de Cicéron (De leg. 3. 7, 15) : Ut ei reliqui magistratus omnes pareant excepta tribuno. Il manque là une observation qui n’aurait pas été moins vraie, mais qui aurait mal sonné aux oreilles aristocratiques ; c’est que non seulement le tribun n’obéit pas au consul, mais que le consul obéit au tribun.

[62] Cf. tome III, la théorie de la Dictature. Il est certain que la dictature optima lege n’était pas soumise à l’intercession ; il est vraisemblable que la dictature affaiblie des temps plus récents y était soumise.