CHARLES-QUINT

SON ABDICATION, SON SÉJOUR ET SA MORT AU MONASTÈRE DE YUSTE

 

CHAPITRE VII. — PROTESTANTISME EN ESPAGNE. - DON JUAN D'AUTRICHE.

 

 

Découverte de deux foyers de protestantisme à Valladolid et à Séville. — Doctrines luthériennes répandues dans la Vieille-Castille et dans l'Andalousie par Augustin Cazalla et Constantin Ponce de la Fuente, qu'avaient suivi Charles-Quint en Allemagne comme chapelains et prédicateurs. — Nombre et qualité de tours adhérents. — Indignation et trouble de Charles-Quint à l'annonce de cette découverte. — Ses lettres à la Princesse doña Juana et à Philippe II. — Ses invitations à l'inquisiteur général Valdès. — Procès de Cazalla, de Constantin Ponce de la Fuente et de leurs adhérents dont Charles-Quint presse la conclusion. — Auto-dafé de Valladolid et de Séville. — Établissement au village de Quacos de doña Magdalena de Ulloa et de don Juan d'Autriche, fils naturel de Charles-Quint. — Déclaration secrète de Charles Quint au sujet de la naissance de don Juan ; ses dispositions pour lui. — Education de don Juan, son séjour à Quacos, ses visites à Yuste. — Désir qu'exprime la princesse régente d'aller baiser les mains de son père au couvent, et de laisser auprès de lui le prince d'Espagne don Carlos, afin de le placer sous sa direction. — Préoccupations que donnent à Charles-Quint la marche du duc de Guise vers les Pays-Bas et l'apparition de la flotte turque dans la Méditerranée. — Conseils qu'il fait entendre ; précautions qu'il prescrit. — Prise de Thionville et d'Arlon par le duc de Guise ; invasion de la Flandre maritime par le maréchal de Thermes ; ravage de Minorque par les Turcs. — Bataille de Gravelines ; défaite du maréchal de Thermes par le comte d'Egmont. — Joie qu'en éprouve Charles-Quint. — Résultats divers de cette campagne. — Négociations ouvertes à Cercamp et terminées à Cateau-Cambrésis par une paix qui assure la supériorité de l'Espagne, mais que ne peut pas voir Charles-Quint.

 

Charles-Quint ne goûta pas longtemps dans leur tranquille pureté les satisfactions auxquelles il avait si vivement aspiré, de n'être plus rien et de ne répondre que de lui-même. Un événement fort inattendu vint bientôt troubler la paix de sa solitude et inquiéter sa foi. On découvrit coup sur coup deux foyers de protestantisme en Espagne : l'un existait au centre de la Vieille-Castille, à Valladolid, où résidait la cour ; l'autre, dans la ville la plus commerçante, la plus éclairée, la plus considérable de l'Andalousie, à Séville.

Aucun pays cependant ne semblait être mieux que l'Espagne à l'abri des doctrines religieuses qui, avec des caractères en quelques points dissemblables et sous des formes un peu différentes, prévalaient en Allemagne, dominaient en Suède et en Danemark, étaient admises dans la majeure partie de la Suisse, gagnaient la France, pénétraient dans les Pays-Bas, et allaient bientôt reprendre possession de l'Angleterre. Le tribunal du Saint-Office devait, par la crainte de ses châtiments et les rigueurs de sa surveillance, les empêcher d'y naître ou de s'y introduire. Ce tribunal, après la conquête de tout le royaume sur les Maures, avait reçu de Ferdinand d'Aragon et d'Isabelle de Castille une organisation et une autorité des plus redoutables, afin d'établir l'unité nationale par l'uniformité religieuse. Investie des pouvoirs de la couronne et des droits de l'Église, la nouvelle inquisition espagnole avait suffi à déterminer violemment la conversion ou l'expatriation des Juifs et des Maures. Elle avait fait périr plus de vingt mille victimes dans les flammes, poussé en fugitifs sur la terre étrangère plus de quatre cent mille Israélites et cinq cent mille musulmans[1], et rendu la Péninsule toute catholique en apparence, depuis les confins de la Navarre jusqu'aux extrémités de l'Andalousie, depuis Pampelune jusqu'à Grenade. Instituée par le roi, confirmée par le souverain pontife, ayant à sa tête un inquisiteur général, gouvernée par un conseil suprême, exercée, dans chaque grande province, par des tribunaux particuliers, couvrant de ses familiers, de ses alguazils, de ses juges, tout le territoire espagnol, unissant en beaucoup de points la juridiction civile à la juridiction religieuse, et poursuivant les délits en même temps que les croyances, n'ayant à subir aucun contrôle, car elle prononçait sans appel, exigeant et récompensant la délation, procédant dans le mystère et par la torture, infligeant les peines les plus cruelles et les plus déshonorantes, déterrant les morts, brûlant les vivants, confisquant les biens des condamnés, et dégradant leurs familles frappées d'incapacité durant plusieurs générations, l'inquisition devait contenir les esprits entreprenants, terrifier les consciences chancelantes, et interdire sans peine toute dissidence dans la foi au midi des Pyrénées.

Ce formidable instrument d'uniformité, que Ferdinand le Catholique avait employé contre les races étrangères, Charles-Quint s'en était servi contre les doctrines hétérodoxes. Ce que l'aïeul avait fait pour la nationalité, le petit-fils le fit pour la religion. Continuateur de l'œuvre de Ferdinand, Charles-Quint, autant par croyance que par politique, maintint avec inflexibilité l'orthodoxie chrétienne dans ses États héréditaires. Il ne différa à cet égard ni de son grand-père Ferdinand, qui compléta pour ainsi dire le catholicisme espagnol, ni de son fils Philippe II, qui soutint de sa puissance le catholicisme européen. Il fut tout à fait de sa race, il partagea la violence de son zèle, et il obéit à la loi de sa position. S'il y contrevint en Allemagne, par suite des nécessités qui l'obligèrent passagèrement à tolérer ceux qu'il aurait voulu combattre, à transiger avec ce qu'il désirait détruire, il en éprouva des regrets profonds. Il craignit, comme il le disait sur le trône et dans le cloître, d'y avoir exposé une partie de son salut. Mais ailleurs il pratiqua durement cette politique religieuse. Il affermit l'inquisition en Espagne, la fortifia en Sicile, la fit recevoir dans les Pays-Bas, et il essaya même de l'établir à Naples, où le peuple se souleva contre elle et le contraignit de renoncer à cette institution odieuse[2].

Défenseur ardent de l'Église orthodoxe dans ses pays héréditaires, ennemi déclaré, quoique impuissant, des nouveautés protestantes dans l'Empire électif d'Allemagne, comment lui fut-il réservé de voir ces nouveautés introduites dans la Péninsule si bien protégée contre elles par le concert de la royauté et de l'inquisition ? Les doctrines luthériennes, que la connaissance des langues grecque et hébraïque, l'étude des textes sacrés, quelques communications avec de hardis controversistes d'outre Rhin, et la lecture de leurs ouvrages, avaient déjà fait pénétrer précédemment en Espagne, où elles avaient été étouffées[3], y furent alors répandues de nouveau, et plus abondamment par ceux-là mêmes qui avaient suivi Charles-Quint en Allemagne de 1546 à 1552. Mis en contact avec elles, plusieurs prédicateurs et chapelains espagnols de l'Empereur en furent bientôt atteints. L'examen animé des dogmes les conduisit plus loin encore que n'avaient été menés précédemment quelques linguistes espagnols par la science interprétative des textes sacrés. Alors, dans l'Europe érudite et raisonneuse, hardie par curiosité, religieuse en esprit, tout précipitait vers l'hérésie : le savoir y disposait, la piété en rapprochait, la controverse y entraînait. C'est ce qui arriva à deux des principaux théologiens de Charles-Quint, à Constantin Ponce de la Fuente et à Augustin Cazalla, pendant la croisade catholique que le fervent Empereur avait entreprise contre le protestantisme allemand.

Constantin Ponce étendit en Andalousie le germe des innovations que Cazalla propagea dans la Vieille-Castille. La ville de Séville, où se retira le docteur Constantin, était déjà soumise à l'active surveillance du Saint-Office, qui y avait poursuivi comme suspects des hommes recommandables par l'étendue de leurs connaissances et la pureté de leur vie, le chanoine magistral de l'église métropolitaine Juan Gil, évêque élu de Tortose, et le docteur Vargas, formé à l'université d'Alcala de Hénarès : le premier était éloquent dans ses sermons ; le second, profond dans ses écrits. L'inquisition avait fait, en 1550, le procès à Juan Gil, qu'elle avait réconcilié en 1552, en le gardant en prison jusqu'en 1555[4]. Lorsque Juan Gil, dont les os furent brûlés plus tard dans un auto-dafé, mourut en 1556, il fut remplacé, comme chanoine magistral de Séville, par Constantin Ponce, qui avait refusé cette position éminente à Cuenca et même à Tolède. Constantin dirigeait auparavant, dans cette brillante capitale de l'Andalousie, le collège de la Doctrine et y avait fondé une chaire alarmante d'Écriture sainte. Les trois savants docteurs avaient répandu, avec un mystère que devait percer à la longue l'œil toujours ouvert de l'inquisition, et avec un succès qui, pour être grand, n'en devait pas moins être court, les opinions proscrites. Après que la main du Saint-Office se fut étendue sur Juan Gil, beaucoup de luthériens cachés quittèrent Séville et se retirèrent ou dans la tolérante Venise ou dans la libre Genève : de ce nombre avaient été Cassiodoro de Reina, Juan Perez de Pineda, Cipriano de Valera et Julianillo Hernandez de Villaverde. De la terre étrangère, ces fugitifs, voulant servir dans leur pays la cause pour laquelle ils s'exilaient, avaient traduit en langue castillane et fait imprimer des catéchismes, des versions de la Bible, des sommaires de la doctrine chrétienne, selon l'interprétation protestante. L'entreprenant Julianillo s'était chargé de les y transporter : déguisé en muletier, il était parvenu à les introduire dans la Péninsule. Deux tonneaux qui en étaient pleins avaient été secrètement déposés et chez don Juan Ponce de Léon, second fils du comte de Baylen, cousin germain du duc d'Arcos et parent de la duchesse de Béjar, et dans le couvent hiéronymite de San Isidro del Campo[5], hors de Séville, dont le prieur, le vicaire, le procurador et la plupart des moines étaient attachés aux croyances réformées. Celles-ci avaient été adoptées par des moines dominicains, comme fray Domingo de Guzman, fils du duc de Medina Sidonia, le prédicateur du couvent de Saint-Paul, et par des religieuses franciscaines du couvent de Sainte-Elisabeth qui s'y étaient laissé gagner. L'Église luthérienne se tenait dans la maison d'Isabelle de Baena, dame pieuse et opulente de Séville[6].

L'ancien prédicateur de Charles-Quint, Constantin Ponce de la Fuente, attirait plus qu'un autre des partisans à ces croyances. Il avait paru avec éclat dans la chaire de la métropole, autour de laquelle accouraient la noblesse andalouse et le clergé de Séville. Dans ses sermons, le docteur Constantin mêlait beaucoup de maximes luthériennes aux dogmes consacrés : il accoutumait ainsi ses auditeurs aux nouveautés religieuses. Le Père François de Borja l'ayant entendu en 1557, lors de son passage à Séville, compara le sermon de Constantin Ponce au cheval de Troie, et engagea les catholiques à s'en défier comme d'un piège destiné à surprendre leur foi[7]. Les dominicains, qui vinrent l'écouter pour le perdre, allèrent plus loin que le commissaire général des jésuites : ils le dénoncèrent à l'inquisition. Celle-ci, ayant sa doctrine pour suspecte, l'appela plusieurs fois au château de Triana, où siégeait le tribunal du Saint-Office, pour y rendre compte de certaines propositions qu'il avait avancées. Elle aurait bien été tentée de le poursuivre ; mais, sachant la grande considération que Charles-Quint avait pour lui, elle ne l'osait pas. Les amis du docteur Constantin ne s'alarmèrent pas moins de le voir appeler si souvent au château de Triana, et ils lui demandèrent avec anxiété pourquoi les inquisiteurs l'y faisaient venir. Pour me brûler, leur répondit-il ; mais ils me trouvent encore trop vert[8]. Afin cependant d'éviter le sort dont il se sentait menacé, il se débarrassa des livres de Luther et de Calvin qu'il avait chez lui et de ses propres manuscrits, qui contenaient une doctrine semblable à celle de ces grands novateurs ; il les confia à une femme dont les sentiments religieux comme la loyale fidélité lui étaient connus, à la veuve doña Isabel Martinez, qui cacha ce dangereux dépôt derrière un mur de la cave de sa maison. Il n'en demeura pas moins dans Séville exposé au péril que douze hiéronymites de San-Isdro del Campo eurent la prudence de fuir en se retirant à Genève.

Pendant que cela se passait en Andalousie, Agustin Cazalla poursuivait la propagande luthérienne au cœur de la Vieille-Castille. D'une famille notable de l'administration financière espagnole, il avait pour père le contador mayor à Valladolid. Le docteur Agustin avait étudié à l'université d'Alcala de Hénarès. Prêtre régulier et chanoine éloquent de Salamanque, il avait été choisi par Charles-Quint comme l'un de ses prédicateurs. Il était instruit, doux, pieux, irréprochable dans ses mœurs, d'un esprit hardi et d'un caractère faible. Après avoir quitté l'Empereur, il revint dans son canonicat de Salamanque avec les opinions qu'il avait embrassées en Allemagne ; il les exposa dans l'ombre à Valladolid, où il allait souvent et où elles firent des progrès quelque temps inaperçus. Les conciliabules se tenaient dans la maison de sa mère, doña Léonor de Vibero. Cette maison servait comme de temple aux nouveaux luthériens ; on y lisait les livres saints, et l'on y entendait la parole évangélique. Agustin Cazalla avait converti des ecclésiastiques, des avocats, des juges, des personnes considérables par leur noblesse ou par leur position. Ce centre de protestantisme, placé dans le voisinage de la cour et dont les rayons s'étendaient jusqu'à Zamora, Toro et Logroño, fut découvert avant celui de Séville par l'inquisiteur général Valdès, au printemps de 1558.

Vasquez de Molina et la régente d'Espagne instruisirent, le 27 avril[9], l'Empereur de cette découverte, qui l'affligea profondément. Charles-Quint fut tout à la fois irrité et troublé en apprenant que les croyances nouvelles avaient envahi l'Espagne. Il voulut qu'on agît avec la dernière rigueur contre ceux qui s'y étaient laissé surprendre. Dans sa recommandation, sévère jusqu'à la cruauté, on trouve le politique espagnol qui ne voulait pas de cause de dissidence dans l'État, et le catholique ardent qui avait l'hérésie en horreur et craignait de s'être montré ailleurs trop tolérant envers elle. Sérénissime princesse, ma très-chère et aimée fille, disait-il à la régente... quoique je sois certain que, cela touchant si fort à l'honneur et au service de Notre-Seigneur, ainsi qu'à la sûreté de ces royaumes, où, par sa bonté, il a conservé intacte la religion, on procédera aux enquêtes et aux poursuites avec une extrême diligence, je vous prie le plus instamment que je peux d'ordonner à l'archevêque de Séville de ne pas s'absenter de la cour ; chargez-le de pourvoir à tout des divers côtés, et invitez très-étroitement de ma part ceux du conseil de l'inquisition à faire en ceci tout ce qu'ils jugeront convenir. Je m'en repose sur eux, pour qu'ils coupent court au mal bien vite, et sur vous, pour que vous leur donniez l'appui et leur communiquiez l'ardeur dont ils auront besoin. Il faut que ceux qui seront trouvés coupables soient punis avec l'éclat et la rigueur qu'exige la qualité de la faute, et cela, sans excepter une seule personne. Si je m'en sentais la disposition et la force, je tâcherais de contribuer pour ma part à ce châtiment, et j'ajouterais cette peine à ce que j'ai déjà souffert au même sujet ; mais je sais que cela n'est pas nécessaire et qu'en tout on agira comme il convient. Il insistait pour qu'on punît vite et rudement ces luthériens : car, disait-il[10], il ne peut y avoir ni repos ni prospérité là où il n'y a pas conformité de doctrine, ainsi que je l'ai appris par expérience en Allemagne et en Flandre.

La princesse doña Juana montra la lettre de l'Empereur à l'inquisiteur général Valdès, dont le zèle n'avait pas besoin d'être excité. L'avare et dur archevêque de Séville était plus disposé à immoler des hérétiques à la conservation de la foi qu'à se dessaisir de ses ducats pour la défense du pays. Il poursuivit les luthériens espagnols avec un infatigable acharnement : il parvint à s'emparer de fray Domingo de Rojas, fils du marquis de Rojas, qui s'était caché ; et il fit arrêter en même temps le frère de celui-ci, don Pedro Sarmiento de Rojas, chevalier de l'ordre militaire de Saint-Jacques et commandeur de Quintana, et sa femme ; don Luis de Rojas, petit-fils du marquis et héritier de cette maison ; doña Ana Enriquez, fille de la marquise de Alcañices, et Juana Velasquez, qui était de sa maison. A Logroño, le caballero don Carlos de Seso ou Sesse et le licencié Herrera ; à Valladolid, doña Francisca de Zuñiga, fille du licencié Baeza, les deux frères du docteur Cazalla, tous deux membres du clergé, ainsi que l'une de ses sœurs, doña Catalina de Ortega, fille du licencié Hernando Diaz, la béate Juana Sanchez et l'orfèvre Garcia ; à Toro, don Juan de Ulloa, de l'ordre de Saint-Jean, et le licencié Hernando ; à Zamora, don Cristoval de Padilla ; à Palo, Pedro Sotelo ; enfin Anton Pazon, serviteur de Luis de Rojas, furent pris et enfermés dans les prisons du saint office. L'inquisiteur général Valdès adressa à Philippe II, sur une aussi grave découverte et sur ces nombreux emprisonnements, un long rapport, qu'il transmit également à Charles-Quint. Quoique l'inquisition n'eût pas pénétré encore dans le foyer protestant de Séville, Charles-Quint éprouva une douloureuse surprise en apprenant les ravages faits en tant de lieux dans les croyances catholiques. Il écrivit, le 25 mai, à la régente :

Croyez, ma fille, que cette affaire m'a mis et me tient en grand souci et me cause une si vive peine, que je ne saurais vous l'exprimer, en voyant surtout que ces royaumes, durant l'absence du roi et la mienne, ont été dans une entière quiétude et ont échappé à cette calamité, et qu'aujourd'hui, où je suis venu m'y retirer, m'y reposer et y servir Notre-Seigneur, il y survienne, en ma présence et en la vôtre, une aussi énorme et aussi impudente abomination à laquelle se sont laissé entraîner de semblables personnes, sachant que j'ai supporté sur cela tant de fatigues et de dépenses en Allemagne, et que j'y ai exposé une si grande partie de mon salut. Assurément, sans la certitude que j'ai que vous, et les membres du conseil qui sont auprès de vous, extirperez le mal jusqu'à la racine, puisque ce n'est encore qu'un commencement dépourvu de profondeur et de force, en châtiant avec rigueur les coupables pour l'empêcher de passer plus avant, je ne sais si je me résignerais à ne pas sortir d'ici pour y remédier moi-même. Il ajoutait qu'il fallait être impitoyable, et qu'il avait autrefois agi de cette façon en Flandre, où l'hérésie était entrée par le voisinage de l'Allemagne, de l'Angleterre et de la France. Les États du pays s opposèrent à l'établissement de l'inquisition, parce qu'il n'y avait pas de Juifs ; mais on désigna un certain nombre d'ecclésiastiques chargés de rechercher ceux qui tomberaient dans l'hérésie, et immédiatement de leur ôter la vie et de confisquer leurs biens : on brûlait vifs ceux qui s'y obstinaient, et on tranchait la tête à ceux qui s'en repentaient et se réconciliaient avec l'Église. Croyez, ma fille, disait Charles-Quint en terminant sa lettre[11], que, si dans le principe il n'est pas fait usage des châtiments et des remèdes propres à arrêter un pareil mal, et cela sans épargner qui que ce soit, je n'espère pas que plus tard ni le roi ni personne soit en état de l'arrêter.

Le même jour Charles-Quint écrivit à Vasquez, à Quijada, à la reine de Hongrie et à Philippe II[12]. Quoiqu'il eût déposé toute autorité, il conservait encore l'habitude du commandement, et le souverain se retrouva jusqu'au bout dans le solitaire. Aussi s'adressa-t-il de nouveau à Vasquez comme à son secrétaire[13]. En même temps il ordonna à Quijada de se rendre de Villagarcia à Valladolid et de conférer en son nom sur cette affaire avec sa fille la régente, avec l'inquisiteur général Valdès, avec les membres des conseils d'État, de Castille et d'inquisition, en les poussant à agir sans délai, à frapper sans merci. Il communiqua au roi son fils tout ce qu'il avait déjà fait à cet égard, en lui recommandant de montrer en cette rencontre une sévérité inexorable. Philippe II, dont les sentiments étaient en parfait accord avec ceux de son père, dans l'exaltation de sa joie fanatique, mit en marge de la lettre de l'Empereur[14] : Baisez-lui les mains pour ce qu'il prescrit à cet égard, et suppliez-le de continuer. Il l'en remercia vivement et se reposa sur lui des mesures qu'il y avait à prendre : J'ai vu, disait-il à sa sœur dans une lettre postérieure[15], ce que l'archevêque de Séville et ceux du conseil de la sainte inquisition nous ont écrit et ce que l'Empereur mon seigneur a envoyé l'ordre de faire, selon les sentiments qu'éprouve Sa Majesté et le saint zèle qu'elle a toujours eu et qu'elle a pour la conservation et l'accroissement de la foi catholique. Je suis certain qu'il a été mis et qu'il se met toute la diligence nécessaire et possible contre les inculpés, et qu'on ne retirera pas la main de cette affaire jusqu'à ce qu'ils aient été punis et frappés avec toute rigueur, exemplairement, comme le requiert la nature du cas, qui intéresse le service de Dieu, le bien, la sûreté et le repos de ces royaumes. Afin qu'il n'y ait aucun retard dans ce qu'il sera besoin d'exécuter en m'envoyant consulter ici où je suis occupé de la guerre, j'écris à l'archevêque de Séville et au conseil de l'inquisition de rendre particulièrement compte à Sa Majesté de ces affaires, étant assuré qu'elle voudra bien prendre la peine de les entendre, d'y pourvoir, et de résoudre ce qui conviendra, comme je l'en envoie supplier par la lettre que je lui écris de ma main.

Quijada n'avait pas trouvé la régente et l'archevêque de Séville à Valladolid ; ils étaient aller passer les fêtes de la Pentecôte dans le bois royal de l'Abrojo. Quijada s'y rendit. Il transmit à la fille les impérieuses recommandations de son père. Dona Juana l'envoya auprès de l'inquisiteur général Valdès, du président du conseil de Castille Juan de Véga et des membres les plus importants des divers conseils du royaume. Quijada trouva l'archevêque de Séville non pas moins ardent, mais moins pressé que l'Empereur. Valdès voulait, conformément aux effrayantes pratiques de l'inquisition, mettre une lenteur habile dans les recherches pour arriver à une sévérité complète dans les châtiments. Quijada lui ayant dit de la part de Charles-Quint[16] : Il convient de se hâter en cette occasion, et de punir ceux qui ont avoué dans les délais plus courts qu'on n'a coutume de le faire. — C'est ce que beaucoup de personnes demandent, répondit l'archevêque, et ce que le peuple même dit publiquement. J'en suis fort aise, car cela me prouve qu'on ne me condamne point et qu'on désire que justice se fasse des hérétiques. Mais il n'est pas à propos de la faire si prompte : on ne pourrait pas bien pénétrer dans toute cette affaire et la connaître à fond. Les chefs eux-mêmes la découvriront. Il ne convient pas d'aller plus vite qu'on ne le fait. On procède de manière à savoir toute la vérité ; car, si les inculpés ne la confessent pas un jour, ils la confesseront un autre, soit par persuasion, soit par contestation ; et, s'ils s'y refusent, on les y amènera par les mauvais traitements et par la torture. Ainsi on sera instruit de tout.

Cependant le conseil de l'inquisition et le conseil d'Etat, consultés à ce sujet, déclarèrent que, selon le vœu de l'Empereur, on ne perdrait pas un moment. — Ils désirent tous, écrivit Quijada à Charles-Quint[17], servir avec empressement Dieu et Votre Majesté. Ce qu'ils voient en elle les a animés d'une grande sollicitude et les pousse à agir plus vite. Le peuple aussi, ayant su la volonté avec laquelle Votre Majesté s'offrait à sortir du monastère pour se charger de cette fatigue, en a montré un grand contentement. Les poursuites ne se ralentirent point, et chaque jour de nouveaux prisonniers furent arrêtés. L'inquisiteur général Valdès nomma comme son délégué dans la Vieille-Castille don Pedro de la Gasca, évêque de Valladolid, et il envoya au même titre en Andalousie don Juan Gonçalez de Munibrega, évêque de Tarazona.

On venait de découvrir les luthériens jusque-là cachés de Séville. L'inquisition de cette ville emprisonna le savant Vargas, le pieux, mais simple fray Domingo de Gusman. Elle n'appela plus au château de Triana l'éloquent et suspect Constantin Ponce de la Fuente, elle le fit jeter dans un cachot. Ses livres et ses manuscrits avaient été trouvés dans la muraille où les avait cachés la veuve doña Isabel Martinez, qui avait été poursuivie comme hérétique et dont le fils épouvanté les livra aux familiers du saint office. Le docteur Constantin, dénoncé par ses propres ouvrages, et contre lequel portaient cette fois témoignage les grands hérésiarques dont les livres étaient en sa possession et dont les pensées étaient d'accord avec les siennes, ne put recourir à aucun subterfuge ; il ne contesta plus rien. Il fut plongé dans une fosse profonde, obscure, humide, infecte, et traité avec d'autant plus de rigueur par l'inquisition, qu'elle s'était imposé plus de ménagements envers lui. Lorsqu'il apprit l'arrestation de son ancien prédicateur, Charles-Quint, qui connaissait toute la force de son esprit, dit : Si Constantin est hérétique, il est un grand hérétique. Mais il ajouta en parlant de fray Domingo de Gusman : On aurait pu l'enfermer comme idiot plutôt que comme hérétique[18].

Les inquisiteurs firent saisir dans Séville plus de huit cents personnes de tout sexe et de tout rang. La terreur se répandit dans la cité populeuse, d'où beaucoup de suspects s'enfuirent et allèrent chercher un asile en Angleterre, en Suisse, en Allemagne. Ces expatriés, dans le sûr abri de leur refuge, publièrent contre l'inquisition deux écrits dont l'un avait été précédemment adressé à l'Empereur, auquel l'avarice ruineuse, l'ignorance chrétienne, l'inhumanité féroce du saint office, étaient représentées avec l'accent de la plainte la plus pathétique et de l'indignation la plus véhémente[19]. Mais Charles-Quint, à qui l'inquisition avait été si vivement dénoncée, la regardait, au contraire, comme le moyen le plus efficace de maintenir l'autorité religieuse et l'unité nationale. C'est ce qu'il dit au prieur de Yuste, fray Martin de Angulo, devant lequel il regretta même de n'avoir pas arrêté, en 1521, le cours du protestantisme par la mort de Luther, qui s'était placé sous sa main à Worms[20] ; c'est ce qu'il exprima encore dans son codicille quelques jours avant de mourir, en signifiant ses suprêmes volontés au roi son fils : Je lui ordonne, disait-il[21], en ma qualité de père et par l'obéissance qu'il me doit, de travailler soigneusement à ce que les hérétiques soient poursuivis et châtiés avec tout l'éclat et la sévérité que mérite leur crime, sans permettre d'excepter aucun coupable et sans égard pour les prières, le rang et la qualité des personnes. Et, afin que mes intentions puissent avoir leur plein et entier effet, je l'engage à faire partout protéger le saint office de l'inquisition pour le grand nombre de crimes qu'il empêche ou qu'il punit. Il se rendra digne par là que Notre-Seigneur assure la prospérité de son règne, conduise lui-même ses affaires, et le protège contre ses ennemis pour ma plus grande consolation.

Les sentiments de Charles-Quint comme ses conseils, les vues de sa politique comme les recommandations de son orthodoxie, ne le laissèrent point étranger aux terribles exécutions religieuses de Valladolid et de Séville en 1559 et 1560. Il ne vécut pas assez pour les voir, mais il les prépara. Il eut donc sa part dans les quatre auto-dafé qui furent célébrés avec tant de solennité à Valladolid, le 21 mai 1559, en présence de la régente doña Juana, de l'infant don Carlos, de toute la cour, et, le 2 octobre 1559, en présence du roi Philippe II ; à Séville, le 24 septembre 1559 et le 22 décembre 1560, devant le clergé et la noblesse de l'Andalousie. Le triste Cazalla, malgré ses repentirs, et les os de Constantin Ponce de la Fuente, quoiqu'il fùt mort dans son cachot avant la prononciation de sa sentence, furent placés sur les bûchers, dont les flammes dévorèrent soixante-trois victimes vivantes. A côté des immolés au nom du Dieu de miséricorde comparurent cent trente-sept autres condamnés à des peines moindres, qui, revêtus de l'ignominieux san benito, furent réconciliés avec l'Eglise. Ces effroyables holocaustes et ces dégradantes réconciliations s'accomplirent au milieu des témoignages d'assentiment et d'allégresse d'un clergé dominateur, d'une cour impitoyable, d'un peuple fanatique. L'inquisition s'y montra triomphante : après avoir vaincu l'hérésie, elle maîtrisa, pour ainsi dire, la royauté. Elle reçut les serments de fidélité sans restriction et d'appui sans réserve de la régente, du prince royal, du roi[22] ; elle avait déjà reçu les soumissions empressées de l'Empereur. Se conformant avec docilité aux défenses sévères de l'Église espagnole, qui interdisait l'usage de l'Ancien et du Nouveau Testament en langue vulgaire, l'Empereur demanda au saint office l'autorisation de lire la Bible en français[23] ; il l'obtint comme une faveur due à la sûreté de sa foi et au respect de sa puissance. Sa bible fut la seule qui resta dans la cour impériale de Yuste ; et le savant docteur Mathys fut contraint de détruire devant le confesseur Juan Regla un bel exemplaire français des livres saints qu'il avait apporté de Flandre[24], et que l'inquisition ne lui permit pas de garder.

Cependant le retour de l'été, qui s'était fait attendre, en 1558, plus que de coutume dans l'Estrémadure, avait un peu raffermi la santé si ébranlée de Charles-Quint. Les forces de Sa Majesté, écrivait le médecin Mathys le 18 mai[25], lui sont revenues dès après Pâques et lui donnent une extrême joie. Il y a plus de quinze jours que les cerises ont paru. L'Empereur en mange une grande quantité, ainsi que des fraises, avec lesquelles il a coutume de prendre une écuelle de crème. Il mange ensuite d'un pâté où entrent beaucoup d'épices, du jambon bouilli, du salé frit, et c'est ainsi que se fait la plus grande partie de son repas. Ces mets épicés et salés, joints à l'usage opiniâtre du poisson de mer, détruisaient en lui les effets tempérants des fruits. Ils contribuèrent à rendre de plus en plus forte l'éruption de ses jambes, qui finit par l'empêcher de dormir, et fut accompagnée de symptômes singuliers. Mathys s'en alarma, et il ajoutait, en déplorant les habitudes malsaines de son indocile malade : L'Empereur mange beaucoup, boit encore plus, ne veut rien changer à son ancienne manière de vivre, et se confie follement aux forces naturelles de sa complexion, qu'on voit souvent tomber plus tôt qu'on ne le croyait, principalement en un corps plein de mauvaises humeurs[26]. Néanmoins, à l'aide de bains, dont il prit quelquefois deux par jour, Charles-Quint calma, sans la dissiper, l'irritation de ses jambes. Il lui resta seulement une douleur de tête, qui se déclarait de temps en temps vers la fin du jour, et qui disparaissait avec sa collation du soir ou durant le sommeil[27]. L'ardente température du mois de juillet sembla dissiper ses maux. Il fait extrêmement chaud ici, écrivit alors Mathys[28], et avec la grande chaleur Sa Majesté se porte toujours bien.

Ce fut le premier jour du mois de juillet que Quijada amena dans l'Estrémadure sa famille, qu'il était allé chercher par l'ordre de l'Empereur à Villagarcia[29]. Il établit à Quacos, dans la plus apparente maison du village, qu'il avait fait arranger pour les recevoir, sa femme doña Magdalena de Ulloa et l'enfant qui devait être le vainqueur des Maures et des Turcs, le héros des Alpujaras, de Tunis et de Lépante. Ce fils naturel de Charles-Quint, si illustre plus tard sous le nom de don Juan, portait alors le nom obscur de Gerónimo. L'Empereur l'avait eu, le 24 février 1545, d'une jeune et belle fille de Ratisbonne, nommée Barbe Blomberg. Il avait soigneusement caché sa naissance à tout le monde, et l'avait confié, pendant ses jeunes années, à des mains sûres, mais vulgaires. En 1550, il l'avait fait remettre par deux des serviteurs de sa chambre, l'ayuda Adrien Dubois et l'huissier Ogier Bodard, seuls instruits de son secret, à Francisco Massi, son joueur de viole, qui retournait en Espagne avec Ana de Médina, sa femme. D'après un contrat passé le 13 juin, Massi avait pris à sa charge l'enfant, qu'il croyait appartenir à Adrien, et avait promis de le faire passer pour son propre fils et de le traiter comme tel ; il avait reçu pour le voyage et pour la première année cent écus, qui devaient être réduits à cinquante ducats les années suivantes[30].

Le papier qu'avait signé le joueur de viole Massi, et par lequel il s'engageait à restituer l'enfant lorsque Adrien l'enverrait chercher, avait été remis à Charles-Quint, qui l'avait déposé, en 1554, à côté de ses dispositions testamentaires les plus importantes et les plus intimes. Il l'avait placé avec le document secret concernant la Navarre et avec un écrit dans lequel il réglait lui-même le sort futur de son fils naturel. Outre ce qui est contenu, disait-il, dans mon testament, je déclare qu'étant en Allemagne depuis mon veuvage j'eus d'une femme non mariée un fils naturel qui se nomme Gerónimo. Mon intention a été et est, pour certaines raisons qui me portent à cela, que, si l'on peut facilement l'y acheminer, il prenne, de sa libre et spontanée volonté, l'habit de quelque ordre religieux de moines réformés, sans qu'on l'y dispose par aucune violence et aucune contrainte. Si l'on ne peut pas l'y décider et s'il préfère suivre la vie séculière, ma volonté et mon ordre sont qu'il lui soit donné régulièrement, chaque année, de vingt à trente mille ducats de rente sur le royaume de Naples, en lui assignant avec cette rente des terres et des vassaux. Pour l'assignation des terres et pour la quotité de la rente, je m'en remets à ce que déterminera le roi mon fils, ou, à son défaut, l'infant don Carlos, mon petit-fils... Au cas que ledit Gerónimo n'embrasse point l'état que je désire pour lui, il jouira de ladite rente et des terres tous les jours de sa vie, et après lui en jouiront ses héritiers et successeurs légitimes descendant de son corps. Quel que soit du reste le genre de vie pour lequel se décide ledit Gerónimo, je recommande expressément au prince mon fils, à l'infant mon petit-fils, de l'honorer et de commander qu'on l'honore, de lui accorder la considération qui convient, de garder, d'accomplir et d'exécuter le contenu de cette cédule, que j'ai signée de mon nom et de ma main, fermée et scellée de mon petit sceau secret, et qui doit être observée et mise à effet. comme une clause de mon testament. Fait à Bruxelles, le sixième jour de juin 1554[31].

Pour faire découvrir l'enfant, à l'existence duquel il pourvoyait avec une affectueuse sollicitude, il avait écrit sur un autre papier : Mon fils ou mon petit-fils..... si, lorsqu'on ouvrira mon testament et cette cédule, vous ne savez pas en quel endroit se trouve ce Gerónimo, vous pourrez l'apprendre d'Adrien, aide de ma chambre, et, en cas de sa mort, d'Ogier, huissier de ma chambre, afin qu'on use envers lui conformément à ce qui est dit ci-dessus..... Signé, moi le roi[32]. Renfermés sous une enveloppe cachetée, ces papiers avaient été laissés, lorsque l'Empereur était parti de Bruxelles en 1556, entre les mains de Philippe II, qui avait alors reçu la confidence de son père, et avait écrit sur l'enveloppe : Si je meurs avant Sa Majesté, que ceci soit remis entre ses mains ; si je meurs après, qu'on le donne à mon fils ou à mon héritier, sans faute[33].

L'enfant, confié à Massi, et mené par lui en Espagne dans l'été de 1550, avait vécu quelques années au village de Leganes, à deux lieues de Madrid. Libre au milieu des champs, il était plus souvent parmi les blés, à faire la chasse aux oiseaux avec une petite arbalète[34], qu'auprès d'Ana de Medina devenue bientôt veuve, et il aimait mieux courir et jouer avec les jeunes enfants de son âge qu'aller au presbytère recevoir quelques leçons de lecture du curé et du sacristain du village. Exposé tantôt aux rayons ardents du soleil qui brûlait le plateau de Castille, tantôt aux vents glacés qui descendaient de la chaîne froide du Huadarrama, le mystérieux enfant dont les yeux bleus étincelaient déjà sous le grand front qu'il tenait de sa race et dont le charmant visage halé était encadré de longs cheveux blonds, était devenu fort, agile, hardi, lorsqu'il fut conduit du bourg de Leganes au château de Villagarcia. L'huissier impérial alla le reprendre en 1554, au moment où Charles-Quint disposait tout pour son abdication et pour sa retraite en Espagne, et, muni d'une lettre de Luis Quijada, il remit le jeune Gerónimo aux mains de doña Magdalena de Ulloa. Le majordome de l'Empereur, retenu par le devoir de son office auprès de son maître, écrivait à sa discrète compagne que l'enfant qu'il confiait à ses soins était le fils d'un de ses grands amis dont il devait taire le nom[35].

Dona Magdalena de Ulloa avait épousé Quijada en 1549. Elle descendait de la famille lettrée et guerrière des Ulloa[36], qui, depuis le roi Juan II. avait pris part aux plus importantes affaires et aux plus glorieuses conquêtes de la monarchie espagnole, et s'était alliée aux grandes maisons de Portugal, de Castille et d'Aragon. Sœur du marquis de la Mota, et fidèle aux traditions primitives des Ulloa, doña Magdalena unissait la culture de l'esprit à la fierté de l'âme. Sans enfant de son mariage avec Quijada, elle adopta avec amour le fils ignoré de Charles-Quint, qu'elle éleva comme une mère dévouée et éclairée. Auprès d'elle et dans les leçons pleines de bon sens et d'honneur du vieux soldat son mari, l'obscur Gerónimo se prépara à devenir l'héroïque don Juan d'Autriche.

Il serait venu plus tôt dans le voisinage de F Empereur si l'habitation de Quacos eût été prête, mais elle ne le fut que dans l'été de 1558. C'est alors que Quijada y installa sa femme, ainsi que celui qui passait pour être son jeune page, et dont la haute origine fut bientôt soupçonnée par la curiosité indiscrète des moines et des Flamands. En apprenant leur arrivée à Philippe II, seul instruit de ce qu'était cet enfant, Quijada s'enveloppait de mystère : Je partis, lui écrivit-il[37], de ma maison le plus tôt que je pus avec doña Magdalena et le restey lo demas, et nous parvînmes le 1er juillet ici, où je trouvai Sa Majesté en excellente santé, plus vigoureuse que je ne l'avais laissée, avec très-bonne couleur et disposition. Elle a de temps en temps un peu de douleur à la tête et de démangeaison aux jambes, mais sans être beaucoup tourmentée par l'une ni par l'autre.

Après que doña Magdalena se fut établie à Quacos, Charles-Quint s'empressa de la recevoir au monastère, où elle ne parut certainement pas seule. Sa Majesté, écrivit Gaztelù le 19 juillet[38], songe à envoyer visiter et régaler doña Magdalena, femme du seigneur Luis Quijada. L'autre jour elle est venue lui baiser les mains, et l'Empereur l'accueillit avec toute sorte de faveur. Charles-Quint dut sans doute voir souvent avec Quijada le petit page pour lequel il éprouvait l'affection d'un père sans pouvoir la lui montrer. Celui-ci se plaisait à parcourir les bois d'alentour avec son arbalète, et il tentait même quelquefois, dans les vergers de Quacos, des expéditions moins heureuses que celles que dans la suite il fit sur les hauteurs des Alpujaras ou sur les côtes d'Afrique. Plus de cent cinquante ans après, un voyageur, en visitant l'Estrémadure, y recueillit, comme une tradition qui s'y était perpétuée, que les rudes paysans de ce village avaient fait descendre à coups de pierres, d'un arbre dont il cueillait les fruits[39], celui qui mit plus tard les Maures et les Turcs en fuite. Le petit conquérant, que son ardeur entreprenante et son imagination aventureuse ne destinaient pas à vivre dans un cloître, visitait avec une respectueuse admiration le grand Empereur, qu'il eut la gloire tardive d'appeler son père, et à côté duquel sa plus chère ambition fut de reposer après sa mort. En expirant, à l'âge de trente-trois ans, il réclama cette faveur de son frère, Philippe II, comme la récompense de tout ce qu'il avait fait pour la cause chrétienne et la monarchie espagnole, dans les montagnes de Grenade, au golfe de Lépante, sur la plage de Tunis, dans les plaines de Gembloux. Je supplie, disait-il, la Majesté du roi que, considérant ce que lui demanda l'Empereur mon seigneur et la volonté avec laquelle j'ai tâché de le servir, il m'accorde cette grâce que mes os soient placés près de ceux de mon seigneur et père : avec cela tous mes services seront reconnus et payé[40]. Ce vœu devait être satisfait. Le noble et cher enfant que l'Empereur avait rapproché de lui dans les derniers jours de sa vie et dont il s'occupa encore la veille de sa mort avec une mystérieuse sollicitude, fut placé à sa droite dans le même caveau de l'Escurial[41].

La princesse doña Juana aurait voulu conduire auprès de Charles-Quint un autre enfant du même âge, dont la fin devait être encore plus prompte et surtout plus tragique : c'était don Carlos. Son caractère emporté, ses inclinations violentes, son peu d'application à l'étude, dont se plaignait le précepteur Honorato Juan, inquiétaient la régente, qui, sans doute ne pouvant rien sur lui, croyait que l'Empereur dominerait seul cette nature indomptable. Elle avait averti Philippe Il des écarts du prince d'Espagne, en lui faisant connaître aussi l'utilité qu'il y aurait à transporter la cour hors de Valladolid, où elle était depuis cinq ans, et où son séjour prolongé avait produit des désordres. Philippe II l'avait laissée libre d'établir la cour dans la ville qu'il lui conviendrait de choisir, à l'exception de Madrid ; et, comme il avait l'intention de revenir au plus tôt en Espagne, il souhaitait que l'Empereur décidât la reine de Hongrie à reprendre le gouvernement des Pays-Bas. Il exprimait en même temps le désir que l'infant don Carlos demeurât avec l'Empereur, et il écrivait à la régente pour qu'elle conjurât leur père d'y consentir. Dona Juana le fit dans les termes les plus pressants et les plus significatifs.

Je me réjouis fort de ce projet, lui disait-elle[42] ; il doit en résulter un peu de peine pour Votre Majesté, mais ce sera donner la vie à l'infant. Je supplie donc Votre Majesté de vouloir bien ordonner qu'il soit conduit tout de suite auprès d'elle, car elle ne saurait croire combien il importe qu'elle nous fasse cette grâce. Bien que je doive rester seule, je m'y résignerai, parce que j'en vois tous les avantages.

Autorisée par son frère à éloigner la cour de Valladolid, elle demandait à Charles-Quint s'il fallait la transporter à Guadalajara, à Tolède ou à Burgos. Si Votre Majesté, ajoutait-elle[43], consent à ce que la cour change de lieu, entre son départ d'ici et son établissement ailleurs, Votre Majesté me pourrait donner la permission d'aller lui baiser les mains. Nous irions ensemble, la reine de Hongrie, le prince et moi. Eux y resteraient, et moi je m'en retournerais, bien contre mon gré. Je dis cela de la reine, parce que mon frère m'écrit de supplier Votre Majesté de la faire venir et de la presser vivement de se rendre en Flandre. C'est une chose qui convient, comme Votre Majesté le sait, et il la désire beaucoup, afin de laisser ces Etats sous un bon gouvernement. Si Votre Majesté veut faire cette grâce à mon frère, d'appeler la reine de Hongrie, elle pourrait bien me faire aussi l'autre. Quant au prince don Carlos, que Votre Majesté croie que plus tôt il sera auprès d'elle, mieux ce sera.

Dans l'habitude où elle était de prendre son avis sur tout, la régente consultait Charles-Quint sur la conduite à tenir envers l'adelantado des Canaries, qui avait promis mariage à l'une des dames de sa suite et qui ne voulait pas remplir ses engagements après l'avoir compromise[44]. Elle l'avertissait aussi, au nom de l'inquisiteur général, que les luthériens prisonniers parlaient de l'archevêque de Tolède de manière à le rendre suspect. Ils faisaient remonter jusqu'à lui leurs nouvelles opinions ; et Valdès, qui nourrissait contre Carranza des sentiments de jalousie et d'inimitié, assurait qu'il l'aurait déjà fait arrêter s'il n'avait pas eu égard à sa dignité archiépiscopale. Il priait l'Empereur d'être sur ses gardes lorsque le primat envié d'Espagne irait le visiter à Yuste et remplir une mission qu'il avait reçue pour lui en Flandre du roi son fils[45].

Charles-Quint était à cette époque vivement préoccupé de la guerre qui se poursuivait, avec des incidents peu favorables à Philippe II, sur la frontière des Pays-Bas et dans la Méditerranée. Il n'avait pas cessé d'aiguillonner le zèle des conseils et des ministres espagnols, trop portés aux délibérations et trop sujets aux lenteurs. Il avait ordonné que les îles de la Méditerranée et les côtes de l'Espagne fussent mises, par des fortifications, à l'abri d'une descente des Turcs dont les flottes approchaient. Il avait pressé l'envoi des sommes que le roi son fils attendait en Flandre[46] pour reprendre dans cette campagne la supériorité qu'il avait eue dans l'autre. Ouverte par une surprise si funeste à la puissance des Anglais et à la réputation des Espagnols, l'année 1558 continuait pour eux dans les revers. Le duc de Nevers s'était emparé de plusieurs châteaux dans les Ardennes, et le duc de Guise avait attaqué Thionville sur la Moselle. Commençant le 4 juin le siège de cette importante place, déjà investie par Vieilleville, gouverneur de Metz, il le termina glorieusement en dix-huit jours. Le 22, après des travaux vivement poussés et des assauts hardiment conduits, il pénétra dans cette ville, qu'il contraignit à capituler. Il prit ensuite Arlon et quelques autres petites places, avec le dessein de conquérir le duché de Luxembourg.

Pendant que le duc de Guise était victorieux sur la Moselle, Paul de Thermes, à la tête d'une petite armée, envahissait avec succès la Flandre maritime. Laissant derrière lui les villes fortifiées de Gravelines et de Bourbourg, il s'était porté devant Dunkerque, qu'il avait prise d'assaut en quatre jours, et où il avait laissé garnison. Il avait ensuite pillé Bergues-Saint-Winoc, et son armée avait ravagé tout le pays jusqu'à Nieuport. Les affaires de Philippe Il n'allaient pas mieux en Italie depuis que le duc d'Albe en était parti, et la Hotte turque, envoyée contre les Espagnols par le vieux Soliman II, avait paru dans les mers chrétiennes. Composée de cent trente voiles, il était difficile de lui résister. Elle fit une descente dans le golfe de Sorrente, où elle enleva plus de quatre mille captifs, qui furent réduits en esclavage ; se montra sur les côtes de l'île d'Elbe ; se dirigea ensuite vers la Corse, avec l'espoir d'y joindre la flotte française, qui en était partie peu auparavant, et alla fondre sur l'île de Minorque, où les Turcs assiégèrent et prirent d'assaut Ciudadela, et transportèrent une partie de la malheureuse population sur leurs galères.

Charles-Quint, dont la prévoyance alarmée recommandait continuellement qu'on n'omît aucun moyen de secourir le roi, de munir les frontières, de ravitailler les garnisons, et qui demandait à être informé tous les jours des affaires de Flandre et d'Italie[47], n'apprit pas sans un chagrin profond ces revers multipliés. Sa Majesté, écrivit Gaztelù à Vasquez[48], est si affectée de la perte de Thionville et des ravages et enlèvements de captifs faits par les Turcs à Minorque, que nous ne parvenons pas à l'en distraire et à l'en consoler. Il se plaint des mauvaises dispositions qui ont été prises sur l'un et sur l'autre point. Son fils, dont les finances étaient obérées, qui, au commencement de cette année, devait un million de ducats à ses troupes, six cent mille aux banquiers, et ne savait comment pourvoir aux dépenses de la nouvelle campagne, venait cependant d'accorder un don de cent cinquante mille ducats au duc d'Alix. Charles-Quint trouva cette libéralité déplacée, et, se souvenant de la paix désavantageuse conclue aux portes de Rome, il dit avec humeur : Le roi fait plus pour le duc que le duc n'a fait pour le roi[49].

Mais les faveurs de la fortune et les fautes de ses ennemis devaient aider bientôt Philippe Il à réparer ces échecs et à sortir avantageusement de cette guerre. Il avait été arrêté dans le conseil de Henri II que le duc de Guise, après avoir pris Thionville et Arlon, marcherait sur la Flandre avec son armée et les troupes que son frère, le duc d'Aumale, avait rassemblées vers la Fère, en même temps que s'y avancerait Paul de Termes victorieux. Ce plan était excellent et son exécution aurait mis Philippe II dans une situation périlleuse ; mais il est rare que des opérations concertées de loin ne manquent pas d'un côté, et souvent des deux, soit par d'inhabiles retards, soit par des incidents imprévus : c'est ce qui eut lieu en cette rencontre. Le duc de Guise perdit deux semaines auprès d'Arlon et de Virton, où il fit reposer son armée, et Paul de Thermes ne put pas se maintenir dans la Flandre maritime.

Le duc Philibert-Emmanuel avait assemblé ses troupes à Maubeuge, et se portait vers le comté de Namur pour s'opposer à la marche du duc de Guise. Pendant ce temps, le comte d'Egmont, avec douze mille hommes de pied et trois mille chevaux, s'était dirigé vers Gravelines, entre Dunkerque et Calais, et il y attendit Paul de Thermes pour lui couper la retraite. Ce valeureux capitaine, qui venait d'être nommé maréchal de France à la place de Strozzi, tué devant Thionville, ne démentit pas son habileté. Tourmenté par la goutte, ramenant une armée inférieure en nombre et chargée de butin, il monta à cheval et s'avança jusqu'à une portée d'arquebuse du comte d'Egmont, qui lui barrait le chemin. Il prit alors le parti de se jeter sur sa droite et de se rendre à Calais par le littoral, en profitant du reflux de l'Océan. Il se mit donc en marche et passa facilement la rivière d'Aa vers son embouchure, au moment où la mer l'avait abandonnée. Mais le comte d'Egmont traversa, de son côté, la rivière au-dessus de Gravelines, et, gagnant du terrain sur l'armée française, il vint se ranger en face d'elle.

La bataille fut dès lors inévitable. Le maréchal de Termes ne pouvait rentrer dans Calais qu'en se faisant jour à travers les Espagnols ; il s'y prépara résolument et prit les meilleures dispositions. Attaqué par l'impétueux comte d'Egmont avec des forces supérieures aux siennes, il tint bon longtemps. La bataille restait indécise, lorsque douze vaisseaux anglais, que le hasard amena dans ces parages, tirèrent sur le flanc droit de l'armée française, que Paul de Thermes croyait abrité par la mer. Cette canonnade, inattendue et meurtrière, y jeta le désordre : la cavalerie prit la fuite, l'infanterie fut taillée en pièces ; Paul de Thermes blessé tomba, avec les principaux de ses lieutenants, entre les mains du comte d'Egmont, qui, le 13 juillet, relevait ainsi par la victoire de Gravelines les affaires compromises du roi son maître.

Philippe Il s'empressa d'écrire cette grande nouvelle à son père, qui en eut une extrême allégresse. Charles-Quint dit aussitôt que c'était une bonne occasion pour investir Calais, dont la garnison avait dû être inévitablement réduite pour renforcer le camp du maréchal de Thermes[50]. Philippe II recouvra peu de temps après bien mieux que Calais, dont la perte lui devint moins sensible lorsqu'il cessa quelques mois plus tard d'être roi d'Angleterre par la mort de la reine Marie et l'avènement au trône de la princesse Elisabeth. Le découragement inconcevable de ses ennemis, l'épuisement de leurs finances, qui n'étaient cependant pas en plus mauvais état que les siennes ; les conseils funestes du connétable de Montmorency, qui supportait impatiemment sa captivité, et qui, après avoir exposé la France à une invasion par l'imprudente défaite de Saint-Quentin, la condamna aux sacrifices les plus durs et les moins nécessaires par la paix humiliante de Cateau-Cambrésis ; la faiblesse et la légèreté de Henri H, qui céda aux conseils intéressés du connétable et à la pernicieuse influence de la duchesse de Valentinois, toute-puissante sur son esprit comme sur son cœur, firent recouvrer bientôt à Philippe Il tout ce que les Espagnols avaient perdu non-seulement dans cette guerre, mais encore dans les guerres précédentes.

La victoire, au fond peu importante, de Gravelines, ne devait pas conduire à de semblables résultats. Ce revers, plus éclatant que décisif, avait été promptement réparé. Le duc de Guise, quittant le duché de Luxembourg, s'était porté en toute hâte à Pierrepont, vers le point de jonction de la Champagne et de la Picardie, pour y couvrir ces deux provinces contre les attaques de l'ennemi. Il avait rallié autour de lui toutes les troupes françaises, que le roi, établi à Marchez, vint passer en revue le 7 août, et qui formaient une armée vraiment formidable de quarante mille hommes de pied, et de douze mille chevaux, devenue invincible sous le commandement d'un aussi habile et aussi vigilant capitaine. Le duc la posta sur la Somme, derrière de fortes lignes, depuis Amiens jusqu'à Pont-Remi. Il déconcerta les projets des Espagnols en faisant pénétrer un secours considérable dans Corbie, qu'ils avaient l'intention d'assiéger. Il tint aussi en échec l'armée de Philippe II, que le duc Philibert-Emmanuel retrancha à cinq ou six heures de distance de la sienne, et qui, réduite à la défensive, n'osa plus rien entreprendre.

Les avantages de la campagne étaient au moins partagés. La victoire de Gravelines avait été glorieuse, mais sans fruit pour les Espagnols, tandis que les importantes places de Calais, de Guines, de Thionville restaient au pouvoir des Français, qui les avaient conquises. Dans cette situation, des ouvertures qui avaient été déjà faites par l'entremise de la duchesse de Lorraine furent renouvelées, et des plénipotentiaires se réunirent des deux parts à l'abbaye de Cercamp. Il y eut une suspension d'hostilités et un licenciement partiel des deux armées. On ne put pas s'entendre encore cette fois. Mais quelques mois plus tard il fut conclu à Cateau-Cambresis, à l'instigation du connétable Anne de Montmorency et avec l'assentiment inconcevable de Henri II, un traité de paix dont les désavantages se seraient à peine expliqués par d'irrémédiables défaites et de pressants périls. Cent dix-huit places fortes ou châteaux furent abandonnés par la France, qui recouvra Saint-Quentin, Ham, le Catelet, le territoire de Thérouanne, dont Charles-Quint avait rasé la ville, et ne conserva de ses conquêtes que Calais, Guines, Metz, Toul et Verdun. Henri II restitua au roi Philippe Il le comté de Charolais, Marienbourg, Thionville, Montmédy, Danvilliers, Valenza et tous les châteaux qu'il occupait dans le Milanais ; au duc Philibert-Emmanuel, la Bresse, le Bugey, la Savoie, le Piémont à l'exception des villes de Turin, Quiers, Pignerol, Chivaz, Villeneuve-d'Asti, dont il restait dépositaire jusqu'à ce qu'eussent été réglés les droits de son aïeule Louise de Savoie ; au duc de Mantoue, Casai et le Montferrat ; à la république de Gênes, l'île de Corse ; au duc de Florence, Montalcino et ce qu'il tenait encore dans l'Etat de Sienne ; enfin à l'évêché de Liège, Bouvines et le duché de Bouillon. Afin de cimenter et de rendre durable une paix dont les avantages étaient si inespérés pour l'Espagne, Henri II, qui abandonnait son parent Antoine de Bourbon dans ses justes prétentions sur le royaume usurpé de Navarre, donna en mariage sa fille Elisabeth à Philippe II, devenu veuf de Marie Tudor, et sa sœur Marguerite de France, duchesse de Berri, à Philibert-Emmanuel. Charles-Quint n'eut point la joie de voir conduire à son terme le traité qui réconciliait les deux plus puissantes monarchies du continent, à l'honneur de celle qu'il avait agrandie, et qui fermait les longues luttes entreprises depuis plus d'un siècle en Italie, dont la possession définitive demeurait aux Espagnols. Un peu avant que ces négociations fussent reprises à Cercamp d'une manière sérieuse, il était tombé mortellement malade.

 

 

 



[1] Mariana, Hist. d'Esp., liv. XXVI, c. I, porte à huit cent mille le nombre des Juifs expulsés, et Llorente, Histoire critique de l'Inquisition d'Espagne, t. I, c. VIII, art. I, § 7, évalue à deux millions les Juifs sortis de la Péninsule, les Maures émigrés en Afrique, les Espagnols établis en Amérique, sous Ferdinand et Isabelle. Il y a de l'exagération.

[2] Voir les faits, les pièces et les preuves dans Llorente, Histoire critique de l'inquisition d'Espagne.

[3] Llorente, Histoire critique de l'inquisition d'Espagne, t. II, c. XIV, et Historia de los protestantes españoles, por Adolfo de Castro. Cadiz, 1851, in-8°, p. 45 à 105.

[4] Reginaldi Gonsalvi Montani, Inquisitionis hispanæ artes delectæ. Heidelberg, 1567, p. 256 à 265. Historia de los protestantes españoles, p. 109 à 114. Llorente, t. II, c. XVIII, History of the reformation in Spain, by Thomas M'Crie. Édimbourg, 1829, p. 152-154.

[5] Historia de los protestantes españoles, etc., p. 250 et 251.

[6] History of the reformation in Spain, p. 217-219.

[7] Vida de San Francisco de Borja, por el cardenal Cienfuegos ; et Historia de los protestantes, etc., p. 267.

[8] Ms. de Santivañaz, cité par Adolfo de Castro, p. 269.

[9] Lettre de Vasquez à l'Empereur. (Retiro, estancia, etc., fol. 180 v°.)

[10] Lettre de Charles-Quint à la régente doña Juana. (Retiro, estancia y muerte, etc., fol. 182.)

[11] Lettre de Charles-Quint à doña Juana du 25 mai. (Retiro, estancia, etc., fol. 191 et 192.)

[12] Retiro, estancia, etc., fol. 192, 193, 194.

[13] Dans les lettres du 25 mai, du 9 juillet, du 9 août 1558, il qualifie de nouveau Vasquez de mi secretario y del mi consejo. Gaztelù contresigne les lettres en employant la formule : Por mandado de Su Magestad, p. 295, 308, 312, du 1er volume du recueil de lettres copiées aux archives de Simancas, et publiées par M. Gachard dans Retraite et mort de Charles-Quint.

[14] Retiro, estancia, etc., fol. 195 v°.

[15] Lettre de Philippe II à doña Juana du 6 septembre 1558. (Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 302 et 303, note 2.)

[16] Lettre de Quijada à l'Empereur du 31 mai, dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 289.

[17] Lettre de Quijada à l'Empereur du 10 juin. (Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 385.)

[18] Sandoval, t. II, Vida de Carlos Quinto en Yuste, § X, p. 829. — Llorente, t. II, c. XVIII.

[19] Dos informaciones muy utiles la una dirigida à la Magestad del Emperador Carlos V, etc., vol. in-12 publié en 1559, cité par Adolfo de Castro, p. 257.

[20] Sandoval, t. II, Vida del emperador Carlos V en Yuste, § IX, p. 829, d'après le manuscrit de fray Martin de Angulo.

[21] Codicille, dans Sandoval, t. II, p. 881 à 891.

[22] Historia de los protestantes españoles, lib. II et lib. IV. Llorente, t. II, c. XX et XXI.

[23] Retiro, estancia, etc., fol. 195 r°.

[24] Lettres de Mathys à Vasquez des 30 mai et 19 juin 1558, citées en notes, dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 197-198.

[25] Retiro, estancia, etc., fol. 188 v°.

[26] Retiro, estancia, etc., fol. 189 r°.

[27] Lettre de Mathys à Vasquez du 24 mai. (Retiro, estancia, etc., fol. 189 v°.)

[28] Lettre de Mathys à Vasquez du 6 juillet. (Retiro, estancia, etc., fol. 206 r°.)

[29] Lettre de Quijada à Vasquez du 9 juillet, et lettre de Quijada à Philippe II du 28 juillet, dans Retraite et mort de Charles-Quint au monastère de Yuste, vol. I, p. 307 et p. 311.

[30] Papiers d'État du cardinal de Granvelle, in-4°, t. IV, p. 499 et 500.

[31] Papiers d'État du cardinal de Granvelle, in-4°, t. IV, p. 496 à 498.

[32] Papiers d'État du cardinal de Granvelle, in-4°, t. IV, p. 498.

[33] Papiers d'État du cardinal de Granvelle, in-4°, t. IV, p. 495.

[34] Don Juan de Austria Historia, por don Lorenzo van der Hammen y Léon, petit in-4°, Madrid, 1627, p. 10.

[35] Don Juan de Austria Historia, p. 11 à 15, et Vida de Magdalena de Ulloa, por Juan de Villafane, in-4°, Salamanca, 1745, p. 43.

[36] Nobiliario genealogico de los reyes y titulos de España, por Alonzo Lopez de Haro, in-4°, Madrid, 1622, t. II, p. 240 à 242, et p. 444-445.

[37] Lettre de Quijada à Philippe II du 28 juillet. (Retraite et mort de Charles-Quint, etc., par Gachard, vol. I, p. 311.)

[38] Retiro, estancia, etc., fol. 209 v°.

[39] Don Antonio Ponz, Viage de España, t. VII, carta sexta, § 20, p. 140, Madrid, 1784, in-12.

[40] Lettre du confesseur de don Juan à Philippe II du 5 oct. 1578. (Colleccion de documentos inéditos, t. VII, p. 248-249.)

[41] Colleccion de documentos inéditos, t. VII, p. 264 à 267.

[42] Lettre de la princesse doña Juana à l'Empereur du 8 août. (Retiro, estancia, etc., fol. 212 v°.)

[43] Retiro, estancia, etc., fol. 213.

[44] Retiro, estancia, etc., fol. 214, r°.

[45] Retiro, estancia, etc., fol. 215 r°.

[46] Lettre de la princesse doña Juana à l'Empereur du 8 août. (Retiro, estancia, fol. 214 r°.)

[47] Retiro, estancia, etc., fol. 204 v°, 207-208.

[48] Lettre du 28 juillet. (Retiro, estancia, etc., fol. 211 v°.)

[49] Retiro, estancia, etc., fol. 207 r°.

[50] Retiro, estancia, etc., fol. 215 r°.