CHARLES-QUINT

SON ABDICATION, SON SÉJOUR ET SA MORT AU MONASTÈRE DE YUSTE

 

CHAPITRE III. — DÉPART POUR L'ESPAGNE. - ENTRÉE AU COUVENT.

 

 

Départ de Charles-Quint. — Sa traversée de la Zélande en Espagne. — Son débarquement à Laredo. — Préparatifs ordonnés par Philippe II et par la princesse doña Juana pour le recevoir ; ils sont mal exécutés. — Mécontentement de l'Empereur. — Son voyage à travers la Vieille-Castille. — Son entrée à Burgos. — Négociation au sujet de la Navarre, en échange de laquelle Antoine de Bourbon fait demander par son envoyé Escurra le duché de Milan érigé en royaume de Lombardie. — Entretien de Charles-Quint avec son petit-fils don Carlos, qui va à sa rencontre jusqu'à Cabezon ; caractère de ce jeune prince, jugement que l'Empereur porte sur lui. — Arrivée et séjour à Valladolid. — Départ de Charles-Quint pour l'Estrémadure. — Passage du Puerto Nuevo à la Vera de Plasencia par les montagnes de Tornavacas ; paroles que prononce l'Empereur au sommet de la brèche. — Établissement de Charles-Quint durant trois mois au château de Jarandilla ; visites qu'il y reçoit ; provisions et présents qui lui sont envoyés de toutes parts. — Entretien de l'Empereur avec le Père François de Borja. — Négociation avec la cour de Portugal au sujet de la venue en Espagne de l'infante doña Maria, fille de la reine Éléonore ; regret que Charles-Quint exprime à l'ambassadeur Lourenço Pires de Tavora de n'avoir pas accompli ses anciens projets de retraite après ses victoires en Allemagne. — Reprise des pourparlers sur l'échange de la Navarre avec Escurra. — Guerre en Italie ; rupture de la trêve de Vaucelles par la France. — Succès militaires du duc d'Albe dans les États pontificaux ; suspension d'armes qu'il accorde à Paul IV ; mécontentement qu'en montre l'Empereur ; habiles et prévoyants conseils qu'il donne. — Attaque de goutte. — Rétablissement de Charles-Quint, qui se sépare d'une partie de sa suite et monte avec le reste au monastère de Yuste. — Son entrée au couvent ; réception que lui font les moines.

 

Avant que Charles-Quint quittât Flessingue et fit voile vers la Biscaye, Philippe II avait annoncé à la princesse doña Juana, gouvernante d'Espagne, la prochaine arrivée de l'Empereur leur père. Dès le 27 juillet, il lui avait écrit d'envoyer dans le port de Laredo l'alcade de cour Durango, avec l'argent nécessaire à l'achat de tous les approvisionnements et à la réunion de tous les moyens de transport que réclameraient sa venue et son voyage à travers le nord de la Péninsule. Durango devait de plus y porter la solde de la flotte et y conduire six chapelains que l'Empereur désirait y trouver à son débarquement[1]. Le 28 août, jour où Charles-Quint partit de Gand pour la Zélande, Philippe II renouvela ses instructions à doña Juana[2], et, le 8 septembre, il lui écrivit encore :

Sérénissime princesse, ma très-chère et aimée sœur, l'Empereur mon seigneur... qui est en bonne santé, grâce à Dieu, s'embarquera au premier jour... Afin de ne vous causer aucun dérangement, Sa Majesté a résolu de loger à Valladolid dans la maison de Gomez Perez de las Marinas, où demeurait Ruy Gomez. Vous ordonnerez qu'on la nettoie, qu'on l'arrange, qu'on achète et qu'on prépare tout pour que les pièces soient mises, avec grande célérité, en état de recevoir Sa Majesté, qui, en débarquant, enverra devant elle Roggier son aposentador de palacio — son fourrier de palais —, afin d'apprêter les logements sur sa route et de disposer son appartement selon son gré à Valladolid[3]. Ne se contentant point d'entrer dans tous ces détails pour assurer à son père une réception commode en Espagne, Philippe II voulut qu'on lui montrât les empressements et qu'on lui rendît les honneurs qu'il ne demandait plus lui-même. Aussi ajouta-t-il : — Quoique Sa Majesté n'ait point songé à traiter de cela, il serait juste que quelques-uns des principaux personnages et gentilshommes allassent jusqu'au port où elle descendra, qu'ils y fussent accompagnés d'un évêque et des six chapelains dont je vous ai déjà parlé. Sa Majesté Impériale monte le navire Bertendona, sur lequel on a disposé pour elle un appartement de toute commodité. Vous pourvoirez aux besoins de ce navire et du reste de la flotte, dont l'équipage devra toucher la partie de solde qui lui est encore due, sans qu'il y ait faute, et vous aurez à m'aviser de ce qui se sera fait.

Après avoir reçu cette lettre le 17 septembre, jour même où la flotte qui conduisait l'Empereur en Espagne sortait du port de Rammekens, la princesse doña Juana s'empressa d'exécuter les ordres du roi son frère. Elle fit préparer la maison de Gomez Perez à Valladolid, qui était alors la résidence de la cour et le siège du gouvernement. Elle commanda de nouveau à l'alcade Durango de se rendre avec ses alguazils à Laredo, et d'y remplir la mission dont elle l'avait chargée[4]. Elle ordonna en même temps des prières publiques pour l'heureuse arrivée de l'Empereur[5] ; elle avertit le connétable et l'amiral de Castille de se tenir prêts à aller le complimenter, et elle invita don Pedro Manrique, évêque de Salamanque et chapelain du roi, à partir sans délai pour Laredo. Je sais, lui disait-elle, que Sa Majesté vous verra avec plus de plaisir qu'un autre, charmée qu'elle sera de rencontrer en arrivant un aussi ancien et un aussi bon serviteur[6].

Mais ces mesures, recommandées avec une insistance prévoyante par Philippe II et prescrites avec un zèle affectueux par sa sœur, furent exécutées pour la plupart avec la lenteur espagnole. Dans ce temps et dans ce pays surtout rien ne se faisait vite, et les actes étaient toujours en grand retard sur les ordres. Aussi tout n'était pas prêt lorsque Charles-Quint parut en vue des côtes de la Biscaye. Sa navigation avait été heureuse et assez prompte. Le vaisseau de cinq cent soixante-cinq tonneaux qui le portait, et qu'il occupait en entier, était uniquement disposé pour son service et de façon à rendre la traversée de la Manche et du golfe de Gascogne moins pénible à ses infirmités. Sur le pont le plus élevé, entre la mâture et la poupe, était l'appartement impérial, composé de deux chambres et de deux cabinets, flanqué d'une pièce oblongue formant un corridor de sortie et de dégagement, et entouré de trois autres petites pièces destinées au sommelier de corps, au chef de la guarda ropa et à un ayuda de cámara. Intérieurement sculpté et-tendu en drap vert, il était très-bien fermé, et avait, par huit fenêtres vitrées, des vues sur la mer. Le lit de sa chambre et quelques-uns de ses meubles étaient suspendus au plafond comme des balançoires, et retenus non loin du plancher par des étais en bois, afin de ne pas suivre tous les ballottements du navire, et de rester à peu près droits lorsque celui-ci s'inclinerait sous les coups des vagues agitées. L'autre côté du pont vers la proue était occupé par les gentilshommes de l'Empereur. Le pont d'en bas servait à la paneterie, à la cuisine, au garde-manger, à la cave et à l'habitation de tous les officiers de bouche. Enfin les provisions pour la traversée, et l'eau, que contenaient d'énormes vases de terre fermés par des couvercles à cadenas, étaient déposées au fond de la cale[7].

Ayant franchi, le 17 septembre, par un temps très-clair, les dangereux bancs de sable de la Zélande, la flotte s'était trouvée, le 18, entre Douvres et Calais, d'où l'amiral anglais était venu avec cinq vaisseaux saluer le père de son roi et lui baiser les mains. Elle n'était sortie du canal de la Manche que le 22. Enfin, ce jour-là, laissant à sa droite l'île de Wight, marquée d'abord comme un point de relâche, et profitant d'un vent favorable, qui ne lui manqua plus, elle se dirigea à toutes voiles vers l'Espagne, et arriva le 28 un peu tard dans le port de Laredo[8]. L'Empereur débarqua le soir même, par un fort beau temps[9], sans qu'aucun de ceux qui l'accompagnaient l'ait vu embrasser la terre en descendant du navire et lui ait entendu prononcer ces paroles que lui prêtent Strada et Robertson : — Ô mère commune des vivants ! je suis sorti nu de ton sein et nu j'y retourne[10]. Le vent ayant été impétueux le lendemain, la mer fut très-agitée, et les navires qui portaient les deux reines, restés un peu en arrière, ne purent entrer que dans le port plus occidental et plus vaste de Santander[11].

Charles-Quint ne trouva à Laredo que l'évêque de Salamanque et l'alcade de cour Durango, qui n'avait pas encore l'argent nécessaire aux besoins de son service et à la solde de la flotte. Il s'en montra fort irrité, et Martin de Gaztelù écrivit au secrétaire d'État Vasquez de Molina :

Sa Majesté est courroucée de la négligence que l'on a mise à pourvoir à certaines choses qu'il convenait de préparer et que le roi avait prescrites. Les six chapelains qui auraient dû venir pour le servir lui manquent d'autant plus, que ceux qu'il a amenés avec lui sont malades, et chaque jour il faut aller chercher un prêtre pour lui dire la messe. Il aurait eu besoin de deux médecins, parce que la moitié des gens de sa flotte est malade et sept ou huit de ses serviteurs sont morts. Le maître général des postes aurait dû envoyer un officier avec des courriers pour son usage ; il en a senti et il en sent la privation. Si l'évêque de Salamanque ne lui avait pas procuré certaines commodités, il n'aurait rien trouvé sur les lieux qui convint à une Majesté comme la sienne. On ne lui a pas écrit une seule lettre ni envoyé savoir comment il vient. Tout cela aurait dû être fait en même temps à Santander, à la Corogne et ici. Voilà ce dont il se plaint, et il dit d'autres choses bien sanglantes[12].

 

C'est ce retard mal connu dans l'exécution des ordres de Philippe II et cette expression mal jugée du mécontentement de Charles-Quint qui ont été transformés en acte d'ingratitude de la part de l'un, en signe de regret de la part de l'autre. La plupart des historiens ont prétendu que, le lendemain même de l'abdication de son père, Philippe II avait sinon refusé, du moins négligé de mettre à sa disposition cent mille écus d'or que l'Empereur s'était réservés dans sa retraite[13]. Il n'en est rien, comme on le voit. Ce n'est point des cent mille écus qu'il est question ici. Les reproches de l'Empereur portent sur les préparatifs qu'on n'avait faits ni assez tôt ni assez complètement pour son arrivée en Espagne, et il est loin d'y envelopper son fils, qui avait transmis plusieurs fois ses volontés à cet égard de la manière la plus péremptoire et la plus précise. La cour de Valladolid elle-même avait été plus prise au dépourvu que négligente. Charles-Quint, dont le retour avait été annoncé et retardé si souvent, n'était pas attendu si vite. En outre, il y avait toujours en Espagne de grandes difficultés à trouver de l'argent à point nommé et à se faire obéir au moment nécessaire.

Dès que la princesse doña Juana connut, le 1er octobre, le débarquement de l'Empereur, par don Alonzo de Carvajal, qui lui avait été dépêché de Laredo, elle envoya l'argent pour la flotte et des provisions de toutes sortes pour son père. Elle se hâta d'écrire le même jour à Luis Quijada, qui était dans son château de Villagarcia.

Ce matin, lui dit-elle, j'ai eu avis que l'Empereur, mon seigneur, et les sérénissimes reines mes tantes arrivèrent lundi passé, veille de Saint-Michel, à Laredo, que Sa Majesté débarqua le soir même, que mes tantes débarquèrent le jour suivant, et que tous se portent bien. J'en ai rendu de grandes grâces à Notre-Seigneur, et j'en ai éprouvé, ainsi que de raison, une extrême joie. Comme l'Empereur aura besoin de vous pour la route, et qu'il importe de savoir le moment où il se rendra dans cette ville, je vous prie de partir aussitôt que vous recevrez ma lettre et d'aller en poste auprès de Sa Majesté. Dès que vous y serez, rendez-lui compte des deux sortes de logement que vous connaissez ici, et informez-moi en toute diligence quel est celui des deux que choisit Sa Majesté, et si elle veut qu'on y place des poêles ou autres choses, afin que tout soit prêt lorsqu'elle arrivera.

Je vous prie aussi de demander à Sa Majesté si elle désire que je lui envoie une garde à pied ou à cheval, pour son escorte ou pour celle des sérénissimes reines mes tantes ;

S'il lui agrée que quelques grands ou gentilshommes aillent lui former un cortège ;

S'il veut qu'à Burgos et ici on fasse une réception à Sa majesté ou à mes tantes, et de quelle manière ;

S'il ordonne que le prince son petit-fils aille au-devant de lui et jusqu'où ;

S'il trouve bon que je fasse la même chose ou que les conseils qui sont à Valladolid la fassent également. Instruisez-moi diligemment et particulièrement de ce qui sera sa volonté en tout.

Je vous charge aussi d'avoir soin pendant la route que Sa Majesté soit abondamment pourvue de tout ce dont elle aura besoin, ainsi que les sérénissimes reines mes tantes. Avisez l'alcade Durango de ce qu'il devra procurer, pour que rien ne manque, et prévenez-moi de ce qu'il convient que j'envoie d'ici. En tout vous me ferez grand plaisir[14].

 

Elle chargea don Henriquez de Guzman d'aller complimenter l'Empereur en son nom, et le lendemain le jeune don Carlos, alors âgé de onze ans, écrivit de sa main à son grand-père pour lui demander ses ordres : Sacrée Impériale et Catholique Majesté, j'ai appris que Votre Majesté est en santé, et je m'en réjouis infiniment, au point que je ne saurais le faire au delà. Je supplie Votre Majesté de me faire savoir si je dois sortir à sa rencontre et jusqu'où. J'envoie auprès d'elle don Pedro Pimentel, gentilhomme de ma chambre et mon ambassadeur, auquel je supplie Votre Majesté d'ordonner ce qui est à faire en cela, afin qu'il me l'écrive. Je baise les mains de Votre Majesté. Le très-humble fils de Votre Majesté. Le prince[15].

Quijada était parti le 2 octobre au matin de Villagarcia et était arrivé le 5 à Laredo. Sa présence avait été très-agréable à l'Empereur ; qui se mit en route le lendemain 6, l'alcade Durango étant parvenu à réunir ce qui était nécessaire pour ce voyage[16]. Quijada annonça au secrétaire d'État Vasquez que l'Empereur comptait arriver dans quatre jours à Medina de Pomar, et en moins de dix-sept à Valladolid[17].

Charles-Quint se refusa à ce qu'on lui fil, soit sur la route, soit à Valladolid, une réception solennelle. Il exprima la volonté formelle que le secrétaire Vasquez ne quittât point les affaires pour se rendre auprès de lui, que la princesse sa fille l'attendit dans le palais à Valladolid, et il permit à son petit-fils don Carlos, qu'il avait le désir d'embrasser, de venir à sa rencontre jusqu'à Cabezon[18].

L'Empereur traversa lentement le nord de la Vieille-Castille, faisant à peine quelques lieues par jour. Quoique sa suite ne fût pas très-considérable, il fut obligé de la diviser dans ces pays âpres et sans ressources, à cause de la difficulté.des chemins et des logements[19]. Sa litière, près de laquelle était le majordome Quijada, ouvrait la marche, que continuaient, à une journée de distance, les litières de ses deux sœurs, et que fermaient ses gentilshommes et ses serviteurs à cheval. Les bagages étaient portés sur des mules[20]. Pour toute garde, l'Empereur avait l'alcade Durango, qui le précédait avec ses cinq alguazils armés de leur bâton de justice, et qui semblait beaucoup moins escorter un souverain que conduire un prisonnier[21]. Il franchissait les passages escarpés des montagnes sur des sièges à main. Il s'arrêta le premier jour à Ampuero ; le second à la Nestosa, où il rencontra don Enriquez de Guzman et don Pedro Pimentel, qui venaient le saluer de la part de la princesse doña Juana et du prince don Carlos ; le troisième à Agüéra, et le quatrième à Médina de Pomar, où il séjourna. Il mangeait beaucoup de fruits, et surtout des melons et des pêches, dont il était privé depuis longtemps. A Medina de Pomar, il trouva les provisions abondantes que la princesse sa fille lui avait envoyées, et il fut un peu indisposé pour avoir mangé trop de poisson, principalement du thon frais[22].

Charmé dans le moment d'être délivré des affaires, il ne voulait pas en entendre parler[23], et il avait l'intention passagère de s'y tenir absolument étranger, et d'entrer le jour de Tous les Saints au monastère de Yuste avec un très-petit nombre de personnes. L'Empereur dit, écrivait Gaztelù à Vasquez, qu'il compte renvoyer ses serviteurs, rester seulement avec Guillaume Malines — van Male — et deux ou trois barberos — aides de chambre du second ordre — qu'il conduit pour soigner sa goutte si elle vient, panser une plaie qu'il a au petit doigt de la main droite, et qui coule constamment, ainsi que ses hémorrhoïdes, et qui le serviront en plusieurs autres choses. Il dit qu'il fera donner au prieur du monastère l'argent nécessaire pour qu'il lui fournisse les vivres ; qu'il retiendra un ou deux cuisiniers pour lui préparer à manger à sa façon. Il ne veut pas de médecin ; il prétend que les moines ont coutume d'en avoir de bons. Il se propose de garder Salamanqués comme confesseur, afin d'ôter tout sujet de division et de zizanie entre les moines. Il ajoute qu'il en conservera encore quelque autre, mais qu'il ne veut pas plus d'embarras, et qu'arrivé à deux lieues du monastère il congédiera tous ceux qui l'accompagnent, afin qu'ils retournent dans leurs maisons. Il semble à ceux qui connaissent son naturel qu'il ne s'en tiendra pas là ; il commence même à dire que Yuste, d'après ce qu'il entend, est un lieu humide et pluvieux pendant l'hiver, et mauvais pour sa goutte et son asthme. Enfin, jusqu'à ce que nous en arrivions là et que nous voyions ce qu'il décidera, il n'y a rien de certain à penser, parce qu'au fond il est fort caché sur ce qu'il veut[24].

La nouvelle de son arrivée s'étant répandue, les principales villes envoyèrent leurs régidors au-devant de lui ; les personnages les plus éminents du clergé, de l'Etat et des conseils lui écrivirent[25]. Quand il fut près de Burgos, quoiqu'il n'eût pas voulu de réception, le connétable de Castille vint lui baiser les mains à deux lieues de la ville, où il entra le 13 septembre au soir au bruit de toutes les cloches et en traversant les rues illuminées, et le lendemain l'ayuntamiento (le conseil de ville) le complimenta dans la cathédrale[26].

Il fut visité dans cette ville par le duc d'Albuquerque, vice-roi de Navarre, qu'accompagnait un gentilhomme du pays, nommé Juan Martinez de Escurra, chargé depuis plusieurs années[27] d'une négociation importante et mystérieuse dont il venait entretenir l'empereur à son passage à Burgos. La Navarre espagnole, placée sur le revers méridional des Pyrénées, avait été enlevée à la maison d'Albret par Ferdinand le Catholique, qui l'avait incorporée à la monarchie dont elle était le prolongement naturel. Depuis lors, les princes qui en avaient été dépossédés n'avaient pu, malgré l'appui persévérant des rois de France, qu'unissaient à eux les liens étroits de la parenté et de la politique, en obtenir ni la restitution ni même un équivalent territorial ; aussi avaient-ils fini par tourner leurs seules espérances du côté des rois d'Espagne. Henri d'Albret, s'adressant à Charles-Quint, lui avait offert pendant la dernière guerre de quitter l'alliance française et de prendre-les armes en sa faveur, s'il lui accordait une compensation pour la Navarre perdue[28]. Après sa mort, en mai 1555, la négociation avait été continuée par son gendre et son successeur, Antoine de Bourbon, duc de Vendôme. Celui-ci, comme Henri d'Albret, se servait d'Escurra, qui portait de Nérac à Pampelune ses demandes et ses offres au duc d'Albuquerque, lequel les transmettait en chiffres à Charles-Quint et à Philippe Il..Il réclamait, en dédommagement de la Navarre, le duché de Milan, qui serait érigé en royaume de Lombardie, et il s'engageait à devenir le confédéré perpétuel de l'Empereur et du roi son fils, à fournir durant la guerre cinq mille hommes de pied, cinq cents chevau-légers, deux cents pionniers, trois mille attelages de bœufs et vingt pièces d'artillerie de diverses grosseurs ; à remettre comme gages de sa fidélité son fils ainé, qui fut depuis Henri IV, la forteresse de Navarreins et les autres places de ses États[29]. Il laissait même espérer qu'il ouvrirait aux Espagnols les portes de Bayonne et de Bordeaux, qu'il avait sous son commandement comme gouverneur de Guyenne[30]. La trêve de Vaucelles étant survenue avant que l'empereur eût donné sa réponse aux propositions d'Antoine de Bourbon, Escurra vint la lui demander à Burgos.

Charles-Quint n'était pas sans scrupule sur la possession fort utile mais fort mal acquise de la Navarre. Dans une clause testamentaire secrète, qui datait de 1550, et qu'il avait laissée à Philippe II en partant de Bruxelles, il disait bien que son aïeul avait sans doute conquis justement ce royaume, et que lui l'avait certainement possédé de bonne foi ; mais il ajoutait : Toutefois, pour la plus grande sécurité de notre conscience, nous recommandons et ordonnons au sérénissime prince don Philippe, notre fils, de faire examiner et vérifier, le plus tôt possible et sincèrement, si, en raison et en justice, il est obligé de restituer ledit royaume ou d'en fournir une compensation à qui que ce puisse être. Ce qui aura été trouvé et déclaré juste, qu'il l'exécute de manière que mon âme et ma conscience en soient déchargées[31]. Après avoir pris une semblable précaution, qui rassurait le chrétien, ne gênait pas le politique, et qui devait se transmettre de règne en règne comme une formule expiatoire, Charles-Quint avait écouté les ouvertures du roi de Navarre sans le satisfaire, mais sans le décourager. A Burgos, il se contenta de dire à Escurra qu'il en écrirait au roi son fils, dont l'arrivée en Espagne serait d'ailleurs prochaine, et qu'en attendant il fallait poursuivre la négociation, qui serait alors menée à bon terme[32]. Un pareil renvoi devait être très-mal pris par Antoine de Bourbon.

A son départ de Burgos, Charles-Quint fut accompagné par le connétable de Castille et par don Francès de Beamonde, qui était venu au-devant de lui avec les gardes et qui l'escorta jusqu'à Valladolid[33]. Toute la route fut couverte de noblesse et de peuple accourus pour le voir une dernière fois[34]. Il coucha successivement à Celada, à Palenzuela, à Torquemada, à Dueñas et à Cabezon[35]. Arrivé là, il trouva son petit-fils don Carlos, avec lequel il soupa et s'entretint longtemps[36]. Ce jeune prince, par la véhémence de ses désirs, les emportements altiers de son caractère, une impatience d'obéir qui devait bien vite se changer en ambition de commander, annonçait déjà ce qui le conduirait plus tard à une fin si prématurée et si tragique. Il ne pouvait s'astreindre à aucun respect ni se plier à aucune étiquette. Il donnait le nom de frère à son père et le nom de père à son aïeul. Garder devant eux pendant quelque temps la tête découverte et le béret à la main lui était impossible[37]. Il donnait des signes d'une férocité alarmante, et se plaisait à faire rôtir vivants des lièvres et d'autres animaux pris à la chasse[38]. Lorsqu'il avait appris que les enfants issus du nouveau mariage de son père avec la reine d'Angleterre hériteraient non-seulement de ce royaume, mais encore des Pays-Bas, il avait dit hardiment qu'il les en empêcherait bien et les combattrait[39]. Il convoitait tout ce qu'il voyait : en apercevant un petit poêle portatif qui servait tous les soirs, pendant le voyage, à chauffer la chambre de l'Empereur, dans ce pays sans cheminées, il en eut une envie ardente. Il le demanda à son grand-père, qui lui répondit : Tu l'auras quand je serai mort[40].

Son précepteur, Honorato Juan, cherchait à tempérer cette fougue par l'étude, qui ne l'attirait pas, et il lui expliquait vainement le livre de Cicéron De officiis, auquel le belliqueux enfant préférait des exercices violents ou des récits de bataille[41]. Aussi interrogea-t-il avidement son grand-père sur ses campagnes et sur ses entreprises. L'Empereur les lui ayant racontées en détail, il l'écouta avec une attention extraordinaire. Lorsque l'Empereur en vint à sa fuite d'Insprück devant l'électeur Maurice, son petit-fils lui dit qu'il demeurait content de tout ce qu'il avait entendu jusque-là, mais que, pour lui, il n'aurait jamais fui. Charles-Quint ayant alors ajouté que le défaut d'argent, l'éloignement de ses troupes et l'état de sa santé l'y avaient contraint : N'importe, dit don Carlos, je n'aurais jamais fui. — Mais, continua l'Empereur, si un grand nombre de tes pages avaient voulu te prendre, et que tu te fusses trouvé seul, est-ce que tu n'aurais pas été obligé de fuir pour leur échapper ? — Non, répéta le jeune prince avec colère, je n'aurais pas fui davantage. L'Empereur rit beaucoup de cette fière saillie de caractère, et il s'en montra charmé[42]. Mais il le fut bien moins de tout le reste ; et l'on assure qu'alarmé des manières comme des penchants de cet héritier présomptif de la puissance espagnole, il dit à sa sœur Éléonore : Il me semble qu'il est très-agité ; sa contenance et son humeur ne me plaisent pas, et je ne sais ce qu'il pourra devenir avec le temps[43].

Le lendemain de grand matin le secrétaire d'État m Vasquez se rendit à Cabezon pour prendre ses ordres, et l'informa, dans une longue conférence qu'il eut avec lui, de la situation des affaires et du pays[44]. L'Empereur ne partit qu'après son dîner pour Valladolid, où il entra le soir. Il fut reçu très-simplement dans le palais par sa fille, qui, selon qu'il l'avait prescrit lui-même[45], l'attendait, entourée de ses dames, dans la chambre royale[46]. Le connétable et l'amiral de Castille, le duc de Najera, le duc de Sesa, le duc de Maqueda, le comte de Benavente, le marquis d'Astorga, etc. ; les prélats qui se trouvaient à la cour, les membres des divers conseils, le corrégidor de la ville, avec les membres de l'ayuntamiento, vinrent tour à tour lui baiser les mains[47]. Mais il voulut qu'une réception solennelle fût faite aux reines ses sœurs, qui le suivaient à une journée de distance et qui arrivèrent le lendemain[48].

L'Empereur trouva à Valladolid l'ancien général des hiéronymites, fray Juan de Ortega, leur nouveau général, fray Francisco de Tofiño, et le prieur de Yuste, qu'il y avait mandés[49] pour s'entendre avec eux sur tout ce qui serait nécessaire à son service religieux dans le monastère. La division s'était récemment introduite parmi les moines de Saint-Jérôme. Juan de Ortega, de concert avec les membres du conseil privé de l'ordre, avait demandé à Rome des bulles qui y changeaient la forme des élections. Courroucée de cette innovation, qu'elle n'avait point autorisée, l'assemblée générale des hiéronymites avait puni Ortega et tous les membres du conseil privé, en les déclarant désormais inhabiles à être investis d'aucune charge dans l'ordre. Ortega s'était soumis sans murmure, et avait même refusé un évêché dans les Indes que lui avait offert Charles-Quint comme pour le relever de cette disgrâce. Il avait humblement répondu à l'Empereur que celui qui avait été jugé incapable d'être prieur ne pouvait pas devenir évêque, et administrer un diocèse lorsqu'il lui était interdit de diriger un couvent[50]. C'était un religieux doux, éclairé, aimable, savant, ami de la paix et des lettres, et auquel on a attribué le livre spirituel et charmant de Lazarillo de Tormes, qu'il aurait composé en étudiant à Salamanque, et dont le brouillon écrit de sa main fut trouvé dans sa cellule après sa mort[51]. Quoiqu'il fût redevenu simple moine, Charles-Quint, dont il avait conservé les bonnes grâces, voulut qu'il continuât à surveiller les travaux de Yuste et qu'il pourvût à tout ce qui intéressait son prochain établissement. C'était à lui qu'il avait confié, aux vendanges de 1555 et de 1556, son approvisionnement annuel de vin de séné, préparé avec des feuilles choisies de cette plante venues d'Alexandrie et du moût de raisin tiré des excellents vignobles de Robledillo en Estrémadure[52].

L'ancien général de hiéronymites rendit compte à l'Empereur des dispositions prises à Yuste pour l'y recevoir, et lui dit avec quelle joie reconnaissante les religieux du monastère avaient appris la prochaine venue de Sa Catholique Majesté parmi eux[53]. Le nouveau général, après l'avoir remercié de l'honneur sans pareil qu'il accordait à l'ordre en se retirant dans un de ses couvents, mit l'ordre tout entier à sa disposition impériale. D'accord avec fray Francisco de Tofiño. Charles-Quint désigna les moines qui formeraient en quelque sorte sa maison religieuse et la musique de sa chapelle. Il choisit dans les divers couvents de l'ordre ceux qui avaient le plus de célébrité par la doctrine, l'éloquence, la beauté de la voix, pour qu'ils vinssent, durant son séjour à Yuste, lui servir de confesseur, de prédicateurs et de chantres. Fray Francisco de Tofiño, Juan de Ortega et le prieur de Yuste, prirent ensuite congé de l'Empereur et allèrent mettre à exécution les arrangements concertés avec lui[54].

Après avoir passé quatorze jours à Valladolid, Charles-Quint se remit en route pour l'Estrémadure. Le 4 novembre il mangea en public, puis se séparant avec une extrême tendresse de la gouvernante d'Espagne sa fille, du prince son petit-fils, des reines ses sœurs, il sortit de Valladolid vers trois heures el demie, sans permettre à aucun des grands, des prélats, des gentilshommes, des conseillers et des officiers de cour qui l'accompagnaient, de dépasser la porte del Campo. Il ne prit qu'une petite escorte de cavaliers et quarante hallebardiers, qui, sous les ordres de leur lieutenant, devaient le suivre jusqu'au village de Jarandilla, dans la vallée au sommet de laquelle s'élevait le monastère de Yuste[55]. Le 5, il entra dans Medina del Campo, et y occupa la maison d'un fameux changeur nommé Rodrigo de Dueñas. Celui-ci, voulant faire montre de ses richesses, et croyant sans doute se rendre par là plus agréable à l'Empereur, plaça un brasero d'or massif dans sa chambre, et, au lieu de charbon, y mit de la braise de cannelle fine de Ceylan. Cette ostentation déplut à Charles-Quint, qu'incommoda l'odeur de la cannelle, et qui, ne voulant pas admettre le fastueux changeur des foires de Medina à lui baiser la main, ordonna, pour rabattre sa vanité, qu'on lui payât le logement qu'il en avait reçu[56]. Parvenu le 6 à Horcajo de las Torres, il dit aux siens : Grâce à Notre-Seigneur, désormais, je n'aurai plus ni visites ni réceptions[57]. Après avoir lait encore cinq petites journées de marche, et avoir couché le 7 à Penarenda de Bracamonte, le 8 à Alaraz, le 9 à Gallejos de Solmiron, le 10 à Barco de Avila, il arriva le 11 au soir à Tornavacas, près du rio Xerte et d'une sierra qui le séparait de la Vera de Plasencia. Il s'amusa à voir pêcher à la lumière des truites exquises, dont il mangea à son souper.

Le 12 au matin, ayant bien examiné les lieux, il aima mieux franchir ces montagnes que les tourner. Il aurait mis quatre jours à descendre la vallée du Xerte jusqu'à Plasencia, et à remonter ensuite la Vera, tandis qu'en une seule journée il pouvait aller de Tornavacas à Jarandilla en traversant une gorge étroite et abrupte, qui s'ouvrait en avant et sur la gauche de la rivière et du village de Xerte, et qu'on appelait le Puerto Nuevo. Il se décida à se rendre d'une vallée dans l'autre par ce rude passage, qui depuis a gardé le nom de passage de l'Empereur. Cela n'était ni commode ni facile pour lui surtout, cassé et goutteux. Le chemin était à peine frayé à travers des torrents tombant avec impétuosité des cimes et des creux de la cordillère qui s'étendait du côté du couchant. Une multitude de pics y étaient mis à nu par les eaux, et des bois de grands châtaigniers en couvraient les flancs et s'élançaient vers le soleil. A chaque pas il y avait des crevasses profondes et des montées très-âpres. L'Empereur s'y hasarda résolument. Une partie des habitants de la vallée le précédait avec des pieux et des pelles pour rendre la roule un peu moins impraticable. Une autre partie se relayait joyeusement pour le porter tour à tour dans sa litière ou sur des sièges à main ou même sur leurs épaules, selon le plus ou moins de difficultés que présentaient les passages[58]. Quijada, une pique à la main, était à ses côtés, ne le quittant point, et dirigeant lui-même les travaux et les mouvements de la marche[59]. Lorsque l'Empereur fut parvenu au sommet de la brèche d'où se découvrait la Vera de Plasencia, il la contempla pendant quelque temps, puis, tournant ses yeux du côté du nord, vers la gorge qu'il venait de traverser, il dit : Je ne franchirai plus d'autre passage que celui de la mort[60].

La descente de la brèche fut moins pénible que n'en avait été la montée, et l'Empereur arriva d'assez bonne heure à Jarandilla, dans le beau château du comte d'Oropesa[61], où il s'établit jusqu'à ce que la demeure qu'il avait fait construire à Yuste fût prête à le recevoir. Il y mangea le soir même d'excellentes anguilles que lui avait envoyées sa fille[62] ; il se portait bien et montrait une humeur joyeuse. Quijada et Gaztelù écrivaient à Valladolid : L'Empereur a bonne couleur ; il mange et dort parfaitement[63]... l'appartement qu'il occupe lui plaît beaucoup ; il est joint à sa chambre par un corridor abrité où le soleil bat tout le jour. L'Empereur s'y tient la plus grande partie du temps et y jouit d'une vue étendue et agréable d'arbres à fruit et de verdures ; il a au-dessous de lui un jardin d'où remonte et se sent l'odeur des orangers, des citronniers et des autres fleurs. Sa Majesté est très contente, et de quelques jours elle n'ira pas au monastère pour y demeurer 3[64].

Malgré le beau temps, la montagne sur les flancs de laquelle s'élevait le monastère de Yuste apparaissait de loin tout enveloppée de brouillards. Les serviteurs de Charles-Quint, envoyant, de Jarandilla, le couvent, dont les gens du pays disaient beaucoup de mal, noyé dans la brume, ne croyaient pas que le séjour dût en être aussi agréable et aussi sain pour lui qu'il se l'était figuré en Flandre. Quoique nous ayons eu, écrivait Gaztelù, quelques jours choisis et même chauds à cause du grand soleil, jamais les brouillards n'ont quitté les lieux où se trouve le monastère. Il n'est pas possible que ce côté ne soit humide, ici même les orages sont fréquents et les pluies abondantes. Tout cela est contraire aux indispositions de Sa Majesté. Finalement on s'attend à ce qu'il ne puisse pas y demeurer[65].

Bientôt survinrent les pluies d'automne, que l'Empereur avait déjà rencontrées en traversant l'extrémité septentrionale de la Vieille-Castille, et qui tombèrent là avec abondance et continuité. Il pleut épouvantablement, écrivaient, le 18 novembre, Quijada et Gaztelù, et lorsque l'eau cesse de tomber, les brouillards s'élèvent si épais, qu'on ne peut voir personne à vingt pas[66]. L'Empereur commença à ressentir les atteintes de cette température peu favorable à ses infirmités. Il fut obligé de faire pratiquer une cheminée dans sa chambre[67], de recourir à son poêle de voyage pour chauffer son appartement, et de se couvrir lui-même d'une jaquette de taffetas fourré de plume de l'Inde, qui était tout à la fois légère et chaude. Elle était laite avec l'une des deux couvertures de plume doublées de soie qu'il avait reçues de sa fille, à Barco de Avila, et dont il avait été si charmé, qu'il avait demandé une longue robe de chambre semblable[68].

Les pluies ne cessaient pas. Autour de Charles-Quint on était triste et découragé. Le village où il était établi avec sa suite était pauvre et mal approvisionné ; la viande y manquait ; le pain n'y était pas très-bon ; il n'y avait que les châtaignes d'excellentes[69]. Les truites qu'on y péchait pour la table de l'Empereur les jours maigres étaient trop petites, et Quijada demandait à Vasquez de ne pas manquer de faire porter des pâtés d'anguilles et du gros poisson par le passage des courriers qui allaient chaque semaine de Valladolid à Lisbonne, et qui curent désormais l'ordre de traverser Jarandilla[70]. Quijada était désolé pour son maître de ce qu'il voyait. Je vous dis, écrivait-il à Vasquez (le 20 novembre), qu'ici il tombe plus d'eau en une heure qu'à Valladolid en tout un jour. C'est un pays humide : en haut ou en bas il y a toujours de la brume, et sur les montagnes de la neige... Les gens de ce village disent que le monastère est encore plus humide, et moi je dis que, s'il l'est autant, Sa Majesté s'y trouvera fort mal. Il paraît qu'il n'y a pas de terre cultivable, et qu'il y a beaucoup moins d'orangers et de citronniers qu'on ne le prétendait... Ceux qui sont allés voir le site n'en sont pas revenus contents... Sa Majesté devait y aller hier, mais il a plu tant, qu'elle ne l'a pas pu[71]. Revenant sur ce sujet dans sa lettre du 25, Quijada faisait une peinture affreuse du monastère d'après ceux qui l'avaient visité, et il ajoutait qu'il n'y croirait l'Empereur établi que lorsqu'il l'y verrait. Le séjour, disait-il, n'en convient pas à Sa Majesté, qui cherche la fraîcheur pendant l'été et la chaleur pendant l'hiver. Ce qui est le plus contraire à sa santé, c'est le froid et l'humidité[72]. Lorsqu'on faisait ces représentations à l'Empereur, il répondait imperturbablement : Qu'il avait toujours vu, dans toutes les parties de l'Espagne, qu'il faisait froid et qu'il pleuvait en hiver[73].

Enfin, le temps s'étant un peu relevé, l'Empereur monta, le 25 novembre, au monastère. Ille trouva bien mieux qu'on ne le lui avait dit, et s'en montra fort content[74]. Il avait fait venir auparavant le prieur général et le frère Juan de Ortega[75] à Jarandilla, et, quoiqu'il n'eût d'abord paru disposé à s'y établir qu'avec dix-sept personnes, il ordonna alors d'y préparer des chambres pour vingt serviteurs et vingt maîtres[76]. Sa sœur, la reine de Hongrie, qu'avaient alarmée les récits adressés à Valladolid sur les dangers de ce séjour pour la santé délabrée de l'Empereur, lui écrivit en le suppliant de ne pas se rendre à Yuste. Mais Charles-Quint, appliquant au monastère le proverbe que l'imagination espagnole avait tiré de la rencontre du Cid avec le lion, lui répondit spirituellement : No es el leon tan bravo como le pintan[77]le lion n'est pas aussi terrible qu'on le représente.

Il ne s'y établit cependant pas tout de suite les arrangements intérieurs qui se faisaient à Yuste et ses indispositions qui reparurent le retinrent près de trois mois à Jarandilla. Là vinrent successivement le voir le comte d'Oropesa et son frère don Francisco de Toledo, le duc d'Escalona, le comte d'Olivarès, don Fadrique de Zuniga, don Alonzo de Baeza, et le commendador mayor d'Alcantara, don Luis de Avila y Zuniga, qui avait fait à ses côtés les dernières guerres d'Allemagne, retracées par lui dans de brillants et fermes récits.

Parmi ceux[78] dont l'Empereur reçut la visite, fut l'ancien grand écuyer de l'Impératrice, le marquis de Lombay, qui avait embrassé la vie monastique, selon l'ardent désir qu'il en avait éprouvé après la mort de cette princesse, et qui portait alors le nom de Père Francisco de Borja. La sainte austérité de sa vie purifiait ce nom des souillures dont l'avaient couvert, au commencement du siècle, Alexandre VI et César Borja. Les charges importantes que Charles-Quint lui avait confiées en Espagne, où il l'avait nommé vice-roi de Catalogne et mayordomo mayor de l'infant don Philippe, et les plus impérieux attachements de la terre, l'avaient retenu dans le monde plus longtemps qu'il ne l'aurait voulu. Ce parfait courtisan, ce cavalier accompli, ce chasseur adroit, ce valeureux soldat[79], ce vice-roi habile, qui avait cultivé les arts de l'esprit comme ceux de la politique et de la guerre, qui avait participé aux goûts délicats[80] comme aux connaissances sérieuses de Charles-Quint[81], était entré avec exaltation dans la vie religieuse dès qu'il l'avait pu. Devenu duc de Gandia à la mort de son père, il s'était retiré dans son duché avec la permission de l'Empereur[82] ; et, lorsqu'il avait perdu en 1546 sa femme doña Léonor de Castro il s'était senti libre de suivre son insurmontable vocation. Dans la ville même de Gandia il avait établi un collège de jésuites, le premier que l'institut naissant ait eu en Espagne[83]. Un an après il s'était fait recevoir mystérieusement dans la société nouvelle, en vertu d'un bref de Paul III, qui, sur la demande d'Ignace de Loyola même, l'autorisa à rester duc tout en devenant moine, et à gérer son duché jusqu'à ce qu'il eût établi ses fils et ses filles[84]. Depuis lors, vivant en religieux dans sa maison ordonnée comme un couvent, il s'était imposé les plus rudes austérités. Il couchait tout habillé sur une planche au pied de son lit, et levé tous les jours à deux heures après minuit, il restait en prières jusqu'au matin dans les félicités de la plus ardente contemplation[85].

Après avoir marié son fils aîné et ses filles[86], il s'était séparé de sa famille, non sans que ses entrailles fussent émues. Au moment de quitter son château et de partir pour Rome, il s'était jeté aux pieds de son directeur spirituel, le Père Bautista de Barma, et lui avait dit en versant des larmes : Mon âme souffre. Souvenez-vous de moi, mon père, devant le Seigneur, et ayez soin des enfants que je laisse ici. Puis, montant sur le vaisseau qui devait le conduire en Italie, il entonna le psaume In exitu Israel de Egypto, comme le cantique de la délivrance, et il sortit de son duché ainsi que le peuple d'Israël était sorti de l'Egypte. Il ajouta avec un élan de joie qui trahissait l'effort du déchirement : Les liens sont brisés, et nous sommes libres au nom du Seigneur[87].

De Rome, où il avait habité la petite maison de la compagnie de Jésus à côté de son fondateur Ignace de Loyola, se dérobant aux témoignages de vénération que lui attiraient la grandeur de sa foi et la sainteté de ses mœurs, et repoussant les offres des plus hautes dignités de l'Eglise[88], il avait écrit à Charles-Quint le 15 janvier 1551 pour lui annoncer la résolution qu'il avait prise et le prier d'accorder son titre à son fils, le marquis de Lombay[89].

Charles-Quint était alors à Augsbourg ; il répondit à l'ancien serviteur qui le précédait de quelques années dans les renonciations et dans la solitude en lui accordant l'autorisation qu'il lui demandait[90]. Se dépouillant aussitôt de tous ses biens et de tous ses titres, François de Borja quitta l'habit séculier pour prendre l'habit de la compagnie, coupa ses cheveux et sa barbe, et le 1er août 1551 il célébra dans le Guipuscoa, où il s'était retiré, sur un autel élevé au milieu des champs, en présence d'un peuple immense accouru de toutes parts, sa première messe, à laquelle Jules III avait attaché des grâces plénières[91].

Le Père François le pécheur[92], comme il s'appelait lui-même avec une humble sincérité, s'était alors plongé durant des journées entières dans la contemplation religieuse la plus extrême, se livrant aux austérités chrétiennes les plus grandes. Il y avait entièrement négligé les soins et les nécessités du corps et y avait goûté toutes les allégresses de l'âme. Mais, afin de le rendre utile à l'ordre dans lequel il était entré, et pour qu'il ne succombât point aux privations qu'il s'imposait sans mesure, Ignace de Loyola, l'arrachant à ses contemplations excessives, à ses macérations dangereuses, à ses humilités qui pouvaient sembler singulières, l'avait tiré de la solitude et nommé commissaire général de la société de Jésus[93] dans toute l'étendue de la Péninsule. Il avait mis auprès de lui le Père Marcos, chargé du gouvernement de sa personne, et sur l'ordre duquel il devait rompre ses jeûnes trop prolongés et suspendre ses extatiques prières[94]. De peur que sa modestie chrétienne ne parût outrée, il lui avait interdit de s'appeler François le pécheur[95].

Soumis comme un soldat qui suit les commandements de son général, le Père Borja avait obéi ; et il avait travaillé avec un succès rapide à la propagation de l'ordre qui s'était voué à la défense du catholicisme romain et à l'enseignement des lettres humaines conciliées avec l'orthodoxie religieuse. Couvert de bure, le corps amaigri, l'âme transportée[96], il parcourait les provinces de la Péninsule à pied, sous le soleil brûlant des Castilles ou à travers les sierras glacées, suivi de ses deux coopérateurs le Père Marcos et le Père Bustamente, prêchant et fondant des collèges dans les villes d'Espagne et de Portugal. Également bienvenu à Valladolid et à Lisbonne, où l'appelaient fréquemment l'infante doña Juana et la reine Catherine, il était dans les deux royaumes le conseiller de la cour, le prédicateur du peuple, et préparait son ordre à y être l'instituteur de la jeunesse[97]. Quoique d'origine espagnole, la compagnie de Jésus était suspecte dans la Péninsule et l'y aurait été bien davantage sans lui.

Pendant que l'Empereur était à Jarandilla, le Père François se trouvait dans la ville voisine de Plasencia, où il faisait construire un collège. Il n'avait pas vu son ancien maître depuis quatorze ans, et il craignait de paraître devant lui, parce qu'il avait su de la princesse doña Juana que l'Empereur n'avait, pas approuvé son entrée dans la société de Jésus[98]. Ayant cependant appris par le comte d'Oropesa que Charles-Quint était étonné de ne l'avoir pas encore vu[99], il se rendit avec le Père Bustamente et le Père Marcos au château de Jarandilla. Aussitôt qu'il fut en présence de son ancien maître, le Père François tomba à genoux et chercha sa main pour la baiser. L'Empereur ne voulut pas la lui donner jusqu'à ce qu'il se fût relevé et assis. Mais le Père François, que Charles-Quint continua à appeler duc comme autrefois, le conjura de le laisser prosterné à ses pieds. Je supplie humblement Votre Majesté, dit-il, de me permettre de rester ainsi devant elle, parce qu'il me semble que je suis en présence de Dieu et que je parlerai à Votre Majesté du changement de ma vie et de mon entrée en religion comme j'en parlerais à Dieu notre Seigneur, qui sait que je lui dirai en tout la vérité. L'Empereur lui répondit qu'il aurait grand plaisir à l'entendre, mais quand il ne serait plus à genoux[100].

Je me sens obligé, sire, dit alors le Père François, à rendre compte de moi à Votre Majesté ; comme étant son vassal et sa créature, et comme ayant reçu tant de grâces signalées de sa puissante main. Jusqu'ici je n'ai pu le faire, à cause de la longue absence de Votre Majesté et parce que je l'aurais mal fait par des lettres. Il raconta ensuite à l'Empereur que, décidé à prendre l'habit religieux, il avait été invinciblement conduit à préférer à toupies autres l'ordre qui venait de se fonder. Je n'entendais point, ajouta-t-il, en choisissant la compagnie de Jésus, que ce fût une religion plus sainte et plus parfaite que les autres, mais que le Seigneur voulait s'y servir davantage de moi et me déclarait sa volonté par la félicité ou par la tristesse qu'il répandait en moi, selon que je songeais à embrasser la vie religieuse là ou ailleurs. De plus, le Seigneur me donnait, en sa miséricorde ; un ardent désir de fuir toutes les gloires du siècle, de chercher et de saisir ce qui était le plus méprisé et le plus bas, et je craignais, si j'entrais dans quelqu'un des ordres religieux respectés pour leur ancienneté, d'y trouver ce que je fuyais et d'y être aussi honoré que je l'étais dans le siècle. Je ne pouvais pas avoir cette crainte en entrant dans la compagnie qui, étant le dernier ordre religieux confirmé par la sainte Église, n'est ni connue ni estimée, mais plutôt haïe et persécutée, comme le sait Votre Majesté. Le Père François, indiquant alors l'esprit qui animait la société de Jésus, les travaux qu'elle accomplissait, les pieuses consolations qu'il y avait trouvées, n'oublia rien de ce qui pouvait justifier auprès de l'Empereur le choix qu'il en avait fait[101].

Charles-Quint l'écouta sans l'interrompre, avec une attention bienveillante plus que persuadée. Aussi lui répondit-il d'une voix amicale et avec un visage ouvert : J'ai été fort satisfait d'entendre tout ce que vous m'avez dit de vous et de votre état. Je ne veux pas vous cacher que votre détermination me causa une grande surprise, lorsque vous me l'écrivîtes de Rome à Augsbourg. Il me semblait qu'une personne comme vous aurait dû préférer l'un de ces ordres religieux anciens qui sont déjà éprouvés par le long cours des années, à un ordre nouveau qui n'a encore aucune approbation et dont on parle fort diversement[102]. — Sacrée Majesté, repartit le Père François, il n'y a aucun ordre religieux, si ancien et si approuvé qu'il soit, qui n'ait été nouveau et inconnu. Il ne fut pas pire quand il fut nouveau. Au contraire, l'expérience nous enseigne que les commencements des ordres religieux et même ceux de l'Evangile et de la loi de grâce ont été les plus florissants, les plus fervents et les plus féconds en hommes avancés en dévotion et en sainteté. Je sais bien que plusieurs parlent de la compagnie diversement, comme le dit Votre Majesté, parce qu'ils ne savent pas la vérité sur elle. La passion de quelques-uns va même jusqu'à nous attribuer des choses fausses et condamnables. Pour moi, j'assure à Votre Majesté, avec cette vérité que pour tant de raisons je suis tenu de dire en votre présence, que si j'avais su de cette compagnie quelque chose de mal, je n'y aurais jamais mis les pieds, et si, maintenant que j'y suis, je l'apprenais, j'en sortirais aussitôt. Il ne serait pas juste que j'eusse quitté cette misère que j'ai laissée et que le monde estime un peu, pour entrer dans une société religieuse dans laquelle Dieu notre Seigneur ne serait pas bien servi et glorifiée[103].

L'Empereur ne se rendit pas. Il conservait des préventions contre les jésuites. Leur institut était récent, et d'ailleurs ils avaient emprunté une partie de leurs usages aux théatins, avec lesquels ou les confondait dans la Péninsule et qui avaient eu pour fondateur le pape Paul IV, ennemi déclaré de sa maison. Comme prince et comme Espagnol, Charles-Quint ne les aimait pas. Il n'avait d'attachement et de respect que pour les établissements anciens. Aussi répliqua-t-il au Père François avec l'opiniâtreté castillane : Je crois ce que vous me dites parce que la vérité s'est toujours trouvée dans votre bouche. Mais que répondrez-vous à ce qu'on objecte contre votre compagnie, que tous y sont jeunes et qu'on n'y aperçoit pas de cheveux blancs ?Sire, repartit le Père François, quand la mère est jeune, comment Votre Majesté veut-elle que les enfants soient vieux ? Si c'est un tort, le temps nous en corrigera bientôt. D'ici à vingt ans ceux qui sont jeunes auront bien des cheveux blancs. Il n'en manque pas d'ailleurs dans notre compagnie. J'ai déjà vécu quarante-six années que j'aurais certainement pu mieux employer, et voici avec moi, poursuivit-il en montrant le Père Bustamente, un vieux prêtre qui en a près de soixante, homme d'une doctrine et d'une vértu éprouvées et qui s'est rendu novice parmi nous[104]. L'Empereur reconnut le Père Bustamente, que le cardinal Tavera, dont Bustamente avait été l'un des secrétaires, lui avait dépêché de Madrid à Naples, lorsqu'il revenait de l'expédition de Tunis. Il n'insista pas davantage, gardant ses doutes sur la compagnie et témoignant la plus affectueuse confiance à son austère et saint ami.

Dans cette conversation, qui dura trois heures, ils se rappelèrent le projet qu'ils avaient autrefois formé l'un et l'autre de se retirer dans la solitude. Vous souvenez-vous, dit Charles-Quint au Père François, de ce que je vous confiai en 1542 à Monzon en vous annonçant que je ferais ce que je viens d'accomplir ?Je m'en souviens très-bien, sire. — Je ne m'en ouvris qu'à vous et à un autre. — Je sentis toute la faveur de cette confidence, dont j'ai gardé jusqu'ici le secret sans en avoir jamais ouvert la bouche à personne. Mais j'espère que Votre Majesté m'accordera la licence d'en parler. — Vous le pouvez maintenant que la chose est faite. — Votre Majesté se souviendra aussi qu'à cette époque je l'entretins du changement de vie auquel j'étais disposé ?Vous avez raison, je m'en souviens très-bien. Nous avons tenu l'un et l'autre notre parole et accompli nos résolutions[105].

Trois jours se passèrent dans de semblables entretiens entre l'ancien duc de Gandia et le vieil Empereur, entre l'ascétique jésuite et le royal cénobite, ayant renoncé l'un à toutes les splendeurs de la vie, l'autre à toutes les grandeurs de la puissance, le premier pour s'humilier devant Dieu, enseigner les hommes, parcourir les provinces et les villes, étendre un institut qu'il regardait comme le plus solide appui du christianisme romain chancelant, le second pour se reposer des fatigues de la domination, se soustraire à la responsabilité du commandement, et prier plus paisiblement dans la solitude d'un cloître. Lorsque le Père François prit congé de lui, Charles-Quint l'invita à revenir le voir promptement. Il ordonna à Quijada de lui remettre deux cents ducats en aumône. Bien que cette somme soit modique, dit Quijada au Père François, Sa Majesté, en considération du peu qu'elle a aujourd'hui, ne vous a jamais donné autant dans les grâces qu'elle vous a autrefois accordées[106].

Charles-Quint n'était pas seulement à Jarandilla l'objet d'hommages empressés et respectueux, on lui envoyait encore des présents de diverses espèces et surtout des mets délicats pour sa table. Le courrier qui allait et revenait de Valladolid à Lisbonne portait tous les jeudis soir à Jarandilla du gros poisson pour le service de l'Empereur les jours maigres. Sa fille, la princesse gobernadora, lui adressait de la cour des provisions abondantes et des regulos continuels : elle n'était pas la seule. Les grands et les prélats lui faisaient parvenir à l'envi ce qui était le plus capable de lui plaire. Il reçut des confitures, des pâtés d'anguilles et de grosses truites de Valladolid ; des perdrix fines du village de Gama, appartenant au marquis d'Osorno ; des saucisses faites à la façon de Flandre dans la maison du marquis de Dénia, et telles qu'on les servait naguère encore à sa mère dans Tordesillas, du gibier de l'Aragon et de la Nouvelle-Castille, des veaux de Saragosse, des huîtres fraîches, des soles, des carrelets et des lamproies de Séville et de Portugal, des provisions d'anchois d'Andalousie et de petites olives préparées par le marchand Perejon, qu'il préférait aux grosses olives de l'Estrémadure[107].

L'archevêque de Tolède fit partir, à plusieurs reprises, de sa riche métropole, huit ou neuf mules chargées de provisions de toutes sortes[108] pour Jarandilla. Le prieur de Notre-Dame de Guadalupe ne cessa de lui en expédier de son riche monastère, soit à Jarandilla, soit à Yuste[109]. La duchesse de Béjar et la duchesse de Frias offrirent aussi à Charles-Quint des regalos de bouche et des présents. Parmi ces derniers se trouvaient une cassolette d'argent pour brûler des parfums, des eaux de senteur et des gants. L'Empereur se montra sensible à ces attentions, mais il dit en jetant les yeux sur les gants que lui avait envoyés la duchesse de Frias et sur ses doigts noués par la goutte : Il aurait fallu m'envoyer aussi des mains qui pussent les porter[110]. Les friandises, les saumures, le gibier, les mets épicés qui arrivaient à Jarandilla, et que l'Empereur mangeait avec plaisir et abondamment, désolaient le fidèle Quijada, qui écrivait à Valladolid : Tout cela ne fait qu'exciter son appétit[111], et le proverbe dit : La gota se cura tapando la boca, la goutte ne se guérit qu'en fermant la bouche.

La goutte, en effet, reparut bientôt, et un accès violent se déclara du 27 décembre au 4 janvier. Le mal se porta d'abord sur la main droite, remonta jusqu'à l'épaule, saisit le cou. gagna ensuite la main et le bras gauches, et se jeta en dernier lieu sur les genoux[112]. Cette forte attaque, après un peu de rémittence, recommença pour ne cesser entièrement que vers le 26 janvier. Pendant qu'il en souffrait, était arrivé en poste de Milan un assez célèbre médecin, Giovanni Andrea Mola, appelé à Jarandilla pour soumettre l'empereur à ce qu'on appelait alors une cure[113], et le guérir des hémorroïdes au moyen d'une plante qu'il ne trouva point en Estrémadure et qu'il envoya plus tard de Lombardie[114]. Le docteur italien lui demanda d'abord de renoncer à l'usage de la bière, comme contraire à sa santé ; mais c'était trop exiger d'un Flamand, et Charles-Quint répondit qu'il n'en ferait rien[115]. Le docteur déclara que ce pays était trop humide et n'était pas assez sain pour lui ; à quoi Charles-Quint répliqua qu'il n'y avait pas encore prononcé de vœux[116]. Il était cependant bien résolu de s'établir à Yuste ; et Gaztelù, qui commençait à le connaître parfaitement, écrivait à Vasquez de Molina : L'Empereur ne changera rien à ses projets, dans lesquels il ne se laissera pas ébranler, quand même le ciel se joindrait avec la terre[117].

Pendant son séjour à Jarandilla, Charles-Quint traita plusieurs affaires délicates ou graves qui intéressaient soit la royale famille dont il restait le chef respecté, soit la monarchie espagnole, dont les besoins et les périls ne cessèrent plus, quoi qu'en aient dit les historiens, d'occuper son ardente sollicitude. Après de courtes lassitudes, le goût des affaires lui était revenu[118]. Il déploya l'ancienne vigueur de son esprit et de sa volonté.

La reine Éléonore désirait que sa fille l'infante doña Maria de Portugal vînt auprès d'elle en Espagne. Il y avait plus de vingt-cinq ans qu'elle ne l'avait vue, et elle hâtait de ses démarches comme de ses vœux une réunion que son âge et sa maladie ne devaient pas rendre bien longue. Mais le départ de l'infante de Lisbonne pour Valladolid avait rencontré l'opposition intéressée du roi Jean III, peu disposé à se dessaisir du million d'écus d'or qui revenait à sa sœur consanguine doña Maria. L'infante d'ailleurs éprouvait une orgueilleuse répugnance à paraître dans un pays dont elle avait dû être reine et où elle trouverait le souvenir humiliant du mariage convenu et rompu entre elle et Philippe II. Aussi les instances de la reine Éléonore n'avaient abouti qu'à des refus. Jean III avait écrit à dom Duarte de Almeida, son ambassadeur à Valladolid : Je ne puis assez m'étonner qu'on veuille faire sortir de ma maison l'infante ma sœur, que j'ai élevée et que j'aime comme ma propre fille, autrement qu'ont coutume d'en sortir les infantes de Portugal[119]. Ni son honneur ni le mien ne permettent qu'elle quitte son pays et ma maison sans être mariée. Il prétendait, afin de concilier les devoirs de la nature avec les convenances de la position, qu'au lieu d'envoyer la fille vers sa mère, il fallait que la mère se rendit auprès de sa fille[120].

Désolée de cette résistance, qu'elle sentait bien ne pas pouvoir surmonter toute seule, la reine Éléonore invoqua la puissante intervention de Charles-Quint. Elle le supplia, comme celui qu'elle tenait à seigneur et à père[121], d'appuyer ses désirs maternels auprès de la cour de Portugal en réclamant lui-même la venue de l'infante, qu'on n'oserait pas refuser à sa demande, fondée d'ailleurs sur un article formel du traité de mariage conclu entre elle et le roi Emmanuel. Charles-Quint écrivit, comme le souhaitait sa sœur, à don Juan de Mendoza, ambassadeur ordinaire d'Espagne à Lisbonne, où il envoya de plus extraordinairement don Sancho de Cordova, qui vint recevoir ses instructions à Jarandilla et qu'il chargea de réclamer, en son nom, de Jean III, le juste et prompt départ de l'infante[122]. En rencontrant un pareil négociateur, le roi de Portugal devait finir par céder. Mais il eut recours auparavant à toutes sortes de subterfuges et ne visa qu'à multiplier les lenteurs. Il fit partir pour Jarandilla Lourenço Pires de Tavora, que l'Empereur connaissait depuis longtemps et qui lui avait toujours été fort agréable, avec l'ordre de gagner du temps par des propositions préalables de mariage en faveur de l'infante[123].

Arrivé à Jarandilla le 14 janvier 1557, Lourenço Pires fut reçu le lendemain 15 par l'Empereur, qui l'accueillit fort gracieusement et ne voulut point qu'il lui parlât à genoux et la tête découverte[124]. L'ambassadeur de Jean III, conformément aux ordres de son maître, ne négligea rien pour prouver que l'infante ne saurait quitter le Portugal sans être mariée, et demanda qu'on lui fit épouser ou le roi des Romains, veuf depuis quelque temps, ou l'archiduc Ferdinand, son fils, qu'aimaient beaucoup les deux reines douairières de France et de Hongrie. La pénétration de Charles-Quint n'eut aucune peine à saisir les intentions dilatoires de Jean III. Repoussant bien loin le mariage de l'infante avec son frère Ferdinand, auquel un âge déjà avancé et de très-nombreux enfants ne permettaient pas de sortir de son veuvage, il admit que ses deux neveux, l'archiduc Ferdinand ou le duc Philibert-Emmanuel de Savoie, pourraient très-convenablement épouser l'infante. Mais, s'il ne fut pas contraire au mariage de sa nièce, il fut pressant pour sa venue, qu'il réclama en vertu de la clause à cet égard péremptoire qu'il avait fait insérer dans le contrat d'union entre Eléonore et le roi dom Manuel le Grand[125].

Dans cet entretien Charles-Quint parla avec une effusion confiante à Lourenço Pires de sa vie nouvelle, des sentiments qu'il y apportait, du repos dont il y jouissait, des dispositions qui l'y avaient conduit et auxquelles il déplora vivement de n'avoir pas cédé plus tôt. Ce fut alors qu'il fixa la première pensée de son abdication au retour de l'expédition de Tunis, en disant qu'il n'avait pas pu l'accomplir à cause du jeune âge de son fils[126]. Mais, ajouta-t-il avec un regret qui n'était ni sans fondement ni sans amertume, j'aurais dû me retirer au monastère après avoir terminé la guerre d'Allemagne. En le faisant alors, j'aurais eu l'avantage de ne pas affaiblir ma réputation, tandis qu'aujourd'hui elle a souffert des événements qui ont suivi[127].

Après deux jours de pourparlers, l'Empereur envoya à Valladolid, avec des lettres pour les reines ses sœurs, Lourenço Pires, qui devait leur proposer le mariage de l'infante avec l'archiduc Ferdinand ou le duc Philibert-Emmanuel[128]. Mais celles-ci avaient une plus haute ambition. Elles pensaient que la reine d'Angleterre, qu'on avait crue grosse, et qui était hydropique, ne vivrait pas longtemps, et elles aspiraient reprendre, lorsqu'elle serait morte, le projet de mariage de 1553 et à donner l'infante doña Maria pour troisième femme à Philippe II.

Avant cette négociation pour la venue de l'infante, le Navarrais Escurra était venu trouver encore une fois Charles-Quint et l'informer des dernières et alarmantes dispositions du duc de Vendôme. Antoine de Bourbon, après avoir connu ce qui s'était passé à Burgos, ne s'était mépris ni sur la réponse évasive de l'Empereur, ni sur le silence prolongé du roi Philippe. Il avait vu ce que signifiaient ces négociations sans terme et ces pourparlers sans conclusion, et il avait dit : J'admire que ces gens se moquent ainsi de moi, et me croient assez simple d'esprit pour ne pas m'apercevoir que tous ces délais ne sont que des leurres[129]. Il avait ajouté qu'il n'entendait pas être tenu ainsi le bec dans l'eau[130], et il avait demandé qu'on se décidât vite, dans un sens ou dans un autre, pour qu'il agit en allié ou en ennemi[131]. Le duc d'Albuquerque avait transmis à Philippe II cette sommation, qu'Escurra vint communiquer à l'Empereur. Charles-Quint donna de bonnes paroles à l'envoyé du roi de Navarre, mais sans rien promettre. Étant éloigné des affaires, lui dit-il, et à la veille d'entrer au monastère, je ne peux prendre aucune résolution là-dessus. Mais la réponse du roi mon fils, auquel j'ai écrit de Burgos, ne saurait tarder. Entretenez donc la négociation du mieux qu'il se pourra, jusqu'à ce que cette décision arrive[132]. Il n'était guère possible d'admettre que la riche Lombardie fût cédée en compensation de la pauvre Navarre, et que des politiques aussi ambitieux et aussi habiles que Charles-Quint et Philippe II achetassent à ce haut prix l'alliance d'un prince dont l'hostilité n'était pas au fond très-redoutable pour eux, et qui ne serait certainement point en état de reconquérir ce que l'un de ses prédécesseurs avait été hors d'état de défendre. Néanmoins, comme il valait encore mieux éviter ses attaques que s'y exposer, on continua à lui laisser des espérances, tout en se préparant, s'il ne s'en contentait point, à le repousser sur la frontière bien défendue des Pyrénées, Il annonce, écrivait Charles-Quint à Vasquez de Molina, que si l'accord entre lui et mon fils ne se conclut pas, il entreprendra l'année prochaine la guerre contre la Navarre[133]. La possibilité de cette invasion, lorsque la guerre se renouvelait en Italie pour s'étendre un peu plus tard vers les Pays-Bas, décida Charles-Quint à empêcher, en le désapprouvant, le départ du duc d'Albuquerque pour l'Angleterre, où le mandait Philippe II. Je m'étonne, écrivit-il à la princesse doña Juana, que le roi mon fils, dans un moment où le roi de France a rompu la trêve, et après la négociation dérisoire de Vendôme, éloigne le capitaine général de la Navarre, dont la présence est de la plus grande importance sur cette frontière1[134].

La trêve de Vaucelles, en effet, avait été rompue, et le pape Paul IV était parvenu à ses belliqueuses fins. Non-seulement il n'avait pas rétabli les Colonna dans leurs terres et leurs fiefs, mais il avait rendu leur dépossession irrévocable en donnant la ville et le duché de Palliano à son neveu Jean Caraffa, comte de Montorio, et au jeune fils de ce dernier la ville de Cavi avec le titre de marquisat. Les Espagnols, qu'il haïssait par-dessus tout, et qu'il voulait expulser de l'Italie, avaient été en butte à de violentes attaques et aux plus insupportables outrages. Sous de frivoles prétextes, il avait arrêté l'envoyé de Charles-Quint, Garcilaso de la Vega, emprisonné le grand maître des postes Juan Antonio de Tassis, maltraité l'ambassadeur d'Espagne don Juan Manrique de Lara, marquis de Sarria, qu'il avait contraint de sortir de Rome. Il avait révoqué les diverses bulles par lesquelles ses prédécesseurs concédaient aux rois d'Espagne des subsides ecclésiastiques, et notamment la bulle de la Quarta[135], qui donnait à Charles-Quint, pendant les années 1555 et 1556, la quatrième partie des revenus du clergé castillan et aragonais. Paul IV était allé même jusqu'à suspendre le service divin en Espagne ; et, poussant les choses aux dernières extrémités, il avait intenté des poursuites contre Charles-Quint et Philippe II devant la chambre apostolique, dont le fiscal avait conclu à ce qu'ils fussent privés, l'un de l'Empire, l'autre du royaume de Naples, que le pape déclarait être également des dépendances du Saint-Siège. Enfin, dans l'espérance d'obtenir l'adhésion et les secours du puissant allié que la trêve de Vaucelles lui avait fait perdre, il avait envoyé son neveu, le cardinal Caraffa, comme légat auprès d'Henri II, pour ramener ce prince au traité abandonné du 15 décembre 1555, dans le double intérêt du souverain pontificat et de la domination française en Italie. L'entreprenant légat, que Paul IV avait tiré de la vie des camps pour l'introduire dans le sacré collège, et qui exerçait un empire extraordinaire sur son oncle par la similitude des haines et la communauté des ambitions, avait pleinement réussi en France, d'où il était revenu avec la promesse de la guerre et avec un corps auxiliaire de deux mille hommes, que devait suivre bientôt le duc de Guise à la tête d'une armée.

Philippe II, attaqué dans ses partisans, outragé dans ses ambassadeurs, poursuivi dans sa croyance et dans celle de ses peuples, dépouillé de ses privilèges, menacé de perdre ses États, ne put point, malgré les hésitations de son caractère et les scrupules de sa piété, éviter la lutte à laquelle il était aussi fortement provoqué. Pour en diminuer les périls, il fallait aller au-devant d'eux. Attendre que ses ennemis opérassent la jonction de leurs forces au centre de l'Italie, c'eût été s'exposer à perdre le royaume de Naples et le duché de Milan. Mais, avant de désobéir aux injonctions pontificales et de commencer la guerre contre l'Eglise, il voulut se concilier l'approbation et se donner l'appui de l'opinion catholique dans tous les États de la monarchie espagnole. Il fit assembler en Flandre, en Italie, en Espagne, les théologiens les plus respectés, les plus savants jurisconsultes, les plus habiles casuistes, qu'il rendit juges entre le pape et lui. Ces docteurs du catholicisme et du droit furent, en général, d'avis qu'il devait empêcher l'entrée des brefs pontificaux dans ses royaumes, de peur d'en agiter les peuples ; qu'il pouvait y continuer l'exercice du culte chrétien et y percevoir les revenus ecclésiastiques malgré l'interdiction du pape ; enfin, qu'il lui était permis de défendre par les armes ses droits légitimes contre Paul IV, qui les lui enlevait sans raison et sans justice[136]. Mais ce sentiment ne fut partagé ni par le primat d'Espagne, don Juan Martinez de Siliceo, archevêque de Tolède, ni par le célèbre fray Domingo de Soto, que Charles-Quint avait autrefois envoyé avec le titre de son premier théologien au concile de Trente, et qui, tous deux, dans leurs scrupules et leur ignorance, conseillaient au roi catholique de conclure un arrangement impossible avec le Saint-Père. Soto, témoin de l'ébranlement de la vieille religion en tant de pays, craignait qu'un commencement de désobéissance au Saint-Siège ne fût un prélude de révolution dans la foi. Il l'écrivit au roi[137] en termes colorés et énergiques : Sans doute, dit-il, résister au pape armé en Italie n'est pas d'un grand péril, parce que, quand le pape revêt le harnais, il se dépouille de la chasuble, et, quand il se met le casque, il se couvre la tiare. Mais, en Espagne, si l'on méprise les commandements du pape, qui représente, parmi le peuple, la loi de Jésus-Christ, il est à craindre qu'il n'y ait bientôt plus de pape, et à la fin plus de foi[138].

Soutenu par la grande majorité des théologiens et des canonistes qui étaient les lumières de ses États et les guides religieux de ses peuples, Philippe Il se décida à la guerre contre Paul IV. Après une protestation plus forte par les faits que par le langage, le duc d'Albe eut ordre de pénétrer sur le territoire pontifical avec des troupes qu'il tenait prêtes, d'y rétablir de force les Colonna dans leurs possessions, et, les armes à la main, d'y contraindre le pape à la paix.

Le duc d'Albe ne rencontra aucune résistance sérieuse dans les États romains. Il entra sans beaucoup de peine dans Anagni, Valmontano, Tivoli, Vicovaro, Nettuno, Palombara, Porcigliano, Ardea ; s'empara de vive force de la ville et de la citadelle d'Ostie ; occupa toutes les positions qui dominaient Rome, et sembla menacer d'une seconde prise d'assaut la capitale du monde chrétien. La ville entière, épouvantée et incapable de se défendre, maudissait tout haut le turbulent vieillard qui l'exposait à ce nouveau péril, et qui, seul intrépide au milieu de l'effroi universel[139] et toujours inflexible dans son inimitié, s'écriait, en parlant des Espagnols : Chacun peut maintenant connaître ces traîtres, qui songent depuis tant d'années à renouveler le sac de Rome, comme ils couperaient le foin dans leur pré et le bois dans leurs forêts[140].

Mais le duc d'Albe n'osa point tenter sous Philippe II ce qu'avait accompli le connétable de Bourbon sous Charles-Quint. Au lieu de pousser plus loin ses avantages et de réduire le pape à la paix par une plus grande défaite, il consentit à une trêve de cinquante jours, qui fut conclue avec les Caraffa, sous la médiation des Vénitiens[141].

Cette nouvelle inattendue arriva en Espagne au mois de décembre 1556, et fut portée à Jarandilla, où l'Empereur ne la connut que le 5 janvier 1557[142]. Charles-Quint avait suivi avec un suprême intérêt tous les incidents de cette lutte. Il écoutait avidement la lecture des dépêches de Flandre et d'Italie que lui envoyait Vasquez de Molina et que lui lisait Gaztelù. Après les avoir entendues, il disait toujours : N'y en a-t il plus ?[143] Lorsqu'il fut remis de son premier accès de goutte, et qu'il se fit communiquer les lettres qui lui avaient été apportées de Valladolid, il apprit avec un extrême déplaisir la suspension d'armes à laquelle avait consenti le duc d'Albe[144]. Dans ce moment, le duc de Guise, à la tête d'une armée française, passait les Alpes, arrivait en Piémont, et la trêve lui laissait le temps d'opérer sa jonction avec les troupes que les Caraffa levaient de toutes parts. C'est ce que dit le pénétrant Charles-Quint, qui, comprenant toute la portée de cette faute[145], Y vit la perte prochaine de toutes les places conquises sur le territoire pontifical, et la guerre bientôt transportée des États de l'Église dans le royaume de Naples : Il ajouta entre les dents, écrivit Gaztelù, beaucoup d'autres choses ; et, dans son mécontentement, il ne voulut pas entendre lire les articles de la trêve[146].

Il fit connaître à Philippe Il toute sa surprise et toute sa désapprobation d'une conduite si inhabile. Du 8 au 16 janvier, il ne cessa pas d'écrire des dépêches pour sa fille et ses sœurs à Valladolid, pour son ambassadeur à Lisbonne, et surtout pour son fils à Bruxelles. Cette application et cette ardeur contribuèrent vraisemblablement à la seconde attaque de goutte qu'il eut jusqu'au 26[147]. Ayant alors reçu de nouvelles lettres de la princesse doña Juana, et voulant, dans d'aussi difficiles conjonctures, aider Philippe II à sortir victorieux de cette première et périlleuse épreuve de son règne, il pressa la gouvernante, sa fille, de mettre les côtes et les frontières de l'Espagne en état de défense, de réunir l'argent nécessaire aux levées des troupes et aux frais de la guerre, d'envoyer en Flandre des soldats castillans, a qui, selon l'expression de Quijada, étaient les meilleurs soldats du monde[148], afin d'y compléter les régiments espagnols ; de pourvoir, en un mot, à tout ce qu'exigeait une lutte qui allait devenir générale au printemps.

Il lui écrivit à ce sujet une lettre très-longue et très-belle, où reparaissait le prévoyant politique et le souverain qui avait toujours su commander et agir avec opportunité : Ma fille, lui disait-il, les Français ayant rompu la trêve avec aussi peu de fondement qu'ils l'ont fait, les affaires de la chrétienté et les nôtres étant dans les termes où elles se trouvent, il convient de remédier à ce qui ne peut plus être empêché, afin d'éviter les inconvénients qui pourraient s'ensuivre[149]. Placer sur les revers des Pyrénées les troupes, les munitions et les vivres nécessaires, et y retenir le duc d'Albuquerque ; échelonner sur le littoral les navires propres à le protéger ; appeler au besoin les grands, les prélats et le peuple à concourir à la défense du royaume ; faire porter immédiatement à son fils par l'escadre de don Luis de Carvajal 500.000 ducats qu'il avait demandés ; frapper en monnaie les lingots d'or et d'argent venus d'Amérique à Séville ; payer exactement au banquier Fugger ce qui lui était dû[150], afin de maintenir tout entier le crédit de son fils, si important en pareille occasion ; rendre inattaquable la place de Rosas sur la Méditerranée, et donner au comte d'Alcaudete, gouverneur d'Oran, tous les moyens de défendre sur la côte d'Afrique la ville confiée à sa garde et qu'attaqueraient infailliblement, de concert avec les Maures, les Turcs, alliés ordinaires des Français : telles étaient les mesures qu'il conseillait de prendre avec résolution, d'exécuter avec promptitude, sans, disait-il, attendre jusqu'au dernier moment, comme cela était arrivé en d'autres rencontres, d'où étaient résultés de grands inconvénients. Il insistait surtout pour que la ville d'Oran, dont la conservation importait tant à la sûreté de l'Espagne, fût mise hors de toute atteinte. Car, ajoutait-il[151], si elle se perdait, je ne voudrais être ni en Espagne, ni dans les Indes, mais là où je ne pourrais pas en apprendre la nouvelle, à cause du grand affront qu'en recevrait le roi et du dommage qu'en souffriraient ces royaumes. Il demandait en même temps à la princesse doña Juana de tenir un navire léger[152] à la disposition de M. de Hubermont, qui allait retourner auprès de son fils, et qu'il devait charger de ses dépêches et de ses avis. Cette lettre fut écrite le 31 janvier[153]. Trois jours après, la santé de Charles-Quint étant bien rétablie, et tout se trouvant prêt dans le lieu de sa retraite, il quitta définitivement le château de Jarandilla pour aller s'établir au monastère. Le 3 février 1557, dans l'après-midi, il se sépara des serviteurs qui ne devaient pas l'y accompagner, du comte de Rœulx, de M. de Hubermont, et de plus de quatre-vingt-dix Flamands, Bourguignons et Italiens, qui l'avaient suivi de Bruxelles à Jarandilla. Outre le payement de ce qui leur était dû, ils reçurent de lui des présents en témoignage de satisfaction et de bon souvenir[154]. Sur le seuil même de son appartement, il leur dit alors un dernier adieu, et les congédia avec de douces et affectueuses paroles[155]. L'émotion était universelle. Tous ces vieux serviteurs avaient le visage bouleversé, et la plupart fondaient en larmes[156]. Leur douleur, en se séparant à jamais de leur maître, n'avait d'égale que la tristesse de ceux qui allaient s'ensevelir pour toujours dans la même solitude que lui[157].

Vers trois heures, il monta en litière. A cheval et à ses côtés étaient le comte d'Oropesa, qui l'accompagna jusqu'à Yuste ; le sommelier de corps la Chaulx, qui y resta quelques jours encore avec.lui, et le majordome Luis Quijada. Derrière se trouvait le reste de ses serviteurs. Au moment où le cortège se mit en marche, les hallebardiers qui avaient formé sa garde jetèrent leurs hallebardes à terre[158], comme si les armes employées au service d'un aussi grand empereur ne devaient plus être d'aucun autre usage. Le cortège traversa silencieusement le fond de la vallée et gravit lentement les flancs de la montagne sur laquelle s'élevait le monastère. L'Empereur arriva à cinq heures du soir à Yuste[159]. Avertis de sa venue, les religieux l'attendaient à l'église, qu'ils avaient illuminée, et dont les cloches sonnaient à toute volée en signe d'allégresse[160]. Ils allèrent au-devant de l'Empereur, la croix en tête, et le reçurent en chantant le Te Deum[161]. Ils étaient transportés de joie, dit un témoin, de voir ce à quoi ils n'auraient jamais cru[162]. Charles-Quint, descendu de sa litière, se plaça sur un siège, et se fit porter jusqu'aux marches du maitre-autel. Là, ayant à sa droite le comte d'Oropesa et à sa gauche Luis Quijada, après que le chant des prières solennelles fut terminé, il admit les moines à lui baiser la main. Le prieur, vêtu de sa chape, mais un peu troublé en présence du puissant souverain qui devenait l'hôte religieux de son couvent, le complimenta en l'appelant Votre Paternité. — Dites Votre Majesté, ajouta en le reprenant aussitôt un moine qui se trouvait à côté de lui[163]. Charles-Quint, en sortant de l'église, visita tout le monastère[164], puis il se retira dans sa propre demeure, dont il prit possession le soir même, et où désormais il devait vivre et mourir.

 

 

 



[1] Ms. Retiro, estancia, etc., fol. 45.

[2] Retiro, estancia, etc., fol. 44 et 45.

[3] La lettre de Philippe II est en entier dans Retiro, estancia, etc., fol. 47.

[4] Retiro, estancia, etc., fol. 48 r°.

[5] Retiro, estancia, etc., fol. 45 v° et 44 r°.

[6] Retiro, estancia, etc., fol. 47 v°.

[7] Retiro, estancia, etc., fol. 48.

[8] Retiro, estancia, etc., fol. 48 v° et 49 r°, d'après le livre du contador de la flotte de don Luis de Carvajal.

[9] Lettre du contador Julian de Oreytia du 29 septembre au conseil de guerre, dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 1 et 2.

[10] Strada, De bello belgico, p. 6. Robertson, Histoire de Charles-Quint, lib. XII.

[11] Retraite et mort de Charles-Quint, vol. I, p. 2.

[12] Retraite et mort de Charles-Quint, vol. I, p. 5-6.

[13] Strada ne lui fait pas exprimer son mécontentement à Laredo, mais à Burgos, au sujet de cette somme, qui d'ailleurs ne fut pas, comme nous le verrons, aussi forte qu'il l'indique. Il dit : Sensit tum primum nuditatem suam. Accessitque et illud, quod ex centum nummum aureorum millibus (quem sibi reditum ex immensis opibus tantummodo seposuerat), quum eorum parte opus tum esset, qua famulos aliquot donaret dimitteretque, expectandum ei plusculum, nec sine stomacho Burgis fuit, dum illa videlicet summa aliquando redderetur. (De bello belgico, lib. I, p. 7.) Robertson, liv. XII, dit la même chose que Strada, et fait rester Charles-Quint quelques semaines à Burgos, où il ne passa qu'un seul jour. Mais Charles-Quint n'eut pas à payer alors les serviteurs dont il avait à se séparer, puisque cette séparation n'eut lieu que trois mois et demi après à Jarandilla. Quant à l'argent pour le paye ment de la flotte et pour les dépenses du voyage, il fut apporté bien avant que l'Empereur arrivât à Burgos, ainsi que le prouve une lettre écrite par Gaztelù à Vasquez de Molina, le 11 octobre, dans laquelle avisa haber llegado los dineros necessarios para la paga de la armada y para los demas gastos de Su Magestad. (Retiro, estancia, etc., fol. 58 r°.)

[14] La lettre de la princesse doña Juana est tout entière dans Retiro, estancia, etc., fol. 52. — Elle est aussi dans Retraite et monde Charles-Quint, vol. II, p. 95, 96.

[15] Retiro, estancia, etc., fol. 53 r°.

[16] Lettres de Gaztelù et de Quijada du 6 octobre à Vasquez. (Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 5 à 9.)

[17] Retiro, estancia, etc., fol. 55 r°.

[18] Lettre du 15 octobre de la princesse doña Juana à Philippe II, et lettre du 14 octobre écrite par Gaztelù à Vasquez d'après l'ordre de l'Empereur. (Retiro, estancia, etc., fol. 61 v° et 60 v°.)

[19] Quijada écrivait : Y hay malos caminos y peores alojamientos. (Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 9.)

[20] Retiro, estancia, etc., fol. 56 r°.

[21] Lettre de Quijada du 8 octobre à Vasquez. Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 11.

[22] Lettre de Quijada du 10 octobre à Vasquez. (Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p 12.)

[23] Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p 12.

[24] Même lettre de Gaztelù à Vasquez de Molina. Retraite et mort de Charles-Quint, vol. I. p. 19.

[25] Retiro, estancia, etc., fol. 59 v° et 60 r°.

[26] Retiro, estancia, etc., fol. 60 v°.

[27] Le prince-roi don Philippe écrivait à ce sujet de Londres, le 7 novembre 1554, au duc d'Albuquerque, d'aviser : Al Emporador mi señor y á mi de lo que allá se ofrece, y si hay alguna cosa de nuevo en lo de don Enrique de Labrit (Henri d'Albret). (Simancas, Inglat. Estado, leg. 808.)

[28] Simancas, Inglat. Estado, leg. 808.

[29] Lettre du duc d'Albuquerque au prince-roi Philippe du 15 mars 1556.

[30] Lettre du duc d'Albuquerque au prince-roi Philippe du 15 mars 1556.

[31] Papiers d'État du cardinal de Granvelle, dans la collection des documents inédits, t. IV, p. 500 et 501.

[32] Lettre de Charles-Quint à Philippe II, écrite de Valladolid le 30 octobre 1556. Retiro, estancia, etc., fol. 65.

[33] Retiro, estancia, etc., fol. 62 r°, et lettres de Gaztelù des 14 et 17 octobre, dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 23, 24, et note 2 de la page 28.

[34] Retiro, estancia, etc., fol. 63 r°.

[35] Retiro, estancia, etc., fol. 61.

[36] Retiro, estancia, etc., fol. 63.

[37] Relazione di Federico Badoaro, en 1558, manuscrit de la Bibliothèque nationale, f. Saint-Germain-Harlay, n° 277, fol. 113.

[38] Relazione di Federico Badoaro, fol. 112 v°.

[39] Relazione di Federico Badoaro, fol. 115 r°.

[40] Retiro, estancia, etc., fol. 67.

[41] Relazione di Federico Badoaro, fol. 113 v°.

[42] Relazione di Federico Badoaro, fol. 113 v°.

[43] Retiro, estancia, etc., fol. 63 r°.

[44] Retiro, estancia, etc., fol. 63.

[45] Lettre du 15 octobre, par laquelle doña Juana a annoncé à Philippe II les volontés de l'Empereur, leur père, dans Retiro, estancia, etc., fol. 61 v°.

[46] Retiro, estancia, etc., fol. 61 v°.

[47] Retiro, estancia, etc., fol. 64.

[48] Retiro, estancia, etc., fol. 61 et 64.

[49] Retiro, estancia, etc., fol. 53. Siguenza, part. III, fol. 189.

[50] Siguenza, part. III, fol. 183, 184.

[51] El indicio desto fue averle hallado el borrado ren la celda de supropia mano escrito. (Siguenza, fol. 184.) Cet ouvrage est généralement attribué à Hurtado de Mendoza. — Voir D. Nicolas Antonio, Bibliotheca nueva, t. I, p. 291, où il est aussi parlé de Juan de Ortega.

[52] Retiro, estancia, etc., fol. 26 v° et 27 r°. D'après la recette envoyée par l'Empereur le 11 octobre 1555 à Vasquez, il fallait mettre en cuve 17 livres de feuilles de séné d'Alexandrie dans 70 azumbres (105 litres environ) de moût, les y laisser séjourner quatre mois, et en tirer le vin pour le placer dans une autre cuve durant une année. (Ibid., Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 20.)

[53] Lettre de fray Juan de Ortega, dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 4.

[54] Signenza, part. III, liv. I, fol. 189.

[55] Retiro, estancia, etc., fol. 65 v° et 66 r°.

[56] Retiro, estancia, etc., fol. 66 v°.

[57] Retiro, estancia, etc., fol. 66 v°.

[58] Retiro, estancia, etc., fol. 67. Lettres de Quijada et de Gaztelù à Vasquez, de Jarandilla les 14 et 15 novembre. Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 39 à 42.

[59] Retiro, estancia, etc., fol. 67.

[60] No passaré ya otro en mi vida, sino el de la muerte. (Fray Joseph de Siguenza, IIIa part., lib. I, cap. XXXVI, p. 109. Retiro, estancia, etc., fol. 68 r°.)

[61] Retiro, estancia, etc., fol. 68 r°.

[62] Retiro, estancia, etc., fol. 62 r°.

[63] Lettre de Quijada, du 14 novembre. Retiro, estancia, etc., fol. 68, et Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 40.

[64] Lettre de Gaztelù à Vasquez du 15 novembre. Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 42.

[65] Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 42.

[66] Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 46, et Retiro, estancia, etc., fol. 69 v°.

[67] Lettres de Quijada et de Gaztelù du 18 novembre. Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 44 et 46.

[68] Retiro, estancia, etc., fol. 67 r°.

[69] Retiro, estancia, etc., fol. 70 v° et 71 r°.

[70] Retiro, estancia, etc., fol. 68 v° et 71 r°.

[71] Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 48 et 49.

[72] Retraite et mort de Charles-Quint, etc., p. 52. Lettre de Quijada du 22 novembre.

[73] Il ne répond rien, écrit Quijada, si no que en todas partes en España ha visto hacer frio en hinvierno y llover. (Retraite et mort de Charles-Quint, etc., p. 52.)

[74] Retraite et mort de Charles-Quint, etc., p. 55, 58, 59 et 61. Lettres de la Chaulx du 28 novembre, de Quijada et de Gaztelù du 30 novembre.

[75] Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 52, 55.

[76] Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 57.

[77] Retiro, estancia, etc., fol. 78 v°.

[78] Le comte d'Oropesa le visita souvent : du 12 au 17 novembre avec son frère, le 5 décembre avec sa sœur, les premiers jours de février seul ; Charles-Quint fut visité le 4 décembre par le duc d'Escalona et don Sancho de Cordova, le 6 par don Fadrique de Zuniga et don Alonzo de Baeza, le 14 par le comte Olivarès, le 19 par le P. Francisco de Borja, le 21 par don Luis de Avila, grand commandeur d'Alcantara.

[79] Sandoval, t. II, lib. XXII, § 6, p. 214. Ribadeneyra, Vida del Padre Francisco de Borja, fol. 326, 327.

[80] Ribadeneyra, fol. 325.

[81] Ribadeneyra, fol. 326-327.

[82] Ribadeneyra, fol. 357.

[83] Ribadeneyra, fol. 338, 359.

[84] Ribadeneyra, fol. 342 à 347.

[85] Ribadeneyra, fol. 348, 349.

[86] Ribadeneyra, fol. 347.

[87] Ribadeneyra, fol. 351, 352.

[88] Ribadeneyra, fol. 352, 353.

[89] Ribadeneyra, fol. 354.

[90] Lettre du 12 février 1551. Ribadeneyra, fol. 355.

[91] Ribadeneyra, fol. 357, 558.

[92] Ribadeneyra, fol. 361.

[93] Ribadeneyra, fol. 371.

[94] Ribadeneyra, fol. 437.

[95] Ribadeneyra, fol. 432.

[96] Ribadeneyra, fol. 439, 440.

[97] Ribadeneyra, fol. 365 à 382.

[98] Ribadeneyra, fol. 377.

[99] Ribadeneyra, fol. 377.

[100] Ribadeneyra, fol. 377.

[101] Ribadeneyra, fol. 378, 379.

[102] Ribadeneyra, fol. 379.

[103] Ribadeneyra, fol. 379.

[104] Ribadeneyra, fol. 379.

[105] Ribadeneyra, fol. 380.

[106] Ribadeneyra, fol. 380.

[107] Retiro, estancia, etc., fol. 70 v°, 76 v°, 77, 78 r°, 81, 82, 84, 85 ; pour Perejon, voir Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 40, 44, 49.

[108] Retiro, estancia, etc., fol. 84.

[109] Lettre de Quijada à la princesse doña Juana du 16 octobre 1558. Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 429.

[110] Retiro, estancia, etc., fol. 78 r°.

[111] No se hacia mas que incitar el apetito. (Retiro, estancia, etc., fol. 84 r°.)

[112] Retiro, estancia, etc., fol. 82 et 83.

[113] Retiro, estancia, etc., fol. 69 v°, 86 v°.

[114] Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 114, 116, 121, 122, 123.

[115] Retiro, estancia, etc., fol. 91 r°, lettre de Quijada à Vasquez.

[116] Retiro, estancia, etc., fol. 91.

[117] Retiro, estancia, etc., fol. 79 r°.

[118] Aussitôt après son arrivée à Jarandilla, il prit connaissance des graves événements qui se passaient en Italie et se préparaient du côté de la Flandre. Gaztelù écrivit à Vasquez d'en rendre un compte assidu à l'Empereur : Porque huelga de entender estas cosas, y aun otras desta cualidad. (Retiro, estancia, etc., fol. 69 v°.)

[119] Instruction du 7 novembre pour dom Duarte de Almeida. Papiers de Simancas, série B, liasse 81, n° 15-16.

[120] La reine Catherine, femme de Jean III, écrivit dans le même sens à la reine Éléonore, sa sœur. Sa lettre du 7 novembre est sous le n° 14.

[121] Lettre de la reine Éléonore à Charles-Quint du 17 novembre. Papiers de Simancas, série B, liasse 81, n° 1-2.

[122] Don Sancho de Cordova arriva à Jarandilla le 29 novembre. Lettre de Gaztelù du 6 décembre dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 64, note I.

[123] Santarem, Relations diplomatiques de Portugal, t. III, p. 349.

[124] Dépêche inédite de Lourenço Pires à Jean III du 16 janvier 1557. J'en dois l'obligeante communication à M. le vicomte de Santarem.

[125] Il cita textuellement à Lourenço Pires cet article, ainsi conçu : Otro si es concordado que si Dios ordenaré que el dicho senbor rey de Portugal falesco primero que la dicha senhora infanta (Éléonore), que ella y sus hijos y creados se puedan partir de los dichos reynos. (Dépêche inédite de Lourenço Pires à Jean III du 16 janvier 1557.)

[126] Dépêche inédite de Lourenço Pires à Jean III du 16 janvier 1557.

[127] Dépêche inédite de Lourenço Pires à Jean III et datée du 15 février. Il lui rend compte du second entretien qu'il eut avec Charles-Quint.

[128] Lettre de l'Empereur à la reine de Hongrie du 16 janvier. Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 91-92.

[129] Simancas, Estado, leg. 807.

[130] Simancas, Estado, leg. 807.

[131] Simancas, Estado, leg. 807.

[132] C'est ce que l'Empereur raconte à Vasquez de Molina dans sa lettre du 6 décembre 1556. Simancas, Estado, leg. 809.

[133] Retiro, estancia, etc., fol. 81, 86 et 92.

[134] Retiro, estancia, etc., fol. 92 r°.

[135] Par un bref du 8 mai 1556. Retiro, estancia, etc., fol. 23.

[136] Retiro, estancia, etc., fol. 24 et 25.

[137] Sa lettre, en réponse à celle de Philippe II. qui l'avait consulté en particulier, était du 5 juillet 1556. Elle se trouve dans le manuscrit de don T. Gonzalez, fol. 25 v°.

[138] Retiro, estancia, etc., fol. 24 et 25.

[139] Relazione di Roma di Bernardo Navagero, en 1558. Dans Alberi, série II, vol. III, p. 382 et 394.

[140] Relazione di Roma di Bernardo Navagero, en 1558. Dans Alberi, série II, vol. III.

[141] Philippe II, par une lettre du 9 octobre, avait accepté la médiation des Vénitiens, et il invita lui-même le duc d'Albe a poser les armes. (Retiro, estancia, etc., fol. 50.) La trêve, de dix jours d'abord, fut prorogée de quarante.

[142] Retiro, estancia, fol. 83 v°.

[143] Lettre de Gaztelù du 18 novembre. Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 45.

[144] Se manifesto en estremo descontento. (Retiro, estancia, etc., fol. 83 v°.)

[145] Retiro, estancia, fol. 84 v°.

[146] Lettre de Gaztelù. Retiro, estancia, fol. 84 v°.

[147] Retiro, estancia, etc., fol. 85 et 86.

[148] Castellanos por que son los mejores soldados del mundo. (Retiro, estancia, fol. 61 r°.)

[149] Cette longue et intéressante lettre est insérée tout entière, fol. 86 v° à 89 r°, dans Retiro, estancia, etc. Elle est aussi dans le vol. II de Retraite et mort de Charles-Quint, etc., p. 150 à 156.

[150] C'était 258.000 ducats.

[151] Retiro, estancia, fol. 88 v°.

[152] Una zabra qui portera Hubermont, et, disait-il, la relacion de lo que en todo he acordado con Aubremont. (Retiro, estancia, fol. 89 r°.)

[153] Il écrivit encore, le 12 février, à sa fille sur la défense des frontières, particulièrement de la frontière de la Navarre, et à Vasquez sur la venue de l'infante de Portugal. Retiro estancia, fol. 92 r°

[154] Retiro estancia, fol. 92 v°.

[155] ... Y él les dispidio con muy buenas palabras y demoztracion de amor. (Lettre de la Chaulx. Retiro estancia, fol. 92 v°.)

[156] Lettre de la Chaulx. Retiro estancia, fol. 92 v°.

[157] Ils se trouvent, dit Gaztelù, dans la tristeza y soledad. (Retiro estancia, etc., fol. 91 v°.) Quijada ajoute : Es gran lastima ver partir una compañia de tantos anos... crea V. que lo sienten demaziado. (Ibid., fol. 92 v°.)

[158] Manuscrit hiéronymite, c. XIV, dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. II, p. 15 et 16.

[159] Lettre de Gaztelù du 5 fév., Retraite et mort de Charles-Quint, vol. I, p. 119.

[160] Las campanas se hundian y parece que sonavan mas que otras vezes. (Ms. hiéronymite, c. XIV, Retraite et mort de Charles-Quint, vol. II, p. 16.)

[161] Lettre de la Chaulx dans Retiro, estancia, etc., fol. 93 r°.

[162] De ver lo que nunca creyron. (Retiro, estancia, fol. 93 r°.)

[163] Retiro, estancia, etc., fol. 95 r°. Lettre de M. de la Chaulx et lettre de Gaztelù, Retraite et mort de Charles-Quint, vol. I, p. 119.

[164] Lettre de Quijada du 4 février. Retraite et mort de Charles-Quint, vol. I, p. 118.