LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

I

II. — INFLUENCE DES FEMMES AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE. - MATERNITÉ.

 

 

Tout le monde a remarqué la fécondité singulière des années 1768, 1769 et 1770, si riches en enfants de génie, ces années qui produisent les Bonaparte, les Fourier, les Saint-Simon, les Chateaubriand, les de Maistre, les Walter Scott, les Cuvier, les Geoffroy Saint-Hilaire, les Bichat, les Ampère, un incroyable Bot d'inventeurs dans les sciences.

Une autre époque, antérieure de dix ans (vers 1760), n'est pas moins étonnante. C'est celle qui donna la génération héroïque qui féconda de son sang le premier sillon de la liberté, celle qui, de ce sang fécond, a fait et doué la Patrie ; c'est la Gironde et la Montagne, les Roland et les Robespierre, les Vergniaud et les Danton, les Camille Desmoulins ; c'est la génération pure, héroïque et sacrifiée qui forma les armées invincibles de la République, les Kléber et tant d'autres.

La richesse de ces deux moments, ce luxe singulier de forces qui surgissent tout à coup, est-ce un hasard ? Selon nous, il n'y a nul hasard en ce monde.

Non, la cause naturelle et très-simple du phénomène, c'est la sève exubérante dont ce moment déborda.

La première date (1760 environ), c'est l'aube de Rousseau, le commencement de son influence, au premier et puissant effet du livre d'Émile, la vive émotion des mères qui veulent allaiter et se serrent au berceau de leur enfant.

La seconde date est le triomphe des idées du siècle, non-seulement par la connaissance universelle de Rousseau, mais par la victoire prévue de ses idées dans les lois, par les grands procès de Voltaire, par ses sublimes défenses de Sirven, Calas et la Barre. Les femmes se turent, se recueillirent sous ces émotions puissantes, elles couvèrent le salut à venir. Les enfants à cette heure portent tous un signe au front.

Puissantes générations sorties des hautes pensées d'un amour agrandi, conçues de la flamme du ciel, nées du moment sacré, trop court, où la femme, à travers la passion, entrevit, adora l'Idée.

Le commencement fut beau. Elles entrèrent dans les pensées nouvelles par celle de l'éducation, par les espérances, les vœux de la maternité, par toutes les questions que l'enfant soulève dès sa naissance en un cœur de femme, que dis-je ? dans un cœur de fille. bien longtemps avant l'enfant : Ah ! qu'il soit heureux, cet enfant ! qu'il soit bon et grand ! qu'il soit libre !... Sainte liberté antique, qui fis les héros, mon fils vivra-t-il dans ton ombre ?... Voilà les pensées des femmes, et voilà pourquoi dans ces places, dans ces jardins où l'enfant joue sous les yeux de sa mère ou de sa sœur, vous les voyez rêver et lire... Quel est ce livre que la jeune fille, à votre approche, a si vite caché dans son sein ? Quelque roman ? l'Héloïse ? Non, plutôt les Vies de Plutarque, ou le Contrat social.

La puissance des salons, le charme de la conversation, furent alors, quoi qu'on ait dit, secondaires dans l'influence des femmes. Elles avaient eu cos moyens au siècle de Louis XIV. Ce qu'elles eurent de plus au dix-huitième, et qui les rendit invincibles, fut l'amour enthousiaste, la rêverie solitaire des grandes idées, et la volonté d'être mères, dans toute l'extension et la gravité de ce mot.

Les spirituels commérages de madame Geoffrin, les monologues éloquents de madame de Staël, le charme de la société d'Auteuil, de madame Helvétius ou de madame Récamier, n'auraient pas changé le monde, encore moins les femmes scribes, la plume infatigable de madame de Genlis.

Ce qui, dès le milieu du siècle, changea toute la situation, c'est qu'en ces premières lueurs de l'aurore d'une nouvelle foi, au cœur des femmes, au sein des mères, se rencontrèrent deux étincelles : humanité, maternité.

Et de ces deux étincelles, ne nous en étonnons pas, sortit un flot brûlant d'amour et de féconde passion, une maternité surhumaine.