JEANNE D'ARC

 

III. — JEANNE EST TRAHIE ET LIVRÉE.

 

 

Telle fut la vertu du sacre et son effet tout-puissant dans la France du nord, que dès lors l'expédition sembla n'être qu'une paisible prise de possession, un triomphe, une continuation de la fête de Reims. Les routes s'aplanissaient devant le roi, les villes ouvraient leurs portes et baissaient leurs ponts-levis. C'était comme un royal pèlerinage de la cathédrale de Reims à Saint-Médard de Soissons, à Notre-Dame de Laon. S'arrêtant quelques jours dans chaque ville, chevauchant à son plaisir, il entra dans Château-Thierry, dans Provins, d'où, bien refait et reposé, il reprit vers la Picardie sa promenade triomphale.

Y avait-il encore des Anglais en France ? on eût pu vraiment en douter. Depuis l'affaire de Patay, on n'entendait plus parler de Bedford. Ce n'était pas que l'activité ou le courage lui manquât. Mais il avait usé ses dernières ressources. On peut juger de sa détresse par un seul fait qui en dit beaucoup ; c'est qu'il ne pouvait plus payer son parlement, que cette cour cessa tout service, et que l'entrée même du jeune roi Henri ne put être, selon l'usage, écrite avec quelque détail sur les registres, parce que le parchemin manquait[1].

Dans une telle situation, Bedford n'avait pas le choix des moyens. Il fallut qu'il se remît à l'homme qu'il aimait le moins, à son oncle, le riche et tout-puissant cardinal de Winchester. Mais celui-ci, non moins avare qu'ambitieux, se faisait marchander, et spéculait sur le retard[2]. Le traité ne fut conclu que le 1er juillet, le surlendemain de la défaite de Patay. Charles VII entrait à Troyes, à Reims ; Paris était en alarmes, et Winchester était encore en Angleterre. Bedford, pour assurer Paris, appela le duc de Bourgogne. Il vint en effet, mais presque seul ; tout le parti qu'en tira le régent, ce fut de le faire figurer dans une assemblée de notables, de le faire parler, et répéter encore la lamentable histoire de la mort de son père. Cela fait, il s'en alla, laissant pour tout secours à Bedford quelques hommes d'armes picards ; encore fallut-il qu'en retour on lui engageât la ville de Meaux[3].

Il n'y avait d'espoir qu'en Winchester. Ce prêtre régnait en Angleterre. Son neveu, le protecteur Glocester, chef du parti de la noblesse, s'était perdu à force d'imprudences et de folies. D'année en année, son influence avait diminué dans le conseil ; Winchester y dominait et réduisait à rien le protecteur, jusqu'à rogner le salaire du protectorat d'année en année[4] ; c'était le tuer, dans un pays où chaque homme est coté strictement au taux de son traitement. Winchester, au contraire, était le plus riche des princes Anglais, et l'un des grands bénéficiers da monde. La puissance suivit l'argent, comme il arrive. Le cardinal et les riches évêques de Cantorbéry, d'York, de Londres, d'Ely, de Bath, constituaient le conseil ; s'ils y laissaient siéger des laïques, c'était à condition qu'ils ne diraient mot, et aux séances importantes on ne les appelait même pas. Le gouvernement anglais, comme on pouvait le prévoir dès l'avènement des Lancastre, était devenu épiscopal. Il y paraît aux actes de ce temps. En 1429, le chancelier ouvre le parlement par une sortie terrible contre l'hérésie[5].

Pour porter au plus haut point la puissance du cardinal, il fallait que Bedford fût aussi bas en France que l'était Glocester en Angleterre, qu'il en fût réduit à appeler Winchester, et que celui-ci, à la tête d'une armée, vînt faire sacrer le jeune Henri VI. Cette armée, Winchester l'avait toute prête ; chargé par le pape d'une croisade contre les hussites de Bohême, il avait sous ce prétexte engagé quelques milliers d'hommes. Le pape lui avait donné l'argent des indulgences pour les mener en Bohême ; le conseil d'Angleterre lui donna encore plus d'argent pour les retenir en France[6]. Le cardinal, au grand étonnement des croisés, se trouva les avoir vendus ; il en fut deux fois payé, payé pour une armée qui lui servait à se faire roi.

Avec cette armée, Winchester devait s'assurer de Paris, y mener le petit Henri, l'y sacrer. Mais ce sacre n'assurait la puissance du cardinal qu'autant qu'il réussirait à décrier le sacre de Charles VII, à déshonorer ses victoires, à le perdre dans l'esprit du peuple. Contre Charles VII en France, contre Glocester en Angleterre, il employa, comme on verra, un même moyen, fort efficace alors : un procès de sorcellerie.

Ce fut seulement le 25 juillet, lorsque depuis neuf jours Charles VII était bien et dûment sacré, que le cardinal entra avec son armée à Paris. Bedford ne perdit pas un moment ; il partit avec ses troupes pour observer Charles VII[7]. Deux fois ils furent en présence, et il y eut quelques escarmouches. Bedford craignait pour la Normandie ; il la couvrit, et, pendant ce temps, le roi marcha sur Paris (août).

Ce n'était pas l'avis de la Pucelle ; ses voix lui disaient de ne pas aller plus avant que Saint-Denis. La ville des sépultures royales était, comme celle du sacre, une ville sainte ; au delà, elle pressentait quelque chose sur quoi elle n'avait plus d'action. Charles VII eût dû penser de même. Cette inspiration de sainteté guerrière, cette poésie de croisade qui avait ému les campagnes, n'y avait-il pas danger à la mettre en face de la ville raisonneuse et prosaïque, du peuple moqueur, des scolastiques et des cabochiens ?

L'entreprise était imprudente. Une telle ville ne s'emporte pas par un coup de main ; on ne la prend que par les vivres ; or les Anglais étaient maîtres de la Seine par en haut et par en bas. Ils étaient en force, et soutenus par bon nombre d'habitants qui s'étaient compromis pour eux. On faisait d'ailleurs courir le bruit que les Armagnacs venaient détruire, raser la ville.

Les Français emportèrent néanmoins un boulevard. La Pucelle descendit dans le premier fossé ; elle franchit le dos d'âne qui séparait ce fossé du second. Là, elle s'aperçut que ce dernier, qui ceignait les murs, était rempli d'eau. Sans s'inquiéter d'une grêle de traits qui tombaient autour d'elle, elle cria qu'on apportât des fascines, et cependant de sa lance elle sondait la profondeur de l'eau. Elle était là presque seule, en butte à tous les traits ; il en vint un qui lui traversa la cuisse. Elle essaya de résister à la douleur et resta pour encourager les troupes à donner l'assaut. Enfin, perdant beaucoup de sang, elle se retira à l'abri dans le premier fossé ; jusqu'à dix ou onze heures du soir on ne put la décider à revenir. Elle paraissait sentir que cet échec solennel sous les murs mêmes de Paris devait la perdre sans ressource.

Quinze cents hommes avaient été blessés dans cette attaque, qu'on l'accusait à tort d'avoir conseillée. Elle revint, maudite des siens comme des ennemis. Elle ne s'était pas fait scrupule de donner l'assaut le jour de la Nativité de Notre-Dame (8 septembre) ; la pieuse ville de Paris en avait été fort scandalisée[8].

La cour de Charles VII l'était encore plus. Les libertins, les politiques, les dévots aveugles de la lettre, ennemis jurés de l'esprit, tous se déclarèrent bravement contre l'esprit, le jour où il semble faiblir. L'archevêque de Reims, chancelier de France, qui n'avait jamais été bien pour la Pucelle, obtint, contre son avis, que l'on négocierait. Il vint à Saint-Denis demander une trêve ; peut-être espérait-il en secret gagner le duc de Bourgogne, alors à Paris.

Mal voulue, mal soutenue, la Pucelle fit pendant l'hiver les sièges de Saint-Pierre-le-Moustier et de la Charité. Au premier, presque abandonnée[9], elle donna pourtant l'assaut et emporta la ville. Le siège de la Charité traîna, languit, et une terreur panique dispersa les assiégeants.

Cependant les Anglais avaient décidé le duc de Bourgogne à les aider sérieusement. Plus il les voyait faibles, plus il avait l'espoir de garder les places qu'il pourrait prendre en Picardie. Les Anglais, qui venaient de perdre Louviers, se mettaient à sa discrétion. Ce prince, le plus riche de la chrétienté, n'hésitait plus à mettre de l'argent et des hommes dans une guerre dont il espérait avoir le profit. Pour quelque argent il gagna le gouverneur de Soissons. Puis il assiégea Compiègne, dont le gouverneur était aussi un homme fort suspect. Mais les habitants étaient trop compromis dans la cause de Charles VII pour laisser livrer leur ville. La Pucelle vint s'y jeter. Le jour même, elle fit une sortie et faillit surprendre les assiégeants. Mais ils furent remis en un moment et poussèrent vivement les assiégés jusqu'au boulevard, jusqu'au pont. La Pucelle, restée en arrière pour couvrir la retraite, ne put rentrer à temps, soit que la foule obstruât le pont, soit qu'on eût déjà fermé la barrière. Son costume la désignait ; elle fut bientôt entourée, saisie, tirée à bas de son cheval. Celui qui l'avait prise, un archer picard, selon d'autres le bâtard de Vendôme, la vendit à Jean de Luxembourg. Tous, Anglais, Bourguignons, virent avec étonnement que cet objet de terreur, ce monstre, ce diable, n'était après tout qu'une fille de dix-huit ans.

Qu'il en dût advenir ainsi, elle le savait d'avance ; cette chose cruelle était infaillible, disons-le, nécessaire. Il fallait qu'elle souffrît. Si elle n'eût pas eu t'épreuve et la purification suprême, il serait resté sur cette sainte figure des ombres douteuses parmi les rayons ; elle n'eût pas été, dans la mémoire des hommes LA PUCELLE D'ORLÉANS.

Elle avait dit en parlant de la délivrance d'Orléans et du sacre de Reims : C'est pour cela que je suis née. Ces deux choses accomplies, sa sainteté était en péril.

Guerre, sainteté, deux mots contradictoires ; il semble que la sainteté soit tout l'opposé de la guerre, qu'elle soit plutôt l'amour et la paix. Quel jeune courage se mêlera aux batailles sans partager l'ivresse sanguinaire de la lutte et de la victoire ?... Elle disait à son départ qu'elle ne voulait se servir de son épée pour tuer personne. Plus tard, elle parle avec plaisir de l'épée qu'elle portait à Compiègne, excellente, dit-elle, pour frapper d'estoc et de taille[10]. N'y a-t-il pas là l'indice d'un changement ? la sainte devenait un capitaine. Le duc d'Alençon dit qu'elle avait une singulière aptitude pour l'arme moderne, l'arme meurtrière, celle de l'artillerie. Chef de soldats indisciplinables, sans cesse affligée, blessée de leurs désordres, elle devenait rude et colérique au moins pour les réprimer. Elle était surtout impitoyable pour les femmes de mauvaise vie qu'ils traînaient après eux. Un jour, elle frappa de l'épée de sainte Catherine, du plat de l'épée seulement, une de ces malheureuses. Mais la virginale épée ne soutint pas le contact ; elle se brisa et ne se laissa reforger jamais[11].

Peu de temps avant d'être prise, elle avait pris elle-même un partisan bourguignon, Franquet d'Arras, un brigand exécré dans tout le nord. Le bailli royal le réclama pour le pendre. Elle le refusa d'abord, pensant l'échanger ; puis elle se décida à le livrer à la justice[12]. Il méritait cent fois la corde ; néanmoins, d'avoir livré un prisonnier, consenti à la mort d'un homme, cela dut altérer, même aux yeux des siens, son caractère de sainteté.

Malheureuse condition d'une telle âme tombée dans les réalités de ce monde ! elle devait chaque jour perdre quelque chose de soi. Ce n'est pas impunément qu'on devient tout à coup riche, noble, honoré, l'égal des seigneurs et des princes. Ce beau costume, ces lettres de noblesse, ces grâces du roi, tout cela aurait sans doute à la longue altéré sa simplicité héroïque. Elle avait obtenu pour son village l'exemption de la taille, et le roi avait donné à l'un de ses frères la prévôté de Vaucouleurs.

Mais le plus grand péril pour la sainte, c'était sa sainteté même, les respects du peuple, ses adorations. A Lagny, on la pria de ressusciter un enfant. Le comte d'Armagnac lui écrivit pour lui demander de décider lequel des papes il fallait suivre[13]. Si l'on s'en rapportait à sa réponse (peut-être falsifiée), elle aurait promis de décider à la fin de la guerre, se fiant à ses voix intérieures pour juger l'autorité elle-même.

Et pourtant ce n'était pas orgueil. Elle ne se donna jamais pour sainte ; elle avoua souvent qu'elle ignorait l'avenir. On lui demanda la veille d'une bataille si le roi la gagnerait ; elle dit qu'elle n'en savait rien. A Bourges, des femmes la priant de toucher des croix et des chapelets, elle se mit à rire et dit à la dame Marguerite, chez qui elle logeait : Touchez-les vous-même ; ils seront tout aussi bons[14].

C'était, nous l'avons dit, la singulière originalité de cette fille, le bon sens dans l'exaltation. Ce fut aussi, comme on verra, ce qui rendit ses juges implacables. Les scolastiques, les raisonneurs qui la haïssaient comme inspirée, lurent d'autant plus cruels pour elle qu'ils ne purent la mépriser comme folle, et que souvent elle fit taire leurs raisonnements devant une raison plus haute.

Il n'était pas difficile de prévoir qu'elle périrait. Elle s'en doutait bien elle-même. Dès le commencement, elle avait dit : Il me faut employer ; je ne durerai qu'un an, ou guère plus. Plusieurs fois, s'adressant à son chapelain, frère Pasquerel, elle répéta : S'il faut que je meure bientôt, dites de ma part au roi, notre seigneur, qu'il fonde des chapelles où l'on prie pour le salut de ceux qui seront morts pour la défense du royaume[15].

Ses parents lui ayant demandé, quand ils la revirent à Reims, si elle n'avait donc peur de rien : Je ne crains rien, dit-elle, que la trahison[16].

Souvent, à l'approche du soir, quand elle était en campagne, s'il se trouvait là quelque église, surtout de moines mendiants, elle y entrait volontiers et se mêlait avec les petits enfants qu'on préparait à la communion. Si l'on en croit une ancienne chronique, le jour même qu'elle devait être prise, elle alla communier à l'église Saint-Jacques de Compiègne ; elle s'appuya tristement contre un des piliers, et dit aux bonnes gens et aux enfants qui étaient là en grand nombre : Mes bons amis et mes chers enfants, je vous le dis avec assurance, il y a un homme qui m'a vendue ; je suis trahie et bientôt je serai livrée à la mort. Priez Dieu pour moi, je vous supplie : car je ne pourrai plus servir mon roi ni le noble royaume de France[17].

Il est probable que la Pucelle fut marchandée, achetée, comme on venait d'acheter Soissons. Les Anglais en auraient donné tout l'or du monde, dans un moment si critique, lorsque leur jeune roi débarquait en France. Mais les Bourguignons voulaient l'avoir, et ils l'eurent ; c'était l'intérêt, non-seulement du duc, du parti bourguignon en général, mais directement celui de Jean de Ligny, qui s'empressa d'acheter la prisonnière.

Que la Pucelle fût tombée entre les mains d'un noble seigneur de la maison de Luxembourg, d'un vassal du chevaleresque duc de Bourgogne[18], du bon duc, comme on disait, c'était une grande épreuve pour la chevalerie du temps. Prisonnière de guerre, fille, si jeune fille, vierge surtout, parmi de loyaux chevaliers, qu'avait-elle à craindre[19] ? On ne parlait que de chevalerie, de protection des dames et damoiselles affligées ; le maréchal Boucicaut venait de fonder un ordre qui n'avait pas d'autre objet[20]. D'autre part, le culte de la Vierge, toujours en progrès dans le moyen âge, étant devenu la religion dominante[21], la virginité semblait devoir être une sauvegarde inviolable.

Pour expliquer ce qui va suivre, il faut faire connaître le désaccord singulier qui existait alors entre les idées et les mœurs ; il faut, quelque choquant que puisse être le contraste, placer en regard du trop sublime idéal, en face de la Pucelle, les basses réalités de l'époque ; il faut (j'en demande pardon à la chaste fille qui fait le sujet de ce récit) descendre au fond de ce monde de convoitise et de concupiscence. Si nous ne le connaissions pas tel qu'il fut, nous ne pourrions comprendre comment les chevaliers livrèrent celle qui semblait la chevalerie vivante, comment, sous ce règne de la Vierge, la Vierge apparut pour être méconnue si cruellement.

La religion de ce temps-là, c'est moins la Vierge que la femme ; la chevalerie, c'est celle du petit Jehan de Saintré[22] ; seulement le roman est plus chaste que l'histoire.

Les princes donnent l'exemple. Charles VII reçoit Agnès en présent de la mère de sa femme, de ta vieille reine de Sicile ; mère, femme, maîtresse, il les mène avec lui, tout le long de la Loire, en douce intelligence.

Les Anglais, plus sérieux, ne veulent d'amour que dans le mariage ; Glocester épouse Jacqueline ; parmi les dames de Jacqueline, il en remarque une, belle et spirituelle, il l'épouse aussi[23].

Mais la France, mais l'Angleterre, en cela comme en tout, le cèdent de beaucoup à la Flandre[24], au comte de Flandre, au grand duc, de Bourgogne. La légende expressive des Pays-Bas est celle de la fameuse comtesse qui mit au monde trois cent soixante-cinq enfants[25]. Les princes du pays, sans aller jusque-là, semblent du moins essayer d'approcher. Un comte de Clèves a soixante-trois bâtards[26]. Jean de Bourgogne, évêque dé Cambrai, officie pontificalement avec ses trente-six bâtards et fils de bâtards qui le servent à l'autel[27].

Philippe le Bon n'eut que seize bâtards[28], mais il n'eut pas moins de vingt-sept femmes, trois légitimes et vingt-quatre maîtresses[29]. Dans ces tristes années de 1429 et de 1430, pendant cette tragédie de la Pucelle, il était tout entier à la joyeuse affaire de son troisième mariage. Cette fois, il épousait une infante de Portugal, Anglaise par sa mère, Philippa de Lancastre[30]. Aussi les Anglais eurent beau lui donner le commandement de Paris[31], ils ne purent le retenir ; il avait hâte de laisser ce pays de famine, de retourner en Flandre, d'y recevoir sa jeune épousée. Les actes, les cérémonies, les fêtes célébrées, interrompues, reprises, remplirent des mois entiers. A Bruges surtout, il y eut des galas inouïs, de fabuleuses réjouissances, des prodigalités insensées, à ruiner tous les seigneurs ; et les bourgeois les éclipsaient. Les dix-sept nations qui avaient leurs comptoirs à Bruges y étalèrent les richesses du monde. Les rues étaient tendues des beaux et doux tapis de Flandre. Pendant huit jours et huit nuits coulaient les vins à flots, les meilleurs ; un lion de pierre versait le vin du Rhin, un cerf celui de Beaune, une licorne, aux heures des repas, lançait l'eau de rose et le malvoisie[32].

Mais la splendeur de la fête flamande, c'étaient les Flamandes, les triomphantes beautés de Bruges, telles que Rubens les a peintes dans sa Madeleine de la Descente de croix. La Portugaise ne dut pas prendre plaisir à voir ses nouvelles sujettes. Déjà l'Espagnole Jeanne de Navarre s'était dépitée en les voyant, et elle avait dit malgré elle : Je ne vois ici que des reines [33].

Le jour de son mariage (10 janvier 1430), Philippe le Bon institua l'ordre de la Toison d'or[34], conquise par Jason, et il prit la conjugale et rassurante devise : Autre n'auray.

La nouvelle épouse s'y fia-t-elle ? Cela est douteux. Cette toison de Jason, ou de Gédéon[35] (comme l'Église se hâta de la baptiser), était, après tout, la toison d'or, elle rappelait ces flots dorés, ces ruisselantes chevelures d'or que Van Eyck, le grand peintre de Philippe le Bon[36], jette amoureusement sur les épaules de ses saintes. Tout le monde vit dans l'ordre nouveau le triomphe de la beauté blonde, de la beauté jeune, florissante du Nord, en dépit des sombres beautés du Midi. Il semblait que le prince flamand, consolant les Flamandes, leur adressait ce mot à double entente : Autre n'auray.

Sous ces formes chevaleresques, gauchement imitées des romans, l'histoire de la Flandre en ce temps n'en est pas moins comme une fougueuse kermesse, joyeuse et brutale. Sous prétexte de tournois, de pas d'armes, des banquets de la Table ronde, ce ne sont que galanteries, amours faciles et vulgaires, interminables bombances[37]. La vraie devise de l'époque est celle que le sire de Ternant osa prendre aux joutes d'Arras : Que j'aie de mes désirs assouvissance, et jamais d'autre bien ![38]

Ce qui pouvait surprendre, c'est que parmi les fêtes folles, les magnificences ruineuses, les affaires du comte de Flandre semblaient n'en aller que mieux. Il avait beau donner, perdre, jeter, il lui en venait toujours davantage. Il allait grossissant et s'arrondissant de la ruine générale. Il n'y eut d'obstacle qu'en Hollande ; mais il acquit sans grande peine les positions dominantes de la Somme et de la Meuse, Namur, Péronne. Les Anglais, outre Péronne, lui mirent entre les mains Bar-sur-Seine, Auxerre, Meaux, les avenues de Paris, enfin Paris même.

Bonheur sur bonheur ; la fortune allait le chargeant et le surchargeant. Il n'avait pas le temps de respirer. Elle fit tomber au pouvoir d'un de ses vassaux la Pucelle, ce précieux gage que les Anglais auraient acheté à tout prix. Et au même moment, sa situation se compliquant d'un nouveau bonheur, la succession du Brabant s'ouvrit ; mais il ne pouvait la recueillir, s'il ne s'assurait de l'amitié des Anglais.

Le duc de Brabant parlait de se remarier, de se faire des héritiers. Il mourut à point pour le duc de Bourgogne[39]. Celui-ci avait à peu près tout ce qui entoure le Brabant, je veux dire la Flandre, le Hainaut, la Hollande, Namur et le Luxembourg. Il lui manquait la province centrale, la riche Louvain, la dominante Bruxelles. La tentation était forte. Aussi ne fit-il aucune attention aux droits de sa tante[40], de laquelle pourtant il tenait les siens ; il immola même les droits de ses pupilles, son propre honneur, sa probité de tuteur[41]. Il mit la main sur le Brabant. Pour le garder, pour terminer les affaires de Hollande et de Luxembourg, pour repousser les Liégeois qui venaient assiéger Namur[42], il fallait rester bien avec les Anglais, il fallait livrer la Pucelle.

Philippe le Bon était un bon homme, selon les idées vulgaires, tendre de cœur, surtout aux femmes, bon fils, bon père, pleurant volontiers. Il pleura les morts d'Azincourt, mais sa ligue avec les Anglais fit plus de morts qu'Azincourt. Il versa des torrents de larmes sur la mort de son père, puis, pour le venger, des torrents de sang. Sensibilité, sensualité, ces deux choses vont souvent ensemble. Mais la sensualité, la concupiscence n'en sont pas moins cruelles dans l'occasion. Que l'objet désiré recule, que la concupiscence le voie fuir et se dérober à ses prises, alors elle tourne à la furie aveugle... Malheur à ce qui fait obstacle !... L'école de Rubens, dans ses bacchanales païennes, mêle volontiers des tigres aux satyres[43] : Lust hard by hate[44].

Celui qui tenait la Pucelle entre ses mains, Jean de Ligny, vassal du duc de Bourgogne, se trouvait justement dans la même situation que son suzerain. Il était, comme lui, dans un moment de cupidité, d'extrême tentation. Il appartenait à la glorieuse maison du Luxembourg : l'honneur d'être parent de l'empereur Henri VII et du roi Jean de Bohême valait bien qu'on le ménageât ; mais Jean de Ligny était pauvre ; il était cadet de cadet[45]. Il avait eu l'industrie de se faire nommer seul héritier par sa tante, la riche dame de Ligny et de Saint-Pol[46]. Cette donation, fort attaquable, allait lui être disputée par son frère ainé. Dans cette attente, Jean était le docile et tremblant serviteur du duc de Bourgogne, des Anglais, de tout le monde. Les Anglais le pressaient de leur livrer la prisonnière, et ils auraient fort bien pu la prendre dans la tour de Beaulieu en Picardie où il l'avait déposée. D'autre part, s'il la laissait prendre, il se perdait auprès du duc de Bourgogne, son suzerain, son juge dans l'affaire de la succession, et qui par conséquent pouvait le ruiner d'un seul mot. Provisoirement il l'envoya à son château de Beaurevoir, près Cambrai, sur terre d'Empire.

Les Anglais, exaspérés de haine et d'humiliation, pressaient, menaçaient. Leur rage était telle contre la Pucelle, que, pour en avoir dit du bien, une femme fut brûlée vive[47]. Si la Pucelle n'était elle-même jugée et brûlée comme sorcière, si ses victoires n'étaient rapportées au démon, elles restaient des miracles dans l'opinion du peuple, des œuvres de Dieu ; alors Dieu était contre les Anglais ; ils avaient été bien et loyalement battus : donc leur cause était celle du diable ; dans les idées du temps, il n'y avait pas de milieu. Cette conclusion, intolérable pour l'orgueil anglais, l'était bien plus encore pour un gouvernement d'évêques, comme celui de l'Angleterre, pour le cardinal qui dirigeait tout.

Winchester avait pris les choses en main dans un état presque désespéré. Glocester étant annulé en Angleterre, Bedford en France, il se trouvait seul. Il avait cru tout entraîner en amenant le jeune roi à Calais (23 avril), et les Anglais ne bougeaient pas. Il avait essayé de les piquer d'honneur en lançant une ordonnance contre ceux qui ont peur des enchantements de la Pucelle[48]. Cela n'eut aucun effet. Le roi restait à Calais, comme un vaisseau échoué. Winchester devenait éminemment ridicule. Après avoir réduit la croisade de terre sainte[49] à celle de Bohême, il s'en était tenu à la croisade de Paris. Le belliqueux prélat, qui s'était fait fort d'officier en vainqueur à Notre-Dame et d'y sacrer son pupille, trouvait tous les chemins fermés ; de Compiègne l'ennemi lui barrait la route de Picardie, de Louviers celle de Normandie. Cependant la guerre traînait, l'argent s'écoulait[50], la croisade se perdait en fumée. Le diable apparemment s'en mêlait ; le cardinal ne pouvait se tirer d'affaire qu'en faisant le procès au Malin, en brûlant cette diabolique Pucelle.

Il fallait l'avoir, la tirer des mains des Bourguignons. Elle avait été prise le 23 mai ; le 26, un message part de Rouen, au nom du vicaire de l'inquisition, pour sommer le duc de Bourgogne et Jean de Ligny de livrer cette femme suspecte de sorcellerie. L'inquisition n'avait pas grande force en France ; son vicaire était un moine fort peureux, un dominicain, et sans doute, comme les autres mendiants, favorable à la Pucelle. Mais il était à Rouen sous la terreur du tout-puissant cardinal, qui lui tenait l'épée dans les reins. Le cardinal venait de nommer capitaine de Rouen un homme d'exécution, un homme à lui, lord Warwick, gouverneur d'Henri[51]. Warwick avait deux charges fort diverses à coup sûr, mais toutes deux de haute confiance, la garde du roi et celle de l'ennemi du roi, l'éducation de l'un, la surveillance du procès de l'autre[52].

La lettre du moine était une pièce de peu de poids, on fit écrire en même temps l'Université. Il semblait difficile que les universitaires aidassent dé bon cœur un procès d'inquisition papale, au moment où ils allaient guerroyer à Bâle contre le pape pour l'épiscopat. Winchester lui-même, chef de l'épiscopat anglais, devait préférer un jugement d'évêques, ou, s'il pouvait, faire agir ensemble évêques et inquisiteurs. Or il avait justement à sa suite et parmi ses gens un évêque très-propre à la chose, un évêque mendiant qui vivait à sa table, et qui assurément jurerait ou jugerait tant qu'on en aurait besoin.

Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, n'était pas un homme sans mérite. Né à Reims[53], tout près du pays de Gerson, c'était un docteur fort influent de l'Université, un ami de Clémengis, qui nous assure qu'il était bon et bienfaisant[54]. Cette bonté ne l'empêcha pas d'être l'un des plus violents dans le violent parti cabochien. Comme tel, il fut chassé de Paris en 1413. Il y rentra avec le duc de Bourgogne, devint évêque de Beauvais, et, sous la domination anglaise, il fut élu par l'Université conservateur de ses privilèges. Mais l'invasion de la France du nord par Charles VII, en 1429, devint funeste à Cauchon ; il voulut retenir Beauvais dans le parti anglais, et fut chassé par les habitants. Il ne s'amusa pas à Paris, près du triste Bedford, qui ne pouvait payer le zèle ; il alla où étaient la richesse et la puissance, en Angleterre, près du cardinal Winchester. Il se fit Anglais, il parla anglais. Winchester sentit tout le parti qu'il pouvait tirer d'un tel homme ; il se l'attacha en faisant pour lui autant et plus qu'il n'avait pu jamais espérer. L'archevêque de Rouen venait d'être transféré ailleurs[55] ; il le recommanda au pape polir ce grand siège[56]. Mais ni le pape ni le chapitre ne voulaient de Cauchon ; Rouen, alors en guerre avec l'Université de Paris[57], ne pouvait prendre pour archevêque un homme de cette Université. Tout fut suspendu ; Cauchon, en présence de cette magnifique proie, resta bouche béante, espérant toujours que l'invincible cardinal écarterait les obstacles, plein de dévotion en lui et n'ayant plus d'autre dieu.

Il se trouvait fort à point que la Pucelle avait été prise sur la limite du diocèse de Cauchon, non pas, il est vrai, dans le diocèse même, mais on espéra faire croire qu'il en était ainsi. Cauchon écrivit donc, comme juge ordinaire, au roi d'Angleterre, pour réclamer ce procès ; et, le 12 juin, une lettre royale fit savoir à l'Université que l'évêque et l'inquisiteur jugeraient ensemble et concurremment. Les procédures de l'inquisition n'étaient pas les mêmes que celles des tribunaux ordinaires de l'Église. Il n'y eut pourtant aucune objection. Les deux justices voulant bien agir ainsi de connivence, une seule difficulté restait : l'inculpée était toujours entre les mains des Bourguignons.

L'Université se mit en avant ; elle écrivit de nouveau au duc de Bourgogne, à Jean de Ligny (14 juillet). Cauchon, dans son zèle, se faisant l'agent des Anglais, leur courrier, se chargea de porter lui-même la lettre[58], et la remit aux deux ducs. En même temps il leur fit une sommation comme évêque, à cette fin de lui remettre une prisonnière sur laquelle il avait juridiction. Dans cet acte étrange, il passe du rôle de juge à celui de négociateur, et fait des offres d'argent ; quoique cette femme ne puisse être considérée comme prisonnière de guerre, le roi d'Angleterre donnera deux ou trois cents livres de rente au bâtard de Vendôme, et à ceux qui la retiennent la somme de six mille livres. Puis, vers la fin de la lettre, il pousse jusqu'à dix mille francs, mais il fait valoir cette offre : Autant, dit-il, qu'on donnerait pour un roi ou prince, selon la coutume de France.

Les Anglais ne s'en fiaient pas tellement aux démarches de l'Université et de Cauchon qu'ils n'employassent des moyens plus énergiques. Le jour même où Cauchon présenta sa sommation, ou le lendemain, le conseil d'Angleterre interdit aux marchands anglais les marchés des, Pays Bas (19 juillet), notamment celui d'Anvers, leur défendant d'y acheter les toiles et les autres objets pour lesquels ils échangeaient leur laine[59]. C'était frapper le duc de Bourgogne, comte de Flandre, par un endroit bien sensible, par les deux grandes industries flamandes, la toile et le drap ; les Anglais n'allaient plus acheter l'une et cessaient de fournir la matière à l'autre.

Tandis que les Anglais agissaient si vivement pour perdre la Pucelle, Charles VII agissait-il pour la sauver ? En rien, ce semble[60] ; il avait pourtant des prisonniers entre ses mains ; il pouvait la protéger, en menaçant de représailles. Récemment encore il avait négocié par l'entremise de son chancelier, l'archevêque de Reims ; mais cet archevêque et les autres politiques n'avaient jamais été bien favorables à la Pucelle. Le parti d'Anjou-Lorraine, la vieille reine de Sicile qui l'avait si bien accueillie, ne pouvait agir pour elle en ce moment près du duc de Bourgogne. Le duc de Lorraine allait mourir[61], on se disputait d'avance sa succession, et Philippe le Bon soutenait un compétiteur de René d'Anjou, gendre et héritier du duc de Lorraine.

Ainsi, de toutes parts, ce monde d'intérêt et de convoitise se trouvait contraire à la Pucelle, ou tout au moins indifférent. Le bon Charles VII ne fit rien pour elle, le bon duc Philippe la livra. La maison d'Anjou voulait la Lorraine, le duc de Bourgogne voulait le Brabant ; il voulait surtout la continuation du commerce flamand avec l'Angleterre. Les petits aussi avaient leurs intérêts : Jean de Ligny attendait la succession de Saint-Pol, Cauchon l'archevêché de Rouen.

En vain la femme de Jean de Ligny se jeta à ses pieds, elle le supplia en vain de ne pas se déshonorer. Il n'était pas libre, il avait déjà reçu de l'argent anglais[62] ; il la livra, non, il est vrai, aux Anglais directement, mais au duc de Bourgogne. Cette famille de Ligny et de Saint-Pol, avec ses souvenirs de grandeur et ses ambitions effrénées, devait poursuivre la fortune jusqu'au bout, jusqu'à la Grève[63]. Celui qui livra la Pucelle semble avoir senti sa misère ; il fit peindre sur ses armes un chameau succombant sous le faix, avec la triste devise inconnue aux hommes de cœur : Nul n'est tenu à l'impossible[64].

 

 

 



[1] Ob defectum pergameni et eclipsim justiciæ. Registre du parlement, cité dans la préface du tome XIII des Ordonnances, p. LXVII. Pour escripre les plaidoiries et les arretz.... plusieurs fois a convenu par nécessité... que les greffiers.... à leurs despens aient acheté et paié le parchemin. (Archives, registres du parlement, samedi 20e jour de janvier 1431.)

[2] Dès le 15 juin, on presse des vaisseaux pour son passage ; les conditions auxquelles il veut bien aider le roi son neveu, ne sont réglées que le 18 ; le traité est du 1er juillet, et le 16, le régent et le conseil de France en sont encore à prier Winchester de venir et d'amener le roi au plus vite. (Voyez tous ces actes dans Rymer, 3e éd., t. IV, p. 144-150.)

[3] On lui donna en outre vingt mille livres pour payement de gens d'armes. Archives, trésor des chartes, J, 249, quittance du 8 juillet 1429.

[4] Turner, vol. III, p. 2-6.

[5] Cette royauté des évêques se marque fortement dans un fait très-peu connu. Les francs-maçons avaient été signalés dans un statut de la troisième année de Henri VI comme formant des associations contraires aux lois, leurs chapitres annuels défendus, etc. En 1429, lorsque l'influence du protecteur Glocester fut annulée par celle de son oncle, le cardinal, nous voyons l'archevêque de Cantorbéry former une loge de francs-maçons et s'en déclarer le chef (The early history of free masonry in England, by James Orchard Halliwel, London, 1840, p. 95.)

[6] Rymer, t. IV, p. 159, 165, etc.

[7] Le défi de Bedford A Charles de Valois est écrit dans la langue dévote et dans les formes hypocrites qui caractérisent généralement les actes de la maison de Lancastre : Ayez pitié et compassion du povre peuple chrestien.... Prenez au pays de Brie aucune place aux champs.... Et lors, si vous voulez aucune chose offrir, regardant au bien de la paix, nous laisserons et nous ferons tout ce que bon prince catholique peut et doit faire. (Monstrelet, t. V, p. 241, 7 août.)

[8] Ici la violence du Bourgeois est amusante : Estoient pleins de si grant maleur et de si malle créance, que, pour ledit d'une créature qui estoit en forme de femme avec eulx, qu'on nomme la Pucelle (que c'estoit ? Dieu le scet), le jour de la Nativité de Notre-Dame firent conjuration..... de celui jour assaillir Paris..... (Journal du Bourgeois de Paris, éd. Buchon, p. 395.)

[9] Lorsqu'on eut sonné la retraite, Daulon aperçut la Pucelle à l'écart avec les siens ; et lui demanda qu'elle faisoit là ainsi seule, pourquoy elle ne se retyroit comme les autres ; laquelle, après ce qu'elle eut osté sa salade de dessus sa tête, lui respondit qu'elle n'estoit point seule, et que encore avoit-elle en sa compaignie cinquante mille de ses gens, et que d'illec ne se partiroit, jusque ad ce qu'elle eût prinse la dite ville. Il dict il qui parle que à celle heure, quelque chose qu'elle dict, n'avoit pas avec elle plus de quatre ou cinq hommes. (Déposition de Daulon, Notices des mss., III, 370.)

[10] Bonus ad dandum de bonnes buffes et de bons torchons. Procès ms., 17 februarii 1431.

[11] Voyez la déposition du duc d'Alençon, et Jean Chartier, éd. Godefroy, p. 29, 42.

[12] Elle fut consentante de le faire mourir.... pour ce qu'il confessast estre meurtrier, larron et traistre. (interrogatoire du 14 mars 1431.)

[13] Dans Berriat-Saint-Prix, p. 337, et dans Buchon, p. 589, édition de 1838.

[14] Procès de révision, déposition de Marguerite la Touroulde.

[15] Procès de révision, déposition de frère Jean Pasquerel.

[16] Procès de révision, déposition de Spinal.

[17] Barante, d'après les Chroniques de Bretagne.

[18] Laquelle icelui duc alla donc voir au logis où elle estoit, et parla à elle aucunes paroles, dont je ne suis mie bien recors, jà soit ce que j'y estois présent. (Monstrelet, V, 294.)

[19] Voyez ce que j'ai dit plus haut sur l'influence des femmes du moyen âge, sur Héloïse, sur Blanche de Castille, sur Laure, etc.

[20] Font à scavoir les treize chevaliers compagnons, portant en leur devise l'escu verd à la Dame blanche, premièrement, pourceque tout chevalier est tenu de droict de vouloir garder et défendre l'honneur, l'estat, les biens, la renommée et la louange de toutes dames et damoiselles, etc. Livre des faicts du maréchal de Boucicault, collection Petitot, VI, 507.

[21] Les fêtes de la Vierge vont toujours se multipliant : Annonciation, Présentation, Assomption, etc. Dans l'origine, sa fête principale est la Purification ; au douzième siècle, elle a si peu besoin d'être purifiée, que la Conception immaculée triomphe de toute opposition et devient presque un dogme. M. Didron a remarqué que la Vierge d'abord vieille dans les peintures des catacombes, rajeunit peu à peu dans le moyen âge. Voyez son Iconographie chrétienne. — Dès le dix-septième siècle, la Vierge perd beaucoup ; on se moqua de l'ambassadeur d'Espagne, qui, de la part du roi son maître, demandait à Louis XIV d'admettre la Conception immaculée.

[22] Voyez le tome IV de notre Histoire de France.

[23] Selon quelques-uns, cette dame était déjà sa maîtresse ; quoi qu'il en soit, le fait de la bigamie est incontestable. (Cf. Lingard, Turner, etc.)

[24] J'ai caractérisé déjà cette grasse et molle Flandre. J'ai dit comment, avec sa coutume féminine, elle a sans cesse passé d'un maitre à l'autre, convolé de mari en mari. Les Flamandes ont souvent fait comme la Flandre. Les divorces sont communs dans ce pays (Quetelet, Recherches, 1822, p. 101). Sous ce point de vue, l'histoire de Jacqueline est fort curieuse ; la vaillante comtesse aux quatre maris, qui défendit ses domaines contre le duc de Bourgogne, ne se garda pas si bien elle-même. Elle finit par troquer la Hollande contre un dernier époux. Retirée avec lui dans un vieux donjon, elle s'amusait, dit-on, tout en tirant au perroquet, à jeter dans les fossés des cruches, bien vidées, par-dessus sa tête. On assure qu'une de ces cruches retirées des fossés portait une inscription de quatre vers dont voici le sens : Sachez que dame Jacqueline, ayant bu une seule fois dans cette cruche, la jeta par-dessus sa tête dans le fossé où elle disparut. (Reiffenberg, notes sur Barante, IV, 396 ; voyez les Archives du nord de la France, t. IV, 1re livraison, d'après un ms. de la bibl. de l'Université de Louvain, et le travail que prépare M. Van Ertborn.) — Le 1er décembre 1434, Jacqueline fit exposer les causes de nullité de son mariage avec le duc de Brabant ; Doudit mariage et alliance sentoit sa conscience blechie, se estoit confessée et l'en avoit estet baillie absolution, moyennant XII CT. couronnes à donner en amonsnes et en penance du corps que elle avoit accompli. Particularités curieuses sur Jacqueline de Bavière, p. 76, in-8°, Mons, 1838.

[25] Art de vérifier les dates, Hollande, année 1276, III, 184.

[26] Art de vérifier les dates, Clèves, III, 184. La partie relative aux Pays-Bas est, comme on le sait maintenant, du chanoine Ernst, le savant auteur de l'Histoire du Limbourg, éditée par M. Lavalleye, Liège, 1837.

[27] Reiffenberg, Hist. de la Toison d'or, p. XXV de l'introduction.

[28] Il reste je ne sais combien de lettres et d'actes de cet excellent prince, relativement aux nourritures de bâtards, pensions de mères et de nourrices, etc. (Voyez particulièrement Archives de Lille, chambre des comptes, inventaire, t. VIII.)

[29] Reiffenberg, Histoire de la Toison d'or, introd., p. XXV.

[30] Le père était le brave bâtard Jean Ier, qui venait de fonder en Portugal une nouvelle dynastie, comme le bâtard Transtamare en Castille. C'était le beau temps des bâtards. L'habile et hardi Dunois avait déclaré à douze ans qu'il n'était pas fils du riche et ridicule Canny, qu'il ne voulait pas de sa succession, qu'il s'appelait le bâtard d'Orléans.

[31] Les Anglais semblent y avoir été forcés : Fut par les Parisiens requis au duc de Bourgogne qu'il lui plût à entreprendre le gouvernement de Paris. (Monstrelet, V, 264).

[32] Monstrelet, V, 275, etc.

[33] Voyez t. III de notre Histoire.

[34] L'allégorisme absurde du XVe siècle crut voir dans l'ordre de la Toison d'or le triomphe des drapiers de Flandre. Il n'y avait pourtant pas moyen de s'y tromper. Le galant fondateur joignait à la toison un collier de pierres à feu, avec ce mot : Ante ferit quam flamma micat. On y chercha vingt sens ; il n'y en avait qu'un. La Jarretière d'Angleterre avec sa devise prude, la Rose de Savoie, ne sont pas plus obscures.

[35] Plus tard encore, le prince vieillissant, on fit de Jason Josué (Reiffenberg, Histoire de la Toison d'or, p. 22-34). J'insiste ailleurs sur l'importance politique de cet ordre.

[36] Je parle, au t. V de mon Histoire, de la révolution que ce grand homme fit dans les arts. Il fut valet de chambre, puis conseiller de Philippe le Bon. Il faisait partie de l'ambassade qui alla chercher l'infante Isabelle en Portugal. Voyez la relation dans les Documents inédits publiés par M. Gachard, II, 63-96.

[37] La fête des mangeurs et buveurs a été célébrée encore en 1840 à Dilbeck et Zelick. On y donne en prix une dent d'argent au meilleur mangeur, un robinet d'argent au meilleur buveur.

[38] Note de Reiffenberg sur Barante, V, 264.

[39] Mort le 4 août, selon l'Art de vérifier les dates, le 8, selon Meyer. Il négociait avec René d'Anjou, héritier de Lorraine, pour épouser sa fille.

[40] Marguerite de Bourgogne, comtesse de Hainaut, fille de Philippe le Hardi et de Marguerite de Flandre, par laquelle l'héritage féminin de Brabant était venu dans la maison de Bourgogne.

[41] La mère de Charles et de Jean de Bourgogne (fils du comte de Nevers, tué à Azincourt) s'était remariée à Philippe le Bon en 1424, et il partageait la garde noble de ses deux beaux-fils. Sur la spoliation de la maison de Nevers, voyez surtout Bibl. royale, mss., fonds Saint-Victor, n° 1080, fol. 53-96.

[42] Monstrelet, V, 298, août 1430.

[43] Voyez, entre autres tableaux, un Jordaens qui appartient à Panckoucke.

[44] Milton, Paradise lost, I, 417.

[45] Il était le troisième fils de Jean, seigneur de Baurevoir, qui lui-même était fils puîné de Guy, comte de Ligny.

[46] La mort de la tante était imminente ; elle eut lieu en 1431. (Voyez l'Art de vérifier les dates, Comtes de Saint-Pol, III, 780.)

[47] Elle disoit... que dame Jehanne... estoit bonne. Journal du Bourgeois de Paris, p. 411, édition 1827.

[48] Contra terrificatos incantationibus Puellæ. Rymer, t. IV, pars IV, p. 180, 165, 3 mai, 12 décembre 1430.

[49] Projetée par Henri V.

[50] Quoique le cardinal se fît donner beaucoup d'agent, il y mettait aussi beaucoup du sien. Un chroniqueur assure que le couronnement se fit à ses frais ; il fit sans doute aussi les avances nécessaires au procès. — .... Magnificis suis sumtibus in regem Franciæ... coronari. Hist. Croyland. contin. apud Gale, Angl. script., I, 516.

[51] Le petit Henri VI dit dans son ordonnance : Nous avons choisi le comte de Warwick... ad nos erudiendum... in et de bonis moribus, literatura, idiomate vario, nutritura et facetia... Rymer, t. IV, pars IV, 1 julii 1428. — Ce molle atque facetum qu'Horace attribue à Virgile, comme le don suprême de la grâce, semble un peu étrange, appliqué, comme il l'est ici, au rude geôlier de la Pucelle. Il semble au reste n'avoir guère été plus doux pour son élève ; la première chose qu'il stipule en acceptant la charge de gouverneur, c'est le droit de châtier. Voyez les articles qu'il présenta au conseil, Turner, II, 508.

[52] Voyez Commission pour faire revue du comte de Warwick, capitaine des château, ville et pont de Rouen, et d'une lance à cheval, quatorze à pied et quarante-cinq archers, pour la sûreté du château, etc. Archives du royaume, K, 63, 22 mars 1438.

[53] Voyez sur Cauchon, du Boulay, Historia Univers. Parisiensis, 912. — Le Bourguignon Chastellain, éd. Buchon, 1827, p. 66, l'appelle : Très-noble et solennel clerc. Nous avons parlé ailleurs de son extrême dureté pour les gens d'Église du parti contraire. Voyez le Religieux de Saint-Denis, mss. Baluze, Bibl. royale, tome dernier, folio 176.

[54] Voyez aussi la lettre que Clémengis lui adresse, avec ce titre : Contractus amicitiæ mutuæ. Nicol. de Clemang. epistolæ, II, 323. Voyez aussi l'introduction de Quicherat.

[55] Gallia christiana, XI, 87-88.

[56] Litteræ dictæ Domino Summo Pontifici pro translatione D. Petri Cauchon, episcopi Belvacensis, ad ecclesiam metropolitanam Rothomagensem. Rymer, t. IV, pars IV, p. 152, 15 décembre 1429.

[57] Voyez la remontrance de Rouen contre l'Université. Chéruel, 167.

[58] Cauchon recevait des Anglais cent sols par jour, d'après sa quittance (communiquée par M. Jules Quicherat, d'après le ms. de la Bibl. royale, coll. Gaignières, vol. IV).

[59] Rymer, t. IV, pars IV, p. 165, 19 julii 1430. Pour saisir l'ensemble de l'espèce de guerre commerciale qui commençait entre la jeune industrie anglaise et celle des Pays-Bas, voyez les défenses d'importer en Flandre les draps et laines filées d'Angleterre (1428, 1464, 1494), et enfin l'importation permise (1499), sous promesse de réduire les droits sur la laine non travaillée que les Anglais vendront aux Flamands à Calais. Rapport du jury sur l'industrie belge, rédigé par M. Gachard, 1836.

[60] M. de l'Averdy ne justifie le roi que par des conjectures. M. Berriat-Saint-Prix le trouve inexcusable, p. 239. Dans les lettres par lesquelles Charles VII accorde divers privilèges aux Orléanais immédiatement après le siège, pas un mot de la Pucelle ; la délivrance de la ville est due à la divine grâce, aux secours des habitants et à l'aide des gens de guerre. Ordonnances, XIII, préface, p. 15. — Voyez toutefois plus bas l'expédition de Saintrailles.

[61] Il mourut quelques mois après, le 25 janvier 1431. Art de vérifier les dates, III, 54.

[62] La rançon fut payée avant le 20 octobre, comme le prouve l'une des pièces copiées par M. Mercier aux archives de Saint-Martin des Champs. Note de l'abbé Dubois, dissertation, éd. Buchon, 1827, p. 217.

[63] Ceci fait allusion à la mort du neveu de Jean de Ligny, le fameux connétable de Saint-Pol, qui crut un moment se faire un État entre les possessions des maisons de France et de Bourgogne, et fut décapité à Paris en 1475.

[64] Le mausolée de la Toison d'or, Amst. 1679, p. 14, Histoire de l'ordre, IV, 26.