MICHEL LE SYRIEN — CHRONIQUE (Extrait 1011-1194)

 

Extrait du Recueil des Historiens des Croisades, Documents arméniens, Tome Ier.

 

Texte mis en page par Marc Szwajcer

 

 

NOTE PRÉLIMINAIRE

En publiant dans le Journal Asiatique (cahier d’octobre 1848 et avril-mai 1849) un fragment de la Chronique de Michel le Syrien, j’ai donné une notice sur sa vie, sur cet ouvrage et les autres productions dont il est l’auteur. Je crois devoir la reproduire ici en l’abrégeant. Les matériaux m’en ont été fournis par Assemani,[1] qui lui-même les avait puisés dans la Chronique syriaque d’Aboulfaradj. Michel fut patriarche jacobite d’Antioche, et le centième de la série de ces pontifes. Il fut surnommé le Grand ou l’Ancien. Il avait commencé à faire profession dans le couvent de Bar-Tzaumâ de Schanâ, dont il devint plus tard archimandrite. Sa mort arriva le 7 novembre de l’année 1511 de l’ère des Grecs (1er octobre 1199-1200), dans la soixante-treizième année de sa vie et la trente-troisième de son pontificat. Il fut enseveli dans la nouvelle église de son monastère, dans un sépulcre qu’il avait fait creuser, de son vivant, devant l’autel placé au nord.

Les productions qui lui sont attribuées, et dont, parle Assemani, sont : une Liturgie, qui a été traduite en latin par Renaudot ; un Traité sur la préparation à la communion ; un Recueil de douze canons ; une pièce de poésie, et enfin sa Chronique ou Histoire universelle. A ces travaux il faut ajouter la révision du Rituel et du Pontifical des Syriens jacobites, qu’il rétablit dans un meilleur ordre, et une copie, faite de sa main, des Saintes Écritures. Outre ces ouvrages, énumérés par Assemani, la littérature arménienne nous a transmis la version de deux opuscules inscrits sous le nom de Michel, et qui complètent la liste que nous a fournie le savant maronite. Le premier a pour titre, Touchant l’origine des institutions sacerdotales ; le second est une profession de foi où sont exposés les dogmes de l’Eglise à laquelle notre auteur appartenait.

La Chronique de Michel, telle qu’elle existe aujourd’hui en langue arménienne, n’est qu’une traduction du syriaque ; mais elle n’en est pas moins précieuse, parce que nous ne possédons plus l’original, qui est perdu, ou qui n’a point été retrouvé jusqu’à présent. Cette version se trouve à la Bibliothèque impériale de Paris, dans le manuscrit n° 96, ancien fonds arménien, dont elle occupe les 184 premiers folios. Ce volume, transcrit à Constantinople, en 1721, sous le patriarcat du docteur Jean, et sous le règne du sultan Ahmed III, par un prêtre nommé Grégoire, est tracé avec une extrême élégance dans la forme de caractères appelée nödrakir ou écriture de chancellerie, en double colonne, sur papier turc. Quoique ce manuscrit soit généralement assez correct, on y remarque cependant des fautes et des omissions, dont les unes sont dues au copiste et les autres doivent être imputées évidemment au traducteur arménien. Un mémorial qu’on lit fos 220 v° 221 r° nous apprend que cette version fut faite par un prêtre nommé Ishôk (Isaac), habile dans l’art de la médecine, au temps de Mar Ignace, patriarche jacobite d’Antioche. J’ai désigné ce manuscrit par la lettre A. Le manuscrit B est une copie faite sur l’exemplaire de la Bibliothèque des Mékhitharistes de Venise ; il m’a fourni une collation souvent très profitable.

La composition historique de Michel comprend les temps écoulés depuis la création du monde jusqu’à Héthoum Ier, roi de la Petite Arménie, mentionné à la fin du livre comme occupant, à cette époque, le trône, avec sa femme Isabeau. Ce prince ayant commencé à régner en 1224, et Isabeau étant morte en 1252, quinze ans avant son mari, il s’ensuit que c’est dans l’intervalle écoulé de 1224 à 1252 que cette chronique fut rédigée. Mais comme, d’un autre côté, nous savons que l’auteur cessa de vivre en 1199, il est évident que les dernières pages sont l’œuvre d’un continuateur anonyme, Syrien ou Arménien, c’est ce que nous ignorons. Dans ce livre, les temps antérieurs à Jésus-Christ, et jusqu’au vie siècle de notre ère, sont résumés très succinctement sous forme d’abrégé chronologique. Mais à partir de ce moment, et en se rapprochant de l’âge où vécut Michel, le récit s’étend prend de l’ampleur. Syrien d’origine et jacobite de religion, il n’appartient point à l’école des historiens arméniens, qui se distinguent généralement par des vues modérées. Adversaire outré du concile de Chalcédoine, ses opinions religieuses ont influé souvent sur la manière dont il apprécie les faits politiques, et le développement des preuves dont il s’efforce d’appuyer ses doctrines ralentit parfois la marche de sa narration. Infiniment plus passionné et plus crédule que son coreligionnaire et son successeur Aboulfaradj, il est l’expression la plus fidèle des tendances exagérées de la secte dont il fut un des chefs, et de l’esprit de naïve superstition qui avait cours de son temps. Malgré ces défauts, sa Chronique offre un intérêt vif et réel par les notions qu’elle nous permet d’ajouter à celles que nous devons à Aboulfaradj, qui lui a fait d’ailleurs de larges emprunts, et à cause du petit nombre d’écrivains syriens parvenus jusqu’à nous. Dans le fragment que je vais placer sous les yeux du lecteur, et qui commence à l’époque de l’irruption des Turcs Seldjoukides dans l’Asie occidentale, on trouvera, mêlée de fables et d’erreurs historiques, la mention de faits importants, et dont il n’existe de traces nulle part ailleurs. J’ai laissé subsister ces erreurs et ces fables comme un écho des opinions populaires qu’avait recueillies Michel parmi ses compatriotes. Je me suis borné à les rectifier dans mes notes, toutes les fois que je l’ai cru nécessaire pour l’intelligence de sa narration.

 

CHRONIQUE

Il me plaît maintenant de raconter aux amis de l’étude les invasions de la nation des Turcs, de dire de quelle race ils sont issus, la situation des pays qu’ils habitaient et d’où ils sont sortis, quelles causes les amenèrent dans nos contrées, et les portèrent à s’établir dans un grand nombre de lieux.[2] Le premier des prophètes, Moïse, dit dans son livre : « Japheth engendra Thiras et Gomer ; celui-ci engendra Thorgom, qui engendra Gogol d’autres fils.[3] » Ces paroles prouvent évidemment que cette nation est issue de Thorgom. Aussi porte-t-elle le nom de Turcs[4] d’où viennent Gog et Magog.[5] C’est une race populeuse. Après la dispersion qui suivit l’érection de la lourde Babel, elle se répandit vers l’Orient, puis, se dirigeant vers le nord, elle se fixa au delà des hautes montagnes qui s’étendent en une longue chaîne, et que l’on appelle les mamelles du Nord.[6] De proche en proche, ces peuples se répandirent du nord-est jusqu’au sud-ouest. Leur pays a deux entrées, l’une en Perse,[7] l’autre au-dessus, chez les Alans ;[8] Alexandre de Macédoine ferma ces issues. Ils sont pacifiques par caractère, généreux et modérés dans leur commerce avec les femmes ; ils adorent un seul dieu qu’ils nomment Gôg Thangri, mots qui signifient dieu bien céleste ;[9] en effet, ils croient que le ciel est dieu. Ils se nourrissent indifféremment d’aliments impurs de toutes sortes, ainsi que de cadavres. Leurs vêtements sont en laine et en poil d’animaux, les seules matières qu’ils possèdent pour se couvrir. Ils n’ont pas de loi écrite ou traditionnelle, car ils n’ont été visités par aucun prophète ni par aucun apôtre.

Aussi les Perses, lorsque leur puissance prit de l’extension, fermèrent par une porte bien fortifiée l’entrée du pays des Turcs, bâtissant sur cette porte et dans le voisinage six forteresses, où ils mirent des garnisons, afin de contenir ces barbares.[10]

Alexandre pareillement fit élever la porte de Derbend, qui fut fabriquée en bronze et en fer par six mille forgerons. Cet ouvrage, qui coûta six années de travail, reliait la montagne et la mer par un rempart infranchissable.[11]

C’est de ces peuples, que parle Ezéchiel en les appelant Gog et Magog, et lorsqu’il mentionne le prince de Titubal et de Mosoch. Ce sont ceux dont il annonce la venue à la nation juive, lui prédisant qu’ils détruiront à trois reprises différentes Jérusalem. Le prophète répète deux fois cette menace, ce qui nous prouve qu’il faut compter trois irruptions des Turcs. La première, dit-on, est celle qu’ils firent cinq cent dix ans avant Jésus-Christ ; elle eut lieu à l’occasion suivante. Les rois de Perse, dans des moments pressants, tiraient des troupes de ce pays par la Porte, autant qu’ils en avaient besoin, en les prenant à leur solde, comme fit Cambyse, fils de Cyrus, lequel est appelé par quelques-uns Nabuchodonosor ; il appela un corps de Turcs et marcha avec eux contre le roi d’Assyrie. Il envoya en Palestine Holopherne, qui était de cette nation.[12] C’est ainsi que les souverains perses recouraient à ces auxiliaires, et après avoir terminé, la guerre, ils les congédiaient et les faisaient rentrer dans l’intérieur de leur pays. Ceux-ci rapportaient de ces expéditions toutes sortes de richesses, de l’or, de l’argent, des vêtements précieux et des denrées. Alléchés par la convoitise d’un pareil butin, ils rivalisaient à chercher les moyens de s’en procurer.

Or il arriva, dans une circonstance, que, suivant la coutume, on les ramena dans leur retraite, mais avec une faible escorte. Près d’arriver à la Porte, ils s’insurgèrent contre leurs conducteurs et contre les gardiens de ce passage, et les massacrèrent ; ils s’emparèrent d’une des forteresses, et la placèrent sous leur autorité. Ils firent parvenir la nouvelle de ce premier succès dans leur contrée, et leurs compatriotes accoururent pour leur prêter main-forte. Ils se rendirent maîtres des autres forteresses et s’y cantonnèrent. Leurs tribus les plus éloignées, où résidaient leurs chefs et les personnages les plus riches, apprirent l’apparition d’un animal de cou leur blanche, qui se montra à eux pour leur servir de guide, sous la forme d’un chien. Lorsque ces peuples venaient à se disperser et à s’égarer, il hurlait fortement et les ramenait auprès de lui. Ils adorèrent cet animal, et s’abandonnèrent à sa direction ; il les conduisit à la Porte, qui s’ouvrit pour les laisser passer avec leur guide.[13] Lorsqu’ils furent sortis en nombre considérable, ils la refermèrent, et s’avancèrent jusqu’auprès d’Aragh’ia,[14] non loin du pays des Perses. Là, après s’être divisés en trois camps, ils consultèrent le sort en jetant trois baguettes en l’air. L’une de ces baguettes tomba vers le sud, et la troupe qui formait l’avant-garde se dirigea vers l’Inde. L’autre tomba vers le nord-ouest, et la fraction qui occupait le centre, se mettant en marche, s’arrêta dans le voisinage de la Thrace, et s’appela Comans, du nom des lieux où elle se fixa.[15] La troisième baguette tomba au centre de la terre, et leur arrière-garde se répandit dans la Perse, où elle se mêla avec les habitants, auxquels elle se soumit partout où elle s’établit.

La Porte s’ouvrit de nouveau et donna issue à d’autres hordes, qui, une fois sorties, la refermèrent sur elles. Soixante et dix chefs les commandaient ; ceux-ci tracèrent un cercle, autour duquel ils se rangèrent, chacun tenant une baguette à la main ; ils lancèrent ces baguettes en l’air après être convenus que ceux dont la baguette tomberait dans le cercle seraient rois. Il en tomba neuf ; mais il n’y en eut qu’une seule qui se planta en terre. Alors ils fondèrent dans cet endroit même neuf souverainetés, subordonnées toutes à un chef suprême, nommé Khakan ;[16] c’est dans ce pays qu’ils ont établi leur demeure permanente ; leur domination s’étend jusque dans l’intérieur de la Porte, aussi ils ne s’éloignent pas de cette position, qui est leur boulevard de défense. Un grand nombre d’entre eux se sont mêlés aux Arabes, et du nom de ces derniers sont appelés musulmans, dénomination qui leur vient du mot moslim.[17] Ce qui a cimenté encore cette union, c’est qu’ils croient les uns et les autres à un seul dieu, et comme les Turcs ont entendu les Arabes dire qu’il ne faut pas adorer les créatures, ils méprisent la Croix et l’Église.

Ceux qui se portèrent vers le sud et vers l’occident rencontrèrent les chrétiens et adoptèrent leurs croyances ;[18] pareillement, ceux qui émigrèrent chez les idolâtres devinrent païens ; car ces peuples adoptent facilement toutes les religions.

Les Arméniens et les Géorgiens les ayant appelés à leur secours par une autre porte, en arrivant parmi eux, ils embrassèrent le christianisme. Ils reçurent le nom de khutchakh (Kiptchak). Khu signifie vallée, et Tchakh veut dire vase ; comme si dans une vallée ils étaient renfermés en quelque sorte dans un vase. Suivant la nécessité, on les appelle de temps en temps comme auxiliaires.

Deux de leurs invasions ont déjà eu lieu, et nous sommes dans l’attente de la troisième, suivant le prophète Ezéchiel qui a dit : « En ravageant les contrées, ils viendront jusque sur les limites de la Palestine, pour la manifestation du fils de la perdition.[19] » Jean d’Asie[20] raconte que Tibère [Constantin II] envoya vers eux des ambassadeurs,[21] et lorsque le khakan les vit, il versa des torrents de larmes ; comme on lui en demandait la cause, il répondit : « Il y a une prophétie qui a cours parmi nous, et que j’ai entendue de la bouche de nos anciens. Elle annonce que lorsque les rois des Romains enverront leur soumission aux Turcs, la fin du monde sera proche. » Le khak’an les ayant questionnés pour savoir s’ils étaient tributaires des Porses, ces ambassadeurs lui répondirent que non, qu’au contraire les Perses payaient tribut aux Grecs. A ces mots, le khak’an admira la grandeur et la puissance de l’empire romain. Le même historien rapporte que Trajan soumit les Perses.[22] Les députés qui font le voyage du Turkestan ne vont point jusqu’à l’extrémité du pays, mais seulement chez le khak’an, en dehors de la Porte, au delà de l’empire perse, de l’autre côté du Caucase, ainsi que l’ont raconté les ambassadeurs de Justinien et d’Héraclius.[23] La loi des Turcs est toujours investi du titre de khak’an. C’est à lui que Sapor, roi des Perses, envoya cinq mille vierges.[24] Le nom du pays est Aragh’ia. Il s’étend jusqu’à la Thédalie qui se nomme Turkestan. C’est de là que Mahmoud, émir (sultan) du Khorassan, emmena des captifs.[25] De leur race étaient issus Thogrul beg, qui devint sultan, et Alp Arslan, qui lui succéda. Ces peuples ont conservé les coutumes de leur patrie primitive ; seulement ils renoncèrent alors à l’anthropophagie, qui était en usage chez eux. Mais revenons de cette digression au fil de notre histoire.

En l’année 460 de l’ère arménienne (19 mars 1011 - 17 mars 1012), Constantin Monomaque monta sur le trône de Constantinople, et régna douze ans. C’était un prince magnanime et libéral.[26] Ces Arabes étaient alors gouvernés par Aboul Abbas,[27] sous le règne duquel la ville d’Ezenga fut submergée ;[28] il n’y eut de préservée qu’une seule maison, qui était celle d’un orthodoxe,[29] homme pieux, nommé Cyriaque (Guiragos).

La même année, un tremblement de terre eut lieu à l’époque du jeûne de la Septuagésime.[30]

Après cela il s’éleva des troubles à Antioche parmi les ecclésiastiques unitaires (monophysites) relativement à un point qui était en contestation. Une partie d’entre eux alla trouver le patriarche des dualistes pour lui soumettre la difficulté. Celui-ci les gagna à la doctrine du concile de Chalcédoine, et s’empara de l’église des orthodoxes, qui était bâtie sur le tombeau de l’évangéliste Luc, comme auparavant les dualistes s’étaient mis en possession de [l’église de] Saint-Pierre. Mais à la fête de Pâques le Seigneur exerça contre eux une vengeance éclatante ; car tandis qu’ils célébraient l’office divin, on entendit gronder le tonnerre, et le feu du ciel tomba et consuma un grand nombre de personnes, parmi lesquelles était le patriarche.

Il fut impossible de retirer du feu un seul de leurs ossements. Tous comprirent que c’était là le jugement de Dieu. Ceux qui avaient renié leur croyance y revinrent, et une multitude de dissidents se convertirent. Notre loi fut ainsi glorifiée. Sur la fin de l’année 430 [de l’hégire] (commencée le 3 octobre 1038), l’empire des Arabes se démembra sur une foule de points et les Turcs commencèrent à dominer. Les captifs que Mahmoud avait ramenés et qu’il avait établis dans des contrées fertiles, on les laissant livrés à leurs propres volontés, se multiplièrent et donnèrent l’essor à leur audace. L’un d’eux devint leur chef et régna sur eux. Il se nommait Thogrul beg ; c’est le même que nous avons mentionné plus haut sous le nom de Thogh la-pagas, comme d’autres l’appellent. Sa puissance et ses forces prirent un développement considérable, il devint un grand souverain et se tendit maître de beaucoup de contrées.[31] Il envoya des troupes sur les confins de l’Arménie, jusqu’à Mélitène : elles firent un butin immense et une multitude de prisonniers ; puis elles s’en retournèrent par la haute Arménie. Les Turcs, surpris par une neige abondante dans les montagnes de Saçoun, perdirent trois mille hommes, et leurs captifs, dans ce désastre, recouvrèrent la liberté et s’en retournèrent ; car ils étaient habitués au froid et à la neige.[32]

L’empereur des Grecs Monomaque étant mort, la couronne passa à sa fille Théodora, qui la conserva un an.[33]

Après elle, Michel l’Ancien régna pendant un an, homme vertueux et continent, lequel ne mangeait pas le fruit du travail des autres, mais vivait du labeur de ses mains, en fabriquant des cuillers, qu’il vendait.[34]

Michel voyant que la puissance des Turcs avait pris une grande extension, qu’ils s’étaient emparés de la Perse, de la Médie, ainsi que de l’Assyrie, et qu’ils venaient ravager l’empire grec, Michel conçut des craintes, et transporta les chrétiens au delà de la mer,[35] dans des lieux fortifiés.

Les Turcs, en s’avançant, trouvèrent les contrées d’Adalia, Oudj[36] et Iconium dépeuplées ; ils résolurent de les habiter, et s’y arrêtèrent. C’est ce qui fait qu’un grand nombre de gens murmurèrent de la conduite que tint Michel dans cette occasion. Cependant c’était un prince plein de charité, et qui en donna des preuves aux fidèles.

Au bout de quelque temps un des grands de l’empire, nommé [Isaac] Comnène, lui ravit la couronne, et Michel, s’étant rasé la tête, entra dans un couvent. Comnène exerça le pouvoir pendant deux ans. Il eut pour successeur Constantin Ducas, qui était originaire de la Paphlagonie, et qui régna neuf ans.[37]

Ce prince, s’étant fortifié, marcha contre les Turcs. Il releva les remparts de Mélitène. K’riçaros,[38] général de Thogrul, s’étant mis en campagne, s’empara d’Alep. Ce fut la première ville prise dans la Caelésyrie, contrée qui est à l’occident de la Mésopotamie. Il s’empara aussi de tout le pays depuis Damas jusqu’à la mer Egée,[39] et s’avança jusqu’à la mer du Pont.

A cette époque, Satan inspira le patriarche de Constantinople, qui fit une action horrible aux yeux des anges et des hommes ; ce prélat excita l’empereur et les grands, et fit brûler et fouler aux pieds la croix, le saint chrême et l’eucharistie ries orthodoxes ; le pain et l’huile consacrés devinrent ainsi l’objet de leurs outrages. Il fit saisir et conduire vers lui le patriarche Athanase, avec vingt-cinq évêques. Mais avant leur arrivée à Constantinople, il fut frappé par la main de Dieu. Son corps se rompit, et il eut le sort d’Arius, ce corrupteur, cet ennemi du Christ, ce fils de perdition. Dans les conférences où les articles de loi furent discutés, les Grecs furent vaincus par l’Esprit Saint. Alors Athanase, enflammé de colère, les maudit. Les, Grecs l’envoyèrent en exil avec ses compagnons de foi, dans l’île de Tios ;[40] mais les supplications de l’impératrice le firent réintégrer sur son siège.

Cependant Ducas étant mort, la couronne passa à Romain Diogène. Le roi des Turcs mourut aussi,[41] et eut pour successeur Alp Arslan, qui vint lui-même en Arménie, et soumit ce pays après s’être rendu maître de Schamschouïldé.[42] Ayant marché contre Ani à la tête de cent mille hommes, il prit cette ville, et, ayant fait mettre à mort mille personnes dans un des fossés, il se baigna dans leur sang ;[43] de là il retourna à Nakhdjavan-Diogène, ayant rassemblé une armée immense, s’avança contre lui, et, étant arrivé à Gars, brûla l’église des Arméniens, et jura que, s’il revenait victorieux des Turcs, il exterminerait la nation arménienne tout entière, ou la convertirait à sa croyance. Dieu entendit ses paroles, mais ne les exauça pas ; son expédition échoua, son armée fut détruite, et lui-même fait prisonnier.[44]

La nouvelle de ce revers étant parvenue à Constantinople, on plaça Michel [Parapinace] sur le trône. Cependant Diogène, ayant obtenu d’Alp Arslan sa liberté à force d’instances, et au moyen d’un traité d’alliance,[45] voulut se rendre à Constantinople. Mais les Grecs, s’étant saisis de sa personne, lui crevèrent les yeux.[46] Sa vaine gloire s’obscurcit, et son orgueil et sa jactance lui tournèrent à mal.

Après cela, Alp Arslan envoya Soliman, son neveu (fils de sa sœur), dans le pays des Arméniens et des Grecs. Celui-ci, ayant établi sa domination sur eux, devint leur souverain ; il s’introduisit pendant la nuit dans Antioche, surprit cette ville, et transforma en mosquée Saint-Pierre, sa principale église.

Ce fut dans ce temps qu’un émir, dont la contenance annonçait la modestie, qui était ami de la prière et plein d’affabilité, vint en Cappadoce avec des troupes et par l’ordre d’Alp Arslan, il s’empara de Sébaste, de Césarée, et se créa une principauté considérable. Il fut la tige de la maison des Danischmend, à laquelle il donna son nom. Lorsque précédemment des Turcs avaient été emmenés esclaves de la Thédalie, ils avaient connu la loi des Arabes, et adopté la fausse doctrine de Mahomet ; cet émir se fit son vengeur plus que tous les autres, et se montra son émule.

A cette époque, cinquante Arméniens, supportant avec impatience les vexations des Turcs, se retirèrent dans le désert, armés de toutes pièces, et dans une foule d’endroits firent éprouver à leurs oppresseurs toutes sortes de maux. Étant parvenus sur le territoire de Marasch, ils rencontrèrent un de leurs compatriotes, et, s’ouvrant à lui, ils lui dirent : «Viens à nous, sois notre chef, et, avec l’aide de Dieu, nous chercherons un lieu pour nous y fixer. » Il acquiesça à ces paroles. C’était un homme de haute stature, d’une figure noble et plein de bravoure. Il partit avec eux. Son nom était Philarète. Ils entrèrent dans la Cilicie, conquise récemment par les Turcs, leur enlevèrent une forteresse et s’y établirent. Ayant soumis tout le pays avec ses places fortes, ses villes, ses montagnes et ses plaines, Philarète devint très puissant, et son nom célèbre. Dans une de ses expéditions, Marasch, Ablastha, Mélitène, Kéçoun et Gargar tombèrent en son pouvoir ; puis il se dirigea vers l’Euphrate, qu’il traversa ; il occupa Édesse et un grand nombre d’autres villes. Dès lors les Turcs commencèrent à trembler devant lui.[47] L’empereur des Grecs, instruit des succès de Philarète, lui envoya des présents et le nomma sébaste.

Cependant les Turcs, s’excitant les uns les autres à prendre les armes, se rassemblèrent de toutes parts contre lui et le défirent ; ils lui enlevèrent la moitié de ses Etats, qui passa sous leur joug. Alors il alla à Bagdad pour réclamer les possessions dont il avait été dépouillé ; là il abjura sa religion et reçut un diplôme par lequel il recouvrait tout ce qui lui avait appartenu. Mais cette concession ne lui servit de rien, car, lorsqu’il fut de retour, il trouva les Turcs maîtres du reste de la contrée. Ayant marché contre lui, ils le chassèrent. Soupirant du fond de son cœur, et pleurant amèrement, il se rasa les cheveux, se voua à la pénitence, et revint à sa foi primitive en se retirant dans un obscur monastère.

Les Arabes, qui jusqu’à ce moment étaient appelés Dadjigs, du nom de leur chef Taÿ,[48] se mêlèrent avec les Turcs, et formèrent un seul peuple, uni par la religion qu’ils professaient en commun. Ils sont confondus maintenant sous le même nom. Le prince qui régnait à Bagdad, et qui descendait de Mahomet, fut maintenu dans cette capitale et proclamé khalife, c’est-à-dire successeur ou héritier de Mahomet. Les deux peuples se soumirent à lui par une déclaration écrite et confirmés par serment, s’engageant à accepter ses volontés et ses lois ; ils l’honorèrent à l’égal de Mahomet, et se constituèrent ses défenseurs zélés. Désormais ce fut par l’ordre du sultan qui régnait dans le Khorassan, et du khalife, que les fonctions d’émir furent conférées à ceux qui en étaient jugés dignes. Ces émirs firent des expéditions et s’emparèrent de plusieurs pays et provinces, comme fit Soukman, d’origine turque, qui vint en Arménie où il établit sa domination, et qui fut surnommé Schah Armên, c’est-à-dire roi d’Arménie, et Artoukh (Ortok), qui fondit sur la Mésopotamie et s’en empara. C’est de lui que vient le nom des Arthoukhi (Ortokides), qui sont d’extraction turque.

Cependant l’empereur des Grecs, Michel, redoutant les Turcs, n’osa pas leur déclarer la guerre. Indigné de sa lâcheté, un des grands, Nicéphore [Botaniate], se mettant en révolte contre lui, attaqua Constantinople, s’en rendit maître, et commença à verser le sang. Michel, prenant entre ses mains la couronne, alla au-devant de Nicéphore, et lui tint ce langage : «Tiens, voilà l’objet de tes désirs, et cesse de tirer le glaive contre les chrétiens. Nicéphore accepta aussitôt cette condition, et Michel, embrassant la vie religieuse, se retira dans un couvent. Nicéphore fit eunuques les deux fils de Michel.[49] Cette cruauté déplut aux grands de l’empire, qui en conçurent du ressentiment. Aussi, un d’entre eux, Alexis, s’étant fait un parti puissant, monta sur le trône, et rendit à Nicéphore ce que celui-ci avait fait à Michel. Il régna vingt-neuf ans.

Dans ce temps, et tandis que les Turcs dominaient à Jérusalem et sur tout le littoral, un chef nommé Saint-Gilles vint visiter la Cité sainte. On perçut de lui un tahégan comme de chaque pèlerin, puis les infidèles voulurent exiger de force ce qui lui restait, et, comme il refusait de le leur livrer, ils le frappèrent sur la tête et lui arrachèrent l’œil droit. Saint-Gilles, l’ayant recueilli, le mit dans sa poche, l’emporta à Rome ; puis, allant le montrer en tous lieux, il excitait chacun à la vengeance.[50] Les chrétiens quittèrent leur pays avec leurs comtes, et sous la conduite de leurs chefs ; des troupes nombreuses se joignirent à eux. Ils se rendirent à Constantinople et assiégèrent cette ville pendant sept ans.

La septième année, un tremblement de terre se fit sentir à Antioche. Dans les ruines d’une tour qui s’écroula de fond en comble, on découvrit des figures en bronze montées sur des chevaux de la même matière, lesquelles avaient la forme et la ressemblance des Francs. Elles furent apportées à l’émir, et il rassembla les habitants pour voir ce que cela signifiait. Quelques-uns dirent que c’étaient des idoles remontant aux anciens temps. L’émir commanda de les casser et d’en disperser les fragments ; cet ordre fut exécuté. Une femme très âgée et qui avait perdu la vue, ayant eu connaissance de cette découverte, prétendit que c’était un talisman fabriqué à l’aide de moyens magiques par les Grecs, pour empêcher l’arrivée des Francs qui habitaient au delà de la mer. «Car, dit-elle, vous avez « remarqué que ces figures étaient liées par des chaînes de fer. » L’émir, instruit de ce propos, eut beaucoup de regrets de ce qu’on les avait détruites.

Les croisés, ayant pris tout à coup Constantinople, traversèrent la mer, se portèrent sur Antioche et s’en rendirent maîtres. Ils avaient à leur tête neuf chefs ; deux étaient d’extraction royale, et se nommaient Bohémond et Tancrède ; sept avaient le rang de comtes, et s’appelaient Roger, Raymond, Josselin, Waléran, Godefroy, Salguès[51] et Richard.

Le gouverneur d’Édesse, Théodore [Thoros], à qui l’Arménien Philarète avait confié cette ville, fit dire aux croisés d’envoyer un des leurs pour en prendre possession. Ce message les remplit de joie, et ils s’écrièrent : «Sois béni, ô Christ «notre Dieu ; la première ville qui a cru en toi est Édesse ; c’est dans ses murs " que tu as régné pour la première fois, par la conversion du roi d’Arménie [Abgar], « et ensuite à Jérusalem. Maintenant tu nous as livré cette ville tout d’abord, comme » un gage que tu nous donneras Jérusalem, afin que tu règnes, Seigneur, désormais, avec ceux qui croient en toi. »

Godefroy fit aussitôt partir son frère Baudouin, qui devint ainsi maître d’Édesse

En même temps Guiçan et Agh’uçan, émirs d’Antioche,[52] qui s’étaient cachés, sortirent et prirent la fuite. Ils rencontrèrent deux braves Arméniens, qui les tuèrent et qui apportèrent leurs têtes aux comtes. Ceux-ci les comblèrent d’honneurs.

Vers cette époque. Soliman, qui était devenu souverain dans le pays des Grecs, fut tué à Iconium,[53] et remplacé sur le trône par Kilidj Arslan.

Le sultan du Khorassan [Barkiarok], ayant appris l’expédition des Francs, fit marcher contre eux Kerbogâ, à la tête de cent mille cavaliers. A peine arrivé, celui-ci assiégea les Francs dans Antioche, et les pressa vivement. Les croisés, recourant à Dieu par des prières incessantes, trouvèrent, d’après une révélation faite au patriarche, la lance du Christ, déposée dans les fondements de l’église [de Saint-Pierre]. Fortifiés par la possession de cette arme, ils taillèrent les Turcs en pièces par un miracle éclatant. Les infidèles, épouvantés, se sauvèrent du littoral.

Les troupes franques, continuant leur marche, s’emparèrent de tout le pays jusqu’à Joppé, et parvinrent devant Jérusalem. Cette ville était alors remplie d’Arabes, arrivés depuis peu d’Égypte, et qui l’avaient enlevée aux Turcs. Les croisés, fondant sur eux l’épée à la main, les exterminèrent. Les principaux d’entre les infidèles s’étaient entassés dans le Temple ; ils en furent arrachés et mis à mort.

Le patriarche suivit une rue, et, massacrant sur son chemin les infidèles, il arriva [à l’église] de la Sainte Résurrection, les mains collées par le sang à la garde de son épée ; il les lava en récitant ce psaume : « Que le juste se réjouisse dans le Seigneur, en contemplant la vengeance dont il est le ministre. Il lavera ses mains teintes du sang du pécheur. » Puis il célébra la messe, en disant qu’il n’avait jamais offert de sa vie un sacrifice plus agréable à Dieu.

Godefroy régna à Jérusalem deux ans, au bout desquels il eut pour successeur Baudouin, qui occupa le trône quinze ans.[54]

Kilidj Arslan, qui voulait envahir le territoire de Mélitène, ayant connu la prise de Jérusalem, s’arrêta. Danischmend assiégea Mélitène pendant trois ans, et brûla les ouvrages qui la défendaient. Il y avait là, depuis le temps de Philarète, un chef[55] qui promit de livrer cette ville aux Francs, mais qui, manquant à sa parole, la remit à celui-ci donna du pain et des bestiaux aux habitants, leur accorda des immunités, et restaura leur cité.

En ce temps-là, plusieurs contrées étaient sous la dépendance de chefs arméniens, qui les occupaient depuis l’époque de Philarète. [Kogh’]-Vasil gouvernait Kéçoun et Raban, et les fils de Roupen, la Cilicie.

Des dissensions ayant éclaté entre les Arabes et les Turcs dans le Khorassan, il s’ensuivit une guerre signalée par des déprédations de part et d’autre. Mais dans la Cappadoce et la Bithynie, il n’y avait pas d’Arabes ; c’étaient les Turcs qui possédaient ces provinces, et qui combattaient les Grecs.

Danischmend, après avoir pris Mélitène, mourut au bout de deux ans.[56] Alors Kilidj Arslan survint et enleva cette conquête à Sonkor, fils de Danischmend, et y établit sa domination.[57]

Ghiâth ed-din, devenu sultan du Khorassan,[58] envoyai Djâwali contre les Francs. Lorsque celui-ci fut arrivé à Mossoul, l’émir Djekermisch s’avança contre lui ; Djâwali, l’ayant pris et chargé de chaînes, le conduisit vers la ville. Au bout de quelques jours, Djekermisch mourut, et Djâwali fut délivré de lui. Alors les habitants députèrent vers Kilidj Arslan, promettant de lui remettre leur territoire ; il vint et en prit possession.

Djâwali, ayant augmenté ses forces, se tourna contre Khabour et prit cette ville. A cette nouvelle, Kilidj Arslan vint le combattre ; mais en traversant le fleuve, il périt.[59] Djâwali, plein de joie, accourut, s’empara de Mossoul, de Nisibe, et, chargé des trésors qu’il avait enlevés, reprit la route du Khorassan.

La mort de Kilidj Arslan ayant été connue dans ses Etats, la couronne fut dévolue à son fils Thogrul Arslan. Ce prince donna le commandement de ses troupes à deux généraux, El Arslan et Bizmisch.[60] Il avait trois frères, qui se nommaient Arab, Schahenschah[61] et Maç’oud. Schahenschah tua Maç’oud, et l’émir Gazi, fils de Danischmend, fit mourir Arab, parce qu’il ne voulait pas qu’il régnât sur la principauté de son père, et que les sentiments de haine ne s’éteignirent jamais dans cette famille.

Ce fut dans ce temps qu’un chef Frank nommé Godefroy, accompagné de trente hommes de noble naissance, vint en pèlerinage à Jérusalem. Ayant pris la résolution de ne jamais plus s’en retourner, ils se firent moines, en se consacrant à la prière et à une vie de sainteté. Le second roi de Jérusalem, Baudouin, et le patriarche les engagèrent à combattre, les Turcs, leur disant que l’œuvre la plus agréable à Dieu est de faire la guerre pour la défense des chrétiens. En même temps ils leur donnèrent le Temple pour habitation et des propriétés sur terre et sur mer, des navires, des villages et des vignes. Cette corporation s’accrut peu à peu. Ses membres avaient pour règle de vivre dans une continence absolue pour la gloire de Dieu, d’avoir tout en commun, et de ne posséder rien en propre, au spirituel comme au temporel. Ils reçurent le nom de soldats du Christ, parce qu’ils se proposaient pour but la guerre contre les infidèles, et jamais contre les vrais croyants. La fondation de cet institut ayant été connue à Rome et en tous lieux, on leur donna des couvents, des forteresses, des villages et des redevances dans toute la chrétienté. Ces libéralités les rendirent puissants et riches, et ils formèrent une milice particulière. Telle fut l’origine des Frères nommés Hospitaliers, parce qu’ils entretenaient des maisons pour y recevoir les pauvres et les malades.

Plus tard ils se divisèrent, et quelques-uns d’entre eux, qui vivaient dans la retraite, dirent aux autres : « Cédez-nous pour notre portion, et en vertu d’un pacte écrit, nos anciennes possessions. Ce qu’ils réclamaient leur ayant été accordé, ils le vendirent et devinrent riches. Puis ils demandèrent de la terre pour se faire un jardin, autant qu’une bête de somme peut en transporter ; et comme ils en charriaient jour et nuit, ils firent réflexion qu’ils ne pourraient résister à ce travail. Alors ils rachetèrent les anciens domaines qu’ils avaient vendus, et acquirent une grande étendue de terres, en donnant en retour de l’or et de l’argent. D’autres leur cédèrent des villages et des communautés. Ils portent le nom de Templiers, ce qui signifie maison des pauvres ; comme le nom d’Hospitaliers veut dire maison des malades. Voilà ce que nous avons appris touchant l’origine de ces Ordres.[62]

Il s’éleva de la race des Ortokides un émir appelé Balag, qui régna et devint célèbre. Il marcha contre Gamakh. Aussitôt Mangou-Djag, seigneur de Gamakh, s’enfuit à Trébizonde, où il chercha un refuge auprès des Grecs. S’étant mis à la tête d’un corps de troupes qu’ils lui fournirent, il marcha contre Balag ; mais les Grecs furent vaincus et Mangou-Djag ainsi que Gavras faits prisonniers, et ensuite rachetés pour 30.000 tahégans.[63]

A cette époque, les princes arméniens de sang royal, qui, sous le règne de l’empereur Basile, avaient émigré du Vasbouragan, et reçu Sébaste, Césarée et Kavadanêk,[64] en échange de leurs États héréditaires, se virent dépossédés par la perfidie des Grecs. Ainsi dépouillés de nouveau, ils passèrent dans la Cilicie, et se rendirent maîtres, à main armée, d’un grand nombre de districts, de forteresses et de châteaux. Ces princes sont nommés Roupéniens, ils descendent de deux tiges des illustres et puissants rois qui avaient Haïg et Sennachérib pour ancêtres,[65] et qui s’allièrent par le sang, et dans les temps anciens dominèrent sur le Vasbouragan, contemporains des Bagratides, souverains de la Grande Arménie. Ce fut dans la Cilicie et dans l’Isaurie que leur trône fut alors restauré. Roupen devint le fondateur de cette dynastie, qui fut continuée par Constantin, Thoros et leurs successeurs, l’un à la suite de l’autre.

En l’année 500 de l’empire des Arabes (commencée le 2 septembre 1106), l’Arabe Sadaka régna sur Tékrit, et ses compatriotes accoururent auprès de lui.[66] A cette nouvelle, Ghiâth ed-din, sultan du Khorassan, marcha avec toutes ses forces contre Sadaka, qui s’enfuit, fut pris et tué. Quelques-uns prétendent qu’en lui finit la domination arabe, soixante et dix ans après que celle des Turcs avait commencé.[67]

A cette époque, une guerre terrible éclata parmi les oiseaux. Les grues et les cigognes se rassemblèrent pendant plusieurs jours dans la contrée d’Amid, à un lieu nommé Thëlkhoum. Ces oiseaux s’envoyèrent de part et d’autre des députés pendant trois jours. Ensuite ils se livrèrent bataille en poussant des cris aigus, depuis la troisième heure du jour jusqu’à la neuvième. Il tomba des deux côtés une multitude de combattants. A la fin les cigognes furent vaincues et s’enfuirent. Quelle fut la cause de cette guerre ? Le Créateur seul le sait.[68]

Dans ce temps-là mourut Balag. L’émir Gazi, fils de Danischmend, en ayant été instruit, vint occuper Mélitène. Il rendit le repos aux habitants, accablés de vexations par Balag. Le khalife lui envoya une couronne et lui conféra le titre de Mélik Gazi, roi du Nord.

Jean, monté sur le trône des Grecs, prit Castamon et deux forteresses. Mais Mélik Gazi marcha contre lui et lui reprit ces conquêtes.[69]

A cette époque, Zangui, émir de Mossoul, s’empara d’Alep qui se rendit à lui avec empressement, parce qu’il avait la réputation d’être bon et en même temps juste dans ses jugements.

Cette même année, l’émir Gazi reçut en présent du khalife et de Ghiâth ed-din, quatre drapeaux noirs, une chaîne en or destinée à être portée au cou, et une baguette du même métal, ainsi que des timbales[70] et des trompettes. Mais lorsque les envoyés chargés de lui remettre ces insignes arrivèrent, ils le trouvèrent mort. Alors ils les offrirent à son fils Mohammed ; ils entourèrent son cou de la chaîne, en mirent une en or à ses pieds, et le frappèrent de douze coups avec la baguette, en signe de vasselage ; ils le proclamèrent mélik.[71] C’était de tous les musulmans le plus vertueux ; il s’abstenait de vin et de toute action répréhensible. Mais ces qualités ne l’empêchaient pas d’avoir les chrétiens en aversion et de les persécuter.

L’émir Zangui entra en guerre avec les Ortokides, et les soumit à son autorité.

A cette époque, le pape de Rome quitta son siège et se rendit à Jérusalem, et de là à Antioche.[72] Les Grecs, partisans du concile de Chalcédoine, accoururent à lui, et se mirent à tourner en dérision les Syriens jacobites. Ils lui dirent : «Ces imposteurs nous haïssent, ainsi que le concile de Chalcédoine, et révèrent Bar-Tzaumâ, qui a maudit le quatrième concile ; ils possèdent sa main droite renfermée dans une cassette d’or, et trompent le peuple en prétendant que cette relique fait des miracles. Mais lorsque nous les prions de nous en rendre témoins, ils objectent qu’ils ne peuvent pas, dans la crainte qu’il ne survienne des inondations et des grêles. » Tels étaient les propos railleurs que ces gens-là tenaient. Alors le pape ayant ordonné de déposer cette main d :ms l’église de Saint-Pierre, elle y fut apportée de la montagne. Puis il dit [aux Syriens] de la retirer du reliquaire. « Nous n’osons point, lui répondirent-ils ; ouvre ce reliquaire toi-même, père. » Dès qu’il l’eut ouvert, le ciel s’obscurcit, des bruits et des tonnerres se firent entendre ; la pluie tomba accompagnée d’éclats de la foudre et de grêlons énormes. Les éléments semblaient conjurés pour abîmer la ville. Le patriarche et tous les habitants tombèrent la face contre terre et rentrèrent la relique, au milieu des lamentations qui retentissaient ; mais ensuite le fléau s’arrêta.

Cette année, les sauterelles ravagèrent le district d’Antioche. Le pape dit : « Passez la nuit en prières, ô Syriens, afin de conjurer ce malheur ; car je suis persuadé que le Seigneur aura pitié de vous par l’intercession du saint qui a «opéré un si grand miracle. » Les orthodoxes, s’étant réunis, prièrent depuis le matin jusqu’à l’aurore suivante ; et ayant pris la dextre du saint, ils sortirent en dehors de la ville portant ce signe vivificateur. Par la vertu de Jésus-Christ, par les supplications des orthodoxes, et grâce à la médiation et à la protection de cette relique vénérée, toute cette nuée de sauterelles prit son vol et se précipita dans la mer. On rendit à Dieu de solennelles actions de grâces, ainsi qu’à saint Bar-Tzaumâ. Le pape prononça anathème contre quiconque se permettrait de blasphémer contre ce saint, en le condamnant à subir la sentence portée par le concile de Chalcédoine, « car, dit-il, Dieu, qui scrute les choses secrètes, repose dans ses ossements,[73] et nous n’avons rien à objecter contre sa volonté. » Il fit rechercher ceux qui avaient mal parle du saint pour les châtier ; mais on ne put les découvrir, parce qu’ils étaient en fuite. Il donna l’ordre de ne pas les recevoir dans la ville, « comme étant la cause, ajouta-t-il, du malheur que nous avons éprouvé. Mais vous, vous êtes les membres du Christ, conservez la paix entre vous, et seulement combattez les infidèles. »

Après cela on apporta la lance du Christ, et il dit : « Je connais la véritable lance avec laquelle le Seigneur fut percé, et qui fut emportée en Arménie par l’apôtre Thaddée ; mais où est-elle ? » On trouva une relation sur ce sujet dans laquelle étaient consignées les lignes suivantes : « Les juifs de Tibériade, le vendredi où l’on crucifia Notre Seigneur, volèrent un enfant, et, l’ayant emmené dans le désert, le crucifièrent, le couronnèrent d’épines, le revêtirent d’écarlate et de pourpre, et répétèrent sur lui tous les tourments ignominieux qu’ils firent subir au Seigneur. Les mêmes prodiges qui signalèrent la mort de Jésus-Christ «s’accomplirent pour cet enfant : le ciel s’obscurcit, la terre trembla, les pierres se fendirent, de l’eau et du sang coulèrent de son côté frappé d’une lance. Ces prodiges révélèrent à toute la Phénicie ce qui s’était passé ; on se mit en quête, et le crime commis fut découvert. »

« Les juifs s’enfuirent dans le pays des musulmans, et envoyèrent dire aux chrétiens de leur pardonner cet énorme forfait, promettant de reconnaître le Christ comme le vrai Dieu annoncé par les Prophètes et crucifié pour le salut du monde. Les chrétiens y consentirent et les rappelèrent. Alors les juifs, ayant tous reçu le baptême, embrassèrent le christianisme pour la gloire du Christ. C’est cette lance par laquelle ont lieu des miracles insignes. » Le pape ayant entendu la lecture de cette relation, y crut, glorifia Dieu et l’adora.

Tout à coup le bruit se répandit qu’un terrible tremblement de terre s’était fait sentir dans le Khorassan et qu’il avait occasionné de grands désastres. La mosquée s’écroula et huit mille personnes périrent, hommes et femmes, réunies pour entendre la prédication ; car ce jour-là était un vendredi.

L’an 1455 de l’ère syrienne et 571 de l’ère arménienne,[74] l’empereur des Grecs, Jean, mourut en Cilicie. Il eut pour successeur son fils puîné, Manuel, qui se trouvait alors auprès de lui. Manuel partit pour Constantinople et reçut la soumission de son frère aîné et des habitants de la ville impériale.

La même année vit mourir le roi de Jérusalem. Il fut remplacé par son fils Baudouin, qui était encore en bas âge. [Mélissende,] mère du jeune prince, prit les rênes de l’Etat.

La même année fut signalée aussi par la mort de l’émir de Kharpert, Daoud, qui était de la race des Ortokides.[75] Il eut pour successeur son fils Kara Arslan.

En 572 de l’ère arménienne (19 février 1123-18 février 1124), l’atabeg Zangui enleva Édesse à Josselin ; mais au bout d’un an Zangui fut tué et eut pour successeur Nour ed-din, son fils, seigneur de Mossoul.[76]

A cette époque, Satan souffla ses inspirations dans le cœur du patriarche de Constantinople. Ce prélat prétendit que le Christ avait opéré ses miracles par la magie, et que c’est à l’aide de tels moyens que les Apôtres persuadèrent les populations. Un grand nombre de personnes ajoutèrent foi à ses paroles. L’empereur les fit mourir ; mais cette hérésie s’est maintenue jusqu’à nos jours pire que toutes les autres erreurs.[77]

Cependant Josselin, seigneur d’Édesse, rassembla des troupes après la mort de Zangui, et arrivant de nuit s’empara derechef de cette ville qui lui avait appartenu. A cette nouvelle, les Turcs, s’excitant les uns les autres, vinrent en faire le siège. Leur arrivée consterna les Francs. Ceux-ci commirent par imprévoyance une faute grave, qui causa la ruine d’Édesse ; car ayant forcé les chrétiens d’en sortir pour leur faire traverser l’Euphrate, les Turcs fondirent sur ces derniers, en tuèrent trente mille et firent seize mille prisonniers. Tu peux lire le récit de ce désastre dans les autres historiens. Au lieu de cela, apprends quelle fut l’origine de cette ville. Je te dirai par qui elle fut bâtie, et à quelle occasion.

L’Ecriture atteste qu’elle se nommait Ouroth (Ur). On y fit qu’elle fut fondée par Nemrod, après le déluge, et que, suivant notre idiome, il la nomma Ourhau, c’est-à-dire « le village des Chaldéens, » car our signifie «village,» et hau, «chaldéen. » C’est ainsi que Melchisédek, fils de Cham, fonda en Palestine une ville qu’il appela Jérusalem, mot qui se traduit par village de la paix. En effet, dans notre langue syriaque, une ville ne saurait être appelée village.

Édesse, ouvrage de Nemrod, fut détruite par Sennachérib, roi d’Assyrie, et elle resta en ruines jusqu’au temps d’Alexandre le Macédonien, qui, à la vue de l’emplacement qu’elle occupait, dit à son ami Séleucus : « J’aime ce site, construis-y une « ville. » Cet ordre fut exécuté après la mort d’Alexandre par Séleucus, qui la nomma Édesse, mot qui signifie, dans l’idiome des Macédoniens, « je l’aime, » et qui faisait allusion aux paroles d’Alexandre : « j’aime [ce lieu], élèves-y une « ville.[78] » Les Grecs l’appelèrent l’Assyrie Macédonienne, comme pour dire Macédoine d’Assyrie.

Au bout de trois cents ans, Abgar, roi d’Arménie et de Syrie, fils d’Arscham, la trouva ruinée et la restaura, et la mariant au Christ, il en fit une épouse sainte. Après lui et son fils [Ananoun], Édesse obéit aux Romains pendant trois cents ans.

Les saints confesseurs qu’elle produisit-, sont : Simon, Gori, Harbig, Cosmas, Damien, les Corians et une foule d’autres.

Sous le règne de Constantin, quantité de couvents furent bâtis sur la montagne. Cette ville ne se soumit pas à Julien. Sous Valens, elle repoussa l’hérésie de ce prince, et supporta toutes sortes de tribulations pour le Christ ; mais sous Marcien, elle n’éprouva aucun mal. Peu de temps après, elle tomba en décadence par la faute de ses gouverneurs insensés. Elle passa entre les mains des Arabes pendant quatre cents ans, depuis Omar jusqu’à la conquête des Turcs.

Sous la courte domination des Francs, elle fut plongée dans toutes sortes de calamités, et devint un objet de deuil pour les enfants de Sion. Hélas ! Quelle ruine que la sienne ! Mais Dieu jettera ses regards sur elle en accomplissant ses promesses.

L’an 574 de l’ère arménienne (18 février 1125-17 février 1126),[79] le baron Thoros revint de Constantinople, délivré de captivité après la mort de son père Léon, que les Grecs, dans leur malice, avaient emmené de la Cilicie et banni de ses domaines, conquis par la vigueur de son arc et de son épée. Il se rendit à pied auprès du seigneur Athanase, métropolite des Syriens jacobites, qui lui donna son cheval, une troupe de douze hommes, et l’introduisit pendant la nuit dans la forteresse d’Amouda. Le lendemain, Thoros arbora sa bannière et la planta [sur les murs de la forteresse]. Les gens d’alentour, apercevant cet étendard, connurent que la miséricorde de Dieu était revenue visiter les chrétiens, et éprouvèrent une très vive joie. La nouvelle de l’arrivée de Thoros se répandit de tous côtés, et je dirai, pour être bref, qu’en peu de temps il rentra en possession de toute la contrée.[80]

Dès lors Dieu frappa de crainte le cœur des Turcs et des Grecs, qui redoutaient Thoros, à ce point qu’un jour, comme il se rendait à Raban avec une escorte de douze cavaliers, auprès de Josselin, il rencontra un fort détachement de Turcs accourus pour piller et faire une incursion. Avec l’aide de Dieu il leur tua trois mille hommes. Tous ses ennemis à la ronde tremblaient devant lui.

Dans ce même temps, Josselin étant venu au couvent de Mar Bar-Tzaumâ, les prêtres sortirent au-devant de lui, portant l’Evangile et la Croix, comme au-devant d’un chrétien ; puis ils le conduisirent à l’église. Mais il s’empara des points fortifiés du couvent et y plaça une garnison de ses troupes.

Cette même année, Josselin étant allé faire une partie de chasse, les cavaliers qui l’accompagnaient se dispersèrent. Son cheval le précipita contre un arbre, et étant tombé, il perdit le sentiment. Deux Turcs le surprirent et l’emmenèrent à Alep sans savoir qui il était. Là ils le vendirent à un juif. Plus tard, avant été reconnu, il fut conduit à Nour ed-din qui le fit mettre en prison. Puis celui-ci s’empara de tout le pays qui appartenait à Josselin, savoir : Azaz, Tellbâscher, Bir, Raban, Marasch, Béhesni, Hisn-Mansour, Samosate, Gargar’, Gaktha,[81] à l’exception de Hrom-Gla, où était la femme de Josselin avec ses deux filles. Josselin fut privé de la vue et mourut entre les mains des infidèles. Sa femme[82] manda à Grégoire, catholicos d’Arménie qui habitait Dzovk, de venir résider à Hrom-Gla, parce qu’elle voulait s’en revenir chez ses parents de l’autre côté de la mer ; elle lui fit dire en même temps qu’ayant un fils, s’il retournait un jour, Grégoire lui rendrait la forteresse ; qu’il valait mieux qu’elle appartînt au patriarche que de tomber au pouvoir des Turcs. Le catholicos se rendit à cette invitation, et il s’établit à Hrom-Gla jusqu’au retour du fils de Josselin. On persuada alors à celui-ci [de céder cette place] à prix d’argent et de la quitter, car lui-même ne jugeait pas possible de s’y maintenir au milieu des Turcs. Par la faveur de la Providence, ce château devint pour toujours le siège des catholicos d’Arménie.

Celte année, la veille de l’Ascension, il tomba en Palestine une pluie mêlée de gouttes de sang. Au mois de mai, la première rosée qui, à l’aurore, couvrait le sol à Jérusalem, était de couleur de sang ; dans le mois de juin, il tomba de la neige rouge. Tous ces signes annonçaient les massacres qui devaient marquer la prise de Jérusalem.

En l’année 1464 de l’ère syrienne et 580 des Arméniens,[83] le roi de Jérusalem, déjà parvenu à l’adolescence, voulut dépouiller sa mère de la direction des affaires. Celle-ci, ayant attiré à elle quelques grands, se renferma dans la tour de David et s’y fortifia. Alors Baudouin se mit en guerre avec elle. Mais la reine lui ayant adressé de tendres reproches, le roi versa des larmes, et, après s’être lié par un serment envers elle, il la fit sortir de la tour.

Il marcha à la tête de ses troupes contre Ascalon, dans le pays des Philistins, et attaqua cette ville. Ayant établi ses machines de guerre, il renversa une partie des remparts. Sur ses décombres se réunirent vingt mille musulmans, armés de pied en cap, qui s’écrièrent : « Ceci est la ville qui fut le fondement de la puissance de Mahomet, dans les premiers temps de notre religion ; combattons vaillamment pour la défendre, et que hors de ses murs nos yeux ne voient plus la lumière du soleil. » Quatre cents chevaliers Francs[84] s’élancèrent contre ces vingt mille hommes ; aucun de ces héros n’échappa, et tous moururent sur la brèche. Le roi frémit de colère, ainsi que ses troupes, et fut dans la douleur. Les assiégés tentèrent pendant la nuit de réparer leurs murailles ; mais un des chefs Francs, sire Renaud, par ses efforts et au péril de sa vie, les en empêcha. Au lever de l’aurore, le roi prenant la Croix en main et s’étant approché du rempart, la jeta dans l’intérieur, en s’écriant : « S’il y a un chrétien qui ait la foi dans le cœur, qu’il vole à la recherche du signe sacré qui fut arrosé du sang de Dieu. » A ces mots, les soldats, enflammés de l’amour du Christ, se précipitèrent en un clin d’œil dans la ville de tous les côtés, sans qu’aucun d’eux s’avisât même s’il avait revêtu ses habits. Ascalon fut prise ; seize mille personnes y perdirent la vie ; il y eut une multitude de prisonniers. Un petit nombre, étant parvenus à s’embarquer dans un navire, se sauvèrent en Égypte.[85]

Renaud fut fait seigneur d’Antioche, et reçut pour épouse la femme de Raymond de Poitiers.

A cette époque, le grand prince des princes, Thoros, fils de Léon, fils de Constantin, fils de Roupen, de race royale, dirigea une expédition dans la Cappadoce contre les Turcs, et en revint chargé de butin, avec de nombreux captifs, et cou vert de gloire.

A Iconium régnait Maç’oud, l’un des fils du khak’an, lequel donna sa fille en mariage au fils d’Yakoub Arslan, de la maison de Danischmend. Ce prince, plein de présomption, voulut pénétrer dans la Cilicie. Mais lorsqu’il fut arrivé sur les limites, il n’osa pas les franchir, car on lui avait préparé une embuscade dans les défilés qui donnent accès dans ce pays, et il s’en retourna honteusement.

Cependant l’empereur [Manuel] était irrité contre Thoros, parce que celui-ci avait enlevé aux Grecs toute la contrée [de la Cilicie]. Il fit marcher contre lui son général Andronic à la tête d’une armée considérable. De son côté, le grand Thoros, ayant rassemblé ses troupes, s’avança contre les Grecs. Les deux armées se rencontrèrent auprès de Tarse, et le combat s’engagea. Mais Dieu protégea les Arméniens ; les Grecs ne purent leur tenir tête et furent battus. Ils perdirent trois mille hommes ; une foule de captifs, d’entre les principaux officiers de l’armée, furent chargés de fers, et ensuite rendus à la liberté, moyennant une grosse rançon. Le grand Thoros, ayant mis la main sur tout ce que renfermait le camp des Grecs et recueilli la rançon des captifs, se vit possesseur de richesses immenses. Il rendit grâce à Dieu qui l’avait vengé de ses ennemis.

Ce fut dans ce temps que les fils de Zangui, qui étaient à Mossoul, se liguèrent avec l’émir de Tékrit et se révoltèrent contre le khalife [Moktafi]. A cette nouvelle, celui-ci marcha contre Mossoul ; mais il échoua. Alors il se dirigea contre Tékrit, et promit à ses troupes le pillage ; elles prirent cette ville, et la saccagèrent ; la citadelle fut remise à l’émir Schems ed-din,[86] homme bienveillant et ami des chrétiens, qui restaura la ville avec empressement, ainsi que les églises. Il était sous l’obéissance du khalife.

Nour ed-din, seigneur d’Alep, marcha contre Damas, qui se rendit à lui sur son serment ; mais ensuite il fit périr les principaux habitants. Il démolit les remparts bâtis en briques et les reconstruisit en pierres.

Vers cette époque, Timourtasch, Ortokide, seigneur de Mardin, tomba malade. Comme les médecins ne trouvaient aucun remède pour le soulager, et jugeaient son état désespéré, ils l’abandonnèrent. Alors il eut recours aux prières des chrétiens. Il envoya au couvent de Mar Bar Tzaumâ, et on lui apporta la dextre du saint. Il vit un homme de feu, qui, s’approchant, le prit par la main droite en lui disant : des chrétiens m’ont envoyé vers toi pour que tu ne meures pas.» A l’instant il recouvra la santé et glorifia le Christ.

Il procura aux chrétiens de grandes consolations et à l’Eglise beaucoup d’avantages, à Mardin, Nisibe, Meïafarékïn, Ras-el-’aïn, Dara, et dans un grand nombre d’autres lieux qui dépendaient de son autorité. Il recommanda à ses trois fils de tenir la même conduite, et leur partagea ses Etats. Il donna Meïafarékïn et Mardin à Nedjm ed-din [Alby] ; Khani[87] à Djémal ed-din ; et Dara à Schems ed-din.

L’empereur des Grecs, ayant appris que le sultan Maç’oud était arrivé sur les confins de la Mésopotamie, lui envoya des ambassadeurs avec des présents pour l’engager à envahir la Cilicie et à attaquer Thoros. Le sultan se mit en marche avec toutes ses forces. Les habitants s’enfuirent prudemment et cherchèrent un asile dans les lieux fortifiés, tandis que l’armée arménienne prenait position au pied de la montagne. Le sultan se dirigea sur Thil de Hamdoun. Mais le Dieu des chrétiens atteignit les infidèles, non point avec une épée de feu comme autrefois les troupes de Sennachérib, non point par la main d’une femme comme Holopherne, mais avec des moucherons et des insectes : c’était, disait-on, absolument comme la plaie qui frappa Pharaon au cœur endurci. Comme on était dans l’été, les hommes et les animaux succombèrent, et les infidèles prirent la fuite. Les troupes arméniennes, s’élançant de la montagne, les taillèrent en pièces en très grande partie, s’emparèrent de leurs richesses et en remplirent leurs maisons en rendant grâce à Dieu de ce succès. Maç’oud rentra à Iconium couvert de confusion, et, après avoir été châtié deux fois par le Seigneur, il mourut.

En l’année 1466 de l’ère syrienne et 582 des Arméniens,[88] le fils de Maç’oud, Kilidj Arslan, monta sur le trône. Il avait deux frères. Il emprisonna l’un, et l’autre s’enfuit vers les bords de la mer, et se cantonna dans les forteresses que son père lui ait données avant sa mort. Il se nommait Schahenschah, et s’était allié par mariage à la famille de Danischmend. Yakoub Arslan, prenant fait et cause pour lui, déclara la guerre à Kilidj Arslan, et le combattit. En même temps il envoya prévenir Nour ed-din, qui accourut, et s’empara de Ph’arzman et d’Aïn-tab.

Les Arabes possédaient encore l’Égypte, qu’ils occupaient depuis Mahomet, et les Turcs n’avaient pas pu y fonder leur domination. Les Egyptiens avaient un khalife de la race d’Ali ; depuis lors Bagdad fut le siège du khalifat.[89]

A cette époque mourut le khalife d’Égypte [Dhafer]. Il avait un fils nommé Abbas, qui voulut le remplacer.[90] Mais comme le prince (vizir) d’Égypte s’y opposa, Abbas prit tous les trésors de l’Etat, et emmenant avec lui trois mille esclaves arméniens, il les équipa et les arma.[91] Puis, sous la direction des Bédouins, il prit pendant la nuit le chemin de Damas pour se rendre auprès de Nour ed-din. Mais le lendemain les troupes égyptiennes, se mettant à sa poursuite, l’atteignirent. Les esclaves arméniens, rendus à la liberté, tombèrent sur les Égyptiens qu’ils exterminèrent. Ceux, parmi ces derniers, qui échappèrent au massacre, s’enfuirent en Palestine où ils firent halte. Cependant un des Bédouins, arrivé à Jérusalem, annonça aux Francs ce qui venait de se passer. Aussitôt ceux-ci s’équipèrent et marchèrent contre les Arméniens. Abbas, après avoir disposé sa troupe, lui dit : « Courage, mes enfants, soyez braves contre les Francs comme vous l’avez été contre les Egyptiens. Je vous comblerai d’honneurs. » Les Arméniens, prenant leurs armes et faisant bonne contenance, s’avancèrent contre les Francs avec ardeur. Cependant, ayant aperçu le signe de la rédemption porté au-devant des Francs, les mains leur manquèrent, et, fondant en larmes, ils descendirent de cheval et se prosternèrent devant ce signe sacré comme des gens mourants de désir. Les Francs s’emparèrent facilement de trésors immenses et vendirent Abbas au prince d’Égypte. Dès que celui-ci le tint en son pouvoir, il le fit crucifier. Les Francs laissèrent les enfants de l’Arménie se retirer avec leurs vêtements seulement, montrant ainsi leur ingratitude envers leurs bienfaiteurs, envers de pieux chrétiens, qui de leur propre mouvement les avaient mis en possession de tant de richesses.

Renaud [de Châtillon], qui portait le titre de prince d’Antioche, eut une contestation avec le baron Thoros, au sujet des forteresses que les Grecs avaient enlevées aux Frères (Templiers) et que Thoros avait reprises aux Grecs. Renaud disait : « Les Frères combattent pour la cause commune des chrétiens ; rends-leur ce qui leur appartient. » Un combat fut livré auprès d’Iskenderoun, et beaucoup de gens périrent des deux côtés. Renaud fut contraint de s’en retourner chez lui couvert d’humiliation. Postérieurement Thoros rendit de lui-même aux Frères[92] les forteresses qui étaient sur les confins d’Antioche ; et ceux-ci lui firent serment de secourir les Arméniens, dans toutes les occasions où ils en auraient besoin, même jusqu’à la mort, et de partager toutes leurs peines.

En l’année 584 de l’ère arménienne (15 février 1135-15 février 1136) le baron Sdéph’anè, frère du baron Thoros, étant arrivé sous les murs de Marasch, y fit entrer pendant la nuit ses troupes, qui furent reçues dans les maisons de ceux des habitants qui étaient chrétiens. Cette surprise fut ménagée par un prêtre de cette ville avec lequel le baron Sdéph’anè était d’intelligence. Au lever de l’aurore, ses soldats s’emparèrent de la place, et massacrèrent les Turcs qu’elle renfermait. Fiers de leur victoire, ils insultaient ceux qui étaient renfermés dans la citadelle, et avaient commerce ouvertement avec leurs femmes. Aussi Dieu, irrité, ne la livra pas entre leurs mains. Alors ils mirent le feu à la ville, et ayant emmené les chrétiens, ils pénétrèrent jusque dans l’intérieur du pays. L’émir, ayant saisi le prêtre qui avait favorisé ce coup de main, le fit écorcher et brûler vif.[93]

Celte année, Renaud, d’accord avec Thoros, et aidé par lui, passa dans l’île de Chypre, s’en empara et la pilla. Il extorqua une rançon pour les hommes et les animaux qui vivaient sur le littoral, mais en les laissant en liberté. Il prit seulement des otages, retenant auprès de lui des évêques, des prêtres et des nobles, jusqu’à ce que la contribution qu’il avait imposée eût été acquittée. Cette expédition fut motivée par deux raisons : la première, parce que les Grecs tourmentaient les Francs qui habitaient cette île, et la seconde, parce qu’ils excitaient les Turcs à tuer les Arménien.

Cependant le baron Sdéph’anè vint attaquer la forteresse de Pertous et la pressa vivement. Les assiégés lui demandèrent de leur assurer par serment de les épargner, promettant à cette condition de se rendre. Ce serment leur fut donné, et les Arméniens, étant entrés dans la place, laissèrent aux Turcs la vie sauve et la faculté de se retirer.

On rapporta au baron Sdéph’anè que les Turcs ne cessaient de faire entendre des menaces, annonçant leur intention de s’adjoindre de nouvelles forces et de venir saccager la contrée. Alors il consulta des ecclésiastiques, qui lui répondirent que si ces provocations étaient telles, il était dégagé de son serment. En conséquence il les fit tous massacrer. Les infidèles, ayant eu connaissance de cette exécution, devinrent derechef les ennemis des chrétiens.

Cette année mourut le grand sultan du Khorassan, Maç’oud, laissant un fils en bas âge. On lui donna pour atabek [tuteur] l’émir Ildiguiz, qui épousa la mère du jeune prince et prit en main les rênes de l’Etat.[94] Peu de temps après, celle-ci mourut, et le pouvoir suprême fut remis à Ildiguiz ; mais il conserva le titre d’atabek. C’est pour cela que depuis lors les souverains du Khorassan portent ce titre, et leur royaume le nom de Maison des atabeks. Leur autorité s’étend jusqu’à Mossoul, et dans la Mésopotamie jusqu’à Khar’an, dans toute l’étendue de la contrée.

Pareillement les princes établis dans la Cappadoce piétinent le titre de Khak’ans et de Seldjoukides, du nom de leur ancêtre. Les Danischmend ne formaient pas un empire entièrement consolidé, car Kilidj Arslan et Kara Arslan, seigneur de Sébaste, étaient en rivalité. Le baron Sdéph’anè en profita pour faire une incursion dans le domaine de ces deux princes.

Le roi de Jérusalem, s’étant rendu à Antioche, y réunit des troupes, appela un corps d’Arméniens, et vint s’emparer de Harem, et saccager le pays jusqu’à Alep.

Sdéph’anè fut calomnié auprès de Thoros, à qui on insinua qu’il méditait de le tuer. Celui-ci, ajoutant foi à ces mauvais propos, fit arrêter son frère et le mit en prison, où il le tint renfermé dix mois. Enfin, cédant aux instances d’un grand nombre de personnes qui interposèrent leur médiation, il le relâcha, et les deux frères ne cessèrent plus d’être d’accord.[95]

Kilidj Arslan fit amitié avec Danoun (Dsou’lnoun), émir de Césarée,[96] et par le secours que celui-ci lui prêta, il ébranla la maison de Danischmend.[97]

L’empereur des Grecs, Manuel, ayant trouvé l’occasion favorable, entra en Cilicie, dans les Etats de Thoros, parce que les Francs étaient très occupés d’un autre côté, étant tourmentés par les Arabes d’Abd el-Moumen.[98] Thoros se sauva avec ses troupes dans les montagnes. Manuel, traversant la plaine de la Cilicie,[99] parvint jusqu’à Antioche. Il se disposait à marcher avec les Francs contre Alep, lorsqu’il apprit la fâcheuse nouvelle qu’un des grands de l’empire voulait s’emparer de la couronne. Il revint sur ses pas, en demandant à Thoros sa soumission. Mais il eut beaucoup à souffrir, en route, des Turcs, qui habitaient les rochers et qui massacraient les Grecs en marche. Pour se venger de ces hostilités, Manuel envoya des troupes sur le territoire de Kilidj Arslan, afin d’y faire tout le dégât possible. C’était une guerre implacable entre les Turcs et les Grecs.

De son côté, Nour ed-din, instruit de ce qui se passait, vint saccager la partie des Etats de Kilidj Arslan située sur les confins de l’Euphrate, Béhesni, Raban, Marasch et autres villes, dont il s’empara aussitôt. Mais ayant ensuite fait la paix avec le sultan, il les lui rendit. Il se réconcilia pareillement avec Yakoub Arslan, et ils conclurent la paix.

Cependant le roi de Jérusalem donna Harem au fils de Josselin, qui portait le même nom que son père, et qui était l’héritier de Hrom-Gla. Celui-ci, pour venger la mort de son père, saccageait jour et nuit le territoire d’Alep. Mais au bout de deux ans il fut pris par les troupes de cette ville, conduit dans ses murs, et il y mourut dans les fers.

Le roi de Jérusalem Baudouin s’avança sur les confins de Damas, et ayant gagne les Bédouins, qui campaient dans ces lieux par ordre de Nour ed-din, il alla avec eux en Égypte, pilla ce royaume et lui imposa un tribut de 160.000 tahégans ; il revint de cette expédition couvert de gloire, traînant après lui une multitude de captifs, et chargé de butin consistant en objets précieux et en bestiaux.[100]

Cette année, le roi des Géorgiens, Giorgi, défit l’émir Salthoukh, qui résidait à Garin, et l’ayant fait prisonnier, il le vendit dans cette ville même. Les Turcs, s’étant rassemblés en nombre considérable, fondirent derechef sur Giorgi, qui les extermina par milliers.[101]

Le sultan Kilidj Arslan et Yakoub Arslan se firent de nouveau la guerre. Le sultan fut vaincu, et Yakoub Arslan s’empara de tous les insignes royaux de ce prince. Mais, agissant avec magnanimité, il les lui rendit, et ils firent ensemble paix et alliance.

Le roi de Jérusalem fut averti que le seigneur de Saïda, Girard,[102] avait équipé des navires, les avait remplis de corsaires, et qu’il faisait plus de mal aux chrétiens qu’aux Turcs. Irrité contre lui, il le chassa. Celui-ci se rendit à Antioche auprès du Prince, qui lui concéda Bagras ; et là il recommença le cours de ses déprédations sur mer et sur terre. Le Prince, en ayant été instruit, l’expulsa pareillement. Alors Girard se réfugia auprès de Nour ed-din, qui fut charmé de son arrivée, parce qu’il lui promit de soumettre à sa puissance tout le littoral. Nour ed-din lui ayant fourni des troupes, Girard vint ravager la contrée située sur les bords de la mer. Cependant le roi de Jérusalem, fortifié par le nom du Christ, marcha contre lui, extermina les troupes turques, et s’empara de ce ministre de Satan. L’ayant fait garrotter, il l’emmena à Jérusalem, où il le condamna à périr par le supplice du feu. C’est ainsi que finit ce scélérat.

Manuel, empereur des Grecs, fit mourir sa femme par le poison, parce qu’elle finit stérile, et épousa la fille du Prince d’Antioche, contrairement aux lois chrétiennes.[103]

Cependant Yakoub Arslan fit la paix avec les habitants de Mélitène, et leur donna pour émir un jeune enfant, son neveu (fils de son frère). Une dénonciation calomnieuse fut portée au sultan contre Yakoub. On l’accusa de s’être ligué avec plusieurs émirs pour tuer le sultan et mettre le frère de celui-ci sur le trône. Kilidj Arslan, ayant ajouté foi à ces propos, envoya à Manuel son chancelier Christophe lui demander du secours, l’assurant que, s’il lui donnait la garantie d’un serment, il irait lui faire une visite d’amitié. Manuel, enchanté de cette proposition, accorda le serment qu’on lui demandait. En conséquence, le sultan se rendit avec une escorte de mille cavaliers à Constantinople, où il fut reçu avec les plus grands honneurs. Il y passa quatre-vingts jours. On lui envoyait ses provisions de vivres, deux fois par jour, dans des vases d’or et d’argent, qui tous restaient à ce prince et ne revenaient plus au palais de l’empereur. Au bout de quelque temps, les deux souverains s’assirent à la même table, et Manuel fit présent au sultan de tout le service qui la garnissait. Lorsque ce dernier fut au moment de prendre congé, l’empereur lui donna un monceau d’or qui s’élevait jusqu’à la hauteur de la taille du sultan, debout devant lui dans la salle du festin.[104]

Kilidj Arslan partit, tandis que Yakoub Arslan convoquait tous les émirs de la Mésopotamie ; ils accoururent auprès de lui, pour marcher contre Kilidj Arslan. Mais lorsque les deux partis se trouvèrent en présence, ils furent effrayés réciproquement de leur nombre considérable. Des conférences s’ouvrirent, et la paix ayant été conclue, ils se retirèrent chacun de son côté.

A cette époque, le prince Andronic, investi du gouvernement de la Cilicie par Manuel, convia le baron Sdéph’anè à un repas, et tandis que celui-ci s’en retournait, il fut tué, lui et ceux qui l’accompagnaient.[105] Le baron Thoros, furieux contre les Grecs, leur tua dix mille hommes. Alors Andronic supplia le roi de Jérusalem de venir les réconcilier, lui promettant de lui faire envoyer de Constantinople beaucoup d’argent. Il lui jura qu’il était innocent du crime dont on le soupçonnait, et qu’il n’avait jamais ordonné ce meurtre. Le roi de Jérusalem répondit à cet appel, et rétablit la paix entre eux ; mais ce ne fut qu’avec de grandes instances qu’il la fit accepter par Thoros, qui cessa dès lors de faire du mal aux Grecs.

Le roi des Géorgiens, Giorgi, se rendit maître de la ville de Tevin, massacra les Perses qui s’y trouvaient, et détruisit, le minaret qui avait été élevé avec le sang et les ossements des chrétiens.[106]

Renaud, seigneur d’Antioche, fut fait captif par les troupes de Nour ed-din. Il était venu avec cent vingt cavaliers et cinq cents fantassins sur le territoire d’Alep, où il accomplit de grandes prouesses avant d’être pris. Mais comme les Turcs étaient très supérieurs en nombre, et s’étaient cachés dans une embuscade, ils le cernèrent. Quoiqu’il pût se faire jour au travers de leurs rangs et leur échapper, il ne tenta aucun effort, et se livra aux ennemis, qui le conduisirent auprès de Nour ed-din, à Alep.

Sur ces entrefaites, les Turcs, ayant dirigé une incursion vers Laodicée, y firent sept mille prisonniers chrétiens. Cet événement causa une profonde douleur dans l’Eglise.

Le roi de Jérusalem, en ayant été informé, marcha contre Alep ; mais ses efforts furent inutiles. Alors, ayant fait la paix, il reprit le chemin de Jérusalem. Arrivé à Acre, il mourut, laissant la couronne à Amaury son frère. Celui-ci ayant transporté ses restes mortels à Jérusalem, leur rendit les honneurs funèbres ; cette perte le plongea dans le deuil pendant longtemps. Amaury régna dix-neuf ans.[107]

Cependant Nour ed-din fondit sur le territoire de Jérusalem, et ayant enlevé un butin considérable et une multitude de captifs, il s’en revint. Amaury, accourant sur ses pas, le défit et le mit en fuite. Il lui reprit les dépouilles qu’il avait enlevées et les captifs qu’il emmenait, et qui recouvrèrent ainsi leur liberté.

Cette même année Yakoub Arslan fit rentrer sous son obéissance Dsou’lnoun son neveu (fils de son frère), qui s’était révolté à Césarée. Il se rendit à Ganiavi, qui est Ani, c’est-à-dire Gamakh, et après avoir tué l’émir rebelle de cette ville, il s’en retourna.

Kara Arslan marcha contre Amid, mais ne put réussir. Alors il revint à Harsen-Kêf (Hisn-Keïfa), et invita Yakoub Arslan à un festin, pensant s’agrandir par une trahison. Avec des forces considérables, il envahit le territoire de ce dernier, et y fit cent mille captifs, parmi lesquels étaient deux évêques chrétiens, qui parvinrent à se sauver de ses mains.[108]

Cependant le baron Thoros, après la captivité de Renaud, se rendit à Antioche, et établit comme Prince de cette ville le fils de Renaud. Bohémond,[109] malgré l’opposition de la mère de ce dernier.

Nour ed-din ayant rassemblé des troupes et étant venu faire une incursion vers Tripoli,[110] un parti de Turcs rencontra trois cents cavaliers Francs, sans que les uns et les autres se reconnussent. Mais les Francs s’aperçurent bientôt que c’étaient des Turcs, et Nour ed-din, pensant de son côté qu’il avait en face le roi de Jérusalem, prit la fuite. Aussitôt les trois cents cavaliers Francs s’élancèrent à la poursuite des infidèles en les taillant en pièces. Lorsqu’ils se furent avancés au loin et qu’ils découvrirent le gros de l’armée ennemie, ils virent qu’ils se trouvaient en présence de Nour ed-din, et furent effrayés. Ils gravirent une colline, et là, descendant de cheval, ils se mirent à réciter les prières de l’heure suprême dans l’attente de la mort. A ce spectacle, les Turcs, frappés de terreur par le Seigneur, abandonnèrent leurs bagages, jetèrent leurs armes, et s’enfuirent sans songer à regarder en arrière. Les troupes amies du Christ, prenant courage, fondirent sur eux et les massacrèrent par milliers. Nour ed-din s’échappa avec une poignée d’hommes. Les chrétiens, chargés des bagages et du butin enlevés aux infidèles, s’en revinrent en triomphe, pour la gloire du Christ notre Dieu.[111]

Cependant Yakoub Arslan se rendit auprès du frère du sultan, Schahen schah, lequel occupait les forteresses du littoral qui lui avaient été données par son père ; il s’en revenait, rempli de joie, lorsque parvenu à Gangra, non loin du fleuve Halys, il mourut. Son année mit à sa place Ismaïl son neveu (fils de son frère). Mais les troupes qui étaient à Ablastha proclamèrent comme souverain Mahmoud, fils de Mahadi. Cette scission jeta le trouble dans la famille de Danischmend.

Le roi de Jérusalem étant passé en Égypte pour recevoir le tribut, les habitants se divisèrent entre eux. Les uns le lui payèrent en lui rendant hommage ; les autres, pleins de présomption, lui résistèrent, et envoyèrent prier Nour ed-din de venir à leur secours. Alors le roi, dégainant son épée, les extermina sans pitié en nombre incalculable. Puis il investit la ville de Belbeïs pendant sept mois. Sur ces entrefaites, ayant reçu la nouvelle que Nour ed-din était venu attaquer Harem et cherchait à s’en emparer, il écrivit aux habitants, pour leur enjoindre de no faire aucune sortie avant son arrivée, et, laissant le siège de Belbeïs, il se mit en route. Mais ceux de Harem manquèrent à ce qu’il leur avait prescrit, et, sortant des murs, ils en vinrent aux mains avec les infidèles. En même temps ceux-ci, faisant une diversion, s’éloignèrent. Les assiégés campèrent hors de la place, et les Turcs, revenant sur eux, les surprirent, les taillèrent en pièces, et se rendirent maîtres de Harem. Ils firent prisonniers le Prince d’Antioche et une foule d’autres grands personnages.[112]

En l’année 1496 de l’ère syrienne et 592 des Arméniens,[113] le sultan Kilidj Arslan triompha des fils de Danischmend, avec le concours de l’émir Dsou’lnoun, et conquit Gadoug,[114] Ablastha et Laranda.[115]

Cette même année, le baron Thoros envoya des ambassadeurs avec des présents à Alep pour réclamer les Arméniens qui y étaient retenus prisonniers. Mais on les lui refusa. Thoros, irrité, fit une irruption dans le district de Marasch et le saccagea. Nour ed-din ayant envoyé des troupes contre lui, elles furent battues, et Thoros fit un grand nombre de prisonniers. Alors Nour ed-din, redoutant Thoros, lui rendit ses captifs.[116] Les Francs firent une semblable demande, en sollicitant la liberté du Prince d’Antioche, qui l’obtint moyennant une rançon de 100,000 tahégans. Délivré de ses fers, il se rendit à Constantinople auprès de sa sœur, et en revint chargé de trésors. Il ramena de chez les Grecs, en qualité de patriarche d’Antioche, un nommé Athanase, et l’introduisit dans cette ville. Le patriarche franc Aimeric, témoin de cette intrusion, en sortit aussitôt pour venir se fixer à Koceïr[117] et excommunia les habitants d’Antioche.

Un an après ces événements, l’empereur des Grecs Manuel marcha contre les Boulgares ; mais il fut vaincu et fait prisonnier. Il fut délivré par un homme qu’il avait gagné par des promesses appuyées d’un serment ; il les accomplit lorsque cet homme l’eut amené à Constantinople.[118]

Cependant l’Égypte passa sous la domination de Nour ed-din, et il en donna le gouvernement à Schirakouh. Le roi de Jérusalem marcha de nouveau contre les Egyptiens, et Schirakouh prit la fuite à son approche. Le roi, s’étant rendu maître du pays, imposa un tribut aux habitants et s’en retourna avec des trésors immenses.[119]

Au bout de quelque temps, on apprit que les Dadjigs (musulmans) opprimaient les chrétiens. Le roi de Jérusalem accourut les châtier et les extermina ; puis il s’en revint, traînant après lui des captifs.

Andronic, cousin de l’empereur Manuel (fils du frère de son père), quitta la Cilicie et se rendit à Acre, pour y rejoindre [Théodora], fille de son frère, laquelle avait été la femme du défunt roi de Jérusalem.[120] Il se chargea du soin de sa maison, et des relations criminelles s’établirent entre eux. La chose s’étant découverte, les deux coupables s’enfuirent à Khar’an, et là il leur naquit un enfant dont l’origine illégitime les couvrit d’infamie.[121] Alors Andronic s’en vint à Mardin ; mais, comme on avait refusé de le recevoir, il passa à Garin, où il s’arrêta. S’étant mis à la tête de troupes turques, il faisait des captifs sur les chrétiens ; puis, les emmenant, il les vendait aux infidèles, et se livrait à toutes sortes de scélératesses.

Le baron Thoros avait un frère nommé Mleh, homme pervers et féroce, en qui Thoros n’avait aucune confiance. De son côté Mleh, qui ne pouvait souffrir son frère, alla trouver Nour ed-din, qui lui donna Gouris. Il causa aux chrétiens toute espèce de maux, les faisant prisonniers et les massacrant sans pitié, pillant les couvents arméniens. Il combla la mesure de l’abomination.

Thoros, étant tombé malade, se revêtit du costume monacal, et, plein d’espérance spirituelle, il mourut en Jésus-Christ, après une vie glorieuse, illustrée par des prouesses héroïques. Que sa mémoire soit bénie et louée dans les églises orthodoxes ! Il laissa après lui un tout jeune enfant, qu’il recommanda aux grands du pays.

Cependant Mleh poursuivait le cours de ses forfaits. Les grands, après avoir exigé de lui un serment, le laissèrent rentrer, en lui faisant promettre qu’il ne dépouillerait pas le jeune prince de ses droits. Mais Mleh, sans égard pour la loi jurée, s’empara de toute la principauté. Alors on transporta en toute hâte le fils de Thoros à Hrom-Gla, où il fut élevé.[122]

Eu l’année 596 de l’ère arménienne (13 février 1147-12 février 1148),[123] la domination des Arabes en Égypte, qui avait commence à Omar, fut abolie, par suite d’un schisme qui créa deux partis ; les uns étaient appelés Rafédhites,[124] et les autres, qui avaient leur centre en Assyrie, étaient désignés sous le nom de Sunnites. Les premiers, qui se nommaient aussi Chiites, confessaient qu’il y a un seul Dieu, qu’il n’est point et n’a jamais été l’auteur du mal, et que par là il est évident qu’il est unique et le mal multiple. Les Sunnites affirmaient que tout vient de Dieu, le mal et la mort, et tout ce qui arrive de fâcheux. Les deux partis commencèrent à se détester et à se diviser en deux sectes rivales en Égypte, où figuraient les partisans des deux opinions. Les Chiites se déclarèrent pour Nour ed-din[125] et les Sunnites pour les Francs. Nour ed-din envoya des députés à ces derniers, pour les engager à se détacher des Francs, à leur refuser le tribut, et à soutenir leur propre religion. Ils accédèrent à cette proposition, et se donnèrent aux Turcs. Ils fortifièrent Belbeïs et ne voulurent point payer aux Francs le tribut accoutumé. A cette nouvelle, le roi de Jérusalem accourut et prit Belbeïs, et ayant trouvé dans cette ville douze mille cavaliers et deux cent mille fantassins, il les passa au fit de l’épée.

Cependant le général des troupes Schaver brûla la ville de Misr[126] et ; emmenant avec lui la foule des habitants, il alla se renfermer dans le Caire, où il se fortifia. En même temps il donna avis à Nour ed-din, par l’intermédiaire de Schirakouh, de l’état des choses. Aussitôt Nour ed-din fit repartir ce dernier avec cent mille cavaliers ; dès son arrivée, il tua le khalife et mil fin à la dynastie qui gouvernait l’Égypte. Il fit périr aussi les principaux d’entre les Arabes, et s’arrogea le pouvoir suprême.[127] Le roi de Jérusalem revint chez lui après avoir obtenu de grands succès dans son expédition.

Au bout de trois ans, Schirakouh mourut, et son neveu Youssouf lui succéda ; c’est lui qui est Salah ed-din. Je vais faire connaître son origine. Son père était de la ville de Tëvïr, dans la Grande Arménie, et Kurde de nation. Il se nommait Eyoub, fils de Soliman.[128] Cet Eyoub et Schirakouh son frère quittèrent Tëvïr à cause de leur pauvreté, et passèrent dans la Mésopotamie ; arrivés à Tékrit, ils s’incorporèrent dans la garnison de cette place.[129] Un jour Eyoub raconta à un juif un songe qu’il avait eu : « Il sortait, dit-il, de mes reins un feu qui incendia le monde. » Le juif lui répondit : « Il naîtra de toi un fils, qui en sera le ravageur. » « Si la prédiction s’accomplit, répliqua Eyoub, tu obtiendras de lui, de génération en génération, mille [tahégans d’or] rouge pour chaque année écoulée. » Le juif consigna par écrit ces paroles, avec la date de l’an et du mois. Cette même année naquit Youssouf, qui grandit dans la plénitude de la vigueur. Schirakouh, son oncle, le prit avec lui, et, s’étant rendu auprès de Nour ed-din, fut accueilli avec bienveillance et fit de grands progrès dans la faveur de ce prince : tout lui venait à souhait ; Nour ed-din le fit son général, et l’envoya en Égypte. Quoiqu’il eût éprouvé deux défaites de la part du roi de Jérusalem, il réussit à s’emparer de cette contrée, et, lorsqu’il mourut, il laissa ses fonctions à Youssouf. Le juif, interprète du songe, ayant appris l’élévation de Youssouf, réclama l’accomplissement de la promesse d’Eyoub, qui lui répondit : « Allons trouver le feu enflammé, afin qu’il te donne ce qui est dû. » Ils se rendirent donc auprès de Youssouf, qui demanda le compte des années. Le juif lui remit le calcul, et Youssouf, l’ayant vu, y crut, et lui fit remettre comme payement du temps écoulé, et suivant la promesse d’Eyoub, un million de tahégans. Le juif s’en retourna fort content chez lui à Tékrit. Au bout de quelques jours, Eyoub, frappé à la tête d’un coup de pied de cheval, mourut, et son fils lui fit de pompeuses funérailles. Cependant Saladin voyait chaque jour ses forces s’accroître, sa puissance se développer et augmenter. Il était terrible «‘t altier, et en même temps heureux dans ses entreprises. Ainsi s’accomplit la prophétie du juif, conformément à l’explication qu’il avait donnée du songe d’Eyoub. Saladin publia un édit en Égypte qui interdisait aux chrétiens de monter à cheval ou sur des mulets, et qui leur enjoignait de porter en public continuellement une ceinture en signe de servitude.

En l’année 600 de l’aère arménienne (12 février 1151-11 février 1152), Kilidj Arslan enleva Césarée et Dzamentav au fils de Danischmend.[130]

Cette année, un évêque nestorien se mit en possession de l’église des Jacobites à Bagdad ; mais le Seigneur lui fit sentir le poids de sa colère, et il rendit l’église à ses maîtres légitimes.

Cette époque vit briller de l’éclat des grâces divines et de la doctrine le saint homme Jacques, fils de Tzaliba. Il fut sacré évêque et reçut le nom de Denys. Il composa un grand nombre de livres sur des sujets moraux ou de science, et commenta en entier l’Ancien et le Nouveau Testament, d’une manière qui obtint les éloges des savants ; il opérait des miracles qui manifestaient les faveurs dont Notre Seigneur Jésus-Christ l’avait comblé.[131] Il était illustre, et, comme le soleil, brillant de lumière. Il mourut dans les sentiments d’une foi parfaite, la figure resplendissante, et passa ainsi de cette vie terrestre à celle qui réalise l’espérance de l’immortalité.

En l’année 1496 de l’ère syrienne et 613 des Arméniens,[132] l’empereur des Grécs, Manuel, envoya vers le seigneur Nersès [Schnorhali], catholicos [des Arméniens], et vers moi Michel, pour réclamer de nous deux l’unité de foi, d’amour et de dogmes. Cette proposition nous fut d’abord apportée par un certain Christophe, et la seconde fois par Théorien le Philosophe.[133]

Le seigneur Nersès m’écrivit en ces termes : « On me demande de reconnaître deux natures en Jésus-Christ, et d’honorer le quatrième concile, de solenniser la naissance du Christ le 25 décembre, de célébrer la messe avec du pain fermenté et de l’eau, et de ne pas employer la formule : Dieu saint, qui as été crucifié.[134] — A ces conditions ils nous promettent de nous faire beaucoup de bien. Quelle sera notre réponse ?[135] »

Voici celle que je lui adressai : « Ce qu’ils nous demandent, à l’exception des questions relatives aux deux natures, au quatrième concile, et à la formule, qui as été crucifié, — est la doctrine que nous professons. Mais si tu altères maintenant la loi de tes pères sur des points capitaux, ou d’autres de moindre importance, tu montreras que jusqu’à présent vous n’avez pas possédé la vérité tout entière. Que votre doctrine soit donc complète. Il n’est pas convenable à la onzième heure, et dans l’attente du salaire, de changer de croyance par respect humain. Mais nous savons que vous êtes parfaits, en ce qui touche les points fondamentaux établis par les Apôtres ; et toi, tu es au courant du reste. »

Nous lui envoyâmes en même temps un de nos disciples, versé dans les sciences profanes, afin qu’en notre nom il entrât en controverse avec Théorien, et parce qu’il n’y avait personne parmi eux qui fut habile dans les connaissances philosophiques.

Lorsque mon disciple fut arrive auprès du catholicos, il entreprit par ordre de celui-ci de discourir devant Théorien sur la question des deux natures [en J. C.]. Après quoi il interrogea Théorien en ces termes : « En combien de parties se divise la nature ? » « En deux parties, répondit-il, en personnalité et impersonnalité. Le Syrien reprit : des deux natures, que vous exigez que nous «reconnaissions, sont-elles personnelles ou impersonnelles ? » Le Grec garda le silence pendant longtemps, incertain et dans l’impossibilité de donner une solution ; car il se sentait pris dans des filets inextricables. Ensuite il dit : « Qu’est-ce que nous avons de commun avec les auteurs profanes ? Laissons cela de côté. Alors le catholicos le réprimanda en disant : « Quelle autorité vous opposerons-nous donc, puisque tu évites de discuter même d’après les Saintes Ecritures, et que tu t’esquives en prenant ta course ? Quant à ce que ton esprit a rêvé, c’est comme l’oracle d’un magicien qui interroge la terre, et nous le rejetons. » Après une conférence qui dura plusieurs jours, le célèbre philosophe n’obtint en partage que la honte d’avoir échoué. Pour satisfaire à la demande de Manuel, nous rédigeâmes la profession de foi des Syriens, et nous la lui fîmes parvenir.

Dans la suite, nous reçûmes une lettre ainsi conçue : « Louanges et grâces à toi, à cause de la déclaration que vous avez écrite. Encore un effort ; venez nous voir et nous communiquerons de vive voix avec vous. » Mais nous refusâmes de nous rendre à cette invitation, et nous leur adressâmes notre réponse en y consignant notre profession de foi sur le Christ, Conçue en ces termes : « Nous le glorifions en une seule nature, une seule volonté, et une seule opération ; il est indivisible dans toute l’économie de son incarnation. Quiconque adoptera cette doctrine sera en paix et amitié avec nous. Mais notre empressement sera encore bien plus grand, si quelqu’un nous hait et nous persécute à cause de nos opinions. Nous resterons attachés avec les nôtres jusqu’à la mort à la tradition de nos pères, inébranlables sur les fondements posés par les Apôtres et les Prophètes ; nous tendrons même le cou [aux bourreaux], dans notre ardeur pour le martyre, dont nos pères nous ont donné l’exemple. »

Nous ne connûmes pas la réponse qu’écrivit le seigneur Nersès. Mais c’était un homme profond dans la science de l’Ecriture Sainte, vénérable, et dont le zèle était dirigé d’après les doctrines canoniques. Il s’acquitta de ce qu’il devait.

Nous connûmes alors et nous sommes persuadés que c’est la Providence, glorifiée par nous, qui arrêta les efforts hostiles de l’empereur, en lui suscitant les invasions désastreuses des Turcs. Cependant le catholicos Nersès quitta cette vie, et la base de notre foi resta inébranlable contre les vents et les portes de l’enfer, grâce aux prières de nos pères, au sang et à larmes versées par eux.[136]

A cette époque le roi de Jérusalem ayant demandé des troupes à l’empereur des Grecs, son parent par alliance, pour marcher contre l’Égypte,[137] ce dernier lui en envoya par mer. Lorsque les Grecs furent arrivés en Égypte, poussés parleur malice invétérée, ils voulurent tromper le roi et s’emparer de cette contrée pour leur propre compte. Mais quelques personnes avertirent à temps ce prince de leurs intentions. Le tribut auquel les Egyptiens s’étaient obligés lui fut payé en une somme d’or, et ils s’engagèrent pour l’avenir, en lui donnant des otages ; car Youssouf [Saladin] n’était pas encore en mesure de repousser les Francs.

Le roi de Jérusalem quitta l’Égypte en y laissant les troupes grecques ; mais elles ne purent tenir et se rembarquèrent. Surprises par une tempête, elles périrent en très grande partie.

Un terrible tremblement de terre se fit sentir le 29 juin de cette même année, à la fête des apôtres saint Pierre et saint Paul, au moment de la messe. La terre s’agita dans ses profondeurs jusqu’à la neuvième heure du jour. On eût dit qu’elle était soulevée, et retombait ensuite sur elle-même. Nous nous trouvions alors dans le couvent de Mar Anania ; nous défendîmes que personne ne sortît de l’église, jusqu’à ce que la colère de Dieu fût apaisée. Mais, pour dire la vérité, nous n’espérions pas que ce fléau s’arrêterait, chacun de nous assurant que cet horrible signe de la colère céleste était la fin du monde. Cependant lorsque le Seigneur se fut rappelé sa bonté créatrice, lorsque la terre eut repris son assiette, et que nous nous fûmes envisagés les uns les autres, tous les yeux fondirent en larmes, toutes les bouches s’ouvrirent pour louer et bénir le Seigneur.

Nous apprîmes que le rempart d’Alep s’était écroulé ainsi que tous les édifices construits de main d’homme que renfermait cette ville, à l’exception d’une seule église qui resta debout. En même temps la terre s’entrouvrit et une eau noire sortie de son sein, causa une inondation qui fit périr par milliers les habitants d’Alep. Ce désastre fut un juste châtiment de Dieu ; car on voyait là les chrétiens exposés comme des animaux sur le marché public. Des ordres impitoyables faisaient couler leur sang comme de l’eau et les vouaient, avec une insatiable cruauté, à la mort, comme s’il se fut agi de leur arracher des trésors. Dieu assura ainsi le salut des chrétiens, en tirant une juste vengeance des infidèles. Il est à croire que ce n’est pas là sans doute une compensation pour leurs crimes, mais un gage du feu inextinguible qui leur est réservé, ce leu où aura lieu la punition des œuvres sodomiques dans lesquelles ils sont plongés, et où les géants, qui furent engloutis par le déluge, expient leur impiété, laquelle s’est tellement accrue dans ces derniers temps, qu’un grand nombre, aveuglés par leur stupidité, ont douté du jugement de Dieu.

A Antioche l’église de Saint-Pierre s’écroula aussi ; l’église des Grecs ensevelit sous ses décombres les prêtres occupés à célébrer la messe, et une multitude de gens, parmi le peuple. Le Prince et tous les habitants, revêtus de cilices, allèrent se prosterner aux pieds du patriarche et le supplier de rentrer dans la ville, pensant que ses anathèmes étaient la cause de ce malheur. Il leur dit : « Chassez avec mépris le patriarche grec [Athanase], qui est un intrus. » Etant allés s’acquitter de cet ordre, ils le trouvèrent mourant, parce qu’il avait été frappé d’une pierre au moment de la chute de son église. Alors le prince leur commanda de le transporter sur une litière et de le jeter hors de la ville ; ce qui fut exécuté. Cet homme mourut là dans son opprobre. Après quoi le patriarche franc Aimeric rentra dans Antioche, et la ville fut consolée ; en même temps l’on se mit à relever les édifices qui avaient été renversés par ce tremblement de terre. Quoique partout ce fléau eût ruiné les forteresses, les villes et les églises de construction récente, néanmoins la miséricorde du Christ conserva à Antioche et dans toutes les contrées du littoral les églises des orthodoxes, non à cause de leurs bonnes œuvres, mais parce que le dépôt de la foi de leurs pères est demeure intact entre leurs mains.[138]

En l’année 1494 de l’ère syrienne et 613 de l’ère arménienne,[139] mourut Kothb ed-din, atabeg de Mossoul et de toute l’Assyrie.[140] Nour ed-din s’attribua, comme étant son frère, Medzpin (Nisibe) et Sindjar. Les fakirs furent dans la tristesse [de cette perte], car Kothb ed-din ne buvait pas de vin et ne manquait jamais au précepte de la prière. Ils prétendaient qu’il était prophète.

A cette époque mourut le khalife Mostandjed, qui eut pour successeur Mostadhi son fils. Nour ed-din lui écrivit en ces termes : « Maintenant est accomplie la parole de Mahomet qui a dit que pendant cinq cents ans Dieu ne permettrait pas la destruction des chrétiens ; j’ai donc l’intention d’aller vers toi, afin que nous nous concertions à ce sujet. » Mais la Providence insinua dans le cœur du khalife que Nour ed-din voulait se rendre auprès de lui dans un dessein perfide, afin de le tuer et de lui enlever le khalifat, comme il s’était déjà emparé de l’Égypte en employant Schirakouh. Cette opinion le porta à lui écrire en termes sévères et pleins de menaces. Pour le contrecarrer, il donna l’ordre de bâtir en tous lieux des églises et des couvents, et de laisser enseigner le christianisme, car Nour ed-din n’autorisait la construction d’aucune nouvelle église ou monastère. Ayant mandé auprès de lui le vizir[141] à qui était d’accord avec Nour ed-din, il le fit mourir.

Nour ed-din vint assiéger Mossoul, où se trouvaient sept de ses neveux (fils de frère). Il leur jura de ne leur faire aucun mal s’ils consentaient à le recevoir en ami dans la ville. Ayant eu accès dans la forteresse, il s’empara de tous les trésors, fit sortir [la garnison] de Mossoul, et y introduisit ses soldats, en les chargeant d’occuper la place en son nom. Puis il partagea le pays entre ses neveux, et, ayant réduit sous son obéissance tous les châteaux forts, il se retira.

Il commença à aggraver les impôts qui pesaient sur les chrétiens, et leur enjoignit de porter les cheveux courts. Il prescrivit aux juifs de déployer une pièce d’étoffe rouge sur leur turban et sur leur épaule droite afin qu’on pût les distinguer.

Cependant Amaury, roi de Jérusalem, se rendit à Constantinople, et revint chez lui chargé de trésors.[142]

Kilidj Arslan étant venu attaquer Mélitène, échoua ; mais il fit douze mille prisonniers ; après quoi il s’en retourna. Nour ed-din prit avec lui Ismaïl, de la famille de Danischmend, Schahenschah, frère de Kilidj Arslan, et beaucoup d’autres émirs, et se rendit à Césarée. Le sultan ne voulut pas marcher contre eux ; alors ils lui envoyèrent dire de céder à son frère la moitié de ses Etats. Comme il avait auprès de lui les sept fils de Schahenschah,[143] il en prit un, et, l’ayant tué, le fit rôtir et l’envoya au père de ce jeune prince, en lui faisant dire que, s’il ne se retirait pas, il recevrait ses autres enfants de la même manière. A ce spectacle, tous fondirent en larmes, et, frappés de terreur, ils partirent.

Cette année,[144] dans le mois [de la fête] de la Croix,[145] il tomba de la neige comme jamais on n’en avait vu ni entendu parler, comme aucune tradition ni aucun livre n’en avait conservé le souvenir. Elle atteignit une épaisseur qui fut mesurée à vingt-cinq empans. Dans l’Inde, où jamais il n’en tombe, elle s’éleva à quatorze empans. Les animaux sauvages et les reptiles moururent, ainsi que les oiseaux. Les eaux se gelèrent et les poissons périrent ; les animaux domestiques, manquant de nourriture, eurent le même sort. Toutes les plantes qui naissent de semence furent comme brûlées.

Au renouvellement de l’année, on éprouva une famine si cruelle, que les grands de la Cappadoce tuèrent l’émir musulman de Sébaste, de la famille de Danischmend,[146] et pillèrent les greniers où était déposé son froment, afin de ne pas succomber eux-mêmes d’inanition.[147] Ce crime abominable resta caché trois mois, à cause des rigueurs de la saison. Mais, au bout de ce temps, il fut découvert, et toutes les populations environnantes en furent indignées. Quelques habitants du pays envoyèrent alors à Damas vers Danoun (Dsou’lnoun), émir de Césarée, qui avait été chassé, ainsi que ses parents, par le sultan. Ils le rappelèrent, et il rentra en possession de sa principauté de Sébaste.

A cette époque, Nour ed-din tomba malade, et l’on désespéra de lui. Alors les émirs et les gouverneurs de provinces entrèrent en lutte les uns avec les autres dépendant il releva de maladie, pareil à un ressuscité d’entre les morts que l’on n’attend plus. La crainte qu’il inspirait se répandit partout de nouveau, et Dsou’lnoun espéra qu’il le sauverait des mains du sultan.

Nour ed-din, ayant rassemblé des troupes, vint à Sébaste, et y consolida la domination de Dsou’lnoun, en faisant entendre des menaces contre le sultan, s’il faisait la guerre à ce prince. Dans son retour il se rendit maître de Béhesni, de Kéçoun et de Marasch. A cette nouvelle, le sultan marcha contre lui, et Nour ed-din s’avança à sa rencontre. Ils campèrent auprès du fleuve Djeyhân, l’un d’un côté, l’autre sur la rive opposée, tous les deux se redoutant mutuellement. La lamine s’étant mise parmi leurs troupes et causant de grands ravages, des propositions de paix furent échangées et acceptées de part et d’autre. Le sultan laissa Dsou’lnoun se soumettre à la suzeraineté de Nour ed-din. Après quoi chacun des deux adversaires regagna ses Etats.

Je vais parler maintenant d’une hérésie qui s’est élevée de nos jours. Avant la mort du catholicos Nersès, trois ecclésiastiques, dont deux étaient supérieurs de couvent et se nommaient Hésyche [Oucig] et Georges [Kêork], et le troisième prêtre de village et appelé Garabed, allèrent trouver le seigneur Nersès, qui les réprimanda vivement à cause de leur mauvaise réputation. Ils sortirent de chez lui pleins de confusion et de tristesse. De là ils se rendirent à Édesse et se mirent à débiter de mauvais propos sur le compte de Nersès, prétendant qu’il était infecté de l’hérésie de Simon le Magicien, et qu’il conférait l’imposition des mains à prix d’argent. Ils firent profession des doctrines du concile de Chalcédoine, et entraînèrent dans leur erreur quatre cents familles de la ville. Les habitants les nommèrent Ouciguians, par injure. Le catholicos écrivit au gouverneur d’Édesse de les chasser, ce qu’il fit. Alors ils allèrent à Alep auprès de Nour ed-din, et ayant obtenu son autorisation, ils rentrèrent à Édesse. Je les appelai par-devant moi, et, les ayant réprimandés, je leur persuadai de revenir à leurs croyances primitives ; puis je les renvoyai au catholicos, sous la conduite d’un homme honorable attaché à ma personne. Mais, pendant qu’ils étaient en route, le catholicos mourut en Jésus-Christ, dans le mois de la fête de la Mère de Dieu (Assomption), le huitième jour, un jeudi, l’an 620 de l’ère arménienne et 1500 de celle des Syriens.[148] L’impie Hésyche, étant allé à Antioche, fut baptisé une seconde fois par les Grecs.

Or le seigneur Nersès avait deux neveux (fils de frère) qui étaient évêques et se nommaient, l’un Grégoire, et l’autre Grégoras. L’aîné, le seigneur Grégoire, était éloigné au moment de la mort de son oncle ; c’est pourquoi l’on proclama Grégoras catholicos, mais il ne fut pas sacré. Au bout de quelque temps, le seigneur Grégoire étant arrivé, et ayant appris ce qui s’était passé, s’en retourna et se rendit auprès de son gendre Mleh. Celui-ci l’ayant emmené, ils allèrent trouver Nour ed-din, el, par l’ordre de ce dernier, Grégoire fut conduit à Hrom-Gla et sacré catholicos. Le jour de cette cérémonie, il appela deux de nos prélats, Grégoras, évêque de Kéçoun, et Basile, évêque de Raban, et les traita avec beaucoup d’honneur. Après sa consécration, il députa vers nous des personnages considérables, d’après l’usage antique et traditionnel des Arméniens et des Syriens. Lorsque, en effet, un patriarche est élu par les Syriens orthodoxes, il envoie sa profession de foi et un pacte d’union au catholicos des Arméniens, et lorsque ceux-ci choisissent un catholicos, il agit de même. Je fus ravi de la nomination de Grégoire, qui était un savant et saint homme au plus haut degré, et je lui adressai mon pacte d’union. Néanmoins je lui fis quelques petits reproches de ce que des paroles d’inimitié étaient survenues à propos d’une grâce spirituelle, et cela entre parents. Je lui dis que le premier nommé à la dignité patriarcale aurait dû occuper le siège, mais que je souhaitais que la miséricorde de Dieu se répandît sur lui. Je le suppliai instamment de faire disparaître de sa nation, qui était pure et irréprochable, l’infâme usage de prendre de l’argent pour la collation des grades spirituels, l’exhortant à ne pas donner prétexte au renouvellement des calomnies de Hésyche et de ses adhérents, en fournissant occasion d’être traités de simoniaques. Il m’avait écrit on particulier. En outre j’intercédai en faveur de son frère, dont la nomination était antérieure à la sienne, lui recommandant de le traiter honorablement, et lui représentant qu’il était convenable à une grande, illustre et nombreuse nation comme la sienne, de créer ses patriarches suivant l’ordre des évangélistes. Il écouta très bien ce que je lui dis à ce sujet, car il envoya son frère à Lampron, en lui confiant le diocèse de Tarse, et en même temps plaçant la Cappadoce sous sa juridiction. Celui-ci, qui était surnommé Abirad, lui succéda dans la dignité patriarcale.[149]

Cette même année, Nour ed-din convoqua des troupes de tous côtés, parmi les habitants du Yémen, les Égyptiens, les Assyriens, les Arméniens et les Cappadociens, avec l’intention de détruire le royaume de Jérusalem et la souveraineté «In sultan Kilidj Arslan. Plein d’arrogance, il restait assis en silence pendant plusieurs heures, sans prononcer un mot, ne faisant que lire et prier. Il ne permettait pas que l’on bût du vin dans son camp ; nulle part on n’entendait, parmi ses troupes, les cris qui accompagnent les jeux, les chants et les danses. Pour prix de cette austérité, il espérait qu’un ange viendrait s’entretenir avec lui ; car les fakirs et les sclicïklis le trompaient. Les uns lui disaient, « Nous l’avons vu monter au ciel ; d’autres : « Un ange de Dieu est à tes côtés et converse avec toi. » Lui ajoutait foi à ces propos ; tandis que, dans l’orgueil que lui inspiraient ces pensées, il restait à Damas, des troupes innombrables lui arrivaient de lotîtes parts. Mais tout à coup le Seigneur le frappa, et il mourut après un règne de vingt-neuf ans. Alors ses troupes se dispersèrent, et chacun retourna dans son pays. Son fils Mélik Saleh fut l’héritier de sa puissance.[150]

Le roi de Jérusalem marcha contre Damas, qu’il investit après avoir dévasté la contrée d’alentour. Les habitants promirent de lui payer tribut s’il voulait se retirer ; mais il espérait prendre leur ville. Toutefois, les péchés des chrétiens furent cause qu’il ne réussit pas. Sur ces entrefaites, il fut atteint d’une grave maladie, et ayant accepté l’or qui lui était offert, il leva le siège et s’en vint à Acre ;[151] là il mourut au bout de quarante jours. Il avait régné douze ans. Sa mort occasionna des regrets universels parmi les chrétiens. Son fils Baudouin hérita de sa couronne qu’il porta dix-sept ans.[152]

Kilidj Arslan, ayant appris la mort de Nour ed-din, marcha contre Sébaste, et s’en rendit maître ; il s’empara aussi de Comana et de Néo-Césarée. Il mit fin à la dynastie de Danischmend, qui avait duré cent vingt-deux ans ; elle compta six princes, qui régnèrent successivement.[153]

Cependant Seïf ed-din [fils du] frère de Nour ed-din, sortit de Mossoul et vint prendre Médzpïn (Nisibe), Rakka et Khar’an.[154] Son neveu (lis. cousin) Mélik Saleh reconnut son autorité. Seïf ed-din abolit la règle établie par son frère (lis. oncle), et qui était inscrite dans toutes les mosquées [c’est-à-dire] : anathème contre quiconque boira du vin parmi les Turcs et las Arabes. Il ordonna de gratter cette inscription et permit de boire du vin en pleine liberté, en tous lieux, même dans la mosquée, si quelqu’un en avait le désir.

Youssouf, qui est le même que Saladin le maître de l’Égypte, régna sur l’intérieur de l’Arabie et sur une portion de la Nubie.

A cette époque, les forteresses que tenaient les Arméniens en leur pouvoir dans la province de Saçoun, attaquées vivement par l’émir de Meïafarékïn,[155] se donnèrent à l’émir de Khélath, le Schahi Armên.[156]

Mleh, prince de Cilicie, fut tué par la volonté des seigneurs [du pays] ; et comme le jeune fils de Thoros était mort à Hrom-Gla, on donna la principauté à Roupen, fils de Sdéph’anè, qui fut sacré à Tarse. Il mit à mort les meurtriers de son oncle (frère de son père), car on lui avait dit que non seulement ils l’avaient tué, mais encore qu’ils avaient jeté son cadavre aux chiens. Lorsqu’il eut connu ce crime, il ne put résister au désir d’en tirer vengeance.[157]

Saladin vint d’Égypte prendre Damas, et de là marcha sur Alep. Mélik Saleh trembla devant lui. Saladin lui envoya ce message : « Je suis ton esclave et je viens au secours de mon seigneur pour m’opposer à ses ennemis. » Mais Mélik Saleh n’ajouta pas foi à ces paroles et ne lui ouvrit pas les portes de la ville. Alors Saladin se retira de devant Alep, et vint emporter d’assaut Hêms et Hama ; puis il retourna à Damas, d’où il emmena les Francs retenus en captivité. Il les rendit pour une légère rançon, et après avoir conclu la paix avec les chrétiens, il fit venir d’Égypte de l’or en abondance, et rassembla une nombreuse armée.

Cependant Seïf ed-din marcha contre Saladin, la menace et l’injure à la bouche. Il disait de lui que c’était un chien enragé qui aboyait contre son maître, et que lui-même se hâtait d’arriver afin de l’empêcher de prendre la fuite. Saladin lui fit dire plusieurs fois de renoncer à toute agression et de ne pas se mettre en guerre tous les deux ; car, ajoutait-il, nous ne formons qu’une seule nation, et nous avons la même croyance. Seïf ed-din ne voulut rien entendre ; mais, continuant sa marche, il vint attaquer Saladin. Le combat s’étant engagé, les troupes de Seïf ed-din eurent le dessous et prirent la fuite. Il en périt un grand nombre sans même que la main de l’ennemi les frappât. Saladin, voyant que la victoire était à lui, fit cesser le carnage, et se jetant au milieu de ses soldats, les rappela impérieusement : « Arrêtez, leur cria-t-il, si vous ne voulez pas encourir la colère de Dieu. » Il fit prendre soin de ceux qui avaient échappé au carnage, les renvoya libres, et fit donner la sépulture aux morts.

La renommée de ce triomphe le rendit redoutable à tous les musulmans et à la nation turque, mais surtout à Mélik Saleh. Celui-ci relâcha pour une faible rançon ses captifs Francs ; le comte de Tripoli fut taxé à 80.000 tahégans ; Josselin, fils de Josselin, à 50.000 ; Renaud, prince d’Antioche, à 120.000 ; il demanda en même temps le secours des troupes d’Antioche.[158]

Seïf ed-din réunit de nouvelles forces, et, s’adjoignant le seigneur de Mélitène et de Harsenkev (Hisn-Keïfa), il s’avança contre Saladin à la tête de soixante mille cavaliers. Saladin n’en avait que douze mille à lui opposer ; il lui envoya dire ceci : «Ne marche pas, ne combats pas contre moi. [Ne sais-tu pas] qui je suis ? Quel mal t’ai-je fait ? Je suis ton esclave. Si j’ai le dessous, il n’y aura pour moi aucune honte, parce que tu m’auras contraint à me défendre, et que tu auras été injuste à mon égard. Si au contraire j’ai l’avantage, ce sera pour toi, qui es mon maître, un grand déshonneur d’avoir été vaincu par ton esclave. » Mais Seïf ed-din fut sourd à ces paroles. Les deux armées, se rapprochant, se trouvèrent en présence, et Saladin se tint sur la défensive. Enfin, les troupes en étant venues aux mains, Seïf ed-din fut défait une seconde fois. Il prit la fuite monté sur un (hameau (pion lui présenta, se sauva à grand peine, et se mit en sûreté.

Saladin, poursuivant sa marche, se porta sur Menbêdj qu’il prit. Les seigneurs de Tellbascher et de Aïn-tab se rendirent auprès de lui.

Puis il alla attaquer Azaz. Pendant qu’il était devant cette ville, des hommes de la secte des Assassins fondirent sur lui ; mais leurs coups ne furent pas mortels, et il fit mordre la poussière aux assaillants. Lorsque bientôt après il fut rétabli, il envoya dans leur pays des troupes qui le saccagèrent. Après s’être emparé d’Azaz, il vint assiéger Alep. Les habitants envoyèrent à Antioche solliciter instamment du secours. Renaud, libre des fers des infidèles, accourut à cet appel et extermina une partie des troupes de Saladin ; il les mit en fuite, et Saladin retourna en Égypte.

En l’année 622 de l’ère arménienne (6 février 1173-5 février 1174)-, mourut Nedjm ed-din, seigneur de Mardïn, et son fils Kothb ed-din lui succéda.[159]

La même année, l’empereur des Grecs fut blessé par un sanglier, et le bruit ayant couru qu’il était mort des suites de cet accident, Kilidj Arslan fit une incursion sur le territoire grec et saccagea nombre de localités. L’empereur recouvra complètement la santé. Il avait auprès de lui deux des fils de la famille de Danischmend qui étaient venus lui demander asile. Il rassembla une armée et leur en donna le commandement.[160] En même temps il envoya des ambassadeurs à Kilidj Arslan pour lui porter ces paroles : « Rends aux fils de Danischmend, qui sont auprès de moi, leur héritage paternel. » Il suivit de très près ce message, et ayant surpris à l’improviste les Turcs dans des lieux de difficile accès, il les tailla en pièces.[161] Sur ces entrefaites, les Turcs du pays des Ouzzes (Oudj) fondant, par le nord, à la dérobée, sur le territoire grec, y firent cent mille captifs, femmes et enfants, et massacrèrent la population virile.

Cependant l’empereur cherchait et poursuivait sans relâche le sultan, qui évitait d’en venir aux mains. Il envoya les fils de Danischmend à la tête de cinquante mille hommes contre Néo-Césarée ; arrivés devant cette ville, ils en firent le siège. Le fourbe Turc qui la commandait composa une lettre qu’il adressa aux troupes [grecques] au nom de ceux des habitants qui étaient chrétiens, et conçue en ces termes : « des Danischmend, que vous vous êtes donnés pour chefs, veulent nous livrer entre les mains des Turcs, qui vous ont dressé une embuscade. Ils n’attendent que l’occasion favorable. » Cette lettre fut jetée par dessus les murs. Les Grecs, l’ayant lue, crurent à ce qu’elle contenait et prirent la fuite. Les Turcs qui formaient la garnison, s’étant mis à leur poursuite, leur tuèrent beaucoup de monde, ainsi que le neveu de l’empereur.[162]

Les Grecs coururent annoncer à Manuel ce qui venait d’arriver ; il en fut vivement affecté. Etant parvenu près d’Iconium, il campa dans une petite vallée resserrée entre deux collines escarpées. Tout à coup les Turcomans nomades l’entourèrent en nombre immense et le tinrent cerné pendant sept jours. Ils faisaient pleuvoir de tous côtés sur les Grecs les pierres que les rochers leur fournissaient, et les blessaient à coups de flèches nuit et jour. Ils leur tuèrent une multitude d’hommes et de bêtes de somme, et leur enlevèrent cent mille charges de vivres.

Les Grecs étaient dans la consternation. Dans cette conjoncture, l’empereur envoya des députés au sultan, lui offrit trois villes que les Grecs avaient bâties, et le supplia de le dégager de cette position périlleuse. Les deux princes firent la paix. Le sultan, enchanté, envoya à l’empereur trois émirs avec de la cavalerie, pour l’aider et le ramener à Constantinople. Ceux-ci, étant arrivés, repoussèrent les Turcs, et les Grecs se mirent en mouvement et opérèrent leur retraite. Cependant les Turcomans, accourant de tous côtés, reprochaient durement au sultan d’avoir sauvé les Grecs lorsqu’ils les tenaient en leur pouvoir, affaiblis et impuissants, et de leur avoir fourni des provisions, sans aucune peine de leur part pour se les procurer. Ils ne cessaient de lui répéter ces paroles ; puis, attaquant successivement les corps de l’armée grecque, ils leur enlevèrent leurs armes, leurs chevaux, et en tuèrent un grand nombre à coups de flèches et de pierres lancées avec la fronde.

Comme les Grecs accusaient les émirs de les laisser exterminer, ceux-ci leur jurèrent qu’ils n’y pouvaient rien, que ces peuples étaient indépendants, féroces par caractère, méprisant tout, et que personne ne pouvait les empêcher d’exercer leurs déprédations. Les Grecs eurent à souffrir jusqu’à ce que les émirs les eurent conduits hors de ce pays ; ils perdirent en route vingt mille hommes. Manuel reprit le chemin de Constantinople, tout confus et accablé par cette défaite, lui qui se vantait avec arrogance de triompher de ses ennemis temporels par une guerre ouverte, et de vaincre l’Église orthodoxe par des combats spirituels. C’est ainsi que ses efforts échouèrent dans cette double entreprise.

Lorsqu’il fut de retour, il envoya au sultan de grosses sommes pour le rachat des captifs.

A cette époque, les chrétiens de Mélitène étaient en proie à de cruelles vexations de la part de leur émir, qui vivait dans une prodigalité crapuleuse au milieu de la disette générale. Les ministres de l’Eglise leur tinrent ce langage : « Frères, le «malheur qui nous accable est dû à nos péchés, car nous avons vu se renouveler parmi nous les mêmes occasions de reproche dont les Israélites se rendirent coupables, et que le Prophète dénonce en ces termes : « Ils se sont mêlés aux païens, ils ont appris à pratiquer leurs œuvres, ils ont adopté leurs coutumes ; et leurs œuvres sont devenues un sujet de scandale pour ces nations elles-mêmes. Et maintenant nous avons été exterminés et anéantis, nous avons été réprouvés par le Seigneur. Que chacun de nous se détourne donc aujourd’hui de la voie criminelle où nous sommes engagés ; ensuite nous implorerons la bonté de Dieu, et il nous regardera avec cette miséricorde qui lui est propre. C’est par elle que nous vivrons et que nous éviterons la mort. »

La foule entendit ces avertissements de l’Eglise, et elle revint au Seigneur par des jeûnes, des supplications, des larmes et des veilles prolongées pendant toute la nuit.

La colère de Dieu s’apaisa ; il toucha le cœur de l’émir et mit dans son esprit le remords de ses actions. Celui-ci, ayant livré la ville au sultan, se retira à Kharpert, et Mélitène recouvra la tranquillité ; le pain devint abondant, les impôts furent allégés, et Dieu fut glorifié par les actions de grâces qu’on lui rendit. Le goût que porte avec elle la pénitence fut adouci par les manifestations auxquelles elle donna lieu, puisque Dieu permit qu’un homme cruel et stupide ressentît du repentir et quittât ses possessions paternelles pour s’en aller ailleurs. C’était le dernier des Danischmend.[163]

En l’année 629 de l’ère arménienne (5 février 1180-3 février 1181), Saladin sortit de l’Égypte à la tête de trente-quatre mille cavaliers armés de toutes pièces, sans compter les gens de pied et l’infanterie ; cinquante-deux mille bêtes de somme chargées d’armes les précédaient. Arrivé dans, la Palestine, il fit prisonnier un Franc, et, avant de prier, il fit ses ablutions dans le sang de cet homme, après quoi il se prosterna. Aussitôt il se disposa à commencer la guerre et à dévaster la contrée.

A la nouvelle de cette invasion, le roi de Jérusalem, Baudouin [IV], réunit son armée ; mais elle était bien faible en comparaison de celle des infidèles. Il se jeta la face contre terre en se tournant vers l’orient, en présence de ses troupes, qui imitèrent son exemple. Tous élevèrent spontanément leur voix vers le Seigneur en versant des larmes ; puis ils se relevèrent, et, ayant fait le vœu devant Dieu de ne pas tourner le des à l’ennemi, et de mourir résolument pour la sainte Eglise, ils se préparèrent au combat, s’équipèrent de pied en cap, et s’armèrent de leur foi. Ayant marché à la rencontre des ennemis, ils les aperçurent au loin comme une foule immense qui s’avançaient en courant à l’envi les uns des autres. Alors, descendant de cheval, ils tombèrent à genoux, et, fondant en larmes, ils firent retentir le nom terrible du Christ, en l’invoquant, comme Dieu, comme maître de la mort et de la vie. Embrasés de son amour, ils s’élancèrent comme des aigles sur une troupe de lièvres, en dirigeant leurs lances droit contre la poitrine des infidèles, et les culbutèrent. Le Christ Dieu, notre roi béni, suscita, à l’encontre des musulmans, un vent violent qui les précipitait de leurs chevaux, sans lr secours du bras ou de la lance. Ils furent exterminés sans quartier. Dans leur déroute, ils s’enfuirent, en prenant la direction du sud, à travers le désert. Le glaive ne cessa de les frapper jusqu’au coucher du soleil. Le lendemain, le carnage recommença sur les débris échappés la veille, et dura jusqu’au septième jour. On en rencontrait qui, exténués de faim, étaient aussitôt immolés. Les Francs s’emparèrent d’immenses provisions de vivres et de nombreux magasins d’armes, de leurs flèches, arcs et lances, de leurs tentes et de tous leurs bagages. Ils furent chargés et enrichis de butin. La sainte Église, qui comble de joie ceux qui placent leur espérance en elle, fut dans l’allégresse à la nouvelle de ce triomphe. Dieu fut béni de ce qu’il avait brisé les reins des infidèles et humilié leurs cœurs souillés par leurs vaines espérances.[164]

Sous le coup de cette défaite et couvert de honte, Saladin se réfugia en Égypte avec les faibles débris de son armée. Il se revêtit de noir, se renferma dans une chambre, et s’imposa la gêne de rester dans les ténèbres pendant plusieurs jours.

Cette victoire décida l’émir de Harem à abandonner le parti des Turcs et à se soumettre à Antioche. Quoique le Prince lui eût juré de lui laisser sa forteresse, dans la suite il viola son serment. S’étant adjoint Roupen, maître de la Cilicie, il tenta de s’emparer de Harem ; mais le Seigneur ne livra pas cette place entre leurs mains, car le Prince avait manqué à la foi jurée, et l’émir qui y commandait rentra sous la domination d’Alep.[165]

En l’année 630 de l’ère arménienne (4 février 1181-3 février 1182), le roi de Jérusalem se rendit au Jourdain, et s’arrêta à l’endroit qui se nomme le Passage de Jacob, et que les Philistins appellent le Gué de Jacob. Il fonda en cet endroit une ville, comptant se servir de cette position pour se rendre maître de Damas L’entreprise d’abord réussit ; les constructions s’élevèrent et les chrétiens accouraient pour s’y fixer. Saladin, prévenu de ce fait, conçut des craintes pour Damas, et, ayant rassemblé de nouvelles troupes, se rendit dans cette ville. L’émir de Balbek ou la ville du Soleil (Héliopolis), se confiant en ses forces, résistait encore à Saladin. Celui-ci marcha contre lui, et Balbek lui fut livrée par capitulation, et d’après les promesses qu’il donna. Ayant ainsi acquis un point fortifié sur lequel il pouvait s’appuyer, il attaqua la nouvelle cité fondée par les Francs.

Les glorieuses troupes chrétiennes, si bien familiarisées avec la victoire, battirent les infidèles et les maltraitèrent comme la veille et le jour précédent. Saladin prit la fuite et courut se renfermer dans Damas. Les Francs, après avoir fait un butin considérable, et pris une multitude de captifs parmi les Égyptiens et parmi les populations du pays, retournèrent à la ville qu’ils construisaient.

Dans une autre incursion dirigée contre Damas, ils firent un peu de butin et quelques captifs. Lorsqu’ils furent pour se retirer, Saladin, reprenant vigueur, les poursuivit et leur enleva cent Frères. Le succès revint de son côté, en punition de notre malice et de l’oubli où nous avions mis les commandements de Dieu. Ayant réuni les Arabes du désert, il marcha contre la nouvelle ville ; mais il n’y trouva pas le roi de Jérusalem ; il y avait seulement cinq cents Frères. L’ayant investie, il l’emporta de vive force et y mit le feu. Toutes les constructions récemment élevées s’embrasèrent et furent consumées. A cette vue, les Frères, se voyant vaincus, furent découragés et se précipitèrent les uns dans le feu, les autres dans le fleuve, pour ne pas tomber entre les mains des infidèles. Ceux-ci massacrèrent le reste des habitants, et Saladin s’en revint à Damas.[166]

En l’année 631 de l’ère arménienne (4 février 1182-3 février 1183), mourut Manuel, empereur des Grecs, après trente-sept ans de règne. Il eut pour successeur un enfant de douze ans, son fils Alexis. Douze grands de l’empire prirent la direction des affaires de l’Etat. La mère d’Alexis [Marie d’Antioche] embrassa la vie religieuse, tout en conservant l’administration des trésoreries. Parjure envers Dieu, elle tomba dans l’adultère et viola son vœu de chasteté. Lorsque sa conduite eut été découverte, les régents de l’empire complotèrent de la tuer, et en mémo temps de mettre sur le trône une fille de Manuel, née d’une autre femme.[167]

Mais la mère d’Alexis et ce jeune prince, ayant eu connaissance de leur projet, ordonnèrent d’arrêter onze d’entre eux. Ceux-ci se réfugièrent dans l’église [de Sainte-Sophie] et les satellites accoururent pour les saisir et les mettre à mort Mais la multitude soulevée occupa la porte de l’église pendant sept jours.

Le patriarche survint et implora l’empereur et sa mère ; il leur fit jurer d’épargner la vie des coupables ; alors il les fit sortir de l’église et les conduisit au palais. Mais ces ennemis de Dieu violèrent leur serment ; il est vrai qu’ils ne firent pas mettre ces grands à mort ; ils leur firent arracher les veux, tourment plus cruel que la mort même.

Le seigneur de Kéçoun et de Harsènkev (Hisn-Keïfa), qui se nommait Nour ed-din[168] et qui était gendre du sultan, conçut de l’aversion pour sa femme et appela Saladin à son aide pour faire la guerre à son beau père. Saladin agréa cette proposition, et tous les deux marchèrent contre le sultan. Mais l’émir Haçan vint au-devant d’eux, et après que, par de sages paroles, il leur eut persuadé de retourner sur leurs pas, la paix fut rétablie.

L’émir d’Édesse et de Khar’an, s’étant révolté contre le seigneur de Mossoul, se rendit auprès de Saladin.

Le patriarche Théodose, qui s’était porté caution pour les grands qui avaient été privés de la vue, sortit de Constantinople et partit. Pendant sept mois la messe ne fut pas célébrée dans cette ville, et les morts restèrent sans sépulture. Dans sa sottise, il avait anathématisé des gens innocents, et non point seulement l’empereur et sa mère adultère, tous les deux parjures.

Saladin marcha contre Amid, s’en empara et donna cette ville à Nour ed-din, en exécution de la promesse qu’il lui avait faite.

Cependant Seïf ed-din, ayant rassemblé de nouvelles troupes, marcha contre Saladin ; mais il n’osa pas en venir aux mains.

En l’année 633 [de l’ère arménienne] (4 février 1184-2 lévrier 1185), moururent Seïf ed-din et Mélik Saleh.[169] Le pouvoir passa aux mains de Izz ed-din, autre frère de Seïf ed-din.

En l’année 634 de l’ère arménienne (3 février 1185-2 février 1186), l’infâme Andronic, meurtrier du baron Sdéph’anè, lequel s’était enfui à Acre, où il s’éprit d’amour pour sa parente [Théodora], avec laquelle il eut des relations criminelles, et qui avait erré en une foule de lieux en y commettant les plus mauvaises actions, se rendit à Constantinople et s’y introduisit comme un fourbe, sous prétexte de venir dans l’intérêt du jeune empereur et pour prendre sa protection. Après avoir vécu quelque temps familièrement dans le palais, il ne tarda pas à manifester sa perversité, car il noya dans la mer Alexis et sa mère,[170] et s’assit sur le trône. Il fit périr un millier de personnes des plus considérables de la nation grecque, et ruina quatorze mille villages ou monastères de l’empire. Ce misérable vieillard, ce fils de Bélial, épousa la femme d’Alexis. Il chassa les Francs répandus dans la ville et dans les provinces. Il voulut se défaire d’Isaac (Ph’isig) [l’Ange], prince de la famille impériale, et l’envoya chercher. Comme celui-ci refusait de se rendre à cette invitation, parce qu’il pressentait ses intentions, Andronic ordonna au messager, avec menaces, de l’amener par force. Le sbire étant venu pour le contraindre à le suivre, le prince tira son épée et le frappa ; puis il se réfugia dans l’église [de Sainte-Sophie], tenant à la main son glaive ensanglanté, et s’écriant : « Sachez, vous, gens de toute sorte, qu’Andronic veut détruire toutes les familles grecques. » Le peuple se souleva et courut à l’église ; car qui n’était pas indigné contre ce scélérat ? Les grands de l’empire qui avaient échappé à sa cruauté invitèrent le patriarche à donner immédiatement à Isaac l’onction sainte. C’est ce qu’il fit.

A cette nouvelle Andronic se sauva sur un navire. Aussitôt on se mit à sa poursuite, et l’ayant atteint on le ramena. Mais avant d’être arrivé, il fut mis en pièces et jeté à la mer. Ce qui resta de son corps fut porté à Constantinople et consumé par le feu.[171]

Saladin, s’étant rendu maître de la Mésopotamie, vint avec tous ses émirs assiéger Karak et Schaubek. Les Francs firent des sorties contre les infidèles, et, victorieux par le secours de Dieu, les repoussèrent au loin ; puis ils fortifièrent les villes et les forteresses du littoral.[172]

Le roi de Jérusalem fut frappé d’un cruel malheur ; il devint lépreux, et la médecine fut impuissante à le guérir. Il résigna la couronne à son neveu (fils de sa sœur), jeune enfant encore en bas âge.

Saladin vint s’emparer de Medzpïn (Nisibe). De là il marcha contre Mossoul, mais sans pouvoir prendre cette ville. Pressés par un siège soutenu avec une opiniâtreté croissante, les habitants promirent de se rendre et de mettre leurs troupes à sa disposition. Après avoir reçu leur serment, il se dirigea contre Meïafarékïn, et s’en étant rendu maître, il revint à Damas.

La même année vit mourir Nour ed-din et Kothb ed-din [Ilgazi], seigneurs d’Amid et de Mardïn, lesquels étaient parents et de la race des Ortokides ; tous les deux fléaux de l’Église, hostiles aux chrétiens et ennemis de la vraie foi.

Après leur mort, Houçam ed-din [Youlouk Arslan], fils de Kothb ed-din, prit possession de Mardin et Armetïn, seigneur de la forteresse de Palou,[173] se rendit maître de Kharpert.

Cette année mourut aussi Amir Miran (l’émir des émirs, Soukman II), seigneur de Khèlath, Schahi Armên. Il eut pour successeur Bektimour, son esclave.

Le prince d’Antioche [Bohémond le Bambe] fit amitié avec Saladin et voulut s’emparer par trahison de la personne de Roupen, maître de la Cilicie. S’étant saisi de lui, il le mit en prison ; puis il envahit ce pays et y séjourna tout l’été, mais sans réussir à y faire aucun mal, parce que Léon,[174] frère de Roupen, se tenant prudemment les armes à. la main pour repousser toute attaque, protégeait les habitants, auxquels il procura la sécurité et la tranquillité Le Prince se retira honteusement. Cependant la tendresse que Léon portait à son frère l’engagea à céder Adana et Thil ; à ce prix, il obtint sa liberté. Dans la suite les deux frères, ayant repris [ces deux villes], rentrèrent en possession de ce qui leur appartenait auparavant.[175]

En l’année 636 [de l’ère arménienne] (3 lévrier 1187--2 février 1188), la guerre éclata entre les Mèdes, qui sont les Mars, et les Turcs, qui sont les Thorgomiens.[176] Cette guerre dura huit ans. En voici la cause : Les populations turques nomades, qui s’abritent sous des tentes contre la chaleur et le froid, émigraient pendant l’hiver vers le sud, cherchant de doux climats et un terrain sec. L’été elles remontaient vers le nord, pour y trouver de l’eau en abondance et la fraîcheur d un air tempéré. Dans ces courses, les Mars étaient leurs compagnons. Ceux-ci, quittant le territoire qu’ils possèdent, stationnent là où ils se rencontrent. Comme pour subvenir à leur pauvreté, ils enlèvent le bien d’autrui. Ils portaient préjudice aux Turcs en dérobant leurs bestiaux. A cette époque, les Turcs rencontrèrent deux cents Kurdes postés en embuscade dans la contrée de Schébègh’than,[177] et les attendant sur leur passage pour les piller. Les ayant pris, ils les tuèrent. Alors les Kurdes, au nombre de dix mille, et les Turcs en nombre deux fois plus considérable, se combattirent à Schébègh’than. Les Kurdes furent vaincus et entièrement exterminés.

Les Mars qui habitaient les montagnes du Djézirë, dans le pays de Douraban, apprirent cet événement. S’excitant les uns les autres, ils se rassemblèrent au nombre de trente mille, se rendirent à Medzpïn [Nisibe] et provoquèrent les Turcs. Ceux-ci se réunirent pareillement en masse et marchèrent contre leurs adversaires. Un engagement eut lieu entre Dara et Medzpïn. Les Turcs eurent le dessus et les Kurdes furent vaincus comme auparavant et complètement taillés en pièces ; car ces trente mille hommes périrent. Aussitôt les Kurdes, courant à leurs campements et à leurs habitations, et prenant leurs enfants et leurs femmes, ainsi que leurs bagages, s’en retournèrent aux lieux où ils avaient l’habitude de stationner. Leur nation fut chassée ainsi de la Mésopotamie, les grands comme les petits. Après de longues années ils oublièrent leurs défaites, et le reste de cette nation, en très petit nombre, émigra en Cilicie, implorant la merci des habitants.

Après que le combat fut terminé, les Turcs trouvèrent dans les maisons des chrétiens des Kurdes que ceux-ci avaient cachés par commisération. Furieux contre les fidèles, ils s’emparèrent d’Arabthil et de Thëlmouzen,[178] et massacrèrent ou vendirent les chrétiens, dont les principaux étaient de leur part l’objet de vils griefs. Irrités aussi contre les Turcomans des environs, ils leur imposèrent une contribution. Mais chacun des émirs traita avec bienveillance les chrétiens qui tombaient entre ses mains.

En l’année 638 [de l’ère arménienne] (2 février 1180-1er février 1190), la puissance de Saladin augmenta par l’accumulation de nos péchés. Il réunit toutes les nations qui dépendaient de lui, les Egyptiens, les peuples de l’intérieur de la Libye, les Bédouins, les Assyriens, ceux de la Mésopotamie, et en forma une armée immense et formidable. Il fit des approvisionnements d’armes et de machines de guerre en quantité incalculable, et, à la tête de ces forces, il s’avança contre le roi de Jérusalem. Il voulait tirer vengeance de tous les affronts qu’il avait reçus des Francs dans sa première sortie d’Égypte, lorsque, avec trente-deux mille guerriers armés de pied en cap, qu’il conduisit à leur perte, il fut écrasé. Il avait concentré dans son cœur le venin de son dépit, jusqu’à ce qu’il eût l’occasion de l’en arracher, et qu’il se fût procuré les troupes qu’il désirait. Il vint, ce meurtrier, instigateur de l’antique perversité, apportant, comme un nouvel ennemi, l’ivraie pour la semer, Il vint, ce second Roboam, cet antagoniste de notre Salomon, ce Saladin, et établit son camp auprès de Tibériade. Le roi de Jérusalem s’avança à sa rencontre. Les péchés des chrétiens furent comptés en présence du Seigneur, et l’examen en fut fait suivant les règles de sa justice immuable. Ils furent pesés dans la balance, et il fut reconnu que le poids était trop lourd. Le comte de Tripoli, qui avait fait auparavant un pacte avec les infidèles, laissa à dessein ses troupes souffrir de la soif et les livra ainsi affaiblies aux ennemis ; lui-même passa dans les rangs des musulmans.[179] Ceux qui méritaient notre haine prévalurent sur les membres du Christ et les passèrent impitoyablement au fit de l’épée. O moment terrible ! ô heure ténébreuse ! ô jour de notre perte, dans lequel le troupeau marque du signe de la rédemption et ses agneaux terrestres furent abandonnés aux bêtes féroces, sur l’étendue de la plaine couverte de cadavres ! Les chevaux, exténués de soif, cherchaient l’eau en se précipitant dans la mer [de Tibériade], épuisant ainsi les efforts vigoureux des bras qui voulaient les retenir. Les loups, affamés de carnage, altérés du sang de ces guerriers à la puissante stature, se jetaient sur eux, furieux et avec des dents aiguisées. En quelques instants, ils donnèrent à un camp beau comme les étoiles l’apparence d’un amas de rochers en ruines, et au paradis planté par Dieu, l’aspect d’une forêt dévastée par la cognée des bûcherons.[180]

Les lamentations redoublèrent à Jérusalem, je veux dire dans toutes les églises, comme un cri poussé ; pour des grenades écrasées dans un champ, par les infidèles avaient lait captifs le jeune roi et le bataillon armé de toutes pièces des braves Frères. Ils massacrèrent avec rage, parmi leurs captifs, Amaury[181] et trois cents hommes, ainsi que le prince d’Antioche [Renaud de Châtillon. Saladin] se baigna dans leur sang ; et rendant gloire à Mahomet, il fit sa prière.

Il s’empara de Tibériade et en extermina les habitants.

Il vint à Acre et prit cette ville. Les chefs qui s’y trouvaient s’enfuirent aussitôt par mer à Tyr (Sour). Ceux de Césarée, de Nazareth et de Jaffa, désertèrent ces villes et se sauvèrent pareillement. Saladin s’en rendit maître sans coup férir, et à sa volonté. Oh ! qui pourrait déplorer les outrages et les insultes, les opprobres de tous genres et les crachats qu’il nous prodigua, restes des souffrances du Christ ! Nous ne retracerons pas en détail les malheurs que les infidèles nous firent supporter, en actions ou en paroles, et que rapportent une foule de livres écrits en diverse langues et chez différentes nations. La concision est pour nous désirable, d’autant plus que la connaissance précise de nos irréparables calamités a établi des séparations parmi ceux qui les ont déplorées, suivant les nations, les sexes, les âges et les dispositions particulières.

Ensuite Saladin vint attaquer Ascalon, et afin d’éviter les fatigues du siège d’une place aussi forte, et pour se reposer un peu du massacre du troupeau fidèle, il fit entendre un langage de douceur et promit par serment de rendre la liberté au roi [de Jérusalem], et de le laisser aller où il voudrait avec les siens. La ville se rendit, et les habitants se retirèrent, avec le roi, à Tyr, autrement nommée Sour, cité imprenable, si Dieu la protège ; sinon, c’est en vain que veillent ceux qui l’ont bâtie, et c’est inutilement que ses gardiens la défendent.

Cependant Saladin, ayant reçu par la victoire une nouvelle trempe comme l’acier, s’avança joyeusement contre la cité sainte de Jérusalem. Le siège dura quelques jours ; et comme les Francs n’attendaient aucun secours, ils résolurent de livrer leur ville et de s’abandonner au glaive insatiable des païens. Mais Saladin se montra magnanime dans cette circonstance, et leur permit de se racheter au prix de dix tahégans par tête et de se retirer en paix. Cette condition fut exécutée.

Ils partirent, faisant retentir l’air de leurs gémissements, comme des agneaux qui sont séparés de leurs mères. Poussant des cris lamentables, ils s’éloignèrent de la ville qui a reçu un Dieu. Ils auraient arraché des larmes même à des cœurs de pierre. Il en resta vingt mille, hommes ou femmes. Saladin donna la liberté à trois mille d’entre eux, vieillards des deux sexes, et à sept mille enfants, et envoya en Égypte cinq mille jeunes gens pour fabriquer des briques destinées à la construction des remparts et des palais. Les nobles fils de Sion furent condamnés aux travaux des anciens Israélites par notre Pharaon, lancé contre nous par le Pharaon incorporel (Satan), pour nous tourmenter. Il laissa aussi des chrétiens à Jérusalem, pour restaurer les remparts de cette ville, qu’il disposa pour on faire une de ses places fortes.

Le Temple fut inondé du sang des fidèles immolés. Les musulmans lavèrent cet édifice avec de l’eau, et ensuite avec de l’eau de rose. Saladin y fit sa prière, et ils y établirent leur culte. Il y plaça une inscription qui défendait aux chrétiens d’y entrer sous peine de mort ou d’être contraints d’embrasser l’islamisme Il mil un tribut sur l’église de la Résurrection ; ceux qui voulaient y avoir accès pour prier devaient payer un tahégan par personne.

Puis il marcha contre Tyr, emportant avec lui ses machines de guerre. Mais, connue un chef franc [Conrad, marquis de Montferrat,] était accouru dans ses murs, avant que la place fût investie, et que c’était un homme plein de bravoure et de capacité, Dieu employa son bras pour délivrer Tyr, et les efforts des assiégeants restèrent impuissants.

Saladin s’étant porté contre Sidon, en fit facilement la conquête.

De là il vint attaquer Beyrouth, Djobaïl (Byhlos) et Tibnin, qui au bout de peu de temps tombèrent en son pouvoir, et passèrent sous son obéissance.

En l’année 64o de l’ère arménienne (2 février 1191-1er février 1192),[182] il alla assiéger Karak et Schaubek, qu’il emporta après de rudes assauts. Il y fit des captifs et du butin.[183] On découvrit une grotte pleine d’argent vif, et comme il n’y avait aucun fondeur pour le raffiner et le purifier, on ne put en faire usage. Les infidèles, n’ayant pas d’artiste versé dans la connaissance des procédés métallurgiques, laissèrent là cette mine et s’éloignèrent.

Saladin, étant parti pour la contrée de Seyhoun, assiégea Laodicée et s’en rendit maître. Ayant attaqué Djébélé (Gabala), il détruisit cette ville.

De là il marcha vers Bagras, qu’il soumit ; puis, continuant sa marche, il attaqua Derbéçak, et renversa aussi cette place.[184]

Ensuite il retourna à Damas, où il fît un sacrifice solennel et offrit une fête à tous les musulmans. Il gratifia ses troupes de largesses et de vivres à profusion, tandis qu’il plongeait les chrétiens dans la désolation.

A cette époque, Haçan, général de Kilidj Arslan, irrita ce monarque contre son fils, qu’il prit dès lors en aversion. Le jeune prince, s étant fait une multitude de partisans, se vit à la tête d’une grande armée qu’il destinait à agir contre son père. De son côté Kilidj Arslan réunit des troupes nombreuses pour s’opposer à son fils. Mais avant qu’ils en vinssent aux mains, Yahram Schah, seigneur d’Ërzénga,[185] gendre de la famille, intervint, et rétablit la paix et l’amitié entre eux. Car les troupes qui avaient embrasse le parti du fils avaient honte de marcher contre le sultan à cause de sa vieillesse. Ce prince promit d’abord à tous une amnistie ; mais ensuite il fit mettre à mort quatre mille de ces rebelles, et le général Haçan lui-même fut tué par ordre du fils.[186]

Un des fils du sultan, lequel se nommait Izz ed-din Kaïcar Schah,[187] prit Mélitène et en fit son patrimoine.

En l’année 641 de l’ère arménienne (2 février 1192-31 janvier 1193) les Francs se mirent en mouvement. C’était un ramas de populace, sans roi.[188] Néanmoins, le cœur enflammé par les malheurs des chrétiens et par l’amour de Jérusalem, ils accoururent avec ardeur et arrivèrent par mer. Ils se bornèrent à s’arrêter sous les murs d’Acre. Cette ville avait été fortifiée par Saladin, qui y avait mis une garnison de cent mille combattants. La guerre s’engagea entre les Francs et les infidèles, sans que Saladin osât s’aventurer à secourir cette place. Les Francs se fixèrent tranquillement en cet endroit, et y bâtirent quantité de maisons, des églises, ainsi que des moulins à eau, au nombre de quatre mille, à ce qu’on assure

Tandis qu’ils séjournaient en ce lieu, l’empereur d’Allemagne [Frédéric Barberousse] arriva à Constantinople. Pendant quelque temps il fit la guerre [aux Grecs] ; mais, comme la guerre traînait en longueur, il conclut la paix, et passa de l’attire côté de la mer. Les Grecs, fourbes de leur nature, le conduisirent à travers des rochers arides et abrupts, et par des déserts où le manque de vivres se faisait sentir de jour en jour. Les croisés étaient en outré harcelés par les Turcomans, tantôt ouvertement, tantôt à la dérobée. Parvenus à Iconium, ils massacrèrent un grand nombre de Turcs. Le sultan, en ayant été instruit, les accueillit et les fit partir en leur donnant des guides qui les conduisirent à Séleucie. Tandis qu’ils prenaient du repos dans cette ville, l’empereur voulut nager dans le fleuve qui baigne ses murs, et tout à coup, par une impulsion diabolique, et à cause des péchés qui nous restaient à expier, il fut englouti et périt étouffé dans les eaux.[189] Son corps, ayant été retrouvé, fut apporté à Antioche, et reçut les honneurs de la sépulture. Les regrets qu’il méritait lui furent accordés ; mais surtout nous pleurâmes sur nous-mêmes qui n’étions pas dignes d’un tel prince.

Ses troupes restèrent sans chef, et en proie à toutes sortes de perplexités. Léon, prince de Cilicie, frère de Roupen et fils de Sdéph’anè, leur rendit les plus grands services. Ayant réparti ces troupes dans la contrée, il en prit la majeure partie auprès de lui, les nourrit et pourvut à leurs besoins, pendant tout l’hiver, jusqu’au moment où arrivèrent deux princes [Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste], qui les conduisirent devant Acre. Ils prirent la ville et massacrèrent les Turcs qu’elle renfermait. Cependant ils laissèrent la vie à un très grand nombre, afin de racheter, par un échange, les Francs retenus captifs à Damas. Cet échange ayant été refusé, ils en massacrèrent vingt-cinq mille, et les entassant les uns sur les autres, ils se prosternèrent sur ce monceau de cadavres pour prier a la gloire du nom du Christ, comme Saladin l’avait fait à l’égard des chrétiens. Ils rebâtirent Acre et y fixèrent leur demeure ; ils établirent le neveu (fils de la sœur) du roi d’Angleterre[190] Y comte de cette ville ; mais, ayant reçu des nouvelles fâcheuses de leur pays, ils conclurent la paix avec Saladin et s’en retournèrent.

En l’année 642 [de l’ère arménienne] (1er février 1193-31 janvier 1194) mourut Kilidj Arslan à Iconium, et il y fut enterré. Il avait régné trente-huit ans, et laissait ses Etats à ses douze fils.[191]

Au bout d’un an, Saladin mourut à Damas[192] laissant vingt trois fils. Il avait assigné à l’aîné (Aldhal Nour ed-din Ali) Damas ; au second (Aziz. Othman) l’Égypte, et au troisième (Dhaher Gazi) Alep, avec le titre de sultan. Il constitua aux autres des apanages, en les plaçant sous la suzeraineté des trois premiers Il avait un frère qui s’appelait Adel, auquel il avait donné le titre de Mélik, et concédé Édesse, Khar’an, Meïafarékïn, Samosate, Kala’-Djahar, Karak et Schaubek ; dans la suite celui-ci s’empara de Medzpïn et de Rakka.

Le seigneur de Mossoul (Izz ed-din Maç’oud) fit alliance avec ses frères, le seigneur de Djéziré (Mo’ezz ed-din Sindjar Schah) et le seigneur de Sindjar (Emad ed-din Zangui), et marcha avec eux contre Khar’an. Mais étant tombé malade en route, il s’en retourna. Ses frères s’en revinrent aussi chacun de son côté.[193] Lorsqu’ils furent arrivés, Izz ed-din mourut et fut remplacé par Nour ed-din, son fils.

La même année, le grand Léon, chef des Arméniens, fit prisonnier le prince d’Antioche, et lui fit subir des tortures par représailles des mauvais traitements que le prince avait infligés à Roupen, frère de Léon. Le comte Henri [de Champagne], étant arrivé d’Antioche, interposa sa médiation et, à force d’instances, le tira de ses mains ; car c’était un homme ami de la paix et du bien.

Le valeureux Léon étendit sa domination sur soixante douze forteresses, et sa renommée se répandit en tous lieux. Les Grecs et les Francs s’empressèrent de le reconnaître comme roi. Chacune de ces deux nations lui envoya une couronne, l’une et l’autre revendiquant sa gloire. Ce fut un monarque puissant, illustre, terrible envers les peuples infidèles qui entouraient ses Etats et qui tremblaient devant lui. Aussi sa protection lut-elle implorée par les fils de Kilidj Arslan, affaiblis par la division du royaume de leur père en un grand nombre de principautés. L’un d’eux, le plus jeune, régnait à Iconium ; un second à Ablastha,[194] et un troisième à Néo-Césarée. Les autres avaient pris ce qui restait des possessions paternelles, et la désunion existait parmi eux. Mais celui qui eut le plus recours à Léon fut le prince (Mélik) qui occupait la partie supérieure du pays et qui résidait à Ablastha. Celui-là entreprit des expéditions qui ajoutèrent à son patrimoine des forteresses et des provinces.

Le souverain de l’Égypte, Mélik ‘Aziz, marcha contre son frère à Damas, Ayant appris cette agression, Mélik Adel, leur oncle, partit pour venir rétablir la paix entre eux. Mais il se rendit coupable d’une trahison infâme, en empoisonnant Mélik ‘Aziz, qui, à son retour chez lui, succomba. Alors Mélik ‘Adel s’empara de 1 Égypte et là soumit a son autorité.

Voulant tromper Mélik Afdhal,[195] il lui tint ce langage : « Va dans la contrée de Samosate vivre en paix et tranquille, garde pour toi Édesse, Khar’an et Hakka, et moi je resterai à Damas pour m’opposer aux Francs et à tous nos ennemis. Mélik Afdhal accepta cette proposition, et voulut prendre avec lui les trésors de son père, L’autre lui dit : « Ne te fies-tu pas à moi ? A qui appartiennent toutes ces richesses, si ce n’est à toi ? Allons, va, j’aurai soin de le les envoyer après ton départ. » Ajoutant foi à ces paroles, et s’étant mis en route sans rien emporter, il s’en vint à Rakka, ville que Mélik ‘Adel lui avait désignée pour se jouer de lui ; car les habitants, connaissant les intentions de ce dernier, ne voulurent pas recevoir Mélik Afdhal, ni lui rendre aucun honneur. S’étant alors dirigé vers Édesse, ce prince, si simple d’esprit, éprouva les mêmes refus ; les habitants n’ignoraient pas, en effet, la tromperie de son oncle. Mélik Afdhal s’en alla dépité et se retira à Samosate, que Mélik ‘Adel consentit à lui laisser. Il se fixa dans cette ville, comptant encore sur autrui, même après ce qui lui était arrivé.

Mélik ‘Adel, ayant cherché de tous côtés, découvrit les trésors de Saladin. Il fut dans l’admiration de l’immensité et de la valeur de ces richesses, bien supérieures à ce qu’il s’imaginait. Dans sa convoitise, il résolut de n’en rien donner à son neveu. Au contraire il se moqua de lui, car ayant trouvé un magasin rempli de réglisse que l’on appelle en [arménien] vulgaire maroukh, et qui avait été renfermée, là pour servir dans l’occasion, il la fit transporter dans la forteresse, où l’on en fit un paquet, qui fut scellé, et qu’il lui expédia. A la vue d’un pareil outrage, Mélik Afdhal déplora son imprévoyance ; mais il n’était plus en son pouvoir de remédier, à son défaut de jugement ou de rendre la pareille au traître qui l’avait précipité d’une si haute position. Aussi il ne lui répondit pas, l’abandonnant au jugement souverain de Dieu, en qui est notre suprême recours.

Cependant Léon gouvernait ses États habilement et avec une sagesse consommée. Il repoussait d’une main puissante les ennemis extérieurs, et fit régner la paix tant qu’il vécut. Il éleva nombre de monastères, agrandit ceux qui existaient déjà, et pourvut avec générosité à tous leurs besoins. Des inscriptions gravées sur la pierre attestaient (es donations qu’il leur fit en villages, fermes, vignes et champs. On peut dire qu’il leur distribua la graisse du pays. Il augmenta leurs richesses par des revenus que fournissaient et la terre et la mer. Il montra cette libéralité non seulement envers les couvents arméniens, mais encore envers ceux des chrétiens étrangers, syriens, grecs, Francs et géorgiens, ne gardant aucune rancune de ce qu’ils avaient fait contre lui, contre les familles qui lui étaient alliées par le sang, ou contre les orthodoxes, soit éloignés soit proches. Miséricordieux envers tous, il répandait ses bienfaits sur les ecclésiastiques et sur les laïques. Toutes les églises étaient riches et splendides, dans le désert comme dans les cités, et dotées de revenus qui ont été maintenus jusqu’à ce jour.

Après une vie qui lui valut les plus grands éloges de la part de toutes les nations, il s’endormit en Jésus-Christ, laissant une fille pour unique héritière. Il l’avait mariée à Philippe, fils du prince d’Antioche. On fit asseoir le nouveau roi sur le Irène après lui avoir imposé le serment de maintenir la foi et les lois de l’Arménie. Mais au bout de deux ans, cédant aux perfides suggestions de son père, il regarda de mauvais œil les chefs arméniens, et songea à les exterminer. Ceux-ci, connaissant ses desseins, se saisirent de lui et le jetèrent en prison, où au bout de quelque temps il mourut.

Alors on choisit pour souverain le fils de Constantin, prince illustre de la Cilicie, et parent du roi Léon ; il se nommait Héthoum. On couronna avec lui la jeune héritière du trône, appelée Isabelle (Zabel) dans la langue des Francs, et en arménien Elisabeth, princesse d’une vie pure, craignant le Seigneur, agréable à ses yeux, l’objet des éloges universels, pleine de charité et d’une vertu austère. Elle fut donc mariée à Héthoum, qui monta ainsi sur le trône.

Ce prince, quoique encore fort jeune, était déjà orné de la prudence des vieillards et plein d’habileté ; d’un caractère bon et doux, il montrait en même temps un esprit vaste. C’est lui qui règne aujourd’hui sur la nation arménienne, augmentant chaque jour en sagesse et en mérites pratiques devant Dieu avec la reine, entoure de fils dans la fleur de l’âge, et qui font son bonheur. Puissent mes prières et les supplications des saints auprès de Dieu, notre bienfaiteur tout-puissant, et l’ami de notre humanité, obtenir que sa vie se prolonge et que l’éclat de sa gloire brille au loin dans toute l’Arménie. Que ses fils héritent de la même faveur, et les fils de ses fils jusqu’à la venue du roi incréé, tout-puissant et immortel, Notre Seigneur et notre Dieu, Jésus-Christ, dont le nom soit béni avec celui du Père et du Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.[196]

Quant à nous, après avoir achevé de garnir de rames la nacelle de notre discours, nous l’avons fait voler sur la mer d’un grand nombre d’histoires, et nous sommes parvenus en sûreté au terme de notre voyage. Entraîné de nouveau par le même espoir des prodiges célestes et des grâces de l’Esprit Saint, nous nous mettrons derechef en route pour voguer sur les profondeurs inaccessibles des institutions et de l’économie de l’ordre sacerdotal. Nous dirons son origine, son but, sa fin en dirigeant nos investigations suivant la mesure de nos forces, et en travaillant dans la vue des récompenses d’en haut, jaloux de faire connaître ce qu’est le sacerdoce, le ministère auquel il est consacré, ses conditions, sa dignité, et nous donnerons pour complément à nos efforts la perspective de la gloire de Dieu.[197]

 

 

 



[1] Bibliotheca Orientalis clementino-vaticana, t. II.

[2] Le récit de Michel sur l’origine des peuples de rare turque, remanié et abrégé par Aboulfaradj peut être utilement, comparé avec celui de Guillaume de Tyr.

[3] Cette descendance de Gog comme fils de Thorgom ne se trouve nulle part dans la Bible. Ezéchiel est le premier des auteurs sacrés où on fit le nom de Gog, par lequel il parait entendre le chef du pays de Magog.

[4] On voit que Michel fait dériver le nom de Turcs de Thorkom ou Thorgom, par le retranchement de la dernière syllabe de ce mot. Cette étymologie, absurde philologiquement, a pourtant sa raison historique. Lorsque les Turcs, sortis de l’Asie centrale, se furent emparés d’une immense étendue de pays dans l’Asie occidentale, et y eurent fondé leur domination, les Arméniens, subjugués aussi par cette puissante nation, cherchèrent à rattacher leur origine à la sienne, et ils imaginèrent une descendance commune d’un même ancêtre, Thorgom.

[5] L’association des noms de Gog et Magog, pour designer d’une manière générique les peuples barbares relégués aux extrémités de la terre, est fort ancienne, puisqu’elle apparaît déjà dans l’Apocalypse. Les commentateurs de la Bible ont pris ces noms tantôt dans un sens symbolique, tantôt dans un sens littéral, en les appliquant, suivant cette seconde interprétation, aux peuples du centre de l’Asie, Scythes, Sarmates, Huns, etc. qui ont figuré tour à tour comme conquérants dans l’histoire.

Ces deux noms de Gog et Magog suggérèrent une légende qu’a répétée ici Michel et qui, sanctionnée par l’autorité du Coran (sourate XVIII et sour. XXI), eut une très grande vogue pendant le moyen âge en Orient, puisqu’elle se rencontre dans la plupart des traités de géographie arabe, et aussi dans Marco Polo. A mesure que le domaine de la géographie mythique fut circonscrit et rétréci par une connaissance plus exacte du continent asiatique, les limites dans lesquelles on plaçait Gog et Magog furent de plus en plus reculées vers le nord et l’est. (Cf. d’Herbelot, aux mots Iagiouge et Magiouge ; Assemani, Bibl. orient, t. III, 2e part. ; M. Reinaud, Géogr. d’Aboulféda, Introduction, § III. p. cccxi-ccciv, et A. de Humboldt, Asie centrale, t. II.)

[6] Le mot au pluriel signifie mamelle et aussi source. On conçoit facilement le rapport de cette dénomination avec la forme des montagnes, réservoirs des cours d’eau qui arrosent la surface du globe. La marche des peuples de Gog et Magog, telle qu’elle est indiquée par Michel, après la confusion des langues, des plaines de la Babylonie vers le nord, nous conduit vers le Caucase.

[7] Ce sont les Caspia pylae dans le pays des Tapuri, au sud-est de la mer Caspienne, donnant passage de la Médie dans la Parthyène.

[8] Les deux leçons des manuscrits A et B, « chez les Alans vers le haut » et, « chez les Alans et les Virs (Géorgiens), ont le même sens car le défilé des Alans ou de Dariel, qui s’ouvre au milieu de la chaîne du Caucase, met en communication le pays qu’occupaient les Alans au nord et les Géorgiens au sud. Ce sont les Portes caucasiennes des anciens. (Cf. Saint-Martin. Mémoires sur l’Arménie, t. II et le t. VI de l’Histoire du Bas-Empire, de Lebeau).

[9] En mongol et en turc, kouke, gök, « ce qui est de couleur bleue, ou le ciel » et Thagri, Thangri, Tanri, ou, suivant la prononciation vulgaire, Tangri, « Dieu ».

[10] Michel veut rappeler les travaux gigantesques exécutés dans la chaîne du Caucase par les Sassanides, et principalement par Chosroès Anouschirwan, qui fit bâtir ou réparer la ville de Derbend et construire une large muraille flanquée de tours, fermant les gorges du Caucase, et défendant entre la Mer Caspienne et la mer Noire, dans un espace de 5o lieues, c’est-à-dire à travers l’isthme tout entier. Ce qu’il y a de vraisemblable dans ce récit, c’est que ce souverain fit fortifier avec soin les passages les plus importants de cette chaîne, tels que le défilé de Derbend, ou Porte des Huns, le défilé de Dariel, ou Porte des Alains, et, dans le Caucase occidental, les issues qui existent dans le Souanèth et l’Abkhazie. Cf. Lebeau. t. VI et t. X ; et Saint Martin, notes.) Les ruines de la muraille qui protégeait Derbend subsistent encore à partir de cette ville, en tirant vers le nord-ouest, à travers le Caucase sur une étendue de 40 à 50 verstes.

[11] La construction de la porte de Derbend est attribuée par la tradition à Dsou’l-Karneïn (l’homme au deux cornes) dont il est fait mention dans le Coran, et que quelques commentateurs ont identifié avec Alexandre le Grand, d’autres avec le fondateur de la dynastie des Séleucides, Séleucus Nicator. Suivant Mahomet, Dsou’l Karneïn, en marchant à la conquête du monde, arriva aux lieux ou le soleil se lève, et, continuant sa route, parvint à l’endroit qui sépare les deux montagnes. Au pied habitait une nation dont il était presque impossible d’entendre le langage ; elle le sollicita d’élever une barrière entre elle et les peuples de Yadjoudj et Ma-djoudj, qui l’infestaient de leur brigandage. Dsou’l Karnein prescrivit de lui apporter de grandes pièces de fer, pour fermer le passage entre les deux montagnes et de souffler le feu jusqu’à ce que le fer fût rouge. Après quoi il versa dessus de l’airain fondu. Les peuples de Yadjoudj et Madjoudj, ajoute le Prophète, ne purent escalader ce mur, tant il était élevé, ni le percer, à cause de sa solidité. Cependant, lorsque le monde sera près de finir, ce formidable rempart s’écroulera, le passage sera ouvert de nouveau, et ces hordes, qu’une longue attente aura rendues plus impatientes, se précipiteront sur les nations et donneront cours à leur férocité. (Coran, sour. xviii. vers. 82 et suiv. et sour. xxi, vers. 96 ; Cf. Sale’s Coran, Preliminary discourse, sect. IV ; M. Reinaud. Géogr. d’Aboulféda, Introd. p. cccxi-cccxii.) Michel nous montre que ces légendes avaient cours, de son temps, parmi les chrétiens d’Orient comme parmi les musulmans.

[12] Je n’ai pas besoin, sans doute, de faire ressortir les erreurs chronologiques accumulées ici par Michel. La première irruption des Scythes, celle dont il veut parler, n’eut pas lieu en 510 avant J. C. mais en 633. Ces peuples, sous la conduite de Madyès, leur chef, après avoir battu Cyaxare, roi des Mèdes, qui assiégeait Ninive, se rendirent maîtres de l’Asie supérieure pendant vingt-huit ans ; ils en furent chassés en 605 par ce même Cyaxare.

Cambyse, fils de Cynis, régna de 529 à 522 avant J. C. et Nabuchodonosor, roi d’Assyrie, qui envoya Holopherne en Palestine, plus d’un siècle antérieurement à Cambyse, suivant les calculs de la plupart des chronologistes.

[13] Aboulfaradj (Chron. syr., p. 231) remarque qu’il n’a trouvé nulle part ailleurs que dans Michel ce récit sur le chien qui servit de guide aux Turcs, dans leur migration hors de leur pays, et que peut être ce patriarche le tenait d’une personne qui le lui avait raconté, ou l’avait puisé dans quelque livre que lui, Aboulfaradj, ne connaissait point.

[14] Le mot Aragh’ia, ou comme on lit ailleurs dans Michel, Aragh’a, désigne les pays situés au nord et au nord-est de la mer Caspienne, et confinant à la contrée des Thédalatsi, c’est-à-dire la Thédalie comme écrit Michel, ou Thidalie, suivant la transcription de Moïse de Khoren (Hist. d’Arménie). Dans son Mémoire sur les Huns Hephtalites (Paris, in 8°, 1849), M. Vivien de Saint Martin a montré l’identité de ces Huns, appelés aussi Huns blancs avec les Thédalatsi. Procope, cité par ce savant géographe, place leur résidence sur la limite des Perses, du côté du nord, là où se trouvait la ville de Gorgô (Djordjân des géographes arabes), vers l’angle sud-est de la mer Caspienne. Ce passage de Michel peut éclaircir celui d’Aboulfaradj, qui dit que le roi Khosrov envoya les Jeunes filles qui avaient été faites captives dans la Mésopotamie, au roi des Turcs qui vivaient dans l’intérieur de la Perse. Notre auteur, par une assimilation qui se retrouve dans les écrivains musulmans dont le témoignage a été invoqué par M. Vivien de Saint-Martin, comme Tabari, Firdousi, l’auteur du Modjmel et-tewarikh et Mirkhond affirme que la Thédalie est le Turkestan.

[15] Les Comans, qui habitaient au nord de la mer Caspienne, se rapprochèrent de bonne heure des côtes de la mer Noire, d’où une partie passa jusqu’en Hongrie. Il résulte des paroles de Michel que cette double migration des Comans était déjà ancienne de son temps. (Cf. M. Reinaud, Géogr. d’Aboulféda, t. II).

[16] Khak’an ou Khakhan, « roi suprême, est le titre que portaient les souverains turcs et tartares depuis une haute antiquité, ainsi que nous l’apprennent les écrivains byzantins. Les rois des Khazars, quoique cette nation ne fût pas de race turke, prenaient aussi ce titre, comme l’atteste Moïse de Khoren, qui vivait au ve siècle de notre ère. (Géographie, dans ses Œuvres complètes, Venise, in-f°. 1843.) Voir, sur le sens des dénominations de Khan, Khakhan, Câan et grand Càan, l’Histoire des Mongols de la Perse, de Raschid ed-din, trad. par Et. Quatremère, et mon travail intitulé Les Mongols d’après les Historiens arméniens, extrait de Vartan, dans le Journal asiatique, cahier d’octobre-novembre 1860.

[17] Moslim, en arabe, celui qui se soumet à la volonté et à l’empire de Dieu, et qui fait profession de l’islamisme. Les Persans et les Turcs ont formé de ce mot l’adjectif musulman, qui a la même signification.

[18] Michel fait allusion aux peuples Turcs, ou que l’on considérait comme étant de race turque, lesquels, du ixe au xie siècle, émigrèrent sur les terres de la domination grecque, dans le voisinage du Danube et dont quelques-uns adoptèrent le christianisme. Les Comans, les Madjars, les Baschkirs, les Petchénègues, les Ouzzes, etc. (M. Reinaud, Géogr. d’Aboulféda, chap. des régions septentrio nales de la terre).

[19] Cette phrase est une imitation et non point une citation textuelle. Par le fils de la perdition, il faut entendre l’Antéchrist.

[20] Jean, évêque d’Asie, auteur d’une chronique syriaque, qui, suivant Assemani (Bibl. orient, t. II. p. 83-90), commençait au règne de Théodose le Jeune, en 408, et finissait à la dixième année de Justin II (Justinien III, suivant les Syriens), en 574. Jean était monophysite. Dans la liste des historiens consultés par Michel et énumérés en tête de son livre, il dit que la chronique de Jean d’Asie ne comprenait que les temps écoulés depuis Anastase (491) jusqu’à Justinien III. Mais peut-être veut-il parler d’une portion seulement de cet ouvrage. (Voir mon Extrait de la Chronique de Michel le Syrien, Journal asiatique, 1848).

[21] Cette ambassade, qui avait pour objet de gagner la puissante nation des Turcs et de s’en faire un auxiliaire contre les Perses, est de la seconde année de Tibère Constantin (26 septembre 579-580). Ce prince en chargea Valentin, officier de sa garde. On peut voir le récit de cette mission dans Menander Protector et le résumé de Lebeau.

[22] Dans la campagne entreprise en Orient par Trajan, et qui dura trois ans, de 114 à 116, il rangea sous ses lois l’Arménie, l’Ibérie, les Sarmates, les Osrhoéniens, les Arabes et les habitants du Bosphore. Ayant attaqué les Parthes, il s’empara d’Arbelles, de Gaugaméle, de Ctésiphon, et de plusieurs autres places. Ces victoires lui méritèrent le surnom de Parthique.

[23] Dizaboul ou Dilziboul, grand khan des Turcs, ayant envoyé en 571 des ambassadeurs à Justin II, conclut avec lui un traité d’alliance et de commerce. Au retour des ambassadeurs, l’empereur les fit accompagner par Zéniarque, comte d’Orient, suivi d’un nombreux cortège. Après un long voyage, Zéniarque parvint dans la Sogdiane, et de là continua sa route jusqu’au mont Altaï, demeure ordinaire du grand khan. (Menander Protector).

Michel a mentionné précédemment l’ambassade qu’Héraclius envoya au roi du nord, le Khakan des Khazars, afin de lui demander quarante mille cavaliers pour marcher contre les Perses, promet tant de lui donner sa fille Eudocie en mariage. Ce fut vers l’an 625 de J.-C. On voit que notre auteur a cru que les députés grecs avaient pour terme de leur mission la cour du Khakan des Kha- ars, tandis que, réellement, ils pénétrèrent beaucoup plus au nord, jusque dans l’Altaï. Il semble de plus avoir confondu dans une même origine les Turcs et les Khazars.

[24] Michel, quelques pages auparavant, a raconté tout au long ce même fait, en le plaçant sous le règne de Chosrœs le Grand ; il est aussi rapporté sous la même date par Aboulfaradj, et dans le Ménologe arménien (7 septembre). Il eut lieu dans les dernières années du règne de Chosrœs II, vers 574 ou 576. Ce prince, revenant d’assiéger Sergiopolis, en arménien (Sarksoupolis), ville située sur l’Euphrate, ses soldats prirent une multitude de chrétiens grecs et arméniens, et, dans le nombre, quantité de jeunes filles, qu’il envoya en présent au roi du Turkestan, afin d’obtenir de lui un secours de troupes contre les Grecs. J’ai montré ailleurs (Extrait précité de la Chronique de Michel le Syrien, Journal asiatique. octobre 1848, note 45) que Sarksoupolis doit être la même ville que Dara, qui possédait les reliques du saint martyr Sergius (Sarkis).

[25] Mahmoud, fils de Sébektékïn, sultan de Ghazvin ou Ghazna, premier souverain de la dynastie des Ghaznévides. D’après l’Histoire des Seldjoukides, extraite du Tarikhi-Guzideh d’Hamdallah Mustaufy, par M. Defrémery (Journal asiatique, avril-mai 1818), Seldjouk était un Turc de la tribu des Kanaks. Il eut quatre fils, Israïl, Mikaïl, Mouça-Bigou et Iounis. Ces hommes, qui possédaient des biens immenses, passèrent, en 375 de l’hégire (985-986), du Turkestan dans le Ma-warra ennahar, et fixèrent leur résidence non loin du nour de Boukhara et du soghd de Samarcande. Le sultan Mahmoud vécut avec eux en bonne intelligence. Israïl étant allé le visiter. Mahmoud lui surprit, par des questions insidieuses, la connaissance des forces des Turcs. En ayant pris de l’ombrage, il l’emprisonna dans la forteresse de Kalendjer. Israïl, avant sa mort, envoya un message à ses frères, pour les exciter à s’emparer des Etats de Mahmoud ; ils passèrent dans le Khorassan, qu’ils finirent par enlever au sultan Maç’oud, fils de Mahmoud, et en 1211 (1037-1038), Thogrul beg, fils de Mikaïl, s’établit à Nischapour avec le titre de sultan. Il sera question un peu plus loin des conquêtes de ce premier des souverains seldjoukides. Aboulfaradj dit qu’à l’époque de la puissance du Khakan des Ghaznéens, ce prince avait à son service un émir nommé Thoukak, autrement appelé Thémourialeg, ou Arc de fer, à cause de sa grande force. Ce Thoukak eut un fils nommé Salgouk, qui, ayant perdu son père de bonne heure, fut élevé dans le palais du Khakan. Salgouk émigra avec ses gens et ses troupeaux du Touran, c’est-à-dire du pays des Turcs, vers l’Iran, ou la contrée des Perses. Il eut quatre fils, Mikaïl, Iabgou, Mouça et Arslan. Mikaïl fut père de Mohammed, autrement appelé Thogrul beg, et de Daoud, dit aussi Gagri beg.

J’ignore d’où Michel a tiré le fait que le sultan Mahmoud emmena de la Thédalie des prisonniers parmi lesquels furent les ancêtres de Thogrul beg ; et d’Arp Arslan. Il veut rappeler ici sans doute la transplantation des Seldjoukides, par Mahmoud, du Ma-wàra-ennahar dans le Khorassan. (Cf. Deguignes, Hist. des Huns, t. I)

[26] La date de l’avènement de Constantin Monomaque est du 12 juin, indiction X (1042). Il régna douze ans et sept mois, jusqu’au 11 janvier, indiction VIII (1055). J’ai montré (Recherches sur la chronologie arménienne) que Michel calcule habituellement d’une manière fautive l’ère arménienne, qu’il la retarde de cinq, six ou sept ans, quelquefois même de vingt et un ans. J’aurai soin, chaque fois, de rectifier son calcul.

[27] Le khalife Kader-Billah Aboul Abbas Ahmed, le vingt cinquième de la dynastie des Abbassides. Il était monté sur le trône en 381 de l’hégire (991), et mourut dans le mois de dsou’l-hiddjé 422 (décembre 1031-janvier 1032).

[28] Aboulfaradj raconte cette inondation à l’année 1556 des Grecs (1er oct. 1044-1045).

[29] Dans tout le cours de sa Chronique. Michel entend par les mots orthodoxes et sainte église les monophysites, c’est-à-dire ceux qui, adoptant la doctrine d’Eutychès, archimandrite de Constantinople, n’admettaient qu’une seule nature en J. C., doctrine condamnée par le concile de Chalcédoine, en 451. Tous les chrétiens qui reconnaissaient dans le Sauveur la cœxistence des deux natures, divine et humaine, c’est-à-dire les catholiques, sont appelés par lui dualistes.

[30] C’est la semaine qui précède le dimanche de la Septuagésime ; elle est consacrée au jeûne que les Arméniens appellent [jours] préalables, parce qu’il est antérieur au grand carême ou carême de Pâques. (Cf. sur l’origine de ce jeûne et de la dénomination qu’il a reçue, mon ouvrage intitulé : Histoire, dogmes, traditions et liturgie de l’église arménienne orientale, Paris, 1857.

[31] Daoud Djagri beg, frère de Thogrul beg. Ayant réuni un grand nombre de Turcomans, s’empara de plusieurs villes du Khorassan et de l’Arménie. Puis, étant revenu vers son frère, il lui dit : Il y a deux chefs puissants, le Rhovaiezm schah Haroun et le sultan Maç’oud, fils de Mahmoud, fils de Sébektékin, que nous ne pouvons soumettre. Passons dans le Khorassan et en Arménie, où, ainsi que j’ai pu m’en assurer, il n’y a personne capable de nous résister. Thogrul beg approuva le conseil. Ils se mirent tous les deux en campagne, franchirent le Djeïhoun, et saccagèrent de fond en comble Simnân. Ils mirent en déroute l’armée des Araks et des Persans. Ils saccagèrent aussi Reï ; puis, ayant essayé de prendre Khazwïn, et n’en pouvant venir à bout, ils se retirèrent après avoir imposé un tribut aux habitants. Aboulfaradj rapporte ensuite, sous la date de 329 de l’hégire (1037-1038), une expédition des Gozzes ou Ouzzes (branche des Turcs à laquelle se rattachaient les Seldjoukides) contre l’Arménie, l’Azerbaïdjan et le Khorassan. Thogrul beg, ayant fait son entrée à Nischapour, s’assit sur le trône de Maç’oud ; Djagri beg s’établit dans la ville de Sarkhas, et Kizil, mari de leur sœur, se fixa à Reï. Plus loin, sous la date de l’année des Grecs 1354 (1er oct. 1042-1043), on fit le récit d’une invasion des troupes de Thogrul beg dans la Mésopotamie. Elles dévastèrent Nisibe, Meïafarékïn, Sindjai, Khabnur et Amid, et s’emparèrent de Mossoul. Motamed, ayant rassemblé des forces, et s’étant mis à la tête des Arabes, attaqua les Gozzes, les vainquit et en tua un grand nombre. Le reste se sauva dans l’Azerbaïdjan.

[32] En 1369 des Grecs (1er octobre 1057-1058), les Turcs, au nombre de 3.000, attaquèrent Mélitène. Pendant vingt jours ils ne cessèrent de se livrer au pillage et de verser le sang des habitants. Au bout de ce temps, ayant mis le feu à la ville, ils se retirèrent. Arrêtés par les rigueurs de l’hiver sur les flancs de la montagne de Saçoun, ils furent massacrés par les montagnards arméniens. Ceux qui échappèrent s’en retournèrent à Mélitène. (Aboulfaradj, Chron. syr.) Le récit de cette expédition, fatale à Mélitène et ensuite aux Turcs eux mêmes, raconté en détail par l’historien Arisdaguès Lasdiverdtsi, est reproduit dans mes Recherches sur la Chronologie arménienne.

[33] Il y a ici une erreur évidente, puisque Théodora était fille du frère de Basile II, Constantin VIII, mort le 11 novembre 1028.

[34] Michel Stratiotique fut proclamé le 31 août 1056.

[35] Cette expression désigne, pour les Arméniens, la Thrace et d’une manière générale les provinces européennes de l’empire grec.

[36] Le mot Oudj (Ouzze), placé entre Adalia et Iconium semble indiquer une des contrées du sud-est de l’Asie Mineure dont s’emparèrent les Turcs seldjoukides, et encore occupées, aujourd’hui par des Turcomans nomades.

[37] Le règne de Constantin Ducas dura sept ans et six mois, du 1er décembre 1069 au 1er juin 1067.

[38] Je pense que ce général turc est le même que de Skylitzès ou Salar-Khoraçan de Matthieu d’Édesse, lequel entreprit deux expéditions dans la Mésopotamie, en 1062 et 1065.

[39] Il y a dans le texte, jusqu’à la mer Adriatique, expression qui porte à supposer que l’auteur a réuni sous une même dénomination, grossièrement erronée, la mer Adriatique et la mer Egée.

[40] Peut-être Téos, ville de la côte d’Ionie, vis-à-vis de Samos, dans une péninsule qui formait une île lorsque la mer devenait haute et agitée. Peut être aussi faut-il lire Chios.

[41] Le sultan Thogrul mourut, suivant Aboulfaradj, le 7 septembre de l’année des Grecs 1374 (1063), dans la ville de Reï, à l’âge de soixante et dix ans. Hamdallah Mustaufy dit que ce fut dans la place forte appelée Kasran Birouni, non loin de Reï, et donne, comme Ibn Djouzi, la date du 8 de ramadan 455 (4 sept. 1063). (Cf. M. Defrémery, Histoire des Seldjoukides, Journal asiatique, 1848).

[42] Schamschouïldé ou Schamschouldè, ville et forteresse placées par l’historien Açogh’ig dans la rentrée de Daschir qui faisait partie de la province de Koukark’, vers le nord-est de la Grande Arménie. Cette ville existait déjà au ve siècle de notre ère, puisqu’elle est mentionnée dans la Géographie de Moïse de Khoren. (Cf. Indjidji, Arménie ancienne).

[43] Voir le récit de la prise d’Ani, par Alp Arslan, dans Matthieu d’Édesse, Arisdaguès Lasdiverdtsi, et Skylitzès.

[44] Diogène, à la tête d’une armée considérable, se dirigea en Arménie contre Manazguerd, et en ayant chassé les troupes d’Alp Arslan, sans coup férir, se mit en possession de cette ville. Le sultan, effrayé des forces de Diogène, lui envoya Saoutekïn, un de ses émirs pour lui proposer de faire la paix et de s’en retourner chacun dans ses Etats. Diogène repoussa ces ouvertures avec hauteur. Les deux armées en vinrent aux mains un vendredi vers midi, entre Khélath et Manazguerd ; les Turcs fondirent sur les Impériaux, qui après avoir perdu beaucoup de monde, plièrent et prirent la fuite. L’empereur fut fait prisonnier par un esclave grec qui appartenait à un eunuque turc, et qui le reconnut pour l’avoir vu à Constantinople. On sait la magnanimité vraiment royale avec laquelle le sultan traita son captif. Il lui rendit bientôt après la liberté, et le fit ramener dans ses États avec une escorte de cent esclaves et de deux émirs. Lui-même l’accompagna jusqu’à la distance d’un parasange. (Cf. Aboulfaradj, Chron. syr.)

[45] Le même auteur atteste que les conditions de la rançon de Diogène furent qu’il payerait au sultan un million de dinars, et chaque année un tribut de 360.000 pièces de même valeur. Le sultan lui demanda aussi que les villes d’Antioche, Édesse, Mabog (Menbêdj) et Manazguerd, enlevées aux Arabes par les Romains, lui fussent rendues. L’empereur répondit : lorsque je serai de retour dans mes États, envoie tes soldats pour soumettre ces villes ; je ferai en sorte qu’elles te soient livrées. Maintenant, quand bien même je le voudrais, elles ne m’obéiraient pas.

[46] Diogène, ayant levé des troupes et appelé à son secours Alp Arslan, voulait disputer la couronne à Michel. Vaincu une première fois auprès d’Amasée, dans le Pont, par Constantin, second fils du césar Jean Ducas, il se jeta dans la Cilicie, et se renferma dans Adana, où il fut attaqué et pris par Andronic, frère aîné de Constantin. Relégué dans l’île de Proté, il eut les yeux crevés par ordre de Jean Doucas, qui défendit même de panser ses blessures. Dans ce triste état, il ne tarda point à succomber. (Skylitzès ; Zonaras, Glycas). Suivant Aboulfaradj il hâta lui-même sa mort en se frappant la tête contre une muraille.

[47] C’est le célèbre Philarète Brachamius dont il est si souvent question dans Matthieu d’Édesse ainsi que dans les historiens byzantins. Il était effectivement Arménien d’origine, comme le dit Michel, du district de Varajnounik’, dans la province de Vasbouragan. Il avait le rang de Curopalate et fut nommé Grand Domestique par Romain Diogène.

[48] Les Syriens avaient étendu à tous les Arabes en général le nom de Tayoyo, pluriel Tayoyé, qui appartenait spécialement aux Beni-Taÿ, la plus considérable des tribus qui erraient dans les plaines sablonneuses de la Syrie. Cette tribu, d’origine yémanique, avait émigré vers le milieu du iiie siècle de J. C. dans le Nedjd, au centre de l’Arabie, d’où elle se répandit, en se fractionnant en plusieurs branches, dans la Syrie, la Mésopotamie et l’Irak. (Cf. M. Caussin de Perceval, Essai sur l’histoire des Arabes avant l’islamisme.)

[49] D’après Skylitzès, Zonaras, Glycas et Nicéphore Bryenne, Michel n’avait qu’un fils, nommé Constantin, auquel Nicéphore Botaniate ne fit jamais subir le traitement dont parle Michel et d’après lui Aboulfaradj, puisqu’il fut question plus tard de le marier à Anne Comnène.

[50] Ce même récit apocryphe sur la cause qui détermina la première croisade, se retrouve dans l’historien Vartan. Il est probable que c’est un bruit populaire qui avait cours parmi les Syriens et les Arméniens, et que Michel et Vartan ont recueilli.

[51] Il est impossible d’identifier ce nom avec aucun de ceux des chefs qui prirent part à la première croisade, et que nous connaissons. Tous les autres noms sont mentionnés dans notre Extrait de la Chronique de Matthieu d’Édesse, à laquelle le lecteur voudra bien recourir. On pourrait croire cependant que le chroniqueur a voulu désigner le comte de Saint-Gilles, dont il avait sans doute transcrit le nom dans l’original syriaque, comme l’a fait Aboulfaradj en distinguant deux personnages Saint-Gilles et Raymond, au lieu d’un seul. Il est probable aussi que le traducteur arménien a, de son côté, contribué à cette confusion.

[52] Michel fait ici une étrange méprise, en plaçant deux émirs à Antioche, par une double altération d’un seul et même nom, Baghi-Siân. (Cf. notre Extrait de Matthieu d’Édesse).

[53] Ceci est encore une erreur, puisque Soliman périt dans un combat livré contre son oncle Tetousch, sultan d’Alep, entre cette ville et Antioche.

[54] Godefroy ne régna qu’un an, du 10 des calendes d’août = 23 juillet 1099 au 15 des calendes d’août = 18 juillet 1100 (Guillaume de Tyr, IX), et Baudouin, son frère, d’octobre 1100 à avril 1118.

[55] Ce chef était Khauril ou Khôril (Gabriel), le beau-père de Baudouin du Bourg. Aboulfaradj, en sa qualité d’ennemi acharné des Arméniens, se complaît à représenter Gabriel comme un tyran rapace et cruel. Il raconte que lorsque Mélitène fut tombée au pouvoir des Turcs, ceux-ci et les chrétiens, encore plus animés contre Gabriel que les infidèles, l’accablèrent d’outrages et de mauvais traitements. Sous les coups et les menaces des Turcs et dans un péril extrême pour sa vie, il essaya encore de les tromper ; mais, s’en étant aperçus, ils le massacrèrent et jetèrent son cadavre aux chiens.

[56] En 1417 des Grecs (1er septembre 1105-1106).

[57] D’après Aboulfaradj, le siège de Mélitène, par Kilidj Arslan, dura un peu moins d’un an ; il le commença le 28 septembre de l’année 1417 des Grecs = 1106 ; et, après des assauts réitérés, cette ville lui fut livrée par capitulation, le 2 septembre de l’année suivante.

[58] Ghiâth ed-din Abou Schodja Mohammed, le Daph’ar de Matthieu d’Édesse,  d’Anne Comnène, l’un des trois fils de Mélik Schah, eut d’abord en partage l’Azerbaïdjan et la Syrie. Mais nous devons nous rappeler que les Arméniens désignaient par le nom générique de Khorassan tous les pays qui en s’étendant à l’ouest jusqu’à la Méditerranée formaient les Etats des Seldjoukides des diverses branches.

[59] L’Emir Djâwali avait joint ses forces à celles de Ridhouân, sultan d’Alep, et avait sous ses ordres ; quatre mille cavaliers d’élite. Kilidj Arslan en comptait cinq mille. Le combat eut lieu auprès de la ville de Khâbour. Kilidj Arslan, après avoir vaillamment combattu, fut abandonné par ses soldats, qui prirent la fuite. Monté sur son cheval, il se précipita dans le fleuve Khâbour, d’où il lançait des flèches» contre ceux qui s’étaient mis à sa poursuite. Chargé d’une pesante cuirasse de fer, et sous la grêle des traits qui l’accablaient, il fut entraîné par son autre cheval dans un endroit profond où il se noya. Quelques jours après son corps fut rejeté par les flots sur le rivage, et on le transporta dans le village de Moschem où il fut enseveli.

[60] Bizmisch était le général à qui Kilidj Arslan avait confié la garde de la citadelle de Mossoul, lorsqu’il vint se mettre en possession de cette ville. (Aboulfaradj)

[61] Saïsan, dans Anne Comnène (Alexiade). C’est le même prince qui est appelé Malek chah par Aboulfaradj. Il était l’oncle d’un Schahenschah ou Schahinschah, dont il est question dans Grégoire le Prêtre.

[62] En racontant l’origine des Templiers et des Hospitaliers, l’auteur ne se montre pas plus exact qu’il ne l’est habituellement lorsqu’il parle des Latins. On sait que ce fut un Français, nommé Gérard, qui fonda l’ordre des Hospitaliers, confirmé par le pape Pascal II, en 1113. Celui des Templiers doit son origine à Hugues de Payen, en 1118.

[63] Gamakh est le nom par lequel les écrivains arméniens du xiie et du un siècle désignent le district de Taranagh’i, dans la province de la Haute Arménie. Cependant cette synonymie doit être plus ancienne, puisque nous trouvons, parmi les subscriptions du concile de Constantinople, 6e œcuménique (680-681), celle de Georges, évêque. C’est dans ce district qu’était située la forteresse d’Ani ou Gamakh, où les rois arsacides d’Arménie avaient leur sépulture. — Aboulfaradj dit que cette expédition fut entreprise en février 1430 des Grecs (1118), par le sultan de Mélitène, et que le seigneur de Gamakh fut secouru par Théodore Gavras, duc de Trébizonde.

[64] Khavadanêk, forteresse au sud-ouest de Sébaste.

[65] Ce sont les Haïciens, ou souverains de la première dynastie qui, suivant les historiens arméniens, régnèrent dans la Grande Arménie depuis l’époque de Ninus jusqu’à Alexandre le Grand, et les princes Ardzrounis, qui faisaient remonter leur origine jusqu’à Sennachérib, roi d’Assyrie, et qui possédèrent le Vasbouragan. L’origine et les destinées bien distinctes de ces deux familles sont retracées dans nos annotations sur la Chronique de Matthieu d’Édesse.

[66] Ibn Alathir dit qu’au mois de séfer 5oo (octobre 1106), Kei-Kobad, fils de Hazarasp, le Deïlémite livra la place forte de Tékrit à Seïf eddaula Sadaka, roi de Hillah. (Cf. Aboulféda, t. III, ad annum 560.)

[67] Abou Dolaf Scherkhâb, fils de Keï Khosro et émir de Sava, ayant eu des difficultés avec le sultan Ghiâth ed-din Mohammed, chercha un refuge auprès de Seïf eddaula Sadaka. Le sultan ayant réclamé plusieurs fois Abou Dolaf, et Sadaka, fidèle aux lois de l’hospitalité, refusant de le rendre, il s’ensuivit une guerre dans laquelle Sadaka fut vaincu. Trois mille hommes de sa cavalerie restèrent sur la place. Dohaïs, fils de Sadaka, et l’émir Abou Dolaf tombèrent entre les mains du sultan. Sadaka périt dans ce combat, et sa tête fut apportée au bout d’une lance au vainqueur. Cet événement, que Michel place en 500 de l’hégire, est fixé par Aboulféda au mois de redjeb 501 (janvier-février 1108). On aura remarqué sans doute que notre auteur le raconte postérieurement au récit de l’expédition de Balag et du sultan de Mélitène contre Gamakh, qui est de 512 (24 avril 1118-13 avril 1119).

[68] Cf. sur ce même fait, notre Extrait de Matthieu d’Édesse, ch. lxxxvii.

[69] Cette expédition est rapportée par Nicétas Choniatès (Règne de Jean Comnène, § 6), qui dit que Danischmend s’était emparé précédemment de Castamon. L’empereur Jean, étant arrivé dans la Paphlagonie, apprit que Danischmend était mort, et que Castamon était possédée par un certain Mohammed, alors en hostilité avec le sultan Maç’oud. Jean ayant fait la paix avec ce dernier, et ayant obtenu de lui des renforts, attaqua et prit Castamon. De là il marcha sur Gangra, qui eut le même sort.

[70] Le mot naghara, est le persan nakareh, timbale, d’où est venu, dans le moyen âge, le latin nachara. (Cf. Du Cange, Gloss. med. et infim. latin.) Cet instrument, associé au tambour, à la trompette, au clairon, au hautbois, servait à former un orchestre qui se faisait entendre cinq fois par jour, à l’heure des cinq prières canoniques, devant la porte du palais des khalifes et des sultans, et trois fois, lors de la prière du matin, de l’après-midi et du soir, devant celle des principaux dignitaires de l’État. Lorsque le khalife voulait honorer l’un de ses grands officiers ou un prince, il lui accordait la prérogative d’avoir un orchestre de ce genre, thabalkhaneh. (Cf. Et. Quatremère, Hist. des Mongols de la Perse, et Hist. des Sultans mamlouks).

[71] Aboulfaradj place à l’année 529 de l’hégire (commencée le 22 octobre 1134), id46 des Grecs (i" octobre 1134-1135), l’envoi de ces insignes souverains fait par le khalife à Gazi, émir de Mélitène et fils d’Ibn el Danischmend. Il ajoute que le khalife accorda en outre à Gazi le titre de mélik, qui était immédiatement au-dessous de celui de sultan. Mais lorsque les députés du khalife arrivèrent auprès de Gazi, il était tombé malade, et comme il mourut au bout de quelques jours, ils proclamaient Mélik son fils Mohammed. Celui-ci alla s’établir à Césarée de Cappadoce, ville qui avait été détruite depuis longtemps, et qu’il rebâtit.

[72] J’ignore où Michel a puisé la mention des faits qu’il rattache au prétendu voyage du pape à Jérusalem et à Antioche. Il fait confusion, sans doute, avec quelque légat de Pascal II, qui était alors dans la chaire de Saint Pierre.

[73] Psaume xxxiii.

[74] L’an 1455 de l’ère syrienne = 1er octobre 1143-1144, et 571 de l’ère arménienne = 19 février 1122-18 février 1123. Michel est en retard d’un peu plus de six mois sur la première de ces deux dates et de vingt et un ans sur la seconde, pour l’avènement de Manuel Comnène, qui est d’avril 1143. (Cf. mes Recherches sur la Chronologie arménienne).

[75] C’était la branche des princes ortokides de Hisn-Keïfa et Amid, qui avait pour auteur Soukman, fils d’Artoukh.

[76] Michel, qui est en retard de vingt et un ans pour la date de la prise d’Édesse, est aussi dans l’erreur en disant que Nour ed-din régna à Mossoul après la mort de son père Zangui. Celui-ci avait laissé quatre fils, dont l’aine, Seïf ed-din Gazi, succéda à son père à Mossoul, et le second, Nour ed-din, régna à Alep, dont il s’était emparé.

[77] Michel, ennemi des Grecs, a raconté ce fait à sa manière. Ce qu’il y a de certain, c’est que le patriarche Cosmas fut déposé le 26 février 1147, pour avoir soutenu un moine nommé Niphon, infecté de l’hérésie des Bogomiles.

[78] Cette étymologie du nom d’Édesse, aussi conjecturale que les autres que donne Michel, fait songer au verbe être délecté, avoir plaisir d’une chose, se réjouir.

[79] Le connétable Sempad fournit la véritable date du retour de Thoros II, de sa captivité à Constantinople. Cette date est 590 de l’ère arménienne (14 février 1141-13 février 1142). Cf. ci-dessus, Grégoire le Prêtre.

[80] Aboulfaradj, qui a reproduit et étendu le récit (Chron. Syr.), rapporte que Thoros étant arrivé auprès de l’évêque de» Syriens, Mar Athanase, lui demanda de prier Dieu pour qu’il réussît à recouvrer les Etats de ses pères. Athanase lui fournit de l’argent pour acheter un cheval. Thoros, ayant rallié douze hommes, s avança contre la forteresse d’Amouda. Ceux de l’intérieur, reconnaissant leur maître légitime, lui livrèrent aussitôt cette place. Les Grecs de la garnison furent massacrés. Sa petite troupe s étant grossie d’Arméniens et de Francs il enleva aux Grecs, paralysés par la terreur qui leur causait, plusieurs autres forteresses.

[81] Dans Aboulfaradj (Chron. syr. p. 338), Il ajoute à cette énumération Tagankar, en arménien Tegh’enk’ar (Rocher jaune). Une inscription en vers rimés, tracée sur une plaque de marbre noir servant de maître-autel, dans l’église arménienne de Tarse, nous apprend que Tegh’enk’ar était une forteresse considérable de la Cilicie. Voir le Haïasdan, journal arménien de Constantinople, juin 1850, et M. Victor Langlois, Inscriptions grecques, romaines, byzantines et arméniennes de la Cilicie, Pans, 1854.)

[82] Cette princesse se nommait Béatrix ; veuve de Guillaume, seigneur de Saône, elle avait épousé Josselin II, et lui donna un fils, Josselin III, et deux filles, Elisabeth et Agnès. (Cf. Du Bouchet, Histoire généalogique de la maison de Courtenay.) Les Lignages d’outre-mer ne mentionnent qu’une fille, Agnès, mariée d’abord à Amaury, roi de Jérusalem, et ensuite à Hugues d’Ibelin.

[83] Octobre 1152-1153 et 17 février 1131-16 février 1132 ; différence, 21 ans. Dans mes Recherches sur la Chronologie arménienne, j’ai montré, d’après Guillaume de Tyr, que la date exacte est 1148.

[84] Les chevaliers qui accompagnaient le roi étaient au nombre de 375. Aboulfaradj dit que c’étaient des Frères (chevaliers de l’Hôpital ou du Temple).

[85] Sur la véritable date de la prise d’Ascalon par les croisés, cf. Grégoire le Prêtre.

[86] Je suppose que c’est le même qui est nommé Moudjahy ed-din Firouz, par Aboulfaradj, lequel était eunuque et émir de Tékrit, et avait pour ministres les deux frères, Eyoub, père du grand Saladin, et Schirakouh. Contrairement à ce que Michel rapporte, Ibn Alathir et Aboulféda (ad annum 549) disent que le khalife Moktafi et ensuite son vizir Aun ed-din ibn Hobeïra échouèrent devant Tékrit et furent forcés de rentrer à Bagdad.

[87] Khani, et en arabe, Ana, petite ville située sur une île du même nom, au milieu de l’Euphrate, avec un château fort, dans le voisinage et au nord de Haditha. (Géographie d Aboulféda et Merâcid el itthila).

[88] Octobre 1154-1155 et 16 février 1133, 15 février 1134 ; c’est la première de ces deux dates, la date syrienne, qui est correcte ; elle est confirmée par Grégoire le Prêtre, chap. cxvii, qui fixe pour la mort du sultan Maç’oud et l’avènement de son fils Kilidj Arslan II l’année 604 de l’ère arménienne (11 février 1155-10 février 1156).

[89] Il est presque inutile de faire remarquer l’erreur de Michel, puisque les Abbassides de Bagdad sont antérieurs de deux siècles aux Fatimides.

[90] Michel commet ici une grave méprise. Abbas n’était nullement le fils du khalife Dhafer, mais son vizir. Ayant tué le khalife, il proclama le fils de ce dernier, âgé de cinq ans, appelé Abou’l Kassem Iça, lequel prit le titre de Fâïz-binasr Allah ; en même temps, il pilla les trésors du palais. Les gardes et les eunuques noirs appelèrent pour lui résister Thalaï Ibn Razik, émir de Moniat Aboul khacib. A son approche, Abbas s’enfuit en Syrie avec les dépouilles qu’il avait enlevées. Mais les Francs l’arrêtèrent en route et le tuèrent. Thalaï prit alors le titre de vizir et le surnom de Mélik essaleh ; et ayant réclamé aux Francs Nasser, fils d’Abbas, qu’ils retenaient prisonnier, il le mil a mort dans le palais même du khalife, e4 fit attacher son cadavre à un gibet auprès de la porte Zoveïla, au Caire. (Ibn Alathir et Aboulféda, ad annum 549).

[91] Aboulfaradj dit pareillement que ce corps d’Arméniens, à la solde d’Abbas, était fort de trois mille hommes.

[92] C’étaient les Templiers de Gastim, château fort que l’Ordre possédait au nord de la Portella, Pylae Syriae, entre l’Amanus et la mer. Cf. Grégoire le Prêtre et Aboulfaradj. ad annum 1467 (1155-1156).

[93] Cette date de l’ère arménienne est en retard de vingt et un ans, puisque Aboulfaradj donne celle de 1467 des Grecs (octobre 1155-1156). Cette année, dit-il, l’émir de Marasch étant allé assiéger une des villes arméniennes, Sdéph’anè, frère de Thoros, réunit les Arméniens, qui se cachèrent pendant la nuit dans les maisons de leurs compatriotes. A l’aurore, aussitôt que la citadelle fut ouverte, ils s’emparèrent de la porte, ainsi que du mur extérieur, et entreprirent de miner le mur intérieur. Sur ces entrefaites, ayant appris que l’émir, avec un corps considérable de Turcs, arrivait, et effrayés à l’idée qu’ils allaient être cernés entre les deux murailles et exposés aux attaques du dedans et du dehors, ils pillèrent la ville, y mirent le feu, et, emportant tout ce dont ils pouvaient se charger, ils prirent la fuite avec les habitants. Parmi eux se trouvait l’évêque Mar Denys, fils de Tzaliba, qui fut emmené par ces abouti nobles Arméniens, et se sauva à pied clans le monastère de Kalaciour. Il composa trois pièces de vers sur ce désastre de Marasch ; car cette ville «dépendait de son diocèse. Les Turcs, de retour, faisant preuve d’humanité, montrèrent des dispositions pacifiques envers les chrétiens qui étaient restés, et rendirent aux fugitifs arméniens, qui rentraient, leurs maisons, leurs vignes et leurs champs. Mais un prêtre de cette nation, qu’ils soupçonnaient d’avoir été de connivence avec ses compatriotes, fut écorché vif. Au bout de trois jours, ils lui coupèrent la langue, les mains et les pieds, et le précipitèrent dans les flammes. Les Arméniens, indignés de cet acte de cruauté, firent subir le même supplice à quelques Turcs.

[94] L’atabek Schems ed-din Ildiguiz avait le gouvernement souverain de l’Azerbaïdjan et du Kurdistan. Il fut le premier des atabeks de l’Azerbaïdjan, dont la dynastie se prolongea jusqu’en 1225.

[95] Aboulfaradj ajoute que cette réconciliation eut lieu par l’intermédiaire des Francs, et que Sdéph’anè alla ensuite prendre du service cher ces derniers.

[96] Cf. au sujet de Dsou’lnoun, Grégoire le Prêtre, ch. cxvii. On voit, par ce que raconte Michel, que Kilidj Arslan se réconcilia avec Dsou’lnoun, afin de s’en faire un appui contre les autres princes de la famille de Danischmend.

[97] Ici est intercalé un récit de la conquête de l’Espagne par les Arabes, d’un caractère tellement fabuleux et puéril, que j’ai cru devoir le retrancher.

[98] C’est-à-dire les Arabes auxquels commandait Abd el Moumen, fils d’Ali, de la dynastie des Al monades, et souverain du Maroc. Michel fait allusion aux invasions que firent en Espagne les Almohades, et dans lesquelles ils mirent fia à la dynastie des Almoravides et remportèrent de très grands avantages sur les rois de Portugal, de Castille, de Léon, d’Aragon et de Navarre. A coite lutte contre les Arabes prirent part les Pisans et les Génois, Guillaume VI, comte de Montpellier, et Ermengarde, vicomtesse de Narbonne. (Cf. Dom Vaissette, Hist. de Languedoc) La puissance des Almohades ne fit que s’accroître, jusqu’à ce que la bataille de Las Navas de Tolosa (1213), désastreuse pour eux, amena leur expulsion de la Péninsule et prépara l’extinction de leur dynastie dans le Maroc.

[99] C’est-à-dire la Plaine Aleïenne, Aleius campus, aujourd’hui Tchukur-Ova, dans le Delta formé par le Sarus (Seyhân Tchaï) et le Pyramus (Djeyhân Tchaï). En suivant ce chemin, l’empereur dut côtoyer le golfe d’Issus (au moyen âge, Golfe des Arméniens) pour arriver à Antioche. (Cf. les cartes de l’Asie Mineure de Kiepert et Pierre de Tchihatcheff.)

[100] Cette guerre contre l’Égypte fut faite, non point par Baudouin III, comme le prétend Michel, qui brouille ici les événements, mais par son frère et son successeur, Amaury, qui entreprit contre ce pays rois expéditions, dans les limites des années 1164 et 1169. (Cf. la Table chronologique de Héthoum.) Deux historiens récents des croisades, MM. Wilken et Michaud, ainsi que M. Reinaud, dans ses Extrait des auteurs arabes relatifs aux croisades, ont résumé les récits des chroniqueurs occidentaux et orientaux sur la lutte que soutint Amaury contre Nour ed-din et ensuite contre Saladin à ses débuts. Il suffit de consulter ces ouvrages pour avoir l’intelligence du récit de Michel et y rétablir l’ordre. On pourra recourir aussi aux Annales d’Aboulféda, t. III, et en particulier à la Chronique syriaque d’Aboulfaradj.

[101] Cet émir était de la famille des Salthoukides ou Saltoukides, qui régnait à Arzen-erroum (Erzeroum). Suivant Ibn Alathir, les Géorgiens, après avoir une première fois battu et fait prisonnier Mélik Saltouk, en 548 de l’hégire (1153-1154), lui firent éprouver le même sort en 556 (1161) ; c’est ce dernier événement dont parle Michel, et qui eut lieu sous le règne de Giorgi III. Au milieu des divergences orthographiques que présente la transcription du nom de cet émir dans les auteurs arabes il est évident par le texte de Michel qu’il faut lire Saltouk, comme l’a conjecturé avec raison M. Defrémery (Fragments d’historiens et de géographes arabes et persans inédits, Journal asiatique, juin 1840).

[102] Girard était fils du connétable Eustache Grenier ou Garnier. Il eut en partage Saïda ou Saiette (Sidon), que le roi Baudouin Ier avait donné à son père. Son frère Gauthier était seigneur de Césarée (Lignages d’Outremer, ch. xviii, Ci dit des heirs de Saiette). Aboulfaradj, qui reproduit le récit de l’événement dont il est ici question, en fixe la date à 1471 des Grecs (octobre 11C0-1161), et nous donne ainsi exactement celle de la mort de Girard.

[103] Cette assertion de Michel sur l’empoisonnement d’Irène (Berthe), première femme de Manuel, répétée par Aboulfaradj, est contredite par Cinnamus (V, iv) et Nicétas Choniatès (Manuel Comnène, III, v), qui affirment que l’empereur lui donna de très grands regrets. La princesse qu’il épousa en secondes noces était Marie, fille de Raymond de Poitiers et de Constance, qui avait pour père Bohémond II. En s’asseyant à côté de Manuel sur le trône impérial, elle reçut, suivant l’usage des Grecs, en échange de son nom, celui de Xénê.

[104] Cf. Grégoire le Prêtre, chap., cxxxi.

[105] Grégoire le Prêtre, chap. cxxxiii.

[106] Le même, chap. cxxxiv.

[107] On a déjà vu que Michel a bouleversé la chronologie des rois de Jérusalem, et qu’il est considérablement en retard pour l’avènement d’Amaury. Ce prince régna onze ans et un peu moins de cinq mois, du 18 février 1162 au 11 juillet 1173, d’après Guillaume de Tyr (XIX, et XX).

[108] Cette expédition de Kara Arslan est fixer par Aboulfaradj à l’année 1474 des Grecs (octobre 1162-1163).

[109] C’est Bohémond III, dit le Bambe, fils de Raymond de Poitiers, et non de Renaud de Châtillon, comme le prétend Michel.

[110] La princesse Constance, pendant que son mari Renaud de Châtillon était dans les fers à Alep, voulut éloigner d’Antioche son fils Bohémond, dont elle se méfiait ; mais les grands s’y étant opposés, elle envoya dire à l’empereur Manuel, son gendre, qu’elle était prête à lui livrer Antioche. Le patriarche et les grands, ayant connu ses intentions, firent venir de la Cilicie Thoros, qui fit son entrée à Antioche, chassa Constance, tt plaça le jeune prince sur le trône. (Aboulfaradj).

[111] C’est le combat de la Bocquée, qui fut livré auprès du château des kurdes, en 1165, et dans lequel Nour ed-din faillit être pris par les chrétiens : le dévouement d’un kurde, qui se fit tuer, lui laissa le temps de s’échapper.

[112] Cf. Grégoire le Prêtre, chap. cxxxi.

[113] Octobre 1164-1165 et 14 février 1143-13 février 1144. Aboulfaradj est ici d’accord avec Michel pour la date syrienne, tandis que l’ère arménienne est, comme précédemment, en arrière de vingt et un ans.

[114] Gadoug, bourg de la seconde. Arménie ou Arménie Mineure, dans la partie sud du Thema Cappadociae.

[115] Laranda, Daranda ou Aranda, aujourd’hui Derindeh, à quinze lieues sud-est d’Iconium, au revers septentrional du Taurus et au pied du contrefort qui relie l’Ala-Dagh avec le Bolghar-Dagh. Après que Izz ed-din Kilidj Arslan se fut emparé de cette ville, elle resta au pouvoir des sultans d’Iconium jusqu’à ce que le roi Léon II, qui la convoitait de puis longtemps et qui, par un acte de 1210, s’était engagé, au cas où il s’en emparerait, à la céder aux Hospitaliers, l’enleva aux infidèles. Il la rendit, à prix d’argent, en 1116.

[116] Aboulfaradj dit à l’année 1476 (octobre 1164-1165), que Thoros, ayant pillé Marasch et fait prisonnier quatre cents Turcs, écrivit à Nour ed-din que s’il ne voulait point accepter la rançon des chefs chrétiens qu’il retenait dans les fers, il ferait périr ces Turcs dans les flammes ; et que Nour ed-din, effrayé de cette menace, consentit à traiter avec le prince arménien.

[117] En arabe ville et forteresse situées sur l’Oronte, au nord-est d’Antioche, entre cette dernière ville et Harem ; Caesara de Guill. de Tyr ; Casar de Robert le Moine. (Cf. Et. Quatremère, Histoire des sultans Mamlouks).

[118] J’ignore d’où Michel a tiré ce qu’il dit de la captivité de l’empereur Manuel chez les Boulgares, ce prince n’ayant jamais été en guerre avec eux. Dans ses expéditions sur le Danube contre les Hongrois et les Serbes, il fut toujours heureux, d’après le témoignage de Cinnamus et de Nicétas Choniatès.

[119] Ceci se rattache à la première expédition d’Amaury en Égypte, en 1164 ; Schirakouh, qui s’était renfermé dans Belbeïs, attaquée la fois par les Francs et les Égyptiens et commençant à manquer de vivres, consentit a une capitulation ; il évacua l’Égypte et reprit le chemin de la Syrie par le désert, en longeant les bords de la mer Morte.

[120] Théodora, femme de Baudouin III, était nièce de Manuel, et petite cousine d’Andronic. Voici sa généalogie :

[121] Michel aurait pu ajouter qu’il naquit du commerce de Théodora avec Andronic une fille, qui fut nommée Irène. Le fils fut appelé Alexis.

[122] Ce jeune prince était Roupen II. On fit dans Aboulfaradj : En décembre 1170 des Grecs (1167), mourut Thoros, prince de la Cilicie, lequel s’était fait moine quelque temps avant sa mort. Il laissa un fils en bas âge, qu’il avait déclaré son successeur, et dont il avait confié la tutelle à Thomas, fils de sa tante maternelle. Mleh, irrite d’être exclu de l’héritage de son frère, alla trouver Nour ed-din, et, à la tête d’un corps de Turcs que celui-ci lui donna, il envahit la Cilicie. Il enleva seize mille personnes, garçons et jeunes filles, hommes et femmes, prêtres, moines et évêques, et les conduisit à Alep. Là, les ayant vendus à des marchands, il distribua à ses soldats Turcs l’argent qu’il en retira. Cependant les Arméniens le rappelèrent, et lui donnèrent la moitié de la principauté, en lui faisant jurer de conserver au jeune prince l’autre moitié. Mais, infidèle à son serment, il s’empara de la totalité. Il fit crever les yeux à des évêques et à une foule de grands personnages, couper les mains et les pieds, arracher la peau, et jeter leurs corps en pâture aux animaux féroces. Deux ans plus tard, en 1481 des Grecs (octobre 1169-1170), le roi de Jérusalem [Amaury], informé des maux que les chrétiens avaient à souffrir de la part de Mleh, marcha contre lui, plein de colère, le prit, et le renferma dans une forteresse. Plus tard, Mleh ayant témoigné du repentir et promis d’être soumis à l’autorité du roi et de ne plus s’allier aux Turcs, Amaury cessa de lui faire la guerre et s’en retourna.

Suivant Guillaume de Tyr, Thomas était le fils de la sœur de Thoros, et par conséquent cousin germain de Roupen II ; mais les fonctions de tuteur dont il fut chargé, et qui supposent qu’il était plus âgé que Roupen, rendant l’assertion du chroniqueur syrien plus vraisemblable.

[123] Cette date est en arrière de vingt-cinq ans, et doit être rectifiée par celle que fournissent Ibn Alathir et Aboulféda, 567 de l’hégire fi (1711-1172), époque de l’extinction du khalifat des Fatimides en Égypte, par la mort d’Adhed lidin Allah, dernier prince de cette dynastie. Aboulfaradj est en retard d’un an, en indiquant l’année 1484 des Grecs (octobre 1172-1173).

[124] Voir, pour l’explication de ce mot, ci-dessus, Matthieu d’Édesse, chap. lxxxi.

[125] Nous savons cependant que Nour ed-din était un adepte fervent de la doctrine des Sunnites, et par conséquent le khalife d’Égypte était pour lui un hérétique et un usurpateur, et celui de Bagdad le légitime successeur de Mahomet et le véritable pontife de l’islamisme.

[126] Suivant Ibn Alathir le 9 de séfer 564 (12 novembre 1168), Schaver ordonna de brûler la ville de Misr, et prescrivit aux habitants de se transporter au Caire et de dévaster la contrée, ce qui fut exécuté ; et il ne resta plus rien, lors de l’arrivée des Francs. L’incendie se prolongea pendant cinquante quatre jours.

[127] Ceci a besoin d’être expliqué. Au milieu des troubles occasionnés en Égypte par l’émir Schaver, appelant à son aide tantôt les Francs, tantôt les troupes de Nour ed-din, qui se disputaient la possession de ce pays les armes à la main, le khalife Adhed envoya implorer de nouveau le secours de Nour ed-din, et, pour rendre ses instances plus pressantes, il mit dans sa lettre des boucles de cheveux de ses femmes et de ses filles. Nour ed-din fit partir pour l’Égypte Schirakouh et Saladin. A leur approche, les Francs s’enfuirent et retournèrent chez eux. Schaver cherchait les moyens de se défaire de Schirakouh, lorsque Saladin et Izz ed-din Djordik se saisirent de lui. Le khalife, en ayant été instruit, fit demander la tête de Schaver à Schirakouh, qui la lui envoya. Celui-ci fut investi du vizirat avec le titre honorifique de Mélik Mansour (roi victorieux) ; mais il mourut, après avoir occupé ces fonctions pendant deux mois et cinq jours, un samedi 22 de djoumada second 564 (23 mars 1169). Le khalife le remplaça par Saladin, qui était encore un jeune homme ; et bientôt le pouvoir tout entier appartint au nouveau ministre. (Aboulféda, Annal. moslem. t. III).

Dès qu’il fut devenu tout-puissant en Égypte, il reçut de Nour ed-din l’ordre de faire supprimer dans la khotba le nom du khalife Adhed, et d’y substituer celui de Mostadhi, khalife de Bagdad. Cet ordre fut exécuté le vendredi X de moharrem 567(11 septembre 1171). La famille d’Adhed lui cacha cette mesure ; il était alors gravement malade, et mourut le surlendemain. L’empire des fatimides avait duré deux cent soixante et douze ans soit en Afrique (à Sedjelmàça), soit en Égypte. (Aboulféda, t. III) ; Ibn Alathir, t. II).

Michel s’est trompé en disant que Schirakouh fit périr le khalife, puisqu’il est constant, comme l’affirment les deux chroniqueurs musulmans précités, que celui-ci mourut de maladie.

[128] Michel est le seul auteur, à ma connaissance, qui donne au père d’Eyoub et de Schirakouh le nom de Soliman ; partout ailleurs il est appelé Schadi.

[129] Le même récit sur les commencements de Saladin se retrouve dans le Continuateur anonyme de Samuel d’Am (ms. de la Bibl. imp. n° 96, ancien fonds arménien), qui ajoute qu’Eyoub et Schirakouh étaient si pauvres, qu’en arrivant à Tékrit ils se firent porteurs de bois.

[130] Dans Aboulfaradj (Chron. syr. p. 366), 1480 des Grecs (octobre 1168-1169) ; ainsi il y a retard dans Michel de dix-huit ans sur la véritable date.

[131] C’est ce même Denys qui avait composé deux poèmes sur la prise d’Édesse par Zangui, comme nous l’apprend Aboulfaradj.

[132] Octobre 1184-1185 et 9 février 1164-7 février 1165 ; retard de la date arménienne sur la date syrienne, 20 ans.

[133] La députation de Théorien vers Michel et saint Nersès Schnorhali eut lieu, non point aux dates qu’indique Michel, mais en 1170, comme le prouve la lettre de l’empereur Manuel dont cet envoyé était porteur, et qui est datée du mois de mai, indiction III. Dans cette lettre, Théorien est qualifié de legionis magister. On y fit qu’il était accompagné de Jean, supérieur du couvent arménien de Philippopolis ; cf. l’ouvrage intitulé Encyclique et lettres de S. Nersès Schnorhali (en arménien), éd. de Saint-Pétersbourg, in 4°, 1788).

[134] Les Arméniens complètent la formule du trisagion par une addition qui varie suivant la fête du jour et qu’ils adressent lotir à tour à l’une des trois personnes divines. C’est ainsi qu’ils disent en chantant cette hymne en l’honneur du Fils : qui as été crucifié par nous. Les Grecs prenaient prétexte de la pour leur reprocher de croire que la Trinité s’était incarnée et avait souffert la mort sur la croix, et s’efforçaient de leur faire retrancher ces paroles. S Nersès Schnorhali réfuta complètement cette accusation dans son « Exposé de la foi arménienne, rédigé par ordre de l’Empereur Manuel Comnène, en l’an 1166 de J. C. » On peut lire cet écrit du pieux et savant patriarche arménien traduit dans ouvrage intitule : Histoire, dogmes, traditions et liturgie de l’église arménienne orientale.

[135] La lettre de S. Nersès au patriarche Michel, telle qu’elle est rapportée ici, est en substance conforme à celle qu’on fit dans Assemani (Bibl. Orient. t. II. Dans une réponse de Nersès à Michel, insérée dans l’ouvrage précité (Encyclique et lettres, etc.), ce patriarche est loin d’être aussi explicite sur les questions théologiques alors en litige entre les Syriens et les Arméniens d’une part, et les Grecs de l’autre. Il faut donc admettre l’existence de deux pièces au lieu d’une seule qu’a connue M. l’abbé Cappelletti (Sancti Nersetis Clajensis Armeniorum catholici opera) : 1° La lettre écrite par Nersès à Michel, et rapportée par ce dernier et par Aboulfaradj (apud Assemani, loc. laud.), et que nous n’avons plus en arménien ; 2° une réponse de Nersès, la même qui se trouve parmi ses lettres arméniennes. (Cf. la relation de la conférence tenue entre Nersès et Théorien, relation reproduite par Galanus, Conciliatio ecclesiae amenacum romana, d’après la Bibliotheca maxima patrum, ainsi que mon ouvrage précité : Histoire, etc. de l’église arménienne orientale.

[136] Amaury avait épousé Marie, fille de Jean Comnène, protosébaste, neveu de l’empereur Manuel.

[137] Il est ici question du premier siège de Damiette entrepris par les chrétiens. Les Grecs étaient venus à leur secours en leur fournissant un corps de troupes et des vaisseaux. La flotte sortit du port de Ptolémaïs, et quelques jours après (7 des calendes de septembre = 26 août 1169) l’armée de terre se mit en marche en suivant le littoral. Les chrétiens arrivèrent devant Damiette le 6 des calendes de novembre (27 octobre). Cette expédition, comme on sait, échoua, et le roi s’en retourna à Ptolémaïs, où il arriva la veille de Noël (Guillaume de Tyr). Ibn Alathir fixe la date de séfer 565 (25 octobre-23 novembre 1169).

[138] C’est sans doute le tremblement de terre dont parle, à l’année 565, sous le quantième du 12 de shewal (29 juin 1170), Ibn Alathir, qui dit que ses secousses réitérées furent si terribles, qu’on n’en avait jamais vu de pareilles. Elles se firent sentir dans, toutes les parties de la Syrie de la Mésopotamie, à Mossoul, dans l’Irak et autres lieux. Mais nulle part elles ne furent plus intenses que dans la Syrie, où elles détruisirent en très grande partie Damas, Balbek, Hêms Hamna, Schéïzar, Barïn, Alep et autres villes. Les remparts et les tours de ces cités s’écroulèrent, et les maisons écrasèrent sous leurs raines les habitants, dont il périt un nombre incalculable. Cet événement est mentionné à la même date par Aboulfaradj, Guillaume de Tyr (XX, xix) et Robert Du Mont.

[139] Octobre 1182-1181 et 9 février 1164-7 février 1165. Différence en moins pour l’ère arménienne, dix-huit ans.

[140] Michel a beaucoup trop reculé la mort de Kothb ed-din Maudoud Abou’l moulouk, fixée par Ibn Alathir et Aboulféda au mois de dsou’l-hiddjé 565 (août-septembre 1170), d’accord avec Aboulfaradj, qui marque l’année 1481 des Grecs (octobre 1169-1170) et 565 des Arabes.

[141] Ibn Alathir (t. XI) dit que ce vizir se nommait Ibn el-Bélédi, et qu’ayant été appelé au palais pour assistera la proclamation de Mostadhi comme khalife, il fut tué en y entrant, et que son corps coupé en morceaux fut jeté dans le Tigre, et sa maison mise au pillage.

[142] Comme Amaury avait sollicité vainement les princes d’Occident, il se rendit à la cour de Manuel afin de lui demander du secours. On peut voir dans Guillaume de Tyr (XX) la description de la brillante réception qui lui fut faite. Mais il n’obtint que des promesses qui restèrent sans exécution, et, à son retour dans la cité sainte, il trouva Nour ed-din plus puissant et plus menaçant que jamais. (Cinnamus, VI, x.)

[143] Suivant Aboulfaradj, qui répète à très peu près le récit de Michel, les fils de Schahenschah étaient au nombre de quatre.

[144] En 1484 des Grecs (octobre 1172-1173), d’après Aboulfaradj (Chron. syr. p. 375).

[145] La fête de l’Exaltation de la Sainte-Croix, qui est fixée dans l’Eglise orientale, comme en Occident, le là septembre, est mobile dans l’Église arménienne, et se célèbre le dimanche qui tombe dans l’intervalle du 11 au 17 septembre inclusivement.

[146] C’était Ismaïl, neveu (fils de frère) de Yakoub Arslan, et par conséquent petit-fils de Mélik Gazi et arrière petit fils de Kumuschtékïn Ibn el Danischmend, fondateur de cette dynastie. Après la mort de Yakoub Arslan (1161), il épousa sa veuve, qui était la fille du sultan Kilidj Arslan II, et sa tante par alliance.

[147] Aboulfaradj ajoute que, dans cette révolte, les grands de la Cappadoce massacrèrent non seulement l’émir Ismaïl, mais encore sa femme et cinq cents de ses domestiques, esclaves ou servantes.

[148] 7 février 1171-8 février 1172 et octobre 1188-1189. — La date syrienne est fautive de dix-sept ans et la date arménienne d’une année seulement, puisque suivant l’auteur de ta Vie de saint Nersès Schnorhali, écrite sous le règne du roi Héthoum Ier, ce patriarche mourut le jeudi 13 août 621 de l’ère arménienne 1172.

[149] Le patriarche Grégoire IV, surnommé Dgh’a, était fils de Vasil, seigneur de Gargar’, frère de saint Nersès Schnorhali, et Grégoras, que Michel donne à tort pour frère de Grégoire, était fils de Schahan, autre frère de saint Nersès, et par conséquent son cousin germain. Ce dernier siégea plus tard (1194-1203), sous le nom de Grégoire VI, mais non pas immédiatement après son cousin, comme on pourrait peut-être le supposer d’après les paroles de Michel ; il y eut entre eux un autre catholicos, qui fut Grégoire V, dit Manoug, ou le Jeune Homme (1172-1194).

[150] Nour ed-din mourut d’une angine, le mercredi 11 de schewal 569 (15 mai 1174), suivant Ibn Alathir et Aboulféda, d’accord avec Aboulfaradj, qui indique le mois d’iyar (mai) 1486 des Grecs (1174) ; Guillaume de Tyr (XX, xxxiii) place cet événement une année plus tôt, en mai 1173.

[151] Amaury mourut non point à Acre, mais à Jérusalem, comme l’atteste formellement Guillaume de Tyr (XX, xxxv). Amaury venait de rentrer d’une expédition qu’il avait tentée contre Panéas, aussitôt après la mort de Nour ed-din, et non point contre Damas, ainsi que le dit Michel. Guillaume de Tyr raconte que la femme de Nour ed-din, qui se trouvait dans Panéas, lui offrit des sommes considérables pour l’engager à se retirer. Après un siège de quinze jours, le roi, voyant que la garnison opposait une résistance de plus en plus vigoureuse, et se sentant déjà malade, accepta ces propositions ; ayant obtenu en même temps la liberté de vingt chevaliers, il partit. On fit dans Ibn Alathir (ad annum 56oJ que l’émir Schems ed-din Mohammed ben Abd el Mélik ben el-Mokaddam, qui gouvernait pendant la minorité de Mélik Saleh, rassembla les troupes à Damas, et, s’étant mis en marche, envoya vers les Francs en les menaçant d’appeler de Mossoul Seïf ed-din Gazi, neveu de Nour ed-din, et de l’Égypte, Saladin, et de les attirer sur leur territoire. Les Francs consentirent à faire la paix et se retirèrent après avoir obtenu de l’argent et la délivrance d’un certain nombre de captifs.

[152] La date de la mort d’Amaury, dans Aboulfaradj, est 1485 des Grecs (1174), au mois de tamouz ou juillet, quarante jours après celle de Nour ed-din ; Guillaume de Tyr, qui s’accorde avec l’historien syrien sur le mois (5 des ides = 11 de juillet), diffère sur l’année (1173), comme pour la mort de Nour ed-din.

[153] La dynastie de Danischmend ayant fini, comme on le voit dans Aboulfaradj en 1174, et ayant duré cent vingt-deux ans, dut commencer, d’après ce calcul, en 1052.

[154] Ibn Alathir affirme que Seïf ed-din s empara successivement de Nisibe, de Harran, d’Édesse, de Rakka et de Seroudj, et de toutes les possessions de Nour ed-din dans la Mésopotamie, à l’exception de Kala’-Dja’bar et de Ras Aïn.

[155] Nedjm ed-din Abou’l modhaffer Alby, fils de Timourtasch, l’Ortokide (1153-1176).

[156] Soukman II, fils de Dhahir ed-din Ibrahim (1128-1185).

[157] Suivant Aboulfaradj, en 1486 Grecs (octobre 1174-1175), les grands de la Cilicie s’étant révoltés contre Mleh, celui-ci, effrayé, se réfugia dans une forteresse. Les gens de la garnison, qui savaient tout le mal qu’il avait fait aux chrétiens, le tuèrent, et jetèrent aux chiens son corps coupé en morceaux. Suivant le témoignage, ici préférable des auteurs arméniens, Mleh reçut la sépulture chrétienne dans le couvent de Medz-K’an (Cf. Tchamitch, t. III) Il avait régné cinq ans.

[158] Le comte de Tripoli, Raymond, ainsi que Josselin, fils de Josselin le jeune, avaient été fait prisonniers par Nour ed-din en 559, de l’hégire =1164 (voir Grégoire le Prêtre, ch. cxxix), et Renaud de Châtillon par Medjd ed-din ibn Daïé, lieutenant de Nour ed-din, en 1161.

[159] La mort de Nedjm ed-din Abou’l modhaffer Alby, et l’avènement de son fils Kothb ed-din II Gazi sont placés par Aboulfaradj (Chronicon syriacum) en l’année 1487 des Grecs (octobre 1175-1176), et 571 de l’hégire (22 juillet 1175-9 juillet 1176).

[160] Aboulfaradj ne nomme qu’un de ces princes, Dsou’lnoun, qui s’était réfugié en 1174 auprès de l’empereur, lorsque, après la mort de Nour ed-din, Kilidj Arslan était venu s’emparer de Sébaste, Néo-Césarée et Camana.

[161] 1La guerre de Manuel Comnène contre Izz ed-din Kilidj Arslan, commencée en 1176, dura jusqu’en 1179. Elle a été racontée par Nicétas Choniatès et Guillaume de Tyr (XXI, xii).

[162] Ce prince, appelé Jean Cantacuzène, était le neveu par alliance de l’empereur Manuel, qui lui avait donné en mariage Marie, fille de son frère Andronic Sébastocrator et veuve de Théodore Dasiota. (Du Gange, Famil. byzant. p. 209.) Suivant Nicétas Choniatès (VI, iv), il fut tué à la bataille de Myriocéphalon, forteresse en ruines située au nord-ouest d’Iconium, et où les Grecs furent mis complètement en déroute par les Turcs, en septembre 1171. »

[163] Aboulfaradj raconte que Kilidj Arslan investit Mélitène avec des forces immenses pendant quatre mois. Laissant le siège traîner en longueur, il ordonna à ses soldats de bâtir des maisons de briques, comme pour hiverner, et en fit élever une pour lui avec les pierres qui surmontaient les sépulcres. L’émir de Mélitène, craignant que les principaux de la ville, pressés par un blocus rigoureux et par la famine, ne le livrassent au sultan, lui demanda la vie sauve et se retira dans la forteresse de Zaïd (Kharpert). Kilidj Arslan devint ainsi maître de Mélitène, le mercredi 25 de tischrin premier 1489 des Grecs (25 octobre 1177). — Il ne faut pas oublier que cette année 1177 ayant eu 10 du cycle solaire et B pour lettre dominicale, le 25 octobre fut un mardi, et non point un mercredi.

En disant que l’émir de Mélitène était le dernier des Danischmend, Michel veut parler sans doute d’une ligne collatérale ; car nous avons vu que la ligne directe avait fini trois ans plus tôt en 1174.

[164] Cette bataille eut lieu non loin de Ramla, dans le mois de djoumada premier .573 (octobre 1177), d’après Ibn Alathir, Aboulféda et Aboulfaradj qui indique en même temps l’année 1489 des Grecs (1er octobre 1177-1178). Guillaume de Tyr a décrit longuement ce fait d’armes si glorieux pour les chrétiens. M. Reinaud a résumé le récit d’Ibn Alathir dans ses Extraits des historiens arabes relatifs aux croisades. — A peine ai-je besoin de faire remarquer que Michel fausse, comme d’habitude dans ce paragraphe et les suivants, la date arménienne, en l’anticipant de deux ans et quelques mois.

[165] Cet émir, qui s’appelait Sa’d ed-din Kumuschtékîn, était vizir de Mélik Saleh, fils de Nour ed-din. Originaire de l’Occident, il fut accuse de favoriser les chrétiens et d’être chrétien lui-même au fond du cœur ; on lui fit un crime d’avoir mis en liberté les captifs pris par Nour ed-din, et, entre autres, Renaud de Châtillon. Mélik Saleh le fit périr.

[166] Les chroniqueurs arabes passent sous silence l’échec que reçut en premier lieu Saladin lorsqu’il vint attaquer la forteresse que les Francs avaient Iwtie auprès de Panéas, et dont la défense avait été confiée aux Templiers. Ils ne mentionnent que la revanche qu’il prit bientôt après, et dans laquelle les musulmans mirent les chrétiens complètement en déroute, et firent un très grand nombre de prisonniers, parmi lesquels Ibn Alathir énumère le fils du seigneur de Ramla et de Maplouse, qui était le plus considérable des chrétiens après le roi ; le frère du seigneur de Djobaïl (Gibelet) ; le seigneur de Tibériade ; le grand maître des Templiers et celui des Hospitaliers, ainsi que le seigneur de Djînin (Ginum ou Ginea).

[167] Marie, fille d’Irène (Berthe), la première femme de l’empereur Manuel. Elle avait épousé, à l’âge de trente ans passés, un jeune homme qui n’en comptait que dix-sept, Réguier, second fils de Guillaume l’Ancien, marquis de Montferrat ; Hunier reçut de Manuel, avec le nom de Jean, le titre de César. (Du Cange, Famil. byzant.) Cette princesse fut l’âme de cette conspiration, ourdie dans le but de renverser le protosébaste Alexis, amant de l’impératrice, et qui la gouvernait ainsi que le jeune prince.

[168] Nour ed-din Mahmoud, fils de Kara Arslan, prince ortokide de Hisn-Keïfa et d’Amid, lui succéda en 1167.

[169] Seïf ed-din Gazi mourut en 576 de l’hégire suivant Aboulfaradj, Ibn Alathir et Aboulféda, le 3 de séfer = 3o juin 1180, d’après ces deux derniers ; et Mélik Saleh Ismaïl l’année suivante, dans le mois de redjeb = novembre.

[170] Suivant Nicétas Chômâtes, l’impératrice fut étranglée par l’eunuque Ptérygionite et l’hétaeriarche Constantin Tripsyche et l’empereur son fils avec une corde d’arc par ce même Constantin Tripsyche, Etienne Hagiochristophorite et un certain Théodore Badibrène, préfet des Rhabdophores. (Alexis Comnène).

[171] Andronic, qui succéda à Alexis II, régna vingt et un mois et quelques jours, jusqu’au commence ment de septembre 1185. Saisi par le peuple, que ses cruautés avaient irrité, il fut chargé déchaînes et abîmé de coups ; après qu’on lui eut crevé un œil on le promena, dans le forum, sur un chameau galeux. Il expira dans les tourments les plus ignominieux et les plus affreux. (Nicétas Choniatès, Andronic Comnène, II)

[172] Cette expédition est fixée par Ibn Alathir et Aboulféda au mois de rabi second 580 (juin-juillet 1184).

[173] Cf. sur la position de Palou, clans l’ancienne Arménie, une note précédente. Aujourd’hui le district de Palou est une des divisions du pachalik de Diarbékir. (Indjidji. Arménie moderne).

[174] Roupen III et Léon II étaient fils de Sdéph’anè. Le premier, qui était l’aîné, gouverna la principauté de Cilicie, avec le titre de baron, depuis 1175 jusqu’à sa mort, arrivée en 1189. Il avait épousé Isabeau, fille de Honfroy, seigneur de Thoron et de Krak. Comme il ne laissait pas d’héritier mâle, Léon lui succéda immédiatement.

[175] On lit dans Aboulfaradj que Léon racheta son frère aîné en donnant au prince d’Antioche 30.000 dinars, et en lui cédant les deux villes de Mamistra et Adana. — Ces mêmes faits sont ainsi racontés par Tchamitch, t. III à l’année 1182. Après la mort de l’empereur Manuel, l’inimitié s’étant réveillée entre les Arméniens et les Grecs, Roupen (troisième du nom) attaqua Taise, qui appartenait à ces derniers, et s’en empara. Il leur enleva pareillement la place forte de Mamistra. Cette agression le brouilla avec le sébaste Héthoum (II), seigneur de Lampron, et gendre de Thoros, oncle paternel de Roupen. En effet. Héthoum, qui était le vassal et le fidèle allié des Grecs, avait été chargé par l’empereur du commandement de la province de Tarse, et il regarda l’attaque de Roupen comme une agression personnelle. L’année suivante, la querelle s’envenimant de plus en plus, Roupen réunit des forces considérables, et vint investir Lampron. Il exigeait que Héthoum se soumit et lui remît cette forteresse. Mais comme Héthoum rejetait ces propositions, et qu’en même temps il était impuissant à résister en rase campagne à son ennemi, il se tint pendant un an entier renfermé dans la place. Enfin, réduit à l’extrémité, il écrivit à Bohémond le Bambe, pour le supplier de venir à son secours, promettant de lui donner tout ce qu’il lui demanderait. Bohémond, qui n’osait se mesurer les armes à la main avec Roupen, employa la ruse. Il lui envoya un message pour l’inviter, sous un prétexte amical, à venir lui faire une visite ; et, l’ayant fait asseoir à un banquet, il se saisit de lui et le chargea de fers. A cette nouvelle, Léon, frère de Roupen, plein de douleur et d’indignation, n’eut plus d’autre désir que de le venger. Mais craignant que s’il attaquait ouvertement le prince d’Antioche celui-ci ne fit mourir Roupen, il se tourna contre Héthoum. Il alla mettre de nouveau le siège devant Lampron, et pressa tellement cette forteresse, qu’il contraignit Héthoum à demander la paix. Une des conditions fut que celui-ci emploierait sa médiation auprès de Bohémond pour procurer la liberté à Roupen (118 4). Elle lui fut en effet rendue moyennant la rançon que Léon s’engagea à fournil. Roupen donna sa fille Aalis (Aghida) en mariage à Bohémond, fils cadet de Bohémond le Bambe ; et il fut stipulé qu’après la mort de ce dernier le jeune Bohémond lui succéderait à Antioche. De cette union naquit un fils, qui fut appelé Raymond Rupin (Roupen). La paix fut ainsi rétablie entre les princes d’Antioche et les barons arméniens de la Cilicie.

[176] Le nom de Mur, que les Arménien’» donnent aux Mèdes, descendants de Madaï, est fort ancien, puisqu’il se retrouve dans Faustus de Byzance, auteur du ive siècle. Plus tard, ce nom a été applique aux Kurdes, d’après une opinion qui assigne à ce peuple, pour demeure primitive, la Grande Médie (Cf. Tchamitch, t. III).

Sur l’adjectif ethnique Thorgomien, par lequel les Arméniens se désignent eux-mêmes, ainsi que les Turcs et les Turcomans, comme issus d’un ancêtre commun. Thorgom (Thogarmah).

[177] Schébègh’than, en arabe Schebekhtân, district de la Mésopotamie arménienne.

[178] Au sujet de Thëlmouzen, voir dans l’Extrait de Matthieu d’Édesse. La position d’Arabthil m’est inconnue mais comme elle se trouvait dans le voisinage de Thëlmouzen ; elle doit être cherchée dans la Mésopotamie, le nom d’Arabthil, signifie, en arménien, « bourg ou château des Arabes ».

[179] Raymond III, fils de Raymond II, arrière petit-fils de Raymond de Saint-Gilles. Il est à remarquer que tous les auteurs chrétiens, latins, syriens et arméniens, et parmi ces derniers Guiragos, Vartan et le continuateur du chronographe Samuel d’Ani, sont d’accord pour accuser le comte de Tripoli d’avoir trahi les chrétiens à la bataille de Hotteïn ou Tibériade, tandis que les auteurs musulmans sont unanimes à le disculper. Il parait seulement que Raymond, mécontent du mariage de Sibylle, comtesse de Jaffa, avec Guy de Lusignan, et de l’élévation de ce dernier au trône de Jérusalem, eut d’abord quelques intelligences se crêtes avec Saladin ; mais ensuite il se rallia franchement à la cause des chrétiens, et, ce qui le prouve, c’est le témoignage positif d’Ibn Alathir et d’Aboulféda, qui racontent qu’après la bataille de Hotteïn il se retira à Tripoli, où il mourut, peu de temps après, du chagrin que lui causa ce désastre. Un écrivain moderne, suspect, avec juste raison, de légèreté. Vertu ! (Histoire de l’ordre de Malte) a reproduit cette odieuse accusation contre le comte de Tripoli ; mais il a été suffisamment réfuté par dom Vaissette (Hist. de Languedoc) et par son nouvel éditeur, M. Alex. Du Mége (Additions au livre XVII), ainsi que par Marin, dans son Histoire de Saladin, et Michaud (Histoire des croisades).

[180] La bataille de Hotteïn ou Tibériade fut livrée le 26 de rabi second 583 (4 juillet 1187) d’après Ibn Alathir et Aboulféda, et la même année d’après Aboulfaradj. Le même quantième du 4 juillet est donné par l’auteur anonyme de Historia hierosolymitana, qui dit : die Translationis sancti Martini (apud Bongars, t. 1), et le continuateur de Guillaume de Tyr, où l’on lit : « celi jor estoit samedi, et si funeste de saint Martin le Boilant. » Sanuto est en retard presque d’un an en indiquant le 2 juin 1188 (lib. III, part, ix, cap. iv).

[181] Amaury, frère du roi Guy de Lusignan et connétable du royaume de Jérusalem, plus tard successeur de Guy sur le trône de Chypre. Il fut fait prisonnier à la bataille de Hotteïn, mais, plus tard, délivré en même temps que son frère. (Contin. de Guillaume de Tyr, XXIV) Michel se trompe donc, en affirmant qu’Amaury fut massacré avec les autres prisonniers, Hospitaliers ou Templiers

[182] Cette date du second siège de Karak et de Schaubek par les musulmans est en retard de trois ans, puisque Ibn Alathir marque l’an 584 (2 mars 1188-18 février 1189). Ce n’est point Saladin, mais Malek Adel, son frère, qui conduisit alors ce siège. Les deux places assiégées se rendirent à composition.

[183] A cette énumération des conquêtes de Saladin sur les croisés, il faut ajouter Naplouse. Jéricho, Ramla, Arsur, et une foule d’autres villes qui restaient sans défenseurs et presque dépeuplées.

[184] Saladin étant ensuite aile attaquer Antioche, Bohémond lui fit demander une trêve. Saladin y consenti), en réclamant les prisonniers musulmans. Une suspension d’armes ayant été conclue à partir du 1er jour de tischrîn premier ou octobre jusqu’à la fin d’iyar ou mai, il envoya un député à Antioche pour veiller à ce que la principale clause de ce traité, la délivrance des captifs, fût fidèlement exécutée. Puis il partit pour Alep, le 3 de chaban 584 (27 septembre 1188), et de là pour Damas, où il licencia les troupes auxiliaires qui lui étaient venues de la Mésopotamie. (Aboulfaradj, Chron. syr.)

[185] Ërzenga ou Ezenga et, en arménien vulgaire, Ezengan ; en arabe, Arzindjan, ville du district d’Eguégh’iats (Acrisène), dans la province appelée Haute Arménie.

[186] Aboulfaradj mentionne la révolte du fils aîné du sultan Kilidj Arslan à l’année 1500 des Grecs (octobre 1188-1189). Il ajoute que le sultan éloigna Ikhtiar ed-din Haçan, son secrétaire et son chambellan, qui allait colportant des propos entre le père et les fils. Ikhtiar ed-din, ayant rassemblé ses parents et x» domestiques, qui formaient un corps d’environ deux cents cavaliers, se dirigea vers le pré de Kanioukh. Le fils du sultan envoya contre lui des Turcomans, qui le mirent en déroute, le massacrèrent et promenèrent dans Sébaste, le jour de la fête de la Sainte Croix, les lambeaux de son corps, suspendus à leurs lances.

[187] Mo’ezz ed-din, et non point, Izz ed-din, qui était le surnom du sultan Kilidj Arslan, père de ce prince. Mo’ezz ed-din alla trouver Saladin dans le mois de ran.1adh.1n 587 (octobre 1191) pour implorer son appui. Kilidj Arslan, en divisant ses États entre ses enfants, lui avait donné Malathia et à son autre fils Kothb ed-din Mélik Schah, la ville de Sivas. Kothb ed-din, qui dominait son père, voulait le contraindre à reprendre Malathia à Mo’ezz ed-din pour se faire donner cette ville. Saladin reçut avec honneur le prince fugitif, et lui fit épouser la fille de son frère Malek Adel. Fort de cette protection, Mo’ezz ed-din rentra à Malathia dans le mois de dsou’lkadé décembre (Ibn Alathir, Aboulféda).

[188] C’est par erreur que Michel dit que les croisés, arrivés de toutes les contrées de l’Europe, et qui mirent le siège devant Ptolémaïs, étaient sans chef. Ils avaient à leur tête le roi Guy de Lusignan, qui, dégagé de ses fers, fut relevé par un conseil d’évêques du serinent par lequel il s’était engagé envers Saladin à quitter la Terre Sainte et à revenir en Occident.

[189] D’après Aboulfaradj, l’empereur Frédéric Barberousse, déjà avancé en âge, s’apprêtant à se baigner dans le Calycadnus, le Saleph des chroniqueurs du moyen âge (aujourd’hui Gueuk-Sou), fut saisi par le froid très rigoureux qu’il faisait ce jour-là, tomba malade, et mourut en ce lieu.

[190] Henri de Champagne, neveu à la fois du roi d’Angleterre et du roi de France, plus tard marquis de Tyr et roi titulaire de Jérusalem par son mariage avec Isabelle, fille du roi Amaury, et veuve de Conrad, frère de Guillaume, marquis de Montferrat.

[191] La mort de Kilidj Arslan II est marquée dans Aboulfaradj à l’année 1503 des Grecs, vers la fin du mois d’ab (août 1192). Lorsque, dans ses dernières années, il partagea ses États entre ses fils, Khotb ed-din Mélik Schah avait obtenu Iconium, la capitale, outre Sivas. Il en fut expulsé par son frère Ghiâth ed-din Keï Khosrou, qui, lui-même, fut chassé à son tour par son autre frère Rokn ed-din Soleïman. Ibn Alathir et Aboulféda fixent la mort de Kilidj Arslan au 15 de chaban 588 (1er août 1192).

[192] Saladin mourut le mercredi malin 27 de séfer 589 (4 mars 1193), suivant Aboulféda d’accord avec Aboulfaradj

[193] Mo’ezz ed-din Sindjar Schah était non point frère de Izz ed-din Maç’oud, mais le fils du frère de celui-ci, Seïf ed-din Gazi. Cette levée de boucliers ne fut qu’un vain effort des princes atabeks descendant de Zangui, père de Nour ed-din, contre la famille alors toute puissante des Eyoubites. Saladin, oubliant ce qu’il devait à la mémoire de Nour ed-din. à la cour duquel il avait grandi, objet de sa bienveillance et qui avait commencé sa fortune, ne laissa à Mélik Saleh, fils de son bienfaiteur, qu’une ombre d’autorité à Alep, jusqu’à ce qu’il eut enlevé cette ville à Emad ed-din Zangui, cousin et successeur de Mélik Saleh.

[194] Ibn Alathir nomme ce prince Moghith ed-din ; l’auteur arabe raconte comment, par suite du partage que fit Kilidj Arslan de ses Etats entre ses fils, des troubles survinrent et se prolongèrent longtemps après sa mort, jusqu’à ce que Rokn ed-din Soleïman eut achevé de triompher de ses frères, et eut terminé sa carrière vers 601 (1203-1204).

[195] Le texte porte par erreur Mélik Saleh.

[196] Pour tout ce qui a rapport au règne de Léon II, de Philippe, fils de Raymond le Borgne, prince d’Antioche, et de Héthoum Ier, de la maison des princes héthoumiens de Lampron, ou peut voir la Chronique rimée de Vahram, et l’Extrait de la Chronique du connétable Sempad.

[197] En terminant, Michel fait allusion à l’ouvrage qui, dans nos manuscrits, vient après sa Chronique, et qui a pour titre : Touchant l’origine des institutions sacerdotales.