HISTOIRE POPULAIRE & ANECDOTIQUE DE NAPOLÉON III

 

CHAPITRE IV. — LA FRANCE SOUS LE SECOND EMPIRE.

 

 

TACITE, nous faisant un tableau de l'Empire Romain à la veille de sa chute, nous a laissé cette page vigoureuse.

Nous lisons que Rusticus et Sénécion furent mis à mort pour avoir loué l'un Thraséas, l'autre Helvidius. On ne se contenta point de sévir contre les auteurs mais même contre leurs écrits et les triumvirs furent chargés de brûler les immortels monuments de leur génie dans les Comices et au Forum. Sans doute, on croyait étouffer dans ces flammes la liberté du peuple Romain, la liberté du Sénat, la liberté du genre humain. Les philosophes furent chassés et on exila jusqu'aux arts honnêtes pour faire disparaître les dernières traces de la vertu : certes nous avons donné un grand exemple de patience, et si les temps anciens ont connu tout ce qu'il y a d'extrême dans la liberté, nous avons, pour notre part, connu l'extrême servitude quand l'espionnage nous enlevait le droit de parler et d'entendre. Nous eussions même perdu le souvenir avec la parole si l'homme peut oublier comme il peut se taire.

 

Tel était, trait pour trait, l'état de la France, le lendemain du 2 décembre et si les noms latins de Rusticus et de Sénécion, de Thraséas et d'Helvidius ne nous reportaient aux temps anciens, nous pourrions croire ces lignes écrites par un témoin de cette époque lugubre. Jamais en effet, même aux plus mauvais jours de notre histoire, la France ne fut plus terrorisée, plus abaissée ; une magistrature vendue ; une armée ayant perdu toute notion de sa dignité ; une presse immorale ayant ordre de pousser à la corruption, encensant le pouvoir par intérêt ; un clergé complice de tous les crimes de l'homme de décembre ; un agiotage effréné, une incroyable dissolution de mœurs que l'on avait à peine dépassée sous la régence et à la fin du directoire, tel est le Bilan de cette période sinistre !

Tel qui, le matin, sortait paisiblement de sa maison n'était pas sûr d'y rentrer le soir. Pendant les premières années qui suivirent le Coup d'Etat chacun se tint sur un qui vive perpétuel : ce n'était alors, que poursuites, condamnations, proscriptions, exils.

Voir d'ailleurs le tableau officiel plus éloquent, à lui seul, que toutes les phrases les plus éloquentes ou les plus indignées, intitulé : Etat des individus qui après décembre ont été l'objet de mesures pénales, et signé par DE MAUPAS, ministre, secrétaire d'Etat au département de la police générale.

Voulant se piquer de libéralisme, l'Empereur, le 29 janvier 1853, proclamait une prétendue amnistie, à condition que les amnistiés s'engageraient à ne rien faire contre le gouvernement de l'élu ? du pays. — En outre, ceux qui protesteraient contre cette prétendue mesure de clémence devaient être mis sous la surveillance de la haute police.

Quelques exilés, quelques internés rentrèrent en France, même à ces conditions humiliantes : ils étaient si malheureux loin de la Patrie ! Pieds et poings liés, livrés à la direction de leurs gardiens, de la gendarmerie, ils devaient chaque matin se présenter à la caserne et signer leur nom sur un registre spécial ; la loi qu'ils n'avaient plus le droit d'invoquer ne semblait plus être écrite pour eux comme pour les autres citoyens et, quand toute la journée ils s'étaient épuisés dans un ingrat travail de défrichement, ou qu'ils avaient sous les ardeurs d'un soleil mortel, cassé des cailloux sur la grand'route, ils ne trouvaient en rentrant qu'une nourriture mauvaise, parcimonieuse, et insuffisante à réparer leurs forces perdues.

Les exilés, eux, ne furent, à l'origine, guère plus heureux. — Dans certains pays, par exemple, ils ne pouvaient : ouvriers, monter des ateliers et mettre à profit leurs industries ; avocats, ils ne pouvaient plaider ; professeurs ils ne pouvaient donner des leçons ou faire des conférences. Ce ne fut que plus tard et lorsque ce vent de terreur eût cessé de souffler, que Madier de Montjau, Bancel, Challemel-Lacour eurent la liberté de parler. Seule, l'Angleterre fut hospitalière sans réserve : la Belgique et la Suisse elles aussi, accueillirent bienveillamment nos émigrés ; quant à l'Espagne, — et cela se comprend, — elle se montra plus qu'hostile à ceux que chassait de France le despotisme de l'aventurier couronné.

Pour enfler les listes de grâce on y faisait figurer des morts ou des évadés ; on paraissait, ainsi, avoir gracié un plus grand nombre de citoyens. Mais tous ne voulurent pas profiter de cet humiliant pardon.

Votre amnistie cache un piège, répondit Charras, comme chacune de vos paroles, comme chacun de vos serments !

Et Schœlcher : — Votre amnistie est un nouveau piège tendu par des hommes experts en coups de Jarnac.

Pourquoi était-on arrêté ? Pourquoi était-on condamné ? Certes, l'Empire ne fut pas scrupuleux sur les motifs : il suffisait qu'il vous eût à l'œil pour, au moindre prétexte, vous saisir au collet.

En voulez-vous un exemple ? Lisez ce que raconte M. Ranc dans la préface de son admirable récit. Une évasion de Lambèze.

Le 8 septembre 1855, devant le Théâtre-Italien, où Napoléon III était attendu, un jeune homme, nommé Bellemare, tira deux coups de pistolet sur la voiture des dames d'honneur de l'impératrice. Le lendemain, le Moniteur rendant compte de l'événement disait que ce jeune homme avait tiré presque sans viser et qu'il paraissait plutôt un maniaque qu'un assassin.

Bellemare avait été détenu deux ans à Sainte-Pélagie, où je l'avais connu, et à Belle-Isle. C'était un tempérament fébrile et un esprit un peu mystique. Lorsqu'il arriva de Belle-Isle il revit ses anciens camarades de Sainte-Pélagie, moi entr'autres, et il leur parla vaguement d'un grand projet qu'il avait. Il voulait, disait-il, donner sa vie, se sacrifier. Personne ne fit attention à ses propos. On ne prenait guère Bellemare au sérieux. Un soir, pourtant, il alla acheter des pistolets de poche, et au moment où les voitures de la Cour arrivaient sur la place Ventadour, il lâcha ses deux coups.

Cela se passait à neuf heures ; à minuit j'étais arrêté ; le lendemain matin, on arrêtait mon camarade Pascal Lange, aujourd'hui gérant de la Petite République française, qui, lui aussi, avait connu Bellemare à Sainte-Pélagie. Lange comparut une fois devant le juge d'instruction, puis il n'entendit plus parler de rien. Moi, je ne fus pas interrogé du tout. J'étais, du reste, fort tranquille, n'ayant absolument rien fait qui pût me compromettre, et certain que Bellemare était incapable de porter contre moi une accusation fausse. En effet, plus tard, lorsque j'allai en Afrique, un de mes gendarmes me montra ma feuille signalétique, et j'y vis qu'on me reprochait seulement d'avoir connu les projets de Bellemare.

Néanmoins, les jours se suivaient et se ressemblaient au Dépôt de la Préfecture. On ne m'interrogeait pas, mais je ne sortais pas pour cela. Un jour j'appris que Bellemare, reconnu atteint d'aliénation mentale, avait été conduit à Bicêtre ; donc il n'y avait pas de procès, donc j'allais être mis en liberté !

Ah bien oui ! les semaines s'écoulaient sans que rien fût changé à ma situation. Enfin, un jour, au bout de trois mois, je suis appelé au greffe du Dépôt ; je descends et je me trouve en face d'un commissaire de police qui me lit un arrêt de M. Billault, ministre de l'intérieur, portant en substance que, vu le rapport de M. Piétri, préfet de police, vu le décret du 8 décembre 1851, vu le jugement correctionnel qui m'avait condamné antérieurement à un an de prison pour société secrète, j'allais être transporté à Cayenne.

Cet arrêté était fort en règle, le décret du 8 décembre très formel ; il n'y avait rien à dire. C'est le même décret qui fut, quelques mois après, appliqué à Charles Delescluze et à d'autres détenus politiques, à l'expiration de leur peine. Je me bornai donc à demander au commissaire de police quand aurait lieu le départ, et si j'aurais le temps de faire quelques préparatifs. Le commissaire, fort poli, du reste, et presque ému, me répondit qu'il l'ignorait et de m'enquérir auprès de M. le Préfet de police. Je m'adressai au préfet, pas de réponse. Cela sentait mauvais, et me voilà m'attendant à être enlevé le soir même, sans pouvoir embrasser ma mère, sans voir mon père, qui était absent de Paris.

Heureusement, nous n'étions que deux politiques en partance, Pascal Lange et moi, et on ne pouvait pas faire pour nous seuls les frais d'un transfèrement. On attendit quinze jours qu'il y eût à la Roquette assez de forçats disponibles pour remplir une voiture cellulaire. Grâce à ce répit, ma famille pur agir ; une de nos parentes, Mme de Mouzay, qui connaissait quelques personnes du monde officiel, s'employa avec cette activité que savent mettre les femmes quand on en appelle à leur dévouement et elle parvint à faire changer Cayenne en Lambèse. C'était l'Algérie au lieu de la Guyane. Je lui en fus profondément reconnaissant, surtout pour les miens, dont la douleur et les inquiétudes étaient ainsi allégées de moitié, car, pour moi, j'ai la vie dure, et j'ai idée que je me serais tiré de Cayenne comme de Lambèse. Lange partit pour Cayenne. Il y resta dix-huit mois, après quoi il fut interné en Algérie jusqu'à l'amnistie. Aucun journal, bien entendu, ne parla de notre aventure. Dans ce temps-là on luttait et on était frappé obscurément. Il fallait avoir le courage de nuit.

 

Cette terreur, s'il est possible, eut une recrudescence, le lendemain de l'attentat d'Orsini. C'est alors que fut nommé ministre de l'Intérieur et de la Sûreté générale, le général Espinasse l'un des colonels du 2 Décembre, militaire brutal ne sachant qu'obéir servilement, le même qui avait trouvé que les grâces individuelles produisaient mauvais effet et que les commissions mixtes avaient péché par excès d'indulgence.

Espinasse manda à Paris tous les préfets, leur indiqua le nombre des arrestations à faire et leur donna des pouvoirs signés en blanc : Ces instructions furent si scrupuleusement exécutées qu'on arrêta même des absents et des morts.

— Alors, pour la seconde fois, depuis quatre ans, on vit des citoyens notés parmi les plus honnêtes et les plus honorables, arrachés à leur foyer, à leurs affaires, à leur pays, enlevés, comme des malfaiteurs, les menottes aux mains, jetés dans les bagnes, accouplés à des voleurs et transportés en Afrique ou à Cayenne. Plus de deux mille personnes furent arrêtées et quatre à cinq cents furent déportées : Les embarquements durèrent plus d'une année. Cette terreur bonapartiste fut plus pitoyable que la terreur blanche, mais plus hypocrite : à la guillotine sanglante elle substituait ce qu'on appela, avec tant de vérité cruelle, la Guillotine sèche, c'est-à-dire, la mort au loin et ignorée.

C'est à propos de cet attentat d'Orsini qu'on vit, hélas ! combien l'armée, en ces temps que l'on voudrait rayer de l'histoire, avait perdu toute conscience de sa dignité. Voici, en effet, quelques extraits des adresses militaires envoyées à Napoléon et que le Moniteur enregistra si complaisamment. — L'Angleterre y est spécialement visée

— Oh ces criminelles actions ne se renouvelleront pas ; mais si, par fatalité, Votre Majesté était ravie à la France, vos ennemis qui sont aussi ceux de la patrie, trouveraient à rencontre de leurs desseins le dévouement inaltérable de l'armée qui les écraserait, s'ils voulaient mettre obstacle à la transmission régulière de la couronne à vos successeurs.

Le général comt, la 13° div. mil.

BAZAINE.

 

Les bêtes féroces qui, à des époques périodiques quittent le sol étranger pour venir inonder de sang les rues de votre capitale ne nous inspirent que du dégoût. Et si Votre Majesté a besoin de soldats pour atteindre ces hommes jusque dans leur repaire, nous la prions très instamment de désigner le 82e régiment pour être l'avant-garde de cette armée.

Le colonel,

CASTAGNY.

 

Dans nos cœurs virils l'indignation contre les pervers succédant à notre gratitude envers Dieu, nous porte à demander compte à la terre de l'impunité où gît le repaire de ces monstres qui s'abritent sous ses lois :

Le colonel du 59e régt. de ligne,

HARDY.

 

— Que les misérables sicaires, agents subalternes de pareils forfaits reçoivent le châtiment dû à leur crime abominable, mais aussi, que le repaire infâme ou s'ourdissent de si infernales machinations soit détruit à tout jamais :

Le général com. la 2e div. mil.,

COMTE GUDIN.

 

... Il semble impossible de considérer comme amis les gouvernements capables de donner asile à des bandits auxquels on laisse proclamer impunément le régicide :

Le colonel du 22e de ligne,

MALTAT.

 

Les menaces allaient-elles devenir des réalités ? L'Angleterre prit peur et n'ayant qu'une médiocre confiance en Napoléon, se rappelant les manifestations militaires dont fut précédé le coup d'Etat, elle se mit en garde contre l'éventualité d'une tentative de descente sur ses rivages. Elle éleva et arma des défenses le long de son littoral, augmenta sa flotte et organisa rapidement des corps de volontaires pour sa défense intérieure.

Tout par l'armée, tout pour l'armée, telle fut d'ailleurs l'une des devises de cette lamentable période. Quiconque portait l'habit militaire avait une influence que les autres citoyens ne pouvaient acquérir. Le second Empire copiait le premier au point de constituer des dotations et de donner des titres de noblesse aux généraux qui réussissaient dans quelques batailles. Le Prince impérial recevait successivement des grades et l'on se réjouissait parmi les bonapartistes, de lui voir revêtir l'uniforme. Chefs d'état-major, nombreux et brillants généraux de cour, officiers d'antichambres, tels étaient les favoris du pouvoir qui tenait à l'écart tout militaire accusé de libéralisme, je ne dis pas républicain. Certaines personnes, même, affectaient les formes de l'officier, adoptaient son maintien, presque son langage : la moustache et l'impériale en croc leur donnaient l'air martial qu'elles croyaient indispensables pour figurer avec avantage dans tous les rangs de la société. — Aussi par une fatalité logique au fond, le militarisme du second empire n'amena-t-il que des résultats désastreux. L'armée manquant toujours de guides expérimentés, devait infailliblement succomber le jour où il fallut patriotiquement défendre la France, au lieu de tenir en bride les Français, dont le réveil commencé en 1863, s'opérait décidément en 1869, époque où la candidature officielle ne l'emporta plus dans les grands centres sur le vote des ouvriers unis aux bourgeois.

Quant au clergé, sa servilité, sa platitude ne furent pas moindres. Pouvait-il en être autrement et ne se rappelait-il pas qu'après le crime de décembre, l'évêque de Saint-Flour avait dit : Dieu nous a montré lui-même du doigt Louis Napoléon, reconnaissons en lui l'élu de Dieu ; — l'évêque de Nancy : Qu'il soit béni cet homme, ce grand homme, car c'est Dieu qui l'a suscité. Nous prierons pour lui, c'est le tribut qu'il est en droit d'exiger de nous pour les nombreux services qu'il nous a rendus et qu'il nous rendra encore ; — l'évêque d'Amiens : La France cherchait ; elle a trouvé un homme qui a protégé son existence et elle s'est donnée à lui ; — l'évêque de Fréjus : L'Éternel l'a donné au monde pour le sauver ; l'évêque de Nevers : Je salue dans son Altesse l'instrument visible de la providence ; — l'évêque de Grenoble : Prions pour le prince Auguste, qui est l'espérance et la gloire de la Patrie.

Ne se souvenait-il pas encore, ce clergé, que Napoléon avait ordonné que les dettes de l'évêque d'Alger, soit 200.000 francs, fussent payées par le ministre des cultes ? Les princes de l'Eglise pouvaient-ils lui être défavorables quand, bombardés sénateurs, ils voyaient leurs appointements s'augmenter annuellement de trente mille francs ?

Il fallait au souverain des hommes qui fussent ses complices, des Chambres qui n'eussent qu'à enregistrer, qu'à se courber devant ses désirs. Ce fut alors le beau temps des candidatures officielles, une des plaies les plus hideuses de ce régime fécond en pourritures.

— Quand un homme, — écrivait, à cette époque, le ministre de l'Intérieur aux préfets, — a fait sa fortune par le travail, l'industrie, l'agriculture... il est préférable à ce qu'on est convenu d'appeler un homme politique, car il apportera dans la confection des lois un esprit pratique et soutiendra le gouvernement dans son œuvre de codification et de réédification. Dès que vous m'aurez signalé dans les conditions ci-dessus les candidats qui auront le plus de chances de réunir la majorité de suffrages, le gouvernement n'hésitera pas à les recommander ouvertement au choix des électeurs.

 

Et plus tard M. de Persigny, toujours aux préfets : Vous mettrez toute votre influence au service des candidatures recommandées.

C'est surtout en 1857, nous dit M. Challamel dans son Histoire de la liberté en France, alors qu'expirèrent les pouvoirs du Corps Législatif élu en 1852, que fleurit la candidature officielle. L'ex républicain, l'ex-socialiste Billault, obéissant peut-être à des remords de conscience, permit sans doute à certains candidats autres que ceux du gouvernement de se présenter à la députation, mais, en revanche, tel préfet ordonna d'imposer silence aux adversaires s'il s'en rencontrait et tel autre ne toléra ni comité ni réunion spéciale. Celui ci interdisait la publication et l'affichage des professions de foi produites par des candidats non-officiels. Aussi les électeurs n'ayant pas à choisir entre plusieurs concurrents d'opinions différentes pouvaient-ils dire avec raison : Pourquoi nous déranger pour nommer des députés ? Le gouvernement pourrait bien les nommer lui-même. — Sans doute c'eût été plus franc et plus digne, mais il importait alors, de ne pas rappeler les rois absolus de l'ancien régime tout en suivant leur exemple ; il importait de ruser avec le libéralisme modéré et ne pas heurter de front toutes les traditions bourgeoises.

Est-il nécessaire d'ajouter que la trop partiale magistrature impériale n'hésitait pas à porter atteinte à la liberté du bulletin électoral, poursuivant des citoyens en vertu des articles de la loi sur le colportage pour distribution de bulletins portant le nom des candidats, sans autorisation du préfet. — Vraiment il fallait du courage à quiconque posait sa candidature contre un candidat officiel !

Les papiers secrets des Tuileries contiennent au sujet de ces candidatures officielles un curieux rapport de M. de Conti. En voici quelques extraits :

... Quel que soit le respect que l'on professe pour les institutions politiques actuelles, on ne peut se dissimuler qu'elles n'ont point été édictées en vue de développer l'initiative individuelle. Tant que le gouvernement a trouvé dans les hommes qui se sont ralliée à lui dès son début un recrutement suffisant, il ne s'est pas trop inquiété de l'avenir ; mais, dès aujourd'hui, il s'aperçoit que la matière ministériable se raréfie.

... Pour ce qui est de la députation, le recrutement, très-facile en 1852, devient de plus en plus difficile. Les hommes de 1852 ont aujourd'hui seize années de plus et la mort sévit dans leurs rangs ; il faut songer à remplacer certains d'entre eux et le gouvernement ne paraît se préoccuper de cette nécessité que lorsqu'un vide se fait violemment...

... Avant d'examiner si le candidat peut faire un bon député, on examine s'il a la chance d'être élu et souvent l'administration emploie tous les moyens mis à sa disposition pour le triomphe d'un candidat dont elle connaît la médiocrité. Pour le candidat, la question de dévouement absolu ou d'indépendance est souvent, d'ailleurs, attachée à l'appui qu'on lui prête ou qu'on lui refuse ; c'est le sabre de Joseph Prudhomme qui défend les institutions, et au besoin les attaque. Dans l'élection de M. d'Estourmel, l'exemple est palpable, et bien des gens se creusent la tête pour savoir comment M. d'Estourmel, jeune homme élégant, riche, ami du plaisir, vote avec M. Jules Favre.

 

M. d'Estourmel vote avec M. Jules Favre, parce que l'administration l'a combattu, pas pour autre chose.

Ce phénomène, tout exceptionnel aujourd'hui, pourra devenir beaucoup plus fréquent parce que les élections commencent à coûter gros. Les candidats riches ont résiné le suffrage universel, et il faut dépenser aujourd'hui de 15.000 à 20.000 francs pour lancer une candidature. Plus on ira, plus cela coûtera cher et, si l'administration est logique, entre deux candidats de médiocrité égale, elle devra pousser le plus riche, parce que c'est lui qui peut ponter le plus fort.

Tout cela est fort triste ; il faut donc le plus vite possible appeler les capacités et les illustrations à se présenter au Corps législatif : c'est le remède au mal.

Mais les capacités et les illustrations, où sont-elles ?

Elles sont partout.

Il existe neuf départements ministériels qui comprennent tous les services de l'État. Qui empêche que chaque ministre dresse ou fasse dresser par ses directeurs une liste par service des fonctionnaires de trente-cinq à quarante-cinq ans, aptes à la députation ? Qui empêche de pressurer le pays officiel pour en faire sortir sa quintessence et en extraire des hommes aptes à la députation et qui, après cinq ou six ans de politique, fourniraient sans doute quelques bons ministres et quelques bons orateurs ?

Qui l'empêche ? Rien...

... Cette liste devra être complétée par les renseignements établissant où chacune des personnes désignées a des intérêts locaux, car, si dans les élections la question locale ne doit pas être tout, il ne faut pas qu'elle soit rien.

Lorsque l'Empereur et M. le ministre posséderont cet état, ils pourront préparer de longue main des candidatures, et l'administration ne sera plus forcée d'improviser des candidats singuliers...

... Tout aujourd'hui est envahi par les dandys et le dandysme actuel, lui-même, a bien dégénéré : le lion est devenu petit crevé ; nous n'avons plus de dandysme mais bien du gandinisme et, tandis que les conseillers d'Etat et les ministres sont des hommes sérieux, bon nombre de maîtres des requêtes, d'auditeurs et de secrétaires d'ambassade pensent plutôt à l'honneur de conduire un cotillon illustre qu'à s'instruire solidement dans leurs spécialités.

 

Là, vrai ! on n'est pas plus franc que M. Conti !

Voilà la civilisation impériale stigmatisée de mains de maître...

Ni hommes de génie, ni hommes de talent... Tous petits crevés !

Telles étaient, en effet, les créatures opérettiques de la sanglante farce impériale !

Aussi M. de Saint-Marc Girardin avait-il raison d'écrire :

La jeunesse d'aujourd'hui fait fi des idées libérales qui nous passionnaient ; à quoi bon la discussion ? à quoi bon la tribune ? à quoi bon la liberté de la Presse ? Tout cela n'a rien produit ! Cette liberté qui nous était si chère vous l'avez perdue et par votre faute !... Et si les générations qui vivent sur la terre de France doivent se partager entre le scepticisme et le regret, j'aime mieux être dans la génération qui regrette que dans celle qui doute ou qui dédaigne. Le regret, mêlé d'espoir est pour l'âme une meilleure nourriture que le dédain et l'insouciance.

 

On devine facilement quel devait être le désarroi des finances livrées à de pareils jouisseurs.

L'Empereur ordonnait aux Chambres, de voter les crédits qui lui étaient nécessaires ou même les ouvrait d'office : qu'avait-il besoin d'avoir un semblant d'autorisation de ces deux Assemblées d'esclaves qui s'appelaient le Sénat et le Corps Législatif ? Chaque ministre établissait son budget comme bon lui semblait, sans se préoccuper de son collègue pour l'équilibre du budget général ; — et cela était si vrai que l'Empereur dut décréter qu'aucune dépense ayant pour effet d'ajouter aux charges budgétaires ne serait soumise à sa signature sans être accompagnée de l'avis du ministre des finances. — Il est vrai que ce décret n'était qu'un trompe-l'œil, une manière de rassurer l'opinion publique effrayée de tant de gaspillages, car le Sénat, au même moment, accordait aux ministres les pouvoirs les plus larges, les plus illimités pour renforcer et équilibrer leurs budgets réciproques à l'aide de virements de fonds.

Et quels budgets ! — Comme les chiffres prouvent, avec une triste éloquence, que l'empire ne se souciant nullement du bien-être de la France, ne songeait qu'à lui, ne vivait que pour lui !

 Il était accordé 1.900.000 à la police ; 50.000.000 à l'État-Major ; 100.000.000 à la guerre, alors que le budget de l'Intérieur était le plus considérable : il est vrai qu'il fallait acheter les consciences, salarier les journaux vendus et payer des complaisances infâmes. Par contre les budgets de l'agriculture et du commerce comptaient à peine dans la balance. Celui de l'instruction publique ne semblait figurer dans le budget général que pour la forme : de 1852 à 1860 les institutrices ne touchèrent environ qu'une moyenne de 60 à 75 centimes par jour, et sur 5.516.994 enfants qui auraient dû fréquenter les écoles, à peine en comptait-on quatre millions !

Et l'Empire a augmenté notre dette de plus de huit milliards sans compter les cinq milliards de rançon qu'il nous a légués !

Et l'agiotage d'aller son train d'enfer ! et la soif du gain d'enfiévrer tous les cerveaux ! Que de valeurs furent alors mises en circulation ! Le capital négocié à la Bourse en quelques années, avait augmenté de trois milliards ! On vit alors des fortunes scandaleuses et, à la surface, la prospérité la plus heureuse semblait nous avoir envahis ; mais sût-on jamais le nom de tous ceux qui se ruinèrent à ces jeux d'argent ?

Car toute la France d'en haut courait à la Bourse tandis que celle d'en bas courait au Mont-de-Piété ! Il s'établissait ainsi dans la Nation comme deux nations et cet antagonisme des classes ne profitait qu'au pouvoir absolu en compromettant l'avenir. A mesure que l'Empire montait, la Nation baissait et paraissait n'avoir d'autres soucis qu'un assouvissement de jouissances grossières. Sans compter de colossales entreprises, de grands travaux qui déterminaient des crises terribles dans le commerce et l'industrie par le renchérissement des loyers et des denrées alimentaires. Ainsi se complétait la démoralisation publique. Il est vrai que la Cour étouffait les cris de la misère sous les accents joyeux des fêtes en l'honneur des souverains étrangers qui venaient remercier l'Empereur d'avoir muselé la Révolution.

Pas une affaire dans laquelle M. de Morny n'eût sa part, à condition qu'il la protégeât de l'autorité de son nom, de l'influence de son crédit ; pas une affaire véreuse, pas un tripotage honteux dans lequel ne fussent compromis, l'Empereur tout le premier, les dignitaires et les plus titrés personnages des Tuileries. C'est en vain que Dupin s'éleva contre cet abus de l'agiotage et l'immixtion de certains hommes publics dans les spéculations industrielles, c'est en vain que le procès Mirès révéla d'éclatants scandales, le mal provenait du régime impérial : c'était son fruit, l'activité individuelle repoussée des affaires politiques se rejetait sur les jeux de Bourse.

On volait au grand jour : on faisait des dettes qu'on refusait de payer, si bien que pour éviter un scandale l'Empereur fut obligé de solder une différence de 800.000 francs faite à la Bourse par Saint-Arnaud. Un soir Napoléon s'aperçoit qu'on lui a dérobé 300.000 francs dans son secrétaire : or, personne autre que les généraux Saint Arnaud et Cornemuse n'entrait dans la pièce où se trouvait ce meuble. Quel était le voleur ? Pendant la nuit les deux généraux descendent dans un des plus sombres endroits du jardin des Tuileries : ils allaient se battre en duel. Mais avant qu'il eût eu le temps de se mettre en garde, Cornemuse tombait mortellement blessé. — On étouffa l'affaire. Saint-Arnaud, en effet, n'avait-il pas gardé certaine lettre que lui adressait l'Empereur alors que l'heure du coup d'État étant décidé : il avait écrit à son exécuteur :

— En cas de résistance, égorgez la population et, au besoin, incendiez Paris !

 

Puis, comme si les spéculations de la Bourse n'eussent pas été suffisantes, on rétablissait les tripots : — et la Patrie d'applaudir.

— Enfin, lisait-on dans son numéro du 17 décembre 1852, les maisons de jeux vont être définitivement rétablies, mais sur d'autres bases. Les jeux seront splendides et tout le monde n'y entrera pas, les enjeux, ne devant pas être inférieurs à 100 francs.

 

La France n'était en ce moment qu'un tripot où tout se vendait, tout s'achetait !

Et les mœurs ! Faut-il en parler dans ce volume plus spécialement destiné à la jeunesse ? Si notre plume ne s'y refusait, que de pages il y aurait à écrire sur les galanteries plus ou moins mystérieuses de la Cour qui, la première, donnait l'exemple du scandale ! Que ne pouvons-nous citer ici quelques lettres de Mérimée à une inconnue ou à Panizzi, quelques lettres de cet esprit froid, mordant qui, nourri dans le Sérail, en connut toutes les pourritures ! Que ne pouvons-nous clouer au pilori certaines favorites, de trop nombreux fonctionnaires ambitieux et quelquefois complices, tant d'élégants besogneux, toutes ces grandes dames étrangères faisant de l'espionnage politique, et enfin ces filles subalternes, courtisanes éhontées arrivant à jeter l'or par les fenêtres et, plus particulièrement la trop fameuse Marguerite Bellanger qui appelait Napoléon Mon cher Seigneur !

Il y avait alors à la surface de l'océan parisien un vent de débauche imbécile et effréné. Dans l'art dramatique cela se traduisait par des excès de bêtise tellement prodigieuse que la postérité refusera d'y croire. On sortait navré des théâtres, surtout à cause du plaisir maladif que la foule éprouvait à boire cette écœurante ivresse. Et la salle hurlait, petits crevés, czars en vacances, coquines endiamantées, Robert Macaires ayant fini leur journée, escargots sympathiques commençant la leur, poches à guinées et mains à poches, la salle entière, au spectacle de la Belle-Hélène, rugissait d'allégresse sur le cadavre d'Homère assassiné.

Napoléon le Petit s'était sans doute rappelé que son oncle, dont il voulait singer la Cour, avait, au commencement de frimaire — nous apprend Fauriel : Les derniers jours du Consulat, — attribué la police du théâtre à son préfet du palais afin d'avoir tous les moyens possibles de réprimer ou de corrompre l'opinion publique dans les seules espèces de réunions où elle pût se manifester encore.

Les journaux d'ailleurs, auraient-ils osé, auraient-ils pu parler ? Depuis le décret de 1852 la Presse n'était-elle pas embrigadée, bâillonnée, n'était-elle pas à la merci de l'Empereur personnifié par le Ministre de l'Intérieur, les préfets, la police, la magistrature ? La presse était assimilée aux établissements insalubres ; déshonorée elle ne pouvait circuler qu'avec l'estampille obligatoire. La discussion n'était plus permise ; les journaux ne devaient écrire que ce que voulait le maître et non ce qu'ils auraient voulu écrire, sous peine d'être suspendus, supprimés, ruinés à coups d'amendes.

Et comme ils se taisaient par prudence, il semblait que le pays acquiesçait à la tyrannie, aux saturnales, à la honte de l'Empire.

La Presse ? mais elle ne se plaint pas ! Croyez-vous donc qu'elle soit asservie ? disait M. Rouher.

Et plus cynique, M. Troplong : N'est-ce pas un pays libre que celui où les journaux ont le droit de parler quand ils devraient se taire ?

— Parler, oui ! à condition qu'aucune question sérieuse ne fût discutée, que la politique impériale ne fût pas mise enjeu ; — car, ainsi que le disait le Procureur général Delangle : Ouvrir la porte à la discussion c'est ouvrir la porte au désordre !

Il est vrai que la discussion n'eût pas duré longtemps car elle eût été vite réprimée par une magistrature qui ne trouvait pour condamner le coupable (?) que des considérants ainsi motivés :

— Attendu que l'article du Journal... est de nature à porter atteinte à l'autorité et à tromper l'opinion...

— Considérant que ces publications tendent à déconsidérer l'autorité par des attaques injustes et passionnées...

 

Et même, on n'était pas à l'abri des condamnations les plus odieuses pour la publication d'un fait divers banal, d'une nouvelle la plus insignifiante du monde. Le Figaro, alors journal d'opposition, — ayant timidement écrit que les réverbères n'avaient peut-être pas été allumés à l'heure habituelle à l'entrée du boulevard du Prince-Eugène s'attira un vigoureux communiqué. — Sans doute le rédacteur était passé trop tôt sur le boulevard, mais de ce que les réverbères n'étaient pas allumés en ce moment, ce n'était pas une raison pour qu'ils ne le fussent à l'heure réglementaire.

Ce communiqué fut vanté comme un acte de clémence car bien des journaux, pour moins que cela, avaient été déférés aux tribunaux et condamnés. —Quels magistrats eussent osé prononcer un acquittement ? Cet acquittement n'aurait-il pas été un blâme à l'Empereur ?

 

Aussi, que de journaux supprimés, que de journaux ruinés : la liste en serait longue ! Un moment même il fut question de les supprimer tous, sauf le Moniteur qui serait resté le seul journal officiel et permis : mais on n'osa pas aller jusqu'à décréter de mort, d'un seul coup de plume, tous les journaux ; en revanche on s'occupa de créer une presse gouvernementale, on chercha à rallier des écrivains que l'on chargerait de diriger l'opinion publique.

Puis, comme si le gouvernement ne se fût pas assez fié aux journalistes, même vendus, il fit appel aux fonctionnaires. — Il faudrait, dit le Ministre de l'Intérieur, dans une circulaire confidentielle, que les principaux membres du gouvernement prissent la peine d'inspirer quotidiennement les journaux dévoués. Le gouvernement, à la tribune, se défend lui-même, pourquoi se fierait-il au savoir, à l'habileté, au dévouement des journalistes ? Il serait bon que l'on vît des membres des grands corps de l'État, des fonctionnaires d'un ordre élevé, donner aux feuilles gouvernementales le concours de leur plume.

Et l'Empereur prêchait d'exemple : voici à titre de curiosité des articles ou indications d'articles, envoyés par lui à trois journaux différents.

— Note adressée au journal Le Peuple, que dirigeait M. Clément Duvernois :

Les idées ont une filiation avec les hommes. Pour savoir ce que nous sommes, il faut savoir ce qu'étaient nos pères.

Dans la grande crise de 1814 et de 1815, lorsque l'Europe était conjurée contre l'Empire, le peuple français montra le plus héroïque dévouement à Napoléon, glorieux représentant de toutes les grandes idées de la révolution. Mais il y avait alors dans le pays trois partis, que nous retrouvons encore aujourd'hui :

Les émigrés ; — Les républicains ; — Les libéraux.

Ces trois partis croyaient représenter la nation et ne représentaient que des instincts égoïstes et sans racine dans le pays. Le peuple resta fidèle aux grands souvenirs de la grande époque. Eh bien, aujourd'hui il en est de même. La coalition de ces trois partis ne prévaudra pas contre le sentiment national, et ils auront beau mettre sur leur drapeau le grand mot de liberté, le peuple saura bien toujours que son bien-être, sa gloire, sa liberté réelle, sont avec l'Empire.

— Projet d'article envoyé au journal Le Dix Décembre :

Quel est le vrai représentant du peuple ? C'est celui qui résume dans sa personne les votes de huit millions de Français. C'est celui qui assure l'ordre, la prospérité, le progrès ; qui maintient notre ascendant devant l'étranger et qui, tenant d'une main ferme le gouvernail, empêche le vaisseau de l'État d'échouer dans l'anarchie ou la réaction. Et ce qui prouve combien l'Empereur est le véritable représentant de la France, c'est que tous les autres personnages qui sont en évidence ne représentent que des coteries opposées les unes aux autres. Est-ce, par exemple, M. Jules Favre qui représente la France ? Il est républicain ; il veut que le chef du pouvoir soit renommé tous les quatre ans, qu'une Chambre unique soit souveraine et dispose du pouvoir exécutif, que les forces militaires de la France soient assez amoindries pour qu'elle ne puisse plus faire la guerre, etc. Est-ce M. Thiers ? Celui-là veut la monarchie et un gouvernement parlementaire ; il veut une armée permanente fortement constituée et plus considérable que celle qui existe ; il veut qu'on abandonne l'Italie et son unité, qu'on refuse à l'Allemagne la Confédération germanique, qu'on rétablisse le système protecteur, qu'on diminue les travaux publics.

Est-ce M. Jules Simon ? Celui-là veut, etc.

Est-ce M. Pelletan ? Celui-là veut 93, la guillotine et la liquidation sociale.

Est-ce M. de Falloux ? Celui-là veut la suprématie de l'Église.

Qu'on suppose maintenant tous ces grands citoyens réunis en conseil. Voit-on la cacophonie qui en résulterait ? MM. Jules Favre, Thiers, Pelletan, Jules Simon, Falloux décidant des destinées de la France ! Que le peuple sensé réfléchisse à ce dilemme : ou soutenir l'Empire, ou l'anarchie !

— Article envoyé au journal L'Époque :

CE QUE NOUS VOULONS

Nous voulons l'affermissement du gouvernement actuel et le respect de la Constitution ;

L'anéantissement des anciens partis ;

La conciliation pour tous ceux qui se rallient franchement ;

Le progrès sous toutes ses formes ;

La dignité vis-à-vis de l'étranger ;

Le bien-être des classes agricoles et industrielles.

Il est un fait réel, c'est que l'Empereur est resté aussi populaire qu'il y a quinze ans, tandis que son gouvernement ne l'est pas.

D'où vient cette anomalie ?

C'est que les agents du pouvoir, au lieu d'imiter la bienveillance extrême du chef de l'État, sa modestie et sa simplicité, ont été infatués des pouvoirs qui leur étaient délégués, et qu'ils ne se sont pas assez occupés de suivre les inspirations des populations et ne se sont pas assez occupés de leurs intérêts.

Les administrations sont restées avec Le même esprit que sous Louis-Philippe, hautaines et routinières.

Les préfets ont voulu faire les pachas et imposer leurs volontés aux populations.

Le gouvernement de l'Empereur est le plus honnête qui ait jamais existé, mais il s'est laissé contaminer par des hommes qui, sans être au pouvoir, étaient en relation avec le gouvernement et qui le compromettaient par leurs spéculations.

La presse, au lieu de contrôler les actes de tous les agents du pouvoir, ou a été servile ou rebelle.

Dévoués sans réserve à l'Empereur, notre tâche est de le servir, non en aveugles, mais avec les yeux ouverts. Blâmant tout ce qui est blâmable, osant résolument dire notre opinion sur les hommes comme sur les choses, ne donnons notre éloge que sur ce qui est bon, et éclairons le gouvernement sur ce qu'il doit savoir.

La gloire de la France, le bonheur du peuple, la prospérité de l'Empire et de l'Empereur, telle est notre devise.

 

Mais, malgré toute cette pression, la pensée pût se faire jour et maintenir ses droits imprescriptibles : c'est ainsi qu'en 1868 le tirage des journaux bonapartistes à Paris, atteignait à peine 50.000, alors que celui des journaux d'opposition s'élevait à 120.000. Cette situation devenait critique pour le pouvoir, surtout à la veille des élections de 1869. Aussi fit-il demandera tous les préfets quel était l'état moral et matériel de la presse dans les départements et quel crédit il fallait ouvrir aux journaux.

Voici quelles furent les réponses : elles sont curieuses à examiner.

DÉPARTEMENTS

OBSERVATIONS

CRÉDITS DEMANDÉS

Ain

Le préfet se déclare satisfait

Aisne

Situation délicate, mais le préfet pense qu'il n'y a rien à faire

Allier

S'assurer le concours de l'Hebdomadaire, répandre cette feuille dans la circonscription

1.000

Alpes (Basses)

La Campagne électorale est faite par le Peuple

Alpes (Hautes)

Le Préfet se déclare satisfait

Alpes Maritimes

Le Préfet se déclare satisfait. M. Masséna a crée un journal

Ardèche

Le préfet demande un rédacteur et 2.500 francs en dehors pour distribution ; il n'a pas encore répondu aux dernières observations du 4 avril, lettre de rappel

3.500

Ardennes

Le préfet se déclare satisfait

Ariège

1° un rédacteur ; 2° changement de périodicité d'un journal ; le préfet n'a pas encore répondu ; la somme à prévoir est de

1.500

Aube

Rien. Des subventions ont déjà été données pour la création d'un journal

Aude

Augmentation de périodicité ; distribution, le préfet demande

1.000

Aveyron

Le préfet se déclare satisfait

Bouches-du Rhône

Organisation spéciale de journaux

15.000

Calvados

Distribution gratuite de journaux

1.000

Cantal

Le préfet se déclare satisfait

Charente

Le préfet se déclare satisfait

Charente Inférieure

Distributions gratuites

1.000

Cher

Le préfet se déclare satisfait

Corrèze

Le préfet ne demande rien, M. Mathieu, député, fait des réserves ; il demande une subvention pour distributions ou un rédacteur

1.000

Corse

Le préfet se déclare satisfait

Côte-d’Or

Le préfet demande pour Le Chatelonnais (distributions)
Le député prête son concours financier, et le journal est incertain ; il importe de l'assurer : il y a des éventualités réservées pour ce département

1.500

Côtes du Nord

Le rédacteur envoyé ; rien pour le moment ; réserves possibles

Creuse

Le préfet est satisfait

Dordogne

Le préfet est satisfait

Doubs

M. de Marmier donne son concours à une subvention de 1.000 francs pour distributions gratuites ; la subvention est donnée

Drôme

Rien. Les députés assurent la situation

Eure

Rien. Les rédacteurs ont été choisis

Eure et Loir

La situation est assurée

Finistère

Le préfet n'a pas encore répondu aux observations, mais il y a lieu de prévoir une subvention considérable ; la presse est complètement désorganisée

10.000

Gard

Le préfet est satisfait de son nouveau rédacteur

Garonne (Haute)

Distributions gratuites (Lutte très vive)

2.500

Gers

Distribution des feuilles locales

1.000

Gironde

Subvention au Journal de Bordeaux (Demandé par le préfet)

4.000

Hérault

Le préfet demande 500 francs pour un rédacteur économique

500

Ile et Vilaine

Le préfet est satisfait

Indre

Le préfet est satisfait

Indre et Loire

Le préfet est satisfait

Isère

Demande verbale pour distributions

1.200

Jura

Une subvention a assuré la réorganisation

Landes

Le préfet est satisfait

Loir et-Cher

Réserves à faire

Loire

Le préfet demande pour distributions gratuites

2.000

Loire (Haute)

Le préfet demande pour distributions gratuites et pour rédacteurs
Le concours des députés est en dehors de cette subvention

2.000

Loire Inférieure

Le préfet est satisfait

Loiret

Demande du préfet pour distributions

1.500

Lot

Rédacteur ; distributions gratuites et s'assurer le concours d'un journal douteux

4.000

Lot-et-Garonne

Le préfet est satisfait

Lozère

Le préfet est satisfait

Maine-et-Loire

Le préfet est satisfait

Manche

La situation est délicate, mais le préfet ne veut rien faire

Marne

La situation est délicate, mais le préfet ne veut rien faire

Marne (Haute)

Subvention au Journal de Langres

1.500

Mayenne

Attitude incertaine du journal ; le rédacteur demande 6.000 francs, le préfet ne veut lui en donner que

2.500

Meurthe

Création d'un journal ; concours des particuliers ; l'affaire est latente, mais on peut compter sur

2.500

Meuse

Le préfet est satisfait

Morbihan

Le préfet est satisfait

Moselle

Le préfet fait ses réserves pour fortifier la presse locale ou demander des feuilles de Paris

Nièvre

Le concours des députés a assuré la bonne organisation

Nord

Le préfet ne demande plus rien

Oise

Le préfet trouve la situation suffisante

Orne

Quoique la situation soit médiocre, le préfet mande qu'il n'y a rien à faire

Pas de Calais

Contribution au paiement d'un rédacteur à Boulogne

700

Puy de Dôme

Le préfet demande pour l'organisation de la presse dans l'arrondissement de Thiers

500

Pyrénées (Basses)

Rien. On a agi près de M. O'Quin.

Pyrénées (Hautes)

Le préfet est satisfait

Pyrénées Orientales

Le préfet est satisfait

Rhin (Bas)

Paiement de la subvention supplémentaire de 30.000 francs (complément)

15.000

Rhin (Haut)

Le préfet n'est pas assuré ; subvention à prévoir

Rhône

Le préfet ne demande rien

Saône (Haute)

Le préfet est satisfait

Saône et Loire

Rédaction et distributions ; les feuilles gouvernementales sont très médiocres, et la presse d'opposition est forte

5.000

Sarthe

Le préfet ne demande rien

Savoie

Le préfet ne demande rien

Savoie (Haute)

Le préfet ne demande rien

Seine

Le préfet ne demande rien

Seine inferieure

Demande du préfet

3.000

Seine et Marne

Rien. Envoi du Peuple effectué

Seine et Oise

Concours des députés ; envoi du Peuple

Sèvres (Deux)

Le préfet est satisfait

Somme

La situation est assurée

Tarn

Rédacteur pour le Journal du Tarn

1.000

Tarn-et-Garonne

Renforcer la rédaction

1.000

Var

Le préfet est satisfait

Vaucluse

Pour Le Méridional (distributions)

1.200

Vendée

Complément du traitement du rédacteur

1.000

Vienne

Le préfet est satisfait

Vienne (Haute)

Réserves à faire. Courrier du Centre

1.500

Vosges

Le préfet est satisfait

Yonne

Pour le Journal de Joigny

1.000

Ministère

1.500

TOTAL GÉNÉRAL

94.100

 

Crédit demandé : 100.000 francs.

Puis venait la liste des crédits qu'il était nécessaire d'accorder à certains journaux, parmi lesquels nous citerons plus spécialement :

Courrier du Gers

2.600

Journal de Saône-et-Loire

1.000

Journal de Montbéliard

500

La Côte d'Or

6.000

Courrier populaire de Lille

1.200

Phare de Marseille

5.000

Gers (frais de voyage d'un rédacteur)

200

Aube (service de la presse)

5.000

Journal de la Corse

600

Journal de Seine-et-Oise

480

Doubs (service de la presse) (500 francs par mois, du 1er février au 1er juillet)

2.500

Bas-Rhin (service de la presse)

9.000

34.080

Réserve accordée par Son Excellence

50.000

Total des sommes allouées sur cette réserve

34.080

Somme disponible

15.920

En outre, des journalistes détachés spécialement du ministère de l'Intérieur furent dirigés sur les départements où la presse, malgré les rapports préfectoraux, malgré les subventions ne paraissait pas offrir une garantie suffisante.

C'est ainsi que M. de Courmaceul fut envoyé dans l'Ain, Dupeuty dans les Alpes maritimes, M. Pellerin dons l'Aube, MM. Pelvey et Bosc dans les Bouches-du-Rhône, M. Doublat dans la Charente-Inférieure, M. Cermont dans la Côte-d'Or, M. Bourgogne dans les Côtes-du-Nord, M. Delero dans la Drôme, M. Maussart dans l'Eure-et-Loir, M. Valleton dans le Gard, M. P. de Léoni dans le Gers, M. d'Hormoys dans l'Hérault, M. Hardy dans l'Isère, M. Gravot dans le Jura, M. Sten dans la Haute-Loire, M. Desolmes dans le Lot-et-Garonne, M. Malarec dans la Marne, M. Rigaud dans la Meurthe, M. d'Audigier dans la Nièvre, M. Ribeyre dans le Nord, M. Graslet dans le Pas-de-Calais, M. de Rodnys dans la Saône-et-Loire, M. Chauvet dans la Sarthe, M. Frassinaud dans la Vendée et M. Laharanne dans la Haute-Vienne.

Peut-être trouvera-t-on que nous nous sommes trop complaisamment étendus sur ce sujet : nous ne le pensons pas, car nous avons surtout voulu montrer comment en 1869, à la veille des élections, la presse avait été embrigadée, muselée, achetée, et comment — nous le dirons bientôt — malgré cette pression énorme, dont il n'y a pas d'exemple dans l'Histoire, ces élections furent relativement libérales, tant la France commençait à avoir soif de liberté.

Dirons-nous enfin, pour terminer ce trop sombre tableau, ce que fut la littérature sous le second empire ? Nulle, absolument nulle ; elle aussi était mise en tutelle, comme la presse, le Souverain n'ayant qu'un but : celui d'abrutir la pensée. On ne conspire pas quand on ne pense pas ; on se laisse vivre, on accepte tous les esclavages, et l'esprit dégénéré fait bon accueil à toutes les turpitudes.

Quelle œuvre vraiment virile est sortie de cette époque ? Nous la cherchons et nous ne la trouvons pas. Les Châtiments, Napoléon le Petit, les Misérables nous arrivèrent de l'exil et nous ne pouvons mettre en ligne de compte, les admirables travaux historiques de Michelet, dont les derniers volumes furent publiés sous le second Empire. De 1852 à 1870 nous ne relevons que des œuvres aimables : L'honneur et l'argent, de Ponsard, le Mariage d'Olympe, d'Augier, Le demi-monde, de Dumas, quelques romans de G. Sand, de Sandeau, de Mérimée le parfait courtisan, la gracieuse idylle de Renan, qui s'appelle la Vie de Jésus, les études littéraires de Sainte-Beuve, Mme Bovary, de Flaubert, plusieurs volumes de Taine, Dargaud, d'Erckmann-Chatrian, etc., etc., mais tous ces ouvrages ne forment pas un ensemble assez vaste, assez puissant pour qu'il soit possible de dire que ce règne néfaste et dissolvant eut une littérature qui lui fût sienne. Quant à la Vie de César, cette maladroite compilation qu'eut l'étrange idée d'écrire l'Empereur et qui fit malgré toutes les courtisaneries, un des plus beaux stocks de magasin qu'aient connu les libraires, nous n'en pouvons dire ce qu'en disait Sainte-Beuve :

— Je suis assez courtisan pour n'en point parler et c'est tout ce que j'en peux dire de bon.

 

Cependant comme la pensée a des ailes et qu'elle ne reste pas toujours clouée à terre malgré les chaînes dont on la charge, elle pointait entre temps et affirmait ses droits ; par exemple, dans les travaux de Lanfrey, sur Napoléon Ier, les révélations de Ténot sur le Coup d'Etat de Décembre et, surtout, dans les Propos de Labienus, l'admirable pamphlet de Rogeard.

Napoléon venait alors de faire paraître sa Vie de César. Sollicité d'en rendre compte dans le journal la Rive gauche, Rogeard exposa les raisons pour lesquels il lui semblait impossible de juger, suivant le mot d'un ancien, la prose de qui pouvait proscrire et, pour rendre sa pensée plus piquante, il mit ses propres idées dans la bouche de Labienus, l'un des lieutenants de César, s'excusant de ne pouvoir parler des mémoires d'Auguste.

On assure, disait Labienus, que la critique sera libre, que la tyrannie donnera huit jours de congé à la littérature ! Il ne pourra nous être donné qu'une fausse liberté, une liberté de Décembre, c'est à-dire une liberté de carnaval, libertas Decembris, comme dit Horace. Je ne veux pas, en écrivant contre le livre, me trouver placé entre la vengeance d'Octave et la clémence d'Auguste, sans avoir même le choix. Je ne veux pas, comme Cinna, donner au drôle l'occasion de faire le magnanime et être exécuté par une grâce !

 

Quelle trouvaille que cette liberté de Décembre, et quelle fine allusion à Montalembert qui, gracié malgré lui, répondait à l'Empereur : Je suis de ceux qui, croyant encore au droit, n'ont pas besoin d'accepter de grâce !

— Et Labienus continuait impitoyablement :

— Le livre d'Auguste, c'est sa vie érigée en exemple, c'est son ambition innocentée, c'est sa volonté formulée en loi, c'est le Code des malfaiteurs, la Bible des coquins. Que diriez-vous de Verrès faisant un livre sur la propriété ? L'auteur n'y peut dire, après tout, que ce qu'il sait. Il sait piller une ville, égorger un Sénat, forcer un trésor dans un temple et piller Jupiter ; il sait faire des fausses clefs, des faux serments et des faux testaments ; il sait mentir au Forum et à la Curie, corrompre les électeurs ou s'en passer, tuer ses collègues blessés, comme à Modène, proscrire en masse et autres jeux de prince ! Il sait, suivant la méthode du premier César, comment on emprunte aux uns pour prêter aux autres et se faire des amis des deux côtés ; il sait, d'un vigoureux élan, franchir toutes les barrières et tous les Rubicons ; puis, d'un bond suprême, s'élevant au-dessus des lois divines et humaines, faire le saut périlleux, cabrioler et retomber roi ! Il sait tout cela, mais il ne sait pas un mot d'histoire, ni de politique, ni de morale, si ce n'est de la grande, c'est à-dire de la morale des grands, qui s'enseignait dans sa famille.

 

Cette verve caustique, ces phrases à deux tranchants exaspérèrent le héros de Décembre si cruellement disséqué sur le vif. Les parquets impériaux poursuivirent la brûlante brochure, traquèrent l'auteur sans pouvoir, heureusement, mettre la main sur lui, et ne purent que le faire condamner, par contumace, à l'amende et à la prison, Rogeard ayant jugé prudent de s'expatrier.

Quatre années plus tard, Rochefort publiait ses Lanternes, série de petites brochures spirituelles, mordantes, où les vérités les plus cruelles étaient présentées sous une forme familière et amusante pour les esprits cultivés, frappantes pour les esprits moins habitués aux finesses du langage. Ces pamphlets inoubliables qui se

faisaient de jour en jour plus agressifs, plus caustiques et dont le succès grandissait brillamment, avaient éclaté comme un coup de tonnerre. L'Empire, cette aventure de grande route, comprit qu'il était frappé au cœur et qu'il ne guérirait pas de cette blessure.

Aussi Rochefort avait-il raison d'écrire : — Quand on lira plus tard cette aventure de grande route qui s'est appelée jusqu'à présent l'Empire... lorsque la génération prochaine refusera d'en croire ses oreilles, il me semble consolant que l'historiographe puisse répondre : C'est vrai, mais lisez les Châtiments, lisez Napoléon le Petit, lisez l'Histoire du 2 Décembre, lisez même la Lanterne, et vous verrez qu'à travers les pattes sales des Piétri, les geôles des Pinard, l'indignation publique s'échappait et allait recruter au loin des soldats pour la vraie France. Il y avait les morts, les désespérés, les aplatis, mais il y avait aussi les vigilants qui guettaient l'heure et dont chaque coup de pioche ou de plume élargissait le trou d'où allait sortir la Révolution.

Et maintenant que nous savons dans quel monde pourri, scandaleux, s'agite cette troupe d'histrions, d'aventuriers, de voleurs, de criminels, retraçons dans leur ordre chronologique les principaux événements de 1853 à 1870.

 

Complot de l'Opéra-Comique. — Le 7 juin 1853, raconte M. Magen dans son Histoire du Second Empire, aux alentours de l'Hippodrome où l'Empereur devait se rendre, les agents de police remarquèrent des groupes inaccoutumés et correspondant entre eux au moyen de signes qui leur parurent suspects. Des mesures de précautions firent avorter un complot formé par les membres des sociétés secrètes, dont les dénominations étaient les Consuls du peuple, le Cordon sanitaire, les Deux Cents : cette dernière, composée d'étudiants avait pour chefs Arthur Ranc, Laflize, Ribaud de Lagaudière. La police surveillait MM. Ribaud et Lux, fondateurs de la société des Consuls du peuple : elle les arrêta. Un belge, M. de Méren prit leur place et une nouvelle tentative contre la vie de l'Empereur fut préparée.

On savait que Napoléon III irait à l'Opéra-Comique le 6 juillet.

Ce jour-là vers neuf heures du soir, l'attention de la police fut attirée par la présence de trois individus dans la rue Marivaux près de la porte qui donne accès à la loge impériale. On les arrêta, et avec eux des complices accourus pour les délivrer. On les conduisit à la Préfecture de police et dans leurs poches on trouva des armes.

Il paraît certain qu'un prêtre ayant reçu en confession la confidence du complot, l'avait révélé au chef de la police. M. Zangiacomi présida les débats de la Cour d'assises en accusateur public ; il intimidait les témoins, brutalisait les accusés, interrompait les avocats et ne laissait à la défense aucune liberté.

Sept des inculpés furent condamnés à la déportation, trois à huit ans de bannissement, neuf à sept et à cinq ans de la même peine, deux à cinq et à trois ans de prison, six furent acquittés mais retenus sous la prévention de société secrète : M. Ranc était de ceux-là.

Acquittés et condamnés comparurent devant la sixième Chambre présidée par M. d'Herbelot ; le tribunal en condamna 42 à diverses peines et en acquitta quatre. Aucun d'eux n'avait voulu répondre ni se défendre.

M. Hubbard, défenseur de Bratiano devant la Cour d'assises, avait été arrêté lui aussi : on l'accusait de faire partie de la même société secrète que son client. Tombé malade à Mazas il ne fut jugé que deux mois après ses co-accusés. Malgré une éloquente plaidoirie de Me Beyrrier on le condamna à trois ans de prison, 10.000 fr. d'amende et à cinq ans de privation de ses droits civiques.

 

27 FÉVRIER 1854, mort de Lamennais. — Le célèbre auteur des Paroles d'un croyant, de l'Avenir du Peuple et de tant d'autres ouvrages si populaires mourut en libre-penseur. Aussi la police impériale, le jour de l'enterrement fut-elle mise sur pied. On craignait une manifestation en faveur de celui qui, depuis si longtemps, enseignait au peuple ses devoirs et ses droits. — La cérémonie funèbre se fit au milieu du calme et du recueillement le plus grand. Les volontés de Lamennais ayant été scrupuleusement respectées il fut enterré dans la fosse commune au milieu des pauvres, comme il l'avait désiré, et rien, ni croix, ni pierre, ne marqua la place où était enseveli l'un des hommes les plus illustres de son siècle et de son pays.

 

15 MAI 1854. — L'Empereur fait solennellement l'ouverture de l'Exposition universelle. — Toute l'Europe, notamment la Russie exceptée, — y fut représentée.

L'industrie française, à cette Exposition, brilla d'un éclat tout particulier.

 

SESSION DE 1855. — Le Corps législatif vote une loi conférant à l'Empereur le droit de nommer les maires et les adjoints dans les communes ayant trois mille habitants et plus, et aux préfets dans les autres communes. — Cette loi détruisait toute liberté municipale puisque les maires et les adjoints pouvaient être imposés par le pouvoir gouvernemental...

 

18 AOÛT 1855. — La reine d'Angleterre, Victoria, et le prince Albert, son mari, viennent à Paris. — L'accueil que leur fit la population fut des plus froids : elle se souvenait de tous les soldats morts en Russie. — Une députation des élèves de l'école polytechnique fut reçue par la reine. Ces jeunes gens portaient tous le deuil de leurs parents tués sous les murs de Sébastopol.

 

7 JANVIER 1856. — Enterrement civil de David (d'Angers). — Béranger qui assistait aux obsèques de l'immortel sculpteur lut reconnu par les étudiants qui crièrent en le saluant : Vive la Liberté ! — A cette époque un pareil cri était séditieux ; les étudiants furent arrêtés.

 

NAISSANCE DU PRINCE NAPOLÉON. — RÉJOUISSANCE À LA COUR. — 20 mai 1856. — Le lendemain de cette naissance les grands Corps de l'État se rendirent aux Tuileries. Après avoir félicité Napoléon, il leur fut permis de défiler et de s'incliner devant le berceau bleu, décoré de la Légion d'honneur, d'où s'échappaient des vagissements dans l'inflexion desquels de plats adulateurs reconnurent — en feignant de se pâmer de joie, — les signes infaillibles d'une intelligence précoce.

On ne manqua pas de prédire à l'héritier les plus hautes destinées ; il devait perpétuer à jamais la race napoléonienne. Les évêques et les courtisans avaient fait la même prédiction au roi de Rome, au duc de Bordeaux, au comte de Paris, et l'on sait comment elles se sont réalisées. Pas un de ces enfants, qu'entouraient à leur naissance tant de serviles adulations, n'a trouvé un bras pour les protéger, quand, tout petits encore, ils durent, l'un après l'autre, suivre en exil leurs familles détrônées : pas un n'a régné, et faut-il rappeler comment le dernier, celui qui devait être Napoléon IV, périt misérablement en Afrique, tué par la lance d'un Zoulou !

Rochefort croyait-il être si bon prophète lorsque, parlant d'un voyage que l'Impératrice se proposait de faire en Hollande, il écrivait dans la Lanterne ?

... Si celle qui règne actuellement sur le peuple le plus abruti de l'Univers veut pousser une pointe en Hollande, je lui montrerai dans une collection particulière un curieux portrait de l'amiral Werhuel. La tête est de profil et de petite dimension. On prendrait le tableau pour une pièce de cent sous.

— Nous pourrions ensuite, moi me tenant toujours à une distance respectueuse, assister à une des conférences faites par Madier de Montjau, l'ancien député qui a combattu sur les barricades de 1851. Le jeune prince impérial apprendrait là à connaître la véritable histoire du pays qu'il est appelé à ne jamais gouverner.

 

LA POLICE IMPÉRIALE. — L'Empereur confie à M. Hyrvoix, la direction de sa police secrète : dès ce jour, ce M. Hyrvoix précéda toujours Napoléon dans ses sorties : à Compiègne, à Paris, à Fontainebleau, à Biarritz, partout, en un mot, où il se trouvait.

D'ailleurs, à cette époque, on ne pouvait faire un pas sans rencontrer des policiers se promenant deux par deux aux alentours des Tuileries, des parcs, des châteaux, des villas de Sa Majesté. Ils étaient faciles à reconnaître, Presque tous étaient des Corses, bruns, trapus, le teint basané, les cheveux et la moustache noirs et rudes.

Beaucoup de ces mouchards, — est-il utile de le dire, — avaient un passé déshonoré : quelques-uns étaient d'anciens militaires échappés à la justice par leur entrée dans la police occulte où il fallait des hommes n'ayant plus rien à perdre et résolus à tout. Ils étaient fort redoutables.

L'un d'eux poignarda, un jour, dans les Champs-Elysées, un promeneur inoffensif qui s'était arrêté pour regarder passer l'Empereur se rendant au bois en voiture découverte. La victime était brune : c'était au moment où l'Empereur tremblait d'être assassiné par ses anciens amis les carbonari : or, on avait pris le pauvre homme pour un Italien.

On étouffa l'affaire et l'homme de la police fut envoyé en Corse pourvu d'un emploi bien rétribué.

La crainte du poignard italien troublait alors la tête de tous les gens de police qui voyaient partout des menaces pour l'Empereur. Un châtelain des environs de Nantes ayant connu, avant l'Empire, l'Impératrice aux eaux de Cauterets et en ayant conservé un souvenir gracieux, se plaçait quelquefois sur son passage, au bois, pour la saluer.

Il devint suspect, fut filé par la police et ses fils durent, par prudence, avertir M. Piétri que l'on n'avait rien à redouter de lui.

Voilà quelle était notre liberté sous l'Empire !

 

Mort de l'archevêque Sibour. — L'année 1857 fut inaugurée par un crime. Le 3 janvier, l'archevêque de Paris, M. Sibour, achevait les offices d'ouverture d'une neuvaine à l'église Saint-Étienne du Mont, lorsqu'un homme, placé sur son passage, le frappa d'un coup de couteau catalan. L'archevêque mourut le jour même. L'assassin l'avait frappé en criant :

A bas les déesses !

Il ne chercha pas à fuir et se laissa même arrêter sans résistance. C'était un prêtre interdit, nommé Verger. Quand on lui demanda d'expliquer ses étranges paroles il répondit avoir voulu protester contre le dogme récemment promulgué de l'Immaculée-Conception. Verger dont l'esprit ne paraissait pas des mieux équilibrés, fut condamné à mort et exécuté.

C'est en 1854, en effet, qu'avait été promulgué le dogme de l'Immaculée-Conception, et c'est en 1855 qu'avait été autorisée en France, par le Conseil d'État, la promulgation de la Bulle papale. Le clergé, d'ailleurs, avait devancé cette autorisation et, sur tout le territoire, il célébrait ce nouveau mystère, par des fêtes brillantes. Pendant que le gouvernement impérial interdisait toute polémique parlée ou écrite, il laissait le champ libre au parti clérical, et cette liberté lui donnait une force qui croissait de jour en jour.

 

14 JANVIER 1858. — ATTENTAT D'ORSINI. Au moment où la voiture qui conduisait Napoléon III et l'Impératrice arrivait à l'Opéra, alors situé rue Le Pelletier, trois explosions successives se firent entendre. La compression de l'air éteignit un instant le gaz qui, bientôt rallumé, éclaira une scène lamentable. Sur le pavé de la rue gisaient des femmes, des hommes, des chevaux morts ou blessés. Un fragment de projectile traversa le chapeau de l'Empereur ; l'Impératrice n'avait pas été touchée.

Quels étaient les auteurs de cet attentat ? — Trois Italiens : Orsini, Pieri et Rudio.

Napoléon ne manqua pas de tourner sa vengeance contre les républicains français, et, sur la déposition à peine intelligible, — et démentie d'ailleurs, — d'un Italien, M. Ledru Rollin, malgré les protestations publiques, fut impliqué dans cette affaire et condamné à la déportation.

Jules Favre défendit Orsini : son plaidoyer fut magnifique. Le célèbre avocat frappait juste en montrant le coupable égaré par un patriotisme ardent, par une fiévreuse aspiration à l'indépendance de la patrie qui est le rêve de toutes les nobles âmes. — Puis s'adressant aux jurés : N'êtes-vous pas, dès à présent, persuadés qu'Orsini n'a voulu qu'une chose : l'affranchissement, la délivrance de sa patrie ? Cette pensée, ce désir, ne peuvent pas excuser la mort de ces tristes victimes auxquelles Orsini, — il vous le disait hier, — voudrait pouvoir rendre la vie, mais ils l'expliquent : des sentiments impérieux, et dominateurs ont armé son bras.

— Il fut condamné à mort : ses complices aussi. Dans une lettre datée de Mazas, le 11 février, il écrivit à l'Empereur : Je subirai mon supplice sans demander grâce, parce que je ne m'humilierai jamais devant celui qui a tué la liberté naissante de ma patrie.

Orsini conserva toujours sa fierté et son calme. Rudio avait été gracié. A sept heures du matin les deux condamnés sortirent de prison. Pieri chantait d'une voix ferme le refrain : Mourir pour la Patrie ! Orsini la tête haute sous son voile noir lui recommandait le calme. — Vive la République ! vive l'Italie ! cria Pieri dont la tête fut abattue la première. — Orsini en se livrant à l'exécuteur cria : Vive la France ! — Au moment où le couteau tomba, toutes les têtes se découvrirent et saluèrent ceux qui savaient mourir. Les journaux reçurent l'ordre de ne jamais parler de cette exécution.

 

LA LOI DES SUSPECTS. — PROSCRIPTIONS. — LES CINQ. Napoléon profita de l'émotion qu'avait causée cet attentat pour arracher au Corps Législatif la fameuse loi de sûreté générale ou des suspects.

Cette loi néfaste, — la plus grande preuve d'effarement que monarque ait jamais donnée, — visait et punissait de peines énormes la provocation non suivie d'effet, aux crimes contre la famille impériale, la pratique des manœuvres et des intelligences soit à l'intérieur soit à l'étranger, le débit, la distribution, la simple détention des marchandises meurtrières et prévoyait même le délit de la conversation.

Contre ces crimes si bizarres, si élastiques, la même loi autorisait le ministre de l'intérieur à prononcer l'internement dans les départements ou en Algérie, et même l'expulsion du territoire. De plus, chose monstrueuse, le même ministre pouvait appliquer les mêmes peines à tout individu condamné pour cause politique depuis 1848.

Il ne se trouva dans la Chambre que 24 voix pour repousser une pareille loi ; quant au Sénat, inutile de dire qu'il ne s'opposa pas à sa promulgation.

Le général Espinasse accepta le titre de ministre de l'intérieur et de la sûreté générale : nous avons dit plus haut quelle avait été son œuvre sinistre.

Il commença à fixer à chaque préfet, pour son département, un nombre d'arrestations que celui-ci devait atteindre avec toute liberté sur le choix des personnes : 2.000 citoyens, environ, furent désignés et allèrent expier en Algérie ou à Cayenne le crime d'être républicain.

Bien que la terreur, en ce moment, régna sur la France entière Paris n'en saisit pas moins la première occasion pour montrer qu'il ne se sentait pas disposé à céder le terrain. Aux élections partielles des 27 avril et 10 mai 1858, il nomma deux républicains, Jules Favre, l'éloquent défenseur d'Orsini, et M. Ernest Picard, avocat, membre du conseil de surveillance du Siècle.

L'opposition, alors, compta cinq républicains à la Chambre : E. Ollivier, Darimon, Hénon, J. Favre et Picard. C'était ce fameux groupe des cinq qui, suppléant au nombre par le talent et la résolution devait commencer à réveiller l'esprit public en France.

 

12-24 AVRIL 1860. — La Savoie et le comté de Nice sont annexés à la France.

 

26 FÉVRIER 1862. — Les cours de M. Renan, au Collège de France, sont interdits. M. Renan était déclaré coupable d'avoir mal parlé de Jésus, ce qui blessait les croyances chrétiennes et pouvait entraîner des agitations regrettables, affirmait le ministre dans son arrêté de dissolution.

 

ÉLECTIONS RÉPUBLICAINES DE 1863. — Le mouvement républicain commence à s'accentuer en France : à Paris, toute la liste de l'opposition passa, Havin, Thiers, Olivier, Picard, Guéroult, Darimon, Simon, Pelletan ; J. Favre et Hénon furent élus à Lyon ; Berryer et Marie, à Marseille ; Lanjuinais, à Nantes. L'opposition réussit également dans vingt et une autres circonscriptions, ce qui portait à trente-cinq le nombre des députés républicains. C'était, à cette époque, un immense progrès. L'effet de ces élections fut immense en Europe, et le gouvernement bonapartiste s'en émut. Il comprit qu'il avait devant lui une vigoureuse hostilité qui grandirait et se fortifierait de jour en jour.

 

15 SEPTEMBRE 1864. — Napoléon III conclut avec l'Italie une convention en vertu de laquelle il retirerait le corps d'armée occupant Rome, à condition que l'Italie s'engagerait à ne pas attaquer le territoire pontifical et à le défendre contre toute attaque venant de l'intérieur.

 

VOYAGE EN ALGÉRIE (1865). — L'année 1865 vit un court interrègne. Napoléon ayant cru devoir visiter l'Algérie, le gouvernement lut remis aux mains de l'Impératrice régente.

 

UNE LETTRE CARACTÉRISTIQUE. — C'est à la même époque que le prince Napoléon, s'étant avisé, le 24 mai de prononcer, à Ajaccio, un discours dans lequel il reproduisait quelques paroles échappées à Napoléon Ier en faveur de la liberté, Napoléon III lui adressa une lettre dont voici les passages les plus marquants :

— Le programme politique que vous placez sous l'égide de l'Empereur, mon oncle, ne peut servir qu'aux ennemis de mon gouvernement.

Pour savoir appliquer aux temps actuels les idées de l'Empereur, il faut avoir passé par les rudes épreuves de la responsabilité et du Pouvoir.

Mais ce qui est clair aux yeux de tout le monde, c'est que, pour empêcher l'anarchie des esprits, cette ennemie redoutable de la vraie liberté, l'Empereur avait établi dans sa famille d'abord, dans son gouvernement ensuite, cette discipline sévère qui n'admettait qu'une volonté et qu'une action : je ne saurais, désormais, m'écarter de la même règle de conduite.

Sur ce, monsieur et cher cousin, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

 

SESSION DE 1866. — Cette session fut une des plus animées et des plus intéressantes de l'Empire. La grande et mémorable discussion sur les affaires du Mexique où Jules Favre eut un de ses plus beaux triomphes, et M. Rouher une de ses plus éclatantes défaites, fut un coup dont l'Empire ne se releva plus.

Aucun sénatus-consulte ne pouvait replâtrer cet effondrement et celui qui fut présenté à l'approbation du Sénat, en 1866, n'eut qu'un seul but : essayer de mettre la Constitution de 1852 au-dessus de toute discussion et de toute controverse. Le projet ne rencontra d'opposant que M. de Boissy et fut voté à l'unanimité de 115 voix.

Le Corps législatif commençait, décidément, à se montrer moins facile que le Sénat. A propos de cette discussion sur les affaires du Mexique l'opposition fit preuve d'une discipline qui paralysait les inconvénients de sa faiblesse numérique ; en outre, certains membres de la majorité ne défendirent plus le gouvernement qu'avec certaines réserves et même quarante-cinq membres de la Droite s'entendirent pour rédiger une Adresse dans laquelle ils demandaient qu'on fît un pas en avant dans la voie de la liberté. Cette nouveauté, alors singulière, fut en quelque sorte l'acte de naissance de cette fraction politique de nos représentants que l'on appela le tiers parti. — Cette Adresse, défendue par M. Emile Ollivier, réunit 63 voix sur 269 votants.

 

ANNÉE 1867. — Exposition universelle. — Tous les monarques de l'Europe s'étaient donné rendez-vous à Paris : Empereurs de Russie et d'Autriche, roi de Prusse, qu'accompagnait M. de Bismarck, etc., etc. — Bérézowski fit feu sur l'Empereur de Russie ; il déclara qu'il n'avait voulu tuer Alexandre que pour venger la Pologne. Traduit devant la Cour d'assises, il fut condamné aux travaux forcés, le jury ayant admis des circonstances atténuantes.

 

LES CHASSEPOTS ONT FAIT MERVEILLE. — Le 30 avril 1867, les troupes franco-pontificales se battaient à Mentana avec les volontaires de Garibaldi : le grand révolutionnaire rêvait alors d'achever l'œuvre de l'unité italienne en faisant de Rome la capitale de l'Italie et en renversant le pouvoir temporel du pape.

Le soir de la bataille, le général de Failly adressait à l'Empereur cette dépêche tristement célèbre qui parut dans le Moniteur du 12 octobre et qui se terminait par ces mots devenus trop fameux :

— Nos fusils chassepots ont fait merveille !

Ils avaient fait merveille en effet : grâce à eux plus de six cents patriotes italiens avaient cessé de vivre, le pouvoir temporel était maintenu et l'irritation de l'Italie contre le gouvernement impérial qui s'opposait constamment à ce qu'elle constituât son unité devenait plus vive encore.

A rapprocher de ces paroles lugubres qu'en 1831 le général Sébastiani, notre ministre des affaires étrangères, osait prononcer à la tribune des députés :

— Messieurs, l'ordre règne à Varsovie.

Il y régnait en effet, depuis que le 8 septembre de cette même année les Russes avaient passé au fil de l'épée tous les habitants de cette malheureuse ville qu'ils pillèrent et incendièrent après la tuerie.

 

SESSION DE 1868. — Quatre demandes d'interpellation sont déposées sur le bureau du Corps législatif : interpellations relatives à l'application des lois concernant la liberté individuelle, à la politique intérieure et extérieure et à l'expédition de Rome. — Mais comme il fallait à tout prix étouffer la voix de plus en plus écoutée et de plus en plus autorisée de l'opposition, comme il fallait mettre la liberté sous le boisseau, la dernière de ces interpellations fut seule permise.

 

NOVEMBRE 1868. — AFFAIRE BAUDIN. — A la suite d'une manifestation faite le 2 novembre, jour des Morts, autour de la tombe de Baudin, quelques journaux ouvrirent une souscription pour élever un monument funèbre à ce patriote tué sur les barricades par les soldats de Napoléon. Ces journaux furent d'abord saisis puis poursuivis comme coupables de manœuvres à l'intérieur et d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement.

MM. Peyrat, Delecluze, Quentin, Challemel Lacour, Gaillard, père et fils, Peyrouton, s'assirent sur le banc des accusés. Le ministère public osa prononcer une apologie du 2 Décembre, mais les défenseurs abandonnant la cause de leurs clients, qu'ils savaient d'avance, devoir être condamnés, firent, à la face de toute la France émue, le procès à cette période sinistre de notre histoire.

Je ne connais rien de plus beau, s'écria Arago, plaidant pour Delécluze, que la mort du républicain Baudin, victime involontaire de son dévouement à la loi et à la Constitution. Que le second Empire dresse des statues à ses complices mais qu'il laisse une tombe pour Baudin, c'est-à-dire pour la vertu, la fermeté, pour tout ce qui fait les bons citoyens !

 

C'est au milieu de la sensation produite par la plaidoirie de Me Arago, que Me Léon Gambetta, avocat jusqu'alors presqu'inconnu, prit la parole. D'un seul coup d'aile, le débat s'élevait à une hauteur incommensurable. Ce n'était plus le témoignage du passé qu'on allait entendre, c'était la voix d'un homme tout jeune, flétrissant l'Empire au nom des générations nouvelles ; ce n'était plus une plaidoirie mais un véritable discours de tribune, d'une éloquence virulente et égale à celle des plus illustres orateurs.

— Peut-on jamais, s'écria-t-il, sous prétexte de salut public, renverser la loi et traiter de criminels ceux qui la défendent ? L'acte du 2 Décembre a porté le trouble dans les consciences. A cette date se sont groupés autour d'un prétendant, des hommes sans talent, sans honneur, perdus de dettes et de crimes, de ces complices, de ces gens dont on peut répéter ce que César a dit lui-même des gens qui conspiraient avec lui : éternels rebuts des sociétés irrégulières...

 

Le substitut Aulois veut interrompre, mais Gambetta donnant à sa parole plus de véhémence encore :

— Avec ce personnel, continue-t-il, on sabre depuis des siècles les institutions et les lois. Ecoutez ! voilà dix-sept ans que vous êtes les maîtres absolus de la France, eh bien ! avez-vous jamais osé dire : nous mettons au rang des solennités de la France le 2 Décembre comme anniversaire national !... Et cependant tous les régimes qui se sont succédés dans le pays se sont honorés du jour qui les a vus naître. Il n'y a que deux anniversaires, le 18 Brumaire et le 2 Décembre qui n'ont jamais été mis au rang des solennités d'origine, parce que vous savez que si vous osiez les mettre, la conscience universelle les repousserait. Eh bien ! cet anniversaire, nous le prenons ! Vous avez dit : Nous aviserons ! Nous ne redoutons ni vos menaces ni vos dédains ; vous pouvez nous frapper, vous ne pouvez ni nous déshonorer ni nous abattre.

 

L'avocat impérial se lève et déclare que de telles paroles vont bien au delà des limites fixées par la défense. Une lutte s'engage entre ces deux hommes, l'un s'efforçant de parler, l'autre couvrant la voix de son adversaire, lutte inégale, car M. Aulois ne tardait pas à tomber épuisé sur son banc, tandis que Gambetta continuait avec une nouvelle vigueur son admirable plaidoirie : Il a voulu me fermer la bouche, disait-il au sortir de l'audience en parlant du ministère public, mais je l'ai submergé : le mot était vrai, car le ministère public avait en quelque sorte disparu sous les flots tumultueux des phrases de Me Gambetta.

Accablé par la chaleur, par la fatigue, par l'émotion, Me Gambetta termine et retombe sur son banc au milieu des applaudissements que le président essaie en vain de réprimer et qui vont se répercutant de la salle dans l'escalier et de l'escalier dans la cour. Les prévenus se jettent alors dans les bras de leur défenseur dont l'éclatant triomphe était, le lendemain, salué par la France entière.

Après lui, MM. Laurier, Leblond et Hubbard, prirent successivement la parole pour Challemel-Lacour, Gaillard, Peyrouton et le tribunal rendit son jugement. Delécluze fut condamné à 2.000 fr. d'amende, à six mois de prison et interdit pendant le même temps de ses droits civiques : Quentin, Peyrat, Challemel-Lacour, et Duret, furent condamnés chacun à 2.000 fr. d'amende ; Gaillard père à 500 fr. ; Gaillard fils et Peyrouton, à 150 fr. et un mois de prison. Mais la France qu'avait vivement impressionnée ce procès et qui commençait à devenir mûre pour la démocratie, déclara hautement que le seul condamné était l'Empire.

 

ANNÉES 1869-1870. — Les événements se précipitent et la catastrophe est prochaine. L'Empire qui se sent agoniser appelle désespérément à son secours tous les palliatifs possibles pour retarder sa dernière heure ; il ne recule devant aucune palinodie pour endormir l'opinion publique qu'il sent soulevée contre lui.

Le discours de Napoléon, à l'ouverture de la session du 18 Janvier, se ressent de ces graves préoccupations :

La tâche que nous avons entreprise ensemble, dit-il dans son message aux Chambres est ardue. Ce n'est pas, en effet, sans difficulté qu'on fonde sur un sol remué par tant de révolutions un gouvernement assez pénétré des besoins de son époque pour en adopter tous les bienfaits de la liberté, assez fort pour en supporter même les excès..... Les armées de terre et de mer fortement constituées sont sur le pied de paix ; l'effectif maintenu sous les drapeaux n'excède pas celui des régimes antérieurs mais notre armement perfectionné, nos magasins et nos arsenaux remplis, nos réserves exercées, la garde nationale mobile en voie d'organisation, notre flotte transformée, nos places fortes en bon état donnent à notre puissance un développement indispensable.

Le but constant de mes efforts est atteint ; les ressources militaires de la France sont, désormais, à la hauteur de ses destinées dans le monde. Dans cette situation, nous pouvons proclamer hautement le désir de maintenir la paix : il n'y a point de faiblesse à le dire lorsqu'on est prêt pour la défense de l'honneur et de l'indépendance du pays !

 

Quelle démence ou quel cynisme ! Napoléon se faisait-il illusion, ou voulait-il en imposer à la France et à l'Europe ? Puis il terminait en disant :

— Bientôt, la nation convoquée dans ses comices sanctionnera la politique que nous avons suivie ; elle proclamera une fois de plus par ses choix, qu'elle ne veut pas de révolution, mais qu'elle veut asseoir les destinées de la France sur l'intime alliance du pouvoir et de la liberté. Tragediante ! Comediante !

 

Que fit la nation convoquée dans ses comices pour les élections de mai ?

Malgré tout le hideux système de propagande mis en jeu par le gouvernement pour ses candidats officiels ; malgré que ni les poursuites ni les entraves, ni les intimidations n'eussent été mesurées aux républicains et à leurs journaux ; malgré les rédacteurs envoyés par le ministre de l'Intérieur à toutes les feuilles officielles achetées ou salariées ; malgré une forte brèche dans les fonds secrets pour gagner à la cause impériale la conscience des électeurs qui voulaient se vendre ; malgré, en un mot, la pression la plus arbitraire dont ait jamais usé un régime despotique, la nation convoquée dans ses comices put encore gagner de belles victoires républicaines et l'échec du gouvernement fut le plus éclatant qu'il eût subi jusqu'à ce jour.

Dans la Seine, aucun candidat réactionnaire ne réussit à se faire élire ; en province, outre les premiers sièges gagnés, le scrutin de ballotage nécessitèrent 59 tours, sur lesquels l'opposition eut 33 nominations et de l'ensemble des opérations électorales, il résulta que les gouvernementaux réunirent seulement 4.636.713 voix, contre 3.266.366 donnés aux républicains.

C'était un immense progrès, un pas considérable fait en avant par le parti libéral.

Parmi les nouveaux députés on remarqua surtout Gambetta, élu dans la première circonscription de la Seine et à Marseille, qui se plaça devant ses électeurs, comme le représentant du parti irréconciliable avec l'empire ; il opta pour les Bouches-du-Rhône et fut remplacé dans le département de la Seine, par Rochefort qui, à la suite de la publication des Lanternes et des condamnations qu'elles lui avaient occasionnées, était devenu une véritable idole pour le peuple parisien.

De cette année date l'apparition des Blouses blanches, nom donné à de faux ouvriers revêtus de blouses blanches, payés avec l'argent des fonds secrets et qui simulaient des émeutes ou servaient aux excitations policières. La police, en effet, quand elle arrivait, les laissait s'esquiver prudemment : et les agents pouvaient alors se ruer au hasard sur les soi-disant émeutiers, généralement composés de badauds, de curieux et les frapper de leurs épées ou des casse-tête, dont on les armait pour ces sortes d'expéditions. Ce sont ces mêmes Blouses blanches qui, au moment où la guerre allait être déclarée à l'Allemagne, parcoururent tumultueusement les boulevards en criant avec un enthousiasme qu'on leur avait plus ou moins chèrement acheté : À Berlin ! à Berlin !

Lorsque s'ouvrit la session de Novembre, les embarras, les craintes de l'Empereur furent beaucoup plus visibles encore qu'en janvier.

La France, dit-il, veut la liberté, mais la liberté avec l'ordre. — L'ordre, j'en réponds. Aidez-moi, Messieurs, à sauver la liberté.

C'était là le cri suprême, l'appel désespéré du mourant !

Devant cette situation critique le ministère donna sa démission, et, le 28 décembre, le Journal Officiel — l'ancien Moniteur — publiait une lettre de l'Empereur priant M. Emile Ollivier de lui désigner les personnes, pouvant former un cabinet homogène, décidé qu'il était d'appliquer dans sa lettre comme dans son esprit, le Sénatus-consulte du 8 septembre 1869 portant que le corps législatif partageait avec l'Empereur l'initiative des lois ; qu'il nommait son président et ses secrétaires ; que les ministres étaient responsables ; que le Sénat pouvait s'opposer à la promulgation d'une loi et qu'il nommait son bureau. En outre, aux termes de ce même sénatus-consulte, les droits d'interpellation et d'amendement étaient débarrassés des principales entraves qui les gênaient, le budget devait être, à l'avenir, voté par chapitres et articles, les traités des douanes et de poste devaient être sanctionnés par une loi et les rapports constitutionnels entre l'Empereur et les deux assemblées ne pouvaient être modifiés que par un nouveau Sénatus-consulte.

Ce fameux cabinet Ollivier, — cabinet soi-disant libéral et l'une des plus grandes mystifications de l'Empire, — ne fut constitué que le 2 janvier. — Il était ainsi composé : à la Justice, Ollivier ; aux affaires étrangères, Daru ; à l'Intérieur, Chevandier de Valdrôme ; aux finances, Buffet ; à l'Instruction publique, Ségris ; à l'agriculture et au commerce, Louvet ; aux travaux publics, Talhouët ; à la guerre, Lebœuf ; à la marine, Rigault de Genouilly ; aux Beaux-Arts (nouveau-ministère), Maurice Richard.

Emile Ollivier promettant l'Empire libéral (?) et développant le programme du cabinet, dans la séance du 10 janvier 1870, s'attira cette verte réponse de Gambetta :

Il n'est pas exact qu'entre nous et le gouvernement il n'y ait qu'une question de mesure : il y a une question de principe. Donc si, pour fonder la liberté vous comptez sur notre concours, vous ne le rencontrerez jamais... Vous avez invoqué le suffrage universel le déclarant la base et l'ordre social de la liberté : nous l'admettons, mais, à nos yeux, le suffrage universel n'est pas compatible avec la forme de gouvernement que vous préconisez... Je reste et je resterai constitutionnel en démontrant, jour à jour, qu'entre la forme aujourd'hui dominante et le suffrage universel, il y a inconciliabilité absolue. Cela ne veut pas dire que ne pouvant avoir satisfaction dans cette enceinte, je chercherai en dehors l'appui de la force. Non ! je crois que c'est à la lumière de cette tribune que se formera le progrès de l'évidence, la majorité qui vous succèdera et qui tirera les conclusions indiquées par la logique ; pour nous, vous n'êtes qu'un pont, et ce pont, nous le passons.

Né le lendemain de l'affaire Troppmann le ministère précédait de peu de jours le sanglant drame d'Auteuil.

 

LE DRAME D'AUTEUIL. — Le 10 janvier 1870, vers quatre heures de l'après-midi, le bruit se répandait dans Paris que le prince Bonaparte — Pierre — demeurant à Auteuil, avait, après une altercation des plus vives, tué d'un coup de revolver l'un des rédacteurs de la Marseillaise, M. Yvan Salmon, plus connu sous le nom de Victor Noir. Le lendemain, à la première heure, le journal la Marseillaise, encadré d'un large filet de deuil était dans toutes les mains, sous ces deux titres : Assassinat commis par le prince Pierre Bonaparte sur le citoyen Victor Noir : Tentative d'assassinat commis par le prince Pierre Bonaparte sur le citoyen Ulrich de Fonvielle, le journal contenait : 1° Un appel au peuple, signé Rochefort ; cet article donna lieu à des poursuites qui firent condamner le député-journaliste à six mois de prison ; 2° Une déclaration d'Ulrich de Fonvielle qui fut reproduite dans l'acte d'accusation lorsque se déroula le procès.

Voici en peu de mots, les motifs qui avaient amené à Auteuil Victor Noir et Ulrich de Fonvielle.

A la suite d'une violente polémique qui s'était engagée dans l'Avenir de la Corse entre Pierre Bonaparte et la Revanche, journal de Bastia, Paschal Grousset représentant à Paris de cette dernière feuille, écrivit à Noir et de Fonvielle, une lettre ainsi conçue :

Voici, mes chers amis, un article récemment publié par l'Avenir de la Corse, avec la signature du prince Bonaparte, où se trouvent à l'adresse des rédacteurs de la Revanche, journal démocratique de la Corse, les insultes les plus grossières. Je vous prie, mes chers amis, de vouloir bien vous présenter, en mon nom, chez M. Pierre Bonaparte et de lui demander la réparation qu'aucun homme d'honneur ne peut refuser dans ces circonstances.

 

A une heure de l'après-midi, le 10 janvier, Noir et Fonvielle se présentaient chez le Prince et lui remettaient cette lettre. Quelques instants après, Victor Noir frappé mortellement au cœur par une balle, venait tomber dans la rue, devant la maison qu'habitait à Auteuil le prince Pierre.

Le cadavre fut transporté dans la modeste chambre que Noir occupait à Neuilly, place du marché, et le 12 janvier eurent lieu ses funérailles civiles.

Citoyens, dit Ulrich de Fonvielle : sur le bord de la tombe, en présence de tous, je jure que Victor Noir a été lâchement assassiné par un Bonaparte. Sans raison, sans motif, sans provocation de sa part, il a été froidement tué devant mes yeux. Mais, attendons l'expiation ! — Si nous n'obtenons rien de la justice impériale, nous aurons alors recours à la justice du peuple. Victor Noir, mon ami, mon frère, toi qui as arrosé de ton sang la demeure d'un prince pour la sainte cause de la Liberté, de la République, je te vengerai, nous te vengerons !

 

Cet assassinat, dès qu'il fut connu dans Paris, avait causé une émotion et une indignation profondes : aussi, le soir même, une note, émanée du ministère, était-elle adressée à tous les journaux, annonçant que le prince était arrêté et qu'une instruction judiciaire allait commencer.

Cette communication ne paraissait avoir été faite que pour calmer l'opinion publique justement surexcitée. Le 21 mars, en effet, une haute cour de justice (?) siégeant à Tours, et dont chaque membre, — juges et jurés — avait été soigneusement choisi par l'empereur, acquittait le prince Bonaparte.

Telle fut l'issue de ce procès que l'histoire doit transmettre à la postérité comme un des événements les plus déplorables de ce règne si fertile, cependant, en affaires scandaleuses.

 

LE PLÉBISCITE. — Un décret convoque pour le 8 mai 1870 tous les électeurs à voter par un oui ou un non sur cette formule.

Le peuple approuve les réformes liber ales, opérées dans la constitution depuis 1860 par l'empereur avec le concours des grands corps de l'Etat.

 

Napoléon III appuya cette demande de plébiscite d'un manifeste se terminant par cette phrase qui éveilla les justes soupçons de la France démocratique et soucieuse de ses destinées :

— En apportant au scrutin un vote affirmatif vous rendrez plus facile dans l'avenir la transmission de la couronne à mon fils.

 

Ces mots révélaient tout le secret du plébiscite.

Napoléon sentant de plus en plus le sol trembler sous ses pieds voulait, d'abord étayer son trône chancelant et, ensuite, assurer la couronne à son fils. C'était inviter le peuple à voter le perfectionnement d'un crime ; celui du 2 Décembre.

Grâce à une pression des plus énergiques, des plus scandaleuses, 7.336.434 oui se déclarèrent pour la conservation de l'Empire ; 1.560.700 non en demandèrent le renversement. Ces chiffres si favorables au premier abord ne manquèrent pas de provoquer, en haut lieu, des réflexions sérieuses. La cause impériale avait perdu bon nombre de voix depuis le dernier plébiscite, et, en outre, les victoires républicaines, aux élections, étaient allées — nous l'avons vu, — s'accentuant de plus en plus.

Si l'auteur du Coup d'Etat, écrivit à ce propos Victor Hugo, tient absolument à nous adresser une question nous ne lui reconnaissons que le droit de nous poser celle ci :

Dois-je quitter les Tuileries pour me mettre à la disposition de la justice ?