CHARLOTTE DE MONTMORENCY

 

SUPPLÉMENT.

 

 

LES AMOURS DE HENRI IV, ROI DE FRANCE[1].

À AMSTERDAM MDCCLIV.

 

Nous ne donnons ici que la dernière partie du volume, partie consacrée spécialement au dernier amour d'Henri IV et, servant alors d'appendice. On verra que le récit, sauf quelques fioritures, si nous pouvons ainsi dire, est scrupuleusement exact dans son ensemble, sous couleur de roman ingénieux et d'une psychologie de surface, mais assez fine.

Sur ces amours nous pourrions signaler aussi : Histoire des amours du grand Alcandre, en laquelle se lisent, sous des noms empruntez, les adventures amoureuses d'un grand prince du siècle dernier. Paris, Guillemot, 1651, in-4° ; mais ce petit livre écrit par la princesse de Conty, Marie-Louise de Lorraine, est d'une lecture d'autant plus ennuyeuse qu'il faut sans cesse rechercher ou deviner les personnages réels mis en scène sous leurs noms empruntez.

 

*****

 

Depuis que le roi avait été contraint de revenir à ses anciennes maîtresses, il partageait ses soins entre la marquise de Verneuil[2] et la comtesse de Moret[3]. Ces deux belles qui avaient chacune leur favori souffraient ce partage assez volontiers. L'une était aimée du duc de Guise et l'autre du prince de Joinville. Le roi revenait de la frontière lorsqu'il apprit le cruel déplaisir arrivé à la reine Marguerite par la mort de Julien Dat[4], amant qui lui était fort cher. Il envoya Bassompierre pour la complimenter sur cette perte, en même temps, le chargea de deux lettres pour ses deux maîtresses. Bassompierre commença sa commission par Mme de Verneuil parce qu'il était en commerce de galanterie avec Mlle d'Entragues, sœur de la marquise, qui logeait avec elle, et, comme on n'a rien de secret pour ce qu'on aime, il fut assez imprudent pour dire à Mlle d'Entragues qu'il avait également une lettre pour la comtesse de Moret. La marquise ne manquait pas de curiosité. C'est le péché originel des femmes. Elle voulut la voir et lui fit commander par sa sœur de la lui donner. Le moyen de dissimuler cette lettre après avoir donné son cœur ? Bassompierre donnait donc la lettre et trahissait son maître pour ne pas déplaire à sa maîtresse. La marquise la lut et la lui rendit en lui disant que pour se tirer d'embarras il n'avait qu'à faire un cachet semblable à celui du roi et recacheter la lettre.

Bassompierre voyant que c'était le plus court envoya, le lendemain, son valet de chambre chez un graveur, pour faire un cachet et, comme souvent tout arrive à contre-poil, lorsqu'une fois on s'est jeté dans un mauvais pas, cet homme alla justement chez celui qui avait fait le cachet du roi. Le graveur croyant la chose plus mystérieuse qu'elle ne l'était dans le fond, demanda la lettre comme s'il voulait examiner l'empreinte du cachet, se jeta en même temps sur le porteur et le prit au collet dans le dessein de l'arrêter.

Ce garçon plus vigoureux que le graveur se débarrassait aux dépens de son chapeau, de son manteau, qui demeurèrent en gage, et aussitôt rejoignit la maison de son maître, qui ne fut pas moins surpris de l'aventure que son valet. Après avoir rêvé quelque temps à ce qu'il devait faire, il disait à son domestique de se cacher et prenait le parti d'aller chez Mme de Moret. Il lui raconta que recevant un billet qu'il n'avait su lire d'abord, d'une dame de ses amies, il avait ensuite décacheté la lettre qu'il lui portait de la part du roi, pensant que ce fût celle de son amie et craignant qu'elle ne l'accusât de s'être équivoqué à dessein il avait voulu faire imiter le cachet de Sa Majesté, pour la recacheter, et lui détailla l'aventure de son valet et de Turpin, c'est le nom du graveur, finissant par la prier d'envoyer lui demander la lettre.

La comtesse, à qui cette équipée ne tenait pas fort au cœur, se divertissait de l'aventure, en riant avec Bassompierre, et, sans entrer dans de plus grands éclaircissements, elle envoyait aussitôt demander la lettre à Turpin. Le fidèle graveur répondit qu'il n'en était plus le maître et l'avait envoyée au président de la Tournelle, M. de Séguier. La comtesse ni Bassompierre n'ayant aucune habitude avec ce président, qui était un homme pointilleux et bourru, songèrent à autre chose pour se tirer de cet embarras. Après bien des expédients ils ne trouvèrent rien de meilleur que de prier Mme de Loménie d'employer son influence pour terminer cette affaire, soit en retirant la lettre des mains du président, ou en obligeant son mari, secrétaire du roi, d'en parler à Sa Majesté.

Bassompierre, après cette résolution, sortit de chez la comtesse et courut chez Mme de Loménie[5] qu'il trouva fort embarrassée à faire ses dépêches pour la Cour. Elle le pria de s'asseoir jusqu'à ce qu'elle eût achevé la lettre fort importante qu'elle écrivait à son mari. Se doutant que cette lettre regardait son affaire, il lui demanda s'il était arrivé quelque chose de si pressé qu'elle ne pût lui donner un moment d'audience. Mme de Loménie répondait qu'elle venait d'apprendre qu'on avait voulu contrefaire le cachet du roi, que celui qui en avait eu le dessein s'était sauvé, mais qu'on avait la lettre écrite par le roi même ; qu'elle écrivait à son mari, afin qu'il sût du monarque à qui la lettre s'adressait et à qui il l'avait confiée, pour ensuite, pouvoir développer ce mystère. Comme elle en faisait une grosse aventure elle ajouta qu'elle donnerait deux mille écus pour avoir sur cela des lumières assurées. Bassompierre tout intéressé qu'il était, ne put s'empêcher de rire lorsqu'il vit que Mme de Loménie traitait si sérieusement une bagatelle, et lui dit qu'à meilleur marché il lui donnerait satisfaction. Là-dessus il lui conta la chose comme il l'avait contée à la comtesse de Moret. Mme de Loménie était amie intime de Bassompierre, son mari l'aimait tendrement aussi, de sorte qu'elle lui promettait d'étouffer l'affaire pourvu qu'il voulût aller lui-même à Villers-Cotterêts où le roi devait être le lendemain, et se charger d'une autre dépêche qu'elle allait faire à M. Loménie sur le même sujet, pour l'informer de ce qu'il venait de lui dire. Bassompierre accepta ; puis ayant pris la réponse de Mme de Verneuil et celle que la comtesse de Moret faisait à une lettre qu'elle n'avait pas reçue, partait pour Villers-Cotte rets, où le roi était arrivé déjà, se réjouissant avec la comtesse de cette aventure et de l'inquiétude qu'elle avait donnée au marquis[6].

Le roi avait mille sujets de n'être pas content des Espagnols qui se trouvaient dans toutes les conspirations faites contre sa personne. Il croyait que sa vie serait plus en sûreté s'il leur faisait une guerre ouverte, parce qu'ils lui tendaient tous les jours quelque piège dans lequel, tôt ou tard, il risquait de donner. Aussi, songeait-il constamment à ruiner une maison plus ennemie de sa personne en particulier, qu'elle ne l'était de la France, en général. Mais il avait le défaut des cœurs tendres : celui de n'avoir rien de secret pour les femmes. Il avait communiqué ce projet à la reine qui n'était déjà que trop bien avec les Espagnols[7], et travaillait alors constamment à l'en détourner, le sollicitant, au contraire, d'entrer en ligue avec eux et avec le pape. Ce grand dessein ne l'empêchait point de faire d'excessives dépenses en bâtiments, au jeu, en maîtresses. Ceux qui cherchent toujours des mystères dans les actions des princes ont voulu dire qu'il le faisait exprès afin que son exemple jetât les grands du royaume sur ces écueils et qu'étant occupés à ces vains amusements ; efféminés par les voluptés, et incommodés par ces dépenses, ils n'eussent ni le temps ni les moyens de former des séditions. Si ce fut là son intention, on peut dire qu'il fit ce qu'il voulait faire, car il y en a qui firent de si grosses pertes au jeu qu'ils n'étaient pas en état, lors même qu'ils l'eussent voulu, de faire des remuements. Mais ces choses regardent plutôt l'histoire de Henri IV, que ses amours. Aussi, ceux qui voudront savoir à quoi les grands desseins aboutissaient et les mécontentements d'une grande partie du royaume n'ont qu'à consulter les historiens.

Alors le roi était à Saint-Germain, avec le prince de Conti, les ducs de Montpensier et de Vendôme[8]. En revenant à Paris dans le carrosse du roi, ils pensèrent se noyer en traversant la Seine. Il n'y avait point, en ce temps, de pont à Neuilly et l'on passait la rivière dans un bac. En entrant l'un des chevaux tombait dans l'eau et entraînait le carrosse dans un endroit assez profond. Les gentilshommes qui suivaient à cheval se jetèrent d'abord dans la rivière et sauvèrent heureusement le roi ; puis ils coururent au reste qu'ils sauvèrent aussi. La reine fut le plus en danger. La Chataigneraie la retira. Quelque temps après récompensé d'une compagnie de ses gardes. La marquise de Verneuil, à son ordinaire, égaya malicieusement son esprit sur cette aventure et dit au roi, la première fois qu'elle le voyait, que si elle avait été de la partie, lorsqu'elle aurait vu Sa Majesté hors de danger elle aurait crié : La reine boit. Les cours ne manquant jamais ni d'espions ni de flatteurs, cette raillerie fut rapportée à la reine. Elle se mettait en si grosse colère, qu'elle fut plus de quinze jours sans vouloir parler au roi. Ce fut un opéra pour les raccommoder. Après qu'ils se furent réconciliés on proposait un ballet dont la reine voulait être. Mais le roi ayant souhaité que la comtesse de Moret en fût la reine ne voulut jamais et rompit ainsi la partie.

Le prince de Joinville[9], revenu de son voyage, continuait toujours son commerce avec Mme de Moret qui ne lui était pas cruelle. Malheureusement le roi en fut averti et eut avec la comtesse de Moret d'assez grandes discussions. Il lui reprocha de manière insultante son infidélité. La comtesse, se voyant convaincue, se contenta de dire, pour s'excuser, que le prince avait promis de l'épouser. Le roi, persuadé que qui pouvait faire une infidélité pouvait bien faire un mensonge, voulut s'éclaircir de la vérité. Alors il envoyait chercher la duchesse de Guise à laquelle il reprocha l'imprudence de son fils, menaçant même de le faire punir s'il retombait dans la même faute et s'il ne réparait celle déjà commise en épousant la comtesse. Il ajouta qu'il ne trouvait pas mauvais qu'on recherchât ses maîtresses pour le mariage, mais qu'il ne prétendait pas qu'on se servît de ce prétexte pour cacher des intrigues criminelles, et que s'il traitait avec indulgence le prince de Joinville, c'était en faveur de la parenté entre elle et lui. De fait, la princesse était sa cousine germaine, fille de Marguerite de Bourbon sa tante. La duchesse de Guise, d'un naturel fier, recevait mal les honnêtetés du roi, lui répondant d'une manière un peu haute ce qui acheva de l'irriter et le mettait en si mauvaise humeur qu'il ordonnait qu'on arrêtât le prince de Joinville. Mais le prince ayant connu l'emportement du monarque avait déjà pris le large. Ses parents tâchèrent de ramener le roi. Tout ce qu'il put obtenir c'est que la témérité du prince demeurerait impunie pourvu qu'il sortît du royaume et n'y revînt plus. Il obéissait, et ne fut rappelé de son exil que sous le règne suivant[10].

Le roi, songeant à oublier l'infidélité de la comtesse, jeta les yeux sur la duchesse de Montpensier qui n'était veuve que depuis quelques jours, s'imaginant qu'étant aimé d'une princesse il ne courrait pas les mêmes risques d'être trompé. La belle était alors à la campagne. Il chargeait donc le comte de Cramail[11], son voisin, d'en faire la première ouverture. Le comte, très bien de sa personne, ne manquant ni d'esprit, ni de courage, se chargea d'autant plus volontiers de la commission qu'il espérait en profiter lui-même en cas que la princesse acceptât le parti. Mais, ayant senti, dès le commencement de la conversation, qu'elle n'était pas disposée à rien faire contre son honneur, il ne s'en ouvrit pas davantage et se renfermait à l'attirer à la Cour pour donner au roi une espèce de satisfaction. Cependant, il n'en fut rien de mieux et trouva si peu d'apparence de réussir dans ce dessein qu'il l'abandonna complètement.

Mme de Verneuil, qui vécut avec le roi, tantôt bien, tantôt mal[12], et qui réglait ses caprices sur ses intrigues particulières, profita du mauvais succès du roi auprès de ses maitresses et triompha de toutes ses rivales quoique depuis peu la comtesse de Moret lui eût donné un fils qui fut Antoine de Bourbon, comte de Moret, tué sous le règne suivant, à la bataille de Castelnaudary, dans l'armée du duc de Montmorency[13]. La marquise de Verneuil, s'imaginant que le roi l'aimerait davantage si elle pouvait lui mettre une fois la jalousie en tête, fit courir le bruit que le duc de Guise voulait l'épouser et fit même publier les bans à l'insu de ce prince, qui, ne songeant pas à elle, en voulait à Mlle d'Entragues sa sœur. Cependant il n'en était pas aimé. Bassompierre était le favori et passait presque toutes ses nuits avec elle.

Le Roi, selon les désirs de la marquise, était devenu jaloux. Averti qu'on voyait toutes les nuits entrer un homme chez Mme d'Entragues, il crut que ce ne pouvait être que le duc de Guise qui s'allait divertir avec son infidèle. Il voulut s'en s'éclaircir par lui-même. L'étonnement où il vit le duc, aux premières paroles qu'il lui en dit, guérissait entièrement ses soupçons et Sa Majesté en fut si satisfaite et si persuadée de son innocence qu'elle lui recommanda d'être aux écoutes et de débrouiller ces visites nocturnes. Dès le soir même il mettait plusieurs personnes en campagne. Il y en eut qui virent entrer Bassompierre par son chemin ordinaire. Mais t'obscurité, le manteau dont il était enveloppé les empêchèrent de vraiment le reconnaître. Tout ce qu'ils purent remarquer fut l'ordre du Saint-Esprit sur son manteau qu'il avait emprunté à Bellegarde[14], avec lequel il avait soupé, pour se garantir d'une grosse pluie qui survint précisément, dans le temps qu'il voulut s'en retourner chez lui. Ces gens allèrent dire au duc de Guise qu'ils avaient vu passer par la porte de derrière un jeune chevalier. Le duc, qui ne pouvait faire aucun jugement certain sur ce rapport, envoya deux de ses domestiques sur les lieux pour reconnaître à la sortie son heureux rival. Bassompierre s'apercevant qu'on l'observait se cacha du mieux qu'il put, de sorte que ceux-ci ne purent dire à leur maître que ce que les autres l>ii avaient déjà dit. Rêvant longtemps sur cette aventure, il en concluait enfin que ce ne pouvait être que Bellegarde. Bassompierre, de son côté, ne manqua point de faire avertir Mlle d'Entragues de ce qui était arrivé, afin qu'elle se préparât à répondre au duc de Guise comme elle le jugerait à propos.

Le duc de Guise, encore plus jaloux que le Roi, ne pouvant demeurer dans cette incertitude, alla dès le matin chez Bellegarde, qui ne fut pas visible. On lui dit pour excuse qu'il avait passé une très mauvaise nuit à cause d'une violente douleur de dents qui ne lui avait pas laissé le plus petit moment de repos, et qu'il ne serait en état d'être vu que le soir. Il n'en fallut pas davantage pour confirmer le duc de Guise dans ses soupçons. Il crut qu'ayant été toute la nuit en mouvement il avait besoin de dormir le jour. Il passa chez Bassompierre qui était au lit et qu'il faisait lever en robe de chambre afin de pouvoir lui dire tête à tête le sujet de son inquiétude.

Bassompierre, à qui la visite d'un rival n'annonçait rien de favorable, se leva tout aussitôt, ne doutant pas qu'il ne fût découvert. Il se rassura bientôt et ses craintes ne durèrent qu'autant que le silence du duc.

Croiriez-vous, marquis, lui dit-il, que le grand écuyer est mieux que vous, et même mieux que personne, dans l'esprit de Mlle d'Entragues. Que diriez-vous si l'on vous assurait qu'elle partage toutes ses nuits avec ce cavalier ?Je vous dirais que c'est un conte, répondit froidement M. de Bassompierre ; il n'est pas possible que cela soit et je sais qu'ils ne s'aiment ni l'un ni l'autre. — Que l'on croit aisément ce que l'on souhaite ! répondit le duc. Il n'y a pas longtemps que j'étais prévenu en sa faveur comme vous l'êtes à présent. Soyez certain, et je le sais, que M. le Grand a passé cette nuit avec elle et qu'il n'en est sorti qu'à quatre heures du matin. On le vit entrer et mes valets de chambre remarquèrent qu'il se mettait si peu en peine de cacher son bonheur qu'il ne s'est pas soucié de faire voir la croix de l'ordre qui était à son manteau.

Ces amants se promenaient toujours à grands pas, s'entretenant du bonheur imaginaire de Bellegarde, lorsque Bassompierre apercevait le manteau qui l'avait fait méconnaître. Et comme la croix paraissait tout entière, il eut peur que ce témoin irréprochable ne trahit son secret, et il s'assit dessus. Le duc, qui n'avait rien remarqué, voulut le faire lever et l'obliger à se promener ; mais il eut l'adresse de lui donner le change et de demeurer sur son manteau jusqu'à ce qu'un valet de chambre, qui était aux écoutes et, selon toute apparence, savait son secret, vint et emporta le manteau dans le temps que le duc avait le dos tourné[15]. A tant de circonstances Bassompierre fit très fort l'étonné et pesta de tout son cœur contre la légèreté du sexe en général, daubant Mlle d'Entragues, l'appelant un caméléon. Le duc en faisait autant de son côté, puis il sortit.

Il ne s'était pas plutôt en allé que Bassompierre faisait savoir à Mlle d'Entragues l'erreur où était le duc. Cette belle qui était de bonne race et ne manquait point d'expérience, prit la résolution de l'y confirmer, faisant en sa présence mille signes d'intelligence à Bellegarde. Le duc de Guise l'en railla. M. le Grand, bien aise de l'entretenir dans son erreur, lui répondit d'une manière ambiguë. Bassompierre rendit compte de la conversation avec Mlle d'Entragues qui fut fort contente de la conduite. Elle le pria de continuer sur le même pied, l'assurant qu'ils y trouveraient tous les deux les avantages qu'ils pouvaient espérer, en ce que les soupçons du duc de Guise et du Roi tomberaient sur Bellegarde. Ils firent avertir Mme d'Entragues du commerce que sa fille avait avec le grand écuyer et cela fut cause qu'elle l'observa de plus près. Un matin, voulant tirer le rideau pour cracher, elle voyait le lit découvert de sa fille, et qu'elle n'y était pas. Se doutant de ce qui était, elle passa dans sa garde-robe d'où elle vit que la porte de l'escalier dérobé qu'elle croyait condamnée était ouverte. Elle cria. Sa fille qui reconnut sa voix se leva d'auprès de Bassompierre au plus vite et vint à elle. Mme d'Entragues la régala d'abord de quelques soufflets et, après que sa colère fut un brin apaisée, elle se fit enfoncer la porte de cet escalier que Bassompierre avait fermée pour avoir le temps de s'habiller. Cette porte étant ouverte, elle monta précipitamment jusqu'au premier étage et demeura fort surprise de n'y voir personne et encore plus devoir la chambre du rendez-vous si magnifiquement meublée.

Ce contre-temps aurait fini leur commerce si l'amour qui ne manque point d'expédients ne leur avait appris le moyen de se voir ailleurs, avec plus de sûreté. Cependant, ce mal produisit un grand bien puisqu'il guérissait le Roi des soupçons qu'il avait eus de l'intrigue du duc de Guise avec Mme de Verneuil. Ce prince n'en vivait guère plus content. La marquise, toujours capricieuse et s'imaginant que le Roi ne l'aimait que par nécessité parce qu'il ne trouvait personne qui la valut, lui faisait à tout moment de nouveaux chagrins, ou pour avoir le plaisir de le faire enrager ou pour l'obliger, par ces difficultés, à l'aimer davantage. La Reine était de plus mauvaise humeur que jamais et ce désordre domestique troublant les désirs les plus purs ne lui laissait pas un instant de repos. Les dédains vrais ou faux de la marquise ne faisaient qu'augmenter sa passion, et ces démarches qu'il faisait pour la revoir, les traits de la satire dont cette marquise était si libérale semblaient autant d'allumettes nouvelles enflammant la jalousie de la Reine. A toute minute elle faisait éclater sa fureur et son ressentiment. Sully et quelques autres confidents du Roi travaillaient inutilement à ramener l'épouse et la maîtresse. Ils représentaient à celle-ci que le Roi sans doute en aimerait une autre et lui enlèverait ses enfants qu'il ferait enfermer dans un cloître. En effet, il tâchait de vaincre sa passion en changeant d'objet[16]. Il revenait à la comtesse de Moret, et presque en même temps il aima Mlle des Essarts[17]. D'un autre côté les mêmes remontraient à la Reine que ces emportements ne faisaient qu'irriter l'esprit du Roi ; que la douceur et les caresses étaient les seuls moyens de le retenir et qu'en attendant qu'elle pût le dégager des objets illégitimes elle devrait avoir un peu de modération si pour elle et pour les siens elle voulait obtenir des grâces. Mais Concini et Léonore Galigaï, bien loin de lui faire goûter ce salutaire conseil, entretenaient de plus en plus sa mauvaise humeur ; et ils avaient acquis tant de pouvoir sur son esprit qu'elle n'aimait et ne haïssait que ceux qu'ils voulaient. On avait souvent donné conseil au Roi de chasser ces funestes tisons qui mettaient le feu dans son palais et embraserait, à quelque heure, tout le royaume. On dit que Galigaï craignant que sa maîtresse ne l'aimât moins, si pour le Roi, elle avait l'affection qu'une épouse doit avoir pour son époux, l'en éloignait tant qu'elle pouvait afin de la mieux posséder à son aise. Tout le monde croit que cette femme et son mari travaillèrent conjointement, tant que le Roi vécut, à aigrir l'esprit de la reine, à la rendre toujours fâcheuse et de mauvaise humeur de sorte que, sept ou huit années durant, s'il y avait entre eux un jour de calme et de plaisir, il y en avait deux de mécontentement et de fâcherie[18].

La Reine avait parlé, quelque temps, de marier Mlle d'Entragues avec le comte d'Aché d'Auvergne ; mais en passant les articles survenaient quelques contestations qui rompirent le mariage. Après cela Mme de Verneuil et Mlle d'Entragues allèrent passer labelle saison chez la marquise de Conflans : elle avait une maison dans le voisinage de Charenton. Leduc de Guise et Bassompierre rôdaient toutes les nuits autour de cette maison, mais Bassompierre qui avait des idées plus hautes rompait entièrement ce commerce.

Henriette-Charlotte, fille du connétable de Montmorency et de Louise de Budos, parut alors à la Cour, comme un soleil, effaçant par son éclat toutes les autres beautés. Tout le monde avait les yeux sur ce nouvel astre et cette belle avait autant d'adorateurs qu'il y avait de galants à la Cour. Bassompierre eut le bonheur de se faire aimer et ne manquait au bonheur de ces amants que le consentement du Roi. Bassompierre lui demandait d'épouser Mlle de Montmorency, puis de traiter avec le duc de Bouillon pour la charge de premier gentilhomme de la Chambre : Sa Majesté accordait non seulement l'un et l'autre, mais voulut encore que le Connétable qui était disgracié revînt à la Cour. Le lendemain, le Roi rendit visite à Mme d'Angoulême où logeait Mlle de Montmorency, sa nièce. En un ballet où elle était habillée en Diane il l'avait déjà vue tenant un dard à la main. Ce fut alors qu'il commençait de sentir pour elle des sentiments bien tendres et bien passionnés. Les confidents des plaisirs de ce prince, les parents de Mlle de Montmorency, les gens même de la Reine qui s'imaginaient que celle-ci chasserait toutes les autres étaient prêts à servir sa passion, de sorte que tout la flattait excepté celle qui pouvait la soulager. Mais, comme le prince se trouvait en état de tout entreprendre, il croyait pouvoir tout espérer[19].

Cependant le mariage de Bassompierre avec Mlle de Montmorency se trouvait conclu ; mais, comme il s'était traité sans que le duc de Bouillon y participât, il n'en fut pas satisfait et résolût de le traverser. Un jour que le Roi venait de voir chez la Reine Mlle de Montmorency et qu'avec éloge il parlait de sa beauté, le duc, le tirant en particulier, lui disait qu'il était surpris qu'il eût voulu consentir au mariage de cette fille avec Bassompierre ; qu'il ne voyait point d'autre parti pour le prince de Condé, son neveu, que Mlle de Montmorency ou Mlle de Maine ; mais qu'il était obligé, surtout par intérêt, de marier le prince de Condé à Mlle de Montmorency. Le Roi ne répondit rien, ne laissant pas, toutefois, d'apprécier la force de ce raisonnement et, le lendemain, ayant vu la demoiselle, il la trouva plus charmante que jamais et prit la résolution de s'assurer d'une si belle conquête quoi qu'il pût lui en coûter. Il s'agissait de réussir dans ce dessein et, pour cet effet, il fallait faire épouser à cette belle un homme qu'elle n'aimait point. Il était pressant donc de connaitre ses sentiments à l'égard de Bassompierre.

Il eut occasion de s'en éclaircir quelques jours après. Sa santé était fort altérée, ses accès de goutte plus fréquents. Il ne se passait point d'années qu'il ne fût obligé de se mettre dans les remèdes, une fois pour le moins, quelquefois deux. La goutte lui étant survenue, Mme d'Angoulême et Mme sa nièce, Charlotte, le visitaient. Grammont qui s'y trouvait ayant compris que le Roi serait bien aise d'entretenir la nièce, lia conversation avec la tante. Le Roi, profitant de l'occasion, disait à Mlle de Montmorency qu'il voulait l'aimer comme sa propre fille et que son intention était qu'elle logeât au Louvre pendant que Bassompierre y servirait. Il la pria de lui dire franchement si ce point la contentait, et qu'en cas qu'elle ne le fût point, il romprait le mariage et lui ferait épouser le prince de Condé ; Mlle de Montmorency qui n'entrait point du tout dans les vues du Roi, répondit, naturellement, que puisque telle était la volonté de son père, elle se croyait bien liée avec Bassompierre. Le lendemain, il mandait Bassompierre lui faisant mille caresses, lui disant ensuite qu'il songeait à le marier. Bassompierre ignorant ses intentions lui répondit que la goutte du Connétable était cause qu'il ne l'était point déjà. — Ce n'est point cela, répliquait le Roi, je vous veux marier à Mlle d'Aumale et faire, en sa considération, revivre son duché. Quoi, Sire, vous voulez donc me donner deux femmes ?Je veux te parler en bon camarade, à cœur ouvert : j'aime Mlle de Montmorency ; si tu l'épousais et qu'elle t'aimât, je te haïrais et si elle m'aimait, c'est toi qui me haïrais. Ne rompons donc point notre bonne intelligence. Je t'aime et ne saurai t'enlever mon amitié sans beaucoup de répugnance. Je veux marier cette fille avec le prince de Condé qui, tout jeune qu'il est, a davantage d'attachement pour la chasse que pour les dames, et, comme tu sais qu'il est pauvre, qu'il tient tout de ma puissance, mon dessein est de l'enrichir par mes bienfaits. Par année je lui donnerai cent mille livres pour les divertissements, pourvu qu'il n'exige qu'une affection innocente de celle que je lui destine pour femme[20].

Bassompierre était trop habile pour ne point savoir que le véritable moyen d'augmenter une passion est de la combattre, se faisait honneur de la nécessité, prenant le parti de donner un trésor qu'il ne pouvait garder. Je suis ravi, Sire, répondit-il, que Votre Majesté me donne l'occasion de lui témoigner le zèle que j'ai pour son service. C'est avec une extrême passion que je l'ai souhaité toute ma vie : mes désirs sont exaucés ! Votre Majesté peut être convaincue de l'attachement et du respect que j'ai pour elle, par le sacrifice que je vais lui faire, le plus énorme dont un galant soit capable. Pour l'amour de vous je renonce, Sire, à cette haute alliance, à cette épouse digne des hommages de ce qu'il y a de plus grand au monde. J'ai pour Mlle de Montmorency une passion que je sens très vivement et que je ne saurais bien exprimer. Je suis charmé de son mérite et j'eus le bonheur de m'en faire aimer. J'étais sur le point de devenir l'homme le plus heureux. J'abandonne tout cela de bon cœur pour un maître à qui je dois tout, et souhaite que ce nouveau commerce lui porte autant de plaisir et de joie qu'il me causerait de déplaisir et de tristesse si j'étais obligé de céder à tout autre la divine Montmorency. Le Roi pleura d'aise voyant Bassompierre si soumis. Il lui fit mille protestations et l'entretint encore de son mariage avec Mlle d'Aumale ; mais comme cet amant infortuné avait encore le cœur trop sensible à cette perte et qu'alors il était incapable d'un nouvel engagement, il supplia Sa Majesté de le laisser en liberté là-dessus.

Le Roi toujours incommodé de sa goutte dont les douleurs, pourtant, étaient moins pressantes, voulut avoir de la compagnie. Donc il envoyait chercher Bassompierre et quelques autres seigneurs. Il jouait aux dés dans son lit, avec le premier, lorsque Mme d'Angoulême et sa nièce entrèrent. Mlle de Montmorency, ne connaissant quoi que ce fût de ce changement, parlait à Bassompierre. Le Roi, lui faisant signe de s'approcher lui disait ses intentions, Mlle de Montmorency faisait une grimace signifiant par là que son cœur n'était pas en meilleure assiette que Bassompierre ; quoique ce signe n'apprît rien à Bassompierre qu'il ne sut déjà. Il le prenait toutefois, pour une confirmation de son malheur. Et, comme les difficultés, d'ordinaire, augmentent les désirs, surtout lorsque l'on voit que l'objet adoré ne cède que par violence, cela le mit en si grand désordre qu'il fût obligé de sortir, et pour le faire en toute bienséance, simula qu'il saignait du nez. Cet amant au désespoir n'eut pas la force d'aller jusqu'à son carrosse : il se jeta dans le premier qu'il rencontrait et se retirait chez soi. Deux jours entiers il déplora sa destinée cruelle faisant les réflexions les plus affligeantes. La première personne qu'il rencontra lorsqu'il revint à la Cour, ce fut le prince de Condé qui, dans les formes, ayant déjà fait demander Mlle de Montmorency partait pour aller rendre sa première visite. Ce prince fut assez cruel pour le prier :de l'y accompagner , mais Bassompierre fut assez résolu pour lui refuser une complaisance qui l'aurait accablé et détruit la diversion qu'il avait cherchée en revenant avec Mlle d'Entragues. Le prince alla donc à sa visite sans lui, et faisait tellement bien ses affaires qu'il fiançait quelques jours après, dans la galerie du Louvre, Mlle de Montmorency. Le Roi eut la malice de s'appuyer sur Bassompierre et lui faire essuyer, d'un bout à l'autre, le chagrin de cette triste cérémonie. Les amants s'épousèrent bientôt à Chantilly. Ce mariage fut suivi d'un autre[21]. Le duc de Vendôme qui, comme nous l'avons dit, avait fiancé la fille du duc de Mercœur, l'épousa cette année, âgé seulement de seize ans. Le Roi s'était montré fort impatient d'achever ce mariage, et les noces furent célébrées.

M. de Bassompierre, outré de chagrin d'avoir vu se marier sa maîtresse cependant n'en mourut point ; mais ne revint à la santé que pour une nouvelle disgrâce. Un écuyer de la Reine, nommé Simon, qui logeait dans une petite rue, vis-à-vis la porte de la Monnaie et, alors, proche la maison de Mlle d'Entragues trouva le soir, en se retirant, un homme couché avec son hôtesse, qu'il aimait. Il traversa ce malheureux de plusieurs coups d'épée puis le mettait dehors en chemise. Se traînant comme il lui fut possible, cet homme alla mourir sous les fenêtres de Mlle d'Entragues. Un passant qui savait Bassompierre n'être pas haï de cette demoiselle, voyant cet homme en cet état, crut que c'était ce même Bassompierre et courut à son hôtel avertir ses gens. Comme il était sorti dès le commencement de la nuit, ils crurent sans peine ce que leur disait cet homme. Ils coururent étourdiment au lieu qu'il leur avait marqué, trouvèrent le corps et le prirent pour celui de leur maître ; mais ils virent, à la clarté des flambeaux allumés par eux, qu'ils avaient fait une sottise et transportèrent ce corps chez un chirurgien. La justice avertie s'en saisissait, et ainsi la chose était divulguée. Plusieurs plaintes en furent faites aux dépens de Mlle d'Entragues, dont Bassompierre eut peut-être plus de chagrin que cette belle, qui, comme plusieurs autres, n'aurait cru ne posséder aucun mérite si elle n'avait pas eu son intrigue amoureuse.

Cependant la passion du Roi pour Mme de Condé continuant toujours et même étant devenue si publique qu'on ne parlait presque plus d'autre chose[22], le prince de Condé qui pouvait, avec un peu de complaisance, obtenir les premières charges du royaume ne voulut point s'enrichir aux dépens de son honneur. Il avait tant de délicatesse qu'il croyait ne pouvoir plus soutenir la continuation de cette intrigue sans s'attirer le mépris de la Cour. D'ailleurs les scrupuleux, les mécontents et les ennemis cachés du Roi, gens malins et inquiets qui n'aiment que le trouble pour l'amour du trouble même, lui mettaient, pour ainsi dire, le feu sous le ventre, et irritaient sa jalousie. Elle n'était déjà que trop grande. La Reine, toujours la même, ne cessait de semer la zizanie. Le prince en vint aux emportements et lâcha quelques paroles peu respectueuses. Le Roi, pour l'en châtier, lui ôtait ses bienfaits, et lui retrancha l'argent qu'il lui avait promis quand il se mariait. Ces sévérités loin de radoucir le prince ne firent que l'irriter davantage. Il considéra que le Roi, étant aussi passionné qu'il l'était, pourrait en venir aux violences et, comme il manquait de tout pour se mettre à couvert, il chercha son salut dans la retraite. Il résolut de se sauver chez les étrangers[23]. Après donc qu'il eut disposé toutes choses pour exécuter ce dessein, il enleva lui-même la princesse qu'il mit en croupe et, à quelques lieues de là, dans un carrosse à six chevaux. Il alla coucher à Muret, accompagné seulement de Tournay, de Rochefort, d'un écuyer de Mlle de Cîteaux et d'une femme de chambre nommée Philippette. De Muret il marcha vers Landrecies, où il n'entra point ; de là il allait à Bruxelles où le nonce du pape le recevait avec beaucoup de joie, lui rendant tous les honneurs que méritait sa qualité.

A la première nouvelle de cette évasion imprévue[24], le Roi tout transporté de colère et d'amour ne put cacher son émotion même devant la Reine. Il jouait dans son cabinet lorsque le duc d'Elbœuf venait lui apprendre cette triste nouvelle que lui confirmait bientôt après le chevalier du guet. Mon cher ami, je suis perdu, dit-il à Bassompierre, le plus proche de lui. Ce malheureux emmène sa femme dans un bois et je ne sais si c'est pour la tuer, ou pour la faire sortir du royaume. Prends mon jeu pendant que j'irai savoir les particularités de cet événement. Cela dit, il passa dans une autre chambre, faisant signe au marquis de Cœuvres, au comte de Cramail, au duc d'Elbœuf et à Loménie de le suivre. Le conseil extraordinaire étant ainsi assemblé, chacun de dire son avis. Le Roi qui ne se possédait pas, donnait dans tout ce qu'on lui proposait et voulait qu'on exécutât incessamment. Puis une seconde après il changeait d'idée, jugeant qu'étaient impraticables tous les moyens proposés. L'un voulait que l'on courût après le prince et que l'on envoyât les chevaliers du guet avec les archers. L'autre voulait que l'on donnât cette commission à Bouvin et à Balagny, — d'autres pensaient qu'il valait mieux ordonner à Vaubécourt de se rendre sans retardement sur la frontière de la Lorraine pour empêcher que le prince ne passât. Le Roi qui voulait tout et ne se fixait il rien, fut contraint de faire venir les principaux ministres pour les consulter sur une affaire où son cœur prenait tant de part[25]. Ce n'était pas, d'ailleurs, la première fois qu'ils avaient été consultés sur des affaires d'amour, où l'on faisait entrer des raisons d'État. Le Chancelier fut le plus diligent et après que Sa Majesté lui eût appris de quoi il s'agissait, il répondit, avec une gravité digne de son caractère, que le prince de Condé paraissait fort condamnable, qu'il avait : tort d'avoir pris un parti si désespéré ; que ceux qui lui donnaient si méchant conseil avaient encore plus : de tort. Le Roi aurait voulu que tout le monde eût été aussi bouillant. Il répondait, non sans brusquerie : Rengainez votre gravité, Monsieur le Chancelier, me donnez votre avis, et c'est tout : je ne vous demande pas autre chose. Je sais aussi bien que vous, que le prince est condamnable, mais il s'agit des moyens de le châtier. — Alors, Sire, répondit le Chancelier, mon avis et qu'il faut traiter le prince en rebelle et rendre contre lui, contre ses adhérents les déclarations ordinaires. Le monarque, fatigué de ce début, vit entrer Villeroi. Laissant alors le Chancelier, il le mettait, en peu de mots, au courant. Villeroi fit l'étonné, proposa qu'on apprit par des courriers, à tous les princes étrangers, que le prince de Condé était sorti de France, sans la permission du Roi, même contre ses défenses et que l'on ordonnait à tous les ambassadeurs de Sa Majesté de prier les souverains auprès desquels ils résidaient de ne pas recevoir les rebelles, et de remettre le prince entre les mains des Ministres de Sa Majesté qui regarderait comme ennemis tous ceux qui en useraient autrement. Après ces paroles, le Roi faisait signe au président d'opiner : Sire, dit le président, mon avis est de faire courir après le prince un Capitaine des gardes du corps qui tâchera de le ramener ; et, s'il n'en peut venir à bout, il le suivra jusque dans sa retraite, et déclarera de votre part, aux puissances chez lesquelles il se sera réfugié, que vous leur ferez la guerre, à moins qu'ils ne vous le livrent. Je ne crois pas qu'il ait prémédité son départ et je doute alors qu'à l'avance il se soit précautionné d'une puissante protection. Je suis le plus trompé du monde s'il n'a jeté son plomb sur les Pays-Bas ; mais je suis persuadé qu'il fait mal son compte et qu'il y sera mal accueilli. Car, outre qu'il n'a nulle habitude avec l'Archiduc, qui n'aura pour maintenir le rebelle aucun ordre, l'Espagne qui craint Votre Majesté plus qu'elle ne l'aime, ne voudra pas s'attirer sur les bras le plus grand prince de l'Europe et préférera le faire sortir de ses États, ou le livrer à Votre Majesté.

Le Roi, qui commençait à reprendre ses esprits, approuva cet expédient ; mais, comme il ne se déterminait jamais sur rien d'important, qu'il n'eût consulté Sully, il ne voulut rien conclure qu'il ne fût venu, il venait enfin, l'air fâché, la mine renfrognée. Mon neveu s'en est allé, Monsieur de Sully, et le mal est qu'il emmenait la princesse. — Je n'en suis point surpris, Sire, mais je le serais beaucoup s'il ne l'avait pas fait. Si vous vouliez l'en empêcher, il fallait le mettre à la Bastille. — Ne parlons pas du mal qui est fait, répliqua le Roi, mais cherchons les moyens de le réparer. Que jugez-vous qu'il faille faire ?Sire, je n'en sais rien, j'y penserai sur le chevet et demain, dès le matin, je vous dirai ce que j'aurai pensé. — Point de retardement, Monsieur de Sully, vous savez combien cette affaire me touche et je veux que vous me disiez tout à l'heure votre sentiment. — Alors, Sire, quelques minutes de réflexion. Il faisait, disant cela, des mouvements de tête et quelques tours de chambre. Il revenait ensuite vers le Roi, qui demandait : Que faut-il faire ? Qu'avez-vous trouvé ?Rien !Comment, rien !Oui, rien, absolument rien. En ne faisant rien, vous témoignez ainsi que vous ne faites point grand cas du prince et, cela étant, personne ne le secourra ; ses amis même l'abandonneront, tout le monde le raillera, puis en moins de trois mois il sera, de soi-même, forcé de rentrer au gîte. Mais, au contraire, si vous témoignez de l'empressement à le ravoir, il n'en faut pas davantage pour le mettre en relief, des gens même de la Cour lui prêteront de l'argent et tels qui l'auraient abandonné si vous n'en aviez fait aucun cas, le soutiendront pour avoir le plaisir de vous chagriner. — L'avis était de bon sens, mais l'état du Roi ne lui permettait point d'en profiter. Comme celui du président Janin était plus violent et, alors, plus conforme à sa passion, ce fut donc celui qu'il suivait. Dès le matin, il faisait courir le Marquis de Praslin pour courir après le prince[26].

Praslin fit toute la diligence qu'il put ; mais ce prince avait trop d'avance, il ne pouvait donc le rejoindre. Il se rendait alors à Marimont, près l'Archiduc, lui faisant demander audience. Il se présentait avec l'ambassadeur ordinaire. Il lui dit que le prince de Condé, ennemi de son maître, prétextant une jalousie de commande, avait fui dans les Pays-Bas pour cabaler contre son service et, au nom de la Loi, le pria de le faire arrêter. L'Archiduc répondit qu'il croyait avoir assez fait en ne voulant pas le recevoir, mais qu'il n'avait pas cru devoir lui refuser passage, qu'il souhaitait qu'il retournât en France et qu'il faisait des vœux pour la satisfaction du Roi aussi bien que pour le repos de son royaume.

La vérité est que le prince ne s'était pas arrêté dans les Pays-Bas. Piquant jusqu'à Cologne, il avait laissé la princesse, sa femme, à Bréda, chez la princesse d'Orange, sa sœur, qui la menait ensuite à Bruxelles où le Prince arrivait quelques jours après. L'archiduc et l'infante leur allèrent rendre visite, d'abord qu'ils surent que ces princesses étaient arrivées. Le marquis de Spinola, commandant les troupes espagnoles dans les Pays-Bas se plaignit que l'archiduc n'eût point retenu le prince de Condé, mais il le pressa si fort qu'il l'obligea de faire partir immédiatement un gentilhomme pour aller inviter ce prince à revenir. Spinola chargeait ce gentilhomme d'une lettre et l'ambassadeur d'Espagne lui en donnait une autre. Il est certain que l'Archiduc et les ministres d'Espagne n'agissaient point par le même principe. Le premier voulait entretenir la paix et les autres voulaient la rompre. Les ordres qu'envoyait la Cour de Madrid arrivaient bientôt après et les réunirent tous car ils portaient que ce Roi catholique prenait sous sa protection le prince de Condé. Cette déclaration, relevant le courage du prince, le déterminait à justifier sa sortie hors de France. Il prit droit sur des faits que l'on croyait vrais pour la plupart, écrivit des lettres en forme de manifeste, au pape Clément VIIÏ, et au cardinal Borghèse, son neveu.

Praslin n'avait ordre d'entrer en négociations ; aussi, s'en retournait-il dès qu'il eut parlé à l'archiduc. D'abord que le Roi eut appris que le prince était retourné à Bruxelles, il y envoya le marquis de Cœuvres en qualité d'ambassadeur extraordinaire avec ordre de demander à l'archiduc qu'il rendit au Roi le premier prince du sang. L'archiduc répondit que la considération qu'il avait pour cet illustre sang l'ayant obligé de lui donner retraite, il ne pouvait honnêtement violer le droit d'hospitalité, mais que Sa Majesté chrétienne ne devait point craindre que cet illustre réfugié entreprît rien contre son service et au préjudice du respect qu'il lui devait. Le Roi ne goûta point cette réponse, car il regardait comme une flétrissure tous les honneurs rendus à ce prince qui avait encouru sa disgrâce et qui répandait dans les pays étrangers des bruits qui diffamaient sa réputation. La familiarité fort étroite de ce prince avec le duc d'Aumale, ennemi mortel du Roi, lui donnait un beau prétexte d'évaporer les transports de sa bile dont n'était pas ignorée la véritable cause. Le marquis de Cœuvres, voyant qu'on ne pouvait avoir la princesse, se retranchait alors à demander qu'on la remît entre les mains du connétable, son père, ou de la duchesse d'Angoulême, sa tante. L'archiduc répondit qu'il ne disposerait jamais de la princesse sans le consentement du prince son époux.

Cœuvres voyant que les négociations prenaient un méchant train songeait à de nouveaux moyens, entreprenant d'enlever la princesse. Il y en eut même qui furent assez imprudents pour faire dessein d'enlever aussi le prince. Les époux ne vivaient pas trop bien ensemble. Je ne sais s'il y avait entre eux mutuellement de l'antipathie, ou si la princesse fâchée d'avoir quitté la Cour de France regardait le prince de mauvais œil : ce qu'il y a de certain c'est qu'ils se traitaient froidement et que les Français espérant par là faire réussir leurs projets, entretenaient ces aigreurs avec beaucoup de soins, prenant occasion de persuader à la princesse qu'elle se laissât enlever. Sur la réponse elle eut assez de peine à se résoudre : elle voyait des inconvénients sur toutes choses. D'un côté, mécontentement du prince, son époux, elle se voyait soumise en dépit d'elle à la domination des Espagnols. La Cour de Bruxelles ne l'accommodait pas. Elle n'y trouvait pas la même magnificence qu'à celle de France et, enfin, elle souhaitait passionnément d'être auprès de son père et de sa tante qui, de leur côté, souhaitaient la même chose et ne manquaient pas de l'en assurer par leurs lettres. D'ailleurs, elle craignait d'abandonner un époux pour se mettre entre les mains d'une personne qu'elle pouvait regarder comme étrangère ; enfin, elle craignait autant s'exposer à la médisance que de retomber en mains d'un époux irrité. Ces différentes pensées la retinrent longtemps dans l'irrésolution ; néanmoins, au bout du compte, l'envie de revoir ses parents, à la Cour de France, l'emporta sur tout le reste.

Cœuvres espérait qu'ayant enlevé la princesse il ferait pendant la nuit une si grande diligence qu'il serait loin avant que l'on connût son départ. Mais, il n'était pas encore temps de se féliciter, car il fallait encore bien des choses pour faire réussir cette entreprise. Premièrement il fallait ou escalader ou percer la muraille de la ville ; il fallait des chevaux pour sortir, des relais de distance en distance pour la vitesse qu'on se proposait. Il fallait enfin de la cavalerie pour s'opposer à ceux qui se mettraient en devoir de l'arrêter. Comme on ne pouvait pas s'empêcher de se confier à plusieurs personnes, il arrivait ce qui devait arriver en pareille occurrence : la mine fut éventée. Le comte de Buquoi, grand-maître de l'artillerie en eut le premier avis qu'il faisait passer à l'archiduc et au marquis de Spinola. Ceux-ci résolus de s'opposer à cet attentat assemblèrent leur conseil et résolurent de loger la princesse au Palais sous un prétexte honnête. On en fit la proposition au prince de Condé, sans lui en dire la raison, mais on se contenta de lui représenter, qu'étant, en quelque manière, brouillé avec son épouse, il ne pouvait mieux faire que de s'en séparer pour un temps : il attendrait alors que son chagrin se dissipât. Cette petite absence ne manquerait pas de la remettre dans le bon chemin. Au reste, elle serait avec l'archiduc et l'infante qui lui donneraient de bonnes impressions desquelles il reconnaîtrait, dans la suite, la nécessité. Le prince y consentait aussitôt sans répugnance, après avoir fait promettre à l'archiduc et à l'infante qu'ils ne laisseraient sortir la princesse de leurs mains que s'il y consentait.

La princesse et Cœuvres n'avaient aucuns motifs raisonnables de s'opposera cette résolution. Ils espéraient avoir le temps d'exécuter leur dessein et firent semblant ne s'en point mettre fort en peine. La suite leur fit voir qu'ils n'avaient pas bien compté. Il leur fut impossible d'ajuster leur machine pendant que la princesse demeurait à l'Hôtel de ville. Il fallut donc chercher un expédient pour gagner cinq ou six jours de plus. Le marquis de Spinola faisait le passionné pour la princesse et lui rendait de fréquentes visites où il ne manquait pas de l'entretenir de choses qui font plaisir aux dames lorsqu'elles ont du mérite et de la beauté. La princesse avait ses vues aussi bien que Spinola ; donc elle répondait aux douceurs de manière à faire espérer qu'elle n'avait pas moins de douceur que de beauté ; et les apparences étaient si belles qu'ils croyaient avoir sujet, l'un et l'autre, de se féliciter. Dans ces heureuses dispositions, la princesse fit prier le marquis de donner un bal chez lui. Le rusé Génois sentit le coup et ne fut point d'avis de donner dans le panneau. Il se défendit avec tant d'honnêteté que la princesse n'aurait su se formaliser de son refus. Ce fâcheux contretemps ne rebuta point M. de Cœuvres et ne changea rien aux mesures qu'il avait prises. Comme la princesse devait aller au Palais le dimanche suivant, Cœuvres résolut de l'enlever la nuit du samedi. Quoique le prince ne couchât que rarement avec elle, cependant de peur que l'envie ne l'en prit et que cela fît échouer l'entreprise, elle faisait semblant d'être malade. L'archiduc que Baquoi tenait averti de tout ce qui se passait donnait ordre à Spinola de le faire savoir au prince, auquel on n'avait rien appris jusqu'à ce moment parce qu'on appréhendait qu'il n'éclatât sans nécessité, et comme l'heure était arrivée d'agir publiquement, on avait résolu que l'archiduc ferait garder l'hôtel d'Orange par un petit détachement de ses gardes du corps. Le prince de Condé fort alarmé de ce que lui avait appris Spinola ne put garder le secret. Il faisait alors ce qu'il fallait pour rendre inutile le dessein de Cœuvres, se répandant pour le surplus, en plaintes inutiles. Comme M. de Cœuvres n'avait encore rien fait qui le pût convaincre, il désavoua tout et dépêchait un courrier au Roi pour demander de nouveaux ordres sur ce changement si peu prévu.

Les bourgeois de Bruxelles offensés de cet attentat prirent les armes pour la défense de cet illustre réfugié. Cette démonstration de zèle et de bonne volonté ne parvenait point toutefois à le rassurer, car craignant qu'il ne lui survînt quelque chose de plus fâcheux, il sortait des Pays-Bas et s'enfuyait dans le Milanais. Le comte de Fuentès, ennemi juré du Roi, l'accueillit à bras ouverts et pour causer plus de chagrin à Sa Majesté, il faisait malicieusement courir le bruit qu'il avait mis à cent mille écus la tête du Roi, et sous ce prétexte, lui donnait des gardes à pied et à cheval. Les historiens de France disent que le comte de Fuentès agissait moins en cela, pour mettre en sûreté la personne du prince que pour noircir la réputation du Roi. On disait aussi que le comte de Fuentès ne traitait le prince avec tant de distinction que pour empêcher que quelqu'un envoyé ne le regagnât ou par des offres avantageuses, ou en lui donnant pour les Espagnols un dégoût qui l'obligerait à se repentir de ce qu'il avait fait. Ces craintes n'étaient pas absolument mal fondées, puisque malgré toutes ces précautions, le prince commençait à écouter les propositions que la France lui faisait faire. Il était donc sur le point de se laisser vaincre lorsque le roi Henri, IV mourut.

Ce prince avait alors cinquante-sept ans après avoir régné vingt-deux ans et trois mois.

Il est certain qu'il avait de grandes qualités, mais il avait aussi de grands défauts. Il était intrépide dans l'action. Hors de là ces défauts apparaissaient grands. Il fuyait les affaires et avait de la peine à quitter ses maîtresses. Libéral de caresses et de bonnes paroles, témoignant de la confiance à ceux dont il espérait du secours, familier, prompt, actif et vigilant lorsque l'amour ne s'en mêlait pas ; épargnant et ménager jusqu'à l'excès et donnant de bonne grâce ce qu'il ne pouvait point refuser. Ses passions favorites étaient le jeu, l'amour et la chasse. L'amour lui avait fait faire mille fautes, jouant, il était âpre au gain ; timide dans les grands coups et sensible à la perte. Il parlait bien, avait l'esprit grand, élevé. Les disgrâces n'étaient que de nouveaux aiguillons à son courage, car il avait une admirable fermeté. Bon au fond, et sage, il pardonnait aisément et laissait revenir les esprits pour leur donner occasion de la repentance, religieux observateur des traités il ne faisait pas consister la politique dans une profonde dissimulation. A ce qu'il faisait une grande application ; mais, comme il avait l'esprit très vif il ne pouvait rester appliqué longtemps. Mais, peut-on excuser son abandonneraient aux femmes, si public depuis sa jeunesse jusqu'à l'heure de sa mort qu'on ne peut lui donner le nom d'amour et de galanterie. Il eut le malheur de passer sa jeunesse dans la Cour du monde la plus corrompue, la plus vicieuse en toutes manières. Ce fut à la Cour qu'il contractait pour les femmes ces violentes passions qui ne finirent qu'avec sa vie. Mais en récompense, il a fait de glorieuses actions ; il a gagné plus de batailles que tous ses prédécesseurs et son courage glorieux en tant d'occasions lui méritait le nom de Grand.

 

LA COMTESSE DE MORET[27].

 

Mme la comtesse de Bourbon-Moret, était Jacqueline de Bueil. N'ayant ni père ni mère, elle fut nourrie, je pense, chez Mme la princesse de Condé, Charlotte de la Trémouille. Elle était, là, en bonne école. Henri IV qui ne cherchait que de belles filles et qui, quoique vieux était plus fou sur ce chapitre-là qu'il ne l'avait été en sa jeunesse, la faisait marchander ; et on concluait à trente mille écus. Mais Mme la princesse de Condé souhaita que par bienséance on la mariât en figure, si j'ose dire ainsi. Césy, de la maison de Harlay, homme bien fait, qui parlait agréablement, mais qui avait mangé tout son bien, s'offre à l'épouser. Un matin on les maria. Le roi impatient, et ne goûtant point trop qu'un autre eût un pucelage qu'il payait ne voulut pas permettre que Césy couchât avec sa femme ce soir-là[28]. Césy, lâche comme un courtisan ruiné prétendait ravoir sa femme le lendemain, résolu de tout souffrir pour faire fortune ; mais elle n'y voulut pas consentir. On rompit le mariage à condition que Césy aurait les trente mille écus. Alors il se mariait avec Béthune, fille de la Reine, aussi laide que l'autre était belle. Ses trente mille écus ne durèrent pas longtemps et depuis, pour se remettre, il demanda l'ambassade de Turquie où, contre l'ordinaire, il mena sa femme, mais il ne craignit pas autrement que le Grand Seigneur ne la fit enlever pour la mettre dans son sérail...

Ici quelques aventures de Césy en dehors, absolument, de l'HISTORIETTE concernant Mme de Moret. —

Mme de Moret eut un fils qui fut d'église[29]. On l'avait fort bien instruit, il était bien fait. On dit que de tous les enfants de Henri IV, c'était celui qui lui ressemblait le plus. Il avait l'esprit agréable. Sa jeunesse fut assez déréglée ; mais on dit qu'il avait fort profité aux voyages qu'il avait faits pendant deux ans au retour desquels il se jeta dans le parti de Monsieur, frère du roi Louis XIII, et fut tué au combat de Castelnaudary.

Il devint amoureux terriblement de Mme de Chevreuse. M. de Chevreuse en était fort jaloux. En ce temps-là, Mme de Chevreuse et Buckingham prièrent Mme de Rambouillet de leur faire entendre Mlle Paulet la plus belle voix de son temps[30]. M. de Moret se trouva par hasard à l'Hôtel de Rambouillet où ils se devaient rendre. Quand l'heure vint, elle le pria de se retirer, parce qu'elle ne voulait pas que M. Chevreuse son voisin, put l'accuser de quelque chose. M. de Moret fit ce qu'il put pour la fléchir ; mais, enfin, il s'en alla et ne lui en voulut aucun mal[31]...

Henri IV se refroidissant, Mme de Moret s'avisa de faire la dévote. Elle n'avait que du linge uni, une grande pointe, une robe de serge, les mains nues. C'était pour les montrer car elle les avait belles. Elle avait été un peu goinfre, jusque-là, mais fort agréable. Henri IV fut tué avant qu'elle eût achevé sa farce. Ensuite, elle jouait un autre personnage, car elle feignit de devenir aveugle. On croit que c'était pour faire pitié à la Reine-Mère. Enfin, elle faisait semblant que M. de Mayesne, médecin célèbre qui était fort son ami, lui avait fait recouvrer la vue d'un œil ; mais il ne paraissait point que l'autre fût plus malade. Elle se remit à faire l'amour tout de nouveau. M. de Vardes se laissant attraper l'épousa. Il y a six ou sept ans qu'elle est morte empoisonnée, par mégarde. D'autres disent que c'est un valet qui l'empoisonnait ; et on soupçonne le mari qui retirait chez lui une demoiselle de bon lieu qu'il pourrait bien avoir envie d'épouser. J'ai su, depuis, qu'on avait fait un quiproquo chez l'apothicaire et qu'on avait donné du sublimé pour du cristal minéral. Elle en mourut. On lui trouva deux abcès qui l'eussent fait mourir subitement[32].

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Nous avons modernisé l'orthographe, mais scrupuleusement conservé le style.

[2] Rappelons, bien qu'ayant dans la première partie présenté les personnages, que Catherine-Henriette de Balzac d'Entragues, fille de Marie Touchet, maîtresse de Charles IX, fut l'une des maîtresses les plus retentissantes de Henri IV, qui même, lui promettait le mariage si, dans la première année de leur liaison, elle accouchait d'un fils. Sully déchirait l'écrit contenant la promesse. La marquise de Verneuil était acariâtre, de commerce désagréable et se mêlant de manière suspecte aux intrigues de l'Espagne contre la France. Un jour Henri IV, lassé de ses continuelles disputes avec la reine, sa femme légitime, abandonnait la maîtresse. — Voir MERKI, la Marquise de Verneuil et la mort de Henri IV, Plon, 1912 ; — THARAUD, la Tragédie de Ravaillac, 1913, Émile-Paul.

[3] Voir à la fin du volume l'Historiette de la Marquise de Moret, par TALLEMANT DES RÉAUX.

[4] Dat, bombardé de Saint-Julien, un de ses écuyers qu'elle aimait plus que passionnément, même à l'âge où l'amour ne la devait plus occuper. Dat avait été assassiné par Vermond, fils d'une de ses anciennes dames d'honneur. Le poignard avait eu pour guide la jalousie. Dans la poche de Vermont on trouvait trois signes cabalistiques : pour se faire aimer, pour avoir de l'argent, pour vivre le plus longtemps possible. D'où l'accusation facile de sorcellerie. Vermond, n'ayant que dix-huit années, fut décapité le 5 juin 1606, devant l'hôtel de Sens, — aujourd'hui n° 1, rue du Piquier. — D'une fenêtre, la reine Margot assistait au supplice. Mais ses forces l'abandonnant, elle s'évanouissait et, la nuit venue, elle abandonnait l'hôtel pour n'y plus revenir.

Les consolations de Henri IV à sa femme divorcée furent assez ironiques. Bah ! lui disait-il, ne manquent point d'aussi braves gens, d'aussi galants écuyers à la cour et quand vous en aurez affaire, vous en trouverez plus d'une douzaine qui le valent bien ! — Alors, ce quatrain qui courut aussitôt :

Reine de qui l'amour surpassa la vertu,

Cadette de Vénus, déesse demi-morte,

Ne regrettez point tant un laquais revêtu,

L'on vous en trouvera au Palais, de la sorte.

Mais peut-être pas aussi facilement. L'ancienne reine a cinquante-cinq ans ; son embonpoint est énorme ; l'eau de cire et de chaux qu'elle alambiquait pour son visage, ne pouvait plus cacher ses imperfections, et l'huile de jasmin dont elle oignait, chaque soir, son corps, déguisait mal le parfum désagréable de ses sueurs. En outre, elle était en proie à la couperose, aux mauvaises plaques qui détériorent la peau. Chauve, elle portait perruque blonde, dont les cheveux provenaient de ses laquais blonds qu'elle faisait tondre : De ces cheveux-là, dit Tallemant des Réaux, elle en avait toujours plein les poches, de peur d'en manquer : et aussi, bien qu'horriblement grosse, elle faisait faire ses carrures et ses corps de jupe plus larges qu'il ne le fallait... Il y avait bien des portes où elle ne pouvait passer. I, p. 163 de l'édition Garnier. Voir aussi SAVINE, la Vraie Reine Margot.

[5] Anne d'Aubourg, mariée à Antoine de Loménie, seigneur de la Ville-au-Clerc, secrétaire d'État.

[6] Rien de plus exact que cette aventure racontée par Bassompierre, que dans son récit notre auteur suit presque textuellement. Je m'en reviens donc à Paris — orthographe modernisée — voir ma maitresse qui était logée en la rue de la Coustellerie, où j'avais une entrée par laquelle j'entrais au troisième étage du logis, que sa mère n'avait point loué, et elle par un degré dérobé de sa garde-robe me venait trouver lorsque sa mère était endormie. Mémoires de Bassompierre, t. I, p. 170, éd. du Marquis de Chanterac, Société de l'Histoire de France, Paris, MDCCCLXX. De Mlle d'Entragues que Henri IV aurait..., — voir l'expression dans TALLEMANT DES RÉAUX, Historiette de Bassompierre, t. V, p. 200, éd. Garnier. — Bassompierre eut un fils, appelé d'abord M. l'abbé de Bassompierre, puis M. de Xaintes.

[7] Par ses affinités, la Florentine Marie de Médicis a du sang espagnol dans les veines, comme aussi d'ailleurs Anne d'Autriche, qui sera la femme de Louis XIII : question de race et de tempérament à laquelle se heurtera Richelieu. L'une de ses rancunes contre le Cid venait de ce que Corneille y mettait l'Espagne sur le pavois.

[8] Vendôme, le fils du Roi et de Gabrielle d'Estrées, né en 1594. Son petit-fils fut le célèbre maréchal de France, qui, Louis XIV régnant, s'illustrait dans la guerre de la Succession d'Espagne et sur lequel Saint Simon raconte certaines histoires savoureuses, ou plutôt, singulièrement réalistes.

Le duc de Montpensier jouait dans la Ligue un rôle énorme, il suffira de renvoyer aux historiens.

[9] L'événement arrivait le 9 juin 1606. Voir Mercure français, I, p. 107. — Il ne faut pas s'étonner de voir le bâtard du roi à côté de la reine. Henri IV faisait élever ensemble légitimes et illégitimes. Sur cette promiscuité singulière, de curieuses anecdotes seraient à raconter. Voir MEYRAC, Rois, Beaux-esprits et Grandes dames, t. II, au chapitre Louis XIII, éd. Albin Michel.

[10] Claude de Lorraine, fils puiné d'Henri de Lorraine, duc de Guise et de Catherine de Clèves, comtesse d'Eu. Fut d'abord prince de Joinville et devint ensuite duc de Chevreuse, par suite du délaissement à lui fait de ce duché (avril 1606) par le duc de Guise, son frère. Tous deux fils du Balafré, l'un des instigateurs de la Saint-Barthélémy, assassiné à Blois, en 1588, par ordre du roi Henri III.

— ... On ne les surprit pas ensemble, mais le Roi en découvrait assez pour chasser M. de Chevreuse de la Cour, et en eût fait autant d'elle si elle n'eût été sur le point d'accoucher. Le temps raccommoda l'affaire. Mémoires de Bassompierre.

Ce passage est, ici, la reproduction textuelle des Amours du Grand Alcandre, — p. 30 de l'édition in-4° de 1651 — où M. de Moret figure sous le nom d'Alcmène et le prince de Joinville, sous le nom de Filizel.

[11] Adrien de Montluc, — petit-fils du célèbre maréchal — comte de Cramail, prince de Chabannais. Mis à la Bastille après la journée des Dupes, y restait enfermé dix ans. Est de lui la Comédie des Proverbes, une pièce restée encore amusante. Le comte de Cramail, dit Tallemant, arrivait en un temps où il ne fallait pas grand'chose pour être un bel esprit. Il écrivait un livre : les Jeux de l'inconnu ; mais ma foi, ce n'est pas grand'chose. Il a toujours été galant, dansait bien et était bien à cheval... Pour un camus ç'a été un homme de fort bonne mine. Il avait épousé l'héritière de Carmain, grande maison de Gascogne, qui pensait se marier au comte Clermont de Lodève, un fort pauvre homme. Elle eut un tel chagrin d'avoir épousé Cramail au lieu de lui, qu'en douze ans de mariage elle ne lui dit jamais que oui et non. De chagrin elle se mettait au lit, et on ne lui changeait de draps que quand ils étaient usés. Elle est morte de mélancolie.

[12] Plutôt mal. Nous avons dit quel était son caractère difficile et que ses nombreuses discussions avec le roi se terminaient par un lâchage.

Cette marquise de Verneuil avait de l'esprit, mais elle était fière et ne portait guère de respect ni à la reine, ni au roi... Enfin le roi rompit. Elle se mettait alors à faire une vie de Sardanapale ou de Vitellius : elle ne songeait qu'à la mangeaille, qu'à ses ragoûts, et voulait même avoir son pot dans sa chambre. Elle devint si grasse, qu'elle en était monstrueuse. On lui ôta ses enfants. Sa fille fut nourrie au près des filles de France, TALLEMANT DES RÉAUX.

[13] Voir à la fin du volume, l'Historiette de Mme de Moret.

[14] Roger de Lary, seigneur et, depuis, duc de Bellegarde. Mort en 1646, âgé de 83 ans. Appelé Monsieur le Grand, parce qu'il était grand écuyer de France. Voir l'Historiette du duc de Bellegarde, dans TALLEMANT DES RÉAUX, I, éd. Monmerqué, Paris, Garnier, qui dit : Il avait le port agréable, était bien fait et riait de bonne grâce. Son abord plaisant, mais, hors quelques petites choses qu'il disait assez bien, tout le reste n'était rien qui vaille. Ses gens étaient toujours déchirés et, hors que ce tut pour quelque entrée, ou pour quelque autre chose semblable, il n'eût pas voulu faire un sou de dépense. Mais dans les occasions d'éclat, la vanité l'emportait. Il n'était point trop bel homme à cheval, à moins que d'être armé, car cela le faisait tenir plus droit. Il était grand et fort, et portait fort bien les armes. Je n'ai que faire de dire que sa beauté lui servit fort auprès de Henri III, à faire fortune... Jamais il n'y eût un homme plus propre, il était de même pour les paroles. Il ne pouvait entendre nommer un pet. Une nuit il eut une forte colique venteuse. Il appela ses gens et se mit à se promener ; et en se promenant, il pétait. Yvrande, garçon d'esprit qui était à lui, y vint comme les autres, mais il se cacha. M. de Bellegarde l'apercevait à la fin. — Ah ! vous voilà, y a-t-il longtemps que vous y êtes ? — Dès le premier, Monsieur, dès le premier ! — M. de Bellegarde se mit à rire et cela le guérissait...

[15] Rien de plus exact que cette amusante histoire du manteau. — Oh ! que les amoureux sont faciles à tromper, dit Bassompierre, dont — comme précédemment — nous rajeunissons l'orthographe. — Je l'ai cru comme vous et, cependant, il est fort vrai qu'il a été toute la nuit avec elle et n'en est sorti qu'à quatre heures du matin. On lui a vu entrer et les valets de chambre et mes valets de chambre, même, l'en ont vu sortir avec tant de négligence qu'il n'a pas seulement voulu prendre un manteau sans croix de l'Ordre, pour se déguiser. — ... Je m'en allai m'asseoir dessus de peur qu'il ne s'aperçût de cette croix, et faisant l'affligé comme lui et disant mille choses contre la légèreté de d'Entragues, je ne me voulus lever de dessus ce manteau, quoique M. de Guise me priât de me promener avec lui, jusqu'à ce j'eus dit à mon valet que comme M. de Guise se tournerait, il emportât ce manteau pour le cacher, de peur qu'apercevant cette croix, mon amour et ma bonne fortune de la nuit passée ne fût aussi aperçue... Mémoires de Bassompierre.

[16] Henri IV avait eu quantité étrange de maîtresses : il n'était pourtant pas grand abatteur de bois, aussi était-il toujours cocu... TALLEMANT DES RÉAUX.

[17] Charlotte des Essarts, comtesse de Romorantin, fille de François des Essarts et de Charlotte de Harlay. — De Henri IV, elle eut deux filles, dont l'une épousait le maréchal de l'Hôpital. — En ce voyage, le roi étant à la chasse se détourna pour aller voir Mme des Essarts, qui était chez sa tante, l'abbesse de Sainte-Périne, qui parut à l'arrivée du Roi plus belle qu'elle n'a jamais été depuis, quoique sa beauté eût longuement duré... Mémoires de Bassompierre.

[18] Concini, marquis d'Ancre, un aventurier florentin, qu'amenait en France Marie de Médicis avec aussi — parmi tant d'autres Italiens — sa sœur de lait Léonore Dorr, appelée Galigaï, Florentine également. Petite personne fort maigre et fort brune, de taille assez agréable — écrit un contemporain — et qui, quoiqu'elle eût tous les traits du visage assez beaux, était laide, à cause de sa grande maigreur. Mais d'une laideur que ses yeux de flamme faisaient caractéristique. — Marie de Médicis les mariait l'un à l'autre. — Nous n'avons à raconter ici comment, à l'aide de faveurs inouïes, d'Ancre devenait ministre, succédant à Sully ! et par ordre de Louis XIII était assassiné, pour qu'il lui substituât son favori, Luynes, d'intelligence médiocre et nullement taillé pour être ministre. Tout au plus n'était-il pas auparavant, inférieur à sa charge de Maître des oiseaux du Roi. — Enfin ! s'écria Louis XIII, après l'assassinat, je suis roi ! Il le fut moins que jamais, bien que toutefois, — malgré qu'en prétende encore une certaine école, d'ailleurs de moins en moins suivie — il n'ait pas toujours été le quasi esclave, l'instrument de Richelieu. Léonore Galigaï était, le 3 juillet 1617, brûlée parce que sorcière. Leur crime à tous deux, écrit Michelet, s'appelait brigandage et vénalité.

A signaler une tragédie du temps fort curieuse : La Magicienne étrangère, tragédie en laquelle on voit les tyranniques emportements, origines, entreprises, desseins, sortilèges, arrêt, mort et supplice tant du marquis d'Ancre que de Léonora Galigaï sa femme, avec l'aventureuse rencontre de leurs funestes ombres.

[19] Nous venons d'entrer dans l'histoire amoureuse de Henri IV avec Mlle de Montmorency : tous les personnages ayant figuré dans la première partie, les notices biographiques ne sont plus nécessaires.

[20] Le roi, jouant un jour au reversis, disait à Bassompierre de tenir son jeu. Voyant qu'il perdait en argent, Sa Majesté ne prenant point plaisir à perdre commençait à se fâcher. Lors, Bassompierre lui dit : Sire, vous m'excuserez, votre sang me trouble, entendant du manège de M. le Prince avec Mlle de Montmorency, à laquelle Bassompierre avait fait la cour. Le roi répondait : Ventre saint-gris ! n'y ayez point hardiment de regret ; car si cela se fût fait tu eusses été le plus grand cocu de France. Journal de Lestoile, IX, p. 251, éd. Lemerre.

[21] Le dimanche 17 mai (1609) fut consumé le mariage du prince de Condé avec Mlle de Montmorency, à Chantilly, sans aucune pompe ni solennité, n'aucune autre assemblée de princes et seigneurs de la Cour. Journal de Lestoile, IX, p. 265, éd. Lemerre. Par contre, furent somptueuses, quelque temps après, les noces du duc de Vendôme.

[22] Sur ces amours les poètes eurent beau jeu : d'ailleurs en ce moment il n'était guère, à Paris, parlé d'autre chose. — On m'a fait voir le 8 octobre (1609) des stances sur les amours du roi et de Mme la P. D. C., qui sont si mal faites que je me contentais de les lire sans en tirer copie. Mais pour tout compenser, Lestoile avait eu occasion d'écrire : On m'a donné des vers très beaux, sur les amours de Mme la princesse et du roi. Journal de Lestoile, X, éd. Lemerre.

[23] Le samedi six, mois d'août (1609), le prince de Condé ne pouvant plus douter de l'amour du roi pour sa femme, l'enlevait lui-même, la portant en croupe sans savoir où il la conduirait. Le roi est fort en colère de cette évasion. Journal de Lestoile, IX, p. 426, éd. Lemerre.

[24] Cette nouvelle troubla fort le roi... M. le Prince, usant d'une extrême diligence, avec beaucoup de fatigues et de traverses qu'il lui fallut supporter en chemin, s'était égaré avec la perte de deux ou trois chevaux... Puis il avait été contraint de coucher avec Mme la Princesse, sa femme, dans un moulin où ne trouvèrent ni commodités quelconques, ni de feu — nous sommes en novembre 1609 — ni de lit. Mme la Princesse était tellement harassée du mauvais chemin et mauvais temps que, sans y songer, elle mangeait avec ses gants, ne les pouvant tirer sans les écorcher tant ils étaient mouillés. Journal de Lestoile, X, p. 86, éd. Lemerre.

[25] Sa passion, qu'il ne pouvait dissimuler, était si grande, et avec tant d'ardeur, qu'on le vit changer, en moins de rien, d'habit, de barbe et de contenance, se montrant échauffé à la chasse de cette belle, pour laquelle avoir il mettait tout le monde en besogne... Il y a trente maquerelles après, disait la reine, et si je m'en mêle une fois, je serai la trente et unième. Journal de Lestoile, IX, p. 279, éd. Lemerre.

[26] L'archiduc fit réponse à Praslin qu'il n'avait jamais voulu violer le droit des gens à l'endroit de qui que ce fût et qu'il se garderait bien de commencer à commettre cette faute par la personne du premier prince du sang en France. Et, peu après, lui envoyait escorte d'homme et d'argent pour venir à Bruxelles. Journal de Lestoile.

[27] TALLEMANT DES RÉAUX, I, p. 167, Paris, Garnier.

[28] Le mardi de ce mois — 5 octobre 1604 — à six heures du matin, la demoiselle de Bueil, la nouvelle maitresse du roi, épousait à Saint-Maur-des-Fossés le jeune Chamvallon, jeune gentilhomme, joueur de luth, piètre (ainsi qu'on disait) de tout le reste, même des biens de ce monde. Il eut l'honneur de coucher le premier avec la mariée, mais éclairé, ainsi qu'on disait, tant qu'il y demeura, de flambeaux et veillé des gentilshommes, par commandement du roi, qui, le lendemain, couchait avec elle, à Paris, au logis de Montauban — aujourd'hui rue de Navarre — où il lut au lit jusqu'à deux heures de l'après-midi. On disait que son mari avait couché en un petit galetas de la chambre, et, ainsi, était au-dessus de sa femme, mais il y avait un plancher entre deux. LESTOILE, p. 379 de l'éd. Michaud et Poujoulat. — ... Était d'accord avec le mari, qu'il la quitterait dès le soir des noces. Amours du Grand Alcandre. Lestoile mariait Jacqueline de Bueil à Chamvallon. Tallemant lui donne pour époux Césy, de la maison de Harlay ; Anselme et Moréri, le marquis de Vardes — le plus probable, car c'est celui que — Mémoires de Bassompierre, IV, p. 110 — désigne le marquis de Chanterac.

[29] Antoine Bourbon, comte de Moret, né à Fontainebleau en 1607, légitimé en 1603, abbé de Savigny, de Saint-Victor, de Marseille, de Saint-Étienne de Caen, de Signy ; il n'en porta pas moins les armes.

[30] Angélique Paulet (1592-1651), la Parthénice des Précieuses, fille de Charles Paulet, inventeur de l'impôt appelé la Paulette, redevance que payaient chaque année les officiers de justice ou de finance, afin, en cas de mort, de conserver à leurs héritiers le droit de disposer, comme ils le voudraient, de leurs charges. Cette belle amie de Voiture, — voir Rois, Grandes dames et Beaux esprits d'autrefois, par MEYRAC, Paris, Albin Michel — fut en son temps surnommée la Lionne, et elle fut l'une des plus séduisantes lionnes du Grand Siècle, à cause de sa fierté, de ses yeux vifs, de ses cheveux trop dorés. — Elle affectait une insupportable pruderie, dansait bien, jouait du luth et chantait mieux que personne, dit Tallemant, qui note en marge de son manuscrit : On raconte que l'on trouva deux rossignols morts sur le bord d'une fontaine où, tout le jour, elle avait chanté. — Morts de jalousie, sans doute.

[31] Pourtant Mme de Chevreuse, si nous en croyons ce cancanier de Tallemant, ne parait pas avoir été des plus farouches. — Mme de Chevreuse se trouvant à Tours, quelqu'un, la regardant, dit : Ah ! la belle femme ! je voudrais bien l'avoir ! — Elle se mit à rire et dit : Voilà de ces gens qui aiment la besogne faite ! — Un jour, elle était sur son lit en goguettes et elle demanda à un honnête homme de la ville : Or ça, en conscience ! n'avez-vous jamais fait faux bond à votre femme ?Madame, lui dit cet homme, quand vous m'aurez dit si vous ne l'avez point fait à M. votre mari, je verrai ce que j'aurai à vous répondre. — Elle se mit à jouer du tambour sur le dossier de son lit et n'eut pas le mot à dire. J'ai ouï conter, mais je ne voudrais pas l'assurer, que par gaillardise, elle se déguisait en paysanne, un jour de fête, et s'alla promener toute seule dans les prairies Je ne sais quel ouvrier un soir la rencontra. Pour rire, elle s'arrêta à lui parler, semblant de le trouver fort à son goût ; mais ce rustre, qui n'y entendait point finesse, la culbuta fort bien, et on dit qu'elle passait le pas.

[32] La Muse historique, lettre du 8 octobre 1651.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ces jours passés, mourut à Vardes,

Alors qu'elle y prenait moins garde,

L'antique dame de Moret,

Ce qui lui fut peu duret,

D'un malheureux quiproquo,

Par une servante un peu sage,

Qui pensant mettre en son potage

Un peu de cristal minéral (du sel),

Y mit d'un sublimé fatal,

Dont la dame à ce qu'on rapporte

En mourut toute raide morte.