CHARLOTTE DE MONTMORENCY

APPENDICE

 

Diane de France. - Galanteries des Rois de France. - Anecdotes des Reines et Régentes de France. - Monsieur le Prince Henri de Bourbon. - Madame la Princesse.

 

 

DIANE DE FRANCE[1].

 

Je ne veux oublier Madame Diane de France, laquelle bien qu'elle soit bâtarde et naturelle, pourtant nous la pouvons mettre au rang des filles de France, d'autant qu'elle a été avouée du feu roi Henri son père, et légitimée, et puis partagée et apanagée comme une fille de France, car elle eut le duché de Châtellerault, et puis le quitta pour être duchesse d'Angoulême dont elle retient à st'heure le nom ; et a en tous les privilèges qu'ont les filles de France, jusqu'à entrer au cabinet et aux affaires des rois ses frères, et même des rois Charles et Henri troisième, car je l'ai vue, comme si elle fut été leur sœur, leur sœur propre, qui l'aimaient tous de même ; aussi, avait-elle beaucoup de ressemblance du roi Henri son père, tant pour les traits du visage que pour les mœurs et actions, et aimait tous les exercices qu'il aimait, fût-ce des armes, de la chasse et des chevaux ; car je pense qu'il n'est pas possible que jamais dame ait été mieux à cheval qu'elle, ni de meilleure grâce.

J'ai ouï dire, et se lit, à aucuns anciens, que le petit roi Charles VIII étant en son royaume de Naples, Madame la princesse de Melfe, lui venant faire la révérence — c'était le 23 mars 1494, à Porto-Réalé — lui fit voir sa fille, belle comme un ange, montée sur un beau coursier, le mener et manier aussi bien et en toutes formes d'airs et de manèges qu'elle sut faire le meilleur écuyer de là ; dont le roi et toute sa cour en furent en très grande admiration et étonnement, pour voir une telle beauté si adrexte à cheval, sans faire aucunement tort à son sexe.

Ceux qui ont vu autrefois Mme d'Angoulême à cheval, en demeurent bien plus émerveillés et ravis, car elle y était bien née et si propre, qu'elle ressemblait du tout à cette belle Camille, reine des Volsques, et si étant très belle de visage, de corps et de taille, qu'à grande peine y en voyait-on à la cour plus riche que celle-là, et qui s'accommodait fort bien à cet exercice ; non qu'elle en fit autrement état, ni qu'elle en excédât aucunement la douceur et modestie communes, comme cette princesse de Melfe ; car elle outrepassait un peu la modestie ; en tout il la faut observer et même les femmes, sinon quand elle allait par pays, en y montrant toujours quelque gentillesse fort agréable à ceux qui la regardaient.

Je me souviens que M. le Maréchal Damville, son beau-frère[2], lui ayant, une fois, donné un fort beau cheval, qu'il avait nommé le dottor, d'autant qu'il se maniait de pied coy et allait en avant à Courbettes, si justement et si sagement, qu'un docteur n'eût su être plus sage en son aller ; et voilà pourquoi il se nommait ainsi ; mais j'ai vu Madame d'Angoulême le faire aller plus de trois cents pas toujours ainsi en avant, que bien souvent toute la Cour s'y amusait à la voir, de sorte qu'on ne savait que plus estimer, ou sa bonne tenue ou sa belle grâce. Et, toujours pour bailler plus beau lustre, étant fort bien accoutrée d'un fort beau et riche habillement de cheval, sans oublier surtout le chapeau bien garni de plumes et à la guelfe porté. Ah ! que c'est dommage lorsque la vieillesse vient à gâter ces beautés et desbaucher — détruire, faire disparaître — telles vertus ; car elle a meshuy laissé tout cela et quitté ces beaux exercices, comme elle a fait la chasse et tous autres qui lui seyaient tant ; car jamais rien ne lui fut malséant en tous ses gestes et mœurs, ainsi que le roi son père, y prenant peine et plaisir ; pour le bal, pour la danse ; elle y était fort accomplie, en quelque danse que ce fut, fut qu'elle fut grave ou gaie.

Elle chantait bien, jouait bien du luth ou d'autres instruments. Bref, elle était fille de père en cela comme elle est en bonté, car elle est fort bonne et qui ne fait point de déplaisir à personne, encore qu'elle ait le cœur haut et grand, et l'âme fort généreuse, sage et fort vertueuse et qui a fort honoré et aimé Messieurs ses maris.

En premières noces elle épousa le duc de Castro, de la Case — Maison — Farnèse, qui fut tué à l'assaut de Hesdin ; en secondes noces M. de Montmorency qui, au commencement, y fit difficultés, pour avoir promis à Mlle de Pienne, l'une des filles de la Reine, belle honnête fille ; mais après pour obéir au père qui fort irrité, l'en voulût déshériter, par dispense fut absous de sa parole première et l'épousa ; dont il ne perdit au change encore que la dite Pienne fut d'une des grandes maisons de France et des belles, honnêtes, vertueuses et sages de la Cour ; et que Madame aimait et l'a aimée toujours sans aucune jalousie des amours passées de son mari et d'elle. Aussi, savait-elle se commander, car elle est fort spirituelle et de bon entendement. Les rois, ses frères l'ont fort aimée, et les reines et les duchesses ses sœurs, car elle ne leur faisait honte, nullement, pour être parfaite en tout.

Le roi Charles — Charles IX — l'aima parce qu'elle l'accompagnait en ses chasses et autres exercices joyeux ordinairement et qu'elle était de bonne et gaie humeur.

Le roi Henri l'aimait parce qu'il connaissait qu'elle le recherchait fort et l'aimait fort. Lorsque la guerre s'émut cruelle après la mort de M. de Guise, sachant le roi son frère en nécessité, elle partit en diligence de l'Isle-Adam, non sans courir grande fortune — danger — étant guettée de toutes parts sur le chemin, et lui porta cinquante mille écus qu'elle avait réservés du sien, et les lui donna, qui vinrent bien à propos, et crois qu'ils lui sont encore dus, dont le roi lui en sut si bon gré que s'il eût encore vécu, il l'eût fait grande pour avoir éprouvé ainsi son bon naturel en son extrême besoin. Aussi, depuis sa mort, elle n'a eu au cœur de joie ni profité tant elle l'a regretté et regrette, et couve de vengeance si son pouvoir était pareil à son vouloir contre ceux qui l'ont tué. Jamais notre roi d'aujourd'hui ne l'a pu accorder, quelques prières à elles faites avec Madame de Montpensier, pour la tenir coupable de la mort du roi son frère — Henri III — l'abhorrant comme la peste jusqu'à lui dire injure, une fois devant Madame la duchesse de Bar, sœur de Henri IV— la sœur du roi, et lui dire qu'elle ni le roi n'avaient nul sujet honnête de l'aimer, sinon qu'elle était cause, par ce meurtre du feu roi. Qu'ils tenaient le rang qu'ils tenaient. Qu'elle chasse[3] !...

 

LES GALANTERIES DES ROIS DE FRANCE

(T. III, op. cit., pp. 65-92)[4].

 

...Le duc de Bouillon, beau-frère du Connétable trouva mauvais qu'on eût traité ce mariage sans sa participation et résolut de le traverser. Un jour que le Roi avait vu Mlle de Montmorency chez la Reine, et qu'il vantait sa beauté avec beaucoup d'empressement, le duc le tirait à l'écart et lui disait qu'il s'étonnait qu'il eût donné son consentement pour le mariage de cette fille avec Bassompierre, puisqu'il n'y avait point d'autre parti pour le Prince de Condé, son neveu, qu'elle ou Mlle du Maine et que la politique ne voulant pas qu'il permît que le Chef de la Ligue augmentât par une alliance son crédit, qui n'était déjà que trop grand, il était presque obligé de donner Mlle de Montmorency au Prince de Condé. Le Roi écouta ce raisonnement sans y répondre ; mais, le lendemain, étant allé voir répéter un ballet qu'on devait danser au Louvre, Bellegarde[5] lui vanta tellement les charmes de cette fille, qu'il lui fit prendre la résolution d'en entreprendre la conquête. Et, comme pour y réussir, il fallait qu'elle épousât un homme qu'elle n'aimât pas, il voulut s'éclaircir des sentiments qu'elle avait pour Bassompierre.

L'occasion s'en offrit peu de jours après ; car ayant été obligé de garder le lit pour quelque accident de goutte, il fut visité par Mme d'Angoulême et par sa nièce ; et, pendant que M. le comte de Grammont entretenait la duchesse, il entrait en conversation avec Mlle de Montmorency et lui dit qu'il la voulait aimer comme sa fille, qu'il la ferait loger au Louvre durant l'exercice de l'année de Bassompierre, et la pria de lui avouer franchement si ce parti lui serait agréable, parce qu'autrement il saurait bien rompre ce mariage et même la faire épouser au Prince de Condé, son neveu. Mlle de Montmorency qui ne pénétrait point le dessein du Roi, lui répondit ingénument que puisque c'était la volonté de son père, elle s'estimerait bien avec ce marquis. Henri IV feignit d'en être bien aise ; mais il résolut en lui-même de lui donner un autre époux.

Il envoya le lendemain chercher Bassompierre de bonne heure et, après lui avoir fait mille caresses, lui dit qu'il avait songé à le marier. Le marquis, ignorant les intentions, lui répondit que sans la goutte du Connétable son mariage serait déjà achevé. Ce n'est pas ce que je veux dire, reprit le Roi, je prétends vous marier avec Mlle d'Aumale et, en considération de ce mariage, faire revivre le duché d'Aumale en sa personne. Bassompierre, l'interrompant, lui demanda s'il voulait lui donner deux femmes. Il faut, repartit le Roi, que je te parle en ami ; je suis devenu amoureux de Mlle de Montmorency, si tu l'épouses et qu'elle t'aime je te haïrai, et si elle m'aimait tu me haïrais. Il vaut mieux éviter une occasion qui peut rompre notre intelligence ; j'ai de l'inclination pour toi et je me sentirais un grand combat si je me voyais contraint de t'ôter mon amitié. Je suis résolu de marier cette fille avec le Prince de Condé, pour l'arrêter dans ma famille. Elle sera la consolation de ma vieillesse, et je donnerai à mon neveu, qui est jeune et qui aime la chasse, beaucoup plus que les dames, cent mille francs par an pour se divertir, sans exiger autre chose de celle que je lui donne pour femme, qu'une affection innocente. Bassompierre qui vit bien qu'il ne ferait qu'augmenter la passion du Roi en la combattant, résolut de lui céder de bonne grâce un bien qu'il ne pouvait conserver malgré lui. Il y a longtemps, lui dit-il, Sire, que je souhaitais de trouver une occasion de témoigner à Votre Majesté la forte inclination que j'eus toute ma vie pour son service. En voici une telle que je la pouvais désirer, puisque le sacrifice que je vais lui faire est le plus grand dont un homme puisse être capable. Je renonce en même temps, pour l'amour de Votre Majesté, à une haute alliance et à une femme tout aimable, pour qui j'ai un amour dont je ne puis bien exprimer l'ardeur et la force ; cependant je lui immole tous ces avantages sans peine et sans regret, et je souhaite que cette nouvelle intrigue lui apporte autant de joie que la perte de mes espérances lui causera de tristesse si je les cédais à tout autre qu'à mon Maître ; un Maître dont j'aime autant les vertus que j'en respecte le sang. Ces paroles attendrirent tellement le Roi qu'il ne put s'empêcher de pleurer. Il embrassa Bassompierre, lui promit d'avoir soin de sa fortune. Il lui parlait encore de son mariage avec Mlle d'Aumale ; mais Bassompierre le pria de se contenter de lui ôter une personne qu'il aimait sans lui en faire épouser une autre qu'il n'aimait pas.

L'après-dînée le Roi s'étant mis à jouer à trois dés dans son lit avec Bassompierre et d'autres courtisans, et Mme d'Angoulême arrivant avec sa nièce, il fit passer cette Duchesse dans la ruelle et l'entretint quelque temps en particulier. Pendant que Mlle de Montmorency qui n'avait aucune connaissance du changement arrivé en sa fortune, parlait au Marquis, le Roi lui fit signe d'approcher, et après qu'il l'eut informé de ses intentions il continua sa conversation avec la Duchesse ; sa nièce en se retirant, haussa les épaules pour marquer à Bassompierre son étonnement.

Quoique le geste de Mlle de Montmorency n'eût rien appris au nouveau Marquis, il ne laissa pas que d'être pénétré de douleur en recevant cette communication de son infortune. Il ne put continuer le jeu et sortit de la chambre du Roi feignant de saigner du nez. Les valets de chambre lui apportèrent sur l'escalier son manteau et son chapeau ; et Bernighem serra son argent qu'il avait laissé à l'abandon sur la table qu'on avait mise pour les joueurs dans la ruelle du lit de Sa Majesté. Cet amant désespéré monta dans le carrosse du duc d'Epernon, qu'il trouva dans la cour, n'ayant pas eu la force de gagner le sien, et se fit mener chez lui où il demeura deux jours, enfermé sans se laisser voir à personne.

Lorsqu'il revint à la Cour, le Prince de Condé, qui avait fait la demande de Mlle de Montmorency, dans les formes, le pria de l'accompagner dans la première visite qu'il devait faire à sa maîtresse ; quoique le marquis fût un peu revenu de son affection et que, pour se faire un amusement, il eût renoué avec Mlle d'Entragues[6] qu'il avait trouvée chez Mme de Sauteny, il n'aurait pu, sans l'exprès commandement du Roi, se soumettre à une complaisance qui devait mettre son cœur à la plus rigoureuse épreuve où un amant puisse s'exposer. Les fiançailles se firent dans la galerie du Louvre où le Roi eut la malice de s'appuyer sur l'épaule de Bassompierre et de le faire demeurer auprès des fiancés tant que la cérémonie dura. Cet amant malheureux ne put résister à tant d'assauts, le désespoir où cette cérémonie fatale l'avait réduit lui causait une fièvre dont il pensa mourir.

Quand il fut guéri, la fortune qui prenait plaisir à le persécuter lui suscitait une autre aventure qui, quoique de moins de conséquence, ne laissa pas de lui faire de la peine. Camille Simoni, écuyer de la Reine, était logé dans une petite rue vis-à-vis la porte de la Monnaie, et tout proche de la maison de Mlle d'Entragues, et il trouva, un soir en se retirant, un jeune homme couché avec son hôtesse qu'il aimait. Il appela ses gens qui donnèrent plusieurs coups d'épée à son rival, hors de la maison, nu en chemise. Il était si blessé qu'après avoir marché cinquante pas il alla mourir sous les fenêtres de Mlle d'Entragues. Un homme qui avait quelque connaissance de l'intrigue de Bassompierre vint à passer dans ce moment, et prenant le mort pour lui, frappa à la porte de son hôtel. Il appela les gens et leur dit de venir porter quelques secours à leur maître, s'il était en état d'en recevoir, ou de l'emporter s'il avait perdu la vie.

Les domestiques du Marquis n'eurent aucune peine il croire la méchante nouvelle qu'on venait de leur annoncer parce que leur maître était sorti déguisé à l'entrée de la nuit, pour aller en bonne fortune, comme il lui arrivait assez souvent. Ils coururent inconsidérément au lieu où était ce corps qu'ils prirent pour celui de Bassompierre ; les plus zélés se jetèrent dessus et, tous ensemble l'emportèrent dans la maison de. leur maître. Néanmoins, après qu'on eut fait venir les flambeaux, ils s'aperçurent de leur erreur et reportèrent ce cadavre chez un chirurgien où la Justice s'en saisit. Cependant, le bruit de cet accident s'était répandu dans la ville et donnait lieu à de méchantes plaisanteries qui rejaillirent sur Mlle d'Entragues.

Ce nouvel embarras empêcha que le marquis ne ressentit dans toute son étendue l'affliction que lui devait causer le mariage du prince de Condé qui se célébrait à Chantilly. Le roi voulut faire épouser à Bassompierre Mlle de Chemilli, qu'il venait de démarier d'avec le duc de Montmorency, et, ériger en sa faveur, la terre de Beaupréaux en duché-pairie ; mais le marquis n'avait pas le cœur assez libre pour songer à nouvel engagement.

Le Roi, en mariant Mlle de Montmorency avec le prince de Condé, qu'elle n'aimait pas, avait cru trouver plus de facilité dans la poursuite de ses amours ; mais, elles avaient fait tant d'éclats que le jeune prince crut n'en pouvoir subir la continuation sans se rendre la fable de la Cour ; il résolut, pour rompre ce commerce, de partir secrètement de Fontainebleau, où la Cour était alors, et se retirer dans les Pays-Bas ; et, disposant toutes choses pour sa retraite, il montait un matin à cheval avec Rochefort, Tourai, un écuyer, qui prit Mme la Princesse en croupe, Mlle de Certeaux, et une femme de chambre nommée Filipette. Il alla coucher à Muret et de là continuait son voyage jusqu'à Landrecies. Le Roi jouait dans son petit cabinet quand d'Elbeuf lui vint annoncer cette nouvelle qui lui fut confirmée un moment après par le chevalier du guet. Ce Prince dit à Bassompierre, qui se trouva le plus proche de lui, avec un transport qu'il serait difficile d'exprimer : Mon cher ami, je suis perdu, cet homme emmène sa femme dans un bois ; je ne sais si c'est pour la tuer, ou pour la faire sortir de France, prends garde à mon argent et entretiens le jeu pendant que j'irai m'éclaircir des particularités de cet enlèvement. En achevant ces mots il monta dans une autre chambre et fit signe au marquis de Cœuvres, au comte de Cramail et d'Elbeuf et à Loménie de le suivre, et leur demandant leur avis en tumulte, il y donnait tête baissée, à la première ouverture qu'on lui faisait et commandait à Loménie d'en faire l'expédition ; mais, un moment après, en connaissant l'impossibilité, il changeait de sentiment. L'un lui conseillait d'envoyer M. le chevalier du guet avec ses archers sur les traces de M. le Prince, pour l'arrêter ; l'autre, de donner cette commission à Balagny et à Bouvin ; le troisième, d'ordonner à Vaubecourt, qui était alors à Paris, de se rendre incessamment sur la frontière de Lorraine, pour empêcher son passage.

Lorsque le Roi eut connu le peu de solidité de tous ces avis il manda ses principaux ministres pour entendre leurs sentiments sur une matière où son cœur prenait tant de part[7]. Le chancelier arriva le premier et, après que Sa Majesté lui eut exposé le fait, il répondit avec une gravité digne de son caractère ; que le prince de Condé ne prenait pas le bon chemin, qu'il eût été à désirer qu'on l'eût mieux conseillé, et qu'il devait avoir modéré son ardeur. Le Roi, que ce discours impatientait, l'interrompit et lui dit en colère : Ce n'est pas ce que je vous demande, Monsieur le chancelier, c'est votre avis. Alors ce ministre, reprenant la parole, avec la même froideur : Soit, ajoutait-il, j'estime donc qu'il faut faire de bonnes et fortes déclarations contre lui et contre tous ceux qui le suivront et lui prêteront quelques secours.

Pendant que le chancelier parlait ainsi, Villeroy[8] entra, et le Roi que ce flegme commençait d'importuner, s'adressait à celui-ci, et, après lui avoir en peu de mots expliqué ce dont il s'agissait lui demanda son sentiment. Villeroy, après avoir par deux fois haussé les épaules pour témoigner son étonnement, répondit qu'il fallait dépêcher des courriers à tous les Ambassadeurs de Sa Majesté vers les princes étrangers pour leur donner avis du départ de M. le Prince sans la permission du Roi, et même contre sa défense, pour leur faire faire les offices nécessaires dans les Cours où ils résidaient, et leur ordonner de représenter aux Souverains à qui ils étaient envoyés qu'ils ne devaient pas recevoir ce Prince dans leurs États, et, au contraire le renvoyer à Sa Majesté. Après qu'il eut cessé de parler, le Roi se tourna vers le président Jeannin, qui était venu avec lui et lui fit signe. de dire son avis, ce qu'il fit sans hésiter : Sire, dit-il, j'estime qu'il n'y a point d'autre parti à prendre que d'envoyer après lui un des capitaines des Gardes du corps de Votre Majesté pour tâcher de le ramener, avec ordre, en cas qu'il n'en puisse venir à bout, d'aller trouver le Prince dans les États duquel il se serait retiré et le menacer de lui faire la guerre s'il refuse de remettre ce Prince entre les mains de Votre Majesté. Selon moi, son départ n'a pas été prémédité, et il n'a fait, aucun office précédent pour être reçu et protégé. Il aura pris, apparemment, la route des Pays-Bas et, l'Archiduc qui ne le connaît point, qui n'a point d'ordre exprès d'Espagne pour le retenir et qui craint Votre Majesté, autant qu'il l'honore, ne voudra pas, pour l'amour de lui, s'attirer les dangereux effets de la colère du plus grand monarque de l'Europe et obligera ce Prince à sortir de ses États, ou le remettra entre les mains de Votre Majesté.

Le Roi goûta cet expédient ; mais il ne voulut pas s'y déterminer entièrement qu'il n'eût pris l'avis du duc de Sully, qui n'arriva que longtemps après les autres, avec un air brusque et une mine renfrognée. Le Roi s'avança vers lui et lui dit : Monsieur de Sully, mon neveu est parti et a emmené sa femme. — Sire, repartit ce ministre, je ne m'en étonne pas et l'avais prévu ; et je vous avais dit, il y a longtemps, qu'il ferait cette folie ! Si vous aviez cru le conseil que je vous donnais lorsqu'il allait à Muret, vous l'auriez mis à la Bastille, où vous le trouveriez à présent, et je l'aurais bien gardé. — C'est une affaire faite, répondit le Roi, il n'en faut plus parler ; mais que dois-je faire, cependant ? Donnez-moi votre avis. — Parbleu ! je ne sais, répliqua le duc ; mais laissez-moi retourner à l'Arsenal, où je souperai ; je me coucherai et je songerai pendant la nuit à quelque expédient dont je vous entretiendrai demain au matin. — Non, poursuivit le Roi, je veux que vous me disiez tout à l'heure votre pensée. — Il y faut donc rêver, repartit Sully ; et, en même temps il se tournait vers la fenêtre qui regardait dans la cour. Après avoir badiné quelque temps avec ses doigts, comme s'il eût joué du tambour, il retourna vers le Roi qui lui demanda s'il y avait songé, et ce qu'il fallait faire : Rien, répondit le duc. — Comment ? rien, reprit le Roi surpris. — Oui, rien du tout, ajouta Sully. Si vous ne faites rien et témoignez par cette conduite ne vous soucier pas du Prince de Condé et le mépriser, personne ne l'assistera, pas même ses plus chers amis, ni les plus zélés des officiers qu'il a laissés ici, et, dans trois mois, pressé de la nécessité, fatigué des railleries qu'on fera de lui, il reviendra implorer votre clémence. Si, au contraire, vous marquez de l'empressement de le rappeler, vous le mettrez, par là, en considération ; il sera secouru d'argent par plusieurs personnes de votre Cour, et il s'en trouvera qui le protégeront dans la vue de vous donner du chagrin, qui l'auraient abandonné s'ils avaient été persuadés que vous ne vous en fussiez pas soucié. Le Roi qui avait l'âme trop agitée pour goûter un avis si judicieux s'arrêtait à celui du Président Jeannin qui, étant plus brusque, flattait davantage sa passion, et dépêcha, le lendemain, le marquis de Praslin, tant vers M. le Prince que vers l'Archiduc.

Ce marquis ne put joindre le Prince de Condé et se rendit à Marimont auprès de l'Archiduc à qui il fit demander incontinent audience ; et y alla avec l'ambassadeur ordinaire. A ce Prince il représenta que Henri de Bourbon, Prince de Condé, prenait prétexte sur sa femme pour déguiser le dessein d'exciter des troubles en France et le priait au nom du Roi son maître, de le faire arrêter ! L'archiduc répondit qu'il croyait avoir assez fait de n'avoir pas reçu ce Prince, mais qu'il n'avait pas pu lui refuser passage, et qu'il ne tiendrait pas à ses Offices qu'il ne s'en retournât en France, souhaitant avec passion la satisfaction particulière du Roi et la tranquillité de son royaume.

Il est vrai que le Prince de Condé n'était pas resté, dans les Pays-Bas ; il avait passé jusqu'à Cologne et avait laissé la Princesse sa femme, à Breda, auprès de la Princesse d'Orange, sa sœur, qui l'avait menée ensuite à Bruxelles, où le Prince, son mari, se rendait ensuite. L'Archiduc y alla avec l'Infante pour recevoir ces dames et leur rendit visite aussitôt qu'ils furent arrivées. Le marquis de Spinola général des troupes espagnoles, qui était aussi dans la même ville, se plaignit à l'Archiduc de ce qu'il avait refusé de donner asile au Prince de Condé et le persécuta tellement qu'il l'obligeait à envoyer un gentilhomme à ce Prince, pour l'inviter à revenir. Spinola lui écrivit aussi par le même courrier et lui fit écrire par l'Ambassadeur d'Espagne. Il est vrai que l'Archiduc n'agissait pas avec le même esprit que les Ministres de cette couronne, et qu'il souhaitait autant l'accommodement qu'ils désiraient la rupture ; mais bientôt après il n'en fut plus le maître parce que le Roi catholique envoya ses ordres par lesquels il déclarait qu'il envoyait sa protection au Prince de Condé. Cette déclaration lui enfla tellement le courage qu'il ne songea plus qu'à justifier sa sortie hors du Royaume, en publiant des faits dont la plupart étaient supposés.

Comme le Roi n'avait donné aucun ordre à Praslin pour entrer en négociations avec son neveu, lorsqu'il apprit qu'il était de retour à Bruxelles, il y envoya le marquis de Cœuvres, en qualité d'Ambassadeur extraordinaire ; dès que ce Marquis fut arrivé, il pressa l'Archiduc de remettre la Princesse de Condé entre les mains du Connétable son père, ou de la duchesse d'Angoulême, sa tante. Mais ce Prince lui déclara qu'il ne disposerait jamais de sa personne que du consentement de son mari. Cœuvres voyant que sa négociation prenait un aussi mauvais train songea à enlever la Princesse.

Il y avait quelque froideur entre elle et le Prince de Condé, soit qu'elle y fût portée par une antipathie naturelle, ou par le chagrin de se voir éloignée de la Cour de France ; et les Français avaient pris soin d'entretenir cette aigreur pour faire réussir les desseins du Roi. Le marquis de Cœuvres, averti de la disposition de son esprit, tâcha de lui persuader de se laisser enlever ; elle demeura longtemps, irrésolue sur la réponse qu'elle devait lui rendre. D'un côté elle n'était pas contente du Prince, son époux, elle se voyait à regret sous la tyrannie des Espagnols. La Cour de l'Archiduc ne lui plaisait pas, n'y voyant rien qui approchât de la magnificence de celle de France ; et elle souhaitait avec passion d'être auprès de son père et de sa tante qui, de leur part, lui témoignaient le même empressement par leurs lettres. Mais, d'un autre côté, elle n'osait abandonner son mari pour se mettre entre les mains d une personne qui n'était attachée à ses intérêts par aucune liaison ; et elle craignait également, de retomber entre les mains d'un époux irrité et de donner lieu à la médisance de blâmer sa conduite. Néanmoins, après avoir été longtemps agitée de ces différentes pensées, le désir de revoir sa famille et de retourner en France l'emporta sur toute autre considération.

Le dessein de Cœuvres était de l'enlever une nuit de Bruxelles, et de faire pendant les ténèbres une si longue traite que, quand leur fuite serait découverte il fût impossible de les joindre ; mais pour y réussir il fallait prendre beaucoup de mesures, escalader ou percer les murailles de la ville, avoir des chevaux tout prêts sur les remparts, et des relais en plusieurs endroits : avec des cavaliers pour s'opposer à ceux qui voudraient les arrêter.

Comme à l'exécution de ce projet il fallait employer plusieurs personnes, on ne put si bien garder le secret qu'il n'en vint quelques lumières aux personnes intéressées. Le premier averti fut le comte de Buquoy, Grand Maître de l'Artillerie des Flandres qui en porta la nouvelle à l'Archiduc et à Spinola. On tint incontinent conseil où il fut résolu que, sous quelque prétexte, on ferait loger la Princesse dans le palais de l'Archiduc et l'Infante. On le proposait au Prince de Condé sans lui en découvrir le mystère et on lui insinua qu'étant en froideur avec sa femme, il devait souhaiter de s'en séparer pour lui donner le temps de revenir à son chagrin. Ce Prince y accéda sans peine, sur l'assurance que lui donnèrent l'Archiduc et l'Infante de ne la laisser sortir de leurs mains sans son consentement. La Princesse et Cœuvres n'osèrent s'y opposer, n'ayant aucun prétexte apparent pour s'en défendre ; outre qu'ils espéraient exécuter ce dessein avant le changement de maison. Cependant, comme on ne put ajuster toutes les mesures durant le temps que la Princesse devait rester dans l'hôtel du Prince d'Orange, on jugeait à propos, pour gagner encore trois ou quatre jours, de faire prier Spinola par cette même Princesse, dont il feignit d'être amoureux, de lui donner le bal dans sa maison ; mais ce rusé Génois qui connût l'artifice, s'en défendit adroitement. De Cœuvres ne se rebuta point pour ce fâcheux contre-temps et résolut d'enlever la Princesse, la nuit du samedi 13 février 1610 ; pour ce que le lendemain, dimanche, elle devait entrer au Palais. Elle dit qu'elle était malade de peur que son époux ne couchât avec elle, quoique cela lui arrivât rarement, et l'empêcha de se dérober.

L'Archiduc, qui était averti de tout ce qui se passait, par Buquoy, en fit donner avis par Spinola, au Prince de Condé, à qui on n'en avait rien découvert jusque-là, de peur qu'il ne fit un éclat inutile ; et il fut résolu qu'on prierait l'Archiduc de faire garder pendant la nuit la maison du Prince d'Orange, par quelques-uns de ses gardes à cheval. Condé fut si alarmé de tout ce que lui avait dit Spinola, que ne pouvant garder le secret, après avoir pris des mesures suffisantes pour rompre l'entreprise, il s'emportait à des plaintes frivoles. Pour de Cœuvres, il désavoua tout, parce qu'il n'avait encore fait aucune démarche pour laquelle il pût être convaincu et, comme il n'avait plus rien à faire, il dépêcha un courrier au Roi pour recevoir de nouveaux ordres sur ce changement imprévu.

Le Roi voyant que l'artifice ne lui avait pas réussi, résolut d'employer la force pour retirer la Princesse de Condé des mains d-e l'Archiduc et de déclarer la guerre au roi catholique. Il fit, pour cet effet, sonder Jacques VI qui, après la mort de la Reine Elisabeth avait réuni en sa personne, les Royaumes d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande, et essaya de l'obliger à rompre avec les Espagnols... Mais la fin tragique de Henri IV rompit tous ces vastes desseins.

 

ANECDOTES DES REINES ET RÉGENTES DE FRANCE

(T. IV, op. cit., pp. 304-320.)

 

Charlotte-Marguerite de Montmorency qui devint Princesse de Condé fit naître sur la fin de 1608 la passion la plus vive qu'ait jamais eue le Roi ; à en juger par les effets et par le trouble où elle le jeta. Elle avait à peine quinze ans lorsqu'elle parut à la Cour. On n'y avait jamais rien vu de plus beau ; et, quoique le siècle des Valois eût peut-être été le plus fécond en beautés, les vieux et les jeunes courtisans avouaient que Mlle de Montmorency surpassait, toutes celles qui avaient brillé avec le plus d'éclat. La blancheur de son teint était admirable ; ses yeux vifs et pleins de tendresse, en inspiraient au plus indifférent ; point de traits dans son visage qui ne fussent formés par les Grâces ; le son de sa voix, son maintien, ses moindres actions avaient un charme qu'on ne pouvait se défendre d'admirer, et l'éloge était un tribut qu'on payait d'autant plus naturellement à son mérite, qu'il était sans artifice. La nature, qui avait tout fait pour elle, la dispensait d'avoir recours aux ressources de l'art même les plus innocentes. Tel était le portrait que fait de Mlle de Montmorency un historien très fidèle et qui l'avait vue[9].

Le plus grand poète de son temps, Malherbe, le fit par ordre du Roi[10]. Le Connétable de Montmorency, son père, après avoir jeté les yeux sur le célèbre Bassompierre, lequel, outre une naissance illustre et de grands biens, beaucoup d'esprit et la plus belle figure du monde, était dans la première faveur auprès du Roi, duquel il était sincèrement aimé. Il lui avait, lui-même, proposé sa fille qui était un des partis les plus considérables de France, après les Princesses du sang, et le mariage était conclu. On peut voir de quelle manière s'en explique Bassompierre lui-même qui rapporte toutes les circonstances et des offres et de la conclusion de ce mariage[11]. Mais la faute qu'il faisait de n'en point parler à M. de Bouillon, neveu du Connétable et cousin germain de Mlle de Montmorency fut en partie cause de l'inexécution du traité. M. de Bouillon en parlait au Roi et lui proposant le mariage de la demoiselle avec le Prince de Condé, faisait faire à ce Prince des réflexions qui éloignèrent la conclusion. Une circonstance encore plus critique acheva de tout perdre. La Reine s'occupait d'un ballet que l'on voulait danser pendant le Carnaval. C'était le ballet des nymphes. Le Roi se trouva à la répétition qui s'en fit dans la grande salle du Louvre. Mlle de Montmorency dansa avec des grâces surprenantes. Elle avait un dard à la main[12] et jamais celui de l'Amour ne fit plus d'effet.

M. le Grand[13], dit Bassompierre, selon sa coutume de faire des admirations des choses nouvelles et, particulièrement de Mlle de Montmorency, qui était digne de toute admiration, inspira dans l'esprit du Roi, aisé à aimer l'amour qui, depuis, lui fit faire tant d'extravagances. La goutte prit au Roi. Le Connétable en fut aussi attaqué ; et M. de Bouillon déterminé à empêcher le mariage de Bassompierre, se servit de toutes ces circonstances. Il parlait au Connétable de la part du prince de Condé qui fut refusé. Mais le Roi qui vit Mlle de Montmorency avec Mme d'Angoulême, sa tante, proposa lui-même ce mariage en lui demandant si celui qui était sur le tapis avec Bassompierre lui agréait. La question n'avait d'autre but que de pénétrer si Mlle de Montmorency aimait Bassompierre ; et si elle suivait en l'épousant, son inclination ou son devoir.

Mlle de Montmorency était trop jeune pour pénétrer le piège qu'on lui tendait. Elle suivit les sentiments de son cœur dans sa réponse et dit au Roi qu'elle s'estimerait toujours heureuse en obéissant à son père et que c'était là qu'elle bornait son ambition. On ne pouvait s'exprimer plus favorablement en faveur de Bassompierre. Le Roi avoua depuis que cette parole l'avait déterminé à résoudre son mariage. Dans son projet d'aimer et d'être aimé, il craignit qu'un mari trop goûté ne fût son obstacle à sa tendresse. Dès le lendemain matin, il envoya chercher Bassompierre et lui dit qu'il avait pensé à lui faire un établissement solide à la Cour, en lui faisant épouser Mlle d'Aumale et en renouvelant le duché en sa personne. Eh ! quoi, Sire, me voulez-vous donner deux femmes ? Et les termes où je suis avec Mlle de Montmorency ?Ah ! répliqua le Roi en soupirant, Bassompierre, je veux te parler en ami. Je suis devenu non seulement amoureux, mais furieux et outré de Mlle de Montmorency. Si tu l'épouses et qu'elle t'aime, je te haïrais ; si elle m'aime, tu me haïrais. Il vaut mieux que cela ne soit point cause de rompre notre bonne intelligence ; car je t'aime d'affection et d'inclination. Je suis résolu de la marier à mon neveu, le prince de Condé, et de la tenir près de ma famille. Ce sera la consolation et l'entretien de la vieillesse où je vais entrer. Je donnerai à mon neveu, qui aime mieux mille fois la chasse que les dames, cent mille livres par an pour passer son temps, et je ne veux d'autre grâce d'elle que son affection, sans rien prétendre davantage[14].

Bassompierre, étourdi du coup, céda de bonne grâce ce qu'il n'eût pu raisonnablement contester à son maître. Le Roi enchanté de la complaisance de Bassompierre l'embrassa et pleura de joie. Il ne fit pas ce sacrifice sans que son cœur en saignât ; mais enfin il le fit. Quelques jours après, le mariage du prince de Condé avec Mlle de Montmorency fut déclaré à la Cour.

Les premiers jours d'un 'mariage si important se passèrent dans les fêtes ordinaires, en festins, en ballets, en courses de bagues. Bassompierre qui était tombé malade de chagrin chercha à se consoler de sa [perte ; et le Roi devint de jour en jour plus passionné pour la princesse. Il essaya vainement de dissimuler ses sentiments. Il n'y était pas accoutumé et ils étaient trop vifs. Le prince de Condé en craignit les suites et pour les écarter il emmena la princesse à Saint-Valéry et l'éloigna tellement de la Cour qu'elle n'y parut bientôt presque plus. Le Roi prit d'abord des prétextes pour engager le prince à faire revenir son épouse ; il se déguisa même et courut avec quelques chevaux pour la voir à un rendez-vous où elle devait se trouver. Les menaces suivirent les ordres. Condé promit de les exécuter. La princesse était à Muret : il y alla, mais ce ne fut pas pour la ramener à la Cour. Il avait résolu qu'elle n'y reparaîtrait jamais. Arrivé à Muret, il montait avec la princesse dans un carrosse à huit chevaux et prit la route de Flandres du côté de l'Artois. Il marcha sans s'arrêter nulle part jusqu'à Landrecies. La crainte du déshonneur dont il avait l'imagination remplie, et celle d'être arrêté sur sa route lui donnèrent des ailes.

Le Roi jouait dans son petit cabinet lorsqu'il en apprit la nouvelle par d'Elbène et le chevalier du guet. Jamais trouble ne fut égal à celui du Roi. Il quittait aussitôt le jeu et, laissant son argent à Bassompierre : Ah ! mon ami, lui dit-il à l'oreille, je suis perdu. Cet homme mène sa femme dans un bois ; je ne sais si c'est pour la tuer ou pour la mener hors de France !

Il faut voir dans le journal de Bassompierre jusqu'où alla, en cette occasion, la faiblesse du plus grand homme de l'Europe. Il envoya chercher ses ministres et leur demanda prompt remède à ses malheurs. De la manière dont le même Bassompierre, présent à la scène, la rapporte, on serait tenté de croire qu'il veut égayer son lecteur. Le premier, le chancelier Bellièvre, suivant Bassompierre, lui conseilla de rendre bons édits, de faire de bonnes déclarations. Villeroy réduisit le tout au pied des dépêches et de la négociation. Jeannin conseilla de porter la guerre dans les Pays-Bas ; Sully fut d'avis de garder le silence et de ne rien faire. Quoi qu'il en soit de la réalité de ces avis, il semble que celui de Jeannin devait être du goût du Roi, quoique celui de Sully fût le plus sage.

Praslin, fut dépêché pour empêcher la fuite du prince ou pour le ramener. Il ne put l'atteindre qu'à Landrecies et tenta inutilement de le faire revenir en France. On employait avec aussi peu de succès les prières, la négociation et les menaces auprès de l'archiduc. Les ministres d'Espagne et, en particulier le marquis de Spinola, firent échouer tous les projets. Le marquis de Cœuvres, naturellement brave et guerrier, voyant que la voie de la négociation ne réussissait pas, entreprit d'enlever la princesse à la vue de l'archiduc, et dans Bruxelles même. La princesse qui n'avait jamais eu forte inclination pour le prince y donna même les mains ; mais le projet fut découvert et il fallut l'abandonner.

Le prince cria fort haut. Les ministres d'Espagne se plaignirent et on en fut quitte pour nier tout. C'est le parti ordinaire que prend un ministre qui ne réussit pas, en pareille occasion. Il ne tint pas même au marquis de Cœuvres qu'on ne crût que l'entreprise n'eût été conduite par les intrigues du prince de Condé, pour rendre la Cour de France odieuse et sa retraite plus considérable. L'Autriche feignit de croire tout ce que les agents de Henri IV voulurent lui dire, sans se déclarer contre ce prince. Le Roi, instruit du mauvais succès de ses intrigues à Bruxelles, écrivit au prince : il l'assurait du pardon s'il revenait et le menaçait de toute son indignation s'il persistait dans ce qu'il appelait sa révolte et de le faire déclarer criminel de lèse-majesté. La réponse du prince consistait en protestations de son innocence et de son respect, et contre tout ce qui serait fait à son préjudice. Dans la crainte d'être enlevé de Bruxelles, il en partit sur la fin de février et se retira à Milan, auprès du comte de Fuentès, qui en était gouverneur pour le Roi d'Espagne. La princesse restait à Bruxelles où elle se regardait, elle-même, comme prisonnière.

La guerre fut enfin résolue. On arma de toutes parts : en France, en Flandre et en Espagne. Le prétexte du grand armement qu'on faisait en France était de secourir l'électeur de Brandebourg, palatin de Neubourg, contre l'Empereur Rodolphe[15], qui avait dessein de s'emparer des Elèves et de Julien. Malgré les préparatifs de la guerre, le roi employait toujours la voie de la négociation pour ravoir la Princesse. Les affaires étaient conduites par la sœur de Préan, au nom du Connétable et de Mme d'Angoulême ; mais les liaisons avec l'ambassadeur de France faisaient aisément connaître que tout se faisait, réellement, au nom du roi. Les raisons de Préan pour retirer la Princesse étaient, entre autres, le couronnement de la Reine, auquel le Connétable et Mme d'Angoulême voulaient que la Princesse de Condé fut présente et tint le rang qui lui était dû, et la sorte de nécessité qu'il y avait qu'elle fut auprès d'eux pour former la demande en séparation qu'elle avait dessein d'intenter contre son mari. Car les mécontentements réciproques et les chagrins de la Princesse, qui appelait violence et prison, son séjour à Bruxelles avaient conduit les choses à cette extrémité.

Mais le Conseil d'Espagne prévalant sur toutes les menaces de la France, Henri était résolu de passer aux effets et de se mettre lui-même à la tête de la plus belle armée que, depuis le règne de François Ier, l'on eut vue. De toutes parts, l'on ne voyait que levées de troupes ; on fortifiait les frontières ; on formait des magasins de vivres et d'artillerie ; la noblesse allait monter à cheval. Et, de quelles conquêtes ne se flattait-elle pas, ayant à combattre sous les yeux de son Maître, duquel on ne saurait dire s'il était plus craint qu'il n'était aimé. Enfin, la Princesse, vrai motif de cette guerre, allait être l'Hélène qui devait armer tant de bras, lorsque l'assassinat du Roi, arrivé le 14 mai 1610, fit évanouir tous ces projets et les craintes de l'Archiduc et de l'Espagne, hors d'état de soutenir les efforts d'un héros anémié par l'amour et par la gloire.

A peine la nouvelle de cette mort fut-elle répandue que Condé retournait en poste de Milan à Bruxelles. La face des affaires changeait entièrement. L'Espagne enorgueillie d'un événement plus fatal à la France, que si elle eût perdu dix batailles, consentit, après quelques négociations, à faire la paix. L'Archiduc y accéda volontiers et Condé s'en revint en France. Il ne vit pas d'abord la Princesse, leur raccommodement se fit à Paris, où Condé, qui avait quitté la France, en fugitif et sans suite, presque abandonné de tout le monde, rentra comme en triomphe et moins en premier Prince du Sang qu'en Roi. La réunion des époux fut sincère et la Princesse en donnait un exemple éclatant lorsque n'ayant pu obtenir du Roi l'élargissement du Prince, qui était enfermé à la Bastille, elle demandait comme grâce de s'y renfermer[16] avec lui. Elle y devint le conseil et la consolation de son époux pendant plus de deux ans que dura sa détention.

Elle resta veuve en 1646 et mourut à l'âge de cinquante-sept ans, le 2 Décembre 1650, à Châtillon-sur-Loing, où une fièvre violente l'emporta.

 

M. LE PRINCE HENRI DE BOURBON, PÈRE DU GRAND CONDÉ

TALLEMANT DES RÉAUX, pp. 177-182, III, op. cit., édition Monmerqué.

 

M. le Prince — père du Grand Condé — eut une jeunesse assez obscure et assez malheureuse. Nous avons parlé ailleurs[17] de sa fuite en Flandre, de son retour et de sa prison. Ses exploits qui sont petits, il disait : il est vrai que je suis poltron mais ce bougre de Vendôme, l'est encore plus que moi, se voient dans les Mémoires de M. de Rohan et ailleurs.

En une débauche il passa tout nu à cheval par une rue de Sens, en plein midi, avec je ne sais combien d'autres aussi. On a une lettre de M. de Rohan où ce seigneur lui reproche sa Sodomie[18] en ces termes : Au moins, n'ai-je rien fait qui me fasse appréhender le feu du ciel. De tout temps M. le Prince a été accusé de ce vice. On fit une chanson, que je n'ai pu trouver, où l'on faisait aller tous les beaux garçons de la Cour au-devant de lui.

Il a bien fait la débauche avec les écoliers de Bourges : il leur faisait manger leur argent. Il a quelquefois pris des promesses d'eux. Il les trichait au jeu et ayant gagé le diner à la boule à l'un d'eux il lui dit : J'enverrai demain de quoi, ne vous mettez pas en peine. Il envoya le lendemain, un pâté et deux bouteilles de vin et mena vingt-cinq gentilshommes, comme gouverneur du pays. Quand il allait au cabaret, au pis aller, il ne payait que sa part et, s'il pouvait, il laissait payer les autres pour lui. Un jour, en une petite ville, quand il voulut compter avec l'hôte, cet homme lui dit que les échevins avaient payé sa dépense. Il lui demanda combien il avait eu : Monseigneur, répondit l'hôte, on a un peu payé la qualité, j'ai eu cinquante écus de plus que je n'aurais eu d'un autre. On dit qu'il le contraignit à lui donner ces cinquante écus.

Une autre fois, comme il était prêt de signer un bail à ferme d'une de ses terres, il dit aux fermiers qu'ils lui confessassent combien ils donnaient à Perrault, son secrétaire ; et les ayant obligés d'avouer qu'ils lui donnaient cent écus, il se les fit bailler, leur disant qu'ils n'auraient plus affaire à son secrétaire. Cependant, ce secrétaire a fait une grande fortune avec lui ; car il faut qu'un habile homme fasse ses affaires et celles de son maître à la fois. Il lui prêtait de l'argent pour entrer dans une affaire, s'en faisait payer l'intérêt ; puis, comme il était homme de bon compte, il lui disait : Tenez, il y a tant de profit pour vous. Quand on lui donnait de l'argent pour quelque affaire, il le mettait dans un coffre, et le rendait si l'affaire ne se faisait pas.

Les habitants de je ne sais quelle paroisse le prièrent un jour de trouver bon qu'ils s'avouassent de lui pour être exemptés des gens de guerre. Mais, leur dit-il, que me donnez-vous ?Monseigneur, nous vous ferons un présent. — Non, je veux quelque chose de certain. Il ne leur promit point qu'auparavant ils ne fussent tombés d'accord de la somme et du terme, et il les avertit, comme ils s'en allaient, qu'ils lui envoyassent sans faute cette somme, car il la leur demanderait plutôt la veille que le lendemain.

Il eut de belles terres de la confiscation de M. de Montmorency, mais son plus grand bien venait des affaires qu'il avait faites.

Un jour qu'il avait haussé bien des fermes, le marquis de Rostaing, autre avaricieux, disait : Voilà un homme qui nous apprend à bien vivre. Il avait l'âme d'un intendant de grande maison. Jamais homme n'a tenu ses papiers en meilleur ordre. Il courait à cheval sur une haquenée dans Paris, avec un seul valet de pied, pour solliciter un procès. Il allait chez feu La Martellière les jours de son conseil ; en ce temps-là, les avocats n'étaient pas si lâches qu'à cette heure. Il allait voir Vitray deux fois la semaine, comme un homme de bon sens, fichu au reste qu'il n'y avait rien de même : s'il eût été propre il n'aurait point été trop mal.

M. le Prince dépensait pourtant beaucoup ; mais sa dépense ne paraissait pas. Il avait des équipages complets en plusieurs maisons ; il donnait à ses gens le moins qu'il pouvait. Il payait tous les premiers de l'an ; et à Pâques il leur donnait de quoi aller à confesse. Jamais il n'y eût maison mieux réglée ; ce n'eût pas été un mauvais roi. Véritablement il n'eût pas été si redouté qu'Henri IV ; on perdit furieusement à sa mort, car il n'eût pas souffert les barricades ni le blocus de Paris...

... Il savait si peu qui étaient les beaux esprits qu'un jour ayant trouvé Mme de Longueville, sa fille à table, M. Chapelain dînait avec elle, elle se leva, il lui voulut dire quelque chose ; après il lui demanda — Qui est ce petit noireau ?C'est M. Chapelain, dit-elle. — Qui est-il ?C'est lui qui a fait la Pucelle[19]Ah, dit-il, c'est donc un statuaire ?

Au retour d'Italie, de peur de donner de l'ombrage à M. de Luynes, il s'alla confiner à Bourges. Ce fut là qu'il connut Perrault qui y était écolier et qui devint enfin son maître, car il jurait plus haut que lui. Sous le cardinal de Richelieu, il n'a pas soufflé[20]. Il disait un jour à son fils : C'est bon pour vous qui êtes vaillant. Il ne croyait pas que son fils, s'exposant comme il le faisait, lui dût survivre et, quand sut l'affaire de Fribourg : Ah ! dit-il, il n'y en a plus que pour une campagne.

Quand il sut que M. le duc d'Enghien — qui fut le grand Condé son fils — n'avait point été voir M. le Cardinal de Lyon[21], il envoya quérir Dalliez, homme d'affaires, son grand factotum en fait de finances, après Perrault, et lui dit en une colère horrible : Vous avez fait donner dix mille écus à mon fils, à Lyon, vous êtes cause de sa perte ; s'il n'eût point eu tant d'argent, il fût allé voir le Cardinal de Lyon, oncle de sa femme ; il n'eût point passé sans lui rendre visite. Dalliez dit qu'il n'avait fait compter à M. d'Enghien que cent pistoles par-delà la somme ordonnée par M. le Prince. Or le cardinal de Richelieu prit cela au point d'honneur. C'était par fierté que M. d'Enghien n'avait point été voir le cardinal de Lyon, sous prétexte que les princes du sang ne voulaient céder qu'au seul cardinal de Richelieu et non aux autres. Ils lui cédaient, disait-il, comme premier ministre, comme les Princes cédaient autrefois à l'abbé Sugger[22] ; mais il était régent. Le Cardinal, qui voulait plaire à Rome, disait que c'était à la pourpre éminentissime qu'il fallait rendre cet honneur. Il rapportait l'exemple des souverains d'Italie. Le cardinal de Richelieu, effectivement, voulait qu'ils cédassent au cardinal Mazarin. Au retour de Perpignan, par dépit, le père et le fils s'en allèrent en Bourgogne ; et ils y étaient quand le Cardinal mourut. On a cru que le Cardinal avait dessein de les perdre lorsqu'il mourut ; mais c'était seulement qu'il les voulait désunir pour être maître du duc d'Enghien et l'obliger d'avoir recours à lui.

Le Roi avait laissé ici feu M. le Prince pour commander durant le voyage de Perpignan. Au Te Deum il se mit à la tête du Parlement comme le Roi. Le Parlement voulait se retirer. Le président Mole leur démontra que cela déplairait au Roi ; mais il signifiait à M. le Prince que c'était entreprendre sur le parlement, et qu'on s'en plaindrait au Roi.

En effet, M. le Prince eut une réprimande.

Il fit, une fois, un vilain tour à M. d'Enghien à Fribourg. M. d'Enghien avait grivelé sur les gens de guerre trente mille écus qu'il envoyait en or à Paris. M. le Prince en fut averti. Il va avec un commissaire, lui-même, car Perrault n'y voulut jamais aller, faire ouvrir la malle où était cet or, et en payer ce que son fils devait à M. de Longueville et à d'autres ; et, quand il revint, il lui donna des quittances au lieu de ses louis d'or, en lui disant : Il faut toujours commencer par payer ses dettes.

 

MADAME LA PRINCESSE, MÈRE DU GRAND CONDÉ

TALLEMANT DES RÉAUX, pp. 175-186, 1, op. cit., édition Monmerqué.

 

Mlle de Montmorency n'avait que quatre ans, qu'on vit bien que ce serait une beauté extraordinaire. Mme de Sourdis qui avait gagné cinquante mille livres de rentes, à la faveur de Mme de Beaufort sa nièce et qui espérait que cette Aurore[23] donnerait dans les yeux du Roi, fit dessein de la faire épouser à son fils le marquis de Sourdis d'aujourd'hui, qui avait trente mille livres de rentes en fonds de terre, et à qui elle avait fait apprendre toutes les choses imaginables. On disait qu'il y avait en lui de quoi faire quatre honnêtes gens et que, cependant, ce n'était pas un honnête homme. En cette intention elle la demande et offre de la prendre sans aucun bien. Le Connétable accepte le parti, Mme d'Angoulême, bâtarde de Henri II, veuve du frère aîné du Connétable, mais sans enfants, ayant deviné le dessein de la marquise, rompit le coup et prit sa nièce chez elle, après la mort de la Connétable, qui arriva bientôt.

M. de Bassompierre, au bout de quelques années, voulut la prendre sans biens ; mais quoiqu'il fût bien fait et fort bien avec le Connétable et que l'affaire fût fort avancée, Mme d'Angoulême la rompit. Bassompierre, depuis, fit tout ce qu'il put, mais en vain, pour faire accroire qu'il était bien avec elle[24].

La Reine-mère, quelque temps après, fit un ballet, dont elle mit les plus belles de la Cour ; pensez qu'elle n'oublia pas Mlle de Montmorency, qui pouvait avoir alors treize à quatorze ans. On ne pouvait rien voir de plus beau ni de plus enjoué ; mais il y en avait bien d'aussi spirituelles qu'elle, pour le moins. Il y eut quelques démêlés entre la Reine et le Roi, sur ce ballet. Il voulait que Mme de Moret[25] en fût. La Reine ne le voulait pas et elle voulait que Mme de Verderonne, femme d'un président des Comptes, en fût ; et le Roi ne le voulait pas. Ils avaient tort tous deux en ce qu'ils voulaient, et raison en ce qu'ils ne voulaient pas. A la fin, pourtant, la Reine l'emporta. Pendant ce petit désordre, elle ne laissait pas de répéter son ballet. Pour y aller on passait devant la chambre du Roi ; mais, comme il était fort en colère, il la faisait fermer brusquement dès qu'elle venait pour passer.

Un jour, il entrevit par cette porte Mlle de Montmorency, et, au lieu de la faire fermer, il sortit lui-même et alla voir répéter le ballet. Or, les dames devaient être vêtues en nymphes ; en un endroit elles levaient leur javelot comme si elles l'eussent voulu lancer. Mlle de Montmorency se trouva vis-à-vis du Roi quand elle leva son dard ; et il semblait qu'elle l'en voulût percer. Le Roi a dit depuis qu'elle fit cette action de si bonne grâce, qu'effectivement il en fut blessé au cœur et pensa s'évanouir. Depuis ce moment l'huissier ne ferma plus la porte, et le Roi laissa faire à la Reine tout ce qu'elle voulut.

On avait déjà parlé de marier M. le Prince avec Mlle de Montmorency. Le Roi conclut l'affaire, croyant que cela avancerait les siennes. M. le Connétable donna cent mille écus à sa fille. M. le Prince était fort pauvre ; mais c'était un grand honneur que d'avoir pour gendre le premier prince du sang. Le Roi, dans sa passion, fit toutes les folies que pouvaient faire les jeunes gens. Quoiqu'il eût cinquante-trois ans, ou environ, il courait la bague avec un collet de senteurs et des manches de satin de la Chine.

Le Roi obtint une fois de Mme la Princesse qu'elle se montrerait, un soir, tout échevelée sur un balcon, avec deux flambeaux à ses côtés. Elle s'en évanouit quasi, et elle dit : Jésus ! qu'il est fou ! Elle se laissa peindre pour lui en cachette ; ce fut Ferdinand qui fit le portrait. M. de Bassompierre l'emporta vite après qu'on l'eut frotté de beurre frais, de peur qu'il ne s'effaçât ; car il fallut le rouler pour le porter sans qu'on le vît. Quelques années après, Mme la Princesse croyant que Ferdinand aurait oublié cela, ou bien n'y songeant plus, lui demanda, un jour, quel portrait de tous ceux qu'il avait faits lui semblait le plus beau. C'est, lui dit-il, un qu'il fallut frotter de beurre frais. Cela la fit rougir.

M. le Prince, qui voyait que l'amour du Roi était Tort violente, emmena sa femme à Muret, auprès de Soissons. Le Roi ne put être longtemps sans la voir. Il va, avec une fausse barbe, à une chasse où elle devait être. M. le Prince en a avis et remet la chasse à une autre fois. A quelques jours de là, le Roi fait que M. de Troigny, un seigneur de ces quartiers-là, convie M. le Prince et Mme la Princesse à diner et lui se cache derrière une tapisserie d'où, par un trou, il la voyait tout à son aise. Elle savait l'affaire. Comme elle y allait avec sa belle-mère, le Roi, pour la voir en passant, se déguisait en postillon, et, avec M. de Beneux, qui feignait d'aller voir une belle-sœur, en ces quartiers-là, passait auprès du carrosse où M. de Beneux fut quelque temps à parler. Quoique le Roi eût une grande emplâtre sur la moitié du visage, il fut pourtant reconnu de l'une et de l'autre[26]. Mme la Princesse et sa belle-mère, Catherine de la Trémouille, furent quinze jours à Roucy, où la comtesse de Roucy, parente de M. le Prince par son mari, fils d'une héritière de Roye, leur prêta quatre mille écus pour leur voyage ; et, depuis, quand la belle-mère fut revenue de Flandre, elle la défrayait à Paris.

Mme la Princesse fit bien pis que cela, car elle se laissa persuader de signer une requête pour être démariée. Le Roi avait obligé ses parents à dresser cette requête[27] et le Connétable était un lâche qui croyait que cet amour du Roi le comblerait de trésors et de dignités. Les gens de Mme la Princesse, qui étaient fort jeunes, lui faisaient accroire qu'elle serait Reine. Voyez quelle apparence il y avait ! Il eût donc fallu empoisonner la Reine Marie de Médicis, car elle avait des enfants. M. le Prince n'a jamais pu pardonner à sa femme d'avoir signé cette requête. Enfin, il s'enfuit avec elle à Bruxelles, où il ne se trouva pas trop en sûreté, par les menées du marquis de Cœuvres, qui y était allé en qualité d'ambassadeur.

On a dit que c'était de son consentement que le marquis de Cœuvres la devait enlever de Bruxelles, et le petit Toiras, depuis maréchal de France, page de M. le Prince, était espion pour le Roi. Le marquis écrivait : Le petit Toiras sert toujours bien Votre Majesté, je lui ai payé sa pension.

Le Prince passait avec sa femme à Milan. En ce moment-là, l'armement du Roi tenait tout le monde en jalousie. On armait aussi dans le Milanais. Le bruit courut que M. le Prince devait commander cette armée[28].

Après la mort du Roi, M. le Prince ramena sa femme à la Cour de France[29]. Mme de Rambouillet dit que Mme la Princesse eut la petite vérole, et qu'il lui demeura une grosse couture à chaque joue, qui, avec une grande maigreur qu'elle eut, la défigurèrent fort longtemps. Enfin ses coutures se guérirent ; elle devint grasse et fut la plus belle personne de la Cour[30]. Mme de Rambouillet dit encore que durant sa grande fleur, dès qu'il venait une beauté nouvelle, on disait aussitôt : Elle est plus belle que Mme la Princesse, mais qu'enfin on revenait de cette erreur. Elle avoue pourtant que Mme des Essarts[31], depuis la maréchale de l'Hospital, qui succédait à Mme de Moret, mais simplement, comme une belle courtisane, plutôt que comme une maitresse, et Mme de Quélin[32], qui eut l'honneur d'avoir sa part aux embrassements du Roi, à bien examiner tous les traits étaient plus belles que Mme la Princesse, mais que Mme la Princesse avait tout une autre grâce.

Quand M. le Prince fut arrêté[33], il fallut par bienséance demander à entrer en prison avec lui ; sans cela, peut-être n'eussent-ils point eu d'enfants ; car Mme de Longueville et M. le Prince y sont nés ; et, avant cela, le mari et la femme n'étaient pas trop bien ensemble[34]. Au sortir de là, elle fit galanterie avec le cardinal de La Valette qui y dépensait si bien son argent que quand il est mort il avait mangé son revenu jusqu'à l'an 1650 ; c'est en 1639 qu'il mourut. Une fois il lui en coûta deux mille écus pour une poupée, la chambre, le lit, tout le meuble, le déshabillé, la toilette et bien des habits à changer, pour Mlle de Bourbon, depuis duchesse de Longueville, encore enfant.

Le cardinal de La Valette était un galant homme, mais fort laid[35]. Pompeo Frangipani, seigneur romain, qui était à la Cour, disait que c'était, justement, un viso di Cazzo[36]. M. d'Aumont disait qu'il croyait qu'en relevant la moustache du cardinal La Valette on lui relevait aussi les lèvres. Ce cardinal était libéral et avait beaucoup d'esprit. Il était enjoué jusqu'à se mettre sous un lit en badinant avec des enfants : cela lui est arrivé bien des fois à l'hôtel de Rambouillet. Mais il était quelquefois un peu emporté et une fois il alla dire le diable, en présence de Mme la Princesse, des femmes qui faisaient l'amour. Il disait, car il avait l'esprit délicat et n'était pas ignorant, que le cardinal de Richelieu avait des galanteries de pédant, et sa plus grande joie était de venir en rire avec Mme de Rambouillet, en qui il avait une confiance entière. Le cardinal de Richelieu vivait avec lui tout autrement qu'avec les autres, car il lui avait, comme nous dirons ensuite, la plus grande obligation qu'on puisse avoir à un homme. Il le traitait civilement et respectueusement, et comme de La Valette n'avait rien dans la tête que la guerre, il le satisfaisait en cela.

M. d'Espernon appelait le cardinal de La Valette, le bas valet, à cause qu'il faisait la cour au cardinal de Richelieu. Il avait voulu être général d'armée à toute force, à cause de la toute-puissance qu'a un général sur ses troupes. Il était brave, mais il ne savait point la guerre.

M. de Montmorency donnait aussi beaucoup à Mme la Princesse, et le cardinal lui ayant manqué après ce frère, elle se trouva bien mal à son aise. Le cardinal fut le seul qui ne l'abandonna pas à la disgrâce de M. de Montmorency. Mme de La Trimouille dit qu'elle était de leurs divertissements ; que Mme la Princesse et M. le Cardinal, quand ils voulaient parler seuls, étaient dans le cabinet, la porte ouverte, que tout le monde les voyait ; les autres dansaient et jouaient.

Mme la Princesse était une des plus lâches personnes qui fût jamais. Elle disait à Mme d'Aiguillon : Jésus, Madame, que je serais aise de vous céder si vous épousiez Monsieur ! En revanche, quand elle menait quelqu'un elle était la plus civile du monde. Un jour qu'elle mena Mme de La Trimouille à je ne sais quelle fête au Louvre, la Reine l'appela dans sa garde-robe où personne n'entre que les princesses. Elle s'excusa, disant : J'ai amené Mme de La Trimouille, je n'irai nulle part où elle ne puisse entrer. On fit sur elle un vaudeville que voici :

La Combalet et la Princesse

Ne pensent point faire de mal

Et n'en iront point à confesse

D'avoir chacune un cardinal[37].

Car laisser lever leur chemise

Et mettre ainsi leur corps à l'abandon

N'est que se soumettre à l'Église,

Qui, en tout cas, leur peut donner pardon.

 

Je sais qu'on a voulu dire que M. de Chavigny, qui en sa jeunesse, avait eu entrée chez Mme la Princesse, avait eu aussi quelque part à ses bonnes grâces du temps du cardinal de La Valette ; mais il n'en est rien. On a cru cela à cause que qui a un galant en peut bien avoir deux ; mais, outre que le cardinal ne l'eût pas souffert, ou que du moins cela eût mis du divorce entre elle et lui, c'est que Mme la Princesse n'eût pas enduré volontiers les galanteries d'un homme de la ville.

Cependant Mme de La Trimouille dit qu'un jour elle vit sortir Mme la Princesse fort en désordre d'une ruelle de lit où elle était avec Chavigny et que jusques alors elle n'avait eu aucune mauvaise opinion d'elle.

Le cardinal de La Valette avait quelquefois de plaisantes visions. Un jour il disait qu'il voudrait être montagne. — Et moi, je voudrais être Soleil, dit Mme de Rambouillet. — Soleil ! Soleil, reprit-il, ne l'est pas qui veut. Comme s'il était plus aisé d'être montagne que soleil !

Il croyait, une fois, avoir fait des vers, et voici ce qu'il avait fait : c'était sur l'air d'un vaudeville. Ce cardinal était meilleur dans le sérieux que dans la raillerie :

M'en allant en Tourraine,

J'achèterai à Tours

Des pruneaux de Tourraine

De bons pruneaux de Tours ;

Puis revenant en Beauce

J'irai à Chartres, en Beauce,

Et puis à Orléans,

Voir Monsieur d'Orléans.

 

J'ai appris depuis peu de Mme de La Trimouille, une chose que Mme de Rambouillet ne m'a jamais voulu avouer, que quand je l'ai sue ailleurs ; c'est qu'un jour le cardinal de La Valette demanda la dernière faveur à Mme la Princesse, qui l'en refusa. De désespoir il alla se mettre incognito dans Saint-Louis, où il y avait des pestiférés. Il menait avec lui un confident, à qui il donna un billet pour la belle, qu'il avait apporté tout fait. Le confident n'entra point. Elle dit à Mme de La Trimouille que, de sa vie, elle ne fut plus embarrassée. Il en sortit par son ordre. Le reste est aisé à deviner. Il aima depuis Mlle de Bourbon, — duchesse de Longueville, — aussi fortement qu'il avait aimé sa mère.

 

 

 



[1] Dans BRANTÔME, Vie des Dames illustres, pp. 304-308 de l'édition Garnier. — Inutile de rappeler que le courtisan Brantôme trouve aux belles et nobles dames de son temps toutes les qualités, toutes les vertus même, presque, dans les dames galantes. Nous avons expliqué à la suite de quelle alliance, Diane de France, fille bâtarde de Henri II, était devenue la tante de Charlotte de Montmorency. Voir ce que nous avons dit plus haut en note, pour le style et l'orthographe du temps.

[2] Urbain de Laval de Montmorency, c'est le père de Charlotte. Damville était le nom d'une ancienne baronnie dans la province d'où s'est formé le département de l'Eure.

[3] Catherine-Marguerite de Lorraine, duchesse de Montpensier. Née en 1552, mariée en 1570 à Louis II de Montpensier, était la sœur de Henri de Guise, le Balafré, dont elle aurait vengé la mort en provoquant, en 1589, l'assassinat de Henri III. C'est en 1596 qu'elle mourut s'étant réconciliée avec Henri IV. Sa fille épousait Gaston, frère de Louis XIII. De ce mariage naquirent un fils, mort à deux ans, et quatre filles : Mlles d'Orléans, d'Alençon, de Valois et de Chartres. De son premier mariage avec Marie de Bourbon naissait Anne-Marie-Louise, appelée d'abord Mademoiselle et plus tard — elle est restée célèbre sous ce nom — LA GRANDE MADEMOISELLE.

Tallemant raconte : Le jour que Henri IV entra dans Paris il put voir sa tante de Montpensier et lui demanda des confitures. Je crois, lui dit-elle, que vous dites cela pour vous moquer de moi. Vous pensez que nous n'en avons plus. — Non, répondit-il, c'est que j'ai faim. Elle fit apporter un pot d'abricots et, en prenant, elle en voulait faire l'essai ; il l'arrêta et lui dit : Ma tante, vous n'y pensez pas. — Comment ! reprit-elle, n'en ai-je pas fait assez pour vous être suspecte ?Vous ne me l'êtes point, ma tante. — Ah ! répliqua-t-elle, il faut être votre servante. Et, effectivement, elle le servit depuis avec beaucoup d'affection. TALLEMANT DES RÉAUX, op. cit., I, 93.

[4] Dans les Galanteries des Rois de France, par VANEL, comme aussi dans les Anecdotes des Reines et Régents de France, par DREUX DU RADIER, dont nous reproduisons des passages, aussitôt après le chapitre : Charlotte-Marguerite de Montmorency, l'histoire, sauf quelques détails un peu fantaisistes, est serrée de très près. Dans ces Appendices nous n'avons pas cru devoir donner certaines explications, comme références : elles auraient fait double emploi avec les notes déjà données au cours de notre récit : notes qu'il suffira de se rappeler pour, de soi-même, relever certaines contradictions.

[5] Roger de Saint-Lary, duc de Bellegarde, grand écuyer de France, — M. Le Grand — né vers 1563, mort en 1646, le 13 juillet. Son Historiette dans TALLEMANT DES RÉAUX est bien amusante, nous y renvoyons le lecteur. Toutefois extrayons-en ce passage :

... On a cru trois choses de lui, qui n'étaient point : la première, que c'était un poltron ; la seconde, qu'il était fort galant ; la troisième, qu'il était fort libéral. A la vérité, il ne recherchait pas le péril mais ne manquait nullement de cœur. 11 avait le port agréable, était fort bien fait et riait de fort bonne grâce. Son abord plaisait ; mais hors quelques petites choses, qu'il disait assez bien, tout le reste n'était rien qui vaille. Ses gens étaient toujours déchirés, et hors que ce fut pour quelque entrée, ou pour quelque autre chose semblable, il n'eût pas voulu faire un sou de dépense ; mais dans les occasions d'éclat la vanité l'emportait. Il n'était point trop bel homme de cheval, à moins d'être armé, car cela le faisait tenir plus droit. Il était grand et fort et portait fort bien ses armes. Je n'ai que faire de dire que sa beauté lui servit fort à faire sa fortune auprès de Henri III. On sait ce que dit un courtisan de ce temps-là, à qui l'on reprochait qu'il ne s'avançait pas comme Bellegarde. Hé ! dit-il, il n'a garde qu'il ne s'avance ; on ne le pousse assez par derrière ! Il avait la voix belle et chantait bien... Jamais il n'y eut un homme plus propre ; il était de même pour les paroles. Il ne pouvait entendre nommer un pet. Une nuit, il eut une forte colique venteuse. Il appela ses gens et se mit à se promener, et en se promenant, il pétait. Yvrande, garçon d'esprit, qui était à lui, y vint comme les autres, mais il se cacha. M. de Bellegarde l'apercevait, à la fin. Ah ! lui dit-il, vous voilà ! y a-t-il longtemps que vous y êtes ?Dès le premier, Monsieur, dès le premier ! M. de Bellegarde se mit à rire, ce qui achevait sa guérison... Malgré toute sa grande propreté, M. de Bellegarde avait la roupie au nez ; avec le temps cette incommodité augmenta... Nous avons vu revenir M. de Bellegarde à la Cour, après la mort du cardinal de Richelieu, qui l'avait fait exiler à Saint-Fargeau, où il demeura huit ou neuf ans, et il a porté le deuil de ce prince qui ne pouvait souffrir sa roupie... TALLEMANT DES RÉAUX, op. cit., I, pp. 108-117.

[6] Sœur de la marquise de Verneuil, la maîtresse alors en titre de Henri IV.

[7] Pomponne de Bellièvre. Était en 1575 surintendant des finances, avait été chargé de demander à la reine Élisabeth d'Angleterre la liberté de Marie Stuart et de porter au duc de Guise l'ordre de ne pas entrer dans Paris. Exilé parce qu'il s'était mal acquitté de sa mission. Puis il rentrait en grâce. Fut un des principaux négociateurs de la paix de Vervins. Chancelier en 1599.

[8] Villeroi — Nicolas de Neufville — avait été l'un des plus actifs conseillers de Mayenne contre qui combattait Henri IV, avait même fait reconnaître comme roi le cardinal de Bourbon. Puis, comme tant d'autres, se ralliait si bien qu'il négociait avec Clément VII l'absolution du Roi. Il fut le grand entremetteur du mariage avec Marie de Médicis. Henri IV en avait fait son ministre des Affaires étrangères. Jamais Villeroi ne put s'accorder avec Sully à la disgrâce duquel il contribua fortement, après la mort de Henri IV.

[9] Cardinal BENTIVOGLIO, dans op. cit.

[10] Ici sont cités les vers de Malherbe :

A quelles roses ne fait honte

De son teint la vive fraîcheur.

Mais nous avons vu que ces vers étaient pour Mme d'Auchy, la Caliste des poésies de Malherbe. Voir TALLEMANT DES RÉAUX, op. cit., II, 1-9 : la Vicomtesse d'Auchy.

[11] Nous avons rapporté tout ce passage des Mémoires de BASSOMPIERRE.

[12] De même qu'aussi nous avons parlé du Ballet, d'après Tallemant.

[13] Nous avons dit qu'il se nommait Bellegarde, et sur lui, donnions quelques détails.

[14] Se rappeler les Mémoires de BASSOMPIERRE, et les Galanteries des rois de France déjà cités. En somme, Vanel et Dreux du Radier s'appuient sur Bassompierre.

[15] L'empereur Rodolphe était le frère de l'Archiduc. Voir dans Économies royales de Sully, op. cit., éd. Michaud, II, p. 392, ch. CCVII... Armée envoyée au siège de Juliers ; motifs secrets de cette mesure.

[16] Ce n'est pas à la Bastille, mais dans la prison de Vincennes, que la femme partagea la captivité du mari ; très héroïquement, avec dévouement réel et d'autant plus méritoire que leurs aventures d'autrefois ne l'avaient pas préparé. — Pour la mise au point de ces détails, voir plus loin l'Historiette de Madame la Princesse, d'après TALLEMANT DES RÉAUX. — Dans sa Gazette du 4 décembre 1650, Loret annonçait cette mort :

Madame la Princesse veuve,

Qui maintes fois a fait épreuve,

Tantôt d'un destin glorieux,

Tantôt d'un sort injurieux

De cent félicités diverses

Et d'autant de traverses,

Mais ayant toujours conservé,

Un cœur haut, un cœur élevé,

Grand, bienfaisant, magnanime,

Digne enfin d'éternelle estime.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

A vrai dire, ne fut point remarquée la mort de cette Princesse dont la beauté, jadis, attirait tous les regards et troublait tant de cœurs. C'est le 22 décembre que son corps fut porté aux Carmélites de Paris. Sic transit !...

[17] Dans l'Historiette de Madame la Princesse, qui termine l'Appendice.

[18] Est-ce une médisance de Tallemant qui n'en est pas avare, nous le savons ? Toujours est-il que ce vice odieux fut à la mode depuis surtout le règne de Henri III jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. La sodomie était, en ce temps, chose si courante qu'elle pouvait s'étaler au grand jour, presque sans scandale. Ces mœurs grecques arrivaient de haut. Le grand Condé, le vainqueur de Rocroi, fils de cet Henri de Bourbon et de Charlotte, fut ce qu'on appelle, aujourd'hui, un homosexuel. Philippe, frère de Louis XIV, mérita d'être surnommé le roi de Sodome. Il est vrai que Louis XIV, s'il afficha Lavallière, Montespan, Maintenon et tant d'autres, eut toujours en horreur les invertis qui déshonorèrent son règne. Voir dans l'Histoire amoureuse des Gaules le pamphlet : La France italianisée. Mais insister sur ces choses délicates serait, ici, hors de propos.

[19] Le fameux poème de Chapelain qui fit, avant de paraître, tant de bruit, — ne disait-on pas : quelque chose va naître, plus grand que l'Iliade — et qui, tout aussitôt paru, sombrait sous le ridicule. Qui s'aviserait aujourd'hui de lire la Pucelle de Chapelain ? Celle de Voltaire est déjà si démodée !

[20] Il n'était pas sans se rappeler que Richelieu avait fait guillotiner Toulouse, son beau-frère — beau-frère du premier lit.

Montmorency fut véritablement guillotiné, car à cette époque, déjà, la guillotine existait. Mais il fut maladroitement guillotiné. Le bourreau le blessait au col. Monsieur, disait Montmorency, ce n'est point par appréhension que je remue, mais parce que ma blessure me fait mal. On n'en montre pas moins à Toulouse, aux visiteurs du Capitole, l'épée (?) — conservée dans une boîte de velours — qui servit à décoller Montmorency.

[21] Alphonse-Louis du Plessis de Richelieu, frère du cardinal de Richelieu. — Voir son Historiette dans TALLEMANT DES RÉAUX, op. cit., III, pp. 23-26. Le cancanier du XVIIe siècle ne lui est pas trop défavorable et vraiment, c'est miracle ! On lui fit cette épitaphe :

Pauper natus sum, pauperiem vovi.

Pauper morior, inter pauperes speliri volo.

Il acquit la réputation d'un homme fort charitable ; à Lyon, pendant la peste, il alla partout comme s'il n'eût pas eu tout sujet d'aimer la vie... Il ne laissait pas que d'avoir de l'esprit, mais il paraissait presque toujours bébête !...

[22] On sait que ce ministre très libéral et célèbre, de Louis VII, prenait une part prépondérante dans l'affranchissement des communes.

[23] Allusion au passage de cette lettre que Voiture écrit à Mlle Paulet : Je souhaite de tout mon cœur que cette Aurore, car ce nom que vous lui donnez lui va bien, soit suivie d'un aussi beau jour qu'elle le mérite et que tous ceux de sa vie soient exempts de nuages et aussi clairs et sereins que son visage et son esprit.

[24] Inutile, sans doute, de faire remarquer ici, sans insister davantage, combien Tallemant est mal renseigné.

[25] Jacqueline de Bueil, comtesse de Bourbon-Moret, était alors une des maîtresses de Henri IV. ... Mme de Moret était de la maison de Bueil. N'ayant ni père ni mère, elle fut nourrie, je pense, chez Mme la princesse de Condé, Charlotte de la Trémouille. Elle était là en bonne école. Henri IV, qui ne cherchait que de belles filles et qui, quoique vieux, était plus fou sur ce chapitre-là qu'il n'avait été en sa jeunesse, la fit marchander et on conclut à trente mille écus. Mais Mme la Princesse de Condé souhaita que, par bienséance, on la mariât en figure, si j'ose dire. Cézy, de la maison de Harlay, homme bien fait et qui parlait agréablement, mais qui avait mangé tout son bien, s'offre à l'épouser. On les maria un matin. Le Roi, impatient et ne goûtant pas trop qu'un autre eût un pucelage qu'il avait payé, ne voulut pas permettre que Cézy couchât avec sa femme et la vit dès ce soir-là. Cézy, lâche comme un courtisan ruiné, prétendant avoir sa femme le lendemain, résolut de tout souffrir pour faire fortune ; mais elle n'y voulut jamais consentir. On rompit le mariage à condition que Cézy aurait les trente mille écus... Henri IV, se refroidissant, Mme de Moret s'avisa de faire la dévote. Elle n'avait que du linge uni, une grande pointe, une robe de serge, les mains nues. C'était pour les montrer, car elle les avait belles. Jusque-là, elle avait été un peu goinfre, mais fort agréable. Henri IV fut tué avant qu'elle eût achevé sa farce. Elle jouait un autre personnage ensuite, car elle feignit de devenir aveugle. On croit que c'était pour faire pitié à la Reine-mère. Enfin, elle fit semblant que M. de Mayenne, médecin célèbre, qui était son ami, lui avait fait recouvrer la vue d'un œil, mais il ne paraissait point que l'autre fût plus malade. Elle se remit à faire l'amour tout de nouveau. M. de Vardes se laissait attraper et l'épousait. Elle est morte empoisonnée, par mégarde et sans y penser. D'autres disent que c'est un valet qui l'a empoisonnée, et on soupçonne le mari qui a retiré chez lui une demoiselle de bon lieu, qu'il pourrait fort bien avoir envie d épouser. J'ai su, depuis, qu'on avait fait un quiproquo chez l'apothicaire et qu'on lui avait donné du sublimé pour du cristal minéral. On lui trouva deux abcès qui l'eussent fait mourir subitement. TALLEMANT DES RÉAUX, op. cit., I, pp. 167-172, éd. Monmerqué.

[26] Mémoires de Lenet, LIII, 139. Deuxième série de la Collection Petitot.

[27] Peut-être semble excessive cette affirmation de Tallemant. Le Prince, que fatiguaient, qu'inquiétaient les assiduités du Roi, avait dit, en un moment de colère : J'aime mieux être démarié que d'être déshonoré !Parfaitement, avait répondu Henri IV, je le prends au mot et même je me charge de lui procurer le consentement de sa femme. Mais Henri II ayant riposté que s'il y avait procédure en divorce, le Roi ne trouverait pas mauvais que sa femme restât à la maison, tant que durerait la procédure, le monarque n'insistait pas davantage. Charlotte n'aurait donc pas signé ce soi-disant acte de démariage puisque jamais cet acte n'aurait été dressé.

[28] Nous savons que la Princesse n'accompagna pas son mari à Milan, où l'accueillait avec un enthousiasme tout politique le duc de Fuentès, gouverneur de cette ville pour le Roi d'Espagne. Mais, comme à Milan, Condé pouvait devenir entre les mains des Espagnols un instrument de troubles, Bullion, ambassadeur de France à Turin, eut mission de le surveiller.

[29] Nous avons dit que revenant à Paris il ne l'y ramenait point. A Paris, dès son arrivée, pas plus qu'à Bruxelles, il ne laissa supposer qu'il la reprendrait. On affirmait même qu'il aspirait à la main de Mlle de Montpensier, laquelle était déjà promise au duc d'Orléans. Mais, comme l'un des deux fiancés avait trois ans et l'autre quatre, cette promesse n'était pas un obstacle bien sérieux à d'autres projets. C'est cette duchesse de Montpensier qui se mariait à Gaston d'Orléans, d'où naquit la Grande Mademoiselle. Ce n'est que deux jours après la rentrée du Prince de Condé à Paris que la duchesse d'Angoulême allait chercher sa nièce à Bruxelles. A Chantilly une entrevue eut lieu entre le mari et la femme, mais on jugea convenable de laisser s'écouler quelques mois, avant que la Princesse reparût à la Cour.

[30] Cette Mme de Rambouillet est la fameuse précieuse l'Arthénice, du célèbre Hôtel de Rambouillet, où pendant sa vogue, se dépensa le plus d'esprit qu'il s'en pouvait dépenser dans Paris.

[31] Comtesse de Romorantin. Henri IV en eut deux filles qui furent toutes deux abbesses : l'une, de Chelles, l'autre, de Fontevrault.

[32] M. de Quélin, conseiller de la Grand'Chambre, passait pour être un fils de Henri IV.

[33] Aussitôt à Paris, Condé eut la dent longue. Il n'oublia pas qu'il avait été héritier du trône et qu'il pouvait tout au moins, être le Président du Conseil de Régence ; poste et titre que le Parlement donnait à Marie de Médicis. Pour l'apaiser on lui compta 200.000 écus, puis on lui faisait présent d'un magnifique hôtel à Paris. Mais autour de lui se rallièrent les mécontents. Encore pour l'apaiser, on lui compta 1.200.000 écus, avant qu'il allât prendre son gouvernement de Guyenne. Il n'en continua pas moins de conspirer : conspiration, d'ailleurs, inutile et infructueuse. Il blâma le mariage de Louis XIII avec Anne d'Autriche, se ralliait aux protestants contre ce qu'il jugeait être les tolérances ultramontaines du gouvernement, demanda que son gouvernement de Guyenne fût échangé contre le gouvernement du Berry, avec cinq places fortes, dont Chinon et Bourges ; bref, s'agita tant et si fort, parlant même de faire assassiner, que la Reine-mère, la victime désignée, le fit déclarer coupable de lèse-majesté et enfermer à la Bastille tandis que sa femme était exilée à Saint-Valéry. Lorsque de la Bastille Condé fut transféré à Vincennes, Charlotte voulut partager la captivité de son mari : Ce fut accordé. Mais l'aventure de Bruxelles ne faisait en rien présager ce rapprochement ! Plus tard, lisons-nous dans Duc D'AUMALE, Histoire des Princes de Condé, op. cit., III, pp. 103-104, Marie de Médicis déclara dans son manifeste qu'elle éprouvait une vraie douleur d'avoir conseillé l'emprisonnement de Condé, supplia le roi de le faire élargir et témoigna une certaine indignation des mauvais traitements qu'on lui faisait subir. Délivré le 20 octobre 1619, il fut solennellement et très affectueusement accueilli par le Roi, à Chantilly.

[34] Relevons quelques inexactitudes de Tallemant. La duchesse de Longueville naquit dans la prison de Vincennes, en août 1619 ; mais le grand Condé naquit non en prison, mais le 8 septembre 1621, à Chantilly.

Tallemant dit que si le Prince et la Princesse ne s'étaient pas retrouvés en prison, jamais ils n'auraient eu d'enfants. C'est le 16 septembre 1617, que tous deux furent enfermés à Vincennes, et c'est le 20 décembre, même année, que Charlotte accouchait d'un fils mort en naissant ; elle-même fut en grand danger de mort. L'année suivante un accident (29 août 1618) lui enlevait deux jumeaux.

Pendant la prison de M. le Prince, le lendemain que Mme la Princesse sa femme fut accouchée de deux enfants morts, pour avoir été incommodée de la fumée qu'il faisait dans la chambre au bois de Vincennes, Malherbe trouvait un conseiller de province, de ses amis, en grande tristesse, chez M. le garde des Sceaux du Vour. — Qu'avez-vous ? lui demanda-t-il. — Les gens de bien, répondit cet homme, pourraient-ils avoir de la joie quand on vient de perdre deux princes du sang ? — Malherbe lui repartit : Monsieur, Monsieur, cela ne doit point vous affliger, ne vous souciez que de bien servir, vous ne manquerez jamais de maître. TALLEMANT DES RÉAUX, II, op. cit., p. 250, éd. Monmerqué.

Alors qu'il acceptait un maître, le poète courtisan estimait que le bien servir était se faire, par des poésies, l'entremetteur courtisan des amours royales.

[35] Voir plus bas quelques mots, en note, sur le cardinal de La Valette.

[36] Monmerqué met en note : C'est, dit Tallemant, une injure en Italie, comme ici : visage de bois flotté. — On dit, par injure à une personne, que c'est un plaisant visage ; un visage de bois flotté, un visage de cuir bouilli, un visage à étui quand il est noir, rude, couperosé. Dict. de Trévoux.

[37] Mme de Combalet, depuis duchesse d'Aiguillon, était la nièce de Richelieu. Voir dans TALLEMANT DES RÉAUX, op. cit., III, pp. 12-22, l'Historiette de Mme d'Aiguillon : ... On a fort médit de son oncle et d'elle. Il aimait les belles femmes et craignait le scandale. Sa nièce était belle et on ne pouvait trouver étrange qu'il vécût familièrement avec elle. Effectivement, elle en usait peu modérément ; car, à cause qu'il aimait les bouquets, elle en avait toujours et l'allait voir la gorge découverte. Un soir, qu'il sortait assez tard de chez Mme de Chevreuse : Ne laissons pas, dit-il, d'aller chez ma nièce, car, que dirait-elle, si je n'y allais !... Gautier dit délicatement en parlant du crédit qu'elle avait sur son oncle : Samson n'avait plus de force quand il était dans les bras de cette Dalila... Madame la Princesse avait recherché l'amitié de Madame d'Aiguillon pour avoir la protection du Cardinal, car elle craignait que son mari ne la confinât à Bourges. Elle appelait le cardinal de la Valette mon époux, et lui, mon épouse... Louis Nogaret d'Épernon, cardinal de La Valette (1593-1639), était né à Bourges. En 1628, il abandonnait l'archevêché de Toulouse et se dévouait à Richelieu pour le servir dans les armées. Il fut gouverneur de Metz, puis d'Anjou, commanda les troupes qui se joignirent sur le Rhin au duc de Weimar. En 1638, il remplaçait Créqui à l'armée d'Italie. Ses Mémoires ont été rédigés par Jacques Talon.