LA MARQUISE DE VERNEUIL ET LA MORT D'HENRI IV

PREMIÈRE PARTIE. — LES DERNIÈRES AMOURS DU VERT-GALANT

 

CHAPITRE X.

 

 

La Cour. — Les traitants. — La vie et les mœurs aux dernières années d'Henri IV.

 

La Cour d'Henri IV offre certes un aspect moins brillant que celle de ses prédécesseurs, mais peut-être plus pittoresque, et l'on sait qu'on y tenait quand même état et jeu, tandis qu'au dehors les impôts montaient, et que des bandes de financiers, la plupart Italiens, envahissaient le pays, qui avait déjà tant de mal à se remettre des longues années de guerre que lui avaient values la réforme de Luther et de M. Calvin. C'est du reste la belle époque des traitants, des grippe-sous ; les banquiers d'outre-monts, attirés autrefois par Catherine de Médicis et si souvent mis à contribution sous son règne, tenaient toujours le haut du pavé, comme ils gardaient le privilège de traiter avec faste les princes et grands seigneurs de la Cour, quand ce n'était pas le roi lui-même, qui s'encanaillait volontiers. A côté de Zamet, le seigneur aux dix-huit cent mille écus, que l'on trouve si souvent employé dans les affaires du règne, c'étaient : Barthélemy Cenamy, marquis des millions, comme on l'appelait alors, qui tint à honneur de recevoir Henriette d'Entragues dans sa maison de Conflans ; le génois La Tour, celui qui appelait Dieu son commis, et faisait le prince à cause de ses grands biens, terres et seigneuries ; Largentier, qui levait l'impôt sur le sel et imposait encore le peuple à son profit, lequel fut enfin emprisonné au Grand Châtelet sur une contrainte du Conseil, pour 600.000 livres dont il était débiteur envers le roi (17 juillet 1609). On pourrait nommer de même les Gondi, le Grand, Parent, d'autres encore, mais au fait, c'était, du haut en bas de l'échelle sociale, le pillage et la gabegie[1] ; les pensions, en 1608, atteignaient 2.075.157 livres, à demoiselles, prélats, abbés et autres, tous quémandeurs de Cour, seigneurs plus ou moins apparentés au monarque, car pour ses anciens compagnons d'armes, il faisait volontiers la sourde oreille[2]. On disait quand même que les taxes étaient pires que sous Henri III pendant ses plus grandes guerres et affaires, et il ne se parlait que d'impôts, enchères d'État, et ordonnances onéreuses au public. L'Estoile, bien à même d'être renseigné, va jusqu'à donner les sommes auxquelles se vendaient les charges de magistrature, dont les titulaires devaient bien se récupérer sur les contribuables : les conseillers de cour, 40.000 francs ; les maîtres des requêtes, 70.000 livres ; l'état de Fleury, doyen de la cour, 50.000 francs. Il cite encore un état de conseiller vendu 40.000 francs d'alors et dit que les héritiers du président Viole refusèrent 600.000 francs de son état, trouvant sans doute que la somme était trop minime. En 1610, enfin, le président Chevalier acheta l'état de Le Seurre, premier président de la Cour des Aides et le paya plus de 200.000 francs. — Aussi, sur la fin du règne, il n'est question que de banqueroutes ; on ne parle, de même, que de procès faits à des financiers, partisans, coupe-bourses, et il faut voir ce que les pamphlets du temps rapportent des uns et des autres. Il y eut bien des édits pour la recherche de tous ces tripoteurs, dont le roi demandait qu'on fît justice sans égard ni acception de personnes[3], mais il déclarait en même temps à messieurs sa volonté et leur parla de la vérification des nouveaux édits, entre autres celui du pied fourché[4], dont il les priait bien fort et leur commandait de le faire. — En ce mois (mai 1607), dit encore l'Estoile, les financiers furent recherchés ; Murat et son commis, et du Tremblai se virent compromis ; le trésorier Chauvelin en fuite ; Garrault, crié à trois jours brefs et trompetté par la ville. — Le cardinal de Joyeuse revint vers ce temps de Rome (fin juillet), et alla saluer Sa Majesté à Monceaux. Henri IV lui demanda aussitôt ce qu'on disait à Rome de la recherche qu'il faisait faire de ses financiers. Joyeuse répondit qu'il avait commencé un aussi grand œuvre et aussi important pour son État qui s'en fût vu depuis mille ans, et de la continuation ou délaissement duquel dépendait la ruine ou la conservation d'icelui, pour y remettre la probité, police et bonnes mœurs, et que le roi d'Espagne, entreprenant une pareille recherche, avait châtié quelques-uns des traitants, pardonné aux autres et réglé le demeurant avec soulagement de son peuple et de son État. — Mais les poursuites commencées se firent sans enthousiasme. L'ajournement donné à Puget pour comparaître à la Chambre, devant Messieurs, fut remise par le commandement de Sa Majesté, et la capture de sa personne commandée à Defunctis ajournée à la prière de son fils de Vendôme, à la charge que dans vingt jours qu'on lui donnait pour rendre ses comptes, il se présenterait sans délai ni excuse (30 mai 1607). Les railleurs n'eurent garde de laisser passer une si belle occasion, et l'on afficha jusque dans le cabinet de la reine le billet suivant : Suppliant humblement messieurs les gens d'épée, qu'il plaise à Sa Majesté leur permettre qu'à l'exemple de ses financiers, ils puissent cy après piller, voler et dérober librement, et en prendre où ils en trouveront, à la charge d'en rendre comme eux la centième partie, au cas que Sa Majesté trouve bon de les rechercher. Mais il y eut mieux. Le roi, toujours à sec d'argent et qu'entraînait Sully vers une grande expédition en Allemagne qui devait être — nous l'indiquerons tout à l'heure — le couronnement de sa carrière, ne pensait qu'à pressurer les uns et les autres pour remplir ses coffres. C'est là la grande raison des mesures fiscales qu'il projeta et du pied fourché dont parle le chroniqueur : En ce temps-là (juillet 1609), fut mis sur le tapis du Conseil et proposé un nouvel édit des monnaies, lesquelles on voulait toutes décrier et changer et y donner un nouveau pied, c'est-à-dire les affaiblir ; et par même moyen ruiner et appauvrir le peuple et enrichir le roi, ce qui faisait douter qu'il ne passât, puisqu'il y allait de son profit. Chacun en murmurait, principalement les pauvres marchands, qu'on tondait si souvent qu'ils en étaient tout morfondus. Les plus aisés, et ceux-qui avaient quelque argent, disaient que si le roi ne leur donnait rien, au moins qu'il ne leur prit rien, et tous en général, que c'était invention de ces petits tyranneaux et mange-sujets de partisans,lequel mot sonne aujourd'hui fort rudement aux oreilles du peuple, et n'y a matière plus fréquente de son dépit que celle-là[5]. — Le roi seul, pour son compte, riait de tout et se moquait de chacun, même de ses officiers et de leurs remontrances, comme il fit à son premier président des monnaies, lequel s'étant un peu troublé dans sa harangue, ayant été deux fois interrompu par Sa Majesté, pour ce qu'il ne touchait pas le point principal de la difficulté de cet édit, et du mal qui en pouvait arriver ; aussi qu'il avait été si mal avisé d'interrompre Sa Majesté, qui parlait à M. le comte de Soissons, Henri IV s'étant mis à rire, le fit demeurer au beau milieu de sa remontrance, court et muet ; ce que Sa Majesté voyant, il lui dit : Continuez, monsieur le président, et ne vous étonnez point, car ce que je ris n'est pas que je me moque de vous, mais c'est que je disais à mon cousin le comte de Soissons, pour cv qu'il est rousseau, qu'il sentait l'épaule de mouton... Et le roi se prenant à rire plus fort que devant, s'en alla et le laissa là [6].

Il pensait bien s'en tirer avec une pirouette ; mais les remontrances du maréchal d'Ornano[7], et les lenteurs calculées du Parlement lui donnèrent à réfléchir ; il fit bonne mine en mauvais jeu et finit par renoncer à ses édits, dont il révoqua deux des plus méchants, dit l'Estoile, malgré le mécontentement de Sully[8]. — La Cour, du reste, avait toujours besoin d'argent ; les financiers volaient, mais les seigneurs volaient aussi[9] ; chacun voulait se garnir les mains, du Grand Écuyer jusqu'au dernier torche-cul de mule. Césy, ambassadeur à Constantinople, avait la réputation d'un filou ; le duc d'Angoulême se montrait expert à griveler, c'est-à-dire prélever sa bonne part des commissions dont on lui donnait charge ; et tout le monde jouait, Henri IV en tête : Le roi venant de Fontainebleau passer le temps pendant les couches de la reine, joue souvent et perd son argent à trois dés ; à son exemple, les courtisans et les plus grands seigneurs jouent aussi, et n'est fils de bonne mère qui ne veuille tenter le hasard de ce métier, jusqu'aux gueux et faquins de le ville, qui en dressent les brelans au coin des rues. Et ailleurs le journaliste répète qu'on ne voyait au coin des rues que joueurs et brelandiers. Pendant cela, l'état de premier président de Rouen était baillé à M. de Rio pour 30.000 écus, dont Henri IV donna 10.000 à la Néri, cette belle fille[10] ; 10.000, à Bassompierre ; 6.000 à un autre seigneur ou gentilhomme, et garda 4.000 écus de réserve pour jouer[11]. Il jouait même à la foire où il se rendait volontiers, et il y avait là une loge dans laquelle était dressée la table et le tapis pour jouer en forme de brelan. Leurs Majestés y allèrent tous les jours, les trois semaines que le roi la fit durer (février 1608)[12].

Les financiers cependant donnaient des festins et banquets à quarante-cinq écus le plat ; des collations à trois services ; portaient des habits valant 14.000 écus et des mouchoirs brodés qu'on disait en coûter 1.900 ; la superfluité des vêtements, bagues et pierreries était telle qu'elle s'étendait jusqu'au bout des souliers et patins ; le jeu, l'amour et la piaffe déshonoraient et ruinaient les meilleures familles de Paris. On faisait ses pâques sans s'interdire pour cela ni plaisirs ni amours ; les jeunes gens traînaient après eux les violons, même en voyage[13], et il n'était question que de ballets et divertissements : ballet des Turcs, ballet des Amoureux, des Lavandières, des Nymphes, qu'on dansait à la Cour et ailleurs. — Les crimes et batteries cependant étaient de tous les jours : Le 20 avril 1607, le seigneur de La Fin fut chargé en plein jour, au bout du pont Notre-Dame, par douze ou quinze hommes inconnus, bien montés et armés ; il fut porté par terre, couvert de feu et de sang, et les assassins, ayant tiré dix ou douze coups de pistolet, sans difficulté ou empêchement quelconque, sortirent de la ville qu'ils traversèrent en gros, au grand galop, l'épée d'une main, la bride et le pistolet de l'autre, sans qu'ils fussent suivis ni poursuivis de vingt-quatre heures. Des faits analogues sont signalés fréquemment à l'époque où l'on gardait encore l'habitude de se faire justice soi-même. Mais surtout les duels se trouvaient fréquents, et l'on voit poindre la grande raison des ordonnances du règne suivant[14]. La noblesse se détruisait elle-même, ne pensait qu'à quereller et se battre. Depuis l'avènement du premier Bourbon, on comptait (1607) que quatre mille gentilshommes avaient été tués, — sans raison, pour le plaisir, pour des discussions souvent oiseuses ; — la chose avait été assurée à Sa Majesté pour véritable. Cette année même, il y eut entre le Poitou et l'Anjou un duel entre trente gentilshommes : vingt-cinq furent tués et les autres ne valaient guère mieux. — Chacun, à l'époque, avait sans doute le cœur chaud et la main leste, témoin l'anecdote de Versigni, maître des requêtes, et de la femme du capitaine Olivier[15] ; mais le roi fut quand même obligé de faire publier par le Parlement deux édits — le dernier en 1609 — prohibant et punissant les duels ; il promettait seulement, dans les cas graves, d'autoriser le combat, on de le faire autoriser par le connétable, les maréchaux ou les gouverneurs de provinces. Le chiffre des morts était alors évalué à sept ou huit mille. Quelques exécutions, d'ailleurs, eurent lieu, mais il fallut attendre Louis XIII pour voir refréner la manie de ces combats stupides, qui menaçaient de tarir les forces vives du pays, et contre lesquels dut s'employer le génie implacable de Richelieu.

Quant aux mœurs de la cour, elles restaient aussi suspectes qu'à l'époque d'Henri III. Le roi, il est vrai, faisait le bon catholique et se mettait à genoux devant la procession (12 juin 1608)[16] ; il avait même fondé un ordre de chevalerie religieuse, l'ordre de la Vierge du Mont-Carmel, dont les membres devaient s'abstenir de manger de la chair tous les mercredis, et réciter chaque matin l'office de la Vierge Marie, ou du moins le chapelet[17]. Mais, à son exemple, tous les seigneurs paillardaient librement[18] ; il n'y avait dans Paris que brelans et bordels ; près de lui on ne parlait que de putains et de maquerelage[19] ; comme le jeu, le blasphème était en crédit ; bien mieux, la sodomie, dont les huguenots avaient tant chargé le précédent règne et qui est l'abomination des abominations annoncée par les prophètes, y régnait tellement qu'il y avait presse à mettre la main aux brayettes (sic). — Heureusement qu'un Espagnol, l'ambassadeur don Pedro, disait que l'ombre seule des clochers de Paris le faisait homme de bien. — L'Estoile, qui peut bien être considéré comme aux trois quarts huguenot, ajoute du reste que de son temps, on aimait mieux aller au bordeau qu'au prêche calviniste de Charenton.

Les Réformés pourtant triomphaient avec Sully, le grand maître et l'ordonnateur de cette comédie derrière Henri IV, et la situation acceptée, — avec regret, sans doute ! — s'apprêtaient à en tirer un bel avantage. Pour n'en pas perdre l'habitude, ils appelaient Charles IX : — le morveux[20], médiocre vengeance contre celui qui les avait si bien étrillés en 1572. Mais ils restaient suspects, malgré les édits de tolérance ; les prêtres continuaient à déblatérer contre eux, principalement ceux qui se réunissaient à Charenton[21], et le jour de Noël 1609, le P. Gontier, jésuite, prêchant devant le roi, les appela vermines et canailles et alla jusqu'à déclarer que les catholiques ne devraient pas les souffrir. Il faut bien ajouter du reste que le clergé, parmi les papistes, prêtait bien le flanc à leurs critiques. Le vendredi 9 juin 1608, furent ainsi fouettées devant la porte des Cordeliers de Paris, deux garces qui y avaient porté force petits enfants, comme s'ils en avaient été les pères, ce qui scandalisait fort l'ordre de Saint-François. Quant au bon peuple, durant ce temps, il s'amusait de baguenaudes et happelourdes, telle cette histoire d'une fille qui demeura vingt-sept jours sans pisser ; mais le P. Théodore Rosnier, jésuite, lui apporta des reliques du béat P. Ignace qu'il lui pendit au col, et la guérison survint. Ce miracle fut appelé le miracle pisseux.

Avec le langage si cru et même la grossièreté de l'époque, nous pouvons comprendre enfin à quoi répondait le langage des précieuses, qui commencent alors à paraître et semblait d'abord si ridicule en son afféterie. C'était une réaction contre la trivialité générale. Elle dut bien surprendre, au reste, avec les habitudes d'alors, et nous trouvons un écho de l'humeur goguenarde du seizième siècle finissant, encore dans les anecdotes que contera plus tard le duc de Saint-Simon, témoin ses récits sur M. de Coislin, cet homme si poli, si prodigue de compliments et de courbettes, et dont le frère — Saint-Simon le rapporte avec une joie peut-être vengeresse — se délectait à lui jouer des tours pendables et souvent de la pire inconvenance, — jusqu'à retourner dans une maison qu'il quittait après des salutations multiples, et, seul au milieu de la chambre, déposer une grosse selle.

 

 

 



[1] Ils obsédaient Sully, assiégeaient les portes de l'Arsenal, l'attaquaient par derrière, sournoisement, à la mode italienne, par des pamphlets, satires, dénonciations anonymes ; des factums qui inondaient la cour et le cabinet du roi (Michelet). L'un de ces écrits a été publié dans la Revue des Sociétés savantes (1874, t. VIII, p. 314 et s.) ; il n'a du reste qu'un intérêt de curiosité.

[2] Capitaines en guenilles, maîtres de camp morfondus, chevau-légers estropiés, canonniers aux jambes de bois, tout cela entrait en troupes par les degrés de la salle des Suisses, au Louvre, en déclamant contre Mme l'Ingratitude. L'officier portant la hotte et le soldat le hoyau exaltaient leur fidélité, montraient leurs plaies, racontaient leurs combats et leurs campagnes, menaçant de se faire croquants, et sur la monnaie de leur réputation mendiaient quelques pauvres repas (Michelet. — Cf. Mémoires de Beauvais-Nangis.) Les quémandeurs causaient au roi une terreur sans égale, dit de même M. Hayem ; il se dérobait avec peine à ces requêtes continuelles ; il échappait à la poursuite de ces affamés. S'il évitait de tourner la tête dans certaine direction, c'était pour ne pas rencontrer le regard de tel gentilhomme qui allait se croire autorisé à lui parler et solliciterait une place ou une pension. A table, il fixait son assiette ou le plafond, s'il sentait que l'un des assistants se disposait à mendier un bénéfice ; et le plus souvent il prenait un air bourru et mécontent pour se débarrasser du fretin, des petits, qui préféraient attendre de plus favorables dispositions. (Le Maréchal d'Ancre, Paris, 1910.)

[3] C'était à regret quand même qu'il prenait des mesures violentes, car il prélevait sur chacun, empruntait à ne jamais rendre, et y avait un bon bénéfice. Aussi lui arriva-t-il de dire : Ah ! ceux que l'on taxera ne m'aimeront plus !

[4] Le Dictionnaire de Trévoux indique sous le nom de pied fourché une forme d'impôt qu'on levait aux portes de quelques villes sur les animaux au pied fourché qui y entraient. Mais il semble d'après un passage de l'Estoile, donné plus loin, que l'expression eut ensuite un sens quelque peu différent. — Sur le plan de Paris, de La Caille (1744) il est indiqué encore que les bureaux de Reuilly et de Picpus étaient destinés à recevoir les entrées de vin, pied fourché, etc. L'abolition du pied fourché était demandée encore en 1789 (Cahiers de St Valéry).

[5] Il faut ajouter à ces détails et concernant la situation des campagnes que les biens ruraux avaient à cette époque une valeur qu'on estime quinze fois plus faible qu'aujourd'hui. (Cf. État du prix des biens ruraux de Melun au temps d'Henri IV. (Revue des Sociétés savantes, 2e série, t. VIII, 1862, n. 472.)

[6] L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 524-525. — Il ne pouvait faire deux choses, dit de son côté Scaliger ; tenir gravité et lire. Nombre de ses mots, de ses railleries ont été recueillis par Tallemant, et complètent la physionomie amusante du monarque qui en général ne mâchait pas ses mots : Quelqu'un du Tiers État se mettant à genoux pour le haranguer trouva une pierre pointue qui lui fit si grand mal qu'il s'écria en disant : Foutre ! Le roi lui dit en riant : Bon ! voilà la meilleure chose que vous puissiez dire ; je ne veux pas de harangue, vous gâteriez le reste ! Une fois, un gentilhomme servant, au lieu de boire l'essai qui était dans le couvercle du verre, but en rêvant ce qui était dans le verre même. Le roi ne lui dit autre chose, sinon : Un tel, vous deviez boire à ma santé, je vous eusse fait raison ! Un jour passant par un village où il fut forcé de s'arrêter pour dîner, il donna ordre qu'on fît venir celui du lieu qui avait le plus d'esprit, afin de l'entretenir pendant le repas. Le paysan venu, le roi lui commanda de s'asseoir vis-à-vis de lui, de l'autre côté de la table. Comment t'appelles-tu ? dit le roi. — Sire, répondit le manant, je m'appelle Gaillard. — Quelle différence y a-t-il entre gaillard et paillard ?Sire, répond le paysan, il n'y a que la table entre deux !Ventre-Saint-Gris ! dit le roi en riant, j'en tiens ; je ne croyais pas trouver un si grand esprit dans un si petit village ! Quand il vint donner le collier à M. de la Vieuville, l'autre lui dit comme on a accoutumé : Domine, non sum dignus. — Je le sais bien ! Je le sais bien ! dit le roi, mais mon neveu m'en a prié. M. du Perron, alors évêque d'Évreux, en l'instruisant lui voulut parler du purgatoire : Ne touchez pas à cela, dit-il, c'est le pain des moines ? — Et l'Estoile rapporte à son tour (6 avril 1594) : Comme il sortait de Notre-Dame, une bonne femme lui cria bien haut : Bon roi ! Dieu vous garde et assiste toujours par son Saint-Esprit, à ce que vos ennemis soient dissipés et confondus. — Amen ! répondit-il tout haut ; Dieu me fasse miséricorde et à vous aussi. (Édit. Michaud, t. II, p. 231.) Ses lettres du reste en contiennent bien d'autres.

[7] Le maréchal d'Ornano était gouverneur de Guyenne ; il mourut quelques mois plus tard (19 janvier 1610).

[8] L'impôt du sou par livre, dit la Pancarte, et qui montait à 30 millions par an, fut réduit à 26 millions (1602). Les dettes étaient de 3 milliards. (LA BARRE-DUPARCQ, op. cit., p. 318.) Un autre impôt est indiqué sous le nom de la Paulette. (Cf. Revue Henri IV (1905-1908), p. 182. Journal de Jean Héroard, t. II, p. 176, note.)

[9] Le roi lui-même était de ce métier, si l'on en croit Tallemant ; il était larron naturellement, dit-il, et ne pouvait s'empêcher de prendre ce qu'il trouvait ; mais il le renvoyait. Il disait que s'il n'eût été roi, il eût été pendu.

[10] C'est à peu près la seule mention qu'on trouve de cette femme, qu'on peut bien compter parmi les maîtresses d'Henri IV, car il ne donnait la forte somme que pour un sérieux avantage.

[11] L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 446.

[12] L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 447.

[13] J'avais avec moi la bande de violons d'Avignon. J'avais une espèce de musique et tous les divertissements qu'un jeune homme riche, débauché et mauvais ménager pouvait désirer. (BASSOMPIERRE, Mémoires, édit. Michaud, p. 45.) Bassompierre allait alors (1605) prendre les eaux de Plombières pour une forte blessure reçue dans un tournoi.

[14] Suivant les duellistes du moment, nul n'eût mérité de devenir chevalier du Saint-Esprit ou maréchal de France, avant d'avoir été au moins vingt fois sur le terrain. (Cf. les Aventures du baron de Fœneste.) Les femmes même se battaient (LA BARRE-DUPARCQ, Histoire militaire des femmes, 1873) ; il est vrai qu'à l'occasion elles étaient ambassadrices ; ce fut Mlle de Forges qui négocia, en 1593, l'accord du roi et du duc de Montmorency.

[15] Le jeudi 19 mai 1594, la femme du capitaine Olivier, archi-ligueur, alla trouver M. de Versigni, maître des requêtes, au logis du sieur de Perreuse son frère, pour s'excuser de ce qu'on lui imposait qu'elle avait à lui quelques bagues, et entre autres pièces un saphir qui était fort beau. Mais Versigni, sans prendre patience de l'écouter, transporté de colère, commença à l'injurier, et appeler son mari voleur. Sur quoi ladite femme ayant répliqué que son mari était homme de bien, l'autre lui dit qu'elle en avait menti, et que son mari était un voleur et elle une putain ; et là-dessus lui donna un soufflet, jusques à effusion de sang, avec un coup de pied par le cul. Dont s'étant allée jeter aux pieds de M. d'O, et demander réparation pour cet outrage, M. d'O, qui en trouva le fait mauvais et de conséquence, arrêta que M. de Versigni sortirait de la ville. La cour s'étant assemblée le samedi suivant, et se souvenant bien qu'Olivier avait été concierge au Louvre, tança Versigni et traita la femme à la Ligue, c'est-à-dire ne lui fit comme point ou peu de justice, etc. (L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 237-238.) — On peut citer encore l'anecdote du président de Chaîne, du parlement d'Aix, lequel rencontrant sur les marches du palais, de Vins, — depuis généralissime de l'armée pontificale, — lui appliqua un soufflet (1588), ce qui le fit plus tard emprisonner par l'insulté. (LA BARRE-DUPARCQ, op. cit., p. 305.)

[16] Il avait, du reste, une grande peur de mourir et chaque fois qu'on signalait la contagion, il se hâtait de s'éloigner. Une de ses pires tristesses était de vieillir ; mais il en riait, ne pouvant faire mieux. Un jour, il se trouva quantité de cheveux blancs : En vérité, fit-il, ce sont les harangues qu'on m'a faites depuis mon avènement qui m'ont fait blanchir comme vous voyez.

[17] L'ordre de la Vierge du Mont-Carmel finit par être uni à celui de Saint-Lazare. (L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 428.)

[18] Il fallait qu'il eût toujours une occupation ; ce garçon remuant s'ennuyait dans l'oisiveté ou lorsqu'il n'avait pas d'intrigue. Jamais, dit Michelet, les ambassadeurs ne pouvaient le voir assis ; il les écoutait en marchant. Puis il montait à cheval, chassait jusqu'au soir ; se couchait tard et se levait de bonne heure. Cela explique la tournure hâtive de ses lettres, de ses billets, qu'on a fort vantés et souvent hors de propos. Il écrivait au camp, sur ses genoux, sur un tambour ; à Fontainebleau et au Louvre, au débotté, souvent, recru de fatigue, et n'avait guère le temps de tourner des phrases. Tout chez lui semble de primesaut, et d'ailleurs cet impromptu ne nous déplaît nullement, car il laisse transparaître le caractère. Le style, c'est l'homme, a-t-on dit souvent. Henri IV a beaucoup écrit ; on ne pouvait lui demander encore de savoir bien écrire. (Cf. l'opuscule de l'abbé Brizard, De l'amour d'Henri IV pour les lettres, 1785, in-16, Bib. nat., imp. Lb 35,1014, et Eng. Iung, Henri IV écrivain, Paris, 1855.)

[19] La réputation de Paris était si mauvaise qu'on doutait fort de la chasteté d'une femme ou d'une fille qui y avait quelque temps séjourné.

[20] Les auteurs du temps disent que ce nom de morveux fut donné en 1573 à un teston frappé par les huguenots en détestation de la Saint-Barthélemy, dont ils rendaient Charles IX surtout responsable.

[21] Sur la fin du seizième siècle, dit M. L. Maeterlinck, les huguenots et catholiques se reconnaissaient à la forme et dimension des collerettes ; petite fraise chez les premiers, très large chez les autres. (Le Genre satirique dans la peinture flamande, édit. de 1907, p. 333-334.)