LA MARQUISE DE VERNEUIL ET LA MORT D'HENRI IV

PREMIÈRE PARTIE. — LES DERNIÈRES AMOURS DU VERT-GALANT

 

CHAPITRE VIII.

 

 

Nouvelle conspiration. — Arrestation d'Entragues. — La promesse restituée. — Arrestation du comte d'Auvergne. — Le roi prend une autre maîtresse.

 

En autorisant Mme de Verneuil à quitter la France, Henri IV avait pu penser d'abord qu'elle voulait trouver un refuge en Angleterre près d'Edme Stuart, seigneur d'Aubigné, duc de Lennox, son oncle par alliance, comme ayant épousé Catherine de Balzac, sœur de François d'Entragues. Mais les intentions d'Henriette étaient autres si elle fit tout pour maintenir le roi dans l'erreur, et l'affaire se trouva divulguée bizarrement : un des secrétaires de Villeroy, nommé L'Hoste, chargé du déchiffrement des dépêches, fut accusé alors et convaincu d'en avoir livré des copies à l'ambassadeur d'Espagne. On voulut l'arrêter, mais il prit la fuite, et, poursuivi par le prévôt des archers, se noya en traversant la Marne près de la Faye. Le comte d'Auvergne qui se trouvait dans le complot et très probablement en était l'âme, fut pris de peur, et à dessein de détourner les soupçons du roi, l'alla trouver et à brûle-pourpoint lui dit effrontément :

— La marquise trahit Votre Majesté avec Bellegarde.

Il oubliait ainsi que c'était à l'intervention de sa sœur qu'il avait dû de quitter la Bastille ; mais la reconnaissance ne semble jamais l'avoir beaucoup gêné.

— De qui tenez-vous ce propos ? demanda Henri IV.

— De M. de Sigogne.

— Avez-vous des preuves ?

— On a vu M. de Bellegarde entrer après minuit chez la marquise[1].

— Bien, fit le roi... Ne vous éloignez pas.

Il les mit tous trois, le lendemain, en présence : le comte, Sigogne et Mme de Verneuil.

— Répétez, dit-il au comte d'Auvergne, ce que vous m'avez dit hier...

Impudemment l'autre soutint que Bellegarde était l'amant préféré de sa sœur, et qu'il le tenait de Sigogne.

— Si j'étais un homme, cria Henriette prise de fureur, je vous ferais avec ma dague rentrer vos paroles dans la gorge.

— Et vous, fit le roi s'adressant à Sigogne, qu'avez-vous à répondre ?

— Le comte a menti ! fit-il simplement[2].

Les deux gentilshommes allaient se battre, et, au sortir du Louvre, le comte d'Auvergne provoqua son adversaire ; mais Henri IV avait défendu à Sigogne de tirer l'épée. Le comte, peut-être très heureux du prétexte, prit ce refus pour une offense et hâtivement se retira en Auvergne. Toutefois, le lendemain, Henri IV reçut du roi Jacques d'Angleterre une lettre qui lui conseillait de se saisir d'un Anglais, appelé Morgan, agent secret de l'Espagne. Thomas Morgan, chassé de son pays, sans qu'on sache pour quel méfait, avait placé près de la marquise de Verneuil un homme de confiance nommé Fortan, qui devait soi-disant lui apprendre l'espagnol, mais surtout la tenir instruite de la marche du complot. Le comte d'Auvergne avait divulgué à la cour d'Espagne l'existence de la fameuse promesse de mariage, espérant intéresser l'éternelle ennemie du pays aux affaires de sa sœur, et l'amener à provoquer quelques troubles où il aurait profit[3]. Le roi d'Espagne, Philippe III, digne continuateur de la politique de son père Philippe II, voyait favorablement la perspective d'une guerre de succession qui aurait le grand avantage de diviser les forces du pays, et ses ambassadeurs, Taxis, d'abord, puis Balthazar de Zuniga encouragèrent les conjurés. Philippe III engageait fort Mme de Verneuil à venir se réfugier dans son royaume avec ses enfants, lui promettant une pension de 500.000 livres et des places fortes ; il devait marier son fils Henri à une infante, et s'engageait à le faire reconnaître comme roi de France, quitte à soulever le pays en cas de besoin. Le comte de Fuentès, d'avance, avait été désigné pour conduire les troupes. Ce fut encore le comte d'Auvergne qui poussa sa sœur à demander l'autorisation de s'éloigner, dans l'espérance qu'on lui désignerait l'Espagne comme terre de refuge ; mais Henriette était décidée à s'y rendre de toutes façons, se sentant attirée vers ce pays dont le souverain faisait miroiter à ses yeux des conditions si avantageuses. Nombre de gens du reste se compromirent dans l'affaire : le duc de Bouillon, La Trémouille, Briganty, Broussat, Laubignac, Gripel, Saint-Vresce, Tujac, Lias, Reignac, Bastignac, Rodelles, Blanchet, Belluet, — tous cadets de Gascogne et autres ; Lesdiguières, même, Du Plessis, — sans parler de Condé qu'on projetait d'y mettre. La noblesse, d'ailleurs, était toujours acquise à un criminel qui était gentilhomme. Le comte d'Entragues, comme on peut s'y attendre, était de la partie, mais contre la volonté de sa femme, si l'on en croit une lettre d'Henriette au comte d'Auvergne[4]. Mais cette fois la conspiration était sérieuse et préparait tout un bouleversement du royaume. Sans s'appuyer sur un motif important, sur une grande idée ; par esprit d'ambition, calcul, perspective d'avantages personnels, on devait introduire en France l'étranger qui en avait été chassé avec tant de peine. On savait qu'Henri IV était sans alliés, sans argent, sans guère de ministres, exception faite de l'insupportable Rosny, dont les idées, du reste, étaient assez courtes ; au milieu des catholiques mécontents, des protestants aigris et jaloux, des parlementaires que travaillait encore le vieux levain de la Ligue et gagnés d'avance aux partisans ; roi de France surtout de nom, car les gouverneurs de provinces y commandaient en maîtres : Mayenne, dans l'Ile-de-France ; Guise, en Provence ; d'Épernon, en Saintonge, Angoumois et Limousin ; Longueville, en Picardie ; Montmorency, en Guyenne ; Nevers, en Champagne ; Bouillon, à Sedan, qui le cernaient de rivalités, d'ambitions et de perfidies[5]. Il n'avait pour lui que le prestige de son épée, son activité inlassable, — et la chance ! Mais c'en fut assez, cette fois encore, pour qu'il pût faire pièce aux conspirateurs.

Le complot, toutefois, fut assez long à élucider, et l'on n'y arriva qu'à force de recherches, d'interrogations, de dénonciations même. Les projets des conspirateurs prévoyaient, a-t-on dit, la mort du roi, que l'on devait frapper en profitant d'un jour où il se rendrait chez Mme de Verneuil, et de même on devait- supprimer le dauphin ; mais ce ne sont peut-être là que des bruits, il n'y faut voir probablement que les propos de gens désœuvrés et brouillons, se croyant incompris ou méconnus, et qui espéraient tout d'un changement. Parmi les complices se trouvaient le P. Hilaire et le P. Archange, négociateurs équivoques de ce coup de force où l'on devait surtout exploiter la fameuse promesse faite à Henriette de Balzac ; L'Hoste, ce secrétaire de Villeroy qui venait de se noyer et avait livré à l'Espagne le chiffre de son maître ; Chevillard, porteur du traité, qui fut forcé pour le soustraire à la curiosité des juges de l'avaler par morceaux déchirés avec la soupe et la viande de ses repas, à la Bastille ; les Anglais Thomas Morgan enfin, et Fortan. Mais Morgan, qui devait mettre les choses en œuvre, fut arrêté au bois de Vincennes avec son second. Le roi informa de suite Rosny, alors en Poitou, de ce nouveau tripotage[6], mais il ne crut pas d'abord que sa maîtresse en fût complice, bien que Morgan l'eût accusée ainsi que le comte d'Auvergne, car il ajoutait : Il semble que la marquise n'ait pas su le fonds de la pratique de laquelle les autres entendent profiter, soit maintenant, soit dans l'avenir[7]. Mais deux jours après qu'on eut pris Morgan, il se rendit à Verneuil :

— On a saisi sur lui, dit-il, des lettres de votre père ; dites-moi ce que vous en savez ?

Henriette dut flairer le piège, car elle répondit d'un air tranquille :

— Ce sont sans doute des lettres pour le recommander à mon oncle le duc de Lennox.

— Non ! Il ne s'agit pas de banales recommandations ; votre nom est mêlé à ces lettres.

— Eh bien, montrez-les-moi ; si la mémoire me revient, je vous dirai toute la vérité.

— J'ai écrit à votre père de venir me trouver ; dites-lui de ma part de n'y pas manquer.

— Je vous le promets.

Il la quitta ensuite. Entragues avait écrit qu'il était aux ordres du roi et la marquise rentrant à Paris -fit demander la permission de voir son père. Henri IV consentit, mais voulut auparavant causer avec Entragues. Il l'interrogea sans témoins et ensuite retourna chez sa maîtresse :

— Il est bien certain, fit-il, que votre père a noué des intrigues avec Morgan ; dites-les-moi, j'userai de clémence !

Mais Henriette ne changea pas son système de dénégations :

— Si j'en savais quelque chose, sire, je vous l'aurais déjà dit.

— Eh bien, je reverrai votre père. Qu'il avoue tout et - je pardonnerai.

L'entrevue eut lieu aux Tuileries, et Henri IV, après avoir arraché des demi-aveux à Entragues, retourna encore chez la marquise.

— Vous m'avez trompée, dit-il. Votre père a traité pour vous avec l'Espagne. Vous n'allez pas soutenir que vous l'ignorez ?

— Je ne sais rien ! répliqua-t-elle encore.

Le roi sortit de ses chausses une lettre d'Entragues, qui avait été adressée à Morgan.

— Vous connaissez cette écriture ?

— Oui, fit-elle ; c'est celle de mon père ; mais j'ignore le contenu de la lettre.

— Il n'importe, fit encore Henri IV ; j'ai permis à votre père de venir dîner avec vous aujourd'hui, car vous savez combien je vous aime. Qu'il dise tout, et, je le répète, j'aurai de l'indulgence.

— Je me mettrai à ses genoux, sire, pour le supplier de tout révéler[8].

Entragues dîna avec sa fille, causa longuement, et sans doute ces deux compères durent bien arrêter ce qu'ils devaient soutenir ; puis il repartit pour Saint-Germain où le roi l'attendait. Il avait aussi préparé pour sa défense un long mémoire où il ressassait ses chagrins et ses griefs[9] ; le roi n'était pas exempt de reproches et l'écouta sans mot dire lorsqu'il résuma de vive voix ses plaintes : Qu'ai-je gagné, sire, à cette fatale liaison ? La perte d'une fille adorée, le déshonneur qui rejaillit sur moi et les miens et la haine de la reine. Songeant au danger que nous pourrions courir si vous veniez à nous manquer, j'ai sollicité un asile pour elle auprès de la princesse d'Orange, son amie, puis auprès du duc de Lennox, mon neveu. Votre Majesté s'y est toujours refusée ; c'est alors que Morgan m'a mis en rapport avec Taxis, l'ambassadeur d'Espagne : Si la promesse de mariage, m'a dit Taxis, est telle qu'on me l'a affirmé, remettez-la-moi ; je vous donnerai 200.000 écus ! Elle est en lieu sûr, ai-je répondu, et je ne m'en dessaisirai pas. — Eh bien ! n'importe, en cas de mort du roi, mon maître vous offre un refuge pour votre fille. — Le roi a cinquante-trois ans, ai-je répondu, moi soixante-trois ; celui de nous qui survivra veillera sur ma fille.

Henri IV parut se contenter de cette explication et laissa Entragues retourner à Marcoussis ; mais l'occasion lui parut bonne, en attendant qu'il eût démêlé cette trame, pour procéder à une investigation des papiers de son pseudo-beau-père, et mettre la main peut-être sur la promesse autrefois si imprudemment souscrite. Entragues, de Marcoussis avait gagné Malesherbes avec sa femme, et s'y maintenait obstinément, dans l'espoir sans doute qu'on l'oublierait. Le roi manda le prévôt des maréchaux, Defunctis, et lui confia le soin d'arrêter le vieux gentilhomme, au besoin avec dix canons et cinq régiments, et surtout de ramener ses papiers. Defunctis le remercia en souriant et affirma qu'il n'y fallait qu'un peu d'adresse, car le prévenu, si l'on employait la force, pourrait profiter d'un moment de répit et détruire des pièces compromettantes, ce qu'il fallait éviter. Henri IV convint qu'il avait raison et que lui-même eût fait un mauvais prévôt. Il laissa agir Defunctis, ne lui posant pour conditions que la défense d'ébruiter l'affaire, même d'en informer la reine, et spécifia que le tout serait terminé dans quinze jours[10]. — On envoya donc un soldat qui s'introduisit à Malesherbes en contrefaisant l'estropié et sous prétexte d'une fausse jaunisse. Cet homme s'attarda quelques jours au château, épiant et notant toutes choses, et remarqua que les trois ponts qui desservaient la seigneurie étaient continuellement relevés, sauf les jours maigres ; on abattait alors la planchette pour acheter du beurre, des œufs, à quelques femmes qui en apportaient. Le prévôt, d'après cela, put combiner son stratagème. Il fit chercher à Jouy, chez le marquis de Sourdis[11], quatre vêtements de villageoise, et s'y rendit lui-même avec quarante archers. Là, il prit un guide qui le conduisit directement au bois où était situé le château. Par prudence, il retint le guide, et prépara ensuite son embuscade. Au premier jour de maigre qui se présenta, il fit partir quatre archers vêtus en paysannes, qui vinrent se présenter de bon matin devant le pont avec le beurre et les œufs. Le cuisinier ayant abattu la planchette, ces hommes lui mirent de suite le pistolet sous la gorge, en le menaçant de le tuer s'il faisait du bruit. La porte prise, ils donnèrent le signal convenu et Defunctis accourut avec sa troupe ; il traversa la cour et gravit le perron où il arrêta un valet de chambre qui sortait, ayant laissé ouverte la chambre de son maître. Le prévôt lui défendit d'appeler. Il posta huit hommes dans la salle (d'armes), quatre dans l'antichambre et, arrivé à la chambre du comte, laissa encore quatre hommes au dehors, tandis qu'il pénétrait avec le valet. — D'Entragues dormait encore, et Defunctis eut la patience d'attendre son réveil ; il attendit une heure. Enfin Balzac remua, et entendant du bruit, crut devoir demander : Qui est là ? Mais, à sa stupéfaction, ce fut le prévôt qui ouvrit les rideaux. — Au premier moment, le père d'Henriette se crut mort ; il reprit vite son sang-froid pourtant, et comme on juge chacun à son aune, il fit tous ses efforts pour gagner Defunctis, qui du reste n'y prenait garde et, tout en le consolant, le pressait de se lever et de s'habiller. Toutefois il visita les poches des vêtements qu'allait endosser Entragues ; il garda les papiers qui s'y trouvèrent et lui rendit les clefs. Sitôt levé, cependant, Balzac voulut fouiller dans une armoire établie dans l'épaisseur du mur, vis-à-vis de son lit. Mais le policier s'y opposa ; l'autre le suppliait, affirmant qu'il n'en voulait retirer qu'un bail de bois qu'il devait délivrer sous trois jours, faute de quoi il lui en coûterait 20.000 écus destinés au mariage de sa fille. Mais Defunctis de nouveau refusa ; les supplications même furent inutiles et, en fin de compte, Entragues essaya de le gagner en lui offrant une cassette restée sur la table, où il y avait, disait-il, pour 50.000 écus de pierreries, promettant de ne jamais le trahir s'il acceptait, mais au contraire de lui en être éternellement reconnaissant. Defunctis aurait pu lui objecter qu'il faisait un mauvais calcul, offrant 50.000 écus pour en sauver 20.000 ; mais il se contenta de refuser, au grand déplaisir de son hôte. Il mit les scellés, des gardes au château et emmena Entragues à Paris.

Restait d'autre part à mettre sous les verrous le comte d'Auvergne qui avait pris la clef des champs, et le roi, inutilement, envoya d'Escures pour essayer de le ramener. D'Escures prit avec lui des lettres de la comtesse d'Auvergne et du roi, et fit une seconde fois le voyage. Le comte le reçut à Clermont, prit les lettres et alla les lire en s'éloignant de l'ambassadeur ; il revint ensuite et lui demanda des nouvelles de la Cour. D'Escures lui rapporta ce qui venait de se passer, en appuyant sur l'arrestation de Morgan, qui avait chargé dans son interrogatoire plusieurs grands seigneurs. Le coup, en somme, avait été adroitement porté, car le comte d'Auvergne, sans se livrer encore, pâlit et s'absorba dans de longues réflexions. D'Escures, certain désormais de sa culpabilité, profita de ce moment de trouble : Monsieur, fit-il, si vous avez eu des intelligences avec Morgan, je vous conseillerai de mettre de bonne heure la main à la conscience, pour avertir le roi de tout ce qui s'est passé et lui découvrir ceux qui se sont mêlés de cette affaire, pour vous faire obtenir votre grâce, m'assurant que le roi vous recevra à merci ; car si M. le maréchal de Biron eût voulu croire le même conseil que je lui donnai en Bourgogne, il l'eût obtenue.

Le comte d'Auvergne parut se rendre à ces raisons ; il pensa que Morgan, prisonnier à Vincennes, avait tout révélé, ainsi que Mme de Verneuil, et se décida à parler avant que le vieux d'Entragues n'en fît autant. Il écrivit à Henri IV pour lui dévoiler le complot, dénoncer les complices, y compris sa sœur, et ajouta même les noms de quelques individus auxquels il n'était pas fâché de nuire. Pour Mme de Verneuil, il savait qu'elle s'en tirerait toujours ; mais il refusa obstinément de venir trouver Henri IV. — Sully, rappelé instamment par Villeroy, revint cependant du Poitou et le monarque le mit de suite au courant. Dans la conversation qu'il eut avec son ministre, il s'expliqua du reste sur l'indulgence dont il avait fait preuve si souvent à l'égard du coupable qu'il fallait à présent poursuivre. Sully attribuait ce qu'il nommait de la faiblesse à la passion que le roi éprouvait encore pour Mme de Verneuil, puis à une mesure de prudence, — le comte étant un descendant, illégitime sans doute, des Valois, — et qui s'expliquait d'autant mieux que le Béarnais lui-même avait nombre de bâtards. Mais Henri IV nia que toutes ces raisons fussent les bonnes ; il affirma s'être toujours montré indulgent à l'égard du comte d'Auvergne dans l'espérance de le ramener à de meilleurs sentiments et d'en tirer quelque chose, lui reconnaissant malgré tout d'éminentes qualités (!). — Ces raisons n'étaient probablement pas les bonnes, mais il n'importe. Sully avait sous la main l'homme qu'il pourrait employer pour se saisir du comte comme le voulait le roi, et qui ne demandait qu'à être couvert par une commission du grand sceau. Henri IV donna son consentement, mais aurait voulu que l'affaire ne s'ébruitât pas. Les lettres délivrées[12], d'Escures et le trésorier de Murat — qui était l'homme de Sully — firent des efforts inutiles pour décider le comte à se présenter à la cour. Il se méfiait. Il disait que, de préférence, il abandonnerait le royaume, surtout en considération de ses actes passés, qu'il lui eût fallu effacer par des services rendus avant de reparaître. Il était averti, ajoutait-il, que pour lui la Cour n'était pas sûre et redoutait le sort du maréchal de Biron. Il demandait du moins à avoir par écrit la garantie de son pardon. Le trésorier de Murat insista inutilement pour lui faire comprendre que sa condition était particulière, ayant tout avoué ; ce fut peine perdue. Il se défiait du roi, de la reine, des princes du sang, comme de la marquise sa sœur qu'il avait vendue ; du grand écuyer encore, que plusieurs disent avoir être compromis dans l'affaire, et en somme de tout le monde. Ses raisons battues en brèche par l'envoyé du monarque, il revenait à ses conclusions précédentes ; il ne se rendrait à la cour que son pardon en poche, ayant la crainte surtout de Mme de Verneuil, bien capable, ajoutait-il, de faire la paix à ses dépens. Le roi accorda les lettres demandées (juillet), mais le comte refusa encore de faire le voyage[13]. Sully essaya de le gagner et lui écrivit, comme jadis il avait écrit au maréchal de Biron, mais ce fut de même en pure perte. — Les affaires cependant se gâtaient. Le roi avait appris que le comte d'Auvergne continuait ses intelligences avec l'Espagne, et la complicité d'Henriette était de plus en plus évidente[14]. Il envoya La Varenne à Rosny pour le prier de voir la marquise, tandis que celle-ci dépêchait elle-même le poète Sigogne au ministre. Rosny se rendit à son domicile, mais d'abord ne fut pas reçu, la dame ayant prétexté une fluxion. Mais dans une seconde visite il eut avec elle une conversation assez longue. Henri IV lui demandait de ne plus faire de complots avec l'Espagnol ; ne plus fréquenter ceux qu'il avait en aversion. Il lui permettait d'être dévote, pourvu qu'elle le fût sincèrement et non par feinte, pour le mieux piper et en admettre d'autres mieux que lui-même. — Le roi, en somme, ne se faisait pas d'illusions, et je crois que ce fut toujours le grand moyen de ceux qui aiment la société des femmes : avoir l'air d'être leur dupe, tout en montrant ailleurs, et bien à leur su de la finesse ; leur pardonner beaucoup et patienter en attendant un retour de fortune. Mais Henri IV, dans la circonstance, crut devoir exiger que sa maîtresse sollicitât le pardon de ses erreurs (!) à l'égard de la reine ; qu'elle fût plus discrète dans sa manière de parler des enfants que lui avait donnés Marie de Médicis[15]. Il promettait ainsi d'oublier tout et elle pourrait se retirer de France, n'importe où, pourvu que ce ne fût pas en Espagne. — Avec sa fierté ordinaire, la marquise accueillit du reste assez mal ces propositions. Elle remercia le roi de sa bienveillance, et répondit que pour les plaintes qu'elle avait à faire, il était inutile de les répéter, car il les connaissait assez ; que ses désirs se bornaient à voir assurer la vie et la fortune de sa famille et de ses enfants ; qu'elle sentait bien les avantages d'une retraite à l'étranger, craignant que par la suite l animosité de la reine ne la poursuivît, mais qu'elle ne se souciait pas d'aller y mourir de faim. Et cette belle tirade se termina par une nouvelle demande d'argent. Elle disparaîtrait de la cour et vivrait tranquille, en France ou hors de France, si le roi voulait lui assurer une rente de 100.000 livres en fonds de terre bien assurés, ce qui était bien peu, à son sens, vu les promesses qui lui avaient été faites, et si l'on se souvenait de tout ce qu'on lui a fait espérer jadis[16].

Henri IV, en recevant le compte rendu de cette conversation, tomba de haut, a-t-on rapporté. Sa maîtresse se posait en victime et faisait ses conditions. Il lui renvoya Sigogne avec des instructions nouvelles, le poète n'ayant pas suivi celles de la première fois dans la crainte de mécontenter la marquise ; mais ce fut encore une démarche vaine. — Avec l'arrestation du comte d'Entragues, cependant, le Béarnais allait avoir la partie belle. On perquisitionna chez lui, et ce fut encore le prévôt Defunctis qui fut chargé de la besogne. Il demanda à Balzac ses clefs, qu'il lui avait laissées au moment de l'arrestation, et de plus voulut qu'il désignât un homme pour assister à l'examen des papiers. Entragues désigna son secrétaire Gautier, et le placard fut ouvert. Il contenait de multiples paperasses, parmi lesquelles on réserva cinq pièces qui parurent importantes ; et en effet il y avait là de quoi faire tomber toutes les têtes des coupables. C'étaient : le chiffre du roi d'Espagne ; une lettre en français adressée au prévenu et signée Yo el Rey ; deux autres à la marquise de Verneuil et au comte d'Auvergne ; enfin une lettre signée pareillement et portant promesse du même roi, que si on lui livrait la personne de M. de Verneuil, — l'enfant d'Henriette, — il le ferait reconnaître pour dauphin, vrai et légitime successeur de la couronne de France. Deux places devaient être remises au sieur d'Entragues et au comte d'Auvergne pour sûretés, et à chacun il devait être donné 20.000 ducats de pension, le roi d'Espagne leur promettant, en outre, aide et assistance au besoin. Quant au dauphin, il devait avoir cinq forteresses en Portugal, avec un gouvernement honorable et 50.000 ducats de pension. Les papiers furent paraphés par Gautier et portés à Henri IV qui tressaillit d'aise en reconnaissant le chiffre du roi d'Espagne, et fut transporté en voyant le serment, si bien qu'il embrassa par cinq fois Defunctis, comme lui ayant rendu, ce jour-là, le plus grand service qui se pouvait rendre à l'État. Il renvoya le tout au procureur général pour hâter le procès, tant pour le mécontentement qu'il avait que pour faire un exemple utile et effrayer les ennemis de la France, mais aussi, ajoute du Vair en contant cette anecdote[17], glorieux d'avoir de quoi triompher de la marquise de laquelle il était encore amoureux, et à demi enragé du refus qu'elle faisait de l'admettre. — Balzac comprit qu'il était en mauvaise posture ; passible de la peine capitale, il livra enfin la célèbre promesse de mariage qu'il avait, dit-on, refusée deux fois, d'abord de bonne volonté, puis contre 50.000 écus et le bâton de maréchal[18]. Désolé quand il sut que tout était découvert, il manda M. Defunctis, qui en avertit le roi, ajoute encore du Vair. Le roi lui commanda d'aller voir ce qu'il voulait. D'Entragues dit à Defunctis qu'il se sentait perdu ; que le roi avait eu tant d'envie d'avoir un papier, lequel il n'avait jamais voulu rendre ; mais que s'il l'assurait de lui donner la vie, il déclarerait la part où il était caché... Le roi envoya M. de Loménie... et trouvèrent la promesse prétendue (!) du mariage dans une petite bouteille de verre bien lutée et enclose dans une plus grande bouteille et du coton, le tout bien luté et muré dans l'épaisseur d'un mur[19]. Tout ce qu'on accorda à Entragues fut de dire qu'il avait rendu de lui-même la promesse, ce qui en somme était vrai, mais non exactement comme l'indique le procès-verbal : Le 2 juillet 1604, spécifie l'acte qui fut alors dressé, Sa Majesté étant en la ville de Paris, au logis du sieur Zamet[20], s'est présenté messire François de Balzac, sieur d'Entragues, chevalier de ses ordres et capitaine de cinquante hommes d'armes de ses ordonnances, lequel lui a dit et remontré que l'ayant ci-devant supplié de lui octroyer quelque écrit qui pût servir pour l exempter de blâme envers ceux qui le voudraient calomnier de ce qui se passait entre Sa Majesté et Mme la marquise de Verneuil, sa fille, et l'ayant reçu il l'aurait toujours soigneusement gardé jusques à présent qu'il a estimé être de son devoir de le rendre, à l'occasion de quelques faux bruits que l'on fait courir sur ce sujet, comme s'il s'en voulait servir à mauvais usage, encore qu'il n'y ait jamais pensé et qu'il sache assez ledit écrit ne pouvoir servir qu'à lui seul pour son contentement et à l'effet susdit. Suppliant très humblement Sa Majesté le recevoir en présence des princes et seigneurs qu'il voyait près d'elle, afin qu'ils soient témoins de sa sincérité et de la déclaration qu'il fait de n'avoir eu aucun écrit de Sa Majesté que celui-là ; qu'il n'en a aussi retenu pour soi, ni donné aucun extrait ou copie à autrui ; et si on lui a fait quelque mauvais rapport pour ce regard, qu'il lui plaise n'y ajouter aucune foi. A quoi Sa Majesté a dit être bien souvenante que ledit sieur d'Entragues ne lui avait demandé cet écrit que pour la susdite considération ; qu'elle n'y avait aussi depuis pensé ni estimé qu'elle eût aucun sujet de s'en soucier ; puisque l'on faisait courir tels mauvais bruits, comme si cet écrit était d'autre teneur et substance qu'il n'est, en préjudice même de l'honneur et fidélité que ledit sieur d'Entragues lui doit, Sa Majesté a reçu de bonne part le devoir auquel il s'est mis de le rendre, et veut qu'il soit inséré de mot à autre au présent acte, pour ôter tout prétexte à l'avenir à qui aurait mauvaise intention de le changer ou changer quelque chose en la vérité et substance d'icelui.

Suivait la teneur de l'engagement reproduit plus haut, ensuite de quoi il fut ajouté :

Nous soussigné, François de Balzac, sieur d'Entragues, reconnaissons et certifions que l'écrit ci-dessus est le vrai et seul écrit fait par le roi à notre supplication et instance, au temps et lieu porté par icelui, et depuis mis entre nos mains, lequel nous avons présentement rendu à Sa Majesté en présence de Messeigneurs les comte de Soissons et duc de Montpensier, monsieur le chancelier, les sieurs de Sillery, de la Guesle, procureur général, et Jeannin, conseiller d'État. Fait à Paris, le deuxième jour de juillet 1604. — Signé : DE BALZAC.

L'acte fut ensuite signé par les personnages présents : Nous, soussignés, conseillers et secrétaires d'État de Sa Majesté, certifions ledit sieur d'Entragues avoir écrit et signé de sa propre main la reconnaissance et certification ci-dessus écrite. Fait au lieu, jour et an susdits, en présence des princes et sieurs ci-dessus nommés, lesquels, pour témoignage de ce, ont signé les présentes : Charles DE BOURBON, Henri DE BOURBON, BELLIÈVRE, N. BRULART, DE LA GUESLE, P. JEANNIN, DE NEUFVILLE ET POTIER[21].

Les Entragues, sans doute, ne pouvaient rien faire de ce papier, le roi ayant épousé en légitime mariage Marie de Médicis ; mais c'était une pièce toujours compromettante pour la bonne foi d'Henri IV, et malgré le ton d'indifférence dédaigneuse de l'acte que nous venons de citer, il était heureux de l'avoir reconquis. Aussi, crut-il pouvoir encore user d'indulgence, au moins jusqu'à nouvel ordre, envers sa maîtresse. Il avait fait un coup de force, et brusquement était redevenu le roi de France, le souverain et le maître ; il avait fait enlever les enfants d'Henriette, — les siens en somme, — qui furent conduits à Saint-Germain, et avait disgracié leur mère (fin septembre 1604) ; Balzac avait été conduit à la Conciergerie par le prévôt Defunctis[22] dans un coche fermé, que Marcoussis, son fils, accompagnait à cheval, mais sans aucune suite ni compagnie ; quand il fut arrêté, il demeura fort longtemps sans pouvoir avoir ni feu ni lumière. Mais Henri IV eut bientôt regret de n'avoir pas montré plus de mansuétude ; comme chez tous ceux dont le cœur est faible, son premier mouvement ne devait pas avoir de durée. Il écrivit bientôt à Henriette : Je vous permets de voir votre père, auquel j'ai fait ôter ses gardes. Mais n'y demeurez qu'un jour, car sa contagion est dangereuse. Je trouve bon que vous partiez pour Saint-Germain voir vos enfants. Je vous enverrai La Guesle, car je veux aussi que vous voyiez le père qui vous aime et chérit trop... Aimez-moi, mon menon, car je te jure que tout le reste du monde ne m'est rien auprès de toi, etc.[23].

Henriette vint donc à Saint-Germain ; elle retrouva ses enfants et pria Mme de Montglat, la gouvernante, de lui laisser voir le dauphin. Mais ce galopin, capricieux et déjà infatué de lui-même, lorsqu'elle voulut lui prendre la main et la baiser, se retira vivement : Allez-vous-en ! fit-il[24]. Et l'on raconte même que trouvant le jeune Verneuil, quelques jours plus tard, dans la garde-robe du roi, il le frappa au visage. Henriette passa quelques jours à Paris à son retour de Saint-Germain, espérant toujours la visite du Béarnais ; mais il ne se montra pas ; s'il n'avait pu encore se détacher de sa maîtresse, ses manigances en somme l'ennuyaient[25].

Il avait du reste donné l'ordre de s'emparer coûte que coûte du comte d'Auvergne. Celui-ci avait quitté Clermont et s'était retiré à Vic, mauvaise bicoque au milieu d'un bois, ce qui lui permettait de passer la journée au dehors sous prétexte de chasser. Il avait là pour maîtresse Mme de la Châtaigneraie[26], une sorte d'amazone fantasque qui en était éprise et le suivait assidûment dans ses courses. Ils se connaissaient depuis longtemps déjà, et le comte d'Auvergne avant le début de ses menées hantait son domicile aux environs de Clermont. Comme il craignait alors d'être arrêté, il n'osait plus se rendre chez la dame, et les deux amants pour se voir devaient prendre des rendez-vous à la campagne, dans les villages, la nuit, en ayant soin de ne jamais se rencontrer deux fois de suite au même endroit. Le comte, de plus, postait sur les routes, en des endroits soigneusement choisis, des valets accompagnés de chiens ; sur les hauteurs d'autres valets faisaient sentinelle, le cor en bandoulière, afin de l'avertir en cas de surprise. Mais tant de précautions ne servirent à rien. La compagnie .de chevau-légers du marquis de Verneuil, commandée par Philippe Eschalar, sieur de la Boulaye ; celle de Vendôme, commandée par d'Eurre, étaient alors en Auvergne, aux ordres du comte qui s'en servait pour venger les injures personnelles de Mme de la Châtaigneraie. Ce furent ces troupes qui servirent à le prendre. D'Eurre annonça une revue, -— une montre comme on disait alors, — et semblant croire que le comte d'Auvergne dût bientôt se rendre à la cour, le pria d'y assister afin de pouvoir donner au roi des détails sur le bon état des compagnies. Le comte ne soupçonna rien ou pensa en réchapper, se fiant à sa bonne étoile. Il partit (9 novembre) de la petite maison, dite de Boredon, qu'il avait à Clermont, et vint, sur un fort coureur écossais et accompagné de deux hommes, au rendez-vous fixé, qui était une plaine entre Noisants et Clermont. Il y trouva d'Eurre, dont les gens étaient déjà en bataille, et Philippe de Nerestang, venu de Riom avec une troupe d'élite, et qui feignit de se trouver là par hasard. Nerestang mit pied à terre et le comte l'imita. Ils s'entretinrent quelques instants, puis se remirent en selle. D'Eurre vint alors prendre la gauche du comte d'Auvergne, et Nerestang prit la droite. Sur un signe convenu, un valet de pied, qui avait été choisi grand et fort, saisit la bride du coureur écossais, et d'Eurre mit la main sur l'épée de M. d'Auvergne en lui déclarant qu'il l'arrêtait au nom du roi. Les deux hommes qu'avait amenés le comte voulurent alors intervenir, mais quelques arquebusades parties des rangs vinrent leur donner avis de se tenir en repos. Nerestang demanda son épée au comte d'Auvergne : Tiens, fit-il, la voilà ; elle n'a encore servi qu'à la chasse du sanglier ! Deux soldats travestis en valets de pied jetèrent alors le prisonnier hors de la selle ; on le fit monter sur un mauvais cheval, celui du trompette, et le jour même on le conduisit d'une traite à Aigueperse[27].

Il était pris et se résigna. Il demanda seulement de pouvoir écrire à sa maîtresse pour s'excuser d'avoir manqué à leur rendez-vous, ce qui lui fut galamment accordé. Mais Mme de la Châtaigneraie, très violente, en apprenant par quel stratagème on avait capturé son amant, s'empara des pistolets qu'elle avait toujours dans l'arçon de sa selle, et jura que d'Eurre et le trésorier de Murat, qu'elle soupçonnait, ne finiraient que de sa main. On ne sait au reste si elle tint parole, mais en attendant, on conduisit le comte d'Auvergne à Briare, où d'Escures était posté avec un carrosse pour enlever le prisonnier ; ensuite à Montargis, où on le mit dans un bateau qui descendit le Loing, puis la Seine et le mena droit à la Bastille. La Chevalerie, lieutenant de Sully, vint au-devant de ce prisonnier de marque ; mais on rapporte que, sans changer ses habitudes, il continuait à bouffonner, cabrioler et sauter, tant que le lieutenant crut devoir lui dire que ce n'était pas des figures de ballet qu'on voulait jouer ; qu'il était question en son fait de tout autre chose[28]. — On l'enferma enfin dans la chambre qu'avait occupée Biron. Il eut des larmes, mais peu ; il reprit bientôt son air serein, insouciant et fanfaron, contrefit même l'enjouement, et avisant le gouverneur Ruvigny, crut devoir lui dire en plaisantant qu'il n'y avait pas dans Paris d'auberge si mauvaise qu'il ne préférât à cette maison. Mais nombre de prisonniers auraient pu en dire autant, et la Bastille sous l'ancien régime — et bien qu'on lui eût fait une réputation sinistre et qu'elle ne méritait guère — n'a jamais passé que nous sachions pour un lieu de délices[29].

L'arrestation des Entragues avait fait du reste un bruit énorme, et nombre de ceux qui leur étaient apparentés accoururent se jeter aux pieds du roi ; le comte de Ventadour, le duc de Montmorency intervinrent ; mais Henri IV paraissait cette fois décidé à laisser agir la justice. La comtesse d'Auvergne, tout éplorée, autant douce et humble que Mme de Verneuil était fière, et qui méritait certainement un meilleur sort, était venue en larmes demander la grâce de son mari. Le roi l'ayant courtoisement relevée, lui parla quand même fermement : Madame, fit-il, en saisissant la reine par le bras, j'ai pitié de votre douleur et de vos larmes ; mais si je vous octroie ce que vous me demandez, il faudra que ma femme que voilà soit déclarée putain, mon fils bâtard et le royaume en proie ! Il lui permit cependant de visiter son mari à la Bastille. Elle fit alors demander au comte d'Auvergne ce qu'il désirait d'elle ; mais elle n'eut que la réponse d'un goujat : Qu'elle fît seulement provision de bon fromage et de moutarde, et qu'elle ne s'empêchât d'autre chose[30].

Restait la marquise de Verneuil, contre laquelle, en fin de compte, il lui fallait pourtant sévir. Elle habitait alors le faubourg Saint-Germain, où elle était gardée à vue par le chevalier du Guet. Elle ne s'émut pas, d'ailleurs, de ces précautions, et garda son insouciance, son langage moqueur, ses reparties et ses méchancetés. Elle disait qu'elle ne se souciait point de mourir ; au contraire elle le désirait ; mais quand le roi le ferait, on dirait toujours qu'il avait fait mourir sa femme ; car c'était elle la reine, avant l'autre, — l'Italienne, — l'intruse ! Elle ne demandait enfin que trois choses à Sa Majesté : le pardon pour son père, une corde pour son frère et la justice pour elle[31].

Marie de Médicis avait exulté, presque dansé de joie en voyant son ennemie si compromise. Elle était depuis longtemps au courant des intrigues d'Henriette et y avait fait maintes fois allusion. On ne la voulait pas croire d'abord, pensant qu'elle ne parlait que par jalousie. Il fallut désormais convenir qu'elle avait été bien renseignée. Mais sa joie quand même fut courte. — Comme pour bien faire entendre que tout était fini avec Mme de Verneuil, le roi contracta ostensiblement — et même, peut-on dire, d'une manière assez scandaleuse — une liaison nouvelle[32]. Il choisit une orpheline sans fortune, qui avait été recueillie par la princesse de Condé, Charlotte de la Trémouille. C'était une jolie blonde, avec de grands yeux veloutés et des lèvres délicieuses. Nous n'avons d'elle, dit M. de La Ferrière, qu'un crayon de Daniel Dumoustier, qui porte la date de 1623 ; elle approchait alors de la trentaine ; l'embonpoint était venu ; le menton s'était légèrement empâté, mais les yeux n'avaient rien perdu de leur éclat ; le corsage entr'ouvert laisse apercevoir le beau modelé des épaules et de la poitrine. Elle s'appelait Jacqueline de Beuil ; c'était une fille de Claude de Beuil, sieur de Courcillon et de Marocure, disent les auteurs du Supplément au journal de l'Estoile[33], qui s'était distingué au service du roi et était mort en 1596[34]. La princesse de Condé, qui l'avait en tutelle, refusait du reste de se prêter aux désirs du roi et parla même de renvoyer Jacqueline à ses parents. A tort ou à raison, Henri IV attribua cette résistance, sur laquelle il ne comptait pas, à l'influence d'un M. de Belin, qui était, croit-on, l'amant de Charlotte de la Trémouille et en même temps gouverneur du jeune Condé. Il le fit venir et le tança rudement en présence du connétable.

— Ventre Saint-Gris ! criait-il, dans les termes où vous êtes avec la princesse, il vous sied bien de faire avec moi le rigide !

Mme de Condé avait été de son côté appelée à la Cour, et l'ingénue, à laquelle on avait fait la leçon, sut de suite dire à quelles conditions elle céderait. Elle voulait d'abord 50.000 écus, et descendit à 30.000 ; elle voulait une terre, un titre et une pension de 500 écus par mois. Le roi, qui avait hâte de se venger de la marquise de Verneuil, ne lésina pas ; malgré la grimace de Sully, il accorda de suite ce qu'on lui demandait. Jacqueline de Beuil désira encore être mariée, sans doute pour échapper à la tutelle de Mme de Condé. La reine, heureuse quand même de pouvoir faire pièce à Henriette d'Entragues, voulut bien fermer les yeux. — Le mari qu'on lui procura — on dit même qu'il eut le cynisme de venir s'offrir — fut un neveu de Champvallon, qui avait été des amants de la reine Margot, Philippe de Harlay, comte de Césy, qui était bien de sa personne, bon musicien, excellent joueur de luth, paraît-il, mais gueux comme les pierres ; — piètre de tout le reste, spécifie l'Estoile, même des biens de ce monde, et cependant résolu à tout souffrir pour faire fortune. Jacqueline de Beuil l'agréa, et il voulut bien se contenter d'une rente de 1.200 écus. Le mariage se fit à Saint-Maur-des-Fossés, et les époux furent ramenés à Paris, à l'hôtel d'Hercule, qui faisait l'angle de la rue des Grands-Augustins[35]. Mais Henri IV avait spécifié qu'il aurait la première nuit de la mariée ; c'était le vieux droit du seigneur, sur lequel on a tant discuté, et qu'il payait en somme assez cher. Le mari, raconte encore le Journal de l'Estoile, eut l'honneur de coucher le premier avec sa femme, mais éclairé, tant qu'il y demeura des flambeaux, et veillé des gentilshommes, par commandement du roi, qui le lendemain coucha avec elle au logis de Montauban, où il fut au lit jusqu'à deux heures après midi. On disait que le mari était couché sur un petit galetas au-dessus de la chambre, et ainsi était au-dessus de sa femme ; mais il y avait un plancher entre eux deux[36].

Le roi la fit ensuite comtesse de Moret, sur la fin de 1604, mais l'année suivante le mariage fut déclaré nul en cour de Rome. Harlay, pour prix de sa complaisance, garda les 30.000 écus. En 1616, il épousait un laideron, Marie de Béthune, fille de Florestan de Béthune et de Lucrèce Coste. — La comtesse de Moret était encore en faveur en 1607 ; le 23 février, étant à la foire, est-il rapporté le roi perdit 700 écus contre M. de Villars, et donna à la comtesse de Moret un chapelet de 300 écus[37].

 

 

 



[1] Roger de Saint-Lary et de Termes, duc de Bellegarde, dont il faut dire ici quelques mots, car il est assez souvent nommé au cours de ce récit, était déjà grand écuyer sous Henri III. Il devint gouverneur de Bourgogne sous Henri IV et c'était par lui que le roi avait connu Gabrielle d'Estrées, dont, paraît-il, il était l'amant. Comme homme, son abord plaisait, dit Tallemant des Réaux ; mais hors quelques petites choses qu'il disait assez bien, tout le reste n'était rien qui vaille. Dès trente-cinq ans il avait la roupie au nez, et disait au roi : Il est vrai, sire, que j'ai cette incommodité, mais vous la pouvez bien souffrir, puisque vous souffrez les pieds de M. de Bassompierre, entendant par là, que Bassompierre avait le pied fin. Sur le tard, on le vit encore papillonner autour de la jeune reine d'Autriche ; mais le cardinal de Richelieu l'exila à Saint-Fargeau où il demeura huit ou neuf ans. Il ne mourut qu'en 1646, après le cardinal qui ne pouvait pas souffrir sa roupie. (Cf. Historiettes, t. I, p. 59-67.)

[2] C'est la version du comte de La Ferrière, qui arrange volontiers des conversations pour donner plus de couleur à son récit, et parfois en prend très à son aise avec la documentation.

[3] On doit comprendre pourquoi la marquise de Verneuil faisait dès lors étalage des pratiques de dévotion qui agaçaient tant le roi ; elle les avait commencées dès 1601, et peut-être à l'occasion du jubilé qui eut lieu cette année ; elle en usa et abusa ensuite parce qu'elle espérait se faire bien venir de la catholique Espagne, dont elle espérait de si grands avantages.

[4] Je crois, écrivait Mme de Verneuil, que vous serez aussi étonné que moi des furies de notre mère, qui semble avoir le vent de ce qui se passe et dont les piques qu'elle a avec M. d'Entragues me font croire que vous lui avez dit quelque chose. C'est à vous d'y mettre ordre et de ne plus vous amuser aux cajoleries du monde, puisque le temps nous surprenant, il ne serait plus à propos d'y remédier. Il faut une retraite solide ; c'est le seul bien de mon être, lequel je connais et où je me veux attacher. Que si vous êtes d'aussi bon naturel que je l'ai toujours cru, vous vous y porterez, puisque votre intérêt est lié avec le mien en cette action, et que la disposition de ma santé m'y oblige. (SULLY, Œconomies royales, édit. Michaud, t. II, p. 28.)

[5] Cf. Lettres du cardinal d'Ossat, 22 février et 15 octobre 1601 ; Additions aux Mémoires de Castelnau, t. II, p. 652 ; Archives curieuses de l'histoire de France, t. XIV, p. 165 ; DE LESCURE, les Amours d'Henri IV.

[6] Le roi écrivait à Sully : Mon ami, je vous ai fait ce mot, en attendant que dans deux jours je vous dépêche Escures, par lequel vous apprendrez que nous avons découvert force trahisons ; auxquelles le comte d'Auvergne et M. d'Entragues sont mêlés, et des choses si étranges qu'à peine vous les croirez. Nous avons aussi appris par des lettres que M. de Bouillon écrit, que nous avons surprises, qu'il brouille toujours et que M. de la Trémouille est de la partie ; d'Escures vous portera des nouvelles du tout, etc. De Saint-Germain, ce 22 juin 1604. (Œconomies royales, t. I, p. 573.)

[7] Fonds Brienne, 40, f° 219 verso ; copie. Lettres-Missives, t. VIII, p. 905.

[8] H. DE LA FERRIÈRE, op. cit., p. 266-267.

[9] Cf. à l'Appendice I, le Mémoire d'Entragues.

[10] DU VAIR, dans ses Anecdotes sur l'histoire de France, place cette scène au château de Marcoussis, à une demi-lieue de Montlhéry. (Cf. Mémoires de Marguerite de Valois, édit. Jannet, p. 284-290.)

[11] Au château de Villequier, dit Le Laboureur : Additions aux Mémoires de Castelnau, t. II, p. 900.

[12] Mon cousin, écrivait le roi, je vous envoie la commission et les lettres de cachet en blanc que le trésorier de Murat vous a demandées pour me faire le service que vous lui avez proposé par mon commandement. Je ne doute point de sa fidélité ni de son affection ; je me promets que le tout sera tenu secret, comme je reconnais avec lui qu'il est nécessaire ; mais j'ai crainte que lui et les siens ne soient assez forts et déterminés pour exécuter ma volonté. Je fais compte de communiquer le tout à d'Escures qui pourra partir d'ici lundi ou mardi, afin qu'il ait bonne intelligence avec ledit Murat ; que l'on n'entreprenne ni ne tente rien sans l'autre, car s'ils faisaient autrement ils gâteraient tout. Mon intention est que ledit d'Escures essaye de faire venir par deçà le personnage, sur le sujet que nous avons avisé avant que d'entendre à faire autre chose : de quoi vous avertirez ledit de Murât ; car s'il veut venir, ce chemin sera plus court et plus sûr que l'autre pour parvenir à notre but. Pour cette cause, il suffira que ledit de Murat arrive au pays trois ou quatre jours après d'Escures, et faut lui défendre expressément de découvrir sa commission à qui que ce soit, que d'Escures ne soit d'accord avec lui de le faire, d'autant que s'il peut le disposer à venir, il ne faut pas que l'on sache que j'ai donné audit Murat ladite commission, laquelle je désire que vous portiez vous-même à M. le chancelier, et que le sceau soit mis en votre présence, afin que nul autre n'en ait connaissance que mon dit sieur le chancelier. De quoi je me repose sur votre soin ordinaire, etc. De Fontainebleau, 14 août 1604. (Henri, De Neufville ; Œconomies royales, t. I, p. 590.)

[13] Le comte d'Auvergne avait eu sa grâce à condition d'aller passer trois ans dans le Levant, et selon Mézeray, des lettres d'abolition qui lui furent expédiées en Auvergne. (Cf. le mémoire II, à l'Appendice.) Cependant on découvrit bientôt de nouvelles intrigues, nouées par l'ambassadeur d'Espagne, don Balthazar de Zuniga, qui avait remplacé Taxis. (L'ESCURE, les Amours d'Henri IV.) Cette histoire est du reste très embrouillée et les renseignements qui nous sont parvenus, la concernant, sont très souvent contradictoires.

[14] Le rôle d'Henriette jusqu'ici avait été surtout passif ; désormais elle excite, aiguillonne les colères, aigrie par la honte d'un premier échec ; elle partage et inspire les délibérations, et attire au parti M. de Bouillon, La Trémouille, — peut-être Bellegarde ? — une foule de gentilshommes gascons et huguenots... La correspondance aurait été interceptée par Loménie. (L'ESCURE, op. cit.)

[15] Il n'y avait, dit Sully, sorte d'artifice dont elle n'usât pour arriver à brouiller le roi et la reine ; elle faisait tant de promesses et formait tant de diverses sortes d 'amours, les uns pour s'appuyer, les autres, pour susciter des querelles et des brouilleries, que qui les aurait sues toutes et les voudrait publier avec intelligence, il y aurait de quoi faire un gros volume et trouver le sujet d'une douzaine de comédies, et quelques-unes même capables de dégénérer en tragédies ; tant elle et d'autres firent d'intrigues en leurs amours, jusqu'à supposer des mariages et en faire les bans, tout cela de trop longue déduction, à cause de divers artifices dont il fut usé de beaucoup de côtés et de lettres qui furent produites en intention de vérifier multiplicité d'amourettes bigarrées, etc. (Œconomies royales, t. I.)

[16] Henriette, d'après Rosny, ne répondait en somme que par d'autres reproches à ceux que lui faisait le roi. Il représentait au monarque que la marquise et les siens avaient abusé de sa bonté et lui rappelait la résolution qu'il avait prise jadis d'empêcher Mlle d'Entragues de le suivre au voyage de Savoie. Enfin, continua-t-il, ce que j'ai pu comprendre de vos plaintes contre elle sont : qu'elle parle quelquefois irrévérencieusement de la reine ; qu'elle ne recherche pas assez les moyens de ne lui être point désagréable ; que quand elle parle de vos enfants légitimes et des siens, il semble qu'elle les veuille faire tenir pour égaux ; ... qu'on vous a fait voir la copie d'une lettre, par elle écrite à son père, qui donne l'occasion de soupçonner qu'elle a de mauvais desseins hors de France, et qu'elle désire en sortir ; qu'on vous a aussi donné avis certain qu'elle a quantité d'amourettes et offert de le vérifier par lettres écrites de sa main, dont la froideur et la suffisance avec lesquelles elle vit avec vous depuis quelque temps vous donnent sujet d'en croire quelque chose... Si elle était vraiment repentante, continue Sully pour faire allusion à ses accès de bigoterie, le roi ne la voulait nullement détourner, mais trouvait chose honteuse de voir qu'une femme qu'il avait aimée, de laquelle il avait des enfants qu'il affectionnait, fit la renchérie et la rusée avec lui, et se prostituât à d'autres, lui le sachant bien. Le ministre avait terminé en exhortant Henriette à être plus humble vis-à-vis de la reine, plus discrète à propos de ses enfants et lui avait demandé de s'abstenir de tous propos en cachette, plutôt la nuit que le jour, avec des gens que le roi n'aimait pas et qui n'aimaient pas le roi. — Henri IV, du reste, avait remercié Rosny, mais ajourné la solution. Il ne pouvait ni se résoudre à donner 100.000 livres de rentes, ni à se séparer d'Henriette. Mais la reine devenait de plus en plus grondeuse. La maîtresse boudait et le roi demeurait perplexe, obligé encore de lutter contre son ombrageuse moitié, qui finissait toujours par répartir de nouvelles faveurs aux Concini (la bête noire du ministre) ; ou de subir les dépits narquois de sa maîtresse qui lui demandait comme nargue la permission de se marier, tantôt avec un seigneur qu'elle ne nommait pas, mais qui exigeait 100.000 écus de dot, tantôt avec Joinville ou le duc de Guise, son aîné. Le roi, sans doute, la rabrouait fort, mais une des bizarreries qui m'a le plus frappé et le plus désespéré de guérir ce prince, ajoute Sully, c'est de voir que, dans leurs plus forts démêlés, ce qu'ils disaient l'un de l'autre absents était toujours différent de ce qui devait être montré ; soit que leur intelligence se conservât en quelque sorte sans qu'ils s'en aperçussent eux-mêmes ; soit que le roi, ingénieux à s'avilir, eût donné de longtemps à sa maîtresse des armes contre lui, dont il ne voulait pas l'obliger à se servir en la poussant à bout ; soit enfin, et c'est le jugement le moins désavantageux qu'on puisse porter, qu'il se fût passé entre eux des choses secrètes, sur lesquelles Henri IV, par peine ou par honte, ne pouvait se résoudre à s'expliquer ni avec moi, ni avec personne. (Cité par M. SAINT-EDME, Galanteries de roi de France, 1830, t. II, p. 82, édit. de l'abbé de l'Écluse. Le passage a été modifié dans l'édition Michaud, Œconomies royales, t. II, p. 600-601.) Mais nous mettons ici, semble-t-il bien, le doigt sur la plaie. La longue passion du roi pour Mme de Verneuil, ses complaisances, ses retours d'affection qui scandalisaient l'entourage s'expliquent si l'on veut bien imaginer quelles pouvaient être les choses secrètes auxquelles fait allusion le ministre, et se rappeler qu'avec certains on doit toujours tenir compte de la dépravation humaine.

[17] DU VAIR, op. cit., p. 289.

[18] Le roi se fit rendre la promesse de mariage que Mme de Verneuil faisait sonner bien haut, la montrant à qui voulait la voir. Mais il fallut ajouter 20.000 livres d'argent comptant et l'espérance d'un bâton de maréchal pour le père. (DE THOU, ANQUETIL, Abrégé.) Le bâton de maréchal ne resta qu'une espérance. Fr. d'Entragues ne figure aucunement dans la liste que donne Moréri.

[19] A Marcoussis, spécifie du Vair.

[20] Au logis de M. le chancelier, dit l'Estoile.

[21] Collationné sur l'original, par nous soussignés, à Paris, le sixième jour de juillet 1604. Signé : De Neufville, Potier. (Bibl. nat. Mss fr. 4120, f° 151-155, v°.) — L'engagement était dans un coffre de cristal comme une relique, dit Giovannini ; il ajoute qu'il manquait trente lettres du roi, dont quelques-unes écrites de son sang, où il renouvelait sa promesse et déclarait que le pape s'était engagé à annuler son premier mariage.

[22] Le 11 décembre, indique le journal de l'Estoile ; les dates sont très souvent incertaines chez les auteurs du temps, et l'on peut croire que Balzac d'Entragues avait été conduit directement à la Conciergerie lors de son arrestation ; l'Estoile indique d'autre part qu'il y fut transféré à la fin de l'année.

[23] Lettres-Missives, t. VI, p. 340. — Selon les éditeurs de la correspondance du roi, cette lettre se placerait vers la fin de l'année ; ils n'indiquent du reste aucune date, même approximative. Dans les derniers jours de juillet, Villeroy avait rencontré l'ambassadeur de Venise : Vous avez, lui dit-il, parlé au roi en honnête homme ; vous l'avez engagé à rompre avec la marquise ; mais l'empire de cette femme est tel que, tout en nous demandant ce qu'il doit faire, nous voyons bien qu'il désire et attend de nous des conseils de clémence. (H. DE LA FERRIÈRE, Henri IV, p. 271.)

[24] Il ne lui faisait pas toujours un si mauvais accueil, si l'on s'en rapporte au curieux Journal de Jean Héroard. (Cf., t. I, passim.) L'auteur va jusqu'à indiquer qu'il avait pour elle de grandes caresses, mais plus tard, — car elle retourna souvent à Saint-Germain, — et lorsque sans doute ils avaient fait connaissance.

[25] Il fait tout ce qu'il peut, écrivait l'ambassadeur de Toscane, pour arracher de son cœur cette fatale passion. (Négociations diplomatiques.)

[26] Mme de Chasseguai, selon d'autres textes.

[27] Selon d'autres récits, l'arrestation du comte d'Auvergne aurait précédé la perquisition de Defunctis à Malesherbes (11 décembre 1604) et il aurait été mis en cage à la Bastille le 20 novembre. (Cf. les Additions aux Mémoires de Castelnau, édit. Le Laboureur, t. II, p. 652.)

[28] L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 379.

[29] Il faut dire que, surtout au dix-huitième siècle, les conditions dans lesquelles on vivait à la Bastille s'étaient fort améliorées. On y mangeait admirablement ; on s'y promenait à peu près librement sur les tours d'où l'on pouvait communiquer avec les badauds amassés sur le bord des fossés ; on s'y visitait ; on y tenait salon ; on y jouait ; on pouvait même avoir des intrigues amoureuses. (Cf. Mme DE STAËL, Mémoires.) Ce n'est plus, on le voit, la légende de la sinistre prison que le peuple emporta d'assaut en 1789, — d'ailleurs entre ses deux repas, — fait d'armes plutôt douteux mais que continue à commémorer notre moderne 14 juillet. — Sur cette prison célèbre on peut toujours consulter, surtout pour les derniers temps de l'ancien régime, l'ouvrage de Frantz FUNCK-BRENTANO, Légendes et archives de la Bastille, Paris, 1898.

[30] L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 381.

[31] Bibl. nat. Fonds Dupuy, n° 32, f° 45.

[32] Ce fut l'occasion que saisit le chapitre de Cléry pour se débarrasser de l'enfant d'argent qu'avait autrefois offert à l'église Mlle d'Entragues ; il avait même pris les devants, car dès le 21 avril, Antoine Cocher, doyen de la collégiale, avait passé marché avec Hugues Poirier, orfèvre Orléanais, s'engageant à lui donner 13 marcs, 5 onces d'argent, pour faire un encensoir, deux chandeliers, un bénitier et une boîte pour mettre le pain à chanter. Il avait tiré déjà du même enfant d'argent une petite croix mise au-dessus du ciboire de l'église de Cléry (Minutes de H. Peigné, étude Paillart, à Orléans) et le marché fut approuvé le 26 avril par les chanoines de Cléry. L'acte cette fois est plus explicite (Minutes de Me P. Plisson, notaire et tabellion de la baronnie de Cléry, étude Lainé ; pièce justificative n° 6, dans l'opuscule cité de L. JARRY) ; lequel argent, y est-il dit, provient d'une lampe que defeunte la reine-mère du defeunt roi, que Dieu absolve, avait présentée et donnée à la dite église, et d'un enfant d'argent qui a aussi été présenté et donné par Mme la marquise de Verneuil. Le chapitre ainsi faisait un bon mélange des libéralités de ses fidèles.

Comme dame de Beaugency, on connaît un jeton frappé en 1601 pour Henriette d'Entragues, et qui porte pour devise : Fixa non fluxa, — moins fixe que flottante (?)

[33] Selon M. de La Ferrière, elle aurait été fille de Georges Babou et de Madeleine du Bellay. (Op. cit., p. 273, note ; L'ESTOILE, édit. Michaud, t. I, p. 379. note 1.)

[34] Dreux du Radier.

[35] Le détail des noces est donné dans un ouvrage du temps, l'Euphormion, de BARCLAY ou BARCLAÏ. (Cf. Joh. Barclaï Euphorm. seu Satyricon, part. II, édit. de Blaeu, 1634 ; Guy PATIN, t. I, lettre 151.) — Jean Barclay, né à Pont-à-Mousson en 1582 mourut à Rome le 12 août 1621. En 1603 il avait publié un poème latin sur le couronnement de Jacques Ier.

[36] L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 379.

[37] L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 414. — Marie de Médicis, après le premier moment, fut aussi reprise de jalousie, car nous trouvons mentionné qu'elle empêcha la comtesse de Monet de figurer dans un ballet. — Sous Louis XIII on voit encore M. de Césy ambassadeur à Constantinople et agent principal de la politique de Richelieu. (Procès-verbaux des séances du Comité historique, 1850, p. 280.) Harlay, comte de Césy, mourut en 1652.