LA MARQUISE DE VERNEUIL ET LA MORT D'HENRI IV

PREMIÈRE PARTIE. — LES DERNIÈRES AMOURS DU VERT-GALANT

 

CHAPITRE VI.

 

 

Le complot contre Henriette d'Entragues. — Mme de Villars. — Première conspiration du comte d'Auvergne. — Procès et exécution du maréchal de Biron.

 

La paix des femmes avait été faite, mais la langue d'Henriette, on peut bien le croire, marchait toujours ; elle était née pour brouiller, pour diviser, dit un de ses historiens[1]. Elle avait continué à imiter les manières, la tournure, l'accent, le parler mi-italien, mi-français de Marie de Médicis, avec un entrain qui amusait le roi, peu disposé à lui imposer silence et qui plus volontiers s'esclaffait de ces folies. Mais la reine que l'on renseignait assidûment le prit assez mal ; elle en parla même à son mari, qui essaya encore de rapprocher ces deux commères, ne voulant pas qu'on prît au sérieux, disait-il, des bouffonneries faites simplement pour le divertir. Pour Henri IV, nous le savons déjà, tout ce qui ne l'attaquait pas directement lui importait assez peu[2]. La reine, au contraire, insistait ; voyant qu'on la payait de mots, elle crut sa rivale préférée, — ce qui était bien un peu vrai, — mais eut le tort impardonnable, dans sa situation, d'éclater en reproches, de faire des scènes qui impressionnèrent désagréablement le monarque. Henriette, devenue mère, était aussi plus exigeante ; elle parlait de ses droits, rappelait l'engagement dont le roi n'avait pas tenu compte[3] ; elle répétait volontiers qu'elle seule était la vraie reine, quand l'autre — l'intruse — usurpait sa place, et refusa même de permettre que son rejeton fût conduit à Saint-Germain pour être élevé avec les autres enfants du Béarnais[4] :

— Je ne veux pas, disait-elle, qu'il soit en compagnie de tous ces bâtards.

On peut excuser ces criailleries de femmes, peut-être aussi inconsciente l'une que l'autre. Mais il y eut bientôt une brouille complète, et des piques entre les amants, toutefois que le roi eut définitivement sacrifié à la jalousie d'Henriette son ancien caprice, Marie de la Bourdaisière, qu'il voyait de temps à autre, mais qu'il finit par doter et marier[5] ; et une histoire manigancée par une sœur de la défunte Gabrielle — Julienne-Hippolyte d'Estrées, mariée à G. de Brancas, qui fut marquis, puis duc de Villars, — vint mettre le feu aux poudres.

La duchesse de Villars, qu'Henri IV avait regardée peut-être avec un peu trop de complaisance, comme il regardait toutes les femmes, n'était pas une beauté ; elle était jeune et accorte, avec des yeux assez provocants et du reste l'esprit un tantinet pointu[6] ; c'est tout ce qu'on en a pu dire. Elle portait envie à Mme de Verneuil, et lui reprochait de l'avoir remplacée dans la faveur du roi, comme si, à la mort de la duchesse de Beaufort, il eût été tenu de choisir encore dans la famille. A l'exception de cet avantage, les prétentions de Mme de Villars probablement n'existaient pas. — Résolue néanmoins à se débarrasser de la favorite, elle se fit présenter à la reine par Mlle de Guise et saisit le premier moment favorable pour lui soumettre son projet, bien entendu sans lui dire que, la délivrant d'Henriette d'Entragues, elle espérait bien prendre sa place. Marie de Médicis, qui n'avait guère de finesse, n'eut aucune défiance ; elle l'écouta favorablement, l'encouragea même, et d'ailleurs lui promit le secret. Concini, que l'on compte dès cette époque parmi les familiers du roi, eut bien vent du complot ; mais il pensa sagement qu'il valait mieux ne pas s'en mêler ; il attendit les événements. Le prince de Joinville, alors le galant à la mode, une sorte de Richelieu qui s'était donné la mission, pourrait-on dire, de gâter à Henri IV toutes ses bonnes fortunes, — après avoir été fort avant dans les bonnes grâces de Mme de Verneuil, et s'être même battu pour elle contre Bellegarde, — était tombé amoureux de Mme de Villars. C'était l'intermédiaire dont la fine mouche voulait se servir. Elle le cajola, l'enjôla si bien qu'elle finit par en obtenir des lettres que la marquise lui avait écrites ; où elle le traitait sans doute trop familièrement, et de plus, avec son impertinence habituelle, se moquait de son barbon de roi et de sa dondon d'Italienne. Dès qu'elle les eut entre les mains, Mme de Villars se hâta de les montrer à Marie de Médicis, qui passa volontiers sur les brocards qui lui étaient personnels dans sa joie de pouvoir convaincre Henri IV. On rapporte même qu'elle combla de présents la sœur de Gabrielle. Il ne s'agissait plus que de mettre sous les yeux du roi les lettres compromettantes. Mme de Villars hésitait, comme on pense ; mais la reine finit par la décider à agir. — Déjà, on s'étonnait de ses assiduités au Louvre et du bon visage que lui faisait Marie de Médicis, Mlle de Guise surtout, qui lui avait ménagé son premier rendez-vous avec la reine ; on se garda bien toutefois de lui laisser rien deviner, surtout concernant le prince de Joinville, son frère, qu'il s'agissait de perdre. On attendit quelques jours ; puis Mme de Villars ayant rencontré le roi, — sans doute avec intention, — le supplia de lui accorder un entretien particulier, ayant à lui dire, ajoutait-elle, des choses qui lui importaient fort. Henri IV lui donna rendez-vous dans une église, la fit entrer dans une chapelle et en écarta tous les assistants. Mme de Villars lui offrait aussitôt à lire les lettres qu'elle avait apportées et pour excuser sa dénonciation, argua des obligations qu'elle avait à sa bonté, ce qui était cause qu'elle n'avait pu lui cacher plus longtemps les outrages dont il était l'objet. Elle ajouta du reste d'autres flatteries, sachant que le roi y était très sensible. Il remercia chaleureusement, mais il était furieux, et comme il ne savait rien faire de lui seul, il chargea un de ses confidents, le comte de Lude, de la maison de Daillon, d'aller jeter des injures à la tête de la marquise, lui reprocher sa perfidie et lui déclarer que jamais plus il ne la reverrait. — Les temps étaient changés, on le voit, et l'on n'en était plus aux jours anciens où il courait après Henriette sur la route de Marcoussis. En même temps, il avait fait venir Sully, toujours son grand conseil. Il voulait faire poignarder Joinville et retirer à la marquise tout ce qu'il lui avait donné ; mais Rosny insinua qu'il devait y mettre plus de modération. Ne la condamnez pas sans l'entendre, fit-il, craignant un revirement dans l'humeur du Béarnais. — Henriette, du reste, ne perdit pas son sang-froid et ce fut du ton le plus digne qu'elle congédia de Lude abasourdi. Comme je suis assurée, fit-elle, de n'avoir rien fait qui puisse offenser Sa Majesté, aussi ne puis-je deviner pourquoi il me traite si mal. J'espère que la vérité me vengera de ceux qui lui ont donné de si fâcheuses impressions. Elle soutint ensuite que les lettres étaient fausses et se retira fièrement dans son cabinet, mais beaucoup plus troublée sans doute qu'elle n'avait voulu le laisser paraître[7].

Le grand écuyer, Bellegarde, qui était alors amoureux de Mlle de Guise, avait cependant appris l'affaire ; et beaucoup plus pour elle que pour son frère Joinville, la mit au courant. Tous deux purent ainsi combiner une nouvelle machination pour détruire la première. — Le duc de Guise avait un secrétaire qui imitait à la perfection toutes les écritures et qui eût été idéal comme fausssaire. Il fut convenu que Joinville soutiendrait que cet homme, amoureux de Mme de Villars et ayant en sa possession des lettres d'Henriette, connaissant sa haine pour Mme de Verneuil, avait arrangé cette correspondance. Le coup était hasardeux, pour n'en rien dire davantage. Mais le roi ne demandait, en somme, qu'à se laisser convaincre. Sa maîtresse le suppliait de lui permettre de se justifier. Il hésita d'abord, la sachant experte en fourberies, — où il se connaissait bien ! puis se décida à écouter ses raisons. Elle sut si bien arranger les choses, les présenter et entortiller que ne sachant plus où était la vérité, où le mensonge ; persuadé à demi, heureux de pouvoir encore la supposer innocente, il finit par passer l'éponge. — Joinville, qui se compromit encore dans l'affaire de Biron, dut ensuite aller en Hongrie se battre contre les Turcs avec le duc de Mercœur[8]. Le secrétaire qui contrefaisait si bien les écritures fut envoyé en prison, et peut-être ne l'avait-il pas volé. Quant à Mme de Villars, elle eut ordre de retourner chez elle. Elle n'avait gagné à ses petites machinations qu'une ennemie dangereuse et puissante[9].

Marie de Médicis, heureuse de voir sa rivale en si mauvaise posture, avait fait tous ses efforts pour l'achever. Mais la marquise de Verneuil ne se laissait pas si facilement abattre, ayant bec et ongles pour se défendre. Quand elle eut repris son influence sur le roi[10], elle rendit coup pour coup, et avec les deux partis qui s'étaient formés à la cour, la reine ne pouvait plus souffrir ceux qui se mettaient du côté de cette putane d'Henriette. — Elle allait avoir du reste une nouvelle occasion de se réjouir, car c'est vers ce temps que se place la première conspiration du comte d'Auvergne, où se trouva mêlée encore Mme de Verneuil, — puisque aucun complot ne se manigançait alors en France, a-t-on très bien dit à ce propos, sans qu'on y trouvât un membre au moins de la famille d'Entragues[11], et qui cette fois emporta la tête du maréchal de Biron.

Ambitieux, mécontent, toujours du parti hostile au monarque, le fils du vieux maréchal qui avait si longtemps servi Henri III et Catherine de Médicis[12], avait fait toutes les guerres du Béarnais ; s'était battu à Arques, à Ivry, aux sièges de Paris, de Rouen et d'Amiens, à Aumale et à Fontaine-Française. Le roi, qui lui avait sauvé trois fois la vie sur le champ de bataille, l'avait nommé amiral, maréchal, gouverneur de Bourgogne et de Bresse ; mais d'humeur chagrine, emporté, enivré par les grandeurs et devenu insatiable[13], — d'ailleurs se croyant continuellement méconnu, — il avait enfin relevé le vieux drapeau de la Ligue et conspirait avec l'étranger. A la suite d'un voyage à Bruxelles, il avait envoyé en Espagne un ancien ligueur banni, l'Orléanais Eugène Picotté, pour renouer avec Philippe III et l'engager à reprendre le rôle de protecteur de la religion catholique en France, Henri IV couvrant trop à son avis le zèle des Réformés ; il espérait en somme reconstituer la Ligue et s'en faire reconnaître le chef[14]. Le roi lui avait pardonné déjà divers complots et menées hostiles, lorsqu'il fut averti de ses pires manigances. — Les Espagnols, battus et ramenés à la frontière, cherchaient alors à lutter par des voies détournées ; ils fomentaient partout des divisions et des troubles, aidés du reste par le duc de Savoie, qui espérait encore sa revanche, et s'était ménagé, comme il est indiqué plus haut, la complicité de Biron lors de son voyage en France, en lui persuadant qu'on avait manqué à ce qui était dû à son mérite[15]. Durant la campagne, il avait continué ses intrigues avec le duc, cherchant par divers émissaires à provoquer une révolte de l'armée ou une insurrection en France. Mais Henri IV, très au courant de ses tripotages, s'il n'en avait pas les preuves, l'avait paralysé en mettant sous ses ordres nombre d'officiers dont il connaissait le dévouement. Il l'avait seulement engagé à se débarrasser du sieur de La Fin, un Beauvais-Lanocle qui était son agent et aussi son parent. Toutefois, le maréchal avait fait la sourde oreille. — L'année 1601, il avait été envoyé en Angleterre, le roi désirant assurer la reine Élisabeth de son amitié et lui faire des excuses sur une entrevue qu'elle lui demandait entre Calais et Douvres[16], et à cette occasion, il avait vu sa terre érigée en duché-pairie. Ce fut au cours de ce voyage qu'il se lia avec le comte d'Auvergne, qui se trouvait de l'ambassade, personnage hardi, intrigant, peu scrupuleux, on le sait, — Tallemant le traite d'escroc ! — et qui se posait en défenseur de sa sœur utérine, Henriette de Balzac, réclamant pour elle des compensations aux engagements que le roi n'avait pas tenus. Selon ses dires, Mme de Verneuil aurait dû être considérée comme reine de France, titre auquel elle avait droit, et son fils devait être reconnu comme dauphin. C'étaient déjà les prétentions de la demoiselle. Mais fut-elle complice des machinations qui furent alors ourdies ? Trempa-t-elle dans le complot ? Le point a été très contesté. Elle laissa faire, toujours est-il. En cas de réussite, elle se serait arrangée pour prendre la première place, — celle qu'occupait Marie de Médicis, — et le plus certain, c'est qu'elle se garda de rien dire. La dissimulation est essentiellement une vertu de femme.

Mais la conspiration se trouva éventée. Sur les instances des Espagnols, à qui il était suspect, Biron avait remplacé le sieur de La Fin par le baron de Lux, chevalier des ordres du roi. La Fin se trouva mandé à Fontainebleau par Henri IV, qui voulait décidément voir clair dans les manigances du maréchal, et le consulta sur ce qu'à l'occasion il devrait répondre. Biron, assez mal inspiré, non seulement lui donna l'ordre de faire prendre le change au roi, mais de brûler ses papiers et même de se défaire coûte que coûte de ceux qui auraient voyagé avec lui. La Fin craignit qu'on n'en vînt à le supprimer lui-même et dévoila le complot en échange de son pardon (mars 1602). — Henri IV ne le voulait pas croire d'abord ; mais il avait ses preuves, la correspondance du maréchal, dont il avait gardé les originaux, n'en remettant à l'étranger que la frauduleuse contrefaçon. Le roi fut atterré ; la trahison était flagrante pourtant, et il lui fallait agir. Biron avait signé avec le comte d'Auvergne et le duc de Bouillon un pacte de défense mutuelle ; le Poitou, la Touraine devaient se soulever ; on devait à la mort d'Henri IV — que chacun espérait prochaine — faire passer la couronne de la tête du dauphin sur celle du fils nouveau-né d'Henriette, qui allait se trouver légitimé. Le concours des chefs huguenots avait été demandé ; mais ils se méfièrent — ayant aussi d'autres projets — et se tinrent en repos. Quelques troubles seulement eurent lieu dans l'Ouest, et furent aisément calmés. Le roi, sur le conseil de Rosny, se rendit à Blois[17], où il fit espionner le comte d'Auvergne, et où d'ailleurs la marquise de Verneuil essaya vainement de le retenir ; il gagna ensuite Poitiers, d'où il dépêcha à Limoges le président de Jambleville, et Sully à la Rochelle. — Sur la fin de l'année 1601, Biron avait commencé à recruter une armée de déclassés et de paresseux répandus dans les rues des grandes villes ou vivant à l'abri des châteaux des seigneurs influents ; mais le roi qui déjà le faisait surveiller l'avait désarmé, et sous prétexte d'une refonte des canons, on avait enlevé son artillerie de Bourgogne[18]. On lui envoya Fougues d'Escures et le président Jeannin qui lui parla de sa propre faiblesse, en regard de laquelle il mit la clémence royale, et sur la menace que fit Henri IV d'aller le chercher lui-même, il dut enfin se rendre à Fontainebleau. Des piquets de cavalerie avaient charge de le suivre, et même de l'arrêter s'il faisait mine de changer de route. Dès son arrivée (12 juin), La Fin le trompa en lui glissant ces mots de mensonge : Courage, mon maître, ils ne savent rien. Le roi aurait voulu lui faire avouer la conspiration, lui promettant son indulgence ; il lui fit parler par Sully et par le comte de Soissons, car il aurait voulu, si nous en croyons Rosny, sauver absolument le coupable. Le Conseil enfin, ayant délibéré, décida l'arrestation ; mais ce ne fut qu'à grand'peine qu'Henri IV put se décider à sévir. Biron, qui continuait à faire parade d'innocence, fut arrêté au sortir du jeu de la reine ainsi que le comte d'Auvergne, et tous deux furent conduits à fa Bastille (15 juin)[19].

Le procès fut de suite instruit et le maréchal confronté avec La Fin auquel il dit pouilles ; mais La Fin confirma ses dires, et d'ailleurs les preuves étaient flagrantes. Les débats, qui s'étendirent du 23 au 29 juillet, amenèrent de curieuses révélations. Un des principaux agents de Biron était toujours l'Orléanais Picotté ; le roi d'Espagne et le duc de Savoie, bien entendu, se tenaient prêts à profiter des circonstances ; mais l'accusation mit encore en cause nombre de personnages, parmi lesquels s'étaient fourvoyés des huguenots et des gouverneurs de provinces, le connétable de Montmorency, M. de Montpensier, d'Épernon, Bouillon, la Trémouille, Ventadour et autres, sans parler du comte d'Auvergne. A défaut du fils d'Henriette, la couronne devait être transmise à Condé, et les gouverneurs se seraient établis indépendants dans leurs provinces respectives. Le traité conclu par Biron — en Italie — devait lui donner de nombreux avantages : une princesse d'Espagne ou de Savoie en mariage ; 1.800.000 écus pour entretenir la guerre ; la Franche-Comté, la Bourgogne et la Bresse lui étaient cédées simplement sous condition d'en faire hommage au roi catholique. En outre, la France devenait une confédération de souverainetés locales, avec un monarque électif, dignité que Biron lui-même devait bien se réserver pour l'avenir, car tous les princes du sang devaient être proscrits, ou même exécutés. La Provence, enfin, le Dauphiné et le Lyonnais passaient à la Savoie.

La défense du maréchal fut habile, mais il ne put se laver du reproche de conspiration contre l'État ; de l'intention de régicide et d'avoir traité avec l'étranger pour amener l'invasion du territoire. Il fut condamné à avoir la fête tranchée en place de Grève ; ses biens devaient être confisqués et il devait être dégradé de tous ses honneurs et dignités. Après la sentence, plusieurs des juges, dit-on, furent émus jusqu'aux larmes en pensant au sort misérable de cette vaillante épée ; mais on avait pensé surtout au danger qui se présenterait à la mort du roi, si Biron se jetait dans les rangs des Espagnols. — Henri IV, sans doute, aurait pu avoir le souvenir de tant de coups donnés pour sa cause et se rappeler les jours anciens où il avait bataillé aux côtés du condamné. Son attitude inflexible et dure, après un mouvement de généreux élan, donna bien à penser. Mais la reconnaissance est lourde, et malgré les instances des parents et des amis du maréchal, peut-être crut-il nécessaire de faire un exemple. Tout ce qu'il accorda à Biron, fut de lui épargner l'ignominie du supplice en place de Grève ; on l'exécuta dans la cour de la Bastille. — Un astrologue lui avait prédit qu'il mourrait par l'épée. Le glaive du bourreau se chargea de répondre à l'horoscope.

Le récit du spectacle lamentable que fut cette mort a été donné par les auteurs du temps[20] ; par l'Estoile entre autres, qui la rapporte longuement dans son Journal :

Sur les onze heures du matin, le 31 juillet 1602, dit-il, M. le chancelier, M. le premier président, accompagnés de messieurs les lieutenants civil et criminel du Châtelet, du prévôt des marchands et des quatre échevins de la ville ; du prévôt Rapin et de quelques-uns de sa compagnie ; des greffiers de la cour, de six huissiers et de quelques sergents, entrèrent à la Bastille, où le curé de Saint-Nicolas-des-Champs, prédicateur du roi, et Garnier son confesseur, étaient déjà pour exhorter le sieur de Biron à penser à sa conscience et le faire résoudre à la mort. Mais il n'y voulait aucunement entendre, ne se pouvant persuader que ce fût à bon escient. La compagnie entrée dans la chambre le trouva occupé à conférer trois ou quatre almanachs, considérant la lune, le jour, les signes et autres choses appartenant à la judiciaire. M. le chancelier, après l'avoir salué, lui demanda l'ordre du roi, lequel il lui bailla, le tirant de la poche de ses chausses après en avoir fait refus au commencement ; puis on décousit la croix du Saint-Esprit de son manteau et se firent les autres cérémonies appartenant à la dégradation d'un maréchal de France. Le dit sieur chancelier dit ensuite à Biron qu'ils étaient venus là pour lui prononcer son arrêt de mort et le faire exécuter, et le greffier criminel ajouta : Monsieur, mettez-vous en état, c'est-à-dire à genoux. Et il lui lut la sentence ; mais, lorsqu'il en fut à ces mots : condamné à avoir la tête tranchée en place de Grève : Voilà, fit Biron, une belle récompense de mes services, de mourir ignominieusement devant le monde ! M. le chancelier prit alors la parole et dit : Monsieur, le roi vous a octroyé la grâce que vous lui avez fait demander par vos parents, et l'exécution de votre arrêt se fera en ce lieu de la Bastille. — Est-ce la grâce qu'il me fait ? dit encore le condamné. Ha ! ingrat, méconnaissant, sans pitié ! Et ensuite proféra plusieurs choses indignes d'une belle âme et de tout homme généreux, disant ainsi : Et pourquoi n'use-t-il pas de pardon envers moi, puisqu'il le fait à beaucoup d'autres qui l'ont davantage offensé ? Il nomma ensuite M. d'Épernon et M. de Mayenne, ajoutant que la reine d'Angleterre eût pardonné au comte d'Essex s'il l'eût demandé[21]. Et pourquoi non à moi, fit-il encore, qui le demande si humblement, sans mettre en ligne les services de feu mon père et les miens, et mes plaies qui le demandent assez d'elles-mêmes ? Il y eut d'autres débats, et Biron finit par s'en prendre au chancelier, l'appelant homme injuste, sans foi et sans loi, image plâtrée, grand nez, qui l'avait condamné à mort iniquement ; que pour le tort qu'il lui faisait, il l'ajournait à comparaître devant Dieu, dans l'an et jour ; et il marchait à grands pas dans la chambre, le visage conturbé et affreux, répétant : Ha minimé ! minimé ! Puis il parla du roi et de lui-même, disant : Eh bien, je mourrai et n'aurai point de grâce ; mais n'a-t-il pas su tout mon secret, et ne le saura jamais de par moi. Ceux qui étaient présents l'exhortaient à prier Dieu et à penser à sa conscience, mais il répondait que c'était fait, et parla de ses biens ; de ce qui lui était dû et de ce qu'il devait, ajoutant que le roi pouvait disposer du reste. Il dit encore qu'il laissait une fille grosse de son fait, à l'enfant de laquelle il donnait une maison, naguère acquise à Dijon, et six mille écus[22]. Il demanda encore s'il n'y avait là personne qui fût à M. de Rosny, et s'étant présenté un de ses secrétaires, il lui dit : Dites à M. de Rosny que j'ai toujours été son bon ami et serviteur, et que je meurs tel ; ceux qui lui ont fait entendre le contraire et que j'avais eu dessein de le tuer l'ont trompé. Je lui recommande mes deux frères, en sorte que le petit soit donné à Mgr le dauphin pour le servir, et que mes autres parents lui soient aussi pour recommandés ; je désire qu'il leur donne avis de ne venir de quelque temps à la Cour. Il tira de son doigt une bague qu'il donna à ce secrétaire pour la porter à la comtesse de Roussy, sa sœur, et en donna une autre au capitaine de la Bastille[23] qui était présent.

Lors, l'exécuteur entra dans la chambre et dit que l'heure se passait et qu'il fallait aller. Biron répondit qu'on en devait l'avertir. Allons ! allons ! fit-il. Sur la montée, il rencontra le lieutenant civil, auquel il dit : Monsieur le lieutenant, vous avez de très méchants hôtes, et si vous ne prenez pas garde à vous, ils vous perdront, — entendant parler du seigneur de La Fin et du vidame de Chartres, son neveu[24]. Quand il fut près de l'échafaud, ceux qui étaient là — environ soixante-dix — ayant fait quelque bruit, il dit : Que font là tant de marauds et de gueux ? Puis il monta sur l'échafaud, suivi des docteurs Magnan et Garnier ; d'un valet de la garde-robe du roi qui lui avait été donné pour le servir dans la prison, et de l'exécuteur. Mais cet homme ayant voulu mettre la main sur lui, il lui dit de se retirer en arrière et de se garder de le toucher autrement que de l'épée, lui demandant seulement ce qu'il avait à faire. Lors, il se dépouilla de son pourpoint et le donna au valet. Le bourreau lui présenta un mouchoir blanc pour se bander les yeux ; mais il voulut employer le sien, qui se trouva trop court, et redemanda celui de l'exécuteur. S'étant mis à genoux, il se releva brusquement dans un cri de détresse, demandant : N'y a-t-il point de miséricorde pour moi ? Et de nouveau il dit au bourreau de se retirer, et qu'il ne l'irritât point et ne le mît au désespoir, s'il ne voulait qu'il l'étranglât, et plus de la moitié de ceux qui étaient présents ; desquels plusieurs eussent voulu être hors, voyant cet homme non lié parler de cette façon. Il se remit enfin à genoux, se rebanda les yeux, et tout incontinent se releva encore, disant qu'il voulait une dernière fois voir le ciel, puisqu'il n'y avait pas de pardon pour lui, et qu'il ne devait plus le voir jamais. Pour la troisième fois, il se mit à genoux ; mais comme il levait la main pour enlever encore son bandeau, et disait à l'exécuteur qu'il ne lui tranchât point la tête qu'il n'eût dit son in manus, celui-ci fit son coup. Biron eut deux doigts offensés, mais la tête tomba à terre[25], d'où elle fut ramassée et mise dans un linceul blanc avec le corps, qui fut le soir enterré à Saint-Paul[26].

Toutefois, lors du procès, on n'avait produit qu'une partie — vingt-sept pièces seulement — de ce qui avait été livré à la justice. Le roi avait donné ses instructions aux juges, afin de pouvoir ensuite pardonner aux coupables. Le comte d'Auvergne, instruit par le sort de Biron, fit des aveux et raconta en détail toute la conspiration. Les autres l'imitèrent et le 2 octobre Henri IV faisait sortir de la Bastille le frère d'Henriette après des exhortations paternelles[27]. C'est qu'il voulait surtout se  rapprocher de sa maîtresse qui le sollicitait à ce propos, et qui était d'ailleurs appuyée par Henri de Montmorency, beau-père du bâtard de Charles IX[28]. Le comte d 'Auvergne, dans un entretien qu'il eut avec le roi, poussa la duplicité et la complaisance jusqu'à lui conseiller de ne pas trop ébruiter la faveur dont il l'honorait, afin qu'il pût continuer sous main ses intelligences avec l'Espagne et l'en faire profiter. — Le Béarnais apportait, dans les affaires politiques au moins, un certain fond de loyauté qui se révolta à la proposition. Il finit par l'accepter néanmoins ; mais l'autre ne sut même pas remplir par la suite les conditions qu'il avait lui-même posées.

Marie de Médicis avait suivi avec intérêt, on peut le penser, l'instruction de cette affaire où se trouvait mêlée sa rivale. Les prétentions d'Henriette redoublaient sa fureur, et les choses s'arrangeant à la fin, les hostilités entre les deux femmes reprirent de plus belle. Le roi, tiraillé des deux parts, placé entre celle qu'il aimait toujours et qui sortait de cette sotte équipée hautaine et triomphante[29], et l'autre qu'au moins par convenance il devait respecter, ne savait plus où donner de la tête. Il était bien puni par où il avait péché et les affaires de femmes finissaient par lui prendre plus de temps que celles du royaume[30].

 

 

 



[1] M. DE LESCURE, les Amours d'Henri IV.

[2] Il souffrait cependant qu'on lui dise de temps à autre ses vérités, et les anciens éditeurs de l'Estoile ont rapporté à ce propos une anecdote curieuse : Un jour que le P. Gontier, jésuite, prêchait à Saint-Gervais, le roi, la marquise de Verneuil et la plus grande partie des dames de la Cour se trouvèrent à son sermon. Ces dames se plaçaient volontiers près de l'œuvre, parce que le roi s'y mettait presque toujours. Outre le bruit qu'elles causaient, la marquise surtout faisait des signes au roi pour le faire rire. Le P. Gontier s'arrêta au milieu de sa prédication, et se tournant vers le roi : Sire, fit-il, ne vous lasserez-vous jamais de venir avec un sérail entendre la parole de Dieu et de donner un si grand scandale dans l'église ? Toutes ces femmes, et la marquise plus que les autres, n'oublièrent rien pour porter le roi à faire un exemple de ce prédicateur ; mais il n'en fit rien ; le lendemain même, il retourna entendre le P. Gontier et le rencontra comme il allait en chaire. Au lieu de se plaindre de ce qu'il lui avait dit la veille, il l'assura de ne rien craindre et le remercia de ses corrections ; il le pria seulement de ne plus les faire en public. (T. II, p. 365, note 2.)

[3] Henriette ne pardonna jamais au roi le subterfuge de la promesse de mariage et encore en 1608 elle y faisait allusion. A propos d'une promesse analogue que le baron de Termes avait faite à la Sagonne dont il était poursuivi, n'ayant nulle envie de tenir, elle s'écria en présence même de son amant : Ha ! par ma foi, on dit bien vrai : tel maître, tel valet ! (L'ESTOILE, t. II, p. 461.)

[4] Le roi s'habituait à traiter ses deux femmes de la même manière, tellement, dit un contemporain, que les enfants lui venaient tant de droite que de gauche ; il les aimait également et les faisait élever tous ensemble à Saint-Germain. (Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. V.) Il n'y eut jamais un père si faible, ajoute Richelieu ; ce fut par le projet de mariage de sa fille avec le duc de Vendôme — qui n'avait encore que trois ou quatre ans — que le duc de Mercœur fit son accommodement de Bretagne. On nous montre plus tard (1609) le Dauphin accompagné d'une belle jeunesse de son âge pour venir aux Chartreux, et à la suite du petit prince, l'Estoile indique que se trouvaient d'habitude : le comte de Saint-Pol, le marquis de Verneuil, le chevalier de Vendôme et autres (t. II, p. 502).

[5] En annonçant cette rupture, il écrivait à Henriette : Si elle eût eu à en mourir, j'eusse été l'homicide. Mais Marie de la Bourdaisière n'en mourut pas ; elle épousa ensuite Charles de Saladin de Savigny.

[6] Elle avait épousé (1597) le neveu de l'amiral de Villars, tué le 14 juillet 1595. Tallemant dit qu'elle avait la taille, le teint et les cheveux admirables, et la princesse de Conti, heureuse de placer une méchanceté (Histoire du Grand Alcandre, édit. de 1786, t. I, p. 90), qu'elle n'avait que la jeunesse et les cheveux.

[7] Cf. les Amours du Grand Alcandre, t. II, p. 90-95.

[8] Ce fut Mayenne, son oncle, qui remit au nom du prince cette déclaration : M. le prince de Joinville n'a jamais eu volonté d'offenser Mme la marquise. Ce qu'il a fait et dit n'a été que par une violente passion d'amour qu'il portait à Mme de Villars, dont la vérité a été assez reconnue de tous par les faveurs qu'il en a reçues. (Bibl. nat. Fonds Fontanieu, n° 454-455.) Le dimanche 1er décembre 1602, rapporte un peu plus tard l'Estoile, le roi qui était a Paris, bailla le prince de Joinville en garde à M. de Guise son frère, sans la prière et sollicitation duquel Sa Majesté l'eût envoyé à la Bastille, comme le tenant complice des menées et conjurations du maréchal de Biron ; et dit au prince de Joinville qu'il en remerciât hardiment son frère, lequel il aimait. Deux jours après M. le chancelier l'interrogea, et disait-on que son insigne et franche confession l'avait sauvé de prison, etc. (Édit. Michaud, t. II, p. 433.) On a ensuite des lettres pardonnant au prince de Joinville qui avait ajouté des torts politiques plus graves à ses incartades galantes.

[9] Tallemant, qui consacre une historiette à Mme de Villars, raconte encore l'aventure amusante d'un capucin après lequel elle courait. Elle ne mourut qu'en 1657.

[10] Le roi pour se faire pardonner lui accorda une somme de 6.000 livres que Sully ne paya, comme de coutume, qu'en maugréant. (Le 30 mars, Henri IV lui rappelait encore par un billet le versement qu'il avait à faire.) On montait à ce moment à la Cour le Ballet des Vertus, et Mlle d'Entragues exigea d'y paraître ; vaincue dans la personne de Mme de Villars, la reine dut céder. Marie de Médicis, pour cette fête, était en tête du dernier groupe de huit danseuses. Les récitatifs du ballet avaient été rimés par l'évêque-poète Louis Bertaut. (Cf. l'édit. de 1723, p. 558.) — La marquise rétablie triomphalement, jusqu'à coucher au Louvre, note à ce moment l'Estoile. En témoignage de son innocence, elle fit le jour des Innocents un grand festin aux dames et demoiselles de la Cour. (Édit. Halphen, t. VII, p. 326.)

[11] L. JARRY, op. cit.

[12] Tué d'un coup de canon au siège d'Épernay (21 juillet 1592).

[13] Il rêvait d'être prince souverain et avouait familièrement qu'il ne voulait pas mourir avant d'avoir vu son effigie sur un écu. Il était insolent et n'estimait personne, ajoute Tallemant ; il disait que tous ces Jean f... de princes n'étaient bons qu'à noyer, et que le roi sans lui n'aurait eu qu'une couronne d'épines. Il avait toutefois de bons sentiments. On lui apporta un jour une liste de ceux de ses gens qui lui étaient inutiles et qu'il pouvait renvoyer : Voilà donc, dit-il, ceux dont vous dites que je puis me passer ; mais il faudrait savoir si eux se passeront bien de moi. (T. I.) Biron affectait de porter un chapelet, tenant à montrer qu'il était d'abord bon catholique, et parlait toujours de religion.

[14] E. DE LA BARRE-DUPARCQ, Henri IV, p. 162.

[15] Depuis 1595, Biron était gagné par les agents de l'étranger. Joueur-passionné, — comme le roi lui-même ! — toujours besogneux d'argent, il était mécontent ainsi que La Noue, que d'Aubigné, que bien d'autres qui valaient mieux que lui, et avec eux il accusait le roi d'avarice. Il prenait de toutes mains, et il suffisait de lui promettre et donner abondamment. Dans la guerre de Savoie, il ne tint pas à lui que l'ennemi ne fût averti de nos plans-et que l'ardeur des troupes ne demeurât stérile. On l'accusa même plus tard d'avoir médité l'assassinat d'Henri IV. (BORDIER et CHARTON, Histoire, t. II, p. 170.)

[16] La reine d'Angleterre était alors à Douvres. Elle lui aurait peut-être réclamé certaines avances d'argent qu'elle lui avait faites durant ses luttes avec la Ligue ; il jugea plus prudent d'envoyer Biron à sa place. (H. DE LA FERRIÈRRE, Henri IV.)

[17] De Blois, Marie de Médicis voulut retourner pour voir don Virginio Orsini, auquel elle avait donné rendez-vous. Le roi jaloux était furieux ; mais les choses enfin s'arrangèrent et elle accompagna ensuite son mari à Poitiers. (Bibl. nat. Mss Fontanieu, 446-447.)

[18] Cf. Bibl. nat. Mss fr. 5772, 23169 ; Mss Fontanieu 448-449, p. 194 ; la Conspiration, prison, jugement et mort du duc de Biron, factum imprimé, in-18°, sans lieu, ni date.

[19] On se rappelle la scène qui précéda l'arrestation. En le voyant paraître dans les jardins de Fontainebleau, le premier mouvement d'Henri IV fut de lui ouvrir les bras : C'est bien à vous, maréchal, d'être venu, fit-il ; vous-allez tout m'avouer, n'est-ce pas ? Mais se fiant aux assurances de La Fin, Biron refusa de répondre, et demanda justice de ses ennemis. Le roi lui dit de réfléchir et lui donna rendez-vous pour le soir au jeu de la reine. Le soir, quand Biron pénétra dans la cour du château, un ami inconnu lui fit passer ce billet : Partez sur-le-champ ; dans deux heures vous serez arrêté. Mais il ne tint compte de l'avertissement. Le comte d'Auvergne, à son tour, eut le temps de lui dire : Il ne fait pas trop bon ici pour nous deux ! Mais le roi le prit à part : Confessez tout, fit-il, et je vous pardonne. Biron se renferma dans les mêmes dénégations : Eh bien ! fit Henri IV, le comte d'Auvergne m'en dira davantage ; adieu baron de Biron. Vitry l'arrêta dans l'antichambre et le comte d'Auvergne, qui avait gagné la cour, sautait déjà en selle lorsque Praslin lui mit la main sur le bras. (Cf. le récit de SULLY, Œconomies royales, t. I, p. 397.) On montre encore, dans la visite de Fontainebleau, le salon où jouait Marie de Médicis et que quittait Biron lorsqu'il fut arrêté.

[20] Cf. Bibl. nat. Mss fr. 23369. Recueil de ce qui s'est passé à l'exécution de mort du maréchal de Biron au château de la Bastille, le dernier juillet 1602. P. 229-233.

[21] Pendant son ambassade en Angleterre, la reine Élisabeth lui avait montré d'une fenêtre de son palais, d'où l'on voyait la tour de Londres, un grand nombre de têtes fichées, parmi lesquelles se trouvait celle du comte d'Essex, qu'il avait connu, et lui fit un discours sur la justice que l'on faisait des rebelles en Angleterre. (L'ESTOILE, t. II, p. 329. Coll. Michaud.) Sans doute Élisabeth, toujours renseignée, était au courant des menées de Biron, et voulait lui donner un bon avertissement.

[22] Henri IV lui fit remise de la confiscation de ses biens, prononcée parle tribunal ; ils revinrent à la famille et le condamné put tester en faveur d'un bâtard et de sa mère. (LA BARRE-DUPARCQ, op. cit., p. 169.)

[23] M. de Ruvigny, qui commandait encore au château de la Bastille en 1606.

[24] Prégent de La Fin, neveu de Jacques de La Fin, qui se trouvait parmi les accusés. (F. COMBES, Lectures à la Sorbonne, t. I, p. 4.)

[25] Voisin, greffier, lui ayant prononcé son arrêt, dit une autre relation de l'époque, on lui donna Me Garnier, docteur en théologie, prédicateur ordinaire du roi, et Me Meyna, aussi docteur et curé de Saint-Nicolas-des-Champs, pour le conseiller et confesser. Il pria qu'on ne le liât point, ce qui fut accordé. Il alla volontairement au supplice, conduit seulement par six huissiers de la cour et le greffier ; et étant au pied de l'échafaud, il se mit à genoux sur le premier degré, où il fit sa prière. Ensuite, il monta sur l'échafaud, où il se dépouilla lui-même de son pourpoint ; et en l'ôtant par-dessus sa tête, il fit tomber son chapeau, lequel ne lui avait pas été ôté. Il se banda lui-même, sans vouloir permettre que le bourreau le touchât, et le bandeau Lui servit en même temps à retrousser ses cheveux par derrière, ne voulant pas que le bourreau les coupât ; et s'étant ensuite mis à genoux, il eut la tête tranchée dans le moment. (Extrait des registres de l'Hôtel de Ville, Bulletin de la Société de l'Histoire de France, 1834, p. 36.) Le bourreau le frappa d'un coup si terrible que la tête vola jusqu'au milieu de la cour. (Bibl. nat. Mss 23369.)

[26] Cf. L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 335-336. — Le chroniqueur ajoute des détails assez curieux sur la personnalité de Biron. Il était, dit-il, de moyenne taille, noir de visage, assez gras et avec les yeux enfoncés, ce qui lui donnait un mauvais regard ; au reste grand guerrier, hasardeux jusqu'au bout, cupide de vaine gloire, ambitieux démesurément, fier et hautain, avec une superbe intolérable. Quant à la religion, si peu chrétien, qu'il se fiait plus au diable qu'à Dieu. Sa mort causa une impression immense, et de fait, c'était le premier coup de force d'Henri IV. Chacun en discourut selon sa passion, et plusieurs bons catholiques espagnols allaient tous les jours à Saint-Paul donner de l'eau bénite au corps du maréchal et lui faisaient dire force messes. Il y eut aussi nombre de pièces de vers selon la mode du temps, et Biron eut même les honneurs de la chanson populaire. (Cf. la Chanson bretonne, publiée dans le Bulletin de la Langue, etc., 1854, p. 245.)

[27] Le mercredi 2 octobre, le comte d'Auvergne fut tiré de la Bastille et mis en liberté, le roi lui ayant donné l'honneur et la vie après un avertissement de l'état misérable auquel il s'était précipité, de la lourde faute qu'il avait perpétrée et une exhortation de prendre garde à soi pour l'avenir. Sur laquelle délivrance, qui ne plaisait pas à beaucoup, fut publié à Paris et à la Cour, le sixain suivant :

Ô grand Dieu, quelle iniquité

Deux prisonniers ont mérité

La peine du même supplice :

L'un qui a toujours combattu

Meurt redouté (pour) sa vertu.

L'autre vit par l'amour du vice.

(L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 339.)

[28] Le comte d'Auvergne avait épousé Charlotte de Montmorency ; il en eut Louis-Emmanuel, duc d'Angoulême, comte d'Alet, qui mourut en 1653. (MORÉRI.)

[29] Rien ne prouvait expressément la complicité d'Henriette, — au moins d'après les pièces produites au procès, — mais nous savons qu'en 1605 encore elle fut interrogée sur un portrait de Biron qui avait été saisi dans ses coffres, à Verneuil. Ce portrait, en cire ou ivoire, avait été exécuté par Jean Pol, peintre et sculpteur en ronde-bosse, qui l'avait même orné d'une écharpe de couleur isabelle. Le même artiste avait fait des portraits du roi et de la fille de la marquise de Verneuil. (Bibl. nat. Mss p. 4156. f ° 217-219.)

[30] La Fin, qui avait vendu les conspirateurs, toucha quelque temps après le salaire de sa bonne action. Il fut tué sur le pont Notre-Dame. (Cf. plus loin, chapitre X de cette première partie.)