LA MARQUISE DE VERNEUIL ET LA MORT D'HENRI IV

PREMIÈRE PARTIE. — LES DERNIÈRES AMOURS DU VERT-GALANT

 

CHAPITRE V.

 

 

L'union italienne. — Portrait de Marie de Médicis. — Henri IV en ménage. — La marquise de Verneuil s'introduit à la Cour. — Elle fait le mariage de Concini. — Son accommodement avec la reine.

 

Lorsque le roi se décida à demander Marie de Médicis, on lui avait déjà, nombre de fois, fait des remontrances pour qu'il lui plût se marier à quelque princesse digne de la moitié de son lit, afin de donner à la France un légitime successeur à sa couronne. On voulait en somme le remettre en ménage, sitôt son divorce avec Marguerite de Valois, dont il était séparé depuis de longues années ; qui ne lui avait pas donné d'enfant, et d'ailleurs était aussi bien suspecte aux autres qu'à lui-même. Il est certain, d'ailleurs, qu'avec ses perpétuels caprices, ses complaisances pour toutes les maîtresses que lui procurait le hasard, l'influence que, malgré lui, elles se trouvaient prendre sur les affaires, il devait assommer son entourage, si l'on excepte le petit nombre de ceux qui étaient toujours prêts à pêcher en eau trouble et faisaient leur fortune en exploitant son principal travers. Pour le bien du pays, pour son repos, pour assurer la succession, il fallait le remarier. — Dès 1591, des négociations avaient été commencées avec Florence et l'union projetée devait être surtout une affaire, car Henri IV avait de nombreux embarras d'argent ; il devait à Dieu et au diable, et beaucoup encore au duc de Toscane[1]. Le projet, tout d'abord écarté, fut repris après la mort de Gabrielle d'Estrées, et une lettre écrite par le roi (31 mai 1599), où il remercie le grand-duc de la bonne volonté qu'il témoigne, en dit long sur le caractère de cet arrangement[2]. Le mariage de Florence fut en somme l'œuvre de ses conseillers, de Sully, et, on peut bien le dire, non des meilleures. Mais le roi s'apprêtait à jouer tout le monde, Marie de Médicis qu'il épousait, comme Henriette d'Entragues, à laquelle il avait tout promis sans aucune intention de tenir, et s'il finit par être quinaud dans la comédie, il pouvait toujours se dire qu'il n'avait rien à se reprocher.

On avait expédié Nicolas Brulart de Sillery, alors dans la péninsule, pour obtenir du Pape son consentement au divorce du roi, toujours resté devant l'Église l'époux d'une fille de Catherine de Médicis. Le divorce, on l'a vu, devait d'abord être prononcé pour l'avantage de Gabrielle ; mais les ministres le poussèrent surtout après sa mort. Sillery fut chargé de demander la main de Marie de Médicis, et continua ses négociations auprès du Pape en remplaçant le nom de la duchesse de Beaufort par celui de la nouvelle postulante. L'affaire, du reste, fut. vivement menée ; le Pape accorda la séparation et la reine Marguerite envoya son consentement presque de suite. Le roi se trouva ainsi remarié lorsqu'il y pensait le moins[3], et n'osa désavouer ses mandataires[4]. La dot fut fixée à six cent mille écus[5], et le contrat signé le 25 avril 1600. Henri IV avait envoyé au grand-duc Ferdinand une procuration pour épouser la reine sa nièce, et ce fut Bellegarde qui fut chargé de la remettre, circonstance qui ne fut sans doute pas étrangère au ressentiment que lui porta Henriette[6]. Le 5 octobre, la cérémonie religieuse avait été faite par le cardinal Aldobrandini, et il y avait eu à la cour de Florence des fêtes, bals, carrousels, courses de bague, comédies, dont l'une même, a-t-on dit, coûta soixante mille écus. Le 19 octobre, la reine gagnait Livourne et s'embarquait sur la galère du grand-duc, une des plus belles et des plus riches qui aient encore paru sur la mer, disent les écrits du temps. La poupe était marquetée d'ivoire, d'ébène, de nacre et de lapis-lazuli ; à l'intérieur, enrichi de pierres précieuses, une tenture, de drap d'or était rehaussée par un semis de fleurs de lis en diamants ; au-dessus du fauteuil sculpté de la nouvelle reine, on pouvait voir sur un panneau les armes des Médicis : cinq tourteaux de gueules, figurés par cinq gros rubis, et le tourteau d'azur ajouté à leur blason par Louis XI, que représentait un énorme saphir, le tout estimé deux cent dix mille livres[7]. Dix galères du Pape, cinq de Malte et six du grand-duc escortaient celle de Marie de Médicis. Le 30 octobre elle était à Toulon et le 3 novembre à Marseille où elle fut reçue par le chancelier de Bellièvre, le connétable de Montmorency, les ducs de Nemours, de Ventadour, de Guise, les cardinaux de Joyeuse, de Gondy, de Givry et de Sourdis, nombre de princesses et de grandes dames. Elle était accompagnée de la grande-duchesse de Florence, sa tante, et de la grande-duchesse de Mantoue, sa sœur. — On avait dressé une galerie depuis le port jusqu'au palais où elle devait loger. En sortant de sa galère, elle monta sur cette galerie, où M. le chancelier l'attendait, et lui dit les ordres qu'il avait du roi. Les consuls de la ville, accompagnés de la bourgeoisie, lui présentèrent à genoux deux clefs d'or de la place, enchaînées du même métal ; puis elle fut conduite sous un dais fort riche au palais, ayant autour d'elle les cardinaux et plusieurs évêques. Le samedi 4 novembre, le chancelier, les membres du conseil, les maîtres des requêtes et les premiers officiers de la chancellerie se rendirent à la grande salle de son logis avec les membres du Parlement de Provence pour la saluer. Le dimanche, les principales dames de la ville eurent l'honneur d'entrer dans sa chambre à son lever, et d'assister à sa messe, qui fut célébrée dans une chapelle préparée près de la grande salle royale. Le jeudi 16, la reine se mit en route avec un cortège de deux mille chevaux, gagna Aix et le dimanche fit son entrée à Avignon. Le 2 décembre, enfin, elle arrivait à Lyon[8]. — Mais le roi était absent. Peu empressé, malgré le ton caressant de ses missives, retenu peut-être par Henriette dont la malice avait là une belle occasion de s'exercer, il n'arriva que le 9, sur les huit heures du soir[9]. La reine était à son souper et Henri IV la voulant voir et considérer sans être reconnu, entra dans la salle, qui était pleine tant de gentilshommes servants, que de plusieurs autres. On l'aperçut toutefois et il se retira aussitôt. A onze heures seulement il alla frapper à la porte de sa femme. Il n'avait pas voulu qu'on annonçât sa visite et malgré le froid très vif, il dut attendre une heure et demie au dehors[10]. Il était en habit de guerre et assez négligé, comme de coutume. La reine allait se mettre au lit, déjà toute déshabillée. Elle se jeta à ses genoux, mais il la releva, s'excusant d'avoir tardé si fort, et l'embrassant lui dit : J'entends que vous me prêtiez la moitié de votre lit, car je n'ai pas apporté le mien. Le mariage fut ainsi consommé, au débotté, — on pourrait presque dire entre deux portes[11]. Des fêtes furent encore données à Lyon ; on fit de nouvelles cérémonies religieuses, où le cardinal Aldobrandini officia derechef. Mais quand même, pour Henri IV, son alliance avec la Florentine était une déception. Marie de Médicis, il est vrai, n'avait rien qui pût le retenir, ni comme caractère, ni comme femme. Elle n'apportait ni cœur, ni esprit, ni beauté, mais une des plus fortes dots de l'époque. C'était une grande et grosse fille, fort blanche, mais qui, sauf de beaux bras, une belle gorge, n'offrait rien que de vulgaire[12]. Elle avait une taille épaisse, la figure lourde, des yeux ronds et inexpressifs[13], des manières rudes, peu de caresses, un caractère opiniâtre et même acariâtre ; elle était commune et jalouse ; ce n'est pas une femme, c'était une commère, pourrait-on dire, et le roi pouvait la comparer, peu à son avantage, avec la sémillante Henriette, si vive, enjouée, alerte et fine, qui avait ses défauts, sans doute, et restait à peu près une aventurière, mais valait comme femme, et surtout comme amoureuse, dix fois au moins l'épouse légitime. Marie de Médicis[14] n'était que la raison d'État, rébarbative même quand elle voulait être aimable ; l'autre était le caprice, la joie de la jeunesse avec son corps svelte, élastique, nerveux ; c'était la passion sans frein et sans retenue, l'amour avec tous ses emportements et ses folies. Le monarque s'était résigné, — avait fait, comme disent les bonnes gens, contre fortune bon cœur, — mais si disposé qu'il fût à s'illusionner, devait regretter ses billets amoureux, car il n'éprouvait aucun enthousiasme. On sait son mot de déception lorsqu'il put contempler sa femme : Je suis joué, fit-il ; elle n'est pas belle ! On lui avait montré en effet un portrait fait à vingt ans, — lorsqu'elle en avait vingt-sept ! — et c'était ce ballot, cette grosse bourgeoise que montre une admirable peinture de Versailles[15], tout en appas débordants, déjà bedonnante et lourde. Après avoir si bien dupé les autres, le Gascon ainsi s'était dupé lui-même. Marie de Médicis, beauté massive, ne faisait du reste aucune dépense d'esprit, — qu'elle n'avait point, — aucun effort pour lui plaire. Elle était froide, ou du moins Henri IV ne lui convenait qu'à moitié, — demeuré un ancien relaps dans ses idées d'Italienne. Elle avait de plus l'odorat assez fin et s'effaroucha de suite des odeurs sui generis qu'il apportait, odeurs en somme désagréables et que toute la science des parfumeurs n'arrivait pas à masquer[16]. Mais de fait, deux natures furent rarement plus antipathiques, et l'on put dire de la reine, avec assez de justesse, qu'elle n'avait épousé que la situation.

Le ménage était resté à Lyon pour terminer avec la Savoie. La paix conclue, Henri IV se hâta de reprendre la route de Paris pour rejoindre la marquise de Verneuil, qui avait la partie belle désormais, et dont les mines effrontées, les allures gracieuses, même le bagout, la langue acerbe et le caractère pointu lui paraissaient un soulagement. La reine en titre ne devait être qu'un devoir, disons-le mot, une corvée. Il demeura une semaine avec Henriette, et le temps, somme toute, dut être bien employé, car elle se trouva de nouveau enceinte[17]. — Marie de Médicis s'était mise enfin en route avec toute sa cour (22 janvier 1601) et prit son temps. Elle passa par Roanne, Briare, Montargis et se dirigea vers Fontainebleau. Le roi, toujours galant, revint en hâte pour la recevoir et ils séjournèrent cinq ou six jours au château avant de gagner Paris. Marie de Médicis y fit son entrée le 9 février, ayant dans sa litière le jeune César de Vendôme, un des fils de Gabrielle d'Estrées[18], comme si elle avait voulu marquer par là qu'elle prenait sa succession. Tandis qu'on préparait les appartements du Louvre, elle descendit à l'hôtel de Gondi[19], puis se transporta chez Zamet, où elle occupa l'appartement de Mme de Liancourt[20]. Henri IV n'avait aucun scrupule à mettre au même rang sa femme et ses maîtresses. La reine alla enfin un soir au Louvre, — à l'impromptu, devrait-on dire, — sans cérémonie et presque dans l'obscurité, les travaux n'étant pas achevés. Mais ce fut un bien autre étonnement et presque un scandale lorsque le roi pria la duchesse de Nemours, désignée pour être surintendante de la maison de sa femme, d'aller chercher Mme de Verneuil et de la lui présenter. — La duchesse d'Angoulême, Diane de France, à laquelle il s'était adressé d'abord, s'était récusée, prise de honte au dernier moment et avait feint d'être malade. Le Béarnais, nous le savons, n'avait guère de tact si l'intelligence ne lui faisait pas faute, et ne vit nullement ce que cette entrevue pouvait avoir de déplacé. On a soutenu du reste qu'Henriette, avec son effronterie habituelle et bien heureuse d'avoir un prétexte pour contempler à loisir sa rivale, pouvait l'avoir sollicitée de son amant ; durant les quelques jours qu'elle l'avait retenu à Verneuil, elle lui en aurait arraché la promesse. La duchesse de Nemours avait des obligations au roi depuis l'algarade de Joinville et n'osa refuser ; suffoquée d'une telle commission, elle se défendit inutilement. Henri IV lui commanda rudement d'exécuter ses ordres, et elle dut obéir. Mais l'entrevue d'abord fut bientôt froide. Le roi avait prié sa femme de faire bonne figure à la favorite en disant tout net : C'est ma maîtresse ! Je veux qu'elle soit attachée à votre service. Et lorsque Mme de Verneuil, inclinée devant la souveraine, impassible et muette, prit sa robe aux genoux pour la baiser selon l'usage, Henri IV, jugeant qu'elle n'y mettait pas assez de condescendance, lui saisit brusquement la main et la tira presque jusqu'à terre. De la sorte, Henriette souleva le bas de la robe qu'elle porta ensuite à ses lèvres[21]. Mais Marie de Médicis, mécontente somme toute de l'aventure, se montrait pincée[22]. Elle se reprit vite, toutefois ; elle reçut d'un air tranquille les hommages de la marquise et finit même par la traiter sans aucune apparence de froideur. Henriette, aussi bien, avait affecté de ne rien voir de la gêne du premier moment ; elle jasa, caqueta et se montra même si familière et confiante que la conversation s'engagea. Le roi, satisfait, la fit asseoir à sa table avec la reine et toutes les princesses, tant qu'il fut pour ainsi dire notoire que la situation était acceptée[23]. — La reine à ce moment désirait avoir comme dame d'atours une des Italiennes qui l'avaient suivie en France en même temps que ses sigisbées : Virginio Orsini, son cousin Orlando Orsini et Concini, que les mauvaises langues appelaient l'un le passé, l'autre le présent et le troisième l'avenir ; c'était sa sœur de lait Léonora ou Dianora Dosi, qui prit ensuite le nom de Galigaï, — étrange créature, petite, pâle, maigre, âme de feu dans un corps débile, d'ailleurs de naissance obscure, — fille d'un menuisier de Florence et la femme la plus laide du monde, dit Moréri[24], mais avec laquelle la reine avait été élevée et dont elle ne pouvait se passer. Elle avait accompagné Marie de Médicis en France, et à Lyon le roi lui avait d'abord fait bon accueil. L'ambassadeur Belisario Vinta avait demandé ensuite que le titre de dame d'atours lui fût donné ; mais Henri IV, auquel on avait rapporté son intrigue qui commençait alors avec Concini, avait déclaré que la charge appartenait à la vicomtesse de l'Isle, fille de M. de La Roche, premier écuyer de la reine, et qu'il ne pouvait en laisser à la petite Italienne que les fonctions. Il avait voulu savoir encore si elle était noble et l'on ne put que lui répondre qu'elle était cittadina. L'intrigue avec Concini, de bonne prestance, de beaucoup d'esprit, aimable et.de manières obligeantes, mais qu'elle entretenait avec plus de générosité que de modestie, comme il s'en était bientôt aperçu, lui portait surtout de l'ombrage, et il lui fit dire par Zamet qu'elle eût à cesser ; si elle voulait rester en France, d'ailleurs, elle devait épouser un Français. On a rapporté enfin qu'il avait prié sa femme de renvoyer Léonora à Florence, et que la venant prendre à Nemours pour la conduire à Fontainebleau, courant à soixante chevaux de poste après avoir quitté Mme de Verneuil, il s'était montré fâché de voir qu'elle n'avait tenu aucun compte de sa recommandation[25]. De fait, il n'en voulait plus entendre parler, ni de Concini, — haine d'instinct, pourrait-on dire. La Galigaï, assistant à la présentation d'Henriette, jugea de suite de quel secours elle lui pouvait être, et en désespoir de cause, rebutée par son mari, — ce fut probablement une de leurs premières querelles, — Marie de Médicis accepta sur le conseil de cette femme de se servir du crédit de Mlle d'Entragues. Ce fut Léonora, intrigante et souple, qui négocia l'affaire, et promit même à Henriette de la mettre en tel crédit qu'elle voudrait avec la reine. Les conditions de suite acceptées, la marquise eut vite obtenu le consentement du roi : Je voulais la renvoyer à Florence, dit-il. Enfin, qu'il en soit selon votre bon plaisir.

Mme de Verneuil eut ainsi un bon prétexte pour s'immiscer dans les affaires du ménage royal, et Marie de Médicis lui fit à ce moment meilleur accueil. Quelques jours après, on alla à Monceaux (25 février) pour présenter la reine à Mme de Bar, la sœur du roi. Henriette, qui craignait encore une saute d'humeur de son amant, toujours mal en fonds du reste en songeant au mariage qui demeure l'éternelle marotte des femmes, profita de l'occasion pour représenter à Henri IV qu'un prince qu'elle ne voulait pas nommer[26] consentait à l'épouser s'il voulait la doter encore de cent mille écus. On discuta l'affaire dans le Conseil et Pomponne de Bellièvre fut d'avis de donner l'argent, tandis que Sully, toujours parcimonieux, opinait pour la négative. Sire, s'écria enfin Bellièvre, je crois que vous devez prendre deux cent mille écus, et les donner à cette demoiselle ; et trois cent mille et tout, si à moins ne se peut. Il pensait bien dire : pour vous en débarrasser. Mais le roi ne tenait nullement à se débarrasser de sa maîtresse ; elle-même était trop heureuse de la situation acquise, malgré ses grands airs et ses accès de colère, pour vouloir la troquer au hasard d'une union que nul sans doute ne lui proposait sérieusement. On ne sait, du reste, si elle eut les cent mille écus ; mais lassé d'aller si souvent à Verneuil, heureux aussi de la bonne intelligence — momentanée — qui régnait entre ses deux femmes, il n'eut rien de plus pressé que d'établir Mme de Verneuil au Louvre[27]. Henri IV, lorsque la passion le tenait, devenait l'inconscience même. — La jalousie de la reine, on peut bien le penser, ne tarda pas à éclater. Des complaisants comme il s'en trouve toujours l'instruisaient des propos tenus sur elle par la marquise, dont la malice, sans doute, avait bien de quoi s'exercer. L'ayant vue de près, heureuse de s'en gausser un brin, elle imitait ses manières, contrefaisait son accent italien, ne l'appelait que la grosse banquière de Florence. Peu adroite, aussi bien, Marie de Médicis ne sut pas reprendre sa place ; son caractère s'aigrit, ce qui n'arrangea pas les choses. Elle restait reine pour la forme, pour les cérémonies ; puis, la couronne déposée, rentrait boudeuse dans ses appartements, tandis que son mari allait se dédommager chez l'affriolante Henriette, à laquelle il faisait bien, du reste, de temps à autre quelques infidélités[28]. Mais il se trouva mieux, car les deux femmes se virent enceintes en même temps. Leur aigreur augmenta, et aussi l'embarras d'Henri IV, condamné à subir les récriminations de la reine, qu'il devait respecter, à cause de son rang au moins, et qui, fort mal embouchée de même que sa rivale, ne la désignait plus qu'en disant crûment : la putain du roi. — La cour dès lors se trouva divisée, chacun prenant parti pour l'une ou l'autre, les plus avisés jouant les deux personnages ; mais quand même un parti nombreux — en France on a toujours aimé se mettre de l'opposition — se trouva du côté de Mme de Verneuil, dont les espiègleries, l'esprit alerte plaisaient mieux que les jérémiades, les récriminations sempiternelles de l'épouse légitime.

Un service qu'Henriette rendit encore à Léonora amena pourtant un nouveau rapprochement. La Galigaï, tout en maintenant sa faveur près de la reine, ne négligeait pas de faire sa cour à la maîtresse. Nous l'avons vu, elle s'était éprise de Concini — qui devint ensuite le maréchal d'Ancre — durant le voyage de Florence et avait résolu de l'épouser. Concini, qui était d'une famille de diplomates, — son père, entre autres, avait été secrétaire du grand-duc, — descendait, croit-on, des comtes de la Penna et de Catinaia. C'était un cadet sans patrimoine, ayant, disent les potiniers de l'époque, mangé tout son bien au jeu, en garces et autres volupté ; et friponneries ; il était débauché au point qu'à Florence, les pères de famille défendaient sa fréquentation à leurs fils. Il avait servi à Rome de croupier au cardinal Charles de Lorraine[29], lui a-t-on surtout reproché ; mais ce ne sont là, en somme, que les assertions de ses ennemis, de ceux qui plus tard envièrent sa fortune sous la régence, et tout au plus, on veut bien nous dire qu'il était adroit à monter à cheval et à tous les exercices du corps. Il aimait les plaisirs et surtout le jeu[30], défaut qui était celui de bien d'autres, et s'était engagé pour suivre comme gentilhomme Marie de Médicis en France ; on a vu, d'autre part, qu'il était déjà compté parmi ses sigisbées[31]. Durant le voyage de la reine, il avait courtisé Léonora, qui n'était pas, nous l'avons indiqué plus haut, le laideron que veulent nous montrer certains auteurs de l'époque, et dont il espérait sans doute se servir pour arriver à la fortune. A leur passage à Avignon, toujours est-il, Concini étant tombé malade, elle avait passé des jours et des nuits à le soigner, malgré les commentaires et les méchancetés de l'entourage, puis une fois rétabli l'avait introduit dans les appartements de la reine ; elle lui prodiguait l'argent, les bijoux qu'elle tenait de sa maîtresse, si bien qu'Henri IV, mécontent de ces familiarités excessives, avait interdit les visites du galant[32]. Mais Léonora le reçut ailleurs[33]. Marie de Médicis pressait son mari de consentir à les marier, et, de guerre lasse, il avait non seulement acquiescé, mais promis une dot de 4 ou 5.000 écus, à condition pourtant que les nouveaux époux retourneraient de suite à Florence. La reine ne voulant pas se séparer de sa favorite, la Galigaï pensa en fin de compte utiliser de nouveau les services d'Henriette, — toujours heureuse de montrer son pouvoir. La marquise de Verneuil accueillit Concini, — d'ailleurs pour obliger Léonora qui pouvait mettre un frein aux diatribes de la reine, très montée contre elle, et dont les plaintes, en somme justifiées, pouvaient bien un jour être accueillies par son amant ; il fut assidu chez elle, se montra aimable et persuasif, et si l'on ne nous dit pas jusqu'où leurs relations furent poussées, il est certain qu'il la supplia de parler au roi en faveur de son mariage, en supprimant la clause qui devait, avec sa femme, l'exiler de France. Il lui montra qu'en somme ils étaient liés d'intérêt et devaient associer leurs influences. — Henriette ne se rendit pas d'abord à ce raisonnement, car elle connaissait les sentiments du roi à l'égard du galant Italien ; mais Léonora ayant promis que la reine elle-même lui en parlerait, elle se décida. Le consentement d'Henri IV, en somme, n'était rien à obtenir pour elle, et ce fut vite fait d'une cajolerie. Le Béarnais, même, selon B. Giovannini, poussa la complaisance jusqu'à s'excuser auprès de Concini de lui avoir tenu rigueur. Il ne le connaissait pas et on lui en avait dit beaucoup de mal ; mais maintenant qu'il était détrompé, il voulait qu'il suivît toujours sa personne, et il assura la reine qu'il lui donnerait prochainement le titre de gentilhomme de la chambre [34]. Les fiançailles eurent bien[35] et le mariage fut célébré presque de suite (12 juillet) à Saint-Germain-en-Laye. La reine avait promis au contrat bailler et donner la somme de 23.333 écus un tiers, évalués en livres tournois, suivant l'ordonnance, à 70.000 livres[36]. C'était un beau denier ; mais Marie de Médicis, outre cela, fut si reconnaissante à la marquise de Verneuil, qu'elle la traita, dit-on, mieux que toute autre. Elle faisait prendre de ses nouvelles tous les jours, et chaque fois qu'elle recevait des présents, à l'occasion de ses couches prochaines, elle lui en faisait part. Le roi fut heureux de voir ce rapprochement et dès lors accorda tout ce qu'on voulut. Le 27 septembre 1601, elle mit au monde l'enfant qui devait être Louis XIII. — Le roi, sous prétexte de se rapprocher de la frontière de Picardie qui craignait encore un coup de main des Espagnols, était passé à Verneuil[37], où Henriette revenue de Fontainebleau allait à son tour faire ses couches. Le 27 octobre, enfin, elle donnait aussi le jour à un garçon[38] Henri IV était fidèle un mois. — Mais avec la naissance de l'enfant elle sentit se raviver ses espérances anciennes :

— La Florentine tient son fils, dit-elle ; mais moi je tiens le dauphin !... Le roi est mon mari, car j'ai toujours sa promesse !

 

 

 



[1] Il lui devait, paraît-il, 100.000 écus, empruntés pour la guerre contre l'Espagne ; un million de ducats d'or du soleil, selon d'autres textes.

[2] Un chanoine appelé Baccio Giovanni avait été expédié de Florence à Paris, sous prétexte de régler les anciennes dettes du roi, mais en réalité pour hâter son mariage. Au cours des négociations, il reçut d'Italie quelques caisses de menus objets pour distribuer à la Cour : cinquante paires de gants parfumés et des comestibles, fromages de Mars, salaisons variées, confitures de Gênes, conserves de pêches et douze boites de cotignac de Portugal. On porta le tout à Vincennes pour le présenter au roi le vendredi saint. Il regarda, goûta la mangeaille, et réserva presque tout pour lui. Mais Rosny eut un don plus sérieux : 10.000 écus pour avoir traité favorablement la question de la dot. (L. JARRY, op. cit.)

[3] Le 23 mai il avait accrédité auprès du duc de Toscane Frontenac, son ancien et confident serviteur, pour hâter la conclusion du mariage.

[4] Nous venons de vous marier, sire, lui avait dit Sully. Sur quoi il fut un demi-quart d'heure rêvant, se grattant la tête et curant les ongles sans rien répondre ; puis soudain, il dit en frappant d'une main sur l'autre : Eh bien ! de par Dieu, soit ; il n'y a remède puisque pour le bien de mon royaume et de mes peuples, vous dites qu'il faut être marié. Mais c'est une condition que j'appréhende bien fort, etc. (Œconomies royales, t. I, p. 325-326.) Ce que le roi regrettait le plus, en somme, c'était sa vie de garçon.

[5] Le roi avait d'abord demandé 1.500.000 écus.

[6] Henri IV, qui se croyait tenu d'être aimable, avait de suite entretenu une véritable correspondance d'amoureux avec Marie de Médicis ; il écrivait le 24 mai en envoyant Frontenac vers elle : Il vous découvrira mon cœur et que vous trouverez non moins accompagné d'une passionnée volonté de vous chérir et aimer toute ma vie comme maîtresse de mes affections, mais de ployer dorénavant sous le joug de vos commandements, celui de mon obéissance comme dame de mes volontés, ce que j'espère de pouvoir vous témoigner un jour, et vous confirmer en personne le gage qu'il vous porte de ma foi, etc. Le 11 juillet, toujours enthousiaste, il écrit encore : Frontenac vous a tellement dépeinte que je ne vous aime pas seulement comme un mari doit aimer une femme, mais comme un serviteur passionné une maîtresse. C'est le titre que je vous donnerai jusqu'à Marseille où vous le changerez en un plus honorable. Je ne laisserai plus passer d'occasion de vous écrire et vous assurer que mon plus violent désir est de vous voir et avoir près de moi. Croyez-le, ma maîtresse, et que chaque mois me durera un siècle. J'ai reçu ce matin de vous une lettre en français ; si vous l'avez faite sans aide, vous y êtes déjà grande maîtresse. Le 24 du même mois, il commence à lui écrire librement, la priant de faire de même. Il lui envoie des poupines, ajustées et vêtues à la française, et lui promet un très bon tailleur. Il lui demande une faveur (un ruban) et ajoute : J'ai pris les eaux de Pougues, de quoi je me suis bien trouvé ; comme vous désirez la conservation de ma santé, j'en fais ainsi de vous et vous recommande la vôtre, afin qu'à votre arrivée nous puissions faire un bel enfant qui fasse rire nos amis et pleurer nos ennemis. Le 23 août, il écrit encore à sa belle maîtresse pour accréditer auprès d'elle M. de Bellegarde : Ma belle maîtresse, j'envoie mon grand écuyer vers vous, avec toutes les procurations nécessaires pour achever notre mariage. Il a d'autant plus désiré ce voyage pour avoir connu n'en pouvoir jamais faire qui me pût être si agréable, ni plus utile pour le bien du royaume. Il la pressait enfin d'accourir et le 24 août la remerciait d'un présent ; il annonçait le départ de M. d'Elbeuf, accompagnant le grand écuyer comme truchement et de nouveau assurait la reine de son affection : Hâtez-vous de venir pour en voir les effets. Le 3 septembre, nouvelle lettre : Hâtez votre voyage le plus que vous pourrez. S'il était bien séant de dire qu'on est amoureux de sa femme, je vous dirais que je le suis extrêmement de vous. Mais j'aime mieux vous le témoigner en lieu où il n'y aura témoins que vous et moi. Bonjour, ma maîtresse, je finis baisant cent mille fois vos belles mains. Le 16 septembre, il remercie sa future d'un beau cheval et sur la fin du mois il se décide à l'appeler sa femme en lui recommandant sa future dame d'honneur, Mme de Guercheville. — C'était le moment où il s'occupait de réduire le duc de Savoie, et à peu près aussi celui où il faisait venir Mme de Verneuil. Il lui semblait naturel de mener les deux intrigues de front. Le 22 octobre, il écrivait encore à Marie de Médicis deux lettres pour se plaindre du retard que le duc de Savoie, qui s'avisait de secourir Montmélian, apportait à l'accomplissement de ses désirs, et la correspondance continue, avec des phases alternatives de galanterie et de sécheresse ; le roi semblait aussi pressé d'en finir avec sa femme qu'avec le duc de Savoie et lui faisait des recommandations plus prévoyantes que chevaleresques : Tenez-vous saine et gaillarde, et assurée que je vous aime extrêmement (27 novembre).

[7] En arrivant sur nos côtes, la reine trouva la galère royale qui venait au-devant d'elle et attirait les yeux d'un chacun, car la mer n'en avait porté de longtemps une plus riche ni plus superbe. (Histoire des derniers troubles de France, liv. V, 1606.) La galère qui venait de conduire la reine comptait trente bancs et portait une poupe fort riche à l'intérieur. (Remarques du maréchal de Bassompierre sur les Histoires d'Henri IV et de Louis XIII, de DUPLEIX, Paris, 1665.)

[8] L'ESTOILE, t. II, p. 322, 323. — Le même jour, le roi lui écrivait : Jeudi je partirai et serai samedi près de vous. J'ai eu deux accès de fièvre ; votre vue me guérira. (Lettres-Missives, t. V, p. 362.)

[9] Le 13 décembre, selon d'autres versions. (Cf. PALMA-CAYET, Chronologie septenaire, liv. III.)

[10] D'après des récits différents, Marie de Médicis à son souper fut avertie au mouvement des assistants de l'entrée du roi. Elle se leva de table presque aussitôt et rentra dans ses appartements, où il la suivit. Une demi-heure après, il se retira pour souper, et ce fut la duchesse de Nemours qui vint avertir la reine en disant : Madame, le roi est sans lit ; il prie Votre Majesté de lui faire part du sien. (H. DE LA FERRIÈRE, Henri IV.)

[11] Cf. Lettre écrite de Lyon sur la consommation du mariage du roi. (Mss Fontanieu, 446-447, p. 78.)

[12] MICHELET, Histoire, t. XIII.

[13] Il faut dire cependant qu'une médaille de Dupré (Bibl. nat.) lui donne un assez joli profil. Mais il n'y a peut-être là que le talent du graveur.

[14] Marie de Médicis avait les yeux gros, le visage plein et arrondi des femmes de sa race, et plutôt l'aspect d'une plantureuse bourgeoise que d'une reine. Elle était fière de ses beaux bras, de sa belle gorge qu'elle se plaisait à laisser admirer. C'est une beauté brune claire, écrivait la duchesse de Bouillon, la bouche un peu grosse, l'œil noir, le front grand, fort embonpoint. C'est une grande douceur au visage. Il n'y a rien qui approche de la défunte Gabrielle d'Estrées. (MARCHEGAY, Lettres de la duchesse de Bouillon. Paris, 1875. Lettre du 19 octobre.)

[15] Attique du Nord, deuxième salle, portrait non catalogué placé au centre, en face des fenêtres, entre les n° 3329 et 3357. Avec Henri IV les beaux portraits aux crayons de couleur deviennent rares ; presque tous ceux qui ont été gravés de la belle Gabrielle sont ridicules et parmi les peintures le très beau portrait de Marie de Médicis, à Versailles, est une heureuse exception. On pourrait presque dire qu'il faudra attendre Mignard, les pastels de La Tour pour retrouver des effigies intéressantes.

[16] Quand Marie de Médicis coucha avec lui pour la première fois, dit Tallemant des Réaux, elle ne laissa pas d'être terriblement parfumée, quelque bien garnie qu'elle fût d'essence de son pays. Il puait tellement que la reine se trouva mal, lit-on ailleurs. (Historiettes, t. I.)

[17] Le 20 janvier le roi était à Paris ; le 28 à Verneuil.

[18] Au 27 janvier, la lune de miel, semble-t-il, durait encore et la reine ne trouvait pas étonnante cette recommandation : Baisez mon fils de Vendôme de ma part. Ensuite elle eut des distractions, car le 13 mars il lui dit : Vous avez oublié de m'écrire en italien et de m'appeler votre cœur.

[19] Dans la rue Saint-Honoré, croit-on, et depuis l'hôtel de Vendôme. Henri IV y avait souvent dîné, et Albert de Gondi, duc de Retz, qui avait été un des instigateurs de la Saint-Barthélemy, y vivait encore. Il ne mourut que l'année suivante âgé de quatre-vingts ans, atteint d'une étrange et cruelle maladie, — un chancre qui le consuma et rongea misérablement avec de grandes et extrêmes douleurs. L'hôtel passa à Pierre de Gondi, évêque de Paris, et enfin à la vicomtesse de Martigues, veuve du duc de Mercœur, qui en donna une partie pour établir les filles de la Passion ou Capucines. (Cf. R. HÉNARD, la Rue Saint-Honoré, 1908, p. 221-222.) C'est là que fut d'abord enfermé Ravaillac après l'assassinat de la rue de la Ferronnerie. Un autre hôtel de Gondi — où habitait Jérôme de Gondi, parent de l'évêque, qui fut introducteur des ambassadeurs et chevalier d'honneur de la reine — est indiqué comme se trouvant sur la rive gauche, entre les portes Saint-Germain et Saint-Michel, ou plus exactement entre la première et la deuxième tour au-dessus de la porte Saint-Germain et montant vers la porte Saint-Michel. L'entrée de cet hôtel se trouvait rue de Condé ; les rues Monsieur-le-Prince et de Condé indiquent les limites de ses dépendances. Une note de M. A. DUFOUR (Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris, etc., t. VII, p. 244) indique que c'est dans cet hôtel que descendit Marie de Médicis et que c'est là qu'elle passa la première nuit de son séjour dans la capitale. (Cf. MORÉRI, v° Gondi.)

[20] Bibl. de l'Ecole des Chartes, série A, t. III, p. 148.

[21] Selon une autre version, le roi, lui appuyant la main sur la tête, la fit plier le genou jusqu'à terre. (Cf. Bibl. nat. Dép. des ambass. vénitiens, filza 42.)

[22] D'après Bassompierre, la reine eut l'air de ne se douter de rien ; mais Mlle de Guise et, d'après elle, Dreux du Radier, disent qu'elle reçut Mme de Verneuil assez froidement et ne pardonna jamais à la duchesse de Nemours d'avoir fait la présentation. C'est, il semble bien, la note juste si l'on veut bien se rappeler le caractère de la femme.

[23] Négociations diplomatiques avec la Toscane (t. V, p 458). L'ambassadeur qui rapporte le fait ajoute que tout Paris était curieux de savoir comment l'entrevue s'était passée et que les langues à ce propos se dérouillèrent.

[24] Elle n'avait que les yeux pour l'avantager, de grands yeux agités et fiévreux qui étaient admirables. Mais ce n'est là que la tradition ; le très beau portrait de François Quesnel (musée de Rennes) reproduit dans l'ouvrage posthume de Fernand HAYEM, le Maréchal d'Ancre et Léonora Galigaï (Paris, 1910), nous montre qu'il ne faut pas toujours s'en rapporter au témoignage des contemporains, surtout si l'on veut bien considérer que la tradition, établie par ceux qui devaient flatter les grands seigneurs de l'époque lesquels machinèrent le complot où furent odieusement sacrifiés Concini et sa femme, avait intérêt à montrer les deux Italiens qui en furent les victimes comme des personnages absolument indignes d'intérêt.

[25] Giovannini, le résident florentin, en rendant compte au grand-duc de la présentation de Mme de Verneuil, essaya de justifier le roi. On raconte à la Cour, dit-il, qu'il se conduit ainsi pour se dédommager de l'affront que la princesse (la reine) lui a fait en se refusant à mettre obstacle à la liaison de Léonora et de Concini. Mais Giovannini était fort mal avec la suivante, qui lui refusait la porte de Marie de Médicis et trouvait là un bon prétexte pour exhaler son mécontentement. (Cf. F. HAYEM, op. cit., p. 35-36.)

[26] On a vu plus haut qu'il s'agissait de M. de Nevers.

[27] Tallemant des Réaux dit seulement : à l'hôtel de la Force, près du Louvre, en quoi, ajoute-t-il, il n'y avait ni politique, ni bienséance.

[28] Le tableau de la Cour à ce moment est donné par une lettre du duc de Bouillon à la duchesse de la Trémouille que reproduit M. Léon MERLET, dans sa Correspondance de Louise de Coligny (p. 179, note) : Je n'ai pas vu grande cérémonie, n'ayant vu la reine assise, mais toute debout ; Mlle de Guise, près d'elle, qui travaillait à des bandes de canevas pour tapisserie. Le roi se promène par la chambre avec elle ; Mme de Verneuil y est venue une fois, laquelle fit rougir la reine aussitôt qu'elle la vit, et puis la vient entretenir. La dite marquise a fort souvent des piques avec le roi, qui voit souvent la Bourdaisière ; mais rien encore. Hier au soir, la dite marquise lui dit : Vous voulez aller à la guerre ce soir ! Vous êtes un vaillant homme qui ne faites rien, ne tuez ni ne blessez personne. Le soir, le roi demeure en la chambre de la reine une demi-heure, et puis s'en va à la ville, où La Varenne seul l'accompagne. Peu de femmes et moins que n'en voyait Madame (la duchesse de Bar). Mille brouilleries. La marquise de Guercheville est mal avec la maîtresse (Mme de Verneuil) ; la signora Galigaï avec le maître ; peu de serviteurs, dans cette maison, de qualité. La reine a une façon libre, n'ayant encore guère étudié à celle de reine, fort gaie ou fort triste, etc.

[29] Fils du duc Charles de Lorraine et de Claude de France, fille de Henri II. Il fut évêque de Metz et de Strasbourg et légat du Saint-Siège dans les duchés de Lorraine et de Bar et les Trois-Évêchés. Il mourut en 1607. On a prétendu qu'il avait chassé Concini pour avoir le mal de Naples. (Voyez l'ouvrage de Fernand Hayem et les auteurs qu'il cite.)

[30] Mémoires du marquis de Cœuvres, depuis maréchal d'Estrées. Collect. Michaud, 3e série, t. VI, p. 419.

[31] Lorsque le duc Jean de Médicis, oncle de la reine, se retira de la cour, il dit que son cœur ne pouvait porter de voir un valet préféré à lui par la reine, à laquelle il avait cet honneur de toucher de si près. (L'ESTOILE, t. II.)

[32] On sait le propos que lui attribue Tallemant, du reste selon la tradition : Si j'étais mort, cet homme-là ruinerait mon royaume.

[33] Bibl. nat. Dép. des ambass. vénitiens, filza 42.

[34] Dép. de Giovannini ; cf. B. ZELLER, Henri IV et Marie de Médicis, p. 102.

[35] Le mariage de la Galigaï et de Concini doit se faire bientôt, écrit Villeroy. La marquise le favorise de tout son crédit pour complaire à la reine qui en est fort contente. (Villeroy au Connétable, 22 juin).

[36] Revue des documents historiques, t. I, 1873.

[37] Mon cher cœur, lui écrivait le roi (6 octobre), j'arrivai hier, entre onze et douze heures, las et avec un extrême mal d'estomac. Ma femme se porte bien et mon fils, Dieu merci. Il est crû et rempli de moitié, en ces cinq jours que je ne l'avais vu. Pour moi, j'ai fort bien dormi et suis exempt de toute douleur, hors celle d'être absent de vous ; qui bien qu'elle me soit griève est modérée par l'espérance de vous revoir bientôt... Aimez toujours bien, votre menon, qui vous baise un million de fois les mains et la bouche. (Bibl. nat. Fonds Béthune. Mss 9128, f° 19. Orig. autog. Lettres-Missives, t. V, p. 484.) — Mes chères amours, une heure après que je vous ai écrit, La Forest est venu me parler de vos affaires, à quoi je pourvoirai demain... Je courrai le cerf et si j'apprends quelque chose, je vous le manderai. Cependant aimez-moi bien ; gardez-moi bien ce que vous avez dans le ventre... M. d'Entragues a vu mon fils, il le trouve fort beau (8 octobre). (Bibl. nat. Fonds Béthune. Mss 9128, f° 70. Orig. autog. Lettres-Missives, ibid.) D'autres lettres encore suivent, datées des 15, 19, 26, 27 et 30 octobre. Le 19, il lui écrit : Mon cher cœur, vous m'aviez tant promis d'être sage que vous ne pouvez douter que le style de votre autre lettre ne m'ait offensé. Je vous la porterai et vous jugerez que je n'en pouvais attribuer la cause au jubilé. Ça été la crainte que j'ai toujours eue de votre manque d'amour qui m'a rendu plus facile d'y rapporter vos promptitudes. Je vous l'ai dit souvent, non comme pointilleux, mais comme le craignant plus que la perte de ma vie. Rapportez donc cela à mon extrême passion... Je vous eusse envoyé M. de La Rivière, mais il a fallu qu'il demeure pour pourvoir à mon fils qui a tari sa nourrice, etc. (Bibl. nat. Fonds Béthune. Mss 9128, f° 27. Orig. autog. Lettres-Missives, ibid.) — Le 26 octobre il est évidemment question de Marie de Médicis dans ce billet : Je vous renvoie la lettre après l'avoir montrée. Elle en a ri et avec une grande modestie m'a dit : Il fait bon en France comme ailleurs ne se fier à guère de gens. a Nous avons été tout aujourd'hui à la chasse, etc. (Bibl. nat. Fonds Béthune. Mss 3639, f° 57, Orig. autog. Lettres-Missives, t. VIII, p. 811.)

[38] Le samedi 4 novembre, note d'autre part l'Estoile, le roi étant arrivé le jour de devant à Verneuil. Mme la marquise y accoucha d'un fils que le roi baise et mignarde fort, l'appelant son fils le disant plus beau que celui de la reine qui ressemblait aux Médicis, étant noir et gros comme eux ; de quoi on dit que la reine étant avertie pleura fort. Cependant si nous en croyons le récit de la sage-femme, Louise Bourgeois, dite Boursier (Récit véritable de la naissance de Messeigneurs et Dames les Enfans de France, in-8°, Paris, 1622), il se montrait aussi empressé auprès de la reine. C'était bien la duplicité coutumière du Gascon, qui restait toujours bon politique. — L'enfant de Mme de Verneuil fut appelé Henri pour rappeler son père et Gaston en souvenir de Gaston de Foix, l'illustre allié de la famille royale de Béarn. Des réjouissances furent organisées à l'occasion de ces doubles couches, et la reine donna un ballet dont Henriette fit partie, au grand plaisir du roi.