LA REINE MARGOT ET LA FIN DES VALOIS (1553-1615)

DEUXIÈME PARTIE. — LA REINE MARGOT REINE DE NAVARRE

 

CHAPITRE III.

 

 

Nouvelles intrigues de Cour. — Fosseuse. — Chamvallon. — Suite de l'affaire de Flandre. — Marguerite de Valois retourne à Paris.

 

Malgré quelques traverses et de petits incidents, Marguerite, en somme, n'avait pas à se plaindre jusqu'alors de son séjour en Gascogne, — félicité, dit-elle, qui me dura l'espace de quatre ou cinq ans. Elle décrit même avec complaisance la Cour de Nérac, si belle et si plaisante que nous n'envions point celle de France ; y ayant madame la princesse de Navarre, sœur du roi[1] et moi bon nombre de dames et filles ; et le roi mon mari étant suivi d'une belle troupe de seigneurs et gentilshommes aussi honnêtes gens que les plus galants que j'aie vus à là Cour ; et avait rien à regretter en eux sinon qu'ils étaient huguenots. Mais de cette diversité de religion, il ne s'en oyait point parler : le roi mon mari et madame la princesse sa sœur allant d'un côté au prêche, et mon train à la messe ; d'où comme je sortais, nous nous rassemblions en un très beau jardin qui a des allées de lauriers et de cyprès fort longues, ou dans le parc que j'avais fait faire, en des allées de trois mille pas qui sont au long de la rivière, — la Baïse — ; et le reste de la journée se passait en toutes sortes d'honnêtes plaisirs, le bal se tenant d'ordinaire l'après-dînée et le soir. — Les années qui suivirent devaient lui être moins agréables. Elle rapporte en premier lieu que la guerre de 1580 lui fut attribuée par Henri III ; elle l'aurait suscitée e pour donner à son frère l'honneur de faire la paix ; et toutefois, dit-elle, si la paix eût dépendu de moi, il l'eût eue avec moins de temps et de peine. — Le roi, bâtissant sur faux fondement une haine mortelle contre moi, et faisant revivre en sa mémoire la souvenance du passé — comme durant qu'il était en Pologne et depuis qu'il en était revenu, j'avais toujours embrassé les affaires et le contentement de mon frère plus que le sien[2], joignant tout cela ensemble, il jura ma ruine et celle de mon frère ; en quoi la fortune favorisa son animosité, faisant que durant les sept mois que mon frère fut en Gascogne[3], le malheur fut tel pour moi qu'il devint lui aussi amoureux de Fosseuse. Cela pensa convier le roi mon mari à me vouloir mal, estimant que je fisse de bons offices pour mon frère contre lui ; ce qu'ayant reconnu, je priai tant mon frère, lui remontrant la peine où il me mettait par cette recherche, que lui qui affectionnait plus mon contentement que le sien força sa passion et ne parla plus à elle. Ayant remédié de ce côté là, la fortune me dressa une autre embûche, faisant que Fosseuse, qui aimait extrêmement le roi mon mari, et qui toutefois jusques alors ne lui avait permis que les privautés que l'honnêteté peut permettre, pour lui ôter la jalousie qu'il avait de mon frère et lui faire connaître qu'elle n'aimait que lui s'abandonna tellement à le contenter en tout qu'elle devint grosse. Lors, se sentant en cet état, elle changea toute de façon de procéder avec moi ; et au lieu qu'elle avait accoutumé d'y être libre, elle commença à se cacher de moi, et à me rendre autant de mauvais offices qu'elle m'en avait fait de bons. — A cette époque, et comme à travers l'intrigue du roi de Navarre, se place l'aventure avec Chamvallon, qui ne nous est guère connue alors que par quelques mots de d'Aubigné. Harley de Chamvallon, grand écuyer du duc d'Anjou, l'avait suivi en Gascogne. Marguerite, au reste, l'avait connu en 1577, pendant le séjour de la Fère ; mais elle ne parait s'en être éprise qu'après la mort de Clermont d'Amboise. On l'appelait le beau Chamvallon, et d'Aubigné raconte que la reine fut surprise à Cadillac a en ses privautés avec lui. Elle crut que l'historien avait averti le roi de Navarre avec lequel il était si familier, et manigança contre lui. — Il était alors question d'une entente entre la France et le Portugal dont le dernier roi venait de mourir et que menaçait Philippe II. Catherine, descendante par sa mère de Robert, comte de Boulogne, dépossédé en 1204 de la couronne de Portugal, et, revenant sur une prescription de plus de trois cents ans, parlait de s'unir avec l'Angleterre pour revendiquer ses droits. Le connétable don Antonio, comte de Vimiosa, était venu solliciter à la fois le secours des huguenots et du duc d'Anjou, et des conférences curent lieu à ce sujet à Coutras, puis à Cadillac même. Marguerite pria d'Aubigné de lui donner conseil pour se résoudre à engager l'un ou l'autre des princes à épouser la querelle des Portugais ; mais il dit qu'il éventa le piège et qu'il sentit que, se décidant pour Monsieur, il se brouillait avec le roi de Navarre, et, en choisissant le roi, il le mettait au plus mal avec la Cour de France. Il répondit donc à la reine qu'elle aurait un meilleur avis de ses conseillers ordinaires. — Cette anecdote de peu d'importance montre au moins l'inimitié qui existait entre Marguerite de Valois et l'auteur des Tragiques, et peut expliquer ses pamphlets et le ton acerbe dont il en parle dans son Histoire. Pour Chamvallon, elle éprouva pour lui une passion violente, et quand ils furent séparés, lui écrivit des lettres d'une tendresse excessive : L'absence, la contrainte, lui disait-elle, donnent, à mon amour autant d'accroissement qu'a une âme faible et enflammée d'une flamme vulgaire il apporterait de diminution. Quand vous viendrez à changer d'amour, ne pensez point m'avoir laissée et croyez pour certain que l'heure de votre change-tuent sera celle de nia fin, qui n'aura de terme que votre volonté. Je ne vis plus qu'en vous, et d'autre que de vous mon âme n'est régie[4]. — Cependant, l'intrigue avec Fosseuse, que le roi, plus inconstant encore que sa femme, devait remplacer bientôt par Diane d'Andouins, dite la belle Corisande, la célèbre comtesse de Gramont, allait finir par une aventure scandaleuse que l'on a fort reprochée à Marguerite et où Henri de Béarn joua bien un rôle pire. La paix faite, comme je l'ai dit, mon frère s'en retournant en France[5] pour faire son armée, le roi mon mari et moi nous nous en retournâmes à Nérac, où soudain que nous fûmes arrivés, Fosseuse lui met en tête, pour trouver une couverture à sa grossesse, ou bien pour se défaire de ce qu'elle avait, d'aller à Aigues-Caudes à six lieues de Pau[6]. Je suppliai le roi mon mari de m'excuser si je ne l'accompagnais pas ; qu'il savait que depuis l'indignité que j'avais reçue à Pau, j'avais fait serment de n'entrer jamais en Béarn que la religion catholique n'y fût. Il me pressa fort d'y aller, jusques à s'en courroucer. Enfin, je m'en excuse. Il me dit alors que sa fille — car il appelait ainsi Fosseuse — avait besoin d'en prendre, pour le mal d'estomac qu'elle avait ; qu'il n'y avait point d'apparence qu'elle y allât sans moi ; que ce serait faire penser mal où il n'y en avait point, et se fâche fort contre moi de ce que je ne la lui voulais point mener. Enfin, je fis tant qu'il se contenta qu'il allât avec elle deux de ses compagnes, qui furent Rebours et Villesavin, et la gouvernante. Elles s'en allèrent avec lui, et moi j'attendis à Bagnères [de Bigorre]. J'avais tous les jours avis de Rebours,fille corrompue et double qui ne désirait que mettre Fosseuse dehors, pensant tenir sa place en la bonne grâce du roique Fosseuse médisait ordinairement de moi, se persuadant, si elle avait un fils et qu'elle se pût défaire de moi d'épouser le roi mon mari ; qu'en cette intention elle voulait me faire aller à Pau, et qu'elle avait fait résoudre le roi, étant de retour à Bagnères, de m'y mener de gré ou de force. Ces avis me mettaient en la peine que l'on peut penser. Toutefois, je passai le temps de ce séjour à Bagnères[7], en attendant le roi mon mari, versant autant de larmes qu'eux buvaient de gouttes des eaux où ils étaient, bien que j'y fusse accompagnée de toute la noblesse catholique de ce quartier-là, qui mettait toute la peine qu'elle pouvait pour me faire oublier mes ennuis. — Au bout d'un mois ou de cinq semaines le roi mon mari revenant avec Fosseuse, sut de ces seigneurs l'ennui où j'étais pour la crainte que j'avais d'aller à Pau ; qui fut cause qu'il ne me pressa pas tant d'y aller, et me dit seulement qu'il eût bien désiré que je l'eusse voulu. Nous retournâmes à Nérac, où voyant que tout le monde parlait de la grossesse de Fosseuse, je voulus tacher de faire perdre ce bruit et me résolus de lui en parler ; et la prenant, en mon cabinet je lui dis : Encor que depuis quelque temps vous vous soyez étrangée de moi, et que l'on m'aie voulu faire croire que vous me faites de mauvais offices auprès du roi mon mari, l'amitié que je vous ai portée et celle que j'ai vouée aux personnes d'honneur à qui vous appartenez ne me peut permettre que je ne m'offre de vous secourir au malheur où vous vous  trouvez, que je vous prie de ne me céler et ne vouloir ruiner d'honneur et vous et moi. J'ai moyen de m'en aller sous couleur de la peste, que vous voyez qui est en ce pays et même en cette ville, au Mas d'Agenais, qui est une maison du roi fort écartée. Je ne mènerai avec moi que le train que vous voudrez. Cependant, le roi ira à la chasse d'un autre côté, et ne bougerai de là que vous ne soyez délivrée, et ferons par ce moyen cesser ce bruit, qui ne m'importe moins qu'à vous. — Elle, au lieu de m'en savoir gré, avec une arrogance extrême, me dit qu'elle ferait mentir tous ceux qui en avaient mal parlé ; qu'elle connaissait bien qu'il y avait quelque temps que je ne l'aimais plus, et je cherchais prétexte pour la ruiner. Et parlant aussi haut que je lui avais parlé bas, elle sort toute en colère de mon cabinet, et y va mettre le roi mon mari ; en sorte qu'il se courrouça fort à moi de ce que j'avais dit à sa fille, et m'en fit mine fort longtemps, et jusques à tant que, s'étant passé quelques mois, elle vint à l'heure de son terme. — Le mal lui prenant au matin, au point du jour, étant couchée en la chambre des filles, elle envoya quérir mon médecin et le pria d'aller avertir le roi. Nous étions couchés en une même chambre, en divers lits comme nous avions accoutumé. Comme le médecin lui dit cette nouvelle, il se trouva fort en peine, ne sachant que faire, craignant d'un côté qu'elle fût découverte, et de l'autre qu'elle fût mal secourue. Il se résolut enfin de m'avouer tout, et me pria de l'aller secourir, sachant bien que, quoi qui se fût passé, il me trouverait toujours prête de le servir. Il ouvre mon rideau et me dit : M'amie, je vous ai celé une chose qu'il faut que je vous avoue. Je vous prie de m'en excuser et de ne vous point souvenir de tout ce que je vous ai dit à ce sujet ; mais obligez-moi tant de vous lever tout à cette heure et aller secourir fosseuse qui est fort malade. Je m'assure que vous ne voudriez, la voyant en cet état, vous ressentir de ce qui s'est passé. Vous savez combien je l'aime ; je vous prie, obligez-moi en cela. — Je lui dis que je l'honorais trop pour m'offenser de chose qui vint de lui, que je m'y en allais et y ferais comme si c'était ma fille ; que cependant il s'en allât à la chasse en emmenant tout le monde, afin qu'il n'en fut point ouï parler. — Je la fis promptement ôter de la chambre des filles, continue la reine, et la mis en une chambre écartée, avec mon médecin et des femmes pour la servir. Dieu voulut qu'elle ne fit qu'une fille, qui encore était morte. Étant délivrée, on la porta en la chambre des filles où, bien que l'on apportât tonie la discrétion que l'on pouvait, on ne put empêcher pie ce bruit ne fut semé par tout le château. Le roi étant revenu, va la voir comme il avait accoutumé. Elle le prie de faire que je l'allasse voir, comme j'avais accoutumé d'aller voir toutes mes filles quand elles étaient malades, pensant par ce moyen ôter le bruit qui courait. Le roi mon mari, venant en la chambre, tue trouve que je m'étais remise dans le lit, étant lasse de m'être levée si matin et de la peine que j'avais eue à la faire secourir. Il me prie que je me lève et que je l'aille voir. Je lui dis que je l'avais fait lorsqu'elle avait eu besoin de mon secours ; mais qu'à cette heure elle n'en avait plus affaire ; que si j'y allais je découvrirais plutôt que de couvrir ce qui était, et que tout le monde me montrerait au doigt. Il se fâcha Fort contre moi et, ce qui me déplut beaucoup, il me sembla que je ne méritais pas cette récompense de ce que j'avais fait le matin. — Et Marguerite ajoute en matière de conclusion : Elle le mit souvent en des humeurs pareilles contre moi.

Ces brouilleries domestiques auraient pu suffire à lui faire prendre en aversion le séjour de Nérac et lui donner le désir de rentrer à Paris. Cependant, ses besoins d'argent étaient tels qu'elle fit vendre cette année une maison que Henri III lui avait donnée — l'hôtel d'Anjou — let que sa grandeur et sa proximité du Louvre rendaient un des plus agréables logements de la capitale. Son chancelier, Pibrac, fut forcé, malgré ses représentations réitérées, de la prendre pour lui-même ; ensuite il la revendit à perte à Mme de Longueville[8]. Marguerite en effet, avait nombre de dettes ; elle donnait et dépensait beaucoup et au seul Pibrac devait trente-cinq mille écus[9]. C'était sur ses. instances d'ailleurs qu'il était entré au Conseil privé ; elle reconnaissait bien que le chancelier l'avait aidée et en revanche priait sa mère de le favoriser, tout en ne l'oubliant pas, elle, sa fille, qui avait toujours ù donner et à payer ; néanmoins c'est de la tin de cette année 1581 que sont datées les deux lettres qu'elle écrivit à Guy du Faur pour lui faire des reproches sur sa conduite et enfin lui redemander ses sceaux. Elle se prétendait desservie, se plaignait des mauvais services qu'il lui rendait auprès du roi son frère. Il attrait même essayé de la brouiller avec son Inari et l'aurait avertie e qu'ayant regardé sa nativité et celle du roi de Navarre, il avait reconnu que ce mois-là (mars 1580), il la devait tuer de sa main[10]. Il lui écrivait enfin des lettres passionnées, — qu'elle se serait hâtée d'ailleurs de montrer à Henri de Béarn. — Pibrac répondit par une sorte de mémoire, en somme très digne, et, reprenant point par point les allégations de la reine, se justifia et fit taire ces petites criailleries de femme. Le vieux conseiller pouvait être devenu amoureux de Marguerite de Valois ; d'autres l'avaient été avant lui et avec plus de bonheur ; il avait toujours agi avec de droites intentions et se refusait t être responsable de ses déboires et de son mécontentement[11]. — Il parait bien, du reste, que dès cette époque Henri III travaillait à la faire quitter Nérac. Il ne l'aimait point sans doute, et elle-même dit qu'il ne cherchait qu'à l'éloigner du roi de Navarre qui, sans avoir pour elle aucun fonds de tendresse, ni peut-être d'amitié, croyait se devoir à lui-même de la défendre contre tout ce qui aurait pu nuire à sa réputation[12]. Mais le roi espérait qu'elle ne viendrait pas seule. Il fit intervenir la vieille Catherine qui écrivit qu'elle désirait la voir ; que c'était trop d'avoir été cinq ou six ans éloignée d'elle ; qu'il était temps qu'elle fît un voyage à la Cour et que cela servirait à ses affaires et a celles du roi son mari[13]. On lui offrit même de l'argent pour couvrir ses dépenses ; le roi lui renvoya Maniquet, son maitre d'hôtel qui venait de faire le voyage de France lui porter quinze mille écus, et Marguerite dit que par le mécontentement qu'elle avait de l'aventure de Fosseuse elle fut plus proche de consentir. — Ce fut en effet une de ses raisons, car, emmenant sa fille d'honneur, elle pouvait penser que le roi de Navarre, ne la voyant plus, en rechercherait une autre e qui ne lui serait pas si ennemie. Mais, au reste, elle n'était point fâchée de revenir. Pour l'extrême désir que j'ai de me revoir près de vous, madame, écrit-elle à Catherine, le roi mon mari m'assure de me mener soudain que la paix sera exécutée. Cette espérance m'y fera employer encore avec plus d'affection pour en avancer le temps[14]. — Le même sentiment est exprimé plusieurs fois dans sa correspondance et sans doute il était sincère ; le Midi, la Gascogne, les protestants, pour elle c'était l'exil. Quoiqu'elle s'en défende, elle avait hâte de se faire rappeler. — Toutefois, on a indiqué comme principal motif de ce voyage l'amour qu'elle éprouvait pour Chamvallon, — qu'elle espérait revoir à Paris, dont elle portait, disait-on, le fruit adultère. Il sera facile de discuter le fait même. Mais imaginer que la reine se soit éloignée de Nérac, rendue près de Henri III, dans ce milieu potinier et malveillant de la Cour pour dissimuler des rapports scandaleux ou une grossesse, nous parait déjà une singulière erreur[15]. — Il faut rappeler ensuite qu'à ce moment, Harley de Chamvallon, comme le duc d'Anjou, le frère chéri de Marguerite, se trouvait engagé dans l'expédition de Flandre, dont moins que nulle autre elle n'aurait voulu prévoir la déconfiture finale.

Le duc d'Anjou, en effet, malgré l'opposition de Henri III, sur lequel il avait inutilement compté, s'était décidé à partir. Catherine vainement avait été le sermonner lie nouveau à Alençon. Je crains bien, avait écrit le Roi à Du Ferrier, son ambassadeur à Venise, que mon frère ne s'embarque aux affaires des Pays-Bas plus avant qu'il n'est besoin pour le salut de ce royaume et pour sa réputation. — La vieille reine, cinq jours durant, lui avait représenté la pauvreté de la France, l'impuissance où se trouvait le Roi de le secourir, mais sans arriver à le faire changer de résolution. — Mon fils est déterminé à passer en Flandre, écrit-elle à son tour, encore que je lui aye fait confesser n'avoir de quoi exécuter une telle entreprise[16]. — Ses levées d'hommes, signalées dès le mois de février par L'Estoile, faisaient d'ailleurs tout le mal possible[17]. Le samedi 8 avril, écrit le chroniqueur, le roi, ennuyé des plaintes que tous les jouis on lui faisait des vols, excès et outrages que commettaient en Picardie et en Champagne les troupes de Monsieur, conduites par les seigneurs de la Rochepot et Fervaques, se retira à Blois, connue s'il eût douté quelque entreprise, à cause de sept ou huit mille hommes de pied qui depuis cinq à six mois y faisaient séjour, se disant levés par Monsieur pour aller au ravitaillement de Cambrai, qui fut cause que le Roi leur dépêcha le seigneur de Losse, avec commandement de se retirer incontinent et laisser le pays libre, marchant en diligence où on leur avait commandé d'aller. À quoi La Rochepot et Fervaques firent contenance de vouloir obéir, sans que de longtemps il en sortit aucun effet. — Le 17 mai, jour du retour de Catherine après l'entrevue d'Alençon, le roi ayant reçu nouvelles du roi d'Espagne, par lesquelles il lui mandait que si son frère allait en Flandre au secours de ses rebelles, il savait et avait en main prompt moyeu de s'accorder avec eux, pour incontinent après mettre ses forces en campagne et aller venger sur la France le tort que lui ou son frère lui auraient fait,fit publier à son de trompe et à cri public à Paris ses lettres patentes par lesquelles il était mandé à tous gouverneurs de villes et provinces de se saisir des personnes de tous chefs et conducteurs de guerre, qui lèveraient ou mèneraient gens quelque part que ce fût sans son expresse commission ; même appréhender les soldats et en faire brève et exemplaire justice, et en cas de résistance, assembler la noblesse, les garnisons du pays, même les communes à son de tocsin, pour leur courir sus et les tailler en pièces. — A ces menaces, le duc répondit par un manifeste où son frère n'était pas ménagé : Depuis vingt ans, disait-il, les gens qui ont pris l'habitude de porter les armes et de vivre avec toute la licence militaire ne pourront s'assujettir aux lois et à la justice ; une guerre étrangère est le seul moyen d'éviter une guerre civile. — Ses arguments, en somme, ne variaient guère. Henri Ill riposta en défendant l'impression et la copie de ce manifeste et en ordonnant la confiscation des biens de ceux qui prendraient les armes. — Catherine revint précipitamment de Chenonceaux où elle était, et chercha par tous les moyens à calmer le roi ; n'y pouvant parvenir, elle le menaça de retourner à Chenonceaux et de s'y fixer jusqu'à sa fin. — Henri III la suppliait de ne pas le quitter, mais elle repartit sur l'heure. Le surlendemain, il allait la rejoindre. La mère et le fils restèrent trois jours à conférer, sans admettre personne à leurs entretiens. Une nouvelle inattendue vint ajouter à leurs inquiétudes ; le bruit se répandit que le duc s'était embarqué pour l'Angleterre. Il en avait eu en effet l'intention. Une pompeuse ambassade envoyée près d'Élisabeth le mois précédent pour décider officiellement du mariage était revenue sans avoir rien fait, et si les hommes ne lui manquaient point pour son entreprise, il était plutôt à court d'argent. Mais le mauvais temps l'avait empêché de partir, et, la réflexion venue, il s'était rendu à Mantes pour se rapprocher d'un des corps de son armée en formation à Gisors. Catherine accourut et amena avec elle, fort malencontreusement, le maréchal de Matignon ; il s'ensuivit une scène violente. Le maréchal, prenant trop à la lettre les ordres de Henri III, avait fait arrêter quelques capitaines de l'armée des Flandres. Monsieur, dit L'Estoile, lui tint de hautes et rudes paroles, jusques à le menacer de lui faire donner les étrivières dans sa cuisine. Sans la présence de ma mère, ajouta-t-il, je vous ferais bâtonner et jeter par les fenêtres[18]. — Martignon se contint et se retira. Restée seule avec son fils, Catherine obtint de lui une réparation pour une telle insulte, mais le maréchal avait déjà quitté Mantes. A force de supplications, la vieille reine fit promettre au duc de venir voir son frère à Saint-Germain ; le jour était pris, mais le duc ne parut pas. On apprit bientôt qu'il était à Château-Thierry[19] où était le rendez-vous de son armée, laquelle pareillement commença à marcher, laissant partout des vestiges d'une armée fort mal conduite et disciplinée, voire pire qu'ennemie et barbare, volant, pillant, forçant, rançonnant et commettant une infinité d'extorsions, cruautés et vilenies[20]. — A la Fère, où il se rendit ensuite et où le vint encore rejoindre Catherine, le duc demanda à Walsingham, ambassadeur d'Élisabeth, une somme de trois cent mille couronnes. Enfin il franchit la frontière avec douze mille hommes de pied et cinq mille cavaliers ; c'étaient presque tous des gentilshommes enrôlés comme volontaires[21]. — A son approche, le duc de Parme avait levé le siège de Cambrai et s'était replié sur Arlon. Le duc d'Anjou entra dans la ville le 18 août et y fut magnifiquement reçu et mené par les échevins sous un poêle de satin blanc couvert de fleurs de lys et autres broderies d'or jusques en la grande église, où fut chanté le Te Deum en grande foule et allégresse de tout le peuple. Puis il fit le serment solennel d'entretenir les promesses faites en son nom par son spécial procureur, lesquelles furent encore réitérées en l'hôtel de la ville. Et incontinent furent de toutes parts amenés vivres et munitions de toutes sortes en la dite ville en grande abondance, tellement que tout y était, peu de jours après, à meilleur marché qu'en aucune autre ville circonvoisine. — Deux jours après, — 21 août — averti que la garnison espagnole étant en la ville du Cateau, entre Cambrai et Saint-Quentin, empêchait le libre commerce de ceux de Cambrai avec les villes voisines, il l'alla assiéger et faire battre de quelques pièces de canon[22]. — Cela fait, Monsieur prit le litre de protecteur de la ville de Cambrai et du Cambrésis, et laissa dans la citadelle de Cambrai cinq cents soldats français sous la charge et conduite de M. de Balagny et emmena avec lui le seigneur d'Inchy auparavant commandant la dite citadelle, avec promesse de lui donner en France dix mille livres de rente[23]. — Là se bornèrent d'ailleurs momentanément ses exploits. Pour faire vivre son armée, il fallait de l'argent. Prévoyant bien que son insuccès viendrait de là, de Cambrai le duc écrivit au prince d'Orange : Si les États ne m'aident pas, il me sera impossible de conduire mon armée plus avant. Il en fut de cette seconde expédition comme de la première ; les États ne tinrent aucune de leurs promesses et aux premiers froids, les nobles volontaires se retirèrent ; une partie de l'armée se débanda et se mit à piller. Le duc était hors d'état de rien entreprendre ; il se décida à partir pour l'Angleterre, car Élisabeth était sa dernière ressource. Mon frère, écrivait Henri III à Saint-Gouard, son ambassadeur en Espagne[24], a eu opinion que je m'entendais avec le roi catholique pour le décevoir et lui faire perdre ses autres entreprises, et il est parti pour l'Angleterre. Les soupçons du duc n'étaient que trop fondés, car dans cette même lettre Henri III invitait Saint-Gouard à nouer une alliance avec l'Espagne et à mettre en avant le mariage de son frère avec l'une des infantes, affirmant qu'il continuerait à entraver tous ses desseins dans les Pays-Bas[25].

D'ailleurs si le roi prenait prétexte de son manque d'argent pour ne pas aider son frère, il en avait toujours pour ses plaisirs. C'est alors que furent célébrées les noces de Joyeuse, dont la magnificence fit scandale et que l'.on estima coûter douze cent mille écus (septembre 1581)[26]. Mais tout en contrecarrant les projets du duc d'Anjou, en lui refusant l'argent qu'il prodiguait à ses favoris, trait qui achève de caractériser cet être bizarre et double que fut toujours Henri III, —il aurait voulu rester en bons termes avec lui. — Sur la fin de ce mois de septembre, écrit encore L'Estoile, M. de Bellièvre est envoyé de la part du roi et de la reine sa mère vers Monsieur pour essayer de l'apaiser du mécontentement qu'il avait de la grande dépense que faisait le roi pour son mignon d'Arques, se plaignant qu'au voyage qu'il avait entrepris et exécuté en Flandre le roi ne lui avait voulu aider ni d'hommes ni de deniers qui eussent toutefois été mieux employés à une telle affaire que non pas à des noces.

Cependant le duc avait passe le détroit avec une suite nombreuse, le prince dauphin[27] ; les comtes de Laval, de Châteauroux, de Saint-Aignan ; le chevalier Breton, d'Elbène et Chamvallon, l'heureux préféré de Marguerite de Valois. Il fut logé à Whitehall et sa réception fut magnifique. Il eut vite regagné les bonnes grâces de la reine, qui ne l'appelait plus que son petit Italien, son petit prince grenouille et, si l'on en croit l'ambassadeur vénitien Lippomano, elle lui apportait chaque matin dans sa chambre une tasse de bouillon. — L'on ne fait aucun doute, dit même un contemporain anonyme, que pour son avancement le duc n'ait recherché la reine de très près[28]. Elle en vint même à le déclarer publiquement son mari ; mais ce ne fut qu'un caprice ; Élisabeth, après lui avoir passé au doigt son anneau de fiançailles, lui dépeignit la résistance de son entourage, les difficultés dans lesquelles la jetait un mariage avec un prince catholique. Le duc voulait partir ; elle le retint, dit le même chroniqueur anonyme, n par de nouvelles démonstrations accompagnées de baisers, privautés, caresses et mignardises ordinaires aux amants Le premier jour de l'an 1582, il échangea avec la reine de superbes présents et figura dans un tournoi où de nouvelles allusions à son mariage furent faites ; elle l'embrassa à plusieurs reprises devant tous, le conduisit jusqu'à sa chambre et vint le lendemain le trouver au lit ; mais, à la fin de janvier, elle lui avoua qu'elle n'éprouvait plus pour lui la même inclination. — Les nouvelles de Flandre, avec cela, étaient mauvaises ; le duc de Parme avait mis le siège devant Tournai. Accourus en toute hâte à Londres, les députés des États suppliaient le prince de revenir, lui offrant cette couronne ducale qu'il ambitionnait depuis si longtemps. Ils étaient venus déjà une fois solliciter Élisabeth ; mais, éprise du duc alors, elle les avait mal reçus. Cette nouvelle offre, faite dans un pareil moment, répondait à sa secrète pensée. Oubliant sa parcimonie habituelle, elle alla au-devant de la dépense, arma des vaisseaux, ordonna des levées d'hommes. Pour hâter le départ du duc, elle alla jusqu'à lui offrir un subside illimité[29], sauf à le réduire lorsqu'il ne serait plus là, et promit de l'épousera son retour. — Enfin, le 10 février, quinze grands vaisseaux jetèrent l'ancre devant Flessingue. Le duc d'Anjou fit son entrée dans la ville ayant à sa droite le silencieux prince d'Orange ; à sa gauche, Leicester ; derrière lui, lord Hemsdon, Willougby, Norris, Scheffield, Sidney. L'artillerie des forts et de la citadelle, les cloches des églises saluèrent sa bienvenue. A Middlebourg, la foule l'acclama comme à Flessingue. Le 17 février, il s'embarqua pour Anvers. Cinquante-quatre vaisseaux, portant à leurs mâts des drapeaux et des banderoles, le conduisirent triomphalement à Thiel. C'est de là que les souverains du Brabant partaient pour faire leur entrée dans la grande cité de l'Escaut. Le duc auparavant devait jurer de respecter les franchises et privilèges des provinces. Un trône recouvert de velours brodé d'or avait été dressé sur une immense estrade. Vingt mille hommes de la milice bourgeoise se tenaient à leu tour. Le prince d'Orange aida le duc à revêtir le manteau bordé d'hermine, et tout bas lui dit : Je l'attache assez solidement, Monseigneur, pour que personne ne puisse jamais vous l'ôter. Le serment prononcé, la monnaie d'argent à l'effigie dit duc jetée au peuple, les trompettes sonnèrent et le nouveau souverain, monté sur un cheval arabe caparaçonné d'or, prit place-dans le cortège qui s'arrêta enfin, après de longues stations, au palais Saint-Michel désigné pour sa résidence[30]. Le duc d'Anjou put se croire alors le vrai, maître du Brabant ; mais il n'avait qu'un titre honorifique, et tout le pouvoir restait aux États. A la fin de février, Leicester, peu soucieux des intérêts du duc, repartit pour l'Angleterre, suivi de la plupart des gentilshommes d'Élisabeth. L'ambassadeur anglais, Kobbam, intriguait de son côté avec l'Espagne ; mais la reine prévenue dit qu'elle donnerait un million pour retirer son pauvre prince grenouille de ces sales marais flamands et, prise d'une nouvelle passion, envoya officiellement au duc d'Anjou un de ses familiers pour l'inviter à revenir. — Le duc ne croyait plus à ce mariage et d'ailleurs était trop engagé pour reculer. Plusieurs complots furent découverts, l'un à la suite d'une tentative d'assassinat contre le prince d'Orange[31], et un Espagnol nommé Salcède, arrêté dans les appartements mêmes du duc d'Anjou, accusa sous la torture, non seulement le duc de Parme, mais les Guises, Joyeuse et jusqu'au pape Grégoire XIII. On l'écartela à Paris où il avait été amené. — Presque au même moment (11 août) était arrivée la nouvelle d'un désastre. Une flotte partie de Brouage en mai, et que Catherine envoyait aux Açores pour soutenir ses prétentions au trône de Portugal, avait été détruite par les Espagnols, les prisonniers torturés et empoisonnés ; et tout ce que la vieille reine put arracher à l'indolence et à la crainte du roi fut d'envoyer à Londres pour essayer de reprendre la double négociation d'une ligue contre Philippe II et du mariage avec Elisabeth. — Avec le printemps, la guerre avait d'ailleurs recommencé. Le duc de Parme, qui avait attendu des renforts tout l'hiver, reprenant l'offensive, avait mis le siège devant Audenarde et menaçait Gand. Pour se rassurer en France, on disait seulement que les assiégés avaient fait avertir le duc qu'il ne craignît rien à leur sujet de deux mois. Les lettres de Busbecq, qui rapportent ce détail, ajoutent : Le duc se montre au reste très grand protecteur des catholiques et prend soin de faire rétablir en plusieurs endroits leurs églises ; dont quelques-uns estiment que sa domination ne sera pas de longue durée dans ce pays-là.

C'est au milieu de ces événements que s'était effectué le retour de. Marguerite. Après avoir longtemps hésité, elle se décida à faire seulement un voyage de quelques mois. La duchesse d'Uzès, sa sybille, lui ayant écrit pour la hâter, elle répondit : Vous m'aimez trop pour me vouloir tromper ; je ne douterai jamais de votre parole ; je croirai votre conseil et avancerai mon partement autant qu'il me sera possible. Faites, puisque vous gouvernez le roi, que je me ressente de votre faveur ; que je veux seulement que vous employez à lui faire reconnaître la vérité de mon intention, qui est de le servir et lui plaire[32]. — M. de la Ferrière dit qu'elle se décida parce que e d'une manière certaine elle savait que Chamvallon, envoyé d'Anvers en mission par le duc d'Anjou, serait à Paris dans les derniers jours de février[33] ; mais il omet d'indiquer d'où il tient ce renseignement et, du reste, Marguerite qui fit le trajet doucement, s'arrêtant à toutes les villes de la route, n'arriva que beaucoup plus tard. Catherine la pressait, lui mandant qu'elle irait jusqu'en Saintonge au-devant d'elle ; que si le roi de Navarre l'accompagnait, elle communiquerait avec lui, espérant encore le ramener à la Cour en même temps que sa femme, et peut-être l'y chambrer comme autrefois. Le 5 mars, la reine-mère écrit à Matignon qu'elle part pour Chenonceaux, où elle attendra des nouvelles de son fils le roi de Navarre et de sa fille[34]. Mais Marguerite eut du mal à décider son mari, surtout emmenant Fosseuse, et elle dut arguer qu'elle avait touché déjà l'argent du voyage ; elle indique même qu'il lui faisait alors meilleure chère, désirant extrêmement lui ôter cette volonté d'aller en France ; mais, ajoute-t-elle, le malheur m'y tirait, et je l'avais promis au roi et à la reine. — Enfin, tous deux étaient partis au commencement de février ; ils séjournèrent à Jarnac, s'arrêtèrent au château de Brisambourg (Charente-inférieure) ; ensuite chez le prince de Condé à Saint-Jean-d'Angély (2 mars). Marguerite s'attarda à Saintes, en l'abbaye de Notre-Dame, heureuse d'une splendide entrée que lui fit la ville[35]. Puis les deux époux ayant recruté une véritable armée de gentilshommes, la plupart protestants, pour leur servir d'escorte, arrivèrent à Saint-Maixent le 14 mars, où le maréchal de Matignon avait ordre de les recevoir au nom du roi. Catherine, mal portante, vint quand même jusqu'à la Mothe-Saint-Héraye, chez son vieil ami L. de Saint-Gelais de Lusignan, seigneur de Lansac et surintendant de ses finances ; elle y resta jusqu'au 31 mars, et c'est là que le roi de Navarre et Marguerite la rejoignirent. — L'entrevue de Catherine et de son gendre fut cordiale, mais n'amena aucunement le résultat que cherchait la vieille reine. La question des places de sûreté était toujours à résoudre, et le traité de Fleix, pas plus que la convention de Nérac, n'avait rien amélioré. Le roi de Navarre se plaignait surtout qu'en son gouvernement de Guyenne il n'était obéi ; mais on lui fit observer qu'il tenait le parti contraire au roi de France et qu'il dépendait de lui de s'en rapprocher. Retenu par la défiance de ses amis huguenots, le Béarnais, toutefois, refusa d'aller plus loin. Il accompagna les reines jusqu'au château de Montreuil-Bonnin (canton de Vouillé, Vienne)[36] et retourna à Saint-Jean-d'Angély, puis à la Rochelle[37], avant de se rendre à Montauban où devait se tenir une assemblée des calvinistes (20 juin) que Catherine aurait bien voulu empêcher. Elle ne ramena que Marguerite dont les coffres et bahuts, qui emplissaient plusieurs charrettes, avaient été expédiés de Saint-Maixent dès le 17 mars[38], et alla passer quelques jours à Chenonceaux. — C'est donc par erreur que L'Estoile mentionne l'arrivée de la reine de Navarre à Paris le 8 mars 1582, au devant de laquelle, dit-il, fut le cardinal de Bourbon et la veuve princesse de Condé. Elle n'y rentra que le 28 mai ; mais si le détail pouvait intéresser, le chroniqueur ajoute que le 21 avril, le roi étant parti pour aller à Fontainebleau faire une diète, la reine sa mère et la reine de Navarre — qui ne jeûnait pas volontiers — furent le lendemain le rejoindre.

 

 

 



[1] Marguerite éprouva une grande amitié pour Catherine de Bourbon et souvent écrivit au roi et à sa mère pour les solliciter en sa faveur. (Cf. les Lettres publiées par M. Ph. LAUZUN.) On peut dire du reste que la reine de Navarre usa de son crédit avec une bonté inaltérable et que tous mettaient à contribution. Quand on parcourt sa correspondance, on la voit continuellement s'entremettre, quémander pour l'un ou l'autre, recommandant, adressant placets et suppliques. Voyez les années 1579 à 1581 surtout où les lettres de ce genre sont nombreuses. — Sur Catherine de Bourbon, l'étude publiée par M. SIMAZEUILH dans la Revue des Sociétés savantes, 1863.

[2] Il semble bien qu'il faut prendre là l'origine de la légende qui donne les intrigues de Marguerite comme la cause principale de la guerre des amoureux. Les historiens ont accepté comme un fait ce qui n'était qu'une boutade du roi contre sa sœur et très probablement une méchanceté de ses mignons.

[3] Avec son inconséquence habituelle, le duc d'Anjou, si pressé de secourir Cambrai, demeura en Gascogne de la fin de septembre 1580 jusqu'au 27 avril 1581 ; il passa le mois de décembre 1580 au château de Coutras avec la reine de Navarre ; puis tous deux se rendirent à Bordeaux où il fut magnifiquement reçu et fêté, tandis que le roi de Navarre était dans le Bazadais. La Cour ensuite séjourna deux mois au château de Cadillac, près de Libourne.

[4] Mémoires et lettres de Marguerite de Valois, édit. Guessard.

[5] Le connétable de Portugal, voyant qu'il ne tirerait rien du roi de Navarre, se décida à intriguer près du duc d'Anjou qui promit son concours ; il était même convenu que les préparatifs et l'embarquement de l'expédition se feraient à Libourne ; mais le duc changea d'idée et préféra reprendre l'affaire de Flandre.

[6] Aux Eaux-Chaudes, dans la vallée d'Ossau.

[7] Une lettre de Marguerite au roi de Navarre, publiée par la Revue rétrospective (3e série, t. I, 1838), raconte les incidents de ce petit voyage. — Il semble qu'elle ait eu, à cette époque, l'espoir de lui donner un fils, car elle écrit à Catherine : Je suis aux bains de Bagnères où je suis venue pour voir s'il me serait si heureux que de pouvoir faire pour augmenter le nombre de vos serviteurs. Plusieurs s'en sont bien trouvées. Je ne faudrai, étant de retour à Nérac, de vous avertir du profit que j'en aurai reçu. (Lettres inédites de Marguerite de Valois, Archives historiques de la Gascogne, fasc. 11.) Bellièvre, qui était encore dans le Midi, écrit également à la reine mère (1er juin 1581) : La dite dame votre fille fait fort état d'embrasser tout ce qui concerne le Lien et grandeur du roi son mari, et par ces moyens prend une grande part près de lui. Le roi leur écrit qu'ils le viennent voir ; ce qu'à la vérité ils ont fort bien pris. Bien vous dirai-je qu'il me semble qu'elle n'eût jamais plus de désir qu'elle a maintenant d'aller à la Cour. Mais il faut encore quelque temps avant que cette résolution se puisse conclure, qui dépend principalement de l'état de la paix, de la reddition des maisons qui appartiennent au roi son mari.... La reine votre fille va aux bains près de Pau ; ce qu'elle dit faire pour le désir extrême qu'elle a de donner ce contentement au roi son mari d'avoir enfants... Fonds fr., n° 15891.

[8] Le roi, auquel Pibrac proposa l'hôtel d'Anjou, conseilla de le vendre à quelque ambassadeur étranger, car il était si près du Louvre et placé en si grande vue qu'il ne pensait pas qu'un autre le prit. Mme de Longueville en offrit enfin 36.000 livres, moitié imites, moitié argent ; Pibrac l'avait payé 30.000 livres, et avec les frais eut à débourser 36.800 livres en deniers clairs.

[9] Il s'en faut de beaucoup, écrit le chancelier, que j'aie tenu la main à vouloir faire diminuer votre maison ; au contraire, sans moi elle était demeurée tout à plat sept fois : à Bordeaux, le premier voyage que vous y rites ; à la Réole, lorsque le roi votre mari vous y vint trouver ; à Agen, à Toulouse, à Aix, au Port Sainte-Marie et même à Nérac. Lorsque j'en partis, pour faire votre maison je vous prêtai 4.000 écus ; quand je fus de retour ici, outre les réponses que j'avais faites pour vous de deniers que vous aviez pris à rente, je devais en Gascogne plus de 30.000 livres d'autres deniers que j'avais empruntés, sans compter 18.000 livres de mon propre argent que j'ai dépensé en dix-sept mois que je suis resté à votre suite. (Lettre de Pibrac, dans les Mémoires de Marguerite, édit. Guessard.) — Même en chargeant son maigre budget, ce n'était pas le roi de Navarre, aussi bien, qui pouvait payer le train de sa femme. Quant aux émoluments de Pibrac comme chancelier, ils sont portés sur les livres de trésorerie pour 656 écus 2 livres tournois par an.

[10] Il tenait d'un gentilhomme romain ou florentin, Francesco Junctini que la reine était en danger de mort violente du 21 au 29 mars. Le roi et Catherine furent avertis et dirent à Pibrac de prévenir Marguerite. Il lui conseilla alors d'aller faire ses dévotions à Agen. (Lettre de Pibrac, loc. cit.).

[11] Cf. la correspondance de Marguerite et du chancelier qui discutent des détails et des questions d'argent sur lesquels il serait trop long et sans intérêt de revenir ici, à la suite des Mémoires, édit. Guessard.

[12] Bayle dit à ce propos du roi de Navarre : Sa femme lui était un grand embarras et ne laissait point quelquefois de lui être utile ; et M. de Préfixe ajoute plus justement qu'il tâchait de tirer des avantages de ses intrigues et de son crédit.

[13] Vous ne devez point douter, écrit Pibrac, que l'opinion de votre prochain retour ne facilite l'exécution de tout ce qu'on poursuit pour vous ici... Mais je n'ai oncques été auteur de ce bruit ; car vous m'avez, quatorze mois, traité de telle sorte que toutes vos intimes volontés m'ont été inconnues et cachées. Interrogé par le roi ou la reine, j'ai toujours répondu n'en rien savoir. Leurs Majestés ont quelquefois pensé que je faisais le secret et l'accort ; mais je dirai la vérité même sur le propos qui s'offre ; car le roi, à l'issue d'un Conseil, m'ayant fait cette grâce de me dire qu'il n'y avait point un meilleur moyen de faire cesser quelques petits mécontentements que monseigneur le duc montrait lors avoir que de vous rappeler, et que vous étiez la personne du monde qui aviez plus de pouvoir à retenir l'amitié des deux et les unir ensemble, il ajouta ces mots : Ne pensez-vous pas que ma sœur vienne si je lui mande ? — Pibrac répondit qu'il croyait pouvoir affirmer que pour une si bonne et si grande occasion, elle partira soudain après avoir reçu votre lettre, et fera toujours très affectionné service. — La reine, votre mère, prit la parole et montra une lettre que vous lui aviez écrite, pleine de bonne volonté. Lors fut commandé à M. de Villeroy de dresser ce même jour la dépêche ; mais il supplia Leurs Majestés de vouloir attendre l'arrivée de M. de Bellièvre, par lequel on pourrait savoir l'état des affaires de la Guyenne, et l'inclination du roi de Navarre. Et pour rementevoir au roi la nécessité de votre maison, laquelle vous m'avez souvent commandé de lui représenter, je le suppliai très humblement d'user de sa libéralité envers vous, ce qu'il trouva fort bon. (Lettres de Pibrac, loc. cit., p. 227.) Marguerite demeurait un instrument d'intrigue dont chacun de ses proches, mère, frère ou mari, espérait se servir à son avantage.

[14] Lettres inédites de Marguerite de Valois (Archives historiques de la Gascogne, fasc. 11.)

[15] Au moment où le voyage se décida (décembre 1581), il circulait à la Cour de Henri III des bruits de grossesse do la reine Marguerite. Les mignons s'en gaussaient, pensant aux œuvres de Chamvallon. Mais elle-même les avait propagés, on l'a vu par la lettre de Bagnères, et il n'y avait rien là qui la pût troubler, la présence du roi de Navarre auprès d'elle couvrant tout. Catherine écrit d'ailleurs à Bellièvre le 27 décembre : J'eusse été bien aise que ma fille se fût trouvée grosse, à la charge du retardement de son voyage ; mais j'entends qu'elle est délivrée de Cette opinion et doit être à présent en chemin pour venir par deçà, où elle sera très bien venue, ainsi que je lui ai écrit par Maniquet qui s'en est allé au devant d'elle. Fonds fr., 15565, Lettres de Catherine de Médicis, t. VII, p. 420. Cf. Ph. LAUZUN, Itinéraire.

[16] Bibl. nat., cinq cents Colbert, n° 368, p. 250, 278. Cf. Lettres de Catherine de Médicis, t. VII.

[17] En février, trente enseignes de gens de pied rôdent par la Picardie et la Champagne sous la charge des seigneurs de La hochepot et autres capitaines, et font tous les maux du inonde partout où ils passent. On les disait levés et acheminés à l'aveu de Monsieur, desseignant les mener en Flandre à la primevère. L'ESTOILE, édit. Michaud, t. I, p. 130.

[18] L'ESTOILE ; cf. Dépêches des ambassadeurs vénitiens, Filza, 12, p. 74. H. DE LA FERRIÈRE, Les projets de mariage de la reine Élisabeth, cap. XI.

[19] H. DE LA FERRIÈRE, Les projets de mariage de la reine Élisabeth, cap. XI.

[20] L'ESTOILE, édit. Michaud, t. I, p. 133.

[21] Selon certains historiens, il n'avait en tout que 14.000 hommes.

[22] La batterie fut dressée contre une courtine et une grosse tour de brique, avec une telle furie et si diligemment servie et à propos exploitée que la tour fut effondrée et entrouverte, et la courtine abattue de sorte que l'assaut fut donné et la ville emportée avec fort peu de résistance à cause de la division qui se mit entre les habitants et la garnison, les uns voulant que l'on capitulât, les autres que l'on résistât ; mais tant y a que tout fut exposé au pillage, et les femmes et les filles à la violence des soldats, nonobstant que la peste fut quasi dans toutes les maisons. SULLY, Économies royales.

[23] Les Mémoires de SULLY relatent également le stratagème honteux dont se servit le duc pour occuper la citadelle de Cambrai, faisant entrer ses troupes durant un festin auquel il avait prié lui-même le gouverneur de le convier. M. d'Inchy qui lui avait donné, puis gardé la ville, ne s'en pouvait consoler, toutefois qu'on lui eût promis Château-Thierry ville et duché en toute propriété. Il fut tué peu après dans une escarmouche d'un coup d'arquebuse derrière la tête. — On s'était débarrassé de cet homme dont la présence seule était un reproche.

[24] Jean de Vivonne, marquis de Pisani, seigneur de Saint-Gouard.

[25] Bibl. nat., fonds fr., n° 1608, et H. DE LA FERRIÈRE, les Projets de mariage.

[26] Voyez le très curieux récit de L'Estoile, trop étendu pour être donné ici, édit. Michaud, t. I, p. 137-140.

[27] Fils aîné du duc de Montpensier, Louis de Bourbon, qui fut le premier duc de Montpensier. L'ESTOILE, édit. Michaud, t. I, p. 152.

[28] Mémoires de Nevers ; FROUDE, History of England. — Les relations intimes d'Élisabeth avec le duc d'Anjou et son favori Simier sont encore indiquées avec détail dans une lettre de Marie Stuart à la reine, dont l'original serait à la bibliothèque harleyenne de Londres. LA PLACE, t. I. Cette lettre nous a d'ailleurs paru d'une authenticité douteuse.

[29] Busbecq, ambassadeur de l'empereur Rodolphe, dit que selon un bruit qui courait alors (30 mai 1582) la reine aurait fourni 300.000 ducats d'or au duc d'Anjou et que ce prince a fait savoir aux Flamands que s'ils le reconnaissent pour souverain il leur donnera la cinquième partie de ses biens pour soutenir la guerre. Cf. Lettres de Busbecq, dans CIMBER et DANJOU, Archives curieuses, t. X. — Les anciens éditeurs de L'Estoile reproduisent ce bruit avec quelque variante, toutefois qu'ils aient puisé en maint endroit des additions aux lettres du même Busbecq. Édit. Michaud, t. I, p. 147. — En octobre 1581, Élisabeth avait déjà prêté au duc 100.000 écus ; obligations autographes des 13 et 25 octobre. Bibliothèque harleyenne, Londres.

[30] L'ESTOILE, édit. Michaud, t. I, p. 143. Pour tous ces événements, cf. comte DE LA FERRIÈRE, les Projets de mariage de la reine Élisabeth.

[31] On accusa d'abord le duc ; ce fut une telle émotion à Anvers que le peuple se mit tumultueusement en armes en criant qu'il fallait tuer tous ces massacreurs des noces de Paris ; Monsieur dut se retirer dans le logis du prince d'Orange, et, dit Sully, en demeura tellement ulcéré que dès cette heure-là il se résolut de se rendre maitre absolu. Économies royales.

[32] Autogr. coll. Béthune, 8890, f° 46, et GUESSARD, Mémoires et lettres de Marguerite de Valois.

[33] H. DE LA FERRIÈRE, Trois Amoureuses du seizième siècle, p. 201.

[34] Lettres de Catherine de Médicis, t. VIII.

[35] CHASSERIAUX, Documents relatifs à l'histoire de Saintes, 1876 ; Ph. LAUZUN, Itinéraire.

[36] Journal de Michel le Riche, 1846, p. 364.

[37] Ch. SAUZÉ, La Conférence de la Mothe-Saint-Héraye entre Henri de Navarre et Catherine de Médicis, Paris, 1895, in-8°, et Lettres de Catherine de Médicis, t. VIII. — Les deux partis cependant se quittèrent satisfaits, et sur de nouvelles promesses le roi de Navarre écrit le 2 avril : J'ai eu cet heur d'avoir vu la reine, mère du roi mon seigneur, et d'avoir été reçu d'elle avec tout le meilleur visage que j'eusse pu désirer, de quoi je vous ai voulu avertir pour le grand contentement que j'en remporte en mon esprit et pour les grandes assurances qu'elle m'a données d'un bon et assuré repos pour l'avenir. (Lettres-missives, t. I.)

[38] Journal de Michel le Riche, p. 364.