LA REINE MARGOT ET LA FIN DES VALOIS (1553-1615)

DEUXIÈME PARTIE. — LA REINE MARGOT REINE DE NAVARRE

 

CHAPITRE II.

 

 

Catherine de Médicis dans le Midi. — Situation difficile de Marguerite de Valois à la Cour de Navarre. — La guerre des amoureux.

 

Catherine, dit d'Aubigné, avait exprès pour son gendre, les dames de Sauve et Dayelle, cypriote, celles-là mêmes qui l'avaient retenu autrefois aux prisons de la Cour[1]. C'est assez indiquer ses intentions. — Les deux reines menaient grand train, et par les précieux livres de Trésorerie de Marguerite, conservés aux Archives[2] et que nous aurons maintes fois encore l'occasion de signaler, nous pouvons imaginer ce qu'était alors la maison d'une Fille de France et ce qu'il en devait coûter pour l'entretenir[3]. Les états de comptes pour cette année 1578 mentionnent, avec le chiffre du traitement, les dames d'honneur, filles damoiselles, femmes de chambre, lavandières, le maître d'hôtel, les panetiers, échansons, écuyers tranchants, écuyers d'écurie ; les aumôniers, le confesseur, les chapelains, clercs de chapelle, les médecins, apothicaires, chirurgiens, valets de chambre, — parmi lesquels sont indiqués des joueurs de violon, luth et musette ; les maîtres et valets de la garde-robe, huissiers de la chambre et de la salle, huissiers du Conseil, les tapissiers et leurs aides, les valets pour les filles damoiselles. Ensuite, c'est le Chancelier, le général des finances, les gens du Conseil, les secrétaires des finances et autres secrétaires, les contrôleurs, maréchaux des logis, les sommeliers de paneterie et d'échansonnerie avec leurs aides, le boulanger, les écuyers de cuisine, queux, potagers, hasteux, enfants de cuisine, galopins, porteurs, huissiers de cuisine, garde de vaisselle, les pâtissiers ; le boucher et le poissonnier, les fruitiers et leurs aides, les valets de fourrière et leurs aides, les maréchaux de salle des filles, vertdeaux, portiers, gens de métier ; le trésorier et receveur général, les laquais du corps, laquais pour les filles et damoiselles, laquais du chariot branlant, palefreniers et aides, muletiers de la litière du corps et seconde litière, fourriers, valets des pages, argentier et pourvoyeur de l'écurie, les cochers, capitaines des mulets, charretiers, plus divers officiers comme le tailleur, le barbier du commun pour faire les cheveux des pages, le sellier, l'éperonnier, etc. — C'était une armée véritable, car la reine mère pour sa part avait une suite au moins aussi nombreuse, ainsi que le cardinal de Bourbon et le duc de Montpensier qui lui faisaient cortège. On ne marcha dès lors qu'à petites journées et après avoir gagné Étampes, Artenay, traversé les faubourgs d'Orléans, Cléry, les reines s'arrêtèrent à Chenonceaux. De là, elles allèrent à Tours, s'acheminèrent par Azay-le-Rideau, Chinon, Fontevrault, Poitiers, Ruffec, Cognac, et, dès que nous entrâmes dans le gouvernement du roi mon mari, rapporte Marguerite, l'on me fit entrée partout. — Brantôme, qui était du voyage, parle avec enthousiasme de ces réceptions où se déployait toute la somptuosité décorative du temps, et de l'accueil qui était fait dans les villes du parcours à la reine de Navarre. — Elle passa à Cognac, fait-il, où elle séjourna ; et là plusieurs grandes, belles et honnêtes dames du pays vinrent voir les reines et leur faire la révérence, qui toutes furent ravies de la beauté de cette reine Marguerite et ne se pouvaient saouler de la louer à la reine sa mère qui en était perdue de joie ; par quoi elle pria sa fille un jour de s'habiller le plus pompeusement et à son plus beau et superbe appareil qu'elle portait à la Cour en ses plus grandes et magnifiques fêtes et poulpes, pour en donner le plaisir à ces honnêtes dames ; ce qu'elle fit pour obéir à une si bonne mère, et parut vêtue fort superbement d'une robe de toile d'argent et colombin à la boulonnaise, manches penchantes, coiffée si richement et avec un petit voile ni trop grand ni trop petit, et accompagnée avec cela d'une majesté si belle et si bonne grâce qu'on l'eût plutôt dite déesse du ciel que reine en la terre. Les dames qui auparavant en avaient été éperdues, le furent cent fois davantage. — La reine lui dit alors : Ma fille vous êtes bien. Elle lui répondit :Madame, je commence de bonne heure à porter et user mes robes et les façons que j'emporte avec moi de la Cour ; car quand j'y retournerai, je ne les y emporterai point, mais je m'y entrerai avec des ciseaux et des étoffes seulement pour me faire habiller selon la mode qui courra. — La reine lui répondit : — Pourquoi dites-vous cela, ma fille ? Car c'est vous qui inventez et produisez les belles façons de s'habiller ; et en quelque part que vous alliez, la Cour les prendra de vous, et non vous de la Cour[4].

De Cognac, les deux reines allèrent à Bordeaux en passant par Blaye et Libourne (18 septembre), et Catherine, qui cherchait à gagner la confiance du roi de Navarre, auquel les Bordelais avaient refusé d'ouvrir leurs portes[5], les engagea à réparer envers son épouse les torts qu'ils avaient eus envers ce prince leur gouverneur. — La reine sa mère le voulut ainsi, ajoute encore Brantôme, car elle l'aimait infiniment et l'estimait fort. — Elle fit donc son entrée, avec toute la magnificence désirable, vêtue d'une robe à fond d'orangé, sa couleur favorite, couverte de broderies, et montée sur un cheval blanc. — Avant que d'entrer, les États de la ville lui vinrent faire la révérence, et la haranguer aux Chartreux comme c'est la coutume. L'archevêque, M. de Bordeaux, porta la parole pour le clergé ; M. le maréchal de Biron[6] comme maire et avec la robe de maire pour le corps de la ville et comme lieutenant-général fit la sienne après ; et M. Langebaston, premier président, pour la Cour. Elle leur répondit à tous, les uns après les autres,car je l'ouïs étant près d'elle sur l'échafaud par son commandementsi éloquemment, si sagement et si promptement, et avec une telle grâce et majesté, par un tel changement de paroles, sur un même sujet pourtant, qui est chose à remarquer, que je vis le soir le dit sieur président, qui me vint dire et à d'autres, en la chambre de la reine, qu'il n'avait jamais ouï mieux dire en sa vie, et que bien souvent il avait eu cet honneur d'avoir ouï parler les reines Marguerite de Valois et Jeanne d'Albret ses prédécesseresses, mais qu'elles n'approchaient en rien de l'éloquence de cette reine Marguerite, et que vraiment elle était fille de mère. — La reine Catherine à laquelle fut rapporté le propos, en fut si aise que rien plus ; et elle me dit qu'il avait raison de le croire et de le dire, car encore qu'elle fût sa fille, elle pouvait dire que c'était la plus accomplie princesse du monde et qui disait ce qu'elle voulait et des mieux[7].

Le tableau certes est tracé avec complaisance. Mais on voit bien, sur ces estrades de fête et dans le faste merveilleux de cette réception royale, la jolie femme qu'était alors Marguerite de Valois répondant en souriant aux discours officiels de ces barbons, et l'on comprend que pour certains l'impression fut inoubliable. — De Bordeaux, où elles avaient séjourné quelques jours, les reines allèrent coucher à Cadillac (1er octobre), le lendemain à Saint-Macaire. M. de la Mothe-Fénelon et Pibrac, envoyés aux nouvelles, vinrent les prévenir alors que le roi de Navarre les rejoindrait à Castéras, à mi-chemin entre Saint-Macaire et la Réole[8]. — Marguerite dit que ceux de la religion tenaient la Réole, mais que le roi n'avait guère poussé au delà, la défiance qui était encore ne lui ayant pas permis de venir phis outre. — Arrivées les premières à Castéras, les reines montèrent dans une chambre du manoir et attendirent ; une heure après, Henri de Navarre arriva avec le vicomte de Turenne et une suite de six cents gentilshommes. Il vint saluer la vieille Catherine, et par deux fois embrassa sa femme. Le chariot de la reine mère était resté devant la porte ; les deux souveraines y prirent place et le roi en face d'elles. A La Réole, où elles séjournèrent du 3 au 6 octobre, Catherine sans perdre de temps assembla conseil sur conseil, et enfin arrêta avec son gendre que des commissaires spéciaux seraient nommés avec charge de faire exécuter l'édit de pacification et qu'on réglerait en une conférence tous les différends entre huguenots et catholiques. — Il lui fallait encore le remettre avec le maréchal de Biron dont l'autorité comme lieutenant du roi allait à l'encontre de la sienne ; le Béarnais se plaignait surtout de ce que Biron, rude soldat, mais mauvais diplomate, l'avait fait sortir d'Agen, — d'où il surveillait la basse Guyenne, le Périgord et le pays toulousain, — et, la première fois qu'ils se virent, il lui parla si brusquement que le maréchal montra d'être fort en colère[9]. —Catherine, momentanément au moins, les réconcilia. Le roi de Navarre avait mis pour condition aux conférences la présence de tous les députés des Églises réformées. C'était beaucoup de temps à attendre. On prit rendez-vous à l'Isle-Jourdain, et à Marmande il quitta les reines qui se rendirent au Port-Sainte-Marie[10]. Marguerite allait prendre possession de son apanage, et à Agen, où elle arriva le 12 octobre, on lui fit une entrée magnifique. La reine mère réunit à l'évêché, où elle logeait, toute la noblesse des environs qui était accourue pour la saluer et longuement parla sur la nécessité d'entretenir la paix. Elle se rendit ensuite à Toulouse, toujours accompagnée de sa tille, et le roi de Navarre vint retrouver les deux reines au château de Lafox, où elles dînaient en sortant d'Agen et les escorta jusqu'à Valence. — L'entrée officielle à Toulouse n'eut lieu que le dimanche 26 octobre. Revêtus de leur manteau de parade, ayant avec eux le vicomte de Joyeuse, Danville et foison de seigneurs, les huit capitouls reçurent Marguerite à la porte Saint-Étienne et la conduisirent sous des arcs de triomphe et par les rues jonchées de corolles jusqu'au palais archiépiscopal. Les reines assistèrent à une procession solennelle, avec le duc de Montpensier, le prince son fils, les maréchaux de Danville et de Biron, la princesse de Montpensier, la maréchale de Danville et la vicomtesse de Joyeuse. — Mais Marguerite tomba malade, prise de violents accès de fièvre, et l'on rapporte que les membres du Parlement venant alors la complimenter, elle les reçut dans un grand lit de damas blanc, et qu'au fond de l'alcôve, — ce qui surprit surtout ces graves magistrats, — des enfants de chœur chantaient des hymnes. — De Thou écrit dans son Histoire que, durant son séjour à Toulouse, Catherine avertit aussi le Parlement d'user d'indulgence à l'avenir envers les protestants. Mais en même temps, partout où elle passait, elle rétablissait la religion catholique lorsque les huguenots l'avaient proscrite. C'était toujours son système de temporisation et de bascule du temps de Charles IX. Au reste, elle commençait à comprendre qu'elle avait assumé une lourde tâche en essayant de rapprocher les deux partis. Le roi de Navarre, selon ce que put lui dire Marguerite après les premiers jours d'intimité avec son mari, n'était pas opposé à la paix, mais son entourage était loin des mêmes sentiments ; de là des lenteurs, des retards, des restrictions. Elle ne fit point ce qu'elle voulait, dit Sully, et qui consistait surtout à faire rendre les villes de sûreté avant le temps et ramener son gendre à la Cour. Et Marguerite ajoute : La reine ma mère pensait demeurer peu de temps, mais il survint tant d'incidents qu'elle demeura huit mois[11]. — Lorsqu'elle dut partir pour l'Isle-Jourdain où l'accompagnait le maréchal de Danville après lui avoir donné à Toulouse une fête merveilleuse, le roi de Navarre, sous la pression de ses conseillers, proposa plutôt une entrevue à Castelsarrasin, prétextant la convenance de meilleurs logis, la commodité des vivres, en réalité parce qu'il voulait rester en pays huguenot. Elle déclara qu'elle s'en tiendrait aux choses convenues et se mit en route le 6 novembre. Mais Marguerite, encore mal remise de sa fièvre, ne partit que le 10 pour la rejoindre et passa la première nuit de son voyage au château de Pibrac, alors renommé pour la richesse de ses ameublements, et où Guy du Faur, son chancelier, qui en é tait seigneur, la traita royalement. — La vieille Catherine, du reste, attendit inutilement son gendre à l'Isle-Jourdain : le roi de Navarre, après six jours, proposa Nérac Du Pamiers pour les conférences, et la reine mère, maugréant, dépitée, finit par accepter de se trouver à Nérac. C'était tout ce que voulait le Gascon qui se décida à venir à la rencontre des reines. — Le 20 novembre, Catherine fit son entrée à Auch, et le lendemain ce fut le tour de sa fille. Les consuls allèrent prendre Marguerite à la porte de la Trille. Elle était dans une litière couverte de velours noir sur laquelle on mit un poêle ; partout on avait placé ses armoiries et fait des portails de triomphe ; les trompettes sonnaient ; on tira le canon et les enfants de la ville chantèrent des odes à sa louange. — Le 23 novembre, le roi de Navarre entra et fut reçu comme comte d'Armagnac ; on lui offrit les clefs qu'il rendit de suite aux consuls. Nous arrivâmes sur le midi, raconte le duc de Bouillon, et nous ne trouvâmes la reine Catherine, qui était allée à une chasse aux palombes, le maréchal de Biron et autres personnes de qualité étant avec elle. Nous trouvâmes la reine Marguerite et les filles... Les violons vinrent ; nous commençâmes tous à danser...

Ici se place un incident curieux et dont les versions se trouvent assez diverses. La danse continuant, fait encore le duc de Bouillon, le jeune Armagnac arrive, dépêché vers le roi de Navarre pour l'avertir que la nuit, précédente, la Réole, qui était une des villes de sûreté, avait été surprise par le château[12]. Il fit son message à l'oreille du roi qui soudain m'appela ; le premier mouvement fut si nous étions assez forts pour nous saisir de la ville ; il fut jugé que non. Soudain, je dis qu'il fallait sortir, et qu'avec justice nous pouvions nous saisir du maréchal de Biron et autres principaux qui étaient avec la reine pour r'avoir la Réole. — Les huguenots, en effet, se crurent trahis et sur-le-champ quittèrent Auch. Ils décidèrent que le roi de Navarre irait au-devant de la reine-mère pour lui témoigner son offense et son respect, et n'étant pas très sûrs de s'emparer de Biron, pour être ledit maréchal bien monté et ayant assez d'hommes de main pour rendre le combat douteux, allèrent prendre la petite ville de Fleurance, entre Auch et Lectoure. — On tira de suite une histoire romanesque de ces petits hasards de guerre dont les calvinistes menèrent grand bruit, et Catherine avait une telle réputation de duplicité qu'on n'hésita pas à lui attribuer le coup, bien que, selon le récit même de Turenne, elle n'en dût rien savoir et qu'il y eût plutôt là une traverse à ses négociations. Mais Catherine nous est toujours montrée comme le fauteur des troubles et des guerres civiles. Elle n'était venue dans le Midi que pour diviser les protestants, faire des pratiques, semer entre le roi de Navarre, le prince de Condé, le vicomte de Turenne et les plus apparents du parti tous les germes de discorde. — Lors du passage de la Cour à la Réole, le vieil Ussac, gentilhomme du Périgord, qui en était gouverneur, serait ainsi devenu amoureux d'une des filles de la reine Marguerite, Mlle d'Atrie[13], ce qui amusait fort les courtisans ; le roi de Navarre et le vicomte de Turenne ayant eu la malencontreuse idée de le railler à leur tour, de dépit, persuadé par la demoiselle, il s'était fait papiste et s'était donné à Catherine avec la ville. — Henri de Bourbon, apprenant l'affaire, aurait donné secrètement ses ordres et a u point du jour serait allé prendre Fleurance. Catherine le croyait toujours à Auch, et lorsqu'on vint l'avertir : Je vois bien, fit-elle en riant, que c'est la revanche de la Réole et que le roi de Navarre a voulu faire chou pour chou ; mais le mien est mieux pommé[14].

La vérité, peut-on croire aujourd'hui, fut moins pittoresque. Sur le mécontentement qu'ils avaient d'un capitaine nommé Favas qui les oppressait et les maltraitait, les habitants de la Réole s'étaient emparés du château et de la ville, et les huguenots insistèrent longuement pour que d'Ussac, qui avait toute leur confiance, y fût remis comme gouverneur[15]. C'était une de ces querelles compliquées et si fréquentes dans les cités où les deux partis disposaient de forces à peu près égales. Catherine fit l'étonnée, dit le vicomte de Turenne, aux réclamations du roi de Navarre, et donna quantité de paroles pour assurer une réparation. Biron, de même, promit de faire tout son devoir pour rendre la place[16]. — Quant au coup de main sur Fleurance, on sait par les lettres de Catherine à quoi il faut le réduire : le Béarnais y entra paisiblement, demanda les clefs et arma cinquante ou soixante protestants ; les catholiques s'armèrent de leur côté et occupèrent les tours d'une des portes ; on tira quelques coups d'arquebuse, dont un homme fut blessé à la jambe près du roi de Navarre qui jeta les hauts cris, et la reine mère, pour tout apaiser, donna de suite l'ordre d'évacuer les tours[17]. — Quand même, c'était un contretemps, et des négociations furent engagées, qui retardèrent d'autant la conférence dont Catherine se promettait tant de fruit. Pour amener un accommodement, elle employa sa fille Marguerite, le chancelier Pibrac, et eut enfin à Jégun — à 17 kilomètres d'Auch — une entrevue avec son gendre (29 novembre). Le roi la quitta satisfait en disant qu'il se rendait à Auch près de la reine sa femme et ferait son devoir de bon mari. Quelques jours après, les deux reines se remirent en route et gagnèrent Condom (9 décembre). Catherine aurait été bien aise d'éviter Nérac comme lieu de réunion avec les calvinistes, craignant d'être forcée d'accorder là plus qu'elle n'en avait l'intention. Cependant l'entrée solennelle de Marguerite dans la capitale de l'Albret eut lieu le 15 décembre, et la Cour, logée au château, y demeura une semaine parmi des fêtes et divertissements continuels. Le roi de Navarre avait sa troupe de comédiens italiens, ces Gelosi que son beau-frère Henri III avait mis à la mode ; le poète huguenot Dubartas avait composé en l'honneur de Marguerite un dialogue en trois langues qui fut récité par trois demoiselles personnifiant les muses gasconne, latine et française ; il y eut bals et festins, et plutôt que de politique on s'occupa si bien d'intrigues et d'amourettes, que la reine voulait quelquefois attribuer que les lenteurs se faisaient artificieusement pour voir plus longtemps ses filles[18]. — L'amour, dit Sully, était devenu l'affaire la plus sérieuse de tous les courtisans ; le mélange des deux Cours, qui ne cédaient en rien l'une à l'autre du côté de la galanterie produisait l'effet qu'on en devait attendre ; on se livra aux plaisirs, aux festins et fêtes galantes. Ces jolies filles que menaient avec elles les deux reines, tournaient la tête à tous les seigneurs protestants. Nous devînmes aussi courtisans, dit encore Sully, et faisant l'amoureux comme les autres ; ne nous amusant tous qu'à rire, danser et courir la bague. Le roi de Navarre lui-même, après avoir renoué avec Mme de Sauve, son ancienne passion, s'était épris de la jolie Dayelle[19] ; mais, dit Marguerite aussitôt, cela n'empêchait pas que je ne reçusse beaucoup d'honneur et d'amitié du roi mon mari, qui m'en témoignait autant que j'en eusse pu désirer, m'ayant, dès les premiers jours que nous arrivâmes, conté tous les artifices qu'on lui avait faits pendant qu'il était à la Cour pour nous mettre mal ensemble, et montrant avoir beaucoup de contentement que nous fussions réunis. Catherine coupa court à ces intrigues en retournant au Port-Sainte-Marie, sous prétexte des fêtes de Noël. Elle espérait encore que là se tiendrait le nouveau colloque, ou au prieuré de Paravis, situé en face, sur la rive gauche de la Garonne, et s'y fixa obstinément, sans cesser de se plaindre aussi bien de l'humidité et de l'incommodité du lieu. Elle écrivit à la duchesse d'Uzès, une de ses dames qui avait dû retourner à Paris : Je commence à voir arriver ces députés. Ils ressemblent tous à des ministres ou à ces oiseaux que vous savez, car ici je ne les oserais nommer, mais vous m'entendez et je vous entends ; il v a quarante ans de bonne mémoire. J'espère que tout ira bien[20]. Mais les députés se rendaient à Nérac, non au Port-Sainte-Marie, et, lorsqu'elle parla de les faire venir, on lui représenta qu'ils prendraient crainte et s'en retourneraient, ce qui me fit taire, conclut mélancoliquement Catherine. — Il y eut d'autres complications, et ce fut encore Marguerite qui eut la tache de prendre les derniers arrangements. Enfin, tout fut réglé. Les huguenots étaient rentrés dans la Réole et Fleurance allait être rendu par le roi de Navarre. Catherine, malade, partit cependant pour Nérac (3 février 1579), malgré les avis de quelque embûche, qui lui furent donnés, et les négociations où Marguerite prit une part active aboutirent, après bien des tiraillements[21], surtout à des concessions que la reine mère, bien à contrecœur, fit aux protestants. — Le président Hénault, ici, accuse nettement de faiblesse le chancelier Pibrac qui était devenu amoureux de la reine Marguerite et qu'elle aurait influencé en faveur des réformés, pour se faire bien voir de son mari. Mais une curieuse note de L'Estoile, sans aller chercher ce roman inutile, — car la reine de Navarre s'intéressait fort peu aux avantages dont pouvait bénéficier le parti, — remet les choses au point. La crainte de la Ligue qui grandissait, dit-il, fit résoudre le roi à favoriser Monsieur d'un côté, le roi de Navarre de l'autre, pour meure comme une barre au Bien public et à la religion dont il se targuait ; donne sous main au roi de Navarre une pension de 100.000 francs tous les ans pour leur faire tête et l'avoir tout prêt à remuer quand il lui commanderait ; se rit des exercices que le roi de Navarre donne en ce temps à la reine sa mère en Languedoc, et de la peine qu'elle prend de courir tout le jour après lui pour l'attraper et le tromper, le tout venant du roi qui avait des desseins tout contraires à ceux de sa mère[22]. Nous reviendrons sur la passion de Pibrac, — toute platonique du reste, — et dont Marguerite aurait été la première à se moquer. Catherine, lasse et bernée, ayant eu cette fois affaire à forte partie, ne demandait qu'à retourner. Elle décida sa fille et son gendre à l'accompagner à Agen, puis en Languedoc dont elle réunit les États à Castelnaudary, et crut même un moment qu'elle ramènerait le Béarnais à la Cour[23]. Il conduisit les reines dans le comté de Foix pour leur donner le plaisir de la chasse aux ours ; mais le récit des dangers de cette chasse les effraya et les empêcha de l'y suivre. D'ailleurs il s'était mis en chemin surtout pour surveiller la reddition de Saverdun[24] que la convention de Nérac accordait aux calvinistes comme place de sûreté. Il allégua ensuite qu'il lui fallait passer en Béarn et avec de grandes protestations renvoya le voyage à la Cour à la fin de l'année. Marguerite et sa mère se séparèrent à Castelnaudary, et le roi de Navarre, apprenant le départ définitif de la vieille reine, monta à cheval à Mazères où il se trouvait, et la rejoignit en route pour lui faire ses adieux et l'assurer encore de son bon vouloir. Elle revint par la Provence, où elle vit le duc de Savoie, le Dauphiné et le Lyonnais, se félicitant malgré tout de laisser sa fille en bon ménage[25], d'avoir rapproché son gendre et le maréchal de Biron et remis la Guyenne et le Languedoc, pacifiés, sous l'obéissance du Roi. — Telle fut cette expédition de la reine Catherine, dont les résultats furent d'ailleurs tout provisoires, mais où le détail est curieux parce qu'il fait connaître l'état des esprits et le morcellement de cette partie de la France où commandait nominalement Henri de Bourbon. Hormis le Béarn et l'Albret, c'était quelques villes, quelques territoires, des enclaves que le lieutenant du Roi se tenait toujours prêt à lui enlever, et c'est avec assez de vérité que les Ligueurs, plus tard, lui dirent qu'il avait plus de nez que de royaume. La guerre seule permettait aux protestants de se maintenir comme parti, de se fortifier même, malgré leurs défaites, et ils se défièrent de la pacification qu'apportait Catherine ; seule aussi, et parce qu'elle eut un caractère exclusivement religieux, la guerre fit la force de Henri IV ; comme roi de Navarre prétendant à la couronne, il n'aurait eu que des partisans ; comme chef des calvinistes, il eut des armées.

La reine mère partie, la bonne harmonie paraît avoir régné, au moins aux premiers temps de la réunion entre le Béarnais et Marguerite. Le roi s'en alla avec la reine sa femme à Montauban, où il fut tenu une assemblée, dit Sully, pour prendre résolution sur ce qui était de faire, puisque la reine Catherine s'était éloignée sans pourvoir aux plaintes de ceux de la religion. — Les huguenots, on le voit, malgré les concessions faites, étaient encore mécontents. — Le roi et la reine de Navarre, et Madame, sœur du roi, s'étant retirés à Nérac, la Cour y fut un temps fort douce et plaisante ; on n'y parlait que d'amours et de plaisirs et passe-temps qui en dépendaient. — Les années qu'elle passa auprès de son mari, écrit aussi M. Ludovic Lalanne dans la notice dont il fait précéder les Mémoires de Marguerite, et qu'elle employa comme les précédentes en intrigues et en galanteries, furent les plus heureuses de sa vie, car les deux époux n'avaient guère à se gêner mutuellement dans leurs amours. — Et incontinent il cite ce passage de d'Aubigné[26] : La reine de Navarre eut bientôt dérouillé les esprits et rouillé les armes. Elle apprit au roi son mari qu'un cavalier était sans âme quand il était sans amour, et l'exercice qu'elle en faisait n'était nullement caché ; voulant par là que la publique profession sentit quelque vertu et que le secret fût la marque du vice. Ce prince eut bientôt appris à caresser les serviteurs de sa femme, elle à caresser les maîtresses de son mari. — Il peut sembler néanmoins que Henri de Bourbon n'avait guère à apprendre de Marguerite. S'il ferma les yeux sur les intrigues qu'on lui accorde, il ne se gêna jamais lui-même ; l'histoire de Mme de Sauve et de la Cypriote Dayelle, au moment même où Catherine lui ramenait la reine, en fait foi ; à Agen, sa mère y résidant encore, la princesse fut également témoin de ses assiduités près de Catherine du Luc. La suite répondit à de tels débuts et les amours de celui qui devait être Henri IV ont été assez racontées pour qu'on n'ajoute rien[27].

La position de la reine Marguerite, catholique au milieu des calvinistes, était aussi fort difficile ; elle avait à la fois à ménager la Cour de France, dont elle dépendait pour ses revenus, et les intérêts de celui auquel on avait uni sa destinée. Elle nous a conté elle-même les ennuis qu'elle éprouva au point de vue religieux et qui survinrent dès son entrée à Pau (26 mai) et les réceptions triomphales des premiers jours : Il n'y avait là, écrit-elle dans ses Mémoires, nul exercice de la religion catholique. On me permit seulement de faire dire la messe en une petite chapelle qui n'avait que trois ou quatre pas de long. — A l'heure où l'on voulait dire la messe, on levait le pont du château, de peur que les catholiques du pays, qui n'avaient nul exercice de religion, l'ouïssent. Or, le jour de la Pentecôte, plusieurs trouvèrent moyen d'entrer dans le château et dans la chapelle, d'où la reine n'eut point le courage de les chasser. Ils n'avaient pas été découverts jusques à la fin de la messe, qu'entr'ouvrant la porte pour laisser entrer de mes gens, quelque huguenot l'alla dire à Du Pin[28], secrétaire du roi mon mari, lequel possédait infiniment son maître et avait grande autorité en sa maison, maniant toutes les affaires de ceux de la Religion. Du Pin envoya des gardes qui s'emparèrent des catholiques, les frappèrent en présence de Marguerite et les menèrent en prison. — Cette indignité, dit-elle, fut ressentie infiniment de moi, qui n'attendais rien de semblable. Je m'en allai plaindre au roi mon mari, le suppliant faire relâcher ces pauvres catholiques qui n'avaient mérité un tel châtiment. Mais Le Pin se mit en tiers sans être appelé et sans porter ce respect à son maître de le laisser répondre ; il me dit que je ne rompisse point la tète au roi de cela, que je me contentasse que l'on me permettait de faire dire une messe pour moi et pour ceux de mes gens que j'y voudrais mener. — Ces paroles m'offensèrent beaucoup d'un homme de sa qualité, et suppliai le roi, si j'étais assez heureuse d'avoir quelque part en sa bonne grâce, de me faire connaître qu'il ressentait l'indignité qu'il me voyait recevoir par ce petit homme, et qu'il m'en fît raison. Le roi, voyant que je m'en passionnais justement, le fit sortir et ôter de devant moi, me disant qu'il était fort marri de l'indiscrétion de Du Pin, et que c'était le zèle de sa religion qui l'avait transporté ; que pour ces prisonniers catholiques il aviserait avec ses conseillers du Parlement de Pau ce qui se pourrait faire pour me contenter. — M'ayant ainsi parlé, il alla après en son cabinet où il trouva Le Pin qui le changea tout ; de sorte que, craignant que je le requisse de lui donner congé, il me fuit et me fait la mine. Enfin, voyant que je m'opiniâtrais à vouloir qu'il choisit de Du Pin ou de moi, celui qui lui serait le plus agréable, tous ceux qui étaient là et qui haïssaient l'arrogance de Du Pin lui dirent qu'il ne me devait mécontenter pour un tel homme ; que si cela venait à la connaissance du roi et de la reine ma mère, ils le trouveraient fort mauvais, ce qui le contraignit enfin de lui donner congé. Mais il ne laissa à continuer de m'en vouloir du mal et de m'en faire la mine, y étant à ce qu'il m'a dit depuis persuadé par M. de Pibrac qui jouait au double, me disant à moi que je ne devais souffrir d'être bravée d'un homme de peu comme celui-là, et disant au roi mon mari qu'il n'y avait apparence que je le privasse du service d'un homme qui lui était si nécessaire ;ce que M. de Pibrac faisait pour me convier à force de déplaisir de retourner en France, où il était attaché à son état de président et de conseiller au conseil du roi.

Marguerite se croyait plus forte et mieux en faveur. Elle avait été, à la cour île France, en la sujétion de Catherine et de Henri ; à la Cour de Navarre, elle eut à subir non seulement, l'aversion des huguenots mais l'humeur du Roi au Gré de ses maîtresses. Pour empirer encore ma condition, poursuit-elle, depuis que Dayelle s'était éloignée, le roi mou mari s'était mis à rechercher Rebours[29] qui était une fille malicieuse qui ne m'aimait point et qui me faisait tous les plus mauvais offices qu'elle pouvait. Mais la Cour quitta Pau, y laissant Rebours qui était malade. Le roi de Navarre, l'avant perdue des yeux, l'eut bientôt oubliée ; mais comme il lui fallait toujours quelque affection nouvelle, il commença à s'embarquer avec Fossense[30], qui était plus belle, et pour lors toute enfant et toute bonne. — Marguerite eut d'ailleurs presque aussitôt l'occasion de lui montrer du dévouement. En allant à Montauban, nous passâmes, dit-elle, par une petite ville nommée Eauze[31] où, la nuit que nous arrivâmes, le roi mon mari tomba malade d'une grande fièvre continue, avec une extrême douleur de tête, qui lui dura dix-sept jours, durant lesquels il n'avait repos ni jour ni nuit, et le fallait perpétuellement changer de lit à autre. Je tue rendis si sujette à le secourir, ne me partant jamais d'auprès de lui, sans me déshabiller, qu'il commença d'avoir agréable mon service et s'en louer à tout le monde, et particulièrement à mon cousin M. de Turenne, qui me rendant office de bon parent, me remit aussi bien avec lui que j'y avais jamais été. — On doit sans doute attribuer, dit Mongez, à cette réconciliation momentanée l'indifférence du roi de Navarre et le peu de foi qu'il parut ajouter aux bruits scandaleux qui lui furent rapportés bientôt sur la conduite de sa femme et du vicomte, qu'on lui donnait pour amant.

Mézeray, Mongez qui le copie, et après lui Anquetil, Henri Martin, ont incriminé à ce propos Henri III, qui aurait agi d'après quelque bavardage de Pibrac dont le retour en France coïncide avec ce moment. : Philippe de Strozzi, dit Mongez, qui devait épouser la sœur de M. de Turenne, demanda au roi son agrément pour se rendre à la Cour de Navarre où elle se trouvait. Le roi destinait cette femme à l'un de ses mignons et fut piqué d'une demande qui dénotait un accord établi entre Strozzi et la maison de la Tour. Il n'osa refuser son consentement mais, espérant être désagréable à M. de Turenne et en même temps à sa sœur Marguerite, il chargea Strozzi de remettre au roi de Navarre des lettres qui l'instruisaient de l'intrigue de la reine, l'engageant à la faire cesser et surtout à n'en rien témoigner aux intéressés. — Il paraît que Henri de Béarn montra et même remit les lettres à Marguerite, et l'on n'a pas manqué d'ajouter que l'indulgence que montrait la reine pour les intrigues de son mari exigeait un pareil retour ; mais son inclination pour le futur prince de Sedan est restée jusqu'ici à l'état de supposition[32]. — Outrée du procédé, Marguerite aurait alors cherché une vengeance et n'aurait mieux trouvé que de remettre en guerre son mari et le roi de France. — On avait cru tous les troubles apaisés par l'accord de Nérac. Henri III paraissait sans inquiétude sur la Guyenne et plaisantait avec ses mignons, le roi son beau-frère qu'il traitait, dit Mongez, avec le plus grand mépris. Le duc de Guise, amant de Mme de Sauve, s'égayait de son côté sur le roi de Navarre. Marguerite, informée de ces railleries, aurait alors employé l'osseuse, à qui elle faisait part des nouvelles qu'on lui envoyait de Paris, et l'osseuse en parlait au Béarnais. Puis ce fut une autre fille, nommée Xaincte, que le roi courtisait également. La reine aurait gagné encore les maîtresses de ceux qui avaient le plus d'autorité dans le conseil, si bien que ces intrigues firent donner à la guerre qui recommença bientôt le nom de guerre des amoureux[33], nom qui lui convient d'autant mieux, ajoute Mongez, qu'aucun de ceux qui composaient le Conseil du roi de Navarre, si l'on excepte le seul Favas, que rage avait guéri des folies de l'amour, n'était exempt de cette passion. — Ce qui est certain, c'est que, selon la politique de Catherine, la reine de Navarre avait composé sa suite de dames remarquables pour leur beauté, mais dont la galanterie lui attira de multiples déboires ; qu'elle s'occupa comme sa mère de retenir par ses femmes ceux dont elle crut avoir besoin, et qu'elle leur fit épouser parfois ses ressentiments et ses querelles. D'Aubigné écrit à ce propos : En se concertant, la paix et la guerre du royaume étaient entre leurs mains ; mais il est difficile de croire que le parti huguenot tout entier ait obéi à ces petites intrigues et la guerre des amoureux demeure un des épisodes les plus obscurs de cette histoire romanesque. — Dès l'assemblée de Montauban (juillet 1579), la nouvelle prise d'armes était virtuellement résolue, — ce qui n'empêcha pas le Béarnais de mander au roi qu'on n'y avait rien traité a que pour le bien de son service. En, même temps il se plaignait de Biron qui favorisait partout des ligues. Marguerite, comme comtesse d'Agen, dut même écrire aux consuls (24 août) afin de les mettre en garde des menées faites sur leur ville. Les catholiques s'emparèrent, de Figeac en septembre, de Montagnac au diocèse d'Agde le mois suivant ; les réformés emportèrent Mende le 25 décembre. Il est difficile de dire à qui incombe, des protestants ou des catholiques, la responsabilité du conflit ; mais déjà les deux partis armaient, se défiant l'un de l'autre et s'apprêtant à la guerre[34]. Le soulèvement général pour les calvinistes avait été fixé au 15 avril, et ils devaient se saisir, ce jour-là de plus de soixante villes ou places d'importance[35]. C'est alors que fut envoyé Strozzi, avec charge de faire exécuter strictement le dernier édit de pacification et d'empêcher surtout une reprise des hostilités. Mais une des clauses de l'édit spécifiait la remise des places de sûreté. La Cour, d'autre part, se refusait à mettre le roi de Navarre en possession des villes données en dot à sa femme. Il fallait rendre les places où s'étaient cantonnés les protestants pour avoir la paix ou les défendre par la guerre[36]. Ce fut le parti de la guerre qui l'emporta. — Marguerite peut donc, on le voit, se défendre dans ses Mémoires d'en avoir été cause[37], et c'est même assez justement qu'elle affirme qu'elle n'éclata que parce que ses avis furent méconnus : Durant ce temps-là, dit-elle, après avoir narré sa réconciliation et le moment de paix qui suivit, le roi servait Fosseuse, qui dépendant du tout de moi se maintenait avec tant d'honneur et de vertu que si elle avait toujours continué de cette façon, elle ne fut tombée au malheur qui lui en a tant apporté, et à moi aussi. Mais la fortune suscita un nouveau sujet de guerre entre le roi mou mari et les catholiques, rendant le roi mon mari et M. le maréchal de Biron, tant ennemis que, quoique je pusse faire pour les maintenir bien ensemble, je ne pus empêcher qu'ils ne vinssent à une extrême défiance et haine, commençant à se plaindre l'un de l'autre au roi. — Ce commencement de désunion s'allant toujours accroissant, M. le maréchal de Biron conseille au roi de venir en Guyenne, de quoi les huguenots étant avertis, croient que le roi y venait seulement pour les désemparer de leurs villes et s'en saisir ; ce qui les fit résoudre à prendre les armes, qui était tout ce que je craignais de voir. J'en parlai au roi mon mari et à tous ceux de son Conseil, leur remontrant combien peu avantageuse leur serait cette guerre, où ils avaient un chef contraire tel que M. le maréchal de Biron, grand capitaine et fort animé contre eux, qui ne les feindrait ni ne les épargnerait comme avaient fait d'autres. Mais la crainte qu'ils avaient de la venue du roi en Guyenne et l'espérance de plusieurs entreprises qu'ils avaient sur la plupart des villes de Gascogne et de Languedoc les y poussaient tellement qu'encore que le roi mon mari me fit cet honneur d'avoir beaucoup de créance et confiance en moi, et que les principaux de ceux de la religion m'estimassent avoir quelque jugement, je ne pus pourtant leur persuader ce que bientôt après ils reconnurent pour être vrai[38]. — Longtemps devant que l'on vint à ces termes, j'en avais averti le roi et la reine ma mère, pour y remédier en donnant quelque contentement au roi mon mari ; mais ils n'en avaient tenu compte, étant persuadés par le maréchal de Biron qu'il y avait moyen de réduire les huguenots aussi bas qu'il vondrait2[39]. — On a en effet une lettre de Marguerite à Henri III où elle signale comme très préjudiciables à la paix les menées de Biron. Il sème continuellement des bruits pour nourrir les défiances, écrit-elle, et fait croire que vous voulez la guerre, disant que l'armée du Dauphiné n'est assemblée que pour venir en Languedoc, et de Languedoc en Guyenne ; que l'armée qui se fait du côté d'Auvergne est pour se joindre à celle du Dauphiné. Tous ces bruits impriment d'étranges soupçons qui disposeraient plusieurs esprits tout autrement que vous ne le désireriez[40]. — Mais il faut ajouter à ceci le manifeste sous forme de lettre que le roi de Navarre adressa à sa femme au début des hostilités (10 avril 1580) et qui petit sembler réellement sa justification, toutefois qu'on n'ait voulu y voir, pour l'un et l'autre, que de la duplicité. — M'amie, dit le roi, encore que nous soyons tellement unis que nos cœurs et nos volontés ne soient qu'une même chose, et que je n'aie rien si cher que l'amitié que vous me portez ; pour vous en rendre les devoirs dont je me sens obligé, si vous prierai-je de ne trouver étrange une résolution que j'ai prise, contraint par la nécessité, sans vous avoir rien dit. Mais puisque c'est force que vous le sachiez, je vous puis protester m'amie, que ce m'est un regret extrême, qu'au lieu du contentement que je désirais vous donner, et vous faire recevoir quelque plaisir en ce pays, il faille tout le contraire, et qu'ayez ce déplaisir de voir ma condition réduite à un tel malheur. Mais Dieu sait qui en est cause. Depuis que vous êtes ici, vous n'avez ouï que plaintes ; vous savez les injustices qu'on a faites à ceux de la religion ; vous êtes témoin de la peine que j'ai prise pour y apporter de la douceur. Tant de voyages à la Cour, tant de cahiers de remontrances et de supplications en peuvent faire foi. Tout cela n'a guéri rien ; le mal s'augmentant toujours s'est rendu presque incurable. Le roi dit qu'il veut la paix : je suis content de le croire ; mais les moyens dont son Conseil veut user tendent à notre ruine. Les déportements de ses principaux officiers et de ses cours de Parlement nous le font assez paraître. Dans ces jours passés, vous avez vu connue on nous a cru surprendre au dépourvu ; nos ennemis sont à cheval, les villes ont levé les armes. Vous savez quel temps il y a que nous avons eu avis des préparatifs qui se font, des états qu'on a dressés pour la guerre. Ce que je considère est pie plus nous attendrons, plus on se fortifie de moyens. Ayant aussi, par les dépêches dernières qui sont venus de la Cour assez connu qu'il ne se faut plus endormir, je suis parti avec autant de regret que j'en saurais avoir, ayant différé de vous en dire l'occasion, pour ce que les mauvaises nouvelles ne se savent que trop tôt. Nous aurons beaucoup de maux, beaucoup de difficultés, besoin de beaucoup de choses ; mais nous espérons en Dieu et tâcherons de surmonter tous les défauts par patience, à laquelle nous sommes usités de tout temps. Je vous prie, m'amie, commandez pour votre garde aux habitants de Nérac. Vous avez là M. de Lésignan[41] pour en avoir le soin s'il vous est agréable et qui le fera bien. Cependant aimez-moi toujours comme celui qui vous aime et estime plus que chose au monde. Ne vous attristez point ; c'est assez qu'il y en ait un de nous deux malheureux.... Je vous baise un million de fois les mains[42].

Il y a là peut-être une affectation de tendresse et de déférence à laquelle la reine fut rarement accoutumée. Le factum du roi sans doute était destiné à la publicité. Marguerite, on peut le penser encore, était beaucoup plus au courant des choses que son mari ne veut le dire. Mais nous sommes loin, en tout cas, des machinations qu'on lui prête et Henri de Navarre assume toute la responsabilité de la résolution qu'il a prise[43]. — Quoi qu'il en soit, il faillit presque aussitôt tomber dans une embuscade tendue par le maréchal de Biron. Il était à la chasse aux environs de Mazères lorsque Marguerite l'avertit qu'une troupe l'épiait pour le prendre et tuer. Il n'eut que le temps de passer la Garonne à gué et de se retirer à Nérac. La guerre commença le 20 avril. Le prince de Condé, en Picardie, s'empara de la Fère et après quelques petits combats, le 29 mai, le roi de Navarre prit de vive force la forte place de Cahors. — Le dimanche 29e jour de mai, dit L'Estoile, partie par surprise, partie par intelligence, les huguenots de Gascogne gagnèrent une des portes de la ville, et y eut après âpre combat auquel le seigneur de Vésins, sénéchal et gouverneur de Querci fut blessé avec plusieurs des siens ; et enfin après avoir vertueusement combattu et soutenu l'assaut deux jours et deux nuits, n'étant le plus fort, se retira à Gourdon. Le roi de Navarre y vint en personne, dix heures après la première entrée des siens, usant d'un trait et diligence de Béarnais, s'étant levé de son lit, d'auprès de sa femme, avec laquelle il avait voulu coucher exprès, afin qu'elle ne se défiât de rien. Sur quoi aussi elle osa bien assurer leurs Majestés que son mari n'y était pas, encore qu'il y combattit en personne[44], y ayant perdit tout plein de bons soldats de sa garde. La friandise du grand nombre des reliques, ajoute le chroniqueur, et autres meubles et joyaux précieux étant dedans Cahors fut la principale cause de l'entreprise. — L'affaire est contée tout au long par Sully. Marguerite dit elle-même que t‘ la ville fut prise par pétards avec perte de beaucoup de gens, et disputée rue par rue et maison par maison, et que cette prise affaiblit plus qu'elle ne fortifia le parti, tellement que le maréchal de Biron, qui avait quitté Bordeaux avec des troupes, tint la campagne, attaquant et emportant toutes les petites villes que possédaient les huguenots, mettant tout au fil de l'épée.— Henri III tomba de haut lorsqu'il apprit la prise et le pillage de Cahors. Cette ville, dit Mongez, était de l'apanage de Marguerite[45], contre l'usage qui veut que les filles de nos rois ne soient dotées qu'en argent. Mais ce démembrement avait été mal accueilli, dans le Quercy principalement où l'on était hostile aux calvinistes ; loin de s'attacher au roi de Navarre, les habitants n'en étaient que plus indisposés contre lui. — Marguerite, ayant l'idée de rentrer dans Cahors et dans Agen, aurait été ainsi l'instigatrice du coup de main. Le roi, pris d'une violente colère à cette nouvelle, — non qu'il ne s'attendît à quelque bataille, mais encore était-il surpris et outré de l'audace des huguenots, — crut devoir s'en prendre à sa sœur et fit appeler Pibrac[46]. Le chancelier aborda Henri III comme il traversait la cour du Louvre pour se tendre à la messe : Savez-vous, lui cria le roi, que Cahors a été pris et saccagé, tous les habitants massacrés et le butin des églises publiquement vendu à Nérac ? Le vieux conseiller répondit qu'il l'ignorait. Les officiers auxquels la reine, poursuivit Henri III, a donné des offices et bénéfices ont trahi la ville et reçu l'ennemi ; je ne veux plus qu'elle aye ce moyen de me nuire ; j'ai commandé ce matin à mon procureur général de faire saisir les lettres qu'elle a ; et quant à vous, je vous défends d'user de son sceau, ni sceller offices quelconques. — Dès le même jour, les prédicateurs clamèrent dans les églises contre le roi de Navarre, envenimant encore les choses par leurs exagérations. Mais Pibrac fit demander une audience à la reine mère et la supplia d'intercéder près du roi et de lui assurer que sa sœur n'avait nommé à aucun bénéfice ni office dans Cahors, comme l'état des expéditions de son sceau en faisait foi. Catherine arrangea l'affaire avec assez de peine et la confiscation fut révoquée. Mais Pibrac dit que de cinq mois il n'osa plus se présenter au Louvre. Le roi fit d'ailleurs saisir partout les biens des huguenots révoltés (6 juin 1580) et en particulier ceux du roi de Navarre que le Parlement de Toulouse mit en séquestre pour fournir aux frais de la guerre. En même temps il lança un édit qui confirmait les avantages déjà concédés à ceux des protestants qui demeureraient en leurs terres et maisons, et envoya de nouvelles troupes en Guyenne.

Dès le début de cette guerre, dit encore Marguerite, voyant que l'honneur que le roi mon mari me faisait de m'aimer me commandait de ne l'abandonner, je me résolus de courir sa fortune[47] ; non sans extrême regret de voir que le motif de cette guerre, fût tel que je ne pouvais souhaiter l'avantage de l'un ou de l'autre, que je ne souhaitasse mon dommage : car si les huguenots avaient du meilleur, c'était la ruine de la religion catholique ; si aussi les catholiques avaient l'avantage, je voyais la ruine du roi mon mari. Retenue néanmoins auprès de lui par mon devoir et par l'amitié et fiance qu'il lui plaisait me montrer, j'écrivis au roi et à la reine ma mère l'état en quoi je voyais les affaires de ce pays-là, pour en avoir été les avis que je leur en avais donnés négligés ; que je les suppliais, si en ma considération ils ne me voulaient tant obliger que de faire éteindre ce feu au milieu duquel je me voyais exposée, qu'au moins il leur plut commander à M. le maréchal de Biron que la ville où je faisais mon séjour, qui était Nérac, fut tenue en neutralité, et qu'à trois lieues près de là il ne s'y fit point la guerre ; et que j'en obtiendrais autant du roi mon mari pour le parti de ceux de la religion[48]. Marguerite, on le voit, correspondait toujours avec la Cour.

Cela me fut accordé, continue-t-elle, pourvu que le roi mon mari ne fût point dans Nérac. Cette condition fut observée de l'un et l'autre parti avec autant de respect que j'eusse pu désirer ; mais elle n'empêcha pas que le roi mon mari ne vint souvent, étant son naturel de se plaire parmi les dames, même étant alors fort amoureux de bosseuse[49]. — Ces considérations l'avant un jour amené à Nérac avec ses troupes, il v séjourna trois jours, ne pouvant se départir d'une compagnie et d'un séjour si agréables. Le maréchal qui n'épiait qu'une telle occasion, en étant averti, feint de venir avec son armée près de là, pour joindre à un passage de rivière M. de Cornusson, sénéchal de Toulouse, qui lui amenait des troupes ; il tourne vers Nérac, et sur les neuf heures du matin s'y présente avec toute son armée en bataille, près et à la volée du canon[50]. Le roi mon mari qui avait eu avis dès le soir de la venue de M. de Cornusson, voulant les empêcher de se joindre et les combattre séparés, ayant forces suffisantes pour ce faire — car il avait lors M. de La Rochefoucauld et toute la noblesse de Saintonge, et bien huit cents arquebusiers à cheval qu'il lui avait amenés[51], était parti du matin au point du jour pensant les rencontrer sur le passage de la rivière ; mais les avant failli il revint à Nérac on, comme il entrait par une porte, il sut le maréchal de Biron être en bataille devant l'autre. Il faisait ce jour-là un fort mauvais temps et une si grande pluie : que l'arquebuserie ne pouvait servir. Néanmoins, le roi mon mari jette quelques troupes dans les vignes pour empocher que le maréchal de Biron n'approchât plus près. Le maréchal demeurant cependant en bataille à notre vue, et laissant seulement débander deux ou trois des siens, qui vinrent demander des coups de lance pour l'amour des dames, se tenait ferme, couvrant son artillerie jusqu'à ce qu'elle fut prête à tirer ; puis faisant fendre sa troupe, fait tirer sept à huit volées de canon dans la ville, dont l'un donna jusques au château[52] ; et ayant fait cela, part et se retire, m'envoyant un trompette pour s'excuser. — En toute autre occasion, poursuit la reine, M. le maréchal m'avait rendu beaucoup de respect et témoigné de m'être ami ; car lui étant tombé de mes lettres entre les mains durant la guerre, il me les avait renvoyées tontes fermées ; et tous ceux qui se disaient à moi ne recevaient de lui qu'honneur et bon traitement. Je répondis à son trompette que je savais bien que M. le maréchal ne faisait en cela que ce qui était du devoir de la guerre ; mais qu'un homme prudent. Comme il était pouvait bien satisfaire à l'un et à l'autre sans offenser ses amis. — Marguerite, d'ailleurs, garda rancune à Biron de sa canonnade ; l'accord ne fut fait entre eux que lorsque, la reine revenue à la Cour en 1582, le maréchal se fut employé en excuses.

La guerre s'éternisait sans grands avantages d'un côté ou de l'autre[53] ; on se battit un peu dans le Poitou, dans le Dauphiné. La Fère, assiégée par une armée royale que commandait Matignon, capitula le 12 septembre ; encore ce siège de deux mois et demi avait-il traîné parce que le maréchal, disait-on, avait voulu se faire valoir et ménager les mignons du roi qui étaient venus à l'armée. Quant au prince de Condé, il était sorti de la place dès le 22 mai, gagnant l'Allemagne pour y demander du secours. — Il ne restait plus qu'à faire la paix et ce fut l'œuvre du duc d'Anjou revenu de Flandre et qui, à l'instigation de Marguerite, proposa au roi de s'entremettre pour arriver à un traité.

Le frère de Henri III n'avait du reste rencontré que des déceptions dans les Pays-Bas. On lui avait donné, dit M. de Laferrière, le titre vain de défenseur de la liberté. On avait signé à Anvers, le 20 août 1578, une convention qui stipulait la remise de plusieurs villes. Mais c'était tout. Il n'avait rien reçu. Il négociait toujours avec Élisabeth d'Angleterre et n'avançait pas davantage. Henri III, d'autre part, ne cessait de le rappeler. Il hésita, fixa son départ au 25 décembre, le retarda jusqu'après les fêtes de Noël et enfin le 8 janvier 159 rentra en France et se retira à Condé. — Une lettre de La Noue donne quelques détails sur la situation pitoyable de ses troupes : Tant de Français que les paysans peuvent attraper, dit-il, ils les tuent, et sont quasi tous armés ; voilà les haines anciennes renouvelées contre notre nation ! A la vérité, les insolences de nos gens de guerre en ont été en partie cause ; il ne fallait amener tant de gens, et les bien payer et les faire bien vivre. Quant à rhabiller ce mal, il n'est guère quasi possible, car les injures ne s'effacent sitôt de la mémoire d'un peuple[54]. — Le retour des troupes fut aussi peu glorieux. Dès la fin d'octobre 1578, le duc avait renvoyé La Châtre avec 4.000 arquebusiers, lesquels, dit L'Estoile, revenant par le pays de Picardie, furent contraints marcher en bataille, parce que, de tous soldats revenant de Flandre, les piteaux Picards, Champenois et Normands faisaient un cruel massacre quand ils le pouvaient trouver à leur avantage. Enfin, las d'attendre le bon vouloir des États, le duc d'Anjou revint à Alençon. — La réconciliation des deux frères se fit bientôt. Bussy s'y opposait, mais une de ces insolences dont il avait coutume, éloigna définitivement de lui le duc. Ils jouaient à belle injure une fois qu'ils s'étaient rendus à Angers ; le duc d'Anjou lui commanda de lui répondre sur le même ton qu'il lui parlerait lui-même et de lui dire ses vérités. Bussy s'écria enfin qu'il ne voudrait pas de Monsieur pour son valet de chiens tant il paraissait de mauvaise mine[55]. Le prince ne souffrait guère la plaisanterie sur sa laideur ; deux jours après, sans communiquer son dessein, il prit la poste et arriva au Louvre. Le roi qui ne l'attendait plus fut transporté de joie ; il le combla de caresses et le fit coucher avec lui[56] ; puis le lendemain la Cour alla en corps à la Sainte-Chapelle faire chanter un Te Deum pour sa bienvenue et la paix reconquise (16 mars 1579). — Simier en même temps fut envoyé en Angleterre pour presser Élisabeth ; les fiancés s'écrivirent des lettres tendres ; les négociations mime allèrent si bien un moment que le duc d'Anjou se décida au voyage. — Le lundi 3e de juillet, écrit L'Estoile, M. le duc étant dans le coche de M. de Mende, partit en fort petite compagnie et s'en alla à Boulogne sur la nier, où après avoir séjourné trois semaines, il passa en Angleterre sous le sauf-conduit de la reine, de laquelle il fut joyeusement et magnifiquement reçu en un sien château, proche de deux lieues de la ville de Londres où ils demeurèrent huit jours ensemble en leurs entrevues et pourparlers de leur mariage. Selon certains témoignages, elle aurait même été sa maitresse ; et l'on peut croire en effet que la reine anglaise, qui prenait de l'âge, ne fut point fâchée de se voir traitée en amoureuse par ce jeune homme. Mais l'union convenue n'en demeura pas moins à l'état de promesse.

C'est durant cette absence que fut tué Bussy, au château de la Coutancière en Anjou (19 août 1579), par le comte de Montsoreau aidé de dix ou douze, lesquels de furie se ruèrent sur lui pour le massacrer. Le duc d'Anjou, paraît-il, pour divertir le roi son frère, lui avait montré une lettre dans laquelle Louis de Clermont lui mandait qu'il avait tendu des rets à la biche du grand veneur et qu'il la tenait dans ses filets. Il s'agissait de la femme de Charles de Chambre, comte de Montsoreau, à qui le duc d'Anjou, à la sollicitation de Bussy même, avait donne cette charge. Henri III, qui haïssait Bussy, vit là une merveilleuse occasion de vengeance. Il garda la lettre et la montra à Montsoreau qui obligea sa femme à donner un rendez-vous au seigneur d'Amboise et alla l'y surprendre avec une troupe de spadassins[57]. — Ce gentilhomme, se voyant si pauvrement trahi, dit L'Estoile, ne laissa pourtant de se défendre jusques au bout, montrant que la peur, comme il disait souvent, jamais n'avait trouvé place dans son cœur. Car tant qu'il lui demeura un morceau d'épée dans la main, il combattit toujours, et jusques à la poignée, et après s'aida des tables, bancs, chaises et escabelles, avec lesquelles il blessa et offensa trois ou quatre de ses ennemis, jusques à ce qu'étant vaincu par la multitude et dénué de toutes armes et instruments pour se défendre, il fut assommé, près une fenêtre par laquelle il voulait se jeter. — On ne nous a rien transmis des impressions de Marguerite lorsqu'elle apprit la mort de cet homme qu'elle avait admiré et aimé[58], mais elle dut en être profondément affectée. Pour le duc d'Anjou, s'il ne donna pas son consentement au meurtre, on est certain qu'il regretta peu son ancien favori. Son engouement était passé. Il s'était réconcilié avec le roi qui aidait ses négociations avec Élisabeth ; Catherine y contribuait pour Sa pari et l'ambassadeur Castelnau avait ordre de travailler à la réalisation du mariage anglais an milieu des incertitudes, des incidents politiques, des sautes d'humeur de la reine. Le duc n'avait guère le temps de s'occuper de la mort de Bussy. — Il continuait du reste d'autres négociations avec la Flandre catholique ; une députation, ayant pour chef Marnix de Sainte-Aldegonde, — qui devait s'illustrer cinq ans plus tard par la mémorable défense d'Anvers, — lui fut envoyée et une première convention fut signée à Plessis-lez-Tours (12 août 1580). Mais cet arrangement restait lettre morte tant que durait la guerre protestante, qui occupait les troupes royales. Le roi, toujours inquiet de son frère malgré les plus belles apparences, avait craint un moment qu'il ne se joignit aux réformés, et dès le mois de mai lui avait envoyé Villeroi, secrétaire d'État, lui porter des lettres du lieutenant général du royaume, qu'il désirait, ayant doute, dit l'Estoile, qu'il sut quelque chose des causes de ce remuement d'armes que faisait le roi de Navarre en Gascogne. — Toutefois, Henri III, au commencement de juillet encore, refusa une trêve de deux mois que demandait Monsieur, disant qu'il n'entendrait rien jusqu'à ce que les huguenots lui eussent rendu Mende, Cahors, la Fère, et remis toutes choses en l'état. Marguerite répète également qu'elle écrivit plusieurs fois au roi et à Catherine, mais qu'ils ne voulaient rien accorder, se fiant à la bonne fortune qui jusqu'alors avait accompagné Biron. — Enfin, le duc d'Anjou décida son frère et partit le 20 septembre pour aller à la rencontre du roi de Navarre, et s'adjoignit Bellièvre, Villeroi, le maréchal de Cossé, le duc de Montpensier et les députés des États. Il se rendait bien compte de la nécessité d'un accommodement, car il écrivait à son agent dans les Pays-Bas : Sans la paix, je ne pourrai rien tirer du roi ; c'est la perte de tout ce qui m'est offert[59]. — Mais le Béarnais, malgré qu'il fût en mauvaise posture, ceux de la religion ayant toujours du pire, était trop rusé pour ne pas profiter des embarras de son beau-frère. Il ne se fit point faute de promettre de prendre part, lui aussi, à la guerre de Flandre, bien décidé d'ailleurs à ne pas s'engager dans cette aventure[60]. — Le duc d'Anjou devait d'abord secourir Cambrai, livré par M. d'Inchy et qu'assiégeait l'armée espagnole commandée par le duc de Parme. Il y avait envoyé M. de Balagny, qui s'était jeté dans la place, laquelle ne se pouvait perdre, dit Marguerite, qu'il ne perdit tout le reste du pays. Henri de Navarre sut tout traiter à son avantage. Les conférences se tinrent partie à Coutras, partie au château de Fleix, près de Sainte-Foy-la-Grande en Périgord, et le duc signa le 27 novembre une trêve de douze jours, qui fut renouvelée pour dix jours le 8 décembre suivant ; le traité, ratifié par Henri III le 26, était conforme en apparence aux conventions de Nérac, mais comportait des articles secrets dont l'un, croit-on, avait trait au remplacement de Biron, comme lieutenant du roi en Guyenne, par le maréchal de Matignon, sur les instances du roi et de la reine de Navarre[61].

C'est à peu près tout ce que l'on peut rapporter sur celle curieuse Guerre des amoureux, dont les causes incertaines ont préoccupé les historiens, tant la contradiction des témoignages est grande. — Une note de L'Estoile, sous le titre : guerre de l'an 1580, ajoute encore aux difficultés, car il dit : Cette guerre fut un petit feu de paille allumé et éteint aussi soudain, la meilleure et la plus forte partie de ceux de la religion n'ayant bougé de leurs maisons, et y ayant, été conservés doucement sous l'autorité du roi. Le reste, qui ne remua qu'a regret et par force — et par artifice comme on disait de la reine mère, qui voulait un peu exercer sou gendre, qui l'avait trop promenée à son gré — fut incontinent apaisé et aussitôt que le roi le voulut, lequel ayant en cet endroit une intention couverte, contraire à celle de sa mère, les faisait crier et taire comme il lui plaisait. — Mais les Valois se sont tellement trompés et joués les uns les autres qu'il est parfois impossible de dire au juste quelles furent leurs intentions véritables.

 

 

 



[1] D'AUBIGNÉ, Histoire universelle, t. V.

[2] Trésorerie et recepte générale des finances et maison de la reine de Navarre, KK, 28 vol., in-4°, n° 158 à 186.

[3] Afin d'envoyer sa sœur en Gascogne, le roi avait demandé un décime et demi au clergé, outre les moyennes décimes ordinaires, ce qui lui valut blâmes et remontrances. — Le clergé obtint du reste de ne pas payer. L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. I, p. 263 et suivantes.

[4] Édit. Buchon, t. II, p. 162. — Marguerite de Valois avait mis à la mode, parait-il, de montrer sa gorge, qu'elle avait fort belle, et dont la plupart des courtisans mouraient, voire des dames que j'ai vues, aucunes de ses plus privées, avec sa licence la baiser par un grand ravissement. Ibid., p. 160.

[5] Après la paix dite de Monsieur, le roi de Navarre avait fait d'Agen sa résidence principale, et, d'accord avec le parti des politiques, mis des gouverneurs à ses gages dans toutes les villes de la province. Cependant, comme il n'avait pu obtenir des États de Blois la confirmation du traité, Bordeaux refusa de le recevoir. Cf. Ph. LAUZUN, Itinéraire de Marguerite de Valois, dans la Revue de l'Agenais.

[6] Armand de Gontaut-Biron, qui avait succédé à l'amiral de Villars et commandait les troupes du roi en Guyenne. Il fut tué au siège d'Épernay en 1592.

[7] Édit. Buchon, t. II, p. 162. Sur l'entrée de Marguerite de Valois à Bordeaux, cf. la Chronique Bordelaise, par DE LURBE, celle de Jean DE GAUFFRETEAU, et l'Histoire de Bordeaux, par l'abbé Patrice-John O'REILLY.

[8] Selon les Mémoires du duc de Bouillon, Catherine part, quoiqu'elle n'eût pas la parole du roi de Navarre de la recevoir, s'acheminant, priant et menaçant que, menant sa fille, si elle était refusée, que la honte qu'on ferait au roi et à elle serait telle que prenant le seul roi de Navarre à partie, on donnerait la jouissance de l'Édit à ceux de la religion... Les provinces disaient qu'elles n'avaient eu les armes à la main que pour la religion, et cela fit changer d'avis au roi de Navarre.

[9] À Agen où il s'était établi, le roi de Navarre avait transformé une des portes — la porte du Pin — en une véritable citadelle et projetait d'élever un fort sur l'emplacement du couvent des Jacobins qui dominait la ville. Les habitants, en majorité catholiques, s'étaient plaints de ce séjour prolongé des huguenots et des charges qu'ils supportaient. Le 30 mai 1578, Biron les fit retirer et le roi de Navarre n'était pas à Lectoure où, il s'établissait plus fortement encore, que tous les forts et marques de guerre étaient rasés dans Agen. Cf. Ph. LAUZUN, Itinéraire.

[10] Le jeudi 16 octobre, dit l'Estoile, le roi va à Olinville, où il chasse et passe son temps, et là reçoit nouvelles de la reine sa mère, du bon et gracieux accueil et magnifique réception que le roi de Navarre avait fait, à Nérac, à elle et à la reine de Navarre sa fille. — En cette entrevue, M. le cardinal de Bourbon tint quelques propos au roi de Navarre, son neveu, pour se ranger à la religion catholique, dont le roi de Navarre se gaussant et découvrant par sa bouche le langage de la Ligue, qui dès ce temps commençait à pratiquer le bonhomme, lui dit tout haut en riant : Mon oncle, on dit en ce pays-ci qu'il y en a qui vous veulent faire roi ; dites-leur qu'ils vous fassent pape, ce sera chose qui vous sera plus propre, et si serez plus grand qu'eux, ni tous les rois ensemble. Ce conte ayant été fait au roi à Olinville le fit rire bien fort. — L'Estoile veut sans doute parler ici de la réception de la Réole, les reines n'étant venues à Nérac qu'en décembre 1578.

[11] SULLY, Économies royales, Mémoires de Marguerite, p. 156 ; Ph. DE LAUZUN, Itinéraire.

[12] La nouvelle fut apportée par un gentilhomme du sieur de Favas, dit Sully.

[13] Anne d'Aquaviva, — la bouffonne d'Atrie, comme l'appellent les contemporains ; elle épousa plus tard le financier Ludovic Adjacet, qui acheta pour 400.000 francs le comté de Château-Villain.

[14] SULLY, DE THOU. — D'Aubigné dit que d'Ussac, révolté, avait fait entrer Duras à la Réole.

[15] Le vicomte de Turenne ajoute ici que d'Ussac, gagné, quitta au bout de quelques mois la religion, et tint cette place la guerre suivante contre ceux de la religion, au préjudice de son âme et de son honneur. C'est là, sans doute, qu'il faut chercher l'origine de la légende où l'on a fait intervenir la bouffonne d'Atrie. D'Ussac a laissé d'ailleurs des Mémoires, dans lesquels il essaye de justifier sa défection et que M. le baron de Ruble s'est proposé de publier dans la collection de la Société de l'histoire de France.

[16] Henri III se montra aussi fort mécontent quand il fut informé de l'affaire de la Réole et invita sa mère à reprendre la ville et la restituer au roi de Navarre. (Lettre du 9 décembre 1578 ; fonds fr., vol. 20.509, f° 23.)

[17] Cf. Lettre de Catherine de Médicis, t. VI. Collection des Documents inédits.

[18] Mémoires de Marguerite de Valois, édit. elzévirienne, p. 157.

[19] Il s'agit de Mlle Davila ou d'Avila, Cypriote, sœur de l'historien Davila, une des filles d'honneur de Catherine. (BRANTÔME.) Elle fut mariée à Jean d'Hémeries, seigneur de Villars, gentilhomme normand.

[20] Bibl. nat., fonds fr., 3181, f° 24. Cf. Lettres de Catherine de Médicis, t. VI, Documents inédits.

[21] Les huguenots montrèrent une extrême arrogance et Catherine dut leur parler royalement et bien haut, jusques à leur dire qu'elle les ferait tous pendre comme rebelles. Sur quoi la reine de Navarre se mit en devoir d'apaiser le tout, même pleura, suppliant sa mère de leur donner la paix. (Journal du secrétaire de Danville.) — Les huguenots demandaient soixante places de sûreté ; ils en obtinrent quatorze en plus des huit qu'ils avaient déjà.

[22] L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. I, p. 276. — Les articles adoptés à Nérac furent confirmés par lettres patentes du roi en date du 14 mars 1579.

[23] Fonds fr., 3319, n° 30. Cf. Lettres de Catherine de Médicis, t. VI, p. 335. Documents inédits.

[24] Ariège, arrondissement de Pamiers.

[25] C'est le meilleur ménage que l'on peut désirer, écrit-elle à la duchesse d'Uzès. Lettres de Catherine de Médicis, t. VI.

[26] D'AUBIGNÉ, Histoire universelle, t. V, p. 381.

[27] Cf. entre autres, pour la jeunesse de Henri IV, le curieux travail de M. JOURDAN, les Amours de Henri de Navarre à La Rochelle, Mémoires lus à la Sorbonne, 1868, p. 509.

[28] Jacques Lallier, seigneur du Pin. (Ph. LAUZUN, Itinéraire.)

[29] Fille de Guillaume de Rebours, président au parlement. Rebours, une de ses filles qui mourut à Chenonceaux, dit Brantôme, lui avait fait quelque grand déplaisir : elle ne lui en fit plus cruel traitement, et venant à être fort malade la visita ; et ainsi qu'elle voulut rendre l'âme, elle l'admonesta, puis dit : Cette fille endure beaucoup, mais aussi elle a fait bien du mal ; Dieu lui pardoint comme je lui pardonne. Édit. Buchon, t. II, p. 173.

[30] Françoise de Montmorency, cinquième fille de Pierre, marquis de Thury, baron de Fosseux. Elle épousa François, sieur de Broc, baron de Cinq-Mars.

[31] Gers, arrondissement d'Auch.

[32] Le vicomte de Turenne n'était d'ailleurs pas à Nérac lors du voyage de Strozzi (mars 1580), mais depuis deux mois à Castres, siège du gouvernement de Haut-Languedoc que lui avait conféré le roi de Navarre. Un seul document contemporain fait allusion à l'historiette que Mézeray, selon sa coutume, a donnée d'après quelques racontars : La reine de Navarre, écrit l'ambassadeur de Toscane Renieri da Colla, est furieuse contre le roi, son frère, pour avoir lâchement excité les soupçons de son mari contre le vicomte de Turenne. (Négociations diplomatiques, t. IV, p. 308.) Cf. Ph. LAUZUN, Itinéraire, et dans la Revue des questions historiques, juillet 1898 : BAGUENAULT DE PUCHESSE, Une prétendue lettre de Henri III.

[33] D'AUBIGNÉ, Histoire universelle, t. V. MÉZERAY écrit dans son Abrégé chronologique : Marguerite instruisit les darnes de sa suite à envelopper tous les braves d'auprès de son mari dans leurs filets, et fit en sorte que lui-même se prit aux appâts de la belle Fosseuse qui ne pratiqua que trop les leçons de sa maîtresse. Ce furent les vrais boutefeux de ces troubles ; aussi les nomma-t-on la guerre des amoureux. Sully donne également à entendre que la guerre de 1580 fut, au moins en partie, machinée par Marguerite : La reine de Navarre étant fort mal à la Cour et haïssant infiniment le roi, son frère, à cause qu'ils s'étaient fait plusieurs reproches de leur façon de vivre, était bien avec le roi son mari ; tellement que ses persuasions de ce que l'on n'avait pourvu aux plaintes et contraventions aux édits, et les belles espérances que donnaient plusieurs particuliers qui croyaient profiter davantage dans la guerre que dans la paix, furent cause que les armes se prirent derechef. Économies royales.

[34] Cf. La Ville d'Agen pendant les guerres de religion du seizième par G. THOLIN, Revue de l'Agenais, t. 17, 1890, et Ph. LAUZUN, Itinéraire.

[35] DUPLEIX, Histoire de Henri III, 1663, p. 76 ; D'AUBIGNÉ, Histoire universelle.

[36] D'AUBIGNÉ, DE THOU.

[37] M. Guessard a publié de nombreuses lettres de Marguerite de Valois à la duchesse d'Uzès, la plupart remontant à cette époque ; ce sont des lettres intimes et affectueuses qui ne trahissent aucun des sentiments que l'on prête à la reine. Vous êtes ma Sybille, lui dit-elle, et il y a une grande sympathie entre vous et moi ; la différence de soixante ans à vingt-cinq n'empêche pas la conformité de notre humeur. (Mémoires et lettres.)

[38] La bonne entente du roi et de la reine de Navarre à cette époque est attestée par divers passages de la correspondance du Béarnais. Fin janvier 1580, il écrit à Henri III : Je mettrai peine de retenir toutes choses et d'éteindre ce feu par tous moyens, à quoi j'ai trouvé que la reine, ma femme, avait jà prudemment pourvu, et donné si bon commencement, auparavant mon retour, que je n'ai fait que suivre le chemin qu'elle avait pris. En février, elle avertit son mari d'un complot, et il écrit au roi qu'il sera bien étonné u pour être l'avis de personne de qui vous ne l'eussiez jamais pensé. Ce dernier passage confirme bien ensuite ce que dit L'Estoile, qu'une entente existait sous main entre les deux rois.

[39] D'après d'Aubigné, Marguerite, tout en poussant les calvinistes, se ménageait une retraite du côté du roi. Elle écrivait à Pibrac que jamais ils n'avaient été plus éloignés de prendre les armes..., et lui ordonnait de montrer la lettre. Henri III aurait donné dans le piège et même fait à sa sœur une gratification de 50.000 livres. — Lors de la prise d'armes, le roi montra l'aigreur de son cœur. Il fut persuadé que sa sœur était de la partie, surtout par les avertissements qu'il avait de toutes parts de la Guyenne et de Toulouse que ses serviteurs domestiques portaient les armes à découvert, allaient à la guerre et assistaient à la prise et saccagement des villes. — Pibrac aurait alors averti la reine qui lui écrivit de nouveau que ceux de la religion ne demandaient que la paix et qu'il ne fallait point croire qu'ils voulussent prendre les armes. Cf. Apologie de Pibrac, dans Mémoires et lettres de Marguerite de Valois, édit. Guessard, p. 238. — Il faut faire remarquer que Strozzi resta à Nérac jusqu'au 20 avril 1580, montent où la guerre fut déclarée. Il était en correspondance suivie avec Henri III qui n'ignorait rien ainsi de ce qui se préparait.

[40] Lettres inédites de Marguerite de Valois, publiées par Ph. LAUZUN. (Archives historiques de la Gascogne, 1886.) Dans une autre lettre publiée par FEUILLET DE CONCHES (Causeries d'un curieux, t. III), elle dit que le roi de Navarre est poussé à prendre les armes par les agissements de Biron, mais qu'il ne bougera cependant que si on l'attaque, etc. Toute la correspondance de Marguerite avec le roi et sa mère est aussi respectueuse et affectueuse durant cette période que si l'on était en pleine paix ; pas plus que dans les lettres à la duchesse d'Uzès on n'y trouve trace des griefs et des tiraillements qui auraient déterminé la reine à prendre parti contre Henri III.

[41] Lésignan, — pour Lusignan-Grand, à 12 kilomètres d'Agen.

[42] Le roi de Navarre écrivit encore le 20 avril deux lettres au roi et à la reine mère pour leur expliquer sa conduite et les motifs qui le contraignaient d'en venir aux armes. Une autre lettre, à la noblesse de France, est datée du 15 avril, et il écrivit au comte de Sussex pour s'assurer les secours d'Élisabeth d'Angleterre. (Cf. L'ESTOILE, édit. Michaud, t. I, p. 122, notes ; Lettres missives, t. I, p. 296-298.)

[43] Un fait sur lequel il faut revenir et insister, c'est que Marguerite, toujours à court d'argent, n'avait nul intérêt à se brouiller définitivement avec son frère. A propos des 50.000 livres qui lui avaient été données en gratification, Pibrac écrit que les intendants ne savaient où trouver de quoi payer. En 1579 elle écrit à Pomponne de Bellièvre que, ses terres étant pour la plupart occupées par les huguenots, le roi lui a accordé 70.000 livres sur les recettes de Rouen et de Tours et le prie de s'employer pour lui faire avoir l'argent, attendu la grande nécessité de ses affaires. D'autres lettres de cette même année sont relatives à des payements qui ne lui étaient pas faits. (Lettres à Pomponne de Bellièvre, publiées par M. TAMISEY DE LARROQUE, Annales du Midi, 1897.) — Susciter une guerre était un piètre moyen de se faire bien venir en Cour.

[44] L'Estoile rapporte de confiance un trait qui lui semble curieux. Le roi de Navarre était au début de l'action proche de la ville et disposa tout en personne. Cf. le récit de Sully.

[45] Il faut remarquer encore que la Fère et Cahors, villes attaquées et occupées par les protestants au début de cette guerre appartenaient à Marguerite de Valois. La Cour refusant à son mari la possession effective de son douaire, il avait résolu de le prendre.

[46] Dans un autre passage de son apologie, Pibrac rapporte que le roi lui dit en son cabinet qu'il l'avait mal accoutré et empêché de donner ordre à ses affaires, soutenant opiniâtrement que ceux de la religion ne prendraient pas les armes ; sur quoi je ne lui répondis autre chose si non que vous, madame, aviez été trompée la première et moi après vous. Mémoires et lettres, édit. Guessard, p. 238.

[47] Marguerite écrivit aux sieurs vicaire, chapitre et consuls d'Auch ; aux consuls de Condom (12 juin) pour les exhorter à demeurer de son parti et de celui du roi de Navarre, à ne laisser pratiquer la ville par fausses persuasions et à se tenir sur leurs gardes. (Pub. dans la Revue des questions historiques, par TAMISEY DE LARROQUE, janvier 1870.) Cf. Ph. LAUZUN, Marguerite de Valois et la ville de Condom en 1580 ; Itinéraire, etc. Il existe également plusieurs lettres de la reine, datées de 1579, où elle recommande au roi et à sa mère Catherine les gens de Condom qui s'adressaient à la Cour pour les affaires de leur cité. (Archives historiques de la Gascogne, fasc. 11.)

[48] Elle écrivait à la duchesse d'Uzès : Depuis la prise de Cahors, que vous avez sue, le roi, mon mari, est revenu en ses quartiers, on depuis huit on dix jours M. de Biron s'est mis aux champs pour assiéger Bazas ou quelques autres places, on Lavardin, Favas et infinis autres se sont jetés. Depuis, M. le maréchal de Biron s'est résolu de passer la rivière pour venir à Agen, au passage de laquelle le roi mon mari l'attend depuis huit jours, de sorte qu'ils ne peuvent passer sans se battre. Jugez, je vous supplie, en quelle peine je puis être... (Fonds Béthune, 8890, P 56.) Et plus loin : Je vous supplie de faire souvenir ma mère de ce que je lui suis, et qu'elle ne veuille me rendre si misérable que je demeure privée de sa bonne grâce et protection. Cf. édit. Guessard, p. 211.

[49] La guerre n'empêchait pas à Nérac les plaisirs habituels et le détail des dépenses somptuaires est aussi nombreux que de coutume ; les comptes. mentionnent les comédiens, joueurs de luth, de violon ; les payements faits aux argentiers, orfèvres, tapissiers, couturiers, cordonniers ; le prix des robes et voiles pour les filles, des soieries, rubans, etc. Ph. LAUZUN, Itinéraire.

[50] D'Aubigné rapporte un peu différemment l'escarmouche de Nérac. Le roi de Navarre, la campagne perdue, s'y était retiré et y séjourna du 15 août au 1er septembre 1580. Le maréchal de Biron, pour montrer davantage le mauvais état de ce prince, s'approcha de la ville et prit position sur le haut des vignes de Nérac avec 4.000 hommes de pied, 600 chevaux et deux couleuvrines. Histoire universelle, t. VI, p. 4445.

[51] D'Aubigné dit qu'il ne lui restait pas 100 chevaux, sans l'arrivée du comte de La Rochefoucauld qui lui en amena 80, et 200 arquebusiers à cheval, en sept compagnies.

[52] La reine de Navarre, Madame (Catherine de Bourbon) et les filles de la Cour étant venues dans des guérites, — sur les murailles, tours et porteaux de la ville (Sully), — pour avoir le plaisir d'une escarmouche, s'en allèrent mal édifiées et de la froideur de leurs gens et d'un coup de canon qui avait donné demi-brasse à la muraille, sous les pieds de la reine. D'AUBIGNÉ, Histoire universelle, t. VI, p. 46.

[53] Biron partit le lendemain de l'affaire de Nérac ; il alla à Mézin, puis à Monréal où il séjourna afin de secourir Bertrand de Bayleux, seigneur de Poyanne, qui assiégeait Mont-de-Marsan. Il retraversa ensuite la Gascogne et se dirigea vers l'Isle-Jourdain ; mais sous les murs de la place il tomba si malheureusement que son cheval lui rompit la cuisse en deux endroits. Ph. LAUZUN, Itinéraire.

[54] François de la Noue était grand maréchal de camp dans l'armée du duc d'Anjou. Il commanda ensuite l'armée des États et fut fait prisonnier près de Lille en 1580 ; on ne put l'échanger qu'en 1585 contre le comte d'Egmont.

[55] DE LA PLACE, Recueil, t. II, p. 346.

[56] Retenir quelqu'un pour coucher avec soi, c'était à l'époque un des plus grands témoignages d'amitié, de confiance et d'amour qu'on lui pouvait donner. — Lors des négociations qui se terminèrent par la paix de Cateau-Cambrésis, Henri II fit coucher avec lui le connétable Anne de Montmorency. Commentaires de Pierre DE LA PLACE.

[57] Voyez le récit de la mort de Bussy dans le livre de M. A. JOUBERT, Louis de Clermont, sieur de Bussy d'Amboise. Cf. L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. I, p. 321.

[58] Il faut excepter sans doute les vers dont nous avons déjà parlé et qui portent dans le recueil de L'Estoile la signature de Pibrac.

[59] Marguerite dit aussi : Comme il faisait ses apprêts et commençait à avoir une partie des forces qui lui étaient nécessaires, cette guerre des huguenots intervint, qui fit débander tous ses soldats pour se mettre aux compagnies de l'armée du roi qui venait en Gascogne. Mémoires, p. 169-170.

[60] Selon une version, Marguerite aurait presque décidé alors le roi de Navarre à partir pour la Flandre, et Pibrac écrit : qu'il était bruit qu'elle partait aussi ; ses meubles soi-disant étaient déjà en chemin et elle devait rester à la Fère pour être plus près de tous les deux. Cf. la lettre de Pibrac, dans les Mémoires de Marguerite, édit. Guessard ; et Lettres missives de Henri IV, 12 décembre 1580 et 8 février 1581.

[61] Le duc d'Anjou vint de Coutras à Libourne pour annoncer à Biron sa disgrâce ; il aurait voulu s'assurer ses services pour son expédition de Flandre, mais le maréchal, mécontent, malade, ne fit que des promesses évasives. Sa misère était telle, dès le mois de mars 1581, qu'il put à grand'peine se procurer 500 écus pour aller aux bains soigner ses nombreuses blessures. Quand Monsieur eut quitté la Guyenne, il se retira dans son château de Biron où il passa toute l'année à soigner sa jambe cassée et ses trois coups d'arquebuse, s'adressant quand même à Catherine, au roi, lequel il suppliait de ne pas le dédaigner et laisser misérablement s'éteindre en sa maison. Archives historiques de la Gironde, coll. Delpit. Cf. Ph. LAUZUN, Lettres inédites de Marguerite de Valois, p. 17 ; Itinéraire, etc.