LA REINE MARGOT ET LA FIN DES VALOIS (1553-1615)

DEUXIÈME PARTIE. — LA REINE MARGOT REINE DE NAVARRE

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

La paix du roi. — Les querelles des mignons. — Nouvelle évasion du duc d'Anjou. — L'expédition de Flandre. — Catherine se décide à conduire sa fille au roi de Navarre.

 

La paix était faite déjà (17 septembre 1577). Le manque d'argent, la nécessité surtout de remettre ses forces aux mains de son frère ou des Guises y avaient décidé Henri III. Le parti du roi de Navarre qui comptait non seulement des huguenots, mais des catholiques comme Lavardin[1], Miossans, Grandmont, Duras, Roquelaure, Sainte-Colombe, Bégoles, Podius et autres[2], était aussi divisé que celui du roi de France et guère eu meilleure posture pour combattre. Le Béarnais essaya vainement de s'emparer de Marmande, — avec un canon et deux couleuvrines ! — et surprit Eauze. L'amiral de Villars, Honoré de Savoie[3], qui commandait les troupes royales, avait échoué de son côté en essayant d'enlever Nérac où il avait pratiqué des intelligences. On traita enfin, et la paix fut signée à Bergerac. Le roi voulut que ce fut sa paix, par opposition à celle de 1570, qui avait été appelée la paix de Monsieur, et la fit publier le 5 octobre dans les carrefours de Paris à son de trompe. Il y eut le mardi 8e, dit L'Estoile, en la place de Grève, devant l'Hôtel de Ville, un feu d'allégresse et force canonnades en la manière accoutumée ; mais, comme à la précédente pacification, le peuple en fit fort peu de compte, et encore moins signe de joie.

Marguerite, en arrivant à la Fère, y avait trouvé un courrier du duc d'Anjou. Il écrivait, dit-elle, que le roi rentrait à Paris et que sa condition personnelle allait toujours en empirant, et que ce n'était tous les jours que querelles que l'on suscitait à Bussy et aux honnêtes gens qui étaient avec lui ; ce qui lui faisait attendre avec une extrême impatience mon retour à la Fère pour m'y venir trouver. — Elle lui renvoya le courrier, et le duc expédiant soudain Bussy avec toute sa maison à Angers, et prenant seulement quinze ou vingt hommes, s'en vint en poste me trouver chez moi, qui fut un des grands contentements que j'aie jamais reçu[4]. Ce séjour à la Fère fut comme une halte dans sa vie agitée, et il fut là longuement fêté, cajolé par sa gracieuse sœur, qu'il aimait et qui l'aimait trop même, selon les contemporains[5]. La tranquillité de notre Cour, au prix de l'agitation de l'autre d'où il partait, poursuit Marguerite, lui rendait tous les plaisirs qu'il v recevait si doux qu'à toute heure il ne se pouvait empêcher de me dire : Ô ma reine ! qu'il fait bon avec vous. Mon Dieu ! cette compagnie est un paradis comblé de toutes sortes de délices, et celle d'où je suis parti un enfer rempli de toutes sortes de furies et tourments. Nous passâmes ainsi près de deux mois qui ne nous furent que deux petits jours ; durant lesquels lui ayant rendu compte de ce que j'avais fait pour lui en Flandre, il trouva bon que M. le comte de Montigny, frère du comte de Lalain, vint résoudre des moyens qu'il fallait tenir et aussi prendre assurance de leur volonté et eux de la sienne. Il y vint, accompagné de quatre ou cinq des principaux du Hainaut, l'un desquels avait lettre et charge de M. d'Inchy d'offrir son service à mon frère, et l'assurer de la citadelle de Cambrai. M. de Montigny, lui, portait parole de la part du comte de Lalain de lui remettre tout le Hainaut, où il y a plusieurs bonnes villes. Mon frère les renvoya avec présents, et leur donna des médailles d'or où la figure de lui et de moi était, et assurant les accroissements et bienfaits qu'ils pourraient espérer de lui ; de sorte que s'en retournant ils préparèrent toutes choses pour la venue de mon frère, qui se délibérant d'avoir ses forces prêtes dans peu de temps pour y aller, s'en retourna à la Cour pour tâcher de tirer des commodités du roi[6]. Mais Henri III était peu disposé à lui venir en aide. Le dimanche 20e octobre, rapporte L'Estoile, il arriva à Olinville en poste, avec la troupe de ses jeunes mignons, frisés et fraisés avec les crêtes levées, les ratepennades en leurs têtes, un maintien fardé avec l'ostentation de même, pignes, diaprés et pulvérisés de poudres violettes et senteurs odoriférantes, qui aromatisaient les rues, places et maisons où ils fréquentaient... Le dernier jour du dit mois, veille de la Toussaint, le roi arriva à Paris avec toute sa troupe, où peu après arrivèrent les députés des États de Flandres, pour supplier Monsieur de les vouloir prendre en sa protection : dont le dit seigneur s'excusa. La phrase du chroniqueur est douteuse ; mais il parle évidemment de Henri III, le duc d'Anjou étant alors à la Fève auprès de Marguerite. — Moi, dit-elle encore, voulant faire mon voyage de Gascogne et. avant préparé toutes choses pour cet effet, je m'en retourne à Paris, où arrivant, mon frère me vint trouver à une journée de Paris, où le roi et la reine ma mère, et la reine Louise avec toute la Cour me firent cet honneur de venir au-devant de moi jusques à Saint-Denis, qui était ma dînée, se plaisant à me faire raconter les honneurs et magnificences de mon voyage et séjour à Liège, et les aventures de mon retour. — Ce fut tout ; chacun garda pour soi ses sentiments véritables et de récriminations il n'y en eut point. — En ces agréables entretiens, étant tous dans le chariot de la reine ma mère, nous arrivâmes à Paris, où après avoir soupé et le bal étant fini, le roi et la reine étant ensemble, je m'approche d'eux et leur dis que je les suppliais ne trouver mauvais si je les requérais avoir agréable que j'allasse trouver le roi mon mari ; que la paix étant faite c'était chose qui ne pouvait leur être suspecte, et qu'à moi me serait préjudiciable et malséant si je demeurais davantage. Ils montrèrent tous deux de le trouver très bon, et la reine ma mère me dit qu'elle voulait m'accompagner, étant aussi.son voyage nécessaire en ce pays-là pour le service du roi, auquel elle dit aussi qu'il fallait qu'il nie baillât des moyens pour mon voyage : ce que librement le roi m'accorda. Et moi, ne voulant rien laisser en arrière qui me put faire revenir à la cour,ne m'y pouvant plus plaire lorsque mon frère en serait dehorsje suppliai la reine de se souvenir de ce qu'elle m'avait promis à la paix faite avec mon frère : qu'advenant que je partisse pour m'en aller en Gascogne, elle me ferait bailler des terres pour l'assignat de ma dot. Elle s'en ressouvint, et le roi le trouve très raisonnable et me promet qu'il serait fait. Je le supplie que ce soit promptement, pour ce que je désirais partir, s'il lui plaisait, vers le commencement du mois prochain ; ce qui fut arrêté ainsi, mais à la façon de la Cour, car au lieu de me dépêcher, ils me firent traîner cinq ou six mois et mon frère de même, qui, pressant son voyage de Flandres, représentait au roi : que c'était l'honneur et l'accroissement de la France ; que ce serait une invention pour empêcher la guerre civile, tous les esprits remuants et désireux de nouveauté ayant moyen d'aller en Flandres passer leur fumée et se saouler de guerre ; que cette entreprise servirait aussi comme le Piémont, d'école à la noblesse de France pour s'exercer aux armes, et y faire revivre les Montlucs, les Brissacs, des Termes et Bellegardes, tels que ces grands maréchaux qui avaient depuis si glorieusement servi le roi et leur patrie. — C'était toujours, on le voit, les arguments de Coligny : la guerre étrangère ou la guerre civile. — Ces remontrances étaient belles et véritables, termine la reine, mais elles n'avaient tant de poids qu'elles pussent emporter en la balance l'envie que l'on portait à l'accroissement de la fortune de mon frère, auquel on donna tous les jours nouveaux empêchements pour le retarder, lui faisant à lui et à Bussy et à ses autres serviteurs, mille indignités, et faisant attaquer plusieurs querelles à Bussy, tantôt par Quélus, tantôt par Gramont, de jour, de nuit, à toutes heures, estimant qu'à quelqu'une de ces alarmes, mon frère s'y précipiterait.

Malgré ce que peut dire Marguerite, dont la partialité, des qu'elle parle de Louis de Clermont, est toujours évidente, Bussy, fier de sa renommée, bravache, batailleur, semblait prendre plaisir depuis longtemps à attiser la fureur de ses adversaires. Il manifestait ouvertement le mépris qu'il ressentait pour eux. Il se moquait de ces mignons de couchette, dit L'Estoile, et en faisait peu de compte[7]. — Le lundi, 6 janvier 1578, jour des Rois, la demoiselle Pons de Bretagne, reine de la Fève, par le roi désespérément brave, frisé et godronné, fut menée du château du Louvre à la messe en la chapelle de Bourbon, étant le roi suivi de ses jeunes mignons, autant ou plus braves que lui. Bussy d'Amboise, le grand mignon de Monsieur s'y trouva à la suite de son maître, habillé tout simplement et modestement, mais suivi de six pages vêtus de drap d'or frisé, disant tout haut que la saison était venue que les plus bélîtres seraient les plus braves.—Le vendredi 10e janvier, Bussy, qui le jeudi précédent, au bal qui, tous les soirs, en la grande salle du Louvre, en grande pompe et magnificence, se faisait et continuait depuis les Rois, ayant pris querelle avec le seigneur de Gramont[8], envoya à la porte Saint-Antoine jusques à trois cents gentilshommes bien armés et montés, et le seigneur de Gramont autant de favoris et partisans du roi, pour là combattre et y démêler leur querelle à toute outrance. L'occasion de laquelle avait pris source de quelque légère bravade ou supercherie qu'au bal l'un d'eux disait avoir souffert de l'autre. Or, furent-ils ce matin empêchés de combattre par le commandement du roi : nonobstant lequel, Gramont qui se disait et sentait outragé, l'après-midi, bien accompagné, alla chercher Bussy en son logis qui était en la rue des Prouvaires, auquel il s'efforça d'entrer de force, et y fut par quelque espace de temps combattu entre ceux de dedans et ceux de dehors. De quoi ayant été avertie, Sa Majesté y envoya le maréchal de Cossé et le capitaine Strozzi, colonel de l'infanterie française, avec ses gardes, qui emmenèrent Bussy au Louvre, où tôt après fut amené aussi le seigneur de Gramont ; et furent là retenus chacun en une chambre à part, avec défense de se méfaire ou médire sur peine de la vie, et jusques à ce que, le lendemain matin, ils furent d'accord et réconciliés ensemble par l'avis des maréchaux de Montmorency et de Cossé, auquel le roi en avait donné charge, au lieu du procès qu'il leur convenait faire s'il y eût eu une bonne justice en France et à la Cour. — Ce jour même, le roi étant en sa chambre, et autour de lui grand nombre de princes, seigneurs et gentilshommes, leur fit de sa bouche une belle et grave remontrance touchant les querelles qui journellement se prenaient entre eux, même en son château et près de sa personne — chose capitale, par les lois du royaume — et encore pour des occasions légères et de néant, ce qui lui déplaisait grandement ; et pour y obvier, par l'avis des princes et seigneurs de son Conseil, il avait arrêté certaines ordonnances contre tels querelleurs, qu'il entendait faire publier et étroitement garder. Et, de fait, elles furent, peu de jours après, publiées et imprimées, et néanmoins très mal gardées, comme le sont ordinairement en France toutes les bonnes ordonnances[9].

Marguerite affirme du reste que disputes, piques, duels, tout venait de Maugiron, qui lors possédait le roi, et qui ayant quitté le service de mon frère, dit-elle, croyait qu'il dut s'en ressentir, ainsi qu'il est ordinaire que qui offense ne pardonne jamais ; et comme l'imprudence d'une folle jeunesse, enflée de la faveur du roi, le poussait A faire toutes insolences, s'était ligué avec Quélus, Saint-Luc, Saint-Mesgrin, Gramont, Mauléon, Livarrot et quelques autres jeunes gens qui, suivis de toute la Cour, à la façon des courtisans qui ne suivent que la faveur, entreprenaient toutes choses qui leur venaient en fantaisie, quelles qu'elles fussent. — Ce qu'ils entreprirent, ce fut à nouveau d'essayer de tuer Bussy. Le samedi 1er février, reprend L'Estoile, le jeune seigneur de Quélus, accompagné de Saint-Luc, d'O, d'Arques et Saint-Mesgrin, près de la porte Saint-Honoré hors la ville, tira l'épée et chargea Bussy, qui monté sur une jument bragarde, de l'écurie du roi. revenait de donner carrière à quelque cheval au corridor des Tuileries ; et fut la fortune tant propice aux uns et aux autres que, de plusieurs coups d'épée tirés, pas un ne porta, fors sur un gentilhomme qui accompagnait Bussy, lequel fut fort blessé et en danger de mort. — Brantôme rapporte le fait, mais un peu différemment, et le rôle que joue son héros est moins à son avantage. Le roi avait formellement ordonné à Bussy et Quélus a sur la vie de ne se demander rien. Or, au bout de quelques jours, Bussy, escorté d'un capitaine limousin nommé Rochebrune, se trouve sur le quai, près.de la porte Neuve, au retour des Tuileries, en face de Quélus accompagné d'Antoine de Brichanteau, marquis de Beauvais-Nangis, mestre de camp de la garde royale, et de deux autres gentilshommes. Se voyant en beau jeu, Quélus oublie les injonctions royales et fond impétueusement sur son ennemi qui, s'apercevant que la partie était toute sur lui, pique son cheval sans plus attendre et se sauve au galop jusqu'au pont de Saint-Cloud, où de là il écrit une très belle lettre au roi. — Le duc d'Anjou, toujours est-il, se montra offensé de cette charge faite sur son favori, qui n'était accompagné que d'un gentilhomme, dit encore L'Estoile, n en quoi il montra du cœur et de la résolution beaucoup à se défendre, et exécutée par supercherie et comme de gaieté de cœur[10]. Le roi commença à informer, désirant éclairer l'affaire, et Bussy lui demanda inutilement l'autorisation d'en finir par un duel. Son Conseil décida que Quélus, n comme agresseur serait constitué prisonnier et son procès fait ; mais rien ne fut mis en exécution, de quoi Monsieur offensé et indigné, et des querelles d'Allemand qu'on lui dressait tous les jours en la personne de Bussy, délibéra de sortir de la ville et de la Cour du roi son frère pour tenir la sienne ailleurs. — Mon frère, dit d'autre part Marguerite de Valois, considérant que ces choses n'étaient pas pour avancer son voyage de Flandre, estimant aussi que Bussy étant dehors avancerait davantage de dresser les troupes, il l'envoie par ses terres pour y donner ordre. Mais Bussy étant parti, la persécution ne cessa pas pour cela, et connut-on qu'encore que les belles qualités qu'il avait apportassent beaucoup de jalousie à Maugiron et à ces autres jeunes gens qui étaient auprès du roi, que la principale cause de leur haine était qu'il était serviteur de mon frère ; car depuis qu'il fut parti, ils le bravent et morguent avec tant de mépris et si apparemment que tout le monde le connaissait. Le duc cependant patienta. Le jour du mariage de Saint-Luc (9 février), il préféra s'abstenir de paraître, et avec la vieille Catherine et la reine de Navarre alla dîner à Saint-Maur[11]. Le soir, la reine mère l'ayant bien chapitré, il consentit à se trouver au bal : mais les moqueries recommencèrent de plus belle, et, dit Marguerite, avec des paroles si piquantes qu'un moindre que lui s'en fût offensé ; on l'attaquait surtout sur sa laideur et petite taille, tout cela se disant à la nouvelle mariée, cette Jeanne de Cossé qui était laide, bossue, contrefaite et encore pis, au témoignage de L'Estoile, et si haut qu'il était bien forcé de l'entendre. Plein de dépit et de colère, il se retira, et, après avoir conféré avec La Chatre, se résolut de s'en aller pour quelques jours à la chasse, pensant par son absence attiédir l'animosité de ces jeunes gens contre lui et en faire plus aisément ses affaires avec le roi. — Il s'en va trouver ma mère qui se déshabillait, lui dit ce qui s'était passé au bal, de quoi elle fut très marrie, et lui fait entendre la résolution qu'il avait prise. Catherine promit de la faire agréer au roi et en son absence de le solliciter de lui fournir ce qu'il devait avoir pour son entreprise. Puis, M. de Villequier étant là[12], elle l'envoya prévenir Henri III. — Le duc d'Anjou s'était retiré dans son appartement et voulait partir le lendemain pour Saint-Germain ; mais les mignons rendirent au roi ce partement fort suspect, et soudain, prenant sa robe de nuit, il alla trouver la reine mère, tout ému comme d'une alarme publique où l'ennemi eut été à la porte, lui disant : Comment, Madame, que pensez-vous m'avoir demandé de laisser aller mon frère ? Ne voyez-vous pas, s'il s'en va, le danger où vous mettez mon État ? Sans doute, sous cette chasse, il y a quelque dangereuse entreprise. Je m'en vais me saisir de lui et tous ses gens, et ferai chercher dans ses coffres. Je m'assure que nous découvrirons de grandes choses. En même temps, ayant avec lui le sieur de Losse, capitaine des gardes et quelques archers écossais, la reine, craignant qu'en cette précipitation il fit quelque tort à la vie de mon frère, le prie qu'elle aille avec lui, et toute déshabillée comme elle était, s'accommodant dans son manteau de nuit, le suit, montant à la chambre de mon frère ; où le roi frappe rudement, criant qu'on lui ouvrit, due c'était lui. Mon frère se réveille en sursaut, et sachant qu'il n'avait rien fait qui dût lui donner crainte, dit à Cange son valet de chambre qu'il ouvrît la porte. Le roi entrant en cette furie commença à le gourmander et lui dire qu'il ne cesserait jamais d'entreprendre contre son État, et qu'il lui apprendrait que c'est de s'attaquer à son roi. Sur cela, il commande à ses archers d'emporter ses coffres hors de là et de tirer ses valets hors de la chambre. Il fouille lui-même dans le lit de mon frère pour voir s'il y trouverait quelques papiers. Mon frère ayant une lettre de Mme de Sauve, qu'il avait reçue ce soir-là, la prend à la main pour empêcher qu'on ne la vit. Le roi s'efforce de la lui ôter. Lui y résistant et le priant à mains jointes de ne la point voir, cela en donne plus d'envie au roi, croyant que ce papier serait assez suffisant pour faire le procès à mon frère. Enfin, l'ayant ouverte en la présence de la reine ma mère, ils restent confus... et la honte de cette tromperie augmentant plutôt par le dépit la colère du roi que la diminuant, sans vouloir écouter mon frère, lequel demandait sans cesse de quoi on l'accusait et pourquoi on le traitait ainsi, il le commet à la garde de M. de Losse et des écossais, leur commandant de ne le laisser parler à personne. — Cela se fit une heure environ après minuit. Mon frère demeura de cette façon, étant plus en peine de moi que de lui, croyant bien que l'on m'en avait fait autant, et ne croyant pas qu'un si violent et si injuste commencement put avoir autre qu'une sinistre fin ; et voyant que M. de Losse avait la larme à l'œil, de regret de voir les choses passer en cette sorte, et que toutefois, a cause des archers qui étaient là il ne lui osait parler librement, il lui demande seulement ce qui était de moi. M. de Losse répond que l'on ne m'avait encore rien demandé. Mon frère lui répond : Cela soulage beaucoup ma peine de savoir ma sœur libre ; mais encore qu'elle soit en cet état, je m'assure qu'elle m'aime tant qu'elle aimera mieux se captiver avec moi que de vivre libre sans moi ; et le pria d'aller supplier la reine ma mère qu'elle obtint du roi que je demeurasse eu sa captivité avec lui ; ce qui lui fut accordé[13].

Cette ferme créance qu'il eut de la grandeur et fermeté de mon amitié, dit encore Marguerite, nie fut une obligation si particulière, bien que par ses bons offices il en eut acquis plusieurs grandes sur moi, que j'ai toujours mis celle-là au premier rang. Soudain qu'il eut cette permission, qui fut sur le point du jour, il pria M. de Losse de m'envoyer un de ses archers écossais, lequel entrant en ma chambre, trouve que je dormais encore sans avoir rien su de tout ce qui s'était passé. Il ouvre mon rideau, et en un langage propre aux écossais, me dit : Bon jour, madame ; monsieur votre frère vous prie de le venir voir. Je regarde cet homme presque tout endormie, pensant rêver, et, le reconnaissant, je lui demande s'il n'était pas un écossais de la garde. Il me dit qu'oui ; et je lui répliquai : Et qu'est-ce donc ? mon frère n'a-t-il point d'autre messager que vous pour m'envoyer ? Il me dit que non, que ses gens lui avaient été ôtés, et me conta ce qui était advenu la nuit... Et voyant que je m'affligeais fort, il s'approche de moi et me dit tout bas Ne vous fâchez point, j'ai moyen de sauver votre frère, et je le ferai n'en doutez point ; mais il faudra que je m'en aille avec lui. Je l'assurai de toute la récompense qu'il pourrait espérer de nous, et me hâtant de m'habiller, je m'en allai avec lui à la chambre de mon frère. Il me fallait traverser toute la cour, pleine de gens qui avaient accoutumé d'accourir pour me voir et honorer. Lors, chacun voyant, comme courtisans, que la fortune me tournait visage, ne fit pas semblant de m'apercevoir. Entrant dans la chambre de mon frère, je le trouve avec une si grande contenance qu'il n'avait rien changé de sa façon ni de sa tranquillité ordinaire. Me voyant, il me dit, m'embrassant avec un visage plus joyeux que triste : Ma reine, cessez je vous prie vos larmes. En la condition que je suis, votre ennui est la seule chose qui me pourrait affliger ; car mon innocence et la droite intention que j'ai eue m'empêchent de craindre toutes les accusations de mes ennemis. Que si, injustement l'on en veut à ma vie, ceux qui feront cette cruauté se feront plus de tort qu'à moi, qui ai assez de résolution pour mépriser une injuste mort... La seule appréhension que j'aie, est que ne pouvant me faire mourir, l'on me veuille faire languir en la solitude d'une longue prison, où encore je mépriserai leur tyrannie pourvu que vous nie vouliez tant obliger que de m'assister de votre présence.

Après ces déclamations d'une sincérité contestable, Marguerite essaya de le raisonner et ajoute que tous deux cherchèrent l'occasion qui avait convié le roi de prendre une si cruelle et injuste rigueur. — L'heure vint cependant de l'ouverture des portes du château, où un jeune homme indiscret, qui était à Bussy, étant reconnu par les gardes et arrêté, ils lui demandèrent où il allait ; lui, étonné et surpris leur répond qu'il allait trouver son maître. Ce propos, rapporté au roi, lui fit assez comprendre que Louis de Clermont était au Louvre, où, en effet, le duc d'Anjou, revenant de Saint-Maur, l'avait fait entrer pour conférer avec lui des affaires de l'armée qu'il faisait pour la Flandre. Nicolas de Grémonville, sieur de Larchant, capitaine des gardes, eut ordre du roi de le chercher et de se saisir de lui et de Simier, commission dont il se fût bien passé, étant des amis de Bussy. Il monte à la chambre de Simier et l'arrête, et, se doutant bien que l'autre y était caché, fait une légère recherche, bien aise de ne le trouver pas. Mais Bussy qui était sur le lit, désirant plutôt avoir Larchant pour gardien, comme il était d'une humeur gaillarde et bouffonne à qui les dangers et hasards n'avaient jamais pu faire ressentir la peur, au moment où le capitaine se retirait, emmenant Simier, passe la tête par les rideaux et dit : Hé quoi, mon père ! vous vous en allez sans moi ? N'estimez-vous pas ma conduite plus honorable que celle de ce pendard de Simier ? Larchant se tourna et dit : Ah ! mon fils ! plût à Dieu qu'il m'eût coûté un bras et que vous ne fussiez pas ici ! Et Bussy de répondre : Mon père, c'est signe que mes affaires se portent bien, allant toujours se gaussant de Simier pour la tremblante peur où il le voyait. — On les enferma tous deux dans une chambre ; mais La Châtre, que Larchant arrêta ensuite, fut moins heureux ; on le conduisit à la Bastille.

Pendant que toutes ces choses se faisaient, reprend Marguerite, M. de Losse, bon vieil homme qui avait été gouverneur du roi mon mari, et qui m'aimait comme sa fille, connaissant l'injustice qu'on faisait à mon frère et ayant envie de nous obliger tous deux, se résout de le sauver ; et pour me découvrir son intention, commande aux archers écossais de se tenir sur le degré du dehors de la porte, n'en retenant que deux avec soi de qui il se fiait, et me tirant à part, me dit : Il n'y a bon Français à qui le cœur ne saigne de voir ce que nous voyons. J'ai été trop serviteur du roi votre père pour ne pas sacrifier ma vie pour ses enfants. Je crois que j'aurai la garde de monsieur votre frère en quelque lieu qu'on le tienne ; assurez-le qu'au hasard de ma vie je le sauverai. — Cette espérance me consolait un peu et reprenant mes esprits, je dis à mon frère que nous ne devions point demeurer cri cette forme d'inquisition et que c'était à faire à des faquins d'être tenus ainsi. Je priai M. de Losse de demander au roi puisqu'il ne voulait permettre que la reine ma mère montât, qu'il lui plût nous faire savoir par quelqu'un des siens la cause de notre rétention. — Henri III envoya Combaud, seigneur d'Arcis-sur-Aube, son maistre d'hôtel et l'un de ses favoris, dit L'Estoile, lequel, après explication, déclara qu'il ne fallait demander aux dieux et aux rois raison de leurs effets ; qu'ils faisaient tout à bonne et juste cause. — Nous lui répondîmes que nous n'étions pas personnes pour être tenues comme ceux que l'on met à l'inquisition, à qui l'on fait deviner ce qu'ils ont fait ; mais nous n'en pûmes tirer autre chose sinon qu'il s'emploierait pour nous et qu'il nous ferait tous les meilleurs offices qu'il pourrait. Mon frère se prend à rire ; mais moi, j'eus beaucoup de peine à m'empêcher de lui parler comme il le méritait. Pendant qu'il faisait son rapport au roi, la reine ma mère, étant dans sa chambre, avec l'affliction que l'on peut penser, et comme princesse très prudente prévoyant bien que cet excès pourrait apporter beaucoup de malheur en son royaume, envoya quérir tous les vieux du Conseil, M. le chancelier, — Birague, — les princes, seigneurs et maréchaux de France, qui étaient tous merveilleusement scandalisés du mauvais conseil que l'on avait donné au roi, disant tous à la reine nia mère qu'elle s'y devait opposer et remontrer au roi le tort qu'il se faisait. La reine ma mère va soudain trouver le roi avec tous ces messieurs, et ayant les yeux désillés, il trouve bon ce que ces vieux seigneurs et conseillers lui représentent, et prie la reine de r'habiller cela et faire que mon frère oubliât tout et n'en sut point mauvais gré à ces jeunes gens qui lui avaient donné un si pernicieux conseil. Il voulait que par même moyen l'accord de Bussy et de Quélus fût fait. — Cela résolu, toutes les gardes furent ôtées à mon frère, et la reine ma mère le venant trouver en sa chambre, lui dit qu'il devait louer Dieu de la grâce qu'il lui avait faite de le délivrer d'un si grand danger ; qu'elle avait vu l'heure qu'elle ne savait qu'espérer de sa vie ; que, puisqu'il connaissait par cela que le roi était de telle humeur qu'il s'offensait non seulement des effets mais des imaginations, pour ne le plus jeter en ces aigreurs, cela le devait faire résoudre à s'accommoder du tout à sa volonté, et de venir trouver le roi, montrant de ne se ressentir point de ce qui s'était passé. — Les prisonniers se répandirent en protestations, observant d'ailleurs que la qualité du duc d'Anjou ne permettait pas de l'enfermer et, le délivrer ensuite sans formalité de justification et de satisfaction. Catherine promit de s'y employer mais qu'il fallait qu'il contentai, le roi et fit l'accord de Bussy et de Quélus, avouant bien, ajoute Marguerite, que ce qui avait tout gâté avait été la crainte que l'on avait eue du combat que le vieil Bussy, digne père d'un si digne fils, avait demandé, suppliant le roi trouver bon qu'il secondât son fils, le brave Bussy, et que M. de Quélus fut secondé du sien ; qu'eux quatre finiraient cette querelle sans brouiller la Cour comme elle l'avait été, ni mettre tant de gens en peine. — Les raisons du roi, on peut le croire, étaient meilleures ; mais l'explication en vaut une autre, et le duc d'Anjou fit mine de s'en contenter. Il promit que Bussy, voyant qu'il n'y avait point d'espérance de se battre, ferait pour sortir de prison ce qu'on lui commanderait. Catherine alla informer Henri III de cet arrangement. Il vint dans la chambre de la reine ma mère, continue la princesse, avec tous les seigneurs et autres de son Conseil et nous envoya quérir par M. de Villequier ; où comme nous allions trouver Sa Majesté, passant par les salles et chambres, nous les trouvâmes toutes pleines de gens qui nous regardaient la larme à louant Dieu de nous voir hors de danger. Entrant dans la chambre de la reine, nous trouvâmes le roi qui, voyant mon frère lui dit qu'il le priait de ne point trouver étrange et ne s'offenser point de ce qu'il avait fait, poussé du zèle qu'il avait au repos de son État, et qu'il crut que ce n'avait point été avec intention de lui faire nul déplaisir. — Le duc répondit également par de belles paroles, l'assura de son dévouement, et la vieille Catherine, les poussant tous deux, les fit s'embrasser. Soudain, le roi commanda que l'on fit venir Bussy pour l'accorder avec Quélus, et que l'on mit en liberté Simier et M. de La Châtre. Bussy entrant en la chambre avec cette belle façon qui lui était naturelle, le roi lui dit qu'il voulait qu'il s'accordât avec Quélus. Bussy lui répond : Et non que cela, sire ! S'il vous plaît que je le baise, j'y suis tout disposé ! Et accommodant les gestes avec les paroles, lui fit une embrassade à la Pantalonne ; de quoi toute la compagnie bien qu'encore étonnée et saisie ne put s'empêcher de rire[14]. — Mais les plus avisés jugèrent que cette légère satisfaction n'était appareil suffisant à si grand mal. — Marguerite eut d'ailleurs, elle aussi, son petit sermon. On la pria d'aider à cette réconciliation, de tout faire pour maintenir le duc dans des sentiments respectueux et fraternels. Elle savait ce qu'il fallait dire et se Imita de 'm'omettre. Toutefois, au souper et au bal du soir, le frère et la sœur faisaient assez mauvaise figure, car elle avoue que la passion du juste mécontentement que nous avions s'y lisait aussi apparente que si elle y avait été imprimée. Cela fut à tel point même que Catherine, s'adressant au chevalier de Seure qui avait été ambassadeur en France et en Angleterre et qu'elle prenait plaisir à entendre pour être d'humeur libre et qui disait de bonne grâce ce qu'il voulait, elle lui demanda : Eh bien, monsieur de Seure, que dites-vous de tout ceci ?C'est trop peu, fit-il, pour faire à bon escient, et trop pour se jouer !Et se tournant vers moi, termine Marguerite, sans qu'elle le put entendre, me dit : Je ne crois pas que ce soit le dernier acte de ce jeu ; notre homme — voulant parler de mon frère — me tromperait bien s'il en demeurait là[15].

Henri III, au fond, était du même avis, et, repris de défiance, — Marguerite affirme que ce fut encore sur le conseil de ses favoris, — commanda que l'on prit soigneusement garde aux portes ; que le duc d'Anjou ne sortit point et que tous les soirs on mit ses gens hors du Louvre, lui laissant seulement ceux qui couchaient dans sa chambre et sa garde-robe. Cet excès de précautions devait justement le desservir. Marguerite explique que ce fut ce qui décida son frère ; mais nous savons comment il faut entendre ses dénégations. La résolution de s'éloigner à nouveau, il l'avait prise depuis longtemps. Il me communique cette volonté, dit-elle, et voyant que c'était sa sûreté, et que le roi ni cet État n'y pouvaient recevoir de préjudice, je l'approuvai ; et en cherchant les moyens — voyant qu'il ne pouvait sortir par les portes du Louvre, qui étaient si curieusement gardées que même l'on regardait tous ceux qui passaient au visage — il ne s'en trouva point d'autre que de sortir par la fenêtre de nia chambre, qui regardait dans le fossé et était au second étage. Il me prie, pour cet effet, faire provision d'un câble bon et fort, et de la longueur nécessaire. A quoi je pourvois soudain, faisant emporter le jour même, par un garçon qui m'était fidèle, une malle de luth qui était rompue, comme pour la faire racoutrer ; et à quelques heures de là, la rapportant, il y mit le câble qui nous était nécessaire. — L'heure du souper étant venue, qui était un jour maigre que le roi ne soupait pas, la reine ma mère soupa seule en sa petite salle et moi avec elle. Mon frère, bien qu'il fût assez patient et discret en toutes ses actions, s'y trouve connue je me lève de table, et me dit à l'oreille qu'il me priait de me bitter et de venir tôt à ma chambre, où il se trouverait. — M. de Matignon, un dangereux et fin normand, qui n'aimait point mon frère, en étant averti par quelqu'un qui n'avait pas bien tenu sa langue, ou le conjecturant sur la façon de quoi il m'avait parlé, dit à la reine comme elle entrait dans sa chambre,ce que j'entr'ouïs presque, étant assez près d'elle et y prenant garde, et observant curieusement tout ce qui se passaitque sans doute il voulait s'en aller ; que demain il ne serait plus là ; qu'il le savait très bien ; qu'elle y mit ordre. Je vis qu'elle se troublait à cette nouvelle, ce qui me donna encore plus d'appréhension que nous ne fussions découverts. Entrant dans son cabinet, elle me tira à part et me dit : Avez vu ce que Matignon m'a dit ? Je lui dis : Je ne l'ai pas entendu, Madame, mais j'ai vu que c'était chose qui vous donnait peine. — Oui, ce dit-elle, bien fort ; car vous savez que j'ai répondu au roi que votre frère ne s'en irait point ; et Matignon me vient de dire qu'il savait très bien qu'il ne sera demain ici. — Marguerite était perplexe ; qu'allait-elle répondre ? Je composai tellement mon visage et mes paroles, dit-elle, qu'elle ne put rien connaître que ce que je voulais, et que je n'offensai mon âme ni ma conscience par aucun faux serment. Je lui dis donc si elle ne connaissait pas bien la haine que M. de Matignon portait à mon frère ; que c'était un brouillon malicieux qui avait regret de nous voir tous d'accord ; que lorsque mon frère s'en irait, que j'en voulais répondre sur ma vie ; que je m'assurais bien que ne m'ayant jamais rien celé, qu'il m'eût communiqué son dessein ; ce que je disais m'assurant bien que mon frère étant sauvé, l'on ne m'eut osé faire déplaisir ; et au pis aller, j'aimais mieux engager ma vie que d'offenser mon âme par un faux serment. Il faut accepter ces déclarations de Marguerite. Le trait d'ailleurs est bien d'une fille de Catherine ; tromper, mentir ne la gênait pas beaucoup ; elle évita seulement de jurer. La vieille reine, ne recherchant pas de près le sens de ses paroles, lui dit : Pensez bien à ce que vous dites ; vous m'en serez caution !Je lui dis en souriant que c'était ce que je voulais, et lui donnant le bonsoir, je m'en allai à ma chambre, où me déshabillant en diligence et me mettant au lit pour me défaire de mes dames et filles ; étant restée seule avec mes femmes de chambre, mon frère vient avec Simier et Cangé ; et me relevant, nous accommodâmes la corde avec un bâton, et avant regardé dans le fossé s'il n'y avait personne, étant seulement aidée de trois de nies femmes qui couchaient dans ma chambre et du garçon qui m'avait apporté la corde, nous descendons premièrement mon frère, qui riait et gaussait sans avoir aucune appréhension, bien qu'il y eut une très grande hauteur, puis Simier, qui pâle et tremblant ne se pouvait tenir de peur, puis Cangé son valet de chambre. — Dieu conduisit si heureusement mon frère sans être découvert qu'il se rendit à Sainte-Geneviève où Bussy l'attendait qui, du consentement de l'abbé[16] avait fait un trou à la muraille de la ville, par lequel il sortit (14 février 1578) et trouvant là des chevaux tout prêts, se retira à Angers sans aucune infortune[17]. — Comme nous descendions Cangé le dernier, il se lève un homme du fond du fossé, qui commence à courir vers le logis qui est auprès du jeu de paume, qui est le chemin où l'on va vers le corps de garde[18]. Moi, qui en tout ce hasard n'avais jamais appréhendé ce qui était de mon particulier, mais seulement la sûreté ou le danger de mon frère, demeure demi-pâmée, croyant que fut quelqu'un qui, suivant l'avis de M. de Matignon, était mis là pour nous guetter. — Marguerite eut alors un mouvement de désespoir, durant lequel ses femmes jetèrent au feu la torde qui avait servi à l'évasion ; mais cette corde était longue et fit tant de flamme que le feu se mit à la cheminée ; des archers de garde vinrent alors frapper à la porte, et l'on eut beaucoup de niai à les renvoyer en disant que la reine dormait et qu'on éteindrait le feu sans leur secours. Cette alarme passée, à deux heures de là, voici M. de Losse qui me vient quérir pour aller trouver le roi et la reine ma mère, ayant été avertis de la fuite du duc par l'abbé de Sainte-Geneviève, qui pour n'en être pas embrouillé et du consentement même du fugitif, lorsqu'il vit qu'il était assez loin pour ne pouvoir être attrapé, était venu trouver le roi en disant qu'on l'avait surpris en sa maison et tenu enfermé jusqu'à ce que le trou de la muraille fût fait, si bien qu'il n'avait pu l'informer de suite. — M. de Losse me trouva au lit, et me levant soudain avec mon manteau de nuit, une de mes femmes, indiscrète et effrayée, se pend à mon manteau, criant et pleurant que je n'en reviendrais jamais. M. de Losse la repoussant, me dit tout bas : Si cette femme avait parlé devant une personne qui ne vous fut serviteur comme je suis, cela vous mettrait en peine ; mais ne craignez rien et louez Dieu, car M. votre frère est sauvé. — Cette assurance, dit encore la reine, me fut bien nécessaire pour me fortifier contre les menaces et intimidations que j'eus à souffrir du roi, que je trouvai assis au chevet de la reine ma mère, en une telle colère que je crois qu'il me l'eut fait ressentir, si la crainte de l'absence de mon frère et la présence de ma mère ne l'en eussent empêché. Ils me dirent tous deux que je leur avais dit que mon frère ne s'en irait point et que je leur en avais répondu. Je leur dis que oui, mais qu'il m'avait trompé en cela comme eux ; que toutefois je leur répondais à peine de ma vie que son partement n'apporterait aucune altération au service du roi et qu'il s'en allait seulement chez lui pour donner ordre à ce qui lui était nécessaire pour son entreprise de Flandre. — Henri III feignit de croire sa sœur et s'adoucit un peu. Il la laissa retourner clans sa chambre, voyant bien qu'il était joué. — De cette telle et comme larronnesse départie, ajoute L'Estoile, furent le roi, la reine sa mère, toute la Cour et le peuple de Paris merveilleusement ébahis et scandalisés, et partit la reine dès le lendemain 15e du mois pour aller trouver son fils et tâcher de le ramener ; et laissèrent le roi et elle librement départir de Paris et le suivre tous les gentilshommes et officiers de sa maison, ensemble tous ses mulets, coffres et bagages, ne le voulant en rien irriter, mais recherchant tous moyens de le contenter, en sorte qu'il ne put prendre juste ou apparente raison de rien remuer. — Le duc, une fois en sûreté, avait aussi écrit à son frère une lettre où il étalait ses griefs[19] : Vous avez permis, disait-il, que mes serviteurs, à la porte de votre château aient été assassinés sans qu'aucune justice en ait été faite. Les pernicieux ministres qui sont à l'entour de vous ont induit à me faire arrêter comme un criminel de lèse-majesté. Je n'ai pu moins faire que de me retirer de pareille servitude, pour éviter le péril de ma vie, étant bien averti que quatre jours après on m'aurait préparé une retraite à la Bastille, attendant quelque conclusion et résolution sur le conseil de César Borgia[20]. Le Vénitien Jean Michel confirme d'ailleurs son dire : Bien lui en prit de s'évader, écrit-il, car il aurait été condamné à une prison perpétuelle[21]. — Dans une lettre au duc de Montpensier, Monsieur énumère de même les torts qui lui ont été faits, les affronts qu'il a subis : Vous savez comme tous les miens luit été en querelle avec ceux du roi, Bussy avec Quélus, Gramont avec Mauléon, le chevalier Breton avec Montignv, la Bourdaisière avec Entraguet. La reine ma mère ne m'a-t-elle pas recommandé de me séparer de nies meilleurs serviteurs ? Le roi ne m'a-t-il pas enlevé Mauléon, Livarrot et Maugiron ?[22] — Il adressa encore au Parlement un long factum rempli de récriminations contre les désordres du gouvernement et les concessions faites aux huguenots. Cependant, si nous écoutons L'Estoile, sur la fin du mois, La Hochepot était venu trouver le roi de la part du duc d'Anjou qui écrivait même une lettre fort honnête et gracieuse, par laquelle il assurait son frère que sa retraite ne tendait à aucune autre entreprise contre lui, mais seulement au repos de l'un et de l'autre, et qu'il lui demeurerait toujours dévot et bon frère, fidèle sujet et serviteur. Marguerite, de son côté, rapporte que les nouvelles reçues par Henri III firent cesser la plainte, non le mécontentement, montrant en apparence de vouloir aider le duc, mais en effet traversant sous main les apprêts de son armée pour la Flandre. — Au reste, les négociations de Catherine furent de peu de suite[23]. — Le mercredi 12 mars, la reine mère arriva à Paris, retournant d'Angers de voir M. le duc son fils ; d'où elle rapporta une assez froide réponse et en revint fort mal contente, combien que Monsieur l'eût assurée de ne vouloir rien remuer. Son mécontentement était de ce que Bussy vint trois lieues au-devant d'elle, et après lui La Châtre, une lieue, et leur demandant où était son fils, lui firent réponse qu'il se trouvait mal ; et quand elle répliqua s'ils le tenaient prisonnier, puisqu'il ne venait pas au-devant d'elle, dirent en riant que non, mais qu'il ne se pouvait soutenir. Arrivée à Angers, elle ne voulut aller droit au château où La Châtre et Bussy la voulaient mener, leur disant qu'ils l'y pouvaient retenir prisonnière comme son fils, et alla loger ailleurs en la ville. Et un jour après, voyant que Monsieur ne faisait compte de venir vers elle, elle alla au château le trouver, où on la fit entrer par un guichet ; ce qu'elle trouva fort mauvais, et dit que c'était la première fois qu'on lui avait fait passer le guichet, et M. le duc se fit descendre du château dans une chaire à bras, faisant semblant de s'être démis une jambe et de ne pouvoir cheminer, et se fit porter de cette façon jusqu'à la porte du château[24]. Le premier moment passé, cependant, la vieille Catherine reprit un peu de son ascendant ; elle cajola le due et réussit en partie à le regagner ; le lendemain, il alla la voir au Logis-Barrault, et le 2 mars la mère et le fils assistèrent à une procession générale s'acheminant vers Saint-Aubin[25]. Mais ce n'était en somme qu'une demi-réconciliation. Henri III, qui craignait surtout de voir recommencer la guerre de 1576, eut bientôt d'autres désagréments. Le duc, profitant de sa liberté, allait de ville en ville recruter des partisans pour sa prochaine expédition[26] et les événements d'ailleurs semblaient conspirer pour lui : l'archiduc Mathias auquel on avait offert également la souveraineté des Pays-Bas, et qui, échappé de Vienne et le gagnant de vitesse, s'était fait proclamer à Bruxelles, venait d'essuyer à Gembloux (31 janvier) la plus sanglante des défaites. Don Juan, à la tête des vieilles bandes espagnoles, revenues à son appel, avait balayé l'armée des États. Le duc d'Anjou était donc imploré comme un libérateur ; mais son entrée dans les Flandres pouvait amener une guerre avec l'Espagne. Catherine, redoutant ce nouveau danger, retourna voir son fils à Bourgueil. Il ne lui cacha pas les propositions des États, mais affirma qu'aucune condition n'avait encore été mise par écrit. La reine écouta ses confidences, puis essaya de lui faire entendre raison : L'ambassadeur d'Espagne, dit-elle, nous a menacés d'une déclaration de guerre si une armée française entre dans les Flandres[27] ; je vous supplie encore de renoncer à cette entreprise. — Le duc s'obstinant, en dernière ressource elle lui parla de mariage et lui proposa une des filles du roi d'Espagne ou, à son défaut, Catherine de Navarre. Sur le point de mener sa fille en Béarn, elle avait encore le temps de recevoir une réponse du roi catholique et en cas d'insuccès s'occuperait de cette nouvelle alliance avec la maison de Bourbon[28]. — Henri III, en effet, s'était décidé enfin à laisser Marguerite aller rejoindre son mari. Catherine espérait bien qu'elle les servirait à la Cour de Nérac, et le roi, qui n'ignorait point le rôle qu'elle avait joué dans l'évasion de son frère commençait à redouter ses intrigues ; il aimait mieux, décidément, la savoir loin que près. Mongez a très bien vu que dans toute l'aventure du duc d'Anjou, c'est elle qui conduit les choses ; le dernier des Valois, intelligence médiocre, était incapable d'agir seul d'une façon profitable ; dès qu'il fut séparé de la reine de Navarre, il ne fit que des sottises. — Le temps s'étant passé de cette façon, dit-elle dans ses Mémoires, moi pressant à toute heure le roi me vouloir permettre d'aller trouver le roi mon mari, lui voyant qu'il ne me pouvait plus refuser, et ne voulant que je partisse mal satisfaite de lui, il m'oblige par foutes sortes de bienfaits, me donnant suivant la promesse que la reine ma mère m'en avait faite à la paix de Sens, l'assignat de ma dot en terres[29], et outre cela la nomination des offices et bénéfices. Et outre la pension qu'il me donnait, telles que les filles de France ont accoutumé d'avoir, if m'en donna encore une de l'argent de ses coffres, prenant la peine de me venir voir tous les matins, et nie représentant combien son amitié pouvait m'être utile ; que celle de mon frère causerait enfin nia ruine et que la sienne me pouvait faire vivre bien heureuse, et mille autres raisons tendantes à cette fin. En quoi jamais il ne put ébranler la fidélité que j'avais vouée à mon frère, ne pouvant tirer autre chose de moi, sinon que mon plus grand désir était de le voir en sa bonne grâce, et qu'il se pouvait bien assurer qu'étant auprès du roi mon mari je ne manquerais nullement aux commandements qu'il lui plairait me faire, et que je ne travaillerais à autre chose qu'à maintenir le roi mon mari en son obéissance. — Le voyage de Marguerite était donc décidé. Elle dit elle-même que rien ne la retenait plus à la cour et qu'elle n'y regrettait rien ; son frère et Bussy partaient pour la Flandre ; sa vieille amie la princesse de La Roche-sur-Yon venait de mourir (12 avril). Mais, d'après les Mémoires du duc de Bouillon, des difficultés auraient surgi à nouveau du côté du roi de Navarre. La pacification d'abord était loin d'être complète en Guyenne ; des bandes indépendantes se formaient, même dans les villes, et les deux partis continuaient à batailler, pillant et ravageant le pays ; il y avait eu des surprises de places par les huguenots que Henri de Béarn ne désavouait pas, et il ne voulait consentir que la reine Marguerite vint le trouver, à cause du mauvais ménage qu'ils avaient eu étant à la cour, les divers soupçons qu'elle lui avait donnés de ses comportements. — Quoique le roi son frère ne l'aimât, dit encore le duc de Bouillon, si lui semblait-il être honteux pour lui de voir sa sœur comme répudiée par son mari, lequel était blâmé des uns de ne se porter assez ouvertement à la réparation des contraventions à l'Édit, des autres d'attirer sur le parti une grande haine, à cause du mécontentement du roi contre sa personne. — Le roi, la reine mère et Monsieur négociaient pour la venue de la reine Marguerite. Une assemblée protestante eut lieu à Montauban où le roi envoya Bellièvre pour déclarer sa bonne volonté à maintenir l'Édit, sa patience à supporter tant d'entreprises, le désir qu'il avait de voir la reine sa sœur près du roi de Navarre, et remporta le sieur de Bellièvre de plus douces paroles du roi de Navarre pour le regard de la reine Marguerite qu'il n'avait auparavant, son esprit étant fort offensé jusque-là qu'il doutait de la sûreté de sa personne, elle se rapprochant. La plupart de ceux qui étaient près de lui n'adhéraient à sa venue, et aussi peu le corps des églises, estimant qu'elle porterait beaucoup de corruption et que le roi de Navarre même se laisserait aller aux plaisirs, en donnant moins de temps et d'affection aux affaires[30]. — Toutefois, la correspondance de Catherine de Médicis, fort complète, est muette au sujet de ce démêlé ; elle parle très simplement de son voyage prochain en Guyenne et Gascogne ; c'est une chose convenue et qui n'est retardée que par les négociations avec le duc d'Anjou, et l'on peut croire que le duc de Bouillon, qui écrivit fort âgé ses Mémoires, aura confondu, en ce qui concerne Marguerite, les événements de deux époques[31]. — Catherine, qui pensait accompagner sa fille, bien moins par convenance et pour s'en séparer le plus tard possible, comme elle le faisait dire, que pour examiner les forces des réformés, leurs liaisons, le génie et la passion des chefs afin de les diviser ensuite ou les contenter par de larges concessions, et assurer la paix toujours fuyante où la royauté s'efforçait depuis tant d'années, aurait d'abord voulu terminer un arrangement avec le duc d'Anjou. Mais ses remontrances furent vaines ; le maréchal de Cossé qu'elle lui envoya ne fut pas plus heureux. Le duc passa le mois de juin à Alençon, où Montigny, envoyé par les États, le vint trouver. Catherine, accompagnée de Marguerite, tenta une dernière démarche[32] et le lundi septième de juillet, il partit de Verneuil à minuit, accompagné de Bussy, Simier, La Roche-Guyon, La Châtre, Chamvallon et autres gentilshommes de sa suite, au nombre de dix chevaux seulement, vint passer la Seine à La Rocheguyon, et se rendit en deux jours à Bapaume et à Arras, et de là à Mons en Hainaut, où il fut le bien venu et bien reçu. — Inutilement, le roi, pressé par l'ambassadeur d'Espagne, dans un voyage qu'il avait fait en Normandie quelques jours avant, avait laissé des garnisons à Gisors, Vernon, Mantes, Meulan, Poissy, Pontoise et autres places sises sur les rivières de Seine et d'Oise, pour empêcher le passage aux gens de guerre pour aller en Flandre[33]. Les huguenots affluaient dans l'armée du duc ; la noblesse accourait auprès de lui comme si c'eut été pour la conquête de la Toison d'Or[34]. Sully dit que les troupes, s'étant jointes, marchèrent en forme de corps d'armée vers Saint-Quentin et environs, puis, furent loger vers Walincourt, Vauchelles, Crèvecœur et autres lieux circonvoisins. De Mons, le duc avait écrit à M. d'Humières[35] : Je suis venu en aide à ce peuple opprimé et pour rabattre l'orgueil de l'Espagne qui, par ses conseils nous a toujours mis en division. — Aux ambassadeurs de Venise et de Savoie il donna quelques paroles vagues : Appelé par les États, je ne puis décliner ce devoir. — Il était maître du Hainaut, mais, général incapable, ne devait rien faire. Son armée n'était qu'un ramassis de pillards. Tandis qu'il continuait à négocier avec Élisabeth pour sou mariage, décidé à épouser la reine ou à épouser les Pays-Bas ; que le roi de France, le contrecarrant d'un côté afin de se garantir des menaces espagnoles, faisait aussi mine de le soutenir dans la crainte de le mécontenter trop[36] et lui faisait offrir par Villeroy le marquisat de Saluces avec sollicitation au pape de lui céder le Comtat Venaissin, ajoutant qu'il demanderait pour lui soit une des infantes d'Espagne, soit la princesse de Mantoue, qu'on disait très belle et qui apportait en dot le Montferrat, chemin ouvert sur l'Italie, — une partie de ses troupes restées en Picardie et Champagne saccagent, pillent, volent, violent femmes et filles, tuent, mettent le feu aux maisons et aux granges par où ils passent ; de quoi le roi averti, après en avoir ouï plaintes infinies, avec récit des énormes et exécrables méchancetés qu'ils commettaient, fut contraint de les abandonner au peuple, comme aussi le duc de Guise en son gouvernement de Champagne, fit faire carnage de ces soldats voleurs, ravageant et opprimant le pauvre peuple champenois[37].

Cependant, au retour de l'entrevue d'Alençon, Marguerite, ayant toutes choses prêtes pour son partement, avait demandé de nouveau à se mettre en route. Catherine n'avait plus de raisons pour retarder le voyage. — Le 26 juillet, dit le Journal de L'Estoile, le roi alla à Olinville pour y recevoir la reine de Navarre, sa sœur et lui dire les adieux pour ce qu'elle s'acheminait en Gascogne vers son mari qui dès longtemps la demandait. — Et, quelques lignes plus loin, il ajoute : — Le samedi 2e d'août, la reine de Navarre partit pour prendre le chemin de Gascogneà son grand regret et corps défendant selon le bruit tout commun[38], et l'accompagnèrent la reine sa mère, le cardinal de Bourbon, M. le duc de Montpensier et messire Gui du Faur, sieur de Pibrac, président de la Cour[39].

 

 

 



[1] En mai 1578, Lavardin tua le jeune Randan à Lucey en Vendômois, sous ombre de ce que le dit Randan s'ingérait de faire l'amour à la jeune dame de Lucey, que Lavardin aimait pour l'épouser. Ce meurtre fut trouvé fort cruel et étrangement barbare, et envoya le roi un prévôt des maréchaux avec forces pour prendre au corps Lavardin, lequel se retira en Gascogne vers le roi de Navarre, son maitre, où il fut le bienvenu. L'ESTOILE, édit. Jouaust, I, p. 256.

[2] SULLY, Économies royales.

[3] Honorat II de Savoie, marquis de Villars et comte de 'fende, nommé amiral de France et des mers du Levant après la mort de Coligny. Il était beau-frère du duc de Mayenne, en faveur duquel il démissionna en 1558. Mayenne à son tour vendit l'amirauté de France au duc de Joyeuse en 1582, pour 120.000 écus. M. Guessard a cru qu'il s'agissait ici du sieur de Villars, André de Brancas. C'est une erreur. André de Brancas n'eut la charge d'amiral qu'en 1594, après la démission du maréchal de Biron. Cf. MORERI, v° Amiral de France.

[4] Le mercredi 9e d'octobre, Monsieur frère du roi, arriva à Paris, et logea au cloître Notre-Dame, en la maison canoniale de messire Renaud de Beaune, évêque de Mende, son chancelier ; d'où il partit le samedi 12e pour aller à la Fère en Picardie, voir la reine de Navarre sa sœur. L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. I, p. 219.

[5] H. DE LA FERRIÈRE, les Projets de mariage de la reine Élisabeth.

[6] Mémoires de Marguerite de Valois, édit. elzévirienne, p. 127-128.

[7] Selon les anciens éditeurs de L'Estoile, Bussy aurait même été conduit à la Bastille sur la fin de novembre 1577, le prévôt de Paris, Nantouillet, ayant fait entendre au roi qu'il y avait une entreprise contre lui faite par son frère (le baron de Viteaux) et autres de ses complices, à raison de quoi le roi était entré en quelque jalousie de M. le duc et en grande défiance de plusieurs de sa suite. Édit. Michaud, t. I, p. 92, note 1.

[8] Philibert de Gramont, comte de Guiche, marié à la célèbre Diane d'Andouins, dite la belle Corisande, qui fut une des maitresses du roi de Navarre. Il eut un bras emporté au siège de la Fère (août 1580) et mourut de sa blessure, âgé de vingt-huit ans.

[9] L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. I, p. 230-231. — L'ordonnance est du 12 janvier 1578 ; les batailles continuèrent comme devant et le chroniqueur n'a pas assez de place pour les rapporter toutes. — Le bruit courut d'ailleurs que Marguerite n'était pas étrangère à la querelle de Quélus et d'Entragues, dit le bel Entraguet, qui se termina par le célèbre combat du Marché-aux-Chevaux (avril 1578) où furent tués Quélus, Schomberg et Maugiron.

[10] BRANTÔME ; L'ESTOILE, I, p. 232. L'ambassadeur de Toscane parle dans le même sens que l'auteur des Dames galantes. Cf. Négociations diplomatiques avec la Toscane : Documents inédits.

[11] Le château de Saint-Maur-les-Fossés, construit par Philibert Delorme pour le cardinal du Bellay, et agrandi par Catherine.

[12] René de Villequier, baron de Clairvaux. — Il avait tué sa femme l'année précédente au milieu de la cour se tenant à Poitiers, dans un accès de jalousie. L'Estoile dit qu'il savait qu'elle le trompait et qu'il en profitait ; mais elle avait mal parlé du roi après avoir été sa maîtresse, et il avait fermé les yeux sur le meurtre ou même y avait donné son consentement. Villequier ne fut inquiété que pour la forme, et il était encore en faveur en 1588, au moment des barricades.

[13] Mémoires de Marguerite de Valois, édit. elzévirienne, p. 134-137. L'Estoile, qui n'avait pas les mêmes raisons que la reine de Navarre pour présenter les choses sous un jour favorable au duc d'Anjou, écrit dans son Journal à la date du 10 février 1578 : Or, était M. le duc résolu de partir le lendemain matin, jour du Mardi-gras pour se retirer à Angers, et avait commandé à ses gens de tenir son train et carriage tout prêt pour déloger. De quoi le roi et la reine sa mère, avertis, entrèrent en quelques soupçons et défiances, de mode que la nuit, sortant du bal, ils l'allèrent voir en sa chambre, où montés en haut propos, s'assurèrent de la personne du dit seigneur, etc. Cf. une lettre de Villeroi dans les Mémoires du duc de Nevers. — D'après le ton de son récit, on peut croire d'ailleurs que Marguerite était mêlée au complot beaucoup plus qu'elle ne veut. dire. Les inquiétudes du duc d'Anjou n'auraient guère de sens autrement.

[14] Sur le midi, raconte L'Estoile, par l'intervention de M. de Lorraine, le roi et Monsieur, son frère, furent réconciliés, s'embrassèrent avec larmes et promirent de demeurer bons frères et bons amis, et furent les prisonniers délivrés ; jurèrent pareillement Bussy et les autres favoris de M. le due, comme aussi firent Quélus, Saint-Luc et les autres mignons du roi, de vivre dès lors en avant fraternellement, sans haine ni sans querelle ; s'embrassèrent plusieurs fois en signe de réconciliation, faisant à la courtisane la meilleure pipée du monde. Le jeudi 13 février, second jour du Carême, le seigneur de Combaud donna à diner aux mignons, lesquels il traita magnifiquement et burent les uns aux autres et s'entre-caressèrent courtisannement. Et pria Bussy la compagnie à diner au samedi ensuivant, tellement qu'il n'y avait plus d'apparence ni d'espérance d'autre chose que de toute bonne réconciliation et amitié. Édit. Jouaust, t. I, p. 234-236.

[15] Mémoires de Marguerite de Valois, édit. elzévirienne, p. 141-147.

[16] L'abbé de Sainte-Geneviève était Joseph Foulon, qui joua un rôle assez actif durant la Ligue, au moment du siège de Paris. Cf. DE THOU, liv. XCVII.

[17] Monsieur, de sa part, dit L'Estoile après avoir rapporté les effusions des mignons, faisait pareille mine et contenance avec le roi son frère, la reine sa mère et autres princes et seigneurs courtisans, et néanmoins, tout à coup et à l'improviste, dès le lendemain, s'en étant allé à l'abbaye Sainte-Geneviève et faisant semblant de venir faire collation avec l'abbé, s'en va en certain endroit de la dite abbaye à ce destiné et ordonné, et par dessus les murailles de la ville se fait descendre avec une corde dans le fossé.

[18] Nous devons rappeler ici la topographie de ce coin du Louvre à l'époque des Valois. Le jeu de paume était en dehors du château, contre la muraille faisant face à l'hôtel de Bourbon et que gardaient les grosses tours de la porte ouvrant à l'est ; l'habitation de la Cour était dans la partie neuve qui s'arrêtait à la hauteur du pont des Arts et à l'ouest au pavillon de l'Horloge. Mais devant l'aile méridionale s'étendait un enclos, encore en partie fortifié, qui au temps de Marie de Médicis devint le jardin de la reine. L'aile occidentale, au contraire, était protégée par un fossé qui rejoignait celui de la partie nord, restée debout, du château de Charles V. C'est de ce côté nord-ouest, semble-t-il, qu'eut lieu, par la fenêtre de Marguerite, l'évasion du duc d'Anjou.

[19] Aussitôt après son arrivée à Angers, Monsieur assembla tous ses serviteurs pour leur demander leur avis par écrit des meilleurs moyens qu'il avait à employer pour la conservation de sa personne et de ses États. Quelques-uns de ces advis nous sont parvenus, entre autres celui que rédigea le sieur de la Châtre. L'ESTOILE, édit. Michaud, t. I, p. 96, note.

[20] Mémoires du duc de Nevers.

[21] Relations des ambassadeurs vénitiens, t. II, p. 251.

[22] Bibl. nat., fonds Dupuy, n° 135, p. 43. Lettre du duc d'Anjou au duc de Montpensier.

[23] Cf. les Lettres de Catherine de Médicis, t. VI, dans la collection des Documents inédits.

[24] L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. I, p. 237.

[25] Journal de LOUVET.

[26] Le duc d'Anjou visitait pour la première fois son apanage. Les bourgeois d'Angers eurent de leur maitre et de ses favoris une triste opinion, Bussy, Simier, Chamvallon, La Châtre, du Hallot et autres semblant prendre à tâche de les scandaliser par l'effronterie et le cynisme de leurs manières. L'évêque d'Angers, Guillaume Ruzé, avait fait préparer, le soir de Pâques fleuries, après la procession, un banquet magnifique où il avait invité le due et les siens. Les mignons simulèrent entre eux une querelle, saisirent les serviettes qu'ils se jetèrent les uns aux autres, puis les assiettes, les écuelles d'argent, les verres, les plats qu'ils lancèrent par les fenêtres. Les tables, les tréteaux et le buffet furent renversée à la grande indignation des convives, et les prédicateurs protestèrent dans leurs serinons contre d'aussi brutales insolences. On fit cependant au duc une très belle réception avec arcs de triomphe, tableaux, décoration des portes, des églises et de la ville (13 avril). Au portail de Saint-Nicolas on lui présenta un poêle de velours violet, armorié et parsemé de fleurs de lys d'or, sous lequel il se plaça monté sur un cheval somptueusement caparaçonné. Les compagnies bourgeoises défilèrent avec des morions dorés ; deux mille arquebusiers étaient sous les armes. Les bourgeois s'avancèrent sur housses et à cheval ; les juges, les consuls, les seigneurs, les divers officiers, les avocats, les gens de loi, les membres de l'université et le clergé l'accompagnèrent jusqu'à Saint-Maurice. Chamvallon, La Châtre, du Ballot et les autres mignons étalaient des costumes éblouissants, la tête emprisonnée dans leurs hautes fraises, les cheveux s'échappant en boucles frisées de leurs toquets de velours, fardés et parfumés comme des femmes. Les fêtes coûtèrent 12.000 écus à la ville, sans compter une naumachie donnée sur la Maine le 15 avril, dont les capitaines firent presque entièrement les frais. Journal de LOUVET, p. 40.

[27] Sur la fin de ce mois (avril 1578), Monsieur fit lever par toutes les terres de son apanage compagnies de gens de pied et gens de cheval pour aller en Flandre ; ce que le roi faisait semblant de trouver mauvais à cause de l'ambassadeur d'Espagne qu'il avait près de lui, lequel le menaçait d'une guerre s'il n'empêchait ce dessein ; tellement qu'il fit faire défense à tous ses sujets de sortir des terres de son obéissance en armes, sans son exprès congé, sur peine de saisie et confiscation de tous leurs biens... Le samedi 3 mai, le roi envoya le seigneur de Beauvais-Nangis à Saint-Denis avec quatre compagnies de gens de pied pour assurer la dite ville qui avait été si fort troublée par l'insolence de quelques compagnies se disant aller en Flandre pour Monsieur, que les religieux du dit Saint-Denis en avaient apporté tout à la hâte leur trésor à Paris, qui fut trouvé un mauvais commencement et de sinistre présage pour la prospérité d'une telle entreprise, qui commençait par un brigandage pour finir (comme elle finit) par l'épée et le couteau de la justice de Dieu sur les auteurs et conducteurs de tels voleurs et brigands. L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. I, p. 254.

[28] H. DE LA FERRIÈRE, les Projets de mariage, p. 202 ; Correspondance de Catherine de Médicis, t. VI.

[29] Voir dans les Archives historiques du département de la Gironde, t. XXIX, 1894, les lettres patentes du roi donnant à sa sœur l'Agenais, le Rouergue, les jugeries de Verdun, Rivière et Albigeois, les comtés de Quercy et de Gaure, pour lui tenir lieu des 67.500 livres de rentes qu'elle devait prendre chacun an sur les recettes générales et constituant sa dot (18 mars 1578).

[30] Mémoires du duc de Bouillon, édit. de la Société de l'Histoire de France, anno 1578.

[31] Du Lude, proche la Flèche, où elle s'était fait accompagner de Marguerite près de son fils, elle écrit au contraire à Henri III (6 mai 1578) : Et commencerai à vous dire que pour certain la reine de Navarre votre sœur, a fait tellement envers le sieur de Miossans que quand il est arrivé devers le roi de Navarre, il l'a assuré de la volonté qu'elle a de l'aller trouver, et la délibération qu'il a, comme j'ai pour nia part de la lui mener, afin de les voir ensemble, et aussi pour particulièrement le voir, dont il montre avoir très grand désir de sa part, avec fort bonne délibération de l'aimer parfaitement et de lui faire tout le bon traitement qui se peut. Lettres de Catherine de Médicis, t. VI, p. 15.

[32] Mon frère étant alors sur son partement de Flandres, la reine ma mère le voulut aller voir à Alençon avant qu'il partit. Je suppliai le roi de trouver bon que je l'accompagnasse pour lui dire adieu, ce qu'il me permit bien qu'à regret. Mémoires de Marguerite de Valois, édit. elzévirienne, p. 155.

[33] L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. I, p. 258.

[34] B. ROCHER, Histoire de l'Anjou, p. 442.

[35] Jacques d'Humières, lieutenant général en Picardie, gouverneur de Péronne, de Montdidier et de Roye. L'ESTOILE, édit. Michaud, t. I, p. 83, note 2.

[36] La conduite de Henri III est assez difficile à expliquer ; il était, par crainte, — crainte de la prospérité de son frère, crainte de difficultés avec l'Espagne, — opposé à l'expédition de Flandre ; et, selon L'Estoile, il aide sous main Monsieur de deniers et fait ce qu'il peut pour lui en trouver, fait toutes les faveurs possibles au recouvrement de deniers qu'était venu demander Regnaud de Beaune, chancelier de Monsieur. — Regnaud de Beaune, alors évêque de Mende et depuis conseiller et président au Parlement, archevêque de Bourges et de Sens, grand aumônier de France et commandeur de l'ordre du Saint-Esprit, était un des principaux conseillers de l'entreprise des Pays-Bas. L'Estoile nous le montre ordinairement dans le coche du roi, ce qui s'accordait mal, dit-il, avec les garnisons que Sa Majesté avait mises sur les avenues de la rivière pour empêcher le passage, et ce qui faisait croire bonnement et même à l'Espagnol qu'il y avait secrète intelligence en cc dessein entre Monsieur et lui. Édit. Jouaust, t. I, p. 258. — Une note des anciens éditeurs ajoute que, sollicité par la reine-mère, Henri III avait promis à son frère de l'aider, mais que les effets ne répondirent pas aux promesses. On peut penser surtout qu'il voulait faire croire à son frère qu'il était disposé à le seconder, mais que les nécessités de la politique l'empêchaient de le faire ouvertement.

[37] Journal de l'Estoile, édit. Jouaust, t. I, p. 262-263.

[38] Cette ligne a été effacée postérieurement dans le manuscrit.

[39] Pibrac, conseiller d'État et président au Parlement, dont il sera assez souvent question dès lors, avait été nommé chancelier de la reine de Navarre. Il avait alors cinquante-quatre ans ; il mourut le 27 mai 1584, chancelier du duc d'Anjou. Il avait accompagné Henri III en Pologne et, quand le roi partit de Cracovie, il s'embourba dans un marécage où il resta plus de quinze heures. (DE LA PLACE, Recueil, t. VI.) A propos du départ de Marguerite, le chanoine Mongez écrit : La séparation du roi et de la reine sa sœur, loin d'être accompagnée de larmes et de regrets, ne fut remarquable que Par l'air serein du roi et les paroles dures qu'il adressa à Marguerite. Elles la confirmèrent dans ses projets de vengeance. — Mais Mongez n'indique pas où il a pris ces renseignements, et son livre, comme bien d'autres, manque surtout de références.