L'AMIRAL DE COLIGNY

TROISIÈME PARTIE

 

CHAPITRE II.

 

 

Retraite des huguenots. — Le siège de Chartres. — La paix de Longjumeau. — Disgrâce de L'Hospital. — La réaction catholique. — Condé et Coligny gagnent La Rochelle. — La troisième prise d'armes. — Bataille de Jarnac et mort de Condé.

 

De Saint-Denis, Condé gagna hâtivement Montereau où il avait donné rendez-vous à un contingent de dix-huit cornettes et vingt-sept enseignes fournies par le Poitou et la Guyenne. En même temps, il demandait de l'argent à Strasbourg et à Genève. La Noue venait de surprendre Orléans et l'on y mit à l'abri des coups les familles protestantes. Pont-sur-Yonne fut enlevé et l'armée remonta la Seine, laissant sept enseignes dans Montereau. La Rochefoucauld avait rejoint avec quatre canons et près de 10.000 hommes de ce qui était attendu. — Les protestants se dirigèrent vers la Lorraine, allant à la rencontre des troupes qui arrivaient d'Allemagne ; mais les catholiques les suivaient, ayant à leur tête le jeune duc d'Anjou, — celui qui devait être Henri III, — le fils préféré de Catherine, auquel on en avait donné le commandement sur les conseils de Vieilleville et de Cheverny[1]. Des renforts aussi arrivaient de tous les côtés, — vieilles bandes du Piémont amenées par le duc de Nevers ; reîtres d'Allemagne envoyés par le marquis de Bade ; contingent espagnol fourni par le duc d'Albe et conduit par d'Arenberg. Les huguenots se replièrent sur la Marne et des négociations furent encore ouvertes tandis que leur secours d'Allemagne se mettait en route sous les ordres du prince Casimir, fils de l'Electeur palatin[2]. Condé écrivit au Roi pour demander à revenir à. l'édit de pacification de mars 1563, ce que Charles IX lui accorda sur le conseil de Catherine, avec permission de faire dire l'office protestant dans les lieux désignés, mais demandant en revanche aux huguenots de poser les armes et de renvoyer chez eux les étrangers. Téligny fut envoyé à la cour, puis le cardinal de Châtillon[3] ; mais les réformés avançaient toujours en Lorraine. L'amiral voulait laisser l'infanterie sur la Marne[4] ; Condé le décida pourtant à la garder, passa la Meuse à Saint-Mihiel et continua sa route vers la Moselle qu'il passa à Pont-à-Mousson. Le duc d'Anjou renonça d'ailleurs bientôt à poursuivre les confédérés qui purent faire leur jonction avec le prince Casimir (11 janvier 1568). Mais les Allemands à peine arrivés réclamaient leur solde, 100.000 écus ; le prince de Condé n'en avait pas 2.000 ; il lui fallut donner sa vaisselle d'argent ainsi que celle de l'amiral ; tous se cotisèrent et jusqu'aux goujats des soldats ; bijoux, argent, vaisselle représentèrent enfin 80.000 écus dont les Allemands voulurent bien se contenter. Coligny conseilla de marcher à nouveau sur Paris en s'appuyant sur Orléans. Les réformés avaient alors 20.000 hommes mais qui étaient continuellement harcelés par les catholiques. C'était à l'amiral qu'était revenue la charge de les approvisionner et de les faire marcher en bon ordre. Il avait rassemblé des chevaux de bât, réparti les uns entre les compagnies pour le transport des bagages, affecté les autres au service des subsistances ; des distributions de vivres avaient lieu dans une proportion déterminée, et un ordre régulier avait été fixé pour les logements : l'infanterie au centre, la cavalerie dans les villages d'alentour avec des détachements d'arquebusiers. Chaque soir, ces cantonnements étaient barricadés et un lieu de rendez-vous assigné en cas d'alerte. Une avant-garde de 1,200 cavaliers, dont la moitié portaient l'arquebuse, précédait enfin la colonne. Coligny avait d'ailleurs un esprit de méthode auquel on doit rendre justice et il peut être considéré comme un des premiers organisateurs de nos armées modernes. — Les protestants purent traverser ainsi des pays dont la population leur était hostile. Ils devaient d'abord se dirige vers Paris mais préférèrent gagner Orléans par Auxerre, Bléneau et Montargis. En route, ils massacrèrent la population inoffensive d'Irancy, mais furent repoussés à Gravant. Franchissant vingt lieues en deux jours, ils parurent sous les murs de Chartres (23 février), qui était alors le grenier de la capitale. Le duc d'Anjou n'avait pas traversé la Seine, et attendait que l'armée huguenote se séparât d'elle-même, faute d'argent et de vivres. Mais à Chartres, des secours étaient entrés qui portaient la garnison à 4.000 hommes. L'armée huguenote avait peu d'artillerie, — neuf pièces ! Elle fit brèche dans la muraille cependant au bout de six jours et l'on allait donner l'assaut quand on reconnut qu'un deuxième retranchement avait été élevé en arrière par les assiégés. On travailla dès lors à détourner le cours de l'Eure qui servait à mettre en mouvement les moulins de la ville. Le duc d'Anjou avait fait partir La Valette avec 800 chevaux et quelques compagnies d'infanterie pour secourir la place, mais celui-ci fut surpris à Houdan par Coligny et taillé en pièces[5]. La résistance de Chartres, les excès que commettaient les reîtres firent d'ailleurs désirer une seconde fois la paix et des négociations s'ouvrirent à Longjumeau. Coligny s'opposait à un accommodement vers lequel inclinait Condé, et soutenait que la Cour ne faisait des propositions que pour les diviser, détruire leurs forces et les empêcher de prendre Chartres. — Il fallut traiter néanmoins, car le bel enthousiasme du début était tombé ; les troupes de Saintonge et du Poitou avaient déjà quitté le camp ; d'autres murmuraient ; disant qu'on n'avait pris les armes que pour imposer une bonne paix et qu'il ne fallait pas laisser passer le moment de la faire. Il y eut d'autres criailleries encore, mais enfin un arrangement fut signé à Longjumeau le 23 mars 1568, qui remit en vigueur l'édit d'Amboise. Le Roi avançait l'argent qui était dû aux Allemands, et s'engageait par un article secret à congédier plus tard ses troupes étrangères et une partie des troupes françaises. Condé était tenu et réputé bon parent, fidèle sujet et serviteur du Roi, et ses adhérents rétablis dans leurs biens, charges et honneurs. Les huguenots levèrent le siège de Chartres, et remirent les places qu'ils détenaient : — Soissons, Auxerre, Orléans, Blois et La Charité. — Mais les Châtillon, méfiants, ne posèrent les armes qu'avec répugnance[6]. Cette paix, disaient-ils, n'était qu'un moyen de les écraser plus sûrement, alors qu'ils pouvaient prendre Chartres et y trouver d'abondantes ressources. Cependant Condé la ratifia ; malgré Coligny et malgré l'évidence même, dit le duc d'Aumale[7], la voix publique, dans son camp, était loin d'y être défavorable. D'ailleurs, le Roi ayant remis en vigueur l'édit d'Amboise, les prétextes manquaient pour continuer la guerre ; mais quand même les jeunes gens qui entouraient le prince appelaient cette paix : la petite ou la fausse paix. — Il était évident qu'elle n'était pas sincère et Catherine n'y avait poussé que pour désarmer et désunir les protestants. La convention d'Amboise reprise en la dégageant de toutes les restrictions, modifications et interprétations qui en avaient altéré le sens, les réformés qui devaient poser les armes et rentrer chez eux, n'avaient pour garantie que la parole du Roi ; on leur avait proposé la paix pour mieux les avoir à merci, comme le disait justement l'amiral. On conserva les troupes françaises sous les armes ainsi que les Italiens et les Suisses, tandis que les huguenots renvoyaient leurs auxiliaires allemands[8]. — Un autre incident masqua d'ailleurs cette période de réaction, la disgrâce du chancelier L'Hospital, devenu suspect par sa modération même, et dont avaient fini par se défier les deux partis. Ce bonhomme à la mine austère, — au visage de Saint-Jérôme, dit Moréri, — s'était vainement efforcé d'inspirer des sentiments de paix et de concorde ; courtisan habile, laudateur du pouvoir, signant l'édit de Romorantin contre les hérétiques, et peu après déclamant contre le catholicisme au Colloque de Poissy et aux Etats d'Orléans[9], — type enfin du tiers parti qu'il représente, il n'avait su que gémir et se plaindre des maux de l'Etat, et préparer des ordonnances que nul ne voulait appliquer. Huguenot dans l'âme, il n'avait pas voulu voir qu'en France le protestantisme était hostile à la majorité ; il avait temporisé, cherché des petits moyens et devait s'effacer devant les opinions tranchées qui marchaient à la guerre civile et au coup de force de la Saint-Barthélemy. — Le Roi avait sollicité du pape l'autorisation d'aliéner les biens du clergé jusqu'à concurrence de 500.000 écus de rente, et la Cour de Rome demandait que l'argent servît à faire la guerre aux hérétiques. L'Hospital fit modifier ces conditions, mais ce fut son dernier succès. Il dut se retirer peu après, — avec de nobles paroles et conservant l'estime de tous les amis de la liberté religieuse, disent les protestants[10], — et la Reine donna les sceaux à Jean de Morvillers, évêque d'Orléans.

La paix, en somme, ne fut nullement gardée, — même momentanément, — ni par le Roi, ni par le clergé, ni par le peuple ; on commençait à trouver que les huguenots avaient la partie trop belle, et la guerre se poursuivit, guerre de tracasseries à défaut de coups de piques. Les catholiques, sentant l'hostilité de Catherine, se croyaient autorisés à tout entreprendre[11], tandis que Condé et Coligny recommençaient à se plaindre des infractions au traité. Dans les villes, on prêchait contre les réformés, les jésuites surtout[12]. Il y avait de continuels guets-apens, des spoliations, violations de domiciles ; des outrages, assassinats et massacres, et partout les gouverneurs de provinces, les garnisons, les confréries et ligues, les juges subalternes aussi bien que les cours souveraines, — au moins si nous en croyons sur tout cela ceux du parti, — rivalisaient de haine et de fureur. Coligny demanda justice au loi dans plusieurs dépêches, une surtout, envoyée le 13 mai 1868. Divers attentats avaient été commis dans l'Orléanais, la Bourgogne, et l'amiral encore dénonçait les agissements du cardinal de Lorraine, qui avait promis au duc d'Anjou 200.000 francs du clergé de France pour soutenir la religion romaine, — c'est-à-dire faire la guerre aux hérétiques[13] ; le Pape, le roi d'Espagne et d'autres princes catholiques, lui offraient de même aide et secours en tout ce qu'il tenterait pour la ruine des réformés, et le cardinal encore certifiait au prince que la reine d'Ecosse serait ramenée en France et lui céderait ses droits sur l'Angleterre. — Ce fut Coligny, toujours bon patriote, qui avertit Elisabeth.

D'ailleurs la défiance était partout. L'amiral avait failli être surpris par Chavigny ; Condé et d'Andelot de même, tant que l'on parlait d'une nouvelle prise d'armes, au besoin contre le cardinal de Lorraine, — la bête noire des huguenots. C'étaient ensuite des taquineries journalières de Catherine qui enjoignait à Condé et à Coligny de réduire les effectifs de leurs compagnies, et leur demandait le remboursement des 100.000 écus avancés pour la solde des troupes allemandes. Condé discuta, demanda qu'on s'en remît au cardinal de Châtillon et enfin que le Roi fît peser la dette sur l'ensemble des réformés. Bien que rétabli officiellement dans son gouvernement de Picardie, il n'avait pu y faire reconnaître l'autorité de Sénarpont, son lieutenant. II séjournait au château de Muret, près de Soissons, lorsqu'il apprit l'assassinat de trois officiers de sa maison. Il gagna Noyers en Bourgogne, du patrimoine de sa femme, tandis que l'amiral se fortifiait, d'après les on-dit, à Châtillon. — Coligny continuait d'ailleurs à correspondre avec l'Allemagne et l'Angleterre, mais le séjour de son château devenait périlleux, bien que le pays fût en grande partie huguenot. On prévoyait un coup de main des troupes royales car, un moment, le bruit courut qu'il était pris ou tué. Il finit par se retirer à Tanlay, près de d'Andelot, harcelé encore sur la route par la garnison du château de Chandeley, qui le salua d'une copieuse arquebusade, et Téligny envoyé à la Cour pour se plaindre de la façon dont on agissait avec les réformés, informa l'amiral à son retour de la tournure grave que prenaient les événements. Certaines villes où les protestants étaient en nombre refusaient au reste de recevoir des garnisons. La Reine voulait imposer aux religionnaires une formule de serment qui les rendait passibles des plus rigoureuses peines si des désordres se produisaient où ils habitaient ; on voulait exiger d'eux la promesse de ne plus prendre les armes sans un appel de la couronne[14]. Ils protestèrent inutilement et les attentats continuèrent. — Coligny avait rejoint Condé et tous deux écrivirent encore au Roi, à Catherine[15] ; on leur promettait justice pour les actes répréhensibles qu'ils dénonçaient, mais il n'était rien fait ou presque. Les catholiques partout restaient hostiles. — Enfin, il y eut une tentative sur Noyers ; on envoya Tavannes avec des troupes nombreuses et la charge de s'assurer des chefs huguenots. Mais il les prévint, jugeant assez mal cette besogne[16]. Condé fit agir sa belle-mère, la marquise de Rothelin, qui conjura le Roi de ne pas souffrir qu'on portât atteinte à des promesses qu'il avait confirmées. Puis, sur des avis alarmants qui leur parvinrent, Condé et Coligny se décidèrent à partir[17] après avoir dénoncé au Roi de nouveau les agissements du cardinal de Lorraine et le tort qu'on leur faisait[18]. Le 23 août, ils se mirent en route pour gagner La Rochelle dont ils avaient compris toute l'importance stratégique[19], avec la princesse de Condé, alors enceinte, les enfants du prince, Mme d'Andelot, ses enfants et ceux de Coligny, escortés par une centaine de cavaliers. Ils passèrent la Loire à gué, près de Sancerre, les femmes, enfants et personnes de leur suite dans des nacelles, et se trouvèrent protégés par une crue du fleuve qui survint aussitôt après. — Dès qu'ils eurent traversé, ils se virent suivis par plusieurs groupes de leurs coreligionnaires du Berry[20] ; d'Ivoy, Boucard, d'autres encore amenèrent quelque cavalerie. Ils marchèrent hâtivement sur Poitiers, mais le maréchal de Vieilleville refusa de les laisser entrer ; il répondit à Condé qu'il le recevrait volontiers avec le train ordinaire d'un prince, mais non avec une si grande suite. Condé prétendait aller voir son frère le comte de La Rochefoucauld à La Rochelle, et d'ailleurs n'insista pas. Dans le trajet du Poitou et de l'Angoumois, d'autres renforts leur arrivèrent. Ils parvinrent à La Rochelle, qui était déjà un nid de huguenots, vers le 14 septembre et aussitôt Condé assembla ceux de la ville pour leur faire entendre le piteux état du royaume, la misérable captivité du Roi, les intentions de ceux qui voulaient exterminer les religionnaires et l'extrême nécessité qui l'avait contraint de prendre les armes pour le service de Dieu et de Sa Majesté[21]. Il leur demanda de l'aider et pour gage de sa foi leur confia en garde sa femme et ses enfants. Les Rochelais répondirent en lui offrant la vie et les biens. L'amiral aussi fit une harangue et leur remit en garde ses enfants avec la femme et les enfants de d'Andelot. Toute la noblesse protestante du Poitou et de la Saintonge accourait. Condé apprit bientôt que Jeanne d'Albret venait le rejoindre avec son fils, et sortit au-devant d'elle avec plusieurs seigneurs et gentilshommes. Elle amenait 42 enseignes de gens de pied, commandées par Saint-Mégrin, Montamar et de Piles, et 8 enseignes de cavalerie légère. En chemin, elle avait reçu des lettres du Roi et de Catherine qui essayaient de la détourner de cette prise d'armes ; mais de Bergerac elle leur avait envoyé le sieur de La Motte pour leur représenter qu'elle ne s'occupait que du service de Dieu, du Roi et de la patrie, — ce qui n'empêcha nullement d'ailleurs Charles IX de mander au parlement de Bordeaux que la reine de Navarre et son fils se trouvaient prisonniers des rebelles par force et violence et qu'ils espéraient se prévaloir de leur nom et autorité. Le mensonge et la duperie prenaient place aussi bien d'un côté que de l'autre. — Jeanne d'Albret rencontra Condé à Archiac et arriva le 28 septembre à La Rochelle où la vinrent complimenter les députés de la ville. — La Rochelle était en somme une excellente base d'opérations et permettait de communiquer avec les côtes de France ou d'Angleterre ; de s'étendre vers le centre ou l'ouest du royaume ; de frayer la voie aux renforts qu'on attendait du Midi, et celle de la Loire aux troupes allemandes. Jusqu'à Richelieu et le mémorable siège de 1627, ce fut le boulevard du protestantisme. A deux lieues dans la mer, dit La Noue, il y a des îles fertiles qui branlent sous sa faveur ; le peuple de la cité est autant belliqueux que trafiqueur ; les magistrats prudents et tous bien effectionnés à la Réforme. Quant à la fortification, on a connu par épreuve quelle elle est. — Déjà les huguenots s'étaient emparés de Taillebourg, qui commandait le cours de la Charente et avaient essayé de prendre Saint-Jean-d'Angély[22]. Ils se refusaient à remettre des places comme Montauban, Cahors, Sancerre, Millaud, — et Angoulême n'avait été livré par La Rochebeaucourt qui y commandait qu'avec la désapprobation du parti[23]. A La Rochelle, où ils s'établirent fortement, ils organisèrent une flotte d'une vingtaine de navires, bien armés et équipés, qui de suite prirent cinq navires flamands et cinq barques espagnoles, — sans compter plusieurs barques de Bretagne — se vantant d'empêcher le trafic de la Charente et de la Gironde pour le détourner à La Rochelle, et de s'aider des Anglais si le Roi persistait à réclamer le secours des Italiens et autres étrangers[24]. Ils demandèrent aussi des secours à Elisabeth, — la mère nourrice de l'Eglise de Dieu, — en lui remontrant l'équité de leur cause et la nécessité commune qui les avait tirés par la barbe et les cheveux et remis pour la troisième fois aux armes[25]. Ils lui envoyèrent Cavaignes, qui obtint des secours en hommes, en argent, des canons et des munitions, moyennant d'ailleurs de sérieuses garanties (3)[26]. Ils quémandaient également du côté de l'Allemagne et en attendant avaient fait de nouveaux règlements pour les troupes, analogues aux anciennes ordonnances que Coligny avait fait adopter autrefois par Henri II[27]. Mais la nouvelle de la fuite de Condé avait provoqué à la cour une véritable explosion de colère. Téligny fut jeté en prison, tandis que le cardinal de Châtillon décampait subrepticement et allait servir les réformés en Angleterre. — Condamné par le Parlement comme rebelle et criminel de lèse-majesté, il séjournait à Bresles, en Beauvaisis, quand il sut que des envoyés du Roi devaient envahir son château. Il devait d'abord se réfugier en Savoie, mais pensa ensuite se trouver plus en sûreté près d'Elisabeth. Il partit hâtivement dans la nuit du 2 au 3 septembre et gagna Sénarpont, — d'où il écrivit à Charles IX, pour ne pas perdre les bonnes traditions, avec les protestations accoutumées. Des cavaliers étaient lancés à sa poursuite et il n'eut que le temps, arrivé à Sainte-Marie du Mont, de se déguiser en matelot et de passer le détroit[28]. Sa femme, restée à Merlemont alla ensuite le rejoindre. Au témoignage de Florimond de Rémond[29], c'était alors un beau vieillard à barbe blanche, toujours vêtu d'une saye de velours noir ou de satin, avec un long manteau, et le peuple de Londres disait volontiers que l'ambassadeur du prince de Condé était plus grand personnage que celui du roi de France. Il fut logé dans une maison appelée Sion, sur la Tamise, proche Hampton-Court, et s'occupa d'écouler les prises des corsaires de La Rochelle[30]. La reine Elisabeth, que n'avait point guérie sa mésaventure du Havre ; qui n'avait que tendresses pour les réformés qui servaient si bien sa politique, mit à la disposition de Condé une somme de 100.000 angelots, six canons, des munitions, et accueillit avec bienveillance tout ce qui lui arrivait de réfugiés français.

D'Andelot cherchait pendant ce temps à rejoindre Coligny. Il avait quitté la Bretagne avec un corps de réformés du Nord et de l'Ouest, et en passant à Laval avait eu d'ailleurs la précaution de faire son testament. Rejoint par Montgommery, le vidame de Chartres, La Noue et autres, il fut battu par Martigues sur la levée de la Loire. Il passa cependant, traversa le fleuve à gué, et s'enfonça en Poitou avec seize cornettes et quatorze enseignes, et bientôt rallia Soubise avec 500 chevaux. Ensemble ils prirent Thouars et Parthenay, puis firent leur jonction avec l'amiral, enlevèrent Niort, Fontenay, Saint-Maixent, Melle, et de concert avec Condé assiégèrent Angoulême qui capitula bientôt. La garnison sortit : les seigneurs bagues sauves, les gentilshommes avec chacun un courtaud et les soldats l'épée seulement. Coligny, dit-on, blâma même Puiviant qui s'était approprié quelques chevaux des gentilshommes, et le contraignit à les restituer. — Cependant Charles IX avait nommé le duc d'Anjou généralissime de ses troupes ; des lettres du Roi avaient été publiées, portant qu'il prenait sous sa sauvegarde tous les réformés, dont les plaintes devraient être reçues en justice, dorénavant, comme celles des catholiques. Catherine espéra ainsi un moment diviser le parti de la révolte. N'y réussissant pas, elle le fit mettre hors la loi. Malgré ses sautes d'humeur et ses coquetteries avec les réformés qui furent longs à la comprendre, elle n'avait jamais voulu en somme introduire le protestantisme en France et le fit bien voir dès qu'elle le put sans danger. — Le Roi, en attendant, disait que les concessions accordées n'étaient que provisoires et que d'ailleurs les religionnaires avaient violé les conventions faites ; en conséquence, il défendait à toute personne de quelque condition que ce fût d'introduire dans son royaume autre exercice que celui de la religion catholique sur la vie et les biens, et ordonnait à tous les ministres d'en sortir sous quinze jours. Il ajoutait qu'il ne voulait pas persécuter ceux de la nouvelle religion, mais qu'à l'avenir ils n'en devaient point professer d'autre que la religion romaine. Un autre édit commanda aux réformés de se démettre de leurs charges et emplois publics et le Parlement de Paris, qui l'enregistra avec des éloges scandaleux, disent encore les protestants, y ajouta les dispositions suivantes : qu'à l'avenir tous ceux qui entreraient dans les charges et emplois publics devraient promettre de vivre et mourir dans la religion catholique et romaine, quittes au cas contraire à être privés, comme indignes, de leurs charges, magistratures ou dignités. Mais, même avec ces dispositions draconiennes, des édits ou arrêtés ne pouvaient arrêter le mouvement, tant les réformés se croyaient, à la longue, en mesure de vaincre.

Cependant, l'armée huguenote attendait les contingents du Dauphiné et du Languedoc. L'amiral, sous couleur de lui faire prendre patience, mais qui voulait manier le prince à sa volonté, se rapprocha de la côte et enleva Pons et Blaye. Déjà on avait pris Saintes et la presque totalité du Poitou et de la Saintonge. Pendant ce temps, Montpensier atteignit Périgueux, donna sur les réformés provençaux qui étaient cantonnés entre l'Isle et la Drôme et détruisit la plus grande partie de leur infanterie. Mouvans qui commandait fut tué avec un millier d'hommes. Jacques de Crussol, seigneur d'Acier, recueillit le reste, vint passer la Vienne à Aubeterre (26 octobre), et joignit enfin Condé avec 700 chevaux et quelques milliers d'arquebusiers. — L'armée royale venait d'entrer en Anjou et avait gagné Châtellerault. Les protestants la suivaient, mais durent s'arrêter pour forcer un des passages de la Vienne. Ils prirent le château et la petite ville de Chavigny et arrivèrent en vue de Châtellerault. Montpensier avait  rejoint et le duc d'Anjou se trouvait ainsi à la tête de 27.000 hommes, dont 7.000 cavaliers. Les huguenots, à peu à peu près égaux en forces, avaient deux cent quarante enseignes et quatre-vingt-quatorze cornettes, — soit de 20.000 à 30.000 hommes. — Mais Condé tergiversa, revint sur ses pas, traversa la Vienne à Chavigny et recula jusqu'à Chenay, sur les bords de la Sèvre Niortaise. Le duc d'Anjou avait quitté Châtellerault et traversé Poitiers. Aussitôt, Condé gagna Lusignan (15 novembre). Là il apprit que l'ennemi était sur sa gauche et tenait la route de Niort. II envoya d'Andelot en reconnaissance, mais qui se heurta au village de Pamprou[31] à l'avant-garde catholique. L'avantage resta aux protestants ainsi que dans le combat qui suivit à Jazeneuil, où Condé, trompé par le brouillard, donna droit au camp du duc d'Anjou. L'amiral, guidé par le bruit du canon, put accourir avec ses troupes et le lendemain toute l'armée protestante décampa pour gagner Sanxai. Elle prit ensuite Mirebeau et les catholiques rentrèrent à Poitiers, sans grand résultat, mais assez fatigués de leur campagne.

Condé profita de ce répit pour marcher sur Saumur où il enleva d'abord l'abbaye fortifiée de Saint-Florent, dont la garnison fut massacrée. Mais comme on attaquait la ville, on apprit que le duc d'Anjou, sorti de Poitiers, avait repris Mirebeau et allait mettre le siège devant Loudun. Il fallut revenir à marches forcées pour protéger Loudun, dont la prise aurait coupé la ligne d'opérations des confédérés[32]. D'ailleurs, la mauvaise saison était venue. Le sol était couvert de verglas et si glissant que les chevaux ne pouvaient tenir. Les deux armées restèrent trois jours en bataille sans pouvoir en venir aux coups. Des deux côtés on jugea inutile de s'obstiner et après une insignifiante canonnade le duc d'Anjou se retira à Chinon, et Condé, qui avait cantonné ses troupes dans le Poitou, se rendit à Thouars, puis à Niort avec Coligny pour conférer avec la reine de Navarre sur les affaires du parti. Brissac avait essayé inutilement de prendre d'Andelot à Montreuil-Bellay, et des deux côtés, 6.000 hommes environ, — 8.000 selon d'autres textes — étaient morts dans le mois, de froid et de privations. — La situation, quand même, pour les réformés était assez bonne. Jeanne d'Albret avait envoyé en Angleterre Chastelier-Portant avec des lettres pour Elisabeth, qui demeurait toujours la grande ressource des huguenots. Elle y racontait les choses à sa façon et prétendait qu'elle ne voulait agir que pour le Roi contre ceux qui le conseillaient, et se défendre lorsqu'on voulait lui prendre son fils. C'était de nouveau un appel à l'intervention de l'étranger et déjà les corsaires de La Rochelle, assistés par la flotte anglaise, avaient fait de nombreuses prises dont le produit devait être en partie affecté au soutien de la cause commune. Moyennant une part dans les bénéfices, le gouvernement britannique avait autorisé le cardinal de Châtillon à délivrer des lettres de marque pour faire la guerre contre Philippe II et autres ennemis[33], et, d'après La Noue, on tira de ces prises plus de 300.000 livres. Les chefs huguenots désiraient également saisir le temporel des ecclésiastiques dans les pays occupés et ceux qui étaient sous la domination de seigneurs protestants, — dont fut recueillie encore une bonne somme de deniers (2)[34]. A La Rochelle on fit même des avances, en contributions et dons, si bien que des négociations entreprises à nouveau par Catherine furent résolument écartées[35]. — Des deux côtés on cherchait à augmenter ses forces ; on s'arrachait les Allemands ; on demanda des renforts en Suisse comme on en avait demandé en Angleterre ; mais, dit M. de La Ferrière, c'était encore sur les propres ressources de la France qu'on comptait le plus[36]. Dans les premiers jours de janvier 1569, les chefs protestants envoyèrent M. de Vézins en Allemagne et comme il devait passer par Londres, le prince de Condé écrivit à Elisabeth pour lui rendre compte du progrès de leurs armes. Coligny écrivit de même[37], tandis que Condé et Henri de Navarre pressaient le duc des Deux-Ponts, qui avait levé de nouvelles troupes auxquelles se joignirent Guillaume, Louis et Henri de Nassau avec quelques escadrons et divers partis de gentilshommes français, — environ 600 cavaliers — de hâter sa marche et de venir droit à la Loire. La lettre fut écrite par Condé, mais Coligny signa également par l'exprès commandement, dit-il, de messeigneurs les princes, et des sollicitations analogues furent adressées au prince d'Orange[38]. La Cour, du reste, essaya de détourner cet orage. Mais le duc des Deux-Ponts écrivit à Charles IX qu'il avait dû lever une armée tant pour mettre à couvert son pays qui avait été ruiné les années précédentes par le passage des troupes que pour seconder les princes de Condé, de Navarre et autres qui lui avaient porté leurs plaintes des traitements indignes et outrages qui leur étaient faits. — Toutefois, les hostilités restèrent suspendues jusqu'à la fin de février. L'armée catholique avait reçu des renforts tandis que celle de Condé s'affaiblissait tous les jours par la maladie, les privations, la désertion[39]. Tandis qu'il attendait les renforts d'Allemagne, il apprit que le duc d'Anjou venait de prendre position à Montmorillon, se rapprochant des routes qui conduisaient en Poitou, en Berry, en Limousin et Gascogne. Des bandes que Lacoche amenait du Dauphiné venaient d'être détruites et de Piles n'avait pu décider les sept vicomtes à s'acheminer en Gascogne[40]. — Condé se résolut à aller les chercher. Les protestants se mirent en marche vers le Quercy dans les premiers jours de mars tandis que le duc d'Anjou tirait sur les côtés d'Angoulême, décidé à combattre ou forcer l'ennemi à se renfermer dans les places. Les huguenots décidèrent de se tenir le long de la Charente en observation ; ils occupaient Saint-Jean-d'Angély et Saintes, et l'amiral se trouva à Cognac le 3 mars. Le duc d'Anjou, rassuré sur un mouvement des religionnaires vers l'est, traversa la Vienne à Confolens et la Charente à Verteil[41], continuant la série de marches et contremarches où s'épuisaient les deux armées depuis cinq mois. — Les protestants poursuivirent leur route. L'amiral et d'Andelot conduisant l'avant-garde arrivèrent à Jarnac si vivement qu'ils entrèrent avec les catholiques dans la ville. Mais les troupes royales avaient pris Châteauneuf (10 mars) et d'autant que le pont avait été rompu en deux endroits, raconte La Noue, M. l'amiral voulut lui-même, pour mieux reconnaître leur mine et le passage, venir jusque là avec 700 ou 800 chevaux et autant d'arquebusiers ; la rivière était entre eux toutefois, où il s'attacha une escarmouche laquelle ne dura pas beaucoup. M. l'amiral, désirant conserver sa réputation et faire paraître à ses ennemis qu'il ne voulait leur quitter la terre que pied à pied, proposa de leur empêcher le passage en corps pour le lendemain, et ordonna que deux régiments d'infanterie logeraient à un quart de lieue du pont, et 800 chevaux quelque peu derrière, dont le tiers serait en garde près du passage. Cela fait, il se retira à Bassac, distant d'une lieue, avec le reste de l'avant-garde, et M. le prince s'avança vers Jarnac qui est une lieue plus outre. Mais ce qu'il commanda ne fut pas fait ; car tant la cavalerie que l'infanterie, ayant reconnu qu'aux lieux désignés il y avait peu de maisons et nul vivres ni fourrages, alla prendre quartier ailleurs, et ne demeura sur le lieu que peu de gens, qui s'accommodèrent à une demi-lieue du passage. Les catholiques, qui avaient résolu de s'en saisir quand bien même tout notre camp l'eût voulu empêcher, firent par la diligence de M. de Biron, non seulement refaire le vieux pont, mais en dressèrent un nouveau des barques qui se portent aux armées royales, et avant la minuit, le tout fut parachevé et commencèrent à passer sans grand bruit, cavalerie et infanterie. Ceux de la religion qui étaient en garde avec cinquante chevaux à un quart de lieue du passage n'aperçurent rien, sinon sur l'aube du jour, et incontinent en avertirent M. l'amiral qui ne put que mander ses gens afin de se retirer tous ensemble et faire halte à Bassac. Il commanda aussi que tout le bagage et l'infanterie se retirât ; mais il perdit trois heures à attendre ses troupes, où il y avait huit ou neuf cornettes de cavalerie et quelques enseignes de gens de pied, et quand ils furent rejoints à lui les ennemis étaient tellement grossis, si prochains de nous et l'escarmouche si chaudement attachée qu'on connut bien qu'il convenait combattre[42]. — Condé, qui était décidé à remonter vers le nord pour passer la Loire et rejoindre le duc des Deux-Ponts, ne prit ainsi parti ni assez complètement ni assez promptement. Il était déjà à une demi-lieue, se retirant, mais ayant entendu qu'on serait contraint de mener les mains, lui qui avait un cœur de lion voulut être de la partie. Coligny avait détaché quatre cornettes confiées à La Noue et les avait envoyées dégager l'arrière-garde. Mais le duc de Guise et Martigues avec quatre escadrons de gendarmes les culbutèrent, traversant la rivière[43] derrière les fuyards et entrèrent avec eux dans Bassac. L'amiral dut s'arrêter. L'armée royale le débordait, menaçait de lui couper la retraite et de le jeter dans la Charente. Il donna 120 salades à d'Andelot et un régiment d'infanterie en lui prescrivant de rallier l'arrière-garde et de reprendre Bassac. Il demandait également à Condé d'accourir avec tout ce qu'il pourrait avoir de troupes sous la main. Bassac pris et repris, d'Andelot finit par se retirer, rejoignit Coligny au pied des collines qui dominent la route de Jarnac. Envoyant en toute hâte à tous les détachements de la bataille l'ordre de retourner, Condé se dirigeait au grand trot de son cheval vers l'amiral quand un nouveau message l'arrêta ; Coligny n'avait plus l'espoir de vaincre et le priait de se retirer. — A Dieu ne plaise, répondit-il, que Louis de Bourbon tourne le dos à l'ennemi. — De fait, le corps de l'amiral était déjà réduit de moitié par les attaques de l'armée royale. Condé n'avait avec lui qu'une ou deux compagnies d'ordonnance et quelques gentilshommes, — en tout trois cents chevaux. Il s'élança quand même et à peine arrivé prescrivit à Coligny de pousser au duc de Guise avec toute sa cavalerie. Lui-même allait se jeter sur la colonne profonde du duc d'Anjou. Comme on lui présentait ses armes, d'une ruade le cheval de La Rochefoucauld lui brisa un os de la jambe. Il s'avança quand même en criant : Voici, noblesse française, le moment désiré ! Souvenez-vous en quel état Louis de Bourbon entre au combat pour Christ et pour la patrie ! — Devant lui, tout fut culbuté et le désordre se trouva tel un moment parmi les catholiques que beaucoup crurent la journée perdue. Mais l'amiral, d'autre part, avait échoué dans son mouvement ; sa cornette était prise, sa troupe rompue, lui-même en fuite[44]. Pris à revers par les reîtres catholiques, le prince eut son cheval tué sous lui. Il combattit encore, adossé à un arbre, puis se rendit à deux gentilshommes, dont l'un au moins, d'Argence, était son obligé. Il vit arriver cependant les gardes du duc d'Anjou, reconnaissables à leurs manteaux rouges, et comprit que c'était la fin. — Cachez-vous la figure ! lui dit d'Argence. — Ah ! d'Argence ! d'Argence ! fit encore le prince, tu ne me sauveras pas ! — Montesquiou, qui commandait les gardes, était déjà passé quand il apprit le nom du prisonnier. Tue ! Tue ! mordioux ! s'écria-t-il ; puis retournant son cheval, il revint au galop sur Condé, et d'un coup de pistolet tiré par derrière, lui cassa la tête[45]. — C'était d'après l'ordre du duc d'Anjou qui savait qu'on ne pouvait terminer cette guerre fratricide que par la mort des chefs. Les restes de l'armée protestante se retirèrent et la poursuite dura jusqu'à 5 heures du soir, à la chaussée d'un grand étang, où plusieurs compagnies qui n'avaient pas donné firent ferme et arrêtèrent les assaillants. — Le duc d'Anjou, informé de la mort de Condé, se fit apporter le cadavre sur une ânesse[46], et il demeura étendu, un œil hors de la tête, jambes et bras ballants, sur une pierre contiguë à l'un des piliers de la galerie de Jarnac où le prince avait pris logis. Devant le corps, il montra une joie indécente, disent même les auteurs du parti, et il allait ordonner d'élever une chapelle sur le lieu de l'assassinat, quand son ancien gouverneur, Carnavalet, le détourna d'une décision qui eût fait voir trop clairement le lâche instigateur de ce crime[47]. Le duc de Longueville, son beau-frère, le réclama enfin et le fit inhumer à Vendôme. — Un Te Deum solennel fut chanté à la Cour et dans toutes les églises de France pour commémorer la victoire des catholiques. Des processions eurent lieu à Venise et à Bruxelles, et les drapeaux pris aux protestants furent envoyés à Rome où le pape les accompagna en grande pompe à Saint-Pierre[48]. — Mais le prince de Condé qui disparaissait ainsi était peut-être le seul homme de la religion avec lequel la Cour pouvait espérer s'entendre ; il ne s'était mis calviniste que par intérêt, par politique, et personne ne fut moins huguenot. D'une fougue et d'une témérité irrésistibles, c'était le héros le plus féodal des guerres de religion ; cependant, il était aussi porté vers le plaisir que vers la gloire et poursuivait ses chasses et ses amours en dépit des grognements des religionnaires qui rie l'acceptaient que comme un drapeau. Il périt par sa bravoure même, et derrière lui ne resta que l'homme froid, ambitieux et patient qui le jalousait et qu'on allait enfin voir à l'œuvre, — l'amiral Gaspard de Coligny.

 

 

 



[1] Mémoires de Vieilleville ; Mémoires de Cheverny, collection Michaud. — Revue des documents historiques, 1876, p. 51-52.

[2] C'était un fils de Frédéric III, duc de Bavière, dit le Pieux ; il avait été nourri en France sous Henri II et affirmait ne venir que pour le bien de Sa Majesté et de ses sujets. Il amenait 3.000 lansquenets, 6.000 reîtres et quatre pièces de campagne ; il se retira à la paix de Longjumeau et reparut en 1576 où il batailla jusqu'à la paix dite de Monsieur (6 mai) ; puis dans son pays se décerna les honneurs du triomphe. (BRANTÔME, t. I, p. 324.)

[3] La Reine vint au-devant de lui et le renvoya vers Charles IX qui se tenait à Vincennes. Mais on ne le mit en rapport qu'avec des intermédiaires. Odet vit qu'on voulait faire traîner les négociations et refusa de traiter. Des conférences eurent lieu pourtant avec Catherine et l'on convint de licencier les troupes étrangères. Les huguenots déniaient l'affaire de Meaux, où ils n'avaient voulu, disaient-ils, que se jeter aux pieds de Sa Majesté, le supplier de révoquer l'arrêt que leurs ennemis l'avaient forcé de rendre lorsqu'ils voulaient corriger les abus de la religion : ils suppliaient le Roi de rendre sa bonne grâce au prince de Condé et aux autres de ses partisans, leur accorder la liberté de conscience et les maintenir dans l'exercice de leurs biens et dignités. Les négociations furent enfin rompues et le cardinal de Châtillon se retira. — Il s'était battu à Saint-Denis parmi les protestants.

[4] Coligny continuait à correspondre avec l'Angleterre, pour entretenir les bonnes dispositions de lord Cecil, les Anglais étant toujours disposés à pêcher en eau trouble.

[5] Duc D'AUMALE, Histoire des princes de Condé, t. I, p. 230.

[6] Coligny écrivit cependant à Catherine pour se féliciter de ce qu'il avait plu à Dieu délivrer le royaume de tant de misères et calamités que la guerre apportait. Il demandait à baiser les mains de Sa Majesté et à se disculper des calomnies qui avaient été répandues à son endroit.

[7] Histoire des princes de Condé, t. I, p. 332.

[8] Après avoir congédié ses troupes françaises, Condé se rendit à Orléans pour achever de régler le départ des étrangers, la restitution des places et l'envoi de commissaires protestants, qui devaient, de concert avec les commissaires royaux, assister dans les provinces à l'enregistrement de l'édit. Sur la Loire et dans l'Auxerrois, les places furent remises et, Condé se retira ensuite dans ses terres. — Le Roi devait avancer 100.000 écus, montant de la solde arriérée des Allemands (probablement la même somme de 100.000 écus dont il est parlé plus haut et qui n'avait été que garantie aux mercenaires par des dépôts d'objets mobiliers), à charge de se faire rembourser dans le délai d'un an par les huguenots. Les Allemands faisaient d'ailleurs des difficultés pour partir et on ne les y décida que le ter avril. On avait convenu avec eux qu'ils toucheraient à la frontière. Mais près d'Auxerre, ceux qui portaient l'argent, accompagnés de gens appartenant à Condé et à Coligny, furent assaillis par la garnison, dépouillés jusqu'aux hardes et chevaux et emmenés prisonniers. Coligny écrivit au Roi pour se plaindre, ainsi qu'à la Reine et au duc d'Anjou, et ses réclamations furent appuyées par Condé et d'Andelot ; mais on ne lui répondit que par la promesse, tant soit peu ironique, de faire observer les traités.

[9] C'est dans sa harangue du Colloque de Poissy qu'il s'évertua à prouver que les doctrines des réformés n'étaient pas hérétiques.

[10] Sa fille était, du reste, mariée à un protestant et à la Saint-Barthélemy ce fut la veuve du duc de Guise, Anne d'Este, qui la protégea. Ce fut de même Catherine de Médicis qui sauva Michel de L'Hospital. — A. H. TAILLANDIER, Nouvelles recherches historiques sur la vie et les ouvrages du chancelier de L'Hospital, Paris, 1861, in-8° ; Œuvres complètes de Michel de L'Hospital, édit. Dufay, Paris, 1825, in-8°.

[11] Lettre du cardinal de Châtillon. Bibl. nat., mss. V° Colbert, vol. XXIV, f° 146.

[12] DE THOU, Histoire universelle, t. IV, p. 133.

[13] Norrys à Elisabeth (7 juin 1568), State pap. Fr. ; Histoire des princes de Condé, t. II, p. 364. — Tandis que les protestants assiégeaient Chartres, l'amiral avait perdu sa femme, Charlotte de Laval, restée à Orléans pour soigner les blessés et malades. Elle fut emportée par le typhus et Coligny n'eut que le temps d'accourir, ramenant des médecins, mais qui furent impuissants à enrayer le mal (3 mars 1568). Il exhorta ses enfants à prendre courage, les confia à leur précepteur, et en proie à une affliction réelle alla reprendre sa place parmi les troupes.

[14] Les huguenots faisaient alors des enrôlements pour le prince d'Orange et la guerre de Belgique. Coqueville et d'autres capitaines avaient tenté une incursion en Flandre, mais furent pris à Saint-Valéry par le maréchal de Cossé et décapités.

[15] Bibl. nat., mss. fr. V. Colbert, vol. XXIV, f° 161-164, autog.

[16] TAVANNES, Mémoires, chap. XXI.

[17] D'Andelot était déjà arrivé en Bretagne, d'ailleurs suivi par Martigues. (L'abbé de Saint-Pierre à M. de Gordes, 20 juillet 1568.) — Archives de Condé.

[18] Bibl. nat., mss. fr. 3177, D 28. — Coligny, nous dit-on, avait un fond de tendresse pour le Roi qui le rendait fort retenu quand il s'agissait de prendre les armes. (M. DELABORDE, Gaspard de Coligny, t. II.) L'auteur, du reste, n'est pas chiche de telles assertions.

[19] Les Rochelais étaient du nombre de ceux qui se refusaient à laisser entrer chez eux des troupes royales ; Jarnac y avait été reçu avec les honneurs d'usage, mais dut en sortir ; Vieilleville, envoyé avec des forces suffisantes pourtant, trouva la place si bien gardée qu'il aima mieux négocier. Les Rochelais appelèrent alors La Rochefoucauld et écrivirent à Condé pour se mettre sous sa protection. Le prince pensa que là était le refuge et résolut de s'en rapprocher.

[20] Regrettant de ne pouvoir les arrêter, La Châtre écrivait de Bourges à Charles IX : — Sire, je vous ai bien averti du passage de M. le Prince et de M. l'Amiral, lesquels de cette heure, peuvent être à 20 lieues, prenant leur chemin vers Le Blanc en Berry. Tous les huguenots des villages h s suivent et mènent avec eux leurs femmes et enfants... Une fois à La Rochelle, ils doivent recueillir leurs forces pour s'emparer de quelques places sur la rivière de Loire, etc. Bibl. nat., mss. fr. 15547, f° 367.

[21] LA POPELINIÈRE, liv. XIV, f° 63.

[22] Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, t. IV, p. 295.

[23] BRANTÔME.

[24] Bibl. nat., mss. V° Colbert, vol. XXIV, f° 183.

[25] Record office, State pap. France, vol. 23. — H. LA FERRIÈRE, le Seizième siècle et les Valois, p. 214 ; lettre de Chastellier à Throckmorton.

[26] Cavaignes demanda six vaisseaux, six canons de batterie avec leurs munitions et un prêt de 200.000 écus devant servir à payer le duc des Deux-Ponts attendu avec 6.000 chevaux, trente enseignes de gens de pied, vingt canons de batterie et douze pièces de campagne.

[27] Publiés par J. DE SERRES, Mémoires de la troisième guerre civile, p. 158-172.

[28] On peut voir d'autres lettres du cardinal de Châtillon, adressées au Roi et à la Reine (de Londres, 14 septembre 1568), dans LA FERRIÈRE, le Seizième siècle et les Valois, p. 217-219. Ce fut lui d'ailleurs qui, le premier, demanda le secours de l'Angleterre ; ibid., p. 219. — Lettres de Condé à Cecil, 22 et 27 septembre. Record office Fr., vol. 43. — Le 23 mars un arrêt du Parlement le condamna pour crime de lèse-majesté ; le déclara déchu de tous états, honneurs et dignités qu'il tenait du Roi, le frappa en outre de 200.000 livres d'amende et ordonna la destruction de ses armoiries. Une bulle du 30 mars, enfin, le frappa d'excommunication comme hérétique. — D'ailleurs, sa fuite fut si précipitée qu'il n'eut pas le temps de faire disparaître une caisse contenant ses papiers et déposée sur les voûtes de l'église de Beauvais. Le Roi la fit enlever et l'on y trouva les noms des principaux chefs huguenots, le rôle de ceux qui faisaient la paix et la guerre. Le Roi ordonna de brûler ces papiers. (A. BERNIER, Monuments inédits de l'histoire de France, p. 60.) Son évêché fut déclaré vacant et ce fut Charles de Bourbon qui lui succéda. (Abbé DELETTRE, Histoire du diocèse de Beauvais, t. III.)

[29] Histoire de la naissance, du progrès, etc., de l'hérésie, p. 757.

[30] Il demanda à Elisabeth, pour sa femme, une place de dame à la Cour. Mais elle répondit avec malice : J'en écrirai à mon frère le Roi de France afin qu'il me fasse connaître l'usage de son royaume pour les femmes des cardinaux. On a, du reste, compté le cardinal de Châtillon parmi les nombreux amants de la reine anglaise. — Une étude sur le personnage et. sa correspondance ont été publiées par M. Léon MARLET dans les Annales de la Société historique et archéologique du Gâtinais, 1883-1884.

[31] A trois lieues dans l'est de Saint-Maixent.

[32] Sur les ravages et atrocités des huguenots à Loudun, cf. l'ouvrage de A. LEBOSEY, Loudun, histoire civile et religieuse, 1908, p. 65, 251.

[33] DE THOU, liv. IV, p. 163 ; LA POPELINIÈRE, liv. XV, f° 81-82.

[34] J. DE SERRES, Mémoires de la troisième guerre civile, p. 287 ; LA POPELINIÈRE, liv. XV, f° 75.

[35] Les huguenots répondirent qu'ils se méfiaient du cardinal de Lorraine et autres pensionnaires du roi d'Espagne et qu'ils ne voulaient nullement entrer en composition.

[36] Le duc de Savoie fit à ce sujet une proposition dont une copie est venue au Record officeIl y a, dit-il, en France, 96 évêchés et 16 archevêchés : on en peut tirer 42.000 hommes de pied sans toucher aux villes, en ne prenant qu'un homme par village. François Ier en trouva plus de 4.000 rien que dans le diocèse de Paris, le plus petit de tous. Chaque village équipera et armera un homme et payera 10 livres par mois pour sa solde, afin qu'il n'ait pas à vivre sur le bon homme. Les maires et marguillers des villages avanceront le payement pour deux mois. Les villages par ce moyen seront quittes de nourrir les soldats qui passent. Le Roi leur fera bailler des capitaines avec quelque nombre de vieux soldats pour les façonner. (Record office, State pap. Fr., vol. 46.)

[37] Je n'ai voulu faillir avec cette bonne occasion à faire ce mot de lettre à Votre Majesté pour la supplier très humblement de vouloir avecque sa puissance considérer l'état calamiteux de ce temps et y apporter lés remèdes tels qu'il a plu à Dieu les donner et, pour ce qu'elle pourra être informée de ce qui se présente par le sieur de Vézins, je ne l'ennuirai pas d'une plus longue lettre, etc. (De Niort, 2 février.) H. DE LA FERRIÈRE, le Seizième siècle et les Valois, p. 235.

[38] Record office, State pap. Fr., vol. 45.

[39] LA POPELINIÈRE.

[40] Les vicomtes de Bourniquet, Montelar, Paulin, Caumont, Serignan, Rapin et Montage, principaux chefs du mouvement en Rouergue, Quercy et Albigeois.

[41] Pour prévenir la jonction de Condé avec ses recrues du Quercy et les troupes allemandes, le duc d'Anjou occupa Châteauneuf sur la Charente. Les protestants tenaient Cognac, Jarnac et des forts sur la rivière. (Duc D'AUMALE, Histoire des princes de Condé, t. II.)

[42] LA NOUE, Discours, édit. Buchon, p. 322.

[43] La Guirlande, affluent de la Charente.

[44] A Jarnac, l'amiral n'avait laissé que deux régiments de cavalerie, dont les quartiers disséminés dans la campagne étaient fort éloignés les uns les autres, pour garder le passage de la Charente. Le fleuve fut traversé par les catholiques. Coligny tenta sur Jarnac un mouvement de retraite qu'il ne put exécuter. Attaqué, il appela Condé dont les charges folles arrêtèrent un instant l'ennemi. Mais l'amiral n'essaya pas de reprendre l'offensive et continua son mouvement rétrograde. (Revue des questions historiques.)

[45] Duc D'AUMALE, Histoire des princes de Condé, t. II.

[46] BRANTÔME.

[47] Si les faits avancés sont exacts, et il y a tout lieu de le croire, on peut approuver pour une fois les diatribes des protestants ; la conduite du duc d'Anjou insultant le cadavre de Condé soulèvera toujours la réprobation. On ne peut invoquer pour son excuse que l'état général d'exaspération dans lequel se trouvaient les combattants.

[48] Les circonstances malheureuses de la fin de Condé n'empêchèrent pas la reine de Navarre d'affirmer qu'il était mort pour le service de son Dieu, de son Roi et le repos de sa patrie, — tellement les huguenots se trouvaient avoir intérêt à nier les choses les plus évidentes. (Lettre à sa nièce, Marie de Clèves, avril 1569.) Bulletin de la Société du protestantisme, t. V, p. 147.