L'AMIRAL DE COLIGNY

DEUXIÈME PARTIE

 

CHAPITRE III.

 

 

Charles IX. — La régence de Catherine de Médicis. — Etats d'Orléans. — Intrigues et prétentions des huguenots. — L'édit de juillet. — Assemblée de Saint-Germain et Colloque de Poissy. — L'édit de Saint-Germain. — Le triumvirat. — Commencement de la guerre civile.

 

Le lendemain de la mort de François II, l'amiral se présenta avec les autres membres du conseil privé, le roi de Navarre, messieurs les cardinaux de Bourbon, Lorraine, Tournon, Guise et Châtillon, le prince de la Roche-sur-Yon, les ducs de Guise, d'Aumale et d'Etampes, le chancelier, les sieurs de Saint-André et de Brissac, le sieur du Mortier, les évêques d'Orléans, Valence, Amiens et le sieur d'Avanson, devant le nouveau roi et Catherine de Médicis. Charles IX savait sa leçon et les remercia des grands services qu'ils avaient faits au feu roi son frère et de l'affection qu'ils démontraient envers lui, laquelle il les pria de continuer et au demeurant obéir et faire ce que leur commanderait ladite dame reine sa mère. — Déjà la régence était faite ayant été mises en considération, dit le registre de l'Aubespine, secrétaire d'Etat, les grandes vertus, prudence et sage conduite de très haute princesse la reine Catherine[1], et l'affection grande qu'elle a toujours démontrée au bien et utilité du royaume, et sur cela conclu et avisé par le roi de Navarre et aucuns princes et gens du conseil que ledit royaume ne saurait être manié de plus digne main et plus sage administration que celle de ladite dame[2]. — Mais Catherine, qui se méfiait autant des Bourbon que des Guise, dès la maladie de François II avait mandé le connétable, qui s'avançait à petites journées, bien accompagné selon son habitude et, feignant d'être malade, se faisait porter dans une litière. Il était près d'Etampes lorsqu'il apprit la mort du Roi. Il monta aussitôt à cheval et gagna Orléans, se présenta à la porte Banière, encore gardée par les troupes qui reconnaissaient depuis deux ans le duc de Guise, et menaça les capitaines qui commandaient de les faire pendre. On lui donna aussitôt le pont-levis ; il entra en grondant, suivi de ses gentilshommes et courant chez la Reine mère. — Le rôle de Catherine était difficile. Il lui fallait calmer Louis de Bourbon[3], l'amiral qui parlaient haut désormais[4], en même temps soutenir les Guise, dangereux même dans la disgrâce, et dont elle ne voulait du reste nullement la ruine. Lorsqu'on vint annoncer à Condé qu'il était libre, — toutefois que la Reine eût juré le contraire aux princes lorrains[5], — il refusa d'abord de sortir et demanda si l'on enfermait à leur tour ses accusateurs. Il consentit enfin à partir pour Ham, ensuite pour La Fère, qui appartenait au Roi de Navarre, et monta dans le carrosse du cardinal de Bourbon avec la princesse sa femme, entouré de troupes qui lui formaient autant une escorte qu'une garde. Il devait rester à La Fère jusqu'à la révision de son procès, et si l'amiral avait pu reconnaître fort justement qu'il était heureux d'en être quitte pour une p aire de bottes, Condé, malgré ses grands airs, ses protestations indignées, sa tenue hautaine, aurait pu en dire autant[6]. — Le roi de Navarre avait réclamé, en sa qualité de premier prince du sang, les clefs que Guise détenait comme grand maître de la maison du Roi. Catherine les mit d'accord en confisquant le trousseau et dédommagea Antoine de Bourbon en lui jetant dans les bras une de ses filles d'honneur, Louise de la Béraudière, demoiselle du Rouet, — Rouhet, écrit Tavannes ; on sait quel rôle devait jouer désormais l'escadron volant de la Reine et Catherine connaissait assez le roi de Navarre pour penser qu'une jolie fille suffirait pour en venir à bout[7]. — Les Guise, décidés à ne pas quitter Orléans, se tenaient cependant sur la défensive et le duc François évita même d'accompagner à Saint-Denis, malgré les devoirs de sa charge, le corps de François II, dont le cœur avait été déposé à la cathédrale Sainte-Croix le 8 décembre, et qui ne fut guère escorté, quelques jours plus tard, que par ses deux gouverneurs, par l'évêque de Senlis, Louis Gaillart, qui était aveugle, six gentilshommes de la chambre et trois chevaliers de l'Ordre[8]. Quant aux obsèques solennelles, elles ne furent célébrées que l'année suivante (5 décembre). Les Guise, dans le nouveau gouvernement, gardèrent enfin l'administration en effect[9] ; le roi de Navarre crut habile de se réconcilier avec eux, et Chantonnay constate qu'ils étaient devenus ses amis et convives[10].

Les Etats, convoqués par le défunt François II, avaient été ouverts cependant le 13 décembre et Coligny, qui tendait de plus en plus à prendre la direction du mouvement huguenot s'était occupé d'y présenter les diverses questions qu'il aurait voulu voir résoudre selon les idées et les désirs de la secte. L'Hospital fit une longue harangue où, en substance, il réclama la convocation d'un concile, — sempiternel refrain alors des réformés — pour arriver à l'unité de croyance, les deux religions, protestante et catholique, ne pouvant coexister, affirmait-il, sans provoquer de graves perturbations, et en attendant, il demanda la fin des persécutions et une tolérance mutuelle. Après une semaine passée à conférer les cahiers des députés, on entendit l'avocat Lange pour le tiers état, qui parla sur le mauvais état de l'Eglise et, d'ailleurs, s'attira les protestations de Jean Quintin, docteur en droit canon et orateur du clergé, disant qu'il ne pouvait s'agir de corriger l'Eglise qui est infaillible, mais corriger la discipline. Nous vous supplions, Sire, conclut-il en s'adressant à Charles IX, que si quelque fossoyeur de vieille hérésie voulait introduire et renouveler aucune secte déjà condamnée et qu'il fît présenter requestes, demandant temples et permission d'habiter ce royaume, que tels porteurs de requêtes soient considérés et punis comme fauteurs d'hérésie. C'était s'en prendre directement à l'amiral qui s'était constitué, à Fontainebleau, le porte-parole des calvinistes. Coligny alla se plaindre le lendemain au conseil du Roi comme s'il eût été injurié. La Reine invita l'orateur à expliquer ses paroles, et Jean Quintin s'excusa sur les Mémoires des provinces. Il y eut d'autres discussions oiseuses et les Etats furent clôturés le 31 janvier et renvoyés au 1er mai pour se tenir à Melun. Sans tenir compte des observations du nonce, qui craignait de la voir s'engager trop avant, Catherine s'était rapprochée de l'amiral, espérant par lui maintenir tout le parti. Elle lui avait rendu le commandement des forces maritimes et à d'Andelot celui de l'infanterie. Craignant de voir invoquer contre elle la loi salique, qui pouvait l'exclure de la régence, elle avait promis en même temps aux catholiques de soutenir la vraie religion, tout en essayant d'éloigner le duc de Guise, qui lui disait qu'il ne fallait pas boire à deux fontaines et qu'elle devait se déclarer d'un côté ou de l'autre[11]. Les Etats clos, elle avait paru entrer dans les vues de tolérance que préconisait L'Hospital, qui fit alors publier un nouvel édit, l'ordonnance d'Orléans, dont les deux principales dispositions concernaient la dénonciation du concordat et la suppression des baillis et sénéchaux, remplacés par des hommes de loi dans l'administration de la justice[12]. On devait relaxer les calvinistes arrêtés, sauf ceux qui auraient été déclarés chefs de la conjuration d'Amboise. Une autre ordonnance[13] voulut régler la discipline de l'Eglise nationale, et l'on rendit à une certaine forme électorale la nomination des évêques. Mais il fut défendu aux cabaretiers, aubergistes et marchands de tenir boutique ouverte pendant les offices ; on interdit aux astrologues de prédire l'avenir, faire conjuration par les astres ou les signes, etc. Ce fut à peu près tout ce qui fut réglé par les États d'Orléans. Le jour même de leur clôture, le conseil privé délibéra sur de nouvelles requêtes présentées par Coligny, les huguenots, qu'il appuyait avec le cardinal de Châtillon, le roi de Navarre et le prince de La Roche-sur-Yon, réclamant toujours des locaux pour la célébration du culte. La majorité du conseil, toutefois, leur était hostile et la requête fut renvoyée à une commission nommée par les Etats. La Cour quitta Orléans et se transporta à Fontainebleau (5 février). — Restait toujours à régler la situation du prince de Condé pour lequel intriguaient Montmorency, l'amiral et le roi de Navarre, et qu'il fallait non seulement réhabiliter mais réconcilier avec les Guise. Ce fut une autre comédie, mais qui n'arrêta guère Catherine, peu scrupuleuse lorsqu'il s'agissait de l'intérêt des siens. Parti de La Fère et félicité à Paris ; escorté par la gentilhommerie huguenote ; accompagné jusqu'à Fontainebleau par La Rochefoucauld, son beau-frère, et le sieur de Sénarpont, lieutenant-général de Picardie, le prince fut reçu avec les honneurs habituels (14 mars). Le lendemain on l'admit au conseil[14], et sur sa demande L'Hospital affirma hautement que l'on n'avait trouvé aucune preuve contre lui. Le Roi ainsi reconnut son innocence et la déclaration fut signée par tous les membres présents[15]. Il y eut même un arrêt du Parlement (13 juin 1561) rendu en séance solennelle et qui l'autorisait à recourir contre qui lui appartiendrait pour telle réparation que requérait la qualité de sa personne. La comtesse de Roye, qui avait comparu également, était déclarée innocente, et la réhabilitation encore fut étendue au vidame de Chartres, qui était mort en sortant de prison (22 décembre 1560). Mais la réconciliation avec les Guise n'eut lieu qu'au mois d'août, à Saint-Germain, en présence du Roi, de Catherine, des princes et de toute la Cour. Selon un scénario parfaitement réglé au préalable, le duc François dut déclarer qu'il n'avait ou ne voudrait avoir mis en avant chose qui fut contre l'honneur du prince, et qu'il n'avait été ni auteur ni instigateur de sa prison. — Monsieur, répondit Condé, je tiens pour méchant et malheureux celui ou ceux qui ont été cette cause. — Je le crois ainsi, monsieur, fit encore le duc de Guise, et cela ne me touche en rien. Ils s'embrassèrent et les secrétaires d'Etat eurent à dresser procès-verbal de cet appointement[16]. — D'ailleurs, depuis la régence de Catherine, obligée de ménager avec les Bourbon la secte dont ils pensaient bien utiliser les appétits et la force vivace, tout en flattant et rassurant avec des protestations d'amitié les catholiques, les huguenots se trouvaient en meilleure posture. Ils avaient accueilli avec des cris de joie l'avènement de Charles IX et s'étaient répandus en discours et flagorneries dont ils espéraient apiper la Reine mère. Ils comparaient l'enfant-roi à Josias ; ils lui souhaitaient de rechercher la connaissance de la Loi, et félicitaient le peuple français de ce que Dieu lui avait suscité un gentil prince qui chasserait l'idole, — le Pape (!). — Le Parlement, sans doute, avait spécifié en enregistrant l'ordonnance d'Orléans que les prisonniers seraient délivrés sous condition qu'ils s'engageraient à vivre catholiquement, faute de quoi ils devraient sortir du royaume. Mais Catherine, pour se réserver contre les Guise l'appui de la noblesse protestante, lui tolérait l'exercice du culte sur plusieurs points du royaume, et même l'amiral et sa femme, Condé et la sienne, Renée de France, duchesse de Ferrare, purent célébrer la Cène dans leurs appartements, à la Cour. Bien mieux, à Beauvais dont il était évêque, le cardinal de Châtillon, enhardi par la bienveillance de la Reine, avait fait la Cène dans le palais épiscopal. Il y eut une émeute dans la ville[17], les masses populaires demeurant en général rebelles et très montées contre la religion et Fr. de Montmorency, comme gouverneur de l'Ile-de-France, dut intervenir avec des troupes[18]. Les réunions protestantes furent de nouveau prohibées malgré les réclamations de Coligny et de l'évêque de Valence, Jean de Montluc, qui était bien aux trois quarts des leurs[19]. Quelques jours avant le sacre de Charles IX à Reims (15 mai 1561), où se pressait toute la huguenoterie et où il ne manqua comme scandale, dit Chantonnay, que la cardinale de Beauvais, cette Elisabeth de Hauteville qu'Odet de Châtillon devait épouser en 1564, les réformés avaient obtenu de nouvelles concessions ; on proclama l'inviolabilité du domicile ; on commanda de libérer les prisonniers pour faits de religion ; on laissa rentrer ceux qui avaient quitté le royaume depuis l'avènement de François II, — toujours, du reste, avec cette restriction qu'ils devraient vivre catholiquement, et le chancelier, qui n'avait que tendresses pour les parpaillots, avait si bien prévu l'opposition du Parlement que malgré les réclamations des Guise, il envoya directement l'édit aux gouverneurs de provinces[20]. Les Etats qui devaient se tenir à Melun le 1er mai avaient été entre temps renvoyés au ter août pour se tenir à Pontoise, et avec la perpétuelle incertitude de Catherine, le chancelier, pris entre ces réclamations, celles du cardinal de Lorraine ; obligé de répondre aux requêtes que Coligny et les ministres réformés présentaient pour obtenir la complète liberté du culte, réunit enfin une assemblée où se trouvaient les princes, grands officiers, membres du conseil et du Parlement, représentant toutes les opinions. L'Hospital harangua comme de coutume et insista sur le caractère inoffensif des réunions protestantes qu'il fallait accepter étant donnés les besoins de l'époque ; il demanda qu'on fît une loi provisoire en attendant le concile. Une vive discussion s'éleva à ce propos entre Coligny et le duc de Guise, et malgré les criailleries de l'amiral, l'assemblée, après vingt jours de discussion, écarta avec une majorité de trois voix aussi bien la proposition de revenir à la rigueur des anciens édits que celle de tolérer les assemblées et prêches[21]. Inutilement ensuite, Coligny put s'écrier que ce n'était pas raison qu'à l'appétit de trois voix toute la France entrât en combustion, comme étant le bannissement [décrété] impossible à exécuter, et au surplus de réduire les réformés à la religion romaine contre leur conscience[22]. — L'édit qui fut publié, quoique cela, — l'édit de juillet recommandait de vivre en paix, de s'abstenir d'injures, de reproches, de mauvais traitements ; aux prédicateurs des deux cultes, de parler avec réserve, sous des peines sévères ; édictait des peines contre les délateurs ; interdisait les assemblées privées ou publiques sous prétexte de religion et d'administrer les sacrements autrement que selon le rite catholique. Les réformés, par contre, obtenaient l'amnistie et l'oubli du passé. Ils restaient sous la juridiction des tribunaux ecclésiastiques et en cas d'assemblées illicites étaient repris par les tribunaux séculiers. On suspendait les supplices jusqu'à la réunion d'un concile et les tribunaux ne pouvaient prononcer que la confiscation de corps et de biens et aucune peine supérieure au bannissement[23]. — L'édit de juillet ne pouvait d'ailleurs satisfaire personne et ne fut pas plus facile à faire exécuter que les précédents. Guise déclara que pour soutenir une loi pareille, il faudrait avoir toujours l'épée hors du fourreau. Le Parlement ne cessa plus ses plaintes, et les calvinistes continuèrent à tenir leurs assemblées. — Comme les esprits étaient à la conciliation, c'est à ce moment toutefois que furent décidées, à défaut du concile national que réclamait depuis si longtemps le tiers parti, les conférences qui prirent ensuite le nom de Colloque de Poissy et que l'on convoqua pour le 10 août[24]. Tous les sauf-conduits désirables furent accordés aux ministres qui devaient représenter la Réforme, mais Coligny et L'Hospital profitèrent d'une réunion de la commission des Etats, transférée à Pontoise (1er août) et intriguèrent au sujet de la rédaction des cahiers. Ils insistaient toujours pour demander la révocation des édits, pour obtenir de disposer des églises vacantes ou lieux propres à la construction de temples[25]. Une réunion des députés de la noblesse et du tiers eut lieu encore à Saint-Germain le 26 août avec les membres du clergé qui s'étaient déjà rendus à Poissy, et certains de nouveau, soutenus par le chancelier[26], insistèrent pour laisser aux protestants le droit de s'assembler. On assiste ici, en somme, aux préliminaires de la guerre civile. Avec toutes ces parlotes, ces réunions, ces conférences, les deux partis cherchent à gagner l'un sur l'autre, se mesurent et ne tentent que de se supplanter. Le cardinal de Lorraine avait été le premier à conseiller cet audacieux expédient du Colloque, dit M. Chantelauze[27], peut-être parce qu'il avait de grandes prétentions à l'éloquence et qu'il espérait faire briller sa science de théologien et son talent d'orateur ; mais par le fait, on reconnaissait ainsi, sinon l'existence légale du protestantisme, du moins son droit à la discussion. Trois partis se trouvaient en présence et en définitive inconciliables. Les catholiques, soutenus par le connétable, le duc de Guise, les cardinaux de Tournon et de Lorraine ; les huguenots avec l'amiral, Condé, le roi de Navarre, — toutefois qu'il y eût bien des doutes sur la sincérité de sa croyance ; entre eux, les moyenneurs ou politiques, tendancieux comme l'on sait, avec L'Hospital et l'évêque de Valence. Avant l'ouverture du Colloque, Catherine avait fait venir à Paris les théologiens catholiques et insisté sur la nécessité de bien constater les causes de la séparation et d'examiner de quelle manière en avait usé l'Église primitive, afin que l'on pût trouver le moyen de revenir une bonne union. Les ministres, appelés par le roi de Navarre, arrivèrent à Poissy le fer août, jour de l'ouverture des Etats. A leur tête étaient Théodore de Bèze et Pierre Martyr Vermigli, de Zurich[28]. La Reine reçut de Bèze avec les marques d'une vive sympathie. Aux accusations violentes et passionnées qu'il lança contre le duc de Guise comme chef des catholiques, elle répondit même par des paroles favorables, mais qui révoltèrent Antoine de Bourbon, désormais bien disposé pour son ancien adversaire : — Quiconque, s'écria-t-il, touche le bout du doigt de mon frère le duc de Guise, me touche dans mon corps tout entier. — Sire, répliqua de Bèze s'adressant au Roi qui était présent, je parle ici pour une religion qui sait mieux endurer les injures que les repousser. Mais souvenez-vous que c'est une enclume qui a usé bien des marteaux (2)[29]. Avec le cardinal de Lorraine, qui assista plusieurs fois à des réunions nocturnes où venaient s'expliquer chez la Reine Pierre Martyr et de Bèze, la discussion prenait un bien autre tour de dilettantisme. Il témoigna une bienveillance affectée à l'apôtre calviniste et déclara même qu'il partageait son opinion sur le sacrement de la communion, quitte à se reprendre lorsque la discussion deviendrait publique. Avec la complicité de Catherine, en somme, et qui faisait mine de ne rien voir, le culte réformé se célébrait porte ouverte au château de Saint-Germain et dans la ville ; on prêchait en plein jour ; c'était de nouveau une mode chez les courtisans et les femmes, à la grande indignation des catholiques, d'aller entendre les ministres huguenots dans leurs diatribes et de fredonner leurs chansons pieuses.

Le Colloque s'ouvrit cependant le 9 septembre 1561 dans le grand réfectoire du couvent des nonnains de Poissy, dont il ne reste guère aujourd'hui que le bâtiment flanqué de deux tours de garde qui s'élève face à l'église Notre-Dame et quelques bribes d'arcades dans la propriété du peintre Meissonier[30]. Les ministres et députés des Eglises, tenus à l'écart du cortège royal, arrivèrent sous l'escorte d'une centaine de cavaliers et furent reçus par le duc de Guise avec une urbanité affectée[31]. Des archers de la garde, commandés par un officier, les introduisirent[32] et ils durent rester debout derrière une balustrade qui les séparait de l'assemblée. Ils étaient bien, en effet, des accusés devant un tribunal. — Le Roi, prenant la parole, s'adressa aux évêques et leur promit la même protection qu'ils avaient eue des rois ses prédécesseurs, les priant de donner bon ordre au repos de ses sujets, et d'abord de le conseiller sur ce que proposerait le chancelier. Ce fut ensuite le tour de L'Hospital, qui s'adressa de même aux évêques et appuya sur la nécessité des réformes à introduire dans les affaires religieuses. Pour les ministres, à qui le Roi avait donné sauf-conduit, ils devaient les recevoir comme le père fait ses enfants et prendre la peine de les endoctriner et instruire[33]. Mais L'Hospital ajouta encore, car il lui fallait bien montrer où était son cœur : Que les prélats présents pèsent bien de quelle importance est de les laisser juges en leur cause, et pourtant essayant de se montrer sans répréhension. S'ils jugent bien et sans affection, ce qu'ils discerneront sera gardé ; mais s'il y a de l'avarice ou de l'ambition, ou faute de crainte de Dieu, rien ne s'en tiendra. Finalement, ils doivent bien remercier Dieu du loisir qu'il leur donne de se reconnaître, et qu'en faisant autrement s'assurent qu'il y mettra la main, et eux-mêmes les premiers sentiront son jugement avec infinis maux et calamités. — Ôtons, s'écria-t-il enfin, ôtons ces mots diaboliques, noms de partis et de séditions, huguenots, papistes ; ne changeons le nom de chrétiens ! — La veille, cependant, Catherine de Médicis avait prévenu les ministres qu'il leur serait donné acte, quand besoin serait, de leur demande tendant à obtenir que les prélats ne fussent pas leurs juges et que la parole de Dieu servirait seule à résoudre les questions qui seraient discutées. Mais en fait, les ecclésiastiques siégeant à Poissy ne pouvaient s'empêcher de considérer les députés protestants comme des hérétiques. Pour influencer l'assemblée, cependant, lorsque Bèze prit la parole, il demanda au Roi la permission d'invoquer Dieu et s'agenouilla pour prier. Ensuite il vanta à Charles IX l'attachement de ses sujets huguenots, loua la pureté de leurs sentiments et de leurs actes si calomniés, mais eut soin de faire comprendre qu'ils ne considéraient le Colloque que comme une simple conférence destinée à éclairer la vérité, espérant trouver les prélats avec un esprit traitable et prêt à recevoir tout ce qui serait prouvé par la parole de Notre-Seigneur. Il exposa ensuite la croyance des réformés en s'appuyant sur la profession de foi de 1559 dont il développa les articles, nia la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie et remit au Roi le texte de la confession en spécifiant que sur elle se faisait la présente conférence[34]. Les disputes théologiques étaient commencées. Le discours de Théodore de Bèze occasionna un violent tumulte et ce fut le cardinal de Tournon qui y répondit comme primat et président de l'assemblée, disant que ces paroles étaient indignes de l'oreille d'un Roi très chrétien et qu'il avait charge de le supplier de ne vouloir autrement croire celui qui avait parlé ainsi pour les religionnaires, ajoutant que sans le respect qu'ils avaient à Sa Majesté, tous les évêques présents se seraient levés pour ne souffrir tels blasphèmes et abominables paroles[35]. Catherine de Médicis s'écria que l'on n'avait rien fait. que par délibération du conseil et avis du Parlement, et que c'était pour apaiser les troubles et remettre les fourvoyés au droit chemin. Ce fut la fin de la première séance, à la suite de laquelle le cardinal de Lorraine, parlant de Th. de Bèze, dit à une réunion privée des évêques : A la mienne volonté, que celui-là eût été muet ou que nous eussions été sourds ! — et une deuxième séance qui se tint le 16 septembre n'eut guère d'autre résultat. La discussion tournait à la querelle. Le cardinal de Lorraine parla pour réfuter les ministres huguenots, puis le cardinal de Tournon, demandant que s'ils ne voulaient se réunir à la foi catholique, on en purgeât le royaume[36], et l'on finit par remettre le Colloque à une date indéterminée, sans du reste, aucun espoir d'aboutir,

De telle ; chicanes et tant d'acharnement pour des points de doctrine sans doute nous surprennent aujourd'hui que nous sommes arrivés non à la tolérance, mais à l'indifférence. Au seizième siècle, la question était tout autre et, il faut bien le dire, il ne peut y avoir de tolérance lorsque la foi est sincère et vive. L'Hospital, abusé par sa tendresse pour les idées nouvelles, dupé encore par les déclamations des religionnaires et ne voulant voir que l'injustice d'empêcher de penser, avait voulu concilier ce qui était inconciliable. En fait, la portée du mouvement calviniste était tout autre et l'on ne pouvait faire la paix entre deux partis dont l'un voulait surtout la conquête ; dont l'autre ne voulait absolument pas être conquis. — Les conférences ajournées, chacun d'ailleurs essaya de rejeter la faute sur l'adversaire et surtout les réformés, qui avaient cru à la bienveillance de Catherine, se montrèrent agressifs. A l'issue de la séance du 16 septembre, Pierre Martyr, interrogé par l'amiral, Condé et autres, dévoila les manœuvres du parti catholique. Il parla à la Reine mère dans le même sens, ainsi que de Bèze qui se prononça avec fermeté. Catherine, avec un excellent accueil, leur parut toutefois peu avisée sur les mesures à prendre, habituée à vivre plus encore d'impressions que de discernement, au jour le jour et selon les circonstances qui s'imposaient, ajoute M. Delaborde ; et Coligny, en conseiller fidèle, mais parfois peu écouté, ne s'en apercevait que trop. Il s'en expliqua avec Pierre Martyr qui était logé chez le cardinal de Châtillon et parla des instances qu'il avait faites à la Reine pour que la marche du Colloque fût équitablement réglée et affranchie d'entraves. Tous deux craignaient l'arrivée en France du cardinal de Ferrare, légat du Pape, qui devait provoquer la rupture des conférences et ne reculerait devant aucun moyen de leur nuire. On nous montre à ce moment les appartements de l'amiral et de sa femme, du prince et de la princesse de Condé, du roi et de la reine de Navarre, servant aux réunions des protestants et constituant de véritables foyers d'agitation religieuse. Coligny entretenait en France et à l'étranger une vaste correspondance dont la meilleure partie était toujours pour sa belle intelligence et pour son grand cœur, celle qui se rattachait à l'avancement du règne de Dieu sur la terre[37]. Au château de Saint-Germain et avec les prédicateurs calvinistes, Condé, Eléonore de Roye, au milieu d'édifiantes réunions avec sermons et psaumes qui avaient lieu également chez Jeanne d'Albret, l'amiral se trouvait pour ainsi dire en famille[38]. De nouvelles conférences avaient été essayées le 24 septembre, toujours à Poissy, où l'on admit seulement, du côté protestant, les ministres, et où l'on chicana, du reste, sans plus de résultat. Coligny, la reine de Navarre, toute la coterie réformée, pour marquer davantage son éloignement du parti catholique, choisit cc moment pour faire célébrer par de Bèze, que l'amiral avait, paraît-il, en haute estime, un mariage à l'usage de Genève, entre Jean de Rohan, cousin de Jeanne d'Albret, et Diane de Barbançon, de la famille des ducs d'Etampes[39]. La Cour ne crut pas devoir intervenir et ce fut un nouvel encouragement pour la secte. Il y eut encore des conférences le 29 septembre entre Jean de Montluc, du Val, évêque de Séez, et trois docteurs ; mais un formulaire sur la Cène, rédigé en commun, fut rejeté par une assemblée de prélats qui se tint le 9 octobre et en opposa un autre, tant que les conférences furent définitivement rompues. — Le Colloque, en somme, ne pouvait aboutir, il était bien facile de le prévoir. On laissa libre les ministres de partir ou de séjourner ; le sieur Merlin, qui avait été placé près de Coligny, était retourné à Genève sur la demande de Calvin[40]. D'autres furent tolérés et quand Pierre Martyr prit congé du Roi, il fut même gratifié d'une bourse de 200 écus pour ses frais de voyage[41]. Des théologiens allemands, qui avaient été mandés par le roi de Navarre près l'Electeur palatin et le duc de Wurtemberg, se décidèrent peu après à paraître ; on leur soumit le formulaire de la sainte Cène, qu'ils discutèrent encore — puisque le protestantisme n'était que discussion ; ils visitèrent Coligny, de plus en plus considéré comme le chef militant de la Réforme, et l'un d'eux, J. Andréa, put écrire : Si Dieu consent à faire surgir le salut de l'Etat du milieu des troubles qui désolent présentement la France, ce sera certainement en faisant de cet homme l'instrument de ses desseins[42]. Quant à Théodore de Bèze, il demeura pour répandre la bonne parole et Jeanne d'Albret, Condé, l'amiral, écrivirent aux syndics et conseillers de Genève pour obtenir une prolongation de son séjour[43].

Chantonnay, l'ambassadeur de Philippe II, s'était alarmé de voir Catherine de Médicis s'engager dans la voie des concessions avec les huguenots. Il lui conseillait de renvoyer de la cour les plus dangereux, Coligny et le cardinal de Châtillon. Mais la Reine prenait ombrage de cette ingérence. Elle répondit un jour sèchement qu'un prince, quelle que soit son expérience dans son propre pays, n'est jamais bon juge lorsqu'il s'agit des autres[44]. Chagrinée d'ailleurs par le mauvais résultat du Colloque de Poissy, elle incrimina surtout les princes du sang, mais au fait, elle s'intéressait fort peu à la réforme disciplinaire du clergé. Il n'y avait là qu'un petit moyen de femme où elle aurait voulu trouver l'apaisement et la quiétude pour le règne de son fils, — assez pauvre calcul avec les passions du moment, car les protestants, enhardis par l'importance qu'on leur donnait, devinrent bientôt intraitables. Catherine ne devait nullement hésiter d'ailleurs à berner alternativement les deux partis adverses ; mais, il faut bien le comprendre, dans la situation où elle se trouvait, la duperie était nécessaire. Le rôle assumé par cette femme devenait terrible. Il lui fallait user l'un après l'autre et l'un par l'autre les partis et les chefs, et l'on peut admirer que si longtemps elle y ait réussi[45]. La Réforme, en effet, s'étendait, gagnait, envahissait les faubourgs de Paris, Paris même, ville essentiellement papiste où la comtesse de Seninghen, mère du prince de Porcien, avait ouvert son hôtel aux assemblées religieuses. Par tolérance et malgré les protestations véhémentes des catholiques, des prélats, de l'Espagne, L'Hospital avait fait permettre le prêche public près la porte Saint-Antoine, au lieu nommé Popincourt et d'autre part près Saint-Médard, à la porte Saint-Marceau, au lieu dit le Patriarche ; les huguenots menaient leurs ministres en armes aux dits lieux, tenant presque toute la ville en sujétion, et à ces assemblées, on compta jusqu'à 10.000 personnes, à qui le chevalier du guet et ses archers faisaient escorte. Les conséquences de ce laisser-aller étaient certaines et des désordres comme celui auquel on a donné le nom de tumulte de Saint-Médard ne pouvaient manquer de se produire. Les prêtres, dit Castelnau, s'assemblèrent en l'église, et sitôt que le ministre eut commencé de prêcher, ils sonnèrent les cloches le plus fort qu'ils purent, de sorte que les protestants qui étaient en fort grand nombre dans un jardin près du temple ne pouvaient rien entendre ; qui fut cause que deux ou trois de l'assemblée allèrent par devers les prêtres pour les faire taire, ce qu'ils ne purent obtenir, et de là vinrent aux paroles et aux prises, dont il y en eut un qui mourut. Les prêtres incontinent fermèrent leur église et montant au clocher sonnèrent le tocsin pour émouvoir le peuple catholique qui accourut soudain au lieu où se faisait le prêche. Mais les protestants s'y trouvèrent les plus forts et avec grande violence rompirent les portes de l'église qu'ils pillèrent, abattirent et rompirent les images en menaçant de mettre le feu au clocher si les prêtres ne cessaient de sonner le tocsin ; il y eut plusieurs prêtres blessés et quelques autres emprisonnés par les sergents et chevaliers du guet[46]. Le jour d'après, les catholiques brûlèrent les bancs et sièges des protestants et voulaient également brûler la maison où se faisait le prêche, s'il n'y fût arrivé des officiers de la justice et des forces pour les empêcher (27-28 décembre 1561)[47]. C'est alors que Coligny, dont la connivence avec L'Hospital est reconnue même par les réformés à partir de ce moment[48], intrigua pour faire réunir une nouvelle assemblée avec charge de décider des moyens propres à assurer la liberté des prêches. Il profita de la retraite des Guise et autres chefs catholiques qui s'étaient éloignés de la Cour[49]. Les églises, dont les députés étaient deux mille cent cinquante et plus[50] pour demander des temples, l'appuyèrent encore d'une requête présentée au Roi, et dans les premiers jours de janvier, on réunit à Saint-Germain un certain nombre de parlementaires, les membres du conseil et princes du sang, qui se mirent d'accord avec les ministres huguenots pour un édit de tolérance, qui constitua en somme, si éloigné fût-il encore de l'ambition des sectaires, une première victoire (17 janvier 1561)[51]. — Ils devaient restituer les églises, ornements, reliquaires, biens et revenus ecclésiastiques, dont ils s'étaient emparés[52] ; s'abstenir de troubler le culte catholique ; observer les jours de fête et les convenances extérieures de l'ancienne religion ; exclure de leurs réunions toutes les personnes sur lesquelles les ministres n'auraient pas d'informations préalables ; éviter tous actes scandaleux et séditieux. Ils n'avaient pas le droit de construire des temples, ni de s'assembler dans les villes ; devaient se réunir de jour, sans armes, sauf pour les gentilshommes et rester sous la surveillance des officiers royaux. Les ministres devaient jurer l'observation de ces présentes ; ne pouvaient aller de lieu à autre et prêcher par force, contre le gré des seigneurs, curés ou vicaires des paroisses. D'autres restrictions concernaient le dogme, la création des magistrats, lois et statuts ; on défendait encore les levées d'argent ; de recevoir des aumônes ; d'écrire ou de prêcher contre le catholicisme ; enfin de ne rien avancer qui ne fût conforme à l'Ancien ou au Nouveau Testament[53]. — Malgré tout, c'était pour le protestantisme, avec le Colloque de Poissy, la reconnaissance officielle de son existence, et il en profita pour tout bouleverser. Tenant l'édit de janvier au poing, dit lui-même d'Aubigné, les religionnaires l'étendaient au delà des bornes. Hardis et même insolents[54], ils prêchaient qui çà, qui là, les uns par les champs, les autres en des jardins et à découvert, partout où la passion les guidait et où ils pouvaient trouver du couvert comme ès vieilles salles et masures et jusqu'aux granges. Les peuples, curieux de voir chose nouvelle, y allaient de toutes parts, et aussi bien les catholiques que les protestants, les uns seulement pour voir les façons de cette nouvelle doctrine, les autres pour l'apprendre et quelques-uns pour connaître et remarquer ceux qui étaient de la secte[55]. — L'édit de janvier fut du reste très mal accueilli par les parlements. Les magistrats voyaient le progrès des désordres avec une inquiétude naturelle. Ceux de. Paris, on le sait, se firent donner des lettres de jussion et n'enregistrèrent que le 6 mars, par ordre exprès, en déclarant que l'enregistrement n'impliquait aucune approbation de la religion nouvelle. A Toulouse et à Rouen, il y eut de même des protestations. Le Parlement de Bourgogne députa vers la Reine, car on redoutait toujours, de concession en concession, la liberté complète octroyée aux huguenots qui déploraient encore les restrictions apportées à l'exercice du culte, — si bien que Coligny et L'Hospital s'employèrent pour faire exécuter l'édit avec toute la douceur possible — lorsque personne, dit Pasquier, ne pouvait admettre telle débauche que l'exercice de deux religions dans une même ville.

La réaction devait se produire. Dès les premiers jours de Charles IX, et devant les manœuvres de Catherine, en passe de coquetterie avec les huguenots, un rapprochement s'était opéré entre Montmorency et les Guise, par l'intermédiaire du maréchal de Saint-André. La prétention manifestée par les Etats d'Orléans de remédier aux désordres des finances et de faire rendre gorge aux anciens favoris les poussait à s'unir pour parer au danger commun. Montmorency, ensuite, s'il s'était trouvé en rivalité d'influence avec les Guise, était foncièrement catholique et ne pouvait approuver l'attitude de ses neveux, définitivement acquis à la Réforme. Derrière ces trois hommes réconciliés à la fois par l'intérêt et le sentiment religieux et qui furent appelés les triumvirs, par un souvenir de l'Histoire romaine bien caractéristique de ce siècle où l'étude de l'antiquité était à la mode, se tenait Philippe II qui ne rêvait que l'extermination de l'hérésie et ne pouvait manquer de soutenir l'opposition catholique. Le parti conservateur eut ainsi une direction, se prépara à agir à part de la royauté, — sans elle, malgré elle, contre elle bientôt, dit M. Mignet[56]. — Les triumvirs de plus s'attachèrent Antoine de Bourbon, toujours incertain entre les deux confessions, mais auquel le roi d'Espagne promettait — sans du reste jamais tenir ! — un royaume en dédommagement de la Navarre qu'il ne voulait pas lui rendre. Les Guise, le légat du Pape, l'ambassadeur Chantonnay, le cardinal de Tournon, l'avaient si bien circonvenu qu'il s'était engagé à faire prévaloir en France la religion catholique et pour complaire à Philippe II s'était posé en ennemi non seulement de l'amiral, mais de sa propre femme, la huguenote Jeanne d'Albret[57]. Epoux indigne, esclave de honteuses passions, déclament les protestants modernes, jouet des Guise ainsi que des cours espagnole et pontificale, il prétendait même lui arracher la direction religieuse de son fils, — celui qui devait être le Vert-Galant, le spirituel et politique Henri IV. Mais abandonnant Antoine de Bourbon aux conséquences de sa lâche défection, — ce sont toujours les protestants qui parlent, — la reine de Navarre se retira tête levée et prit le chemin de ses Etats[58]. — La royauté, si affaiblie, ses conseillers habituels, Coligny, L'Hospital, n'échappaient guère, on peut le penser, aux invectives et aux accusations[59]. Le parti catholique entreprit d'abord de débarrasser le gouvernement de la tutelle de l'amiral, qui décidément s'y implantait, et l'Espagne insinua que pour se venger de sa captivité de naguère, au château de Gand, il favorisait les déprédations commises sur mer au préjudice de ses nationaux, espérant ainsi brouiller les deux Cours. Coligny dut se répandre en protestations, demanda l'intervention de l'Aubespine, ambassadeur de France à Madrid[60]. Catherine même l'appuya, répondit de ses intentions. Ce furent alors des aménités réciproques et tandis que la Reine cherchait à le disculper en Espagne, l'amiral se portait d'autre part garant de Catherine et s'attachait à dissiper les doutes que l'ambassadeur Throckmorton — le grand agitateur de l'époque, dit M. de La Ferrière[61] — avait conçus sur elle[62]. Philippe II savait sans doute à quoi s'en tenir et, d'accord avec Antoine de Bourbon, il demanda quand même la retraite de Coligny[63]. La Reine mère, on l'a vu, ne supportait qu'avec dépit l'intervention des puissances étrangères dans les affaires intérieures du pays. Elle s'indigna, mais finit pourtant par céder. L'amiral, pour garder la face, offrit de se retirer à Châtillon-sur-Loing, et Catherine, toujours heureuse de parer au plus pressé, le lui accorda avec les ménagements d'une faveur ostensible[64]. — Mais ce n'était que le prélude des troubles. L'irritation croissait chaque jour entre protestants et catholiques, et il y avait eu déjà des désordres à Cahors[65] ; il y en eut à Sens, à Troyes, à Amiens et Abbeville, à Toulouse, à Marseille et à Tours, par faute de part et d'autre, dit Castelnau, lorsque se produisit la rixe sanglante qui est restée célèbre sous le nom de massacre de Vassy. — Les Guise, à ce moment, semblaient surtout intriguer pour priver, dans le conflit qui était proche, les protestants français des secours que pouvaient au besoin leur donner leurs coreligionnaires d'Allemagne. Des négociations avaient été entreprises à ce sujet avec les princes allemands par le cardinal de Lorraine lors du Colloque de Poissy. Retirés dans le courant de novembre 1561, l'un à Nanteuil, puis à Joinville, l'autre à Reims, les deux frères continuaient à correspondre avec le duc Christophe de Wurtemberg, qui a été considéré assez justement comme le plus honnête et le plus populaire des chefs protestants outre-Rhin, et cherchaient surtout à exploiter la divergence de vues des luthériens et des calvinistes sur la question sacramentaire[66]. Une entrevue eut même lieu au château de Saverne (15-18 février) entre le duc et François de Guise, son fils aîné le prince de Joinville, les cardinaux de Lorraine et de Guise, le grand prieur et divers théologiens allemands. Les princes lorrains semblaient prêts à adopter la confession d'Augsbourg. Ils se défendirent, paraît-il, d'avoir poussé à la destruction des huguenots et promirent même de ne pas s'élever, fût-ce en secret, contre les partisans de la nouvelle doctrine[67], mais plutôt de contribuer à l'établissement d'une concorde chrétienne[68]. — Catherine de Médicis, pour s'éloigner de ce foyer d'agitation que devenait de plus en plus Paris, s'était transportée avec la Cour au château de Montceaux-en-Brie. Les triumvirs avaient calculé qu'ils profiteraient du moment pour se rendre dans la capitale, bien accompagnés, et feraient casser l'édit de janvier. Il est vraisemblable que la Reine eut connaissance de ce projet, car pour isoler le roi de Navarre, elle le fit venir à Montceaux et manda au duc de Guise de se mettre en devoir de la rejoindre. Guise partit en effet, mais prit la route de Paris. Le 1er mars, vers midi, il devait dîner à Vassy ; les officiers qui allaient devant trouvèrent que les protestants y faisaient leur prêche en une grange près de l'église, et pouvait y avoir six ou sept cents personnes de toutes sortes d'âges. Lors, comme m'a dit souvent M. de Guise, rapporte Castelnau, aucuns de ses officiers et autres, curieux de voir telle assemblée et nouvelle forme de prêcher, sans autre dessein s'approchèrent jusqu'à la porte du lieu où il s'émut quelque noise avec paroles de part et d'autre. Les protestants peut-être jetèrent des pierres aux gens de cuisine, les appelant papistes et idolâtres ; peut-être encore les religieux de Vassy excitèrent le zèle des laquais et de la populace qui se sentait soutenue par l'escorte du duc[69]. Les pages et laquais en jurant la Mort-Dieu ! criaient : Ne vous baillera-t-on pas le pillage ![70] Lorsque le duc de Guise accourut, soit pour faire fermer le prêche, soit, comme il l'a prétendu, pour calmer le tumulte, il reçut un coup de pierre dans la bagarre[71] et, pris de fureur, laissa les trompettes sonner la charge et deux compagnies d'ordonnance s'avancer à l'assaut avec les laquais. Chassés, traqués, les huguenots, hommes, femmes, enfants, devaient passer pour sortir entre les gens d'armes qui frappaient à coups d'épée et de coutelas. On tira avec les hacquebutes sur ceux qui étaient montés sur les toits et d'Aubigné, qui ne pouvait perdre une si riche occasion d'exercer sa verve, montre même les moines, désignant du doigt les victimes aux arquebusiers. Selon un récit du temps, le ministre, Léonard Morel, fut mené au duc qui commença à maugréer en disant : Tu es cause de la mort de tous ces gens : Çà, prévôt, qu'on dresse une potence pour pendre ce bougre ! — Les femmes de la ville ignorantes et papistes, lui vinrent jeter de la fange au visage, avec cris et lamentations, et Guise, entré dans la grange, se promenait et écumait de fureur, et tirait sa barbe pour toute contenance[72]. Le massacre dura une grande heure, durant laquelle les trompettes sonnèrent comme s'il eût été donné quelque bataille contre les ennemis de la couronne. Il y eut environ soixante morts, — dont cinq ou six femmes, mais surtout pour les dépouiller — et deux cents blessés — et enfin le duc délogea avec ses troupes sanglantes et chargées de butin. Il vint dîner à Estancourt et coucher à Esclaron, prenant son chemin sur Reims, où le cardinal de Lorraine l'attendait pour de là marcher à Paris[73].

 

 

 



[1] Catherine, qui était née à Florence (13 avril 1519), avait alors quarante et un ans. Italienne par Laurent de Médicis, elle était Française par sa mère, Madeleine de Bretagne, et même parente des Valois par sa grand'mère, Jeanne de Bourbon.

[2] Mémoires de Condé, édit. Michaud, p. 568.

[3] Condé jouait avec des officiers de garde auprès de lui, — et les faisait même courir les yeux bandés, dans un rond fait avec du charbon, précise d'Aubigné, lorsqu'un de ses serviteurs, auquel on avait permis de le rejoindre, feignant de s'approcher pour suivre le jeu, lui dit à l'oreille : Notre homme est croqué ! — Le prince trouva ensuite le moyen d'être un moment seul avec ce serviteur et apprit la mort de François II. — Duc D'AUMALE, Histoire des princes de Condé, t. I, p. 94.

[4] Il essaya de circonvenir Catherine, qu'il aurait voulu gagner à la Réforme. Sa force grandissait. D'Andelot avait été appelé au Conseil d'Etat et le Parlement, après quatre lettres de jussion, enregistra l'édit de janvier, mais par manière de provision et jusqu'à ce qu'il en fût autrement ordonné.

[5] D'AUBIGNÉ, Histoire universelle, t. I, p. 299 ; lettres de Chantonnay à Philippe II, 8 décembre. (Arch. nat., K, 1493, n° 115.)

[6] Il garda la prison dix jours, dit d'Aubigné, quoique ses gardes, ou s'accommodant aux nouveautés ou gagnés par sa fréquentation, lui montrassent signe d'amitié, lui disant qu'ils étaient là pour le servir où il voudrait les mener (!) (Histoire universelle, t. I, p. 299.)

[7] Cette du Rouet ou Rouhet eut du roi de Navarre (1562) un fils qui fut nommé Charles de Bourbon et devint archevêque de Rouen. — A la suite de négociations entamées par le connétable, un règlement du conseil homologué par le Roi partagea l'autorité entre Catherine et Antoine de Bourbon. La Reine, du reste, se garda bien de prendre le titre de régente et préféra régner sous le nom de son fils, faisant tout et ne s'engageant jamais personnellement.

[8] Lettre de Chantonnay, 24 décembre ; arch. nat., K, n° 11.

[9] D'AUBIGNÉ, Histoire universelle, t. I, p. 301.

[10] Lettre de Chantonnay, 24 décembre, Arch. nat., K. 1494, n° 11.

[11] CHANTELAUZE, Catherine de Médicis et la Saint-Barthélemy (Le Correspondant, janvier 1883.)

[12] Cf. LA PLACE, qui s'est longuement étendu sur l'assemblée d'Orléans. La caractéristique de ce moment, c'est l'effort du parti parlementaire pour réformer le clergé, rendre moins intimes ses rapports avec Rome ; modifier ses mœurs et lui donner un caractère plus national. On voit déjà poindre la conception de l'Eglise gallicane, qui est une aberration si l'on veut bien admettre que la haute portée de l'Eglise c'est justement son caractère universel. Les Etats avaient cru devoir s'occuper également des finances, les revenus publics étant de 12.260.000 livres et les dettes de 43.480.000 livres (soit 350 millions de nos jours). On demanda ainsi la révocation des dons faits pendant les deux derniers règnes. La vieille Diane de Poitiers, prise d'inquiétude, courut chez le connétable, fit agir Saint-André près du duc de Guise, dont le frère, Charles de Lorraine, se hâta de gagner Reims avec la petite veuve Marie Stuart, qui devait partir quelques mois ensuite (15 août) pour l'Ecosse. C'est alors que Catherine prorogea la session des Etats.

[13] L'édit du 24 février ordonnait de surseoir à toutes poursuites pour le fait de religion, quand même les prévenus auraient été trouvés en armes. Les religionnaires emprisonnés devaient être remis en liberté à la condition de se faire catholiques ou de vendre leurs biens et quitter la France.

[14] Selon l'ambassadeur Throckmorton, Guise était au conseil, mais n'échangea pas une parole avec Condé. (Calend. of State pap., 31 mars 1560.)

[15] Sur la déclaration d'innocence, arrêt du conseil du Roi, 18 mars, Bibl. nat., mss. fr. 3138, f° 2. — Mémoires de Condé, édit. Michaud, p. 586.

[16] Duc D'AUMALE, Histoire des princes de Condé, t. I, p. 101.

[17] Comme évêque de Beauvais, Odet de Châtillon, qui était du Conseil du Roi, avait d'abord poursuivi les hérétiques. On a placé son apostasie après le colloque de Poissy, mais elle semble bien antérieure ; aux fêtes de Pâques 1562, toujours est-il, on apprit qu'il s'était enfermé dans la chapelle de l'évêché pour célébrer la Cène avec ses familiers et des sectaires des environs. Il se rendait volontiers chez Jean et François de Courtils, au château de Merlemont, qui donnait asile aux protestants et leurs assemblées se tenaient au hameau de Brenneval, au lieu dit encore le Prêche. On sait que de son temps on travailla à la cathédrale et que l'on construisit la flèche qui s'écroula le 30 avril 1573. — Le cardinal de Châtillon n'avait d'ailleurs été ordonné que sous-diacre et diacre, mais non prêtre et ce fut Philibert de Beaujeu, évêque de Bethléem, qui fut son suffragant. Le conseil épiscopal administrait le diocèse et Odet de Châtillon paraissait rarement dans la ville. Mais quand même l'influence des idées nouvelles y provoquait continuellement des troubles et dans la cathédrale même, le grand vicaire Louis Bouteiller ne craignit pas d'enseigner des propositions hérétiques, tant que le théologien Nicolas Cornet le prit à partie et lui cria : Bouteiller, ta bouteille est puante ! — On sait que le cardinal protégeait les huguenots, vendait pour eux les biens de l'évêché et faisait enlever les pierres tumulaires de l'abbaye de Saint-Lucien pour en daller ses cuisines. Lors des troubles de 1562, un prêtre, nommé Adrien Fumée, apostropha la procession de la paroisse Sainte-Marguerite en criant que c'était une procession de diables ; il vida ensuite son pot de nuit sur l'assistance, ce qui occasionna un tumulte, des coups. Fumée fut abattu avec des pierres et son corps brûlé au marché. Il fallut l'intervention de la Commune pour rétablir l'ordre, mais partout dans la ville les protestants furent houspillés et finirent par prendre la fuite. Cf. abbé DELETTRE, Histoire du diocèse de Beauvais (1842-1843), t. III. La Cour nomma enfin des commissaires pour une information et le petit nombre des religionnaires qui furent trouvés indique quel était, dans les endroits même où ils étaient favorisés, le chiffre dérisoire de leur minorité. Lorsqu'on parle du nombre toujours croissant des huguenots, ainsi, c'est d'une façon toute relative.

[18] Il n'y avait pas de dimanches ni de fêtes où Paris et les grandes villes ne fussent en émoi. C'était partout des querelles à main armée ; les réformés brisaient les images, insultaient aux processions ; les catholiques allaient disperser les prêches tenus contrairement aux édits. Dans le Pré-aux-Clercs, c'étaient des batteries continuelles, parfois des rixes sanglantes (avril, mai 1561). Au Mans, de même qu'à Beauvais, il y avait eu des troubles graves. Le Parlement, qui faisait les enquêtes et était chargé de la police de Paris, dit M. Dareste, se plaignait de la faiblesse du gouvernement pour assurer l'exécution des ordonnances, de leurs dispositions mêmes, plus propres à enhardir les réformés qu'à les contenir. Il n'y avait de procès en justice qu'à leur occasion. Le cardinal de Lorraine se fit l'interprète des catholiques, réclamant au moins l'exécution stricte des édits. Le clergé de l'Ile-de-France, dont les députés se réunirent au mois de mai, approuva ces remontrances, se plaignant en outre d'être tenu en suspicion, diminué comme autorité. Il se déclara prêt à s'imposer extraordinairement, mais prétendit surveiller l'emploi de l'argent et son application au règlement de la dette. DARESTE, op. cit.

[19] Lettres du 9 avril 1560. Bibl. nat., mss. fr., 3193, f° 27.

[20] Le Parlement déclara que c'était une illégalité au premier chef et attaqua vivement l'édit.

[21] Cf. Et. PASQUIER, Œuvres, t. II, liv. IV, lettre 20.

[22] Journal des savants, 1830, p. 39.

[23] On reprocha vivement à l'Hospital, dit M. le duc d'Aumale, d'avoir prêté son nom à cet édit ; il avait cru ainsi détourner de la France le fléau de l'inquisition, et il essaya de l'adoucir dans la pratique par les instructions qu'il donna sur l'application. (Histoire des princes de Condé, t. I, p. 113, note.)

[24] DE THOU. — C'est avec intention que l'amiral avait demandé une nouvelle réunion des Etats Généraux. Une grande assemblée politique devait être un précieux foyer d'intrigues, et toutes les factions y pouvaient agir.

[25] Coligny avait souffert profondément de l'édit qui interdisait les assemblées pieuses, la prière en commun et la prédication. C'était une oppression pour ses frères et pour lui une déception. Catherine de Médicis lui avait promis la liberté et il n'avait que la servitude des consciences. Il ne cachait point ses-mécomptes. Il avouait qu'il avait été dupe. Il repoussait comme déloyales les protestations de la Reine mère et comme impuissantes celles de l'Hospital. Il lui échappa un jour de dire à sa table qu'il se vengerait et qu'aux Etats prochains, il pourrait bien faire investir de la régence le roi de Navarre aux dépens de Catherine. (DARGAUD.)

[26] Œuvres, t. I, p. 469. Harangue à l'assemblée du clergé. — Au moment du Colloque de Poissy, ce fut l'ambassadeur anglais Throckmorton, dont les relations avec les chefs huguenots sont attestées par des documents multiples, qui se trouva surtout le confident des ministres.

[27] Catherine de Médicis et la Saint-Barthélemy, le Correspondant, 1883.

[28] M. le comte Delaborde donne avec complaisance une liste des ministres et des députés huguenots qui se rendirent à Poissy. On les logea près du château de Saint-Germain, dans une maison appartenant au cardinal de Châtillon, puis chez la duchesse de Ferrare. Avec l'accueil plutôt prévenant de la Cour, ils purent poser presque leurs conditions. (Th. DE BÈZE, Histoire ecclésiastique, t. I, p. 490) et n'oublièrent nullement la propagande, répandant des écrits, parlant et prêchant à la moindre occasion. Ouvertement ils étaient protégés et reçus à table chez l'amiral et chez Condé. — Th. de Bèze, l'oracle du parti, s'était déshonoré par des pièces licencieuses qui lui attirèrent le ressentiment de la justice. On rechercha sa vie qui était peu édifiante. Moréri le montre flétri par la débauche, par une maladie honteuse qui l'avait forcé à sortir de France.

[29] Ch. CAUVIN, Vie de François de Lorraine, duc de Guise, p. 253.

[30] L'église de l'abbaye Saint-Louis de Poissy, qui datait environ de 1304, retapée au commencement du dix-huitième siècle, à la suite d'un incendie allumé par la foudre, fut abattue en 1802. On en retrouve des plans et élévation à la Bibl. nat., dans la collection Robert de Cotte ; cf. Pierre MARCEL, Inventaire des papiers manuscrits du cabinet de Robert de Cotte, 1506, in-8°, p. 76, et O. NOËL, Histoire de la ville de Poissy, 1870, in-8°.

[31] Comte DELABORDE, op. cit.

[32] Th. de Bèze à Calvin, 12 septembre. BAUM, Th. de Bèze, appendice, p. 61. Cf. KLIPPFE, Le Colloque de Poissy ou Etude sur la crise religieuse et politique de 1561, Paris, 1867, in-12, et la célèbre gravure de Tortorel et Périssin, Les grandes scènes historiques du seizième siècle, Paris, 1884.

[33] BÈZE, Histoire ecclésiastique, t. I, p. 501 ; LA PLACE, Commentaires, liv. VI. Œuvres de l'Hospital, t. I, p. 485.489.

[34] Cf. Th. DE BÈZE, Histoire ecclésiastique, t. I ; LA PLACE, liv. VI. — De Bèze osa dire que le corps de Jésus-Christ est aussi éloigné du sacrement de la Cène que le ciel l'est de la terre. — Ibid.

[35] Selon les pièces publiées par BAUM, Appendices, t. II, les prélats s'élancèrent de la salle en criant : Il a blasphémé Dieu. — Théodore DE BÈZE.

[36] LA PLACE, liv. VII. — Il faut rappeler que les Commentaires de La Place et l'Histoire ecclésiastique de Th. de Bèze restent les sources principales et presque uniquement utilisées pour ce qui concerne l'assemblée de Poissy.

[37] Lettre à Calvin, 24 septembre ; Calvin à Coligny, Lettres françaises, t. II, p. 427.

[38] C'est à ce moment que mourut (août 1561) la première femme de d'Andelot. Cf. Ph. LENOIR, Histoire ecclésiastique de Bretagne, p. 67.

[39] A Argenteuil, le jour même où l'on célébrait à Saint-Germain la messe de l'ordre de Saint-Michel, à laquelle les huguenots ne voulaient pas assister, ce qui fut un grand scandale et contre la religion chrétienne. Journal du chanoine Bruslart ; Mémoires de Condé, édit. Michaud, p. 605.

[40] Lettre de Coligny, 6 octobre 1561. Arch. de Genève, n° 1715.

[41] Calend. of State pap., 14 novembre 1561.

[42] Chronique wurtemburgeoise, ap. BERNARD-KUGLER, Christoph Herzog zu Wurtemberg zweiter Band.

[43] 23 novembre 1651. Arch. de la ville de Genève, 1715. — La lettre de Condé est du 24 novembre. Cf. duc D'AUMALE, t. I, pièce et document n° 4.

[44] Le roi d'Espagne, dit Chantelauze, fit menacer Catherine d'aller éteindre en France l'incendie avec le concours des catholiques français si elle refusait le secours qu'il mettait à sa disposition. Chantonnay lui déclara qu'elle devait changer de route, renoncer à ses atermoiements. Mais la Reine répondit que le Roi, son fils, avait assez de forces pour se faire obéir de ses vassaux, et que si quelques-uns d'entre eux réclamaient un secours étranger, elle saurait aviser. — Chantonnay comprit qu'elle redoutait surtout l'ingérence de son maître, et que si elle avait besoin de secours, elle ne les demanderait pas en Espagne.

[45] La Reine, dit Correr, espérait gagner les protestants et voir consumer avec le temps cette humeur qu'elle regardait plutôt comme de l'ambition et un désir de vengeance que comme un effet de religion, et n'osait faire aucune chose dont ils eussent pu concevoir le moindre soupçon ; au contraire, elle les tolérait avec patience, leur faisait un accueil favorable, leur accordait des dons, des faveurs avec une bienveillance apparente. Elle espérait que l'obéissance augmenterait chez les sujets à mesure que le Roi prendrait des années et que les séditieux n'auraient plus d'occasion aussi facile de se révolter contre lui. (Ambassadeurs vénitiens, etc.) — Bien mieux, Catherine entreprit leur défense auprès du Pape auquel elle écrivit : — Ils ne sont ni anabaptistes ni libertins ; ils croient les douze articles du symbole. Aussi plusieurs personnes de piété pensent qu'on ne devrait pas les retrancher de la communion de l'Eglise, pour ne pas blesser la faiblesse de quelques-uns. Quel danger y aurait-il d'ôter les images des églises et de retrancher quelques formules inutiles dans l'administration des sacrements ? Ce serait encore un grand bien d'accorder à tous les fidèles la communion sous les deux espèces, d'abolir les messes basses et de permettre que l'office divin se fit en langue vulgaire. Du reste, on convient qu'il est à propos qu'il n'y ait rien d'innové dans la doctrine et dans la hiérarchie, et que l'on conserve toujours pour le Souverain pontife le respect et l'obéissance qui lui sont dus. (L'Esprit de la Ligue, t. I, p. 107.) — Aussi, au concile de Trente, Leurs Majestés, désireuses d'entretenir la paix entre leurs sujets, chargèrent les ambassadeurs de France d'obtenir que le célibat des prêtres fût ôté : que la communion fût prise sous les deux espèces, que tout le service de l'église fût fait en langue vulgaire, etc., affirmant que c'était un remède pour pacifier les différends. — A quoi les Pères du concile répondirent : Non dabimus vobis venenum in medicinam. Nous ne vous baillerons pas du venin pour médecine. LÉZEAU, dans Archives curieuses de l'Histoire de France, t. XIV, p. 26.

[46] Mémoires de Condé, édit. Michaud, p. 670 ; Et. PASQUIER, t. II, liv. IV. L'établissement du protestantisme n'alla pas sans algarade même dans les provinces où les seigneurs s'étaient faits huguenots et l'on rapporte qu'en 1562 (15 août) le cardinal Odet étant venu visiter à Châtillon son frère Gaspard, les habitants le croyant redevenu catholique, allèrent à sa rencontre bannières en tête, avec le chapitre et les échevins. Les calvinistes qui lui servaient d'escorte se crurent insultés ; ils se jetèrent sur la procession, tuèrent le doyen et plusieurs moines, saccagèrent la ville et y mirent le feu. (Dom MORICE, Histoire du Gâtinais.)

[47] Mémoires de Castelnau, liv. III, chap. V. Cf. Mémoires de Condé : Histoire de la mutinerie, tumulte et sédition faite par les prêtres de Saint-Médard, etc. Baron DE RUBLE, l'Arrestation de Jean de Hans et le tumulte de Saint-Médard (Bulletin de la Société de l'histoire de Paris, 1886). — En d'autres endroits encore, du reste, les huguenots furent poursuivis, et à Nantes, d'Andelot reçut des pierres. (Lettre au duc d'Etampes, décembre 1561, dans Dom MORICE, Histoire de Bretagne, preuves, t. III, p. 1294.) — Le feu, écrit Joyeuse, gouverneur du Languedoc, est allumé partout. Toutes ces belles religions n'ont fait d'autre fruit qu'apprendre au peuple à n'obéir point au Roi et à ses ministres. (Lettres de Joyeuse, octobre à décembre 1561, Mémoires du duc de Guise, édit. Michaud, p. 467-471.)

[48] Comte J. DELABORDE, op. cit., t. I, in fine.

[49] Le duc de Guise, les cardinaux de Lorraine et de Guise et le duc de Nemours quittèrent Saint-Germain le 22 octobre et se retirèrent à Nanteuil après avoir essayé de décider le duc d'Orléans, Henri de Valois, depuis Henri III, à les suivre.

[50] Th. DE BÈZE, t. I, p. 668.

[51] 1562 n. s. Recueil de Fontanon, t. IV ; Agrippa D'AUBIGNÉ, Histoire universelle, t. I, liv. II, p. 32.

[52] Les calvinistes voulaient des églises et au lieu d'en construire s'emparaient de celles des catholiques. Sans tenir compte de la susceptibilité des populations, en place de cloches, la nuit ils s'appelaient à coups d'arquebuse... C'était alors un vrai chaos et confusion ; toutes sortes de gens, tant de l'un que de l'autre parti s'assemblent dans la ville, leurs chefs et principaux capitaines y étant ; les coups de pistolet et de canon nous servent de carillon. (PASQUIER.)

[53] Cette disposition mérite d'être remarquée, dit M. Dareste ; elle montre combien on était convaincu du droit qu'avait alors l'Etat de décider les questions religieuses, et le soin qu'on prenait de distinguer quand même les calvinistes, des sectes dangereuses qu'on se réservait de poursuivre, comme libertins, anabaptistes ou athéistes. — Le séjour de Coligny à la Cour, s'il favorisait les protestants, était d'ailleurs l'objet de plaintes réitérées de l'ambassadeur Chantonnay (février 1562), qui craignait la mauvaise influence qu'il exerçait sur Charles IX et demandait en même temps à Catherine d'organiser à l'extrémité du royaume, à Perpignan par exemple, une rencontre avec Philippe II, — première idée de l'entrevue de Bayonne qui devait avoir lieu quatre ans plus tard.

[54] CORRER, Ambassadeurs vénitiens.

[55] Mémoires de Castelnau, liv. III, chap. V.

[56] Journal des savants, 1859.

[57] Le personnage de Jeanne d'Albret est encore un de ceux qui ont été le plus truqués par les historiens protestants. Les anecdotes qui la concernent ont été pour la plupart mises sous le boisseau et c'est par hasard que nous rencontrons sur cette femme, du reste intelligente et qui pouvait en prendre à son aise avec un mari comme Antoine de Bourbon, quelque allusion transparente. C'est ainsi que Henri III écrivait à son beau-frère le roi de Navarre pour s'excuser d'avoir accusé sa sœur Marguerite de Valois que les princesses les plus vertueuses n'étaient pas bien souvent exemptes de la calomnie, même pour le regard de la Reine sa mère, qu'il savait ce qu'on en avait dit et combien on en avait toujours mal parlé. — L'ÉTOILE, t. I, p. 164, édit. Michaud ; cf. la Reine Margot, p. 294.

[58] Comte DELABORDE, op. cit., t. II ; cf. Etienne PASQUIER, Lettres, liv. IV.

[59] Claude HATON, t. I, p. 211-214.

[60] 5 janvier 1561 (1562 n. s.). Bibl. nat., mss. fr. 6620, f° 120.

[61] H. DE LA FERRIÈRE, Archives des missions scientifiques, 1869, p. 335.

[62] Trockmorton to the queen, 6 mars 1561 (1562 n. s.) Calend. of State pap.

[63] Trockmorton to the queen, 6 mars 1561 (1562 n. s.) Calend. of State pap.

[64] Th. DE BÈZE, Histoire ecclésiastique, t. II, p. 185 ; Th. de Bèze à Calvin, 26 février, Mémoires de Condé, t. III, — Vers le même temps, 18 février, Coligny faisait partir du Havre, sous le commandement d'un nommé Jean Ribout, une nouvelle expédition huguenote qui devait coloniser la Floride.

[65] 16 novembre 1561. Cf. J. ROUQUETTE, les Saint-Barthélemy calvinistes, 1908.

[66] Stuttgart, Statts archiv. Frankrich, chap. XVI.

[67] Le cardinal fit presque le luthérien et dit que dans la messe il ne voulait pas adorer Jésus-Christ mais le vénérer ; il se montra conciliant en tout, d'ailleurs avec une admirable dialectique. Il n'y a rien à faire avec nos calvinistes de France, ajoutait-il ; ils ne veulent pas écouter, mais être écoutés. Brentius, présent à la discussion, lui demanda de s'employer pour obtenir une paix de religion comme en Allemagne ; il promit de travailler à faire cesser toute persécution, ainsi que son frère, et soutint qu'il était innocent de la mort de ceux qui avaient été condamnés pour leur foi : On a souvent cherché, ajoutait le duc de Guise, à nous tuer soit par l'épée, soit par le poison, et bien que les coupables aient été arrêtés, je ne me suis jamais mêlé de leur punition. Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme, t. IV, 1856.

[68] Les protestants, qui tiennent à établir la préméditation du massacre de Vassy, font remarquer que dès son retour en Lorraine, Guise avait fait pendre un épinglier du bourg de Saint-Nicolas qui avait fait baptiser son enfant à la mode de Genève (Mémoires de Condé, t. III, p. 132) et donné des instructions sévères à son lieutenant en Dauphiné pour persécuter les huguenots. Il a été soutenu de même que sa mère, Antoinette de Bourbon, lui avait demandé de la délivrer des hérétiques de Vassy, dont la présence l'importunait si proche de Joinville, sa résidence, qui n'était qu'à trois lieues. Guise aurait dit encore en parlant de l'édit de janvier et frappant sur la garde de son épée : Le tranchant de celle-ci coupera bientôt ce qu'on croit si bien établi. (DAVILA, Histoire des guerres civiles.) Mais, dit le duc d'Aumale, il est fort difficile de démêler la vérité sur les motifs et le début de cette sanglante collision au milieu des relations si nombreuses et contradictoires qui ont été publiées. — Cf. parmi les versions protestantes : Discours entier de la persécution et cruauté exercée en la ville de Vassy par le duc de Guise, etc. ; Mémoires-journaux, édit. Michaud, p. 477 ; Relation de l'occasion faite par le duc de Cuise à Vase en Champagne, etc., ibid., p. 471 ; CRESPIN, Histoire des martyrs, 1608, in-f°, p. 557 ; BÈZE, Histoire ecclésiastique, t. I, p. 722 ; Description du saccagement exercé cruellement par le duc de Guise, etc. Archives curieuses, t. IV. — Parmi les versions catholiques, les Mémoires-journaux donnent également un Discours au vrai et en abrégé de ce qui est dernièrement advenu à Vassy ; loc. cit., p. 473. On peut voir encore les relations données par de Thou, Le Laboureur, Claude Haton, etc.

[69] D'AUBIGNÉ, t. II.

[70] GUISE, Mémoires-journaux, p. 472.

[71] CASTELNAU, liv. III, chap. VII ; PASQUIER, liv. IV, lettre 14.

[72] De Thou et, depuis, Anquetil, ont affirmé au contraire que le duc fit tous ses efforts pour maîtriser ses gens ; mais rien ne pouvait les arrêter, ni menaces ni prières et Guise leur criait inutilement de toute sa force et leur ordonnait de cesser (DE THOU). La duchesse, qui était enceinte, ne fut prévenue qu'assez tard et envoya prier son mari de faire cesser ses gens. Déjà à Amboise, elle n'avait pu supporter le spectacle des exécutions. La bible saisie dans la grange fut envoyée par le duc à son frère le cardinal de Guise qui l'accompagnait et, attristé, restait appuyé contre la muraille du cimetière. Il prit le livre et dit : Il n'y a point de mal en ceci ; c'est la Bible et Sainte Ecriture. (Discours entier, etc.)

[73] Th. DE BÈZE, Histoire ecclésiastique, t. I, p. 727.