HISTOIRE DE JULES CÉSAR

 

 

 

Ce mémoire, qui parut au Journal des Savants en septembre 1865 et en juillet 1866, est une appréciation de l'Histoire de Jules César, par Napoléon III, ouvrage en deux volumes in-4°, Paris, Impr. Impériale ; H. Plon, 1865-1866.

On sait que très longtemps Mérimée a songé à une vie de Jules César, dont la figure le hantait. Il voulait que ce fût son maître livre. Étienne, le recevant à l'Académie française le 14 mars 1844, parle dans son discours de cette œuvre future qui devait compléter la trilogie commencée par la Guerre Sociale et la Conjuration de Catilina. En voyage, nous dit Augustin Filon, tout le fait songer à César. C'est le nez de Wellington, ce sera plus tard le crâne de Morny[1]. Sur la colline où se dressa sans doute Gergovie, Mérimée raconte dans ses Notes d'un Voyage en Auvergne[2] comment il suit les opérations du siège, les Commentaires en main. Enfin, constamment, dans sa correspondance, le nom de César revient. Le 25 octobre 1838, il écrit à Requien[3] : Avez-vous entendu parler d'un certain jules César, lequel fut fait mourir en l'an de grâce 44 ? J'écris la vie de ce drôle-là, qui, comme feu M. de Robespierre, n'est pas encore jugé. Le 18 juillet 1841, à Lenormant[4] : Le César des premières années ressemble fort au conspirateur[5] que je vis l'autre jour au Mont Saint-Michel. César évita le Mont Saint-Michel parce qu'il avait beaucoup d'entregent, mais c'était une franche canaille à cette époque. Ce diable d'homme alla toujours en se perfectionnant. Il fût devenu honnête homme si on l'eût laissé vivre. En 1856, à Madame de la Rochejacquelin[6] : Ne trouvez-vous pas agréable de voir in the mind's eye les objets dont il est question dans l'histoire ? Lorsque je voulais écrire l'histoire de César, j'avais tant regardé et si souvent dessiné ses médailles et son buste de Naples, que je le voyais très distinctement à Pharsale et même à Alexandrie.

Mérimée ne publia rien de ses notes qui n'ont pu être retrouvées. Sans doute s'est-il effacé devant le projet de l'Empereur qui l'associa à son œuvre. Au début de ce travail, raconte A. Filon[7], l'Empereur, qui savait le prix du temps pour un tel écrivain, lui donna à entendre qu'il serait largement indemnisé. Mérimée sourit : J'ai, dit-il, chez moi tous les livres nécessaires. Je calcule qu'avec deux mains de papier ; une douzaine de plumes d'oie et une bouteille d'encre de la Petite Vertu, je suffirai à tout. Que Votre Majesté me permette de lui faire ce cadeau. Mérimée ne voulut donc pour sa récompense que l'estime du maître, et donna au Journal des Savants l'article, agréable aux Tuileries, que nous publions, au lieu de sa Vie de Jules César, aujourd'hui disparue.

 

— I —

Lorsqu’un prince ou un homme d’État se fait auteur, c’est ordinairement pour raconter ce qu’il a fait, expliquer sa politique et la défendre devant la postérité.

Le nouvel historien de Jules César nous paraît avoir pris la plume dans une vue plus désintéressée. A notre sentiment, l’étude très sérieuse et très attachante dont nous avons à entretenir les lecteurs du Journal des Savants a été une distraction à de graves travaux et non une occasion de parler de politique moderne par voie d’allusions. Ce n’est pas qu’avec un peu de bonne volonté on ne puisse découvrir, dans plusieurs pages de ce livre, des récits ou des appréciations d’événements qui réveillent des souvenirs contemporains ; mais il y a bien d’autres ouvrages, à commencer par Hérodote ou les lettres de Cicéron, qui nous feraient penser aux hommes et aux longues agitations de notre époque. Toutes les révolutions ont leurs points de ressemblance ; en effet, partout et toujours les hommes sont les mêmes et, comme dit Machiavel, ils sont nés, ils ont vécu, ils sont morts, tous selon une même loi de nature.

Donde nasce che infiniti che leggono pigliano piacere di udire quella varietà delli accidenta che in esse si contengono, senza pensare altrimente d’imitarle, giudicando la imitazione non solo difficile, ma impossibile ; corne se il cielo, il sole, gli elementi, gli uomini fossero variati di moto, d’ordine, e di potenza, da quello ch’egli erano anticamente. (Dei dircorsi, etc. Prefazione.) Et plus loin : Perchè gli uomini, corne nella prefazione si disse, nacquero, vissero e morirono sempre con un medesimo ordine. (Dei discorsi, lib. I, cap. XI.)

Nos troubles civils ont eu sans doute de grands rapports avec ceux des Romains. Nous avons imité leurs lois, nous parlons une langue dérivée de la leur, leur littérature forme encore la base de notre éducation. Faut-il s’étonner que l’élève ressemble à son maître ?

Ces analogies entre des révolutions si éloignées par le temps ont cet avantage qu’elles jettent une vive lumière sur l’étude de l’antiquité. L’histoire moderne nous explique souvent l’histoire ancienne, et celui qui a pris une part active aux événements de son époque comprendra mieux la vie politique d’Athènes ou de Rome que l’érudit qui s’est borné à l’étude des auteurs grecs ou latins. Toutefois, dès qu’on veut pénétrer dans tous les détails d’une civilisation qui n’est plus, on se trouve à chaque instant arrêté par des problèmes difficiles, pour lesquels il faut recourir à l’érudition et à l’archéologie. Ce n’est pas assez de connaître les anciens auteurs et leurs scholiastes, il faut encore interroger les monuments les inscriptions, les médailles. Nul renseignement n’est à négliger. Et pourtant, quelque approfondies que soient ces recherches, il est bien rare qu’elles dissipent complètement l’obscurité qui enveloppe des âges si éloignés. Le système électoral des Romains par exemple, disons mieux, leurs systèmes, ont été l’objet de nombreuses et savantes dissertations ; on a commenté tous les textes de Tite-Live, de Denys d’Halicarnasse, de Cicéron et de tant d’autres ; on a. exploré tous les recueils épigraphiques, comparé entre elles toutes les variantes des médailles des familles Hostilia, Mussidia, Silia ; nombreux sont les témoignages recueillis, et pourtant nous ignorons encore par quel procédé matériel les magistrats étaient élus. Qu’importe ? diront ceux que rebutent la longueur et la sécheresse de ces études. Il suffit de connaître les grands résultats. De quelque façon que se tinssent les comices à Rome, nous savons, à n’en pas douter, que la corruption y décidait du vote.

Machiavel et Montesquieu se sont contentés de ces notions générales; souvent même ils se sont médiocrement mis en peine d’en contrôler l’exactitude, du moment qu’ils pouvaient alléguer un témoignage autorisé. L’illustre historien de César n’a pas cru devoir suivre leur exemple. Placé à un point de vue si élevé pour juger un grand politique et un grand homme de guerre, il n’a pas dédaigné des travaux minutieux, du moment qu’ils pouvaient jeter quelque jour sur le sujet de son étude. Pour bien comprendre les révolutions du peuple romain, n’était-il pas nécessaire de s’appliquer à découvrir quels ont été les idées, les besoins, les aspirations d’une société organisée sur des bases si différentes de la nôtre ? Le volume que nous avons sous les yeux prouve l’étendue des recherches entreprises par son auteur. Nous croyons qu’il n’y a pas de texte qui n’ait été consulté, pas de commentaire dont la valeur n’ait été pesée avec un soin scrupuleux. Gardons-nous de penser que de pareilles investigations aient seulement pour résultat de satisfaire la curiosité de l’érudit. Elles ont leur importance lorsqu’il s’agit d’asseoir un jugement sur les actions des hommes de l’antiquité. Prenons un exemple : en 707, César débarque en Afrique avec une poignée de soldats, en présence des nombreuses armées de Juba et de Scipion. Tous ceux qui négligeront de se rendre compte de la différence existant entre la guerre moderne et celle des anciens n’hésiteront pas à taxer le dictateur de témérité. Au contraire, si on a étudié leur tactique et leurs armes, on dira avec l’empereur Napoléon Ier que César ne fit point une manœuvre imprudente. Les moyens de défense pour un camp romain étaient très supérieurs aux moyens d’attaque. Retranché au bord de la mer ouverte à ses vaisseaux, César n’avait rien à redouter, et il ne se compromit pas, en effet.

Tout le monde a entendu parler des recherches topographiques entreprises depuis quelques années par les ordres et sous la direction de l’Empereur, pour déterminer les marches, les batailles, les campements de César. Jusqu’alors ces questions avaient été abandonnées aux conjectures des érudits ou des militaires. Les uns, peu soucieux des règles de la stratégie, ne s’en rapportaient qu’aux textes autorisés; les autres voulaient plier les textes à leurs théories militaires ; personne, d’ailleurs, ne s’appliquait à découvrir des témoignages matériels pour appuyer son opinion. Conduites avec méthode, les explorations nouvelles ont donné les résultats les plus satisfaisants. Nous devons à un heureux hasard d’en avoir suivi quelques-unes sur le terrain même, et nous en avons pu apprécier l’importance. Quiconque a vu les fouilles exécutées autour d’Alise et sur le mont Saint-Pierre, près de Compiègne, ne mettra plus en doute l’exactitude des descriptions contenues dans les Commentaires de César. La terre partout en révèle la fidélité. Plus d’un érudit s’était demandé si les Commentaires avaient été écrits jour par jour et pendant les campagnes mêmes qu’ils racontent, comme la correspondance de Napoléon Ier par exemple ; ou bien, s’ils avaient été rédigés dans les loisirs du cabinet, plus ou moins longtemps après les événements, comme les mémoires de Frédéric II. Après avoir examiné, les Commentaires à la main, les deux localités que nous venons de citer, il nous paraît incontestable que tant de précision dans les détails ne peut s’expliquer que dans l’hypothèse d’un journal tenu pendant la guerre même, ou, tout ou plus, par la possession de documents authentiques, tels que des rapports écrits sur les lieux par les officiers chargés des différents services d’une armée.

Conduit par ce même besoin de tout approfondir, l’auteur de l’Histoire de J. César a remonté jusqu’aux premiers âges du peuple romain. En effet, la maladie d’un homme mûr s’explique souvent par la vie qu’il a menée pendant son enfance et sa jeunesse. L’Empereur divise l’histoire de Rome en époques, dont il résume les caractères principaux avec brièveté, avec sagacité, avec un grand bonheur d’expressions. Il s’attache à montrer que, par un singulier privilège, les premiers gouvernements de Rome ont réuni les conditions les plus propres à favoriser le développement de son énergie, à préparer sa future grandeur, et, selon les paroles mêmes de l’illustre écrivain, à donner l’imposant spectacle d’une ville qui devient un peuple, et d’un peuple qui embrasse l’univers.

Les bornes de cet article ne nous permettent pas de nous arrêter à ce qui n’est, en quelque sorte, qu’une préface à la biographie de César. Nous ne pouvons qu’appeler l’attention du lecteur sur les chapitres consacrés à l’examen de la conquête de l’Italie, et surtout au grand et magnifique tableau du bassin de la Méditerranée, cette mer destinée à relier entre elles toutes les parties du monde antique, et à favoriser l’échange des premiers germes de la civilisation. Pour l’élégante précision du style, la fidélité du dessin, la profondeur des aperçus, ce morceau peut être comparé à la fameuse description de l’Italie, qui, dans les Mémoires de Napoléon Ier, ouvre le récit de ses campagnes de 1796 et 1797. Nous avons hâte d’arriver à l’entrée de César dans l’histoire et au jugement qu’en porte l’Empereur.

De tous les grands hommes de l’antiquité, César est peut-être celui que la postérité a traité le plus sévèrement. Personne sans doute ne s’est avisé de contester son génie, mais on n’a voulu voir en lui qu’un ambitieux sans scrupules et sans conscience, déterminé à plier les hommes sous sa volonté, et ne reculant devant aucun crime pour y parvenir. Montesquieu a résumé toutes les accusations dans une seule phrase célèbre : Il avait tous les vices et pas un défaut. Pourtant, si on y regarde de près, il nous semble que tous les crimes de César se réduisent au seul fait d’avoir changé le gouvernement de son pays.

Ce fut le grand reproche de ses contemporains ; la postérité l’a reproduit, pour ainsi dire, de confiance. Mais s’est-on donné la peine de rechercher quelles étaient les institutions qu’il a renversées ? A-t-on examiné si Rome et le monde y ont gagné ou perdu ? Enfin a-t-on essayé d’apprécier la valeur du témoignage porté contre César par ses contemporains ?

Nous le croyons avec le nouvel historien de César, et nous-même autrefois, dans quelques essais sur l’histoire romaine, nous avons cherché à le démontrer, on doit appeler d’un arrêt émanant de juges suspects de partialité ou de légèreté. Sans doute César visait à constituer une monarchie. Bien que cette forme de gouvernement ait prévalu chez les nations les plus civilisées aujourd’hui, les modernes se sont trouvés d’accord avec les anciens pour condamner César. A notre avis, ce concert singulier est dû à la facilité avec laquelle, en dépit des différences de temps et de mœurs, se transmettent les opinions les plus étranges au moyen de l’éducation littéraire. Les Romains ont répété la leçon des Grecs, nous répétons la leçon des Romains.

Très probablement l’horreur des Grecs pour le gouvernement monarchique commença avec le grand développement de leur civilisation, c’est-à-dire peu après l’expulsion des chefs qu’ils nommaient tyrans[8]. Nous admettrons volontiers que le gouvernement de ces tyrans, dont l’histoire ne nous dit rien, fut, en effet, déplorable, et qu’ils méritèrent leur sort. Libres, les cités grecques formèrent de petites républiques, partout divisées en deux fa&ions, celle des pauvres et celle des riches. Partout, et quelle que fût la fa&ion dominante, la vanité, l’envie, la haine de toute supériorité, furent les caractères saillants du patriotisme hellénique. Les citoyens d’une ville grecque se disaient et se croyaient descendus d’un dieu, ou tout au moins d’un héros. Ils méprisaient et détestaient les étrangers, c’est-à-dire leurs voisins. Non seulement ils ne les admettaient pas à partager leurs droits de citoyen, mais ils veillaient même à ce que leur propre cité, leur famille divine ou héroïque, ne s’agrandît pas. Si la population augmentait, on en exilait une partie, car, dans l’étroite enceinte d’une acropole antique, la place était trop précieuse pour être partagée. L’esclavage, avec tous les maux qui le suivent, était une condition indispensable à l’exigence de ces républiques chétives. En effet, pour gouverner l’Etat, pour le défendre, pour juger, pour administrer, tous les moments, toute la force, toute l’intelligence du citoyen, étaient réclamés par la patrie. Quelle industrie, quel commerce pouvaient exercer des gens obligés de prendre les armes au premier appel, ou de se réunir à l’agora dès qu’il plaisait à un de leurs compatriotes de proposer un décret ? Travailler n’était pas alors le fait d’un homme libre.

Cet amour de l’autonomie, que l’on confond trop souvent avec l’amour de la liberté, n’excluait pas une certaine ambition nationale. Le Spartiate, l’Athénien, rêvaient l’agrandissement de leur patrie, mais ils se seraient bien gardés de partager leurs privilèges. Ils voulurent avoir des sujets, non des concitoyens; les ilotes de Lacédémone, les alliés d’Athènes, auraient pu dire comment étaient traités les sujets d’une nation libre.

Toujours en querelle, les deux factions aristocratique et démocratique, ne se trouvaient d’accord que sur un point, c’est à savoir une haine aveugle contre toute supériorité. Aussi l’on s’appliqua à rendre le pouvoir médiocre de fait, et toujours transitoire, quelque bienfaisant, quelque utile qu’il se fût montré. Le mérite fut suspect ; on inventa l’ostracisme pour le réprimer, ou l’on s’en remit au hasard pour désigner celui qui commanderait. Avec de semblables institutions, on comprend que l’éloquence devînt le seul moyen de gouvernement, car les Grecs, quoique assez corrompus pour vendre leurs suffrages, étaient trop pauvres pour les acheter. Nulle part l’éloquence ne fut autant cultivée qu’en Grèce ; nulle part elle n’atteignit à une si grande hauteur; on sait aussi le peu d’effet qu’elle eut pour assurer son indépendance. Il y eut des orateurs pour conseiller l’expédition de Sicile, pour dénoncer l’ambition de Philippe, mais on ne sut trouver ni généraux ni soldats lorsqu’il fallut combattre.

Il y a des admirateurs très sincères de ces institutions pour répondre que la Grèce leur doit cette multitude de grands hommes utiles à la civilisation qu’elle a produits. Voilà un de ces théorèmes qui, ne pouvant se prouver, ne méritent guère d’être discutés que comme un exercice de rhétorique ; mais, le fait fût-il admis, tout le monde reconnaîtra, nous le pensons, que, si la Grèce a donné l’exemple du plus sublime développement de l’esprit humain, il faut aller chercher ailleurs un modèle de gouvernement pour un grand peuple qui veut vivre indépendant, libre et tranquille.

Grœcia capta ferum victorem cepit.

Il serait plus exact de dire que, dès avant la conquête romaine, la Grèce initia les Italiotes aux systèmes qui devaient causer sa perte. Le moyen de résister à tant de génies bien-disants, si habiles dans l’art de persuader ? Dès que des relations suivies s’établirent entre Rome et la Grèce, les mœurs romaines, les idées romaines, furent profondément modifiées. Les vertus sauvages de l’ancienne république disparurent, on en eut honte comme de la barbarie. Dans la bonne compagnie de Rome on parla grec autant que latin. Ses matrones écrivirent en grec leurs billets doux, et la littérature romaine ne compta que des traducteurs. En matière de philosophie, de morale et de politique, les opinions grecques furent seules admises, en théorie du moins ; car, dans la dratique, le bon sens profond de la race latine, son génie positif et un peu routinier, la préservèrent d’applications trop hasardées. Ces opinions devinrent comme le fondement de l’éducation, et c’est sur elles qu’à notre avis s’appuient la plupart des écrivains qui ont jugé César. Convaincu de tyrannie, c’est-à-dire d’avoir introduit un gouvernement monarchique, son cas était irrémissible. Il fut condamné par tous les littérateurs ; on éleva aux nues ses assassins ; on leur attribua des motifs sublimes, qui, en réalité, leur avaient été fort étrangers. Il semblé que le successeur de César ne mît pas beaucoup de soin à défendre sa mémoire, trouvant peut-être quelque avantage à laisser attaquer le destructeur d’une république que personne ne songeait plus à rétablir.

Cette république, tant regrettée, qui succomba à Pharsale, était depuis longtemps minée à sa base, et n’avait plus conservé que l’ombre des institutions qui avaient fait sa grandeur. Dès que les anciennes rivalités entre les patriciens et les plébéiens eurent cessé de troubler Rome, et que l’égalité eut été proclamée entre les deux ordres, surgit, pour la remplacer, la rivalité entre les familles qui se disaient nobles et les hommes nouveaux. On était noble quand on comptait parmi ses ancêtres, patriciens ou plébéiens, des hommes ayant exercé des charges publiques telles que le consulat ou la préture. Les nobles auraient voulu que ces charges fussent réservées à eux seuls, et ils s’appliquaient à en exclure tous ceux qui n’étaient que les fils de leurs propres oeuvres. Outre l’honneur qui s’attache partout à un nom célèbre, les nobles (ou les honnêtes gens, viri boni[9], comme ils s’appelaient entre eux) possédaient encore une clientèle héréditaire et de grandes fortunes. Les élevions, livrées à la corruption ou à la violence, étaient presque toujours dominées par eux ; car malheureusement, au contact des Grecs et des Asiatiques, les Romains avaient perdu vite leur farouche probité et leur orgueilleux mépris des jouissances matérielles. Les Romains, dit avec beaucoup de justesse l’historien de César, avaient subi une influence comparable à celle qu’exerça sur les Français du XVe et du XVIe siècle, l’Italie, alors, il est vrai, supérieure en intelligence, mais moralement pervertie. La séduction du vice est irrésistible, lorsqu’elle se présente sous les formes de l’élégance, de l’esprit et du savoir. Comme à toutes les époques de transition, les liens moraux s’étaient relâchés ; le goût du luxe et l’amour effréné de l’argent avaient gagné toutes les classes.

Pour satisfaire cette dernière passion, l’indu§trie et le commerce ne suffisaient pas, et cependant les personnages les plus distingués de la noblesse se livraient à une foule de spéculations dont beaucoup répugneraient maintenant, non seulement au descendant d’une famille aristocratique, mais encore à quiconque veut passer pour honnête homme. La plupart des nobles prêtaient à usure; ils tiraient de gros revenus du travail de leurs esclaves. Atticus, l’aimable et doux Atticus, non content d’avoir un grand atelier de librairie, entretenait une école de gladiateurs, qu’il prêtait ou donnait à ses amis, comme M. Jourdain, pour de l’argent[10]. Caton l’Ancien, et nous remontons avec lui aux beaux temps de la vertu romaine, Caton conseillait à ses collègues, les propriétaires d’esclaves, de séparer les deux sexes avec soin, et de ne permettre leur rapprochement que moyennant finance. Outre le profit, cette sage mesure les empêche, disait-il, de faire des sottises[11]. Mais c’était par d’autres moyens beaucoup plus rapides que se faisaient les immenses fortunes des derniers temps de la république. Elles étaient le fruit de la conquête et surtout de l’administration des provinces tributaires. Autour d’un proconsul et d’un préteur, il y avait une troupe de fonctionnaires, cohors, pillant à l’exemple du maître. Chacun rançonnait selon son rang, d’après une certaine hiérarchie, les malheureux sujets de la république, et la populace de Rome, au retour de ces sangsues, vivait des miettes de leurs rapines.

D’après des lois fort anciennes, la carrière des honneurs ou des magistratures publiques était graduée, et on n’arrivait au poste le plus élevé, au consulat, qu’après avoir passé par toutes les charges inférieures. Les candidats débutaient par solliciter la questure, qui donnait entrée au sénat. Puis on tâchait d’obtenir l’édilité, place très recherchée, bien qu’elle entraînât à des dépenses énormes. Officiellement les édiles étaient chargés de la surveillance des travaux publics, des jeux, de l’entretien des monuments et des routes ; mais, au lieu de faire exécuter les travaux avec les fonds fournis par l’État, c’était à qui se ruinerait pour faire davantage, en dépassant les crédits. L’un bâtissait un aqueduc de ses deniers, un autre des thermes, un troisième un théâtre. Les jeux publics surtout fournissaient l’occasion de déployer une magnificence extraordinaire et les édiles n’épargnaient rien pour éblouir le peuple par des spectacles nouveaux. Lorsqu’on voit, dans la correspondance de Cicéron, l’insistance de son ami M. Cælius, pour qu’il lui procure, à tout prix, certaines panthères asiatiques, on comprend par quels moyens se gagnait alors la faveur du peuple. D’ailleurs, tout cet argent, employé à embellir la ville éternelle ou à distraire ses habitants, était en réalité placé à gros intérêts. Un édile qui avait fait paraître dans le cirque des animaux encore inconnus, qui avait ouvert au public des jardins ou des portiques splendides, obtenait d’emblée la préture, puis le consulat. On devine que les provinces qu’il allait gouverner lui payaient au centuple ses avances.

Une si cruelle oppression devait amener la révolte. Pourtant ce ne fut pas dans les provinces sujettes qu’elle éclata d’abord, mais en Italie même, et parmi les peuples alliés. L’esclavage abrutit et rend apathique ; les sujets de Rome n’osaient lever la tête. Les alliés, un peu moins maltraités que les provinciaux, excités par le parti populaire à Rome, habitués à combattre avec les légions romaines, avaient encore assez d’énergie pour revendiquer leur liberté complète. D’abord ils réclamèrent le droit de cité romaine; puis irrités par des refus, ils coururent aux armes. La guerre fut courte, mais désastreuse ; de part et d’autre, mêmes armes, même discipline, même courage. Vainqueurs, après deux ans de combats continuels, les Romains comprirent qu’il fallait faire des concessions, et tous les peuples de l’Italie, qu’on nommait alors les Alliés, obtinrent ces droits de cité qu’ils réclamaient.

Bien que le nombre des citoyens se trouvât si notablement augmenté, nulle mesure ne fut prise pour modifier le système des élevions, qui, établi à une époque où les Romains étaient renfermés dans l’enceinte d’une ville, devenait absurde lorsqu’ils étaient répandus dans toute l’Italie. Les comices durent se tenir à Rome, et seulement à Rome, sans doute parce qu’une vieille superstition refusait à tout autre lieu la sainteté nécessaire pour attirer la protection divine. Ainsi, pour user de leurs nouveaux droits, il fallait que les Italiotes vinssent voter au Champ-de-Mars ; il fallait qu’ils acceptassent les candidats de la capitale, car les hommes politiques s’y trouvaient réunis; en sorte que, la plupart du temps, les nouveaux citoyens avaient à donner leurs suffrages à des candidats qui leur étaient inconnus. De là leur renoncement volontaire à un privilège onéreux et difficile à exercer ; ou bien, s’ils paraissaient dans les comices, ils y venaient entraînés par quelque prétendant ambitieux, plutôt comme une horde envahissante que comme des citoyens qui remplissaient un devoir envers la patrie. Observons que ce système électoral qui. nous paraît aujourd’hui si défectueux, ne fut jamais amendé, bien que, dans les derniers temps de la république, on en reconnût tous les vices. Pourtant on avait vu déjà un essai qui aurait dû frapper les bons esprits. Pendant la guerre sociale, les Italiotes avaient remis l’autorité à un sénat ou à une diète, composés de membres élus par les différents peuples confédérés. C’est encore aujourd’hui le système suivi dans tous les pays qui possèdent une représentation élective.

A cette guerre sanglante succéda une effroyable anarchie, plus désastreuse peut-être que la guerre elle-même, et l’on peut s’étonner que Rome y ait vécu. Les armées, composées en grande partie d’esclaves affranchis, car les hommes libres avaient été moissonnés, recrutées dans des provinces où la langue latine même n’était pas en usage, couvraient -toute la Péninsule et la ravageaient. Les soldats nommaient leurs généraux, en faisaient des consuls, ou les assassinaient quand ils en étaient las. Cependant les Samnites, et d’autres peuples de l’Italie méridionale, refusaient le droit de cité romaine, et voulaient constituer un Etat indépendant. A Rome, la faction populaire dominait ; mais, à aucune époque, le peuple n’avait été moins libre ni traité avec plus de mépris. Il n’y avait plus de lois, et on ne reconnaissait d’autre pouvoir que celui du glaive.

Telle était la situation de la république lorsque Sylla revint d’Asie à la tête d’une formidable armée. C’était un patricien imbu de tout l’orgueil et de tous les préjugés de sa caste ; mais il avait les qualités d’un grand capitaine, et, toujours servi par la fortune, il avait fini par se croire l’instrument de la Providence. Audacieux jusqu’à la témérité, sans pitié, sans remords, il suivait ses desseins avec une inflexible énergie. Ses inspirations ou ses caprices, il les respectait comme des arrêts de la destinée. Il m’annonça comme le restaurateur de l’ordre et le vengeur des opprimés. De fait, en quelques mois, il mit un terme à l’anarchie ou plutôt la noya dans le sang. Des champs de bataille couverts de cadavres, des populations entières exterminées ne lui parurent pas un exemple assez terrible pour dégoûter les fauteurs de désordres. Il proscrivit 4.700 citoyens, confisqua leurs biens et, déclara leurs enfants incapables d’exercer des charges publiques. Le sénat décimé fut renouvelé ; le peuple même de Rome, qui manquait après tant de massacres, fut pareillement renouvelé par des esclaves qu’il affranchit en masse et auxquels il donna son nom. Pour faire revivre l’an tienne constitution de la république, ce qui était le but avoué de ses efforts, il anéantit les privilèges, des tribuns du peuple, rétablit la prépondérance au sénat, lui confia exclusivement les pouvoirs politiques, judiciaires et administratifs. Après s’être emparé des biens des proscrits, après en avoir gorgé ses créatures, après avoir remplacé les populations du Samnium et de l’Etrurie avec des soldats colonisés par légions entières, il fit des lois contre la brigue, la corruption, les abus de pouvoir des magistrats. Tous ses décrets pour lé rétablissement de l’ordre avaient été des actes de violence, et, selon la remarque de l’historien de César, parmi les actes qualifiés de crime contre la république par les lois de Sylla, il n’y en avait pas un dont il ne se fût rendu coupable.

En abdiquant la dictature pour user le reste de sa vie dans la débauche, Sylla semblait dégoûté lui-même de son oeuvre et douter de sa durée. Il savait qu’on peut arrêter quelque temps un fleuve par une digue, mais qu’on ne parvient pas à le ramener à sa source. Le sénat, trié par lui, composé de ses partisans, souillé du sang des proscrits et enrichi de leurs, biens, n’avait ni considération, ni autorité. Il ne représentait qu’une faction exécrée. Le peuple, du moins la plebs de Rome, ramassis d’étrangers et d’esclaves affranchis, sans industrie, sans propriété, ne vivait que des largesses des ambitieux dont il faisait des préteurs et des consuls. Les soldats de quarante-sept légions colonisées en Italie, ennemis du travail, au lieu de labourer les champs que le dictateur leur avait assignés, s’étaient empressés de les vendre et d’en dissipera le prix. Pauvres maintenant, ils revenaient à Rome grossir la populace turbulente, offrant leurs services à qui voudrait les payer. L’armée, profondément démoralisée par plusieurs années de guerre civile, n’avait plus de patrie, ne connaissait que ses généraux et rêvait de nouveaux troubles, de nouvelles proscriptions, de nouvelles distributions de terre. Ainsi, dit l’historien de César, tout était frappé de décadence : la force brutale donnait le pouvoir, et la corruption les magistratures ; l’empire n’appartenait plus au sénat, mais aux commandants des armées ; les armées n’appartenaient plus à la république, mais aux chefs qui les conduisaient à la victoire. Pour personne il n’était douteux que tout général heureux pouvait devenir un Sylla, et, pour augmenter les inquiétudes d’un si sombre avenir, on se disait que les Cimbres, détruits par Marius à Vercellae, n’étaient que l’avant-garde de hordes innombrables en marche vers l’Occident, qui pouvaient, au premier jour, s’abattre sur l’Italie.

Etait-il possible, par des remèdes ordinaires, de rendre la vie à un corps si profondément gangrené ? La république pouvait-elle reprendre son antique énergie, sans changer radicalement un système de gouvernement dont les vices frappaient tous ceux qui n’étaient pas intéressés à leur conservation ? En résumé, le pouvoir dominant était la richesse, pouvoir tempéré, en de certaines et rares occasions, par l’éloquence, ou plutôt, par l’art d’exciter les masses ; car, pour soulever une multitude malheureuse, il n’est besoin ni d’un Démosthène ni d’un Cicéron. Jusqu’alors les modifications qu’avait subies la constitution de la république n’avaient été que de brusques secousses qui faisaient pencher la balance tantôt du côté du sénat, tantôt vers les tribuns du peuple. Le sénat absorbait tout et ne rendait rien. Il avait le pouvoir judiciaire, et les juges étaient prévaricateurs ; il administrait les provinces, et ses gouverneurs étaient concussionnaires. Les tribuns faisaient des lois subversives et changeaient la place publique en un champ de bataille. Une aristocratie égoïste et démoralisée, une démagogie factieuse visaient au même but, à s’emparer des richesses de l’Etat et du monde entier. Nul effort n’avait été tenté pour que les citoyens possédassent en fait cette égalité de droits que les lois leur accordaient en théorie, pour que les provinces dépouillées de leur autonomie fussent gouvernées avec justice, pour qu’elles obtinssent même la sécurité. Une centralisation abrutissante pesait sur le monde romain. La capitale même, sans cesse agitée par des factions, en proie à tous les vices, épuisée par la guerre et par tous les genres de corruption, perdait chaque jour de son prestige. Et cependant l’empire acheté par tant de sang était menacé, et la grande invasion des barbares se préparait au fond de l’Orient.

C’est cet état de choses que César a changé en passant le Rubicon à la tête de cinq à six mille hommes. S’il lui suffit d’une légion pour mettre en fuite le sénat, les consuls et Pompée ; si l’empire a duré tant de siècles malgré les invasions des barbares, l’indiscipline des armées, les crimes et les folies des souverains, il faut bien reconnaître que la société, était lasse de la république et qu’elle croyait avoir gagné à son renversement.

L’Empereur s’élève, avec raison, contre les écrivains qui, pour se donner le plaisir de déclamer contre l’ambition de César, en ont fait une sorte de prophète instruit des secrets de l’avenir, et poursuivant dès son enfance l’asservissement de sa patrie. Chacune de ses actions, ils l’attribuent à un calcul. Ils le voient semant des pièges sous les pas de ses ennemis, dans lesquels ils ne manquent pas de tomber. Il leur persuade de servir ses desseins, il les compromet, puis les accable dès qu’ils lui deviennent inutiles. Tant de perversité, réunie à une si extraordinaire clairvoyance, dépasse la nature humaine. Sans doute César fut un des hommes les plus admirablement doués pour la guerre et la politique ; mais il n’était pas sorcier, car il avait institué parmi ses légataires plusieurs de ses assassins. Il n’était pas non plus un monstre de dissimulation et de duplicité. Si l’on examine de près sa conduite, on s’aperçoit, au contraire, que sa principale force devant ses contemporains fut sa hardiesse et sa constance à poursuivre au grand jour des plans hautement avoués et qui lui avaient été transmis comme une sorte d’héritage par tous les réformateurs malheureux qui l’avaient précédé.

Il avait sur eux de grands avantages, outre celui d’arriver à son temps, et lorsque la coupe allait déborder. A une haute naissance, qui commandait le respect, même à ses ennemis, il joignait l’alliance de sa famille avec Marius. Les Julius avaient depuis longtemps soutenu les intérêts populaires. Un L. Julius Cæsar avait eu la gloire non seulement de vaincre les Alliés, mais encore de les désarmer en leur accordant les droits de cité romaine. La famille. Julia avait souvent défendu les intérêts des provinciaux et comptait une nombreuse clientèle parmi les Gaulois transpadans. Le jeune C. Julius Cæsar semblait avoir été choisi par Marius lui-même pour diriger son parti lorsqu’il ne serait plus, car, en le créant pontife à l’âge de quatorze ans, il cherchait à entourer d’un sorte d’auréole protectrice une tête menacée par l’impitoyable fa&ion qui avait massacré les Gracques et assassiné M. Livius Drusus.

Ce hasard de naissance et cet héritage de faveur populaire préservèrent César d’un danger auquel échappent difficilement les hommes politiques moins favorisés par la fortune. D’une part, pour arriver à une position élevée, ils ont de grands sacrifices, de pénibles concessions à faire au parti qui les adopte, souvent en les détenant; d’un autre côté, l’habitude de servir une fanion, de vivre avec elle, de suivre ses inspirations, ne s’efface jamais, même lorsqu’on arrive à en être reconnu comme le chef. Un homme nouveau surtout, appelé à diriger un vieux parti, craint toujours de perdre son mime et sa faveur. Il manque de confiance en lui-même et finit par prendre son entourage pour l’opinion publique. Un des plus honnêtes hommes de son temps et un des plus sages politiques, Cicéron, nous servira d’exemple. Orateur éloquent et hardi du parti populaire, il parvient à se faire un nom par la voie la plus courte aux hommes nouveaux, en attaquant les abus. Il fait condamner Verrès. Séduit bientôt par le parti oligarchique, Cicéron met à son service sa parole puissante et risqué même sa vie pour le défendre. Plus tard, mûri par le malheur, et connaissant l’ingratitude des hommes pour lesquels il a combattu, il voit l’orage prêt à éclater sur la république. Son expérience des hommes ne le trompe pas. Depuis longtemps Pompée, écrit-il à Atticus, rêve le rôle de Sylla et prépare des tables de proscription : sullaturit et proscripturit diu[12]. Les honnêtes gens (boni, lisez les gens du parti oligarchique) veulent affamer l’Italie, et rentrer dans Rome avec des soldats étrangers pour tout mettre à feu et à sang. Et pourtant comment puis-je, moi consulaire, me dispenser d’émigrer et de rejoindre ces furieux ? Atticus, homme d’esprit, qui comprenait la faiblesse de Pompée, écrit à Cicéron de demeurer en Italie. Un instant Cicéron adopte, ce conseil si prudent : Tu m’as convaincu, lui répond-il, mais j’ai besoin que d’autres de ma coterie fassent ce que tu me dis de faire : Tu modo auctoritatem tuam defendito ; adversus me nihil oportet ; sed consciis egeo aliis[13].

Voici quelques autres passages qui montrent l’opinion qu’avait Cicéron de ses amis les honnêtes gens:

Nec vero ille (Pompeius) urbem reliquit, quod eam tueri non posset ; nec Italiam, quod ea pelleretur ; sed hoc a primo cogitavit, omnes terras, omnia maria movere, reges barbaros incitare, gentes feras armatas in Italiam adducere, exercitus conficere maximas. Genus illud Sullani regni jampridem appetitur, multis qui una sunt cupientibus.

(Ad. Atticus, VIII, XI)

In quo (bello) tanta vis sceleris futura est, ut, quum parentes non alere nefarium sit, nostri principes antiquiss tnam parentem, patriam, fame necandain patent. Atque hoc non opinione timeo sed interfui sermonibus.

(Ad. Atticus, IX, XI)

Quid enim tu illic Scipionem, quid Faustum, quid Libonem prætermissurum sceleris putas ? ... Quid eas autem, quum vicerint, in cives effecturos ?

(Ad. Atticus, IX, XI)

Il en parle de même après les avoir quittés pour retourner en Italie :

Me discessisse ab amicis numquam pœnituit ; tanta erat in illis crudelitas, tanta cum barbaris gentibus conjunctio, ut non nominatim, sed generatim proscriptio esset informata : ut jaco omnium judicio constitutum esset, omnium vestrum bora, prædam esse illius victoriæ ; vestrum plane dico ; numquam enim de teipso nisi crudelissime cogitatum est.

(Ad. Atticus, XI, VI, 2)

Cette peur du qu’en dira-t-on ne pouvait toucher le petit-fils de Vénus, le neveu du vainqueur des Cimbres, le gendre de Cinna. César n’eut jamais de coterie. Il écoutait la grande voix du peuple ; il méditait l’histoire de ses devanciers, il proclamait leurs principes, résolu de n’imiter ni leurs fautes ni leurs crimes. César, comme me le disait M. Royer-Collard, il y a une vingtaine d’années, était un homme comme il faut.

Passons rapidement en revue ses premiers actes politiques.

Il avait dix-huit ans lorsque Sylla, tout-puissant alors, voulut l’obliger à répudier sa femme, Cornelia, fille du collègue de Marius, L. Cornelius Cinna, César refusa, fut proscrit, et, pendant plusieurs mois, sa vie fut en danger. Dès qu’il peut reparaître à Rome et aborder la tribune aux harangues, il dénonce les. abus de pouvoir et les concussions des magistrats nommés par le dictateur. Il prend en main la cause des Italiotes persécutés ; des Gaulois transpadans qui gémissent sous l’oppression des proconsuls. César devait se sentir le génie de la guerre : pourtant il ne veut ni servir sous les généraux de Sylla, ni porter son grand nom et son épée au camp de Sertorius, le dernier des lieutenants de Marius. Par haine de Sylla, Sertorius s’était fait Espagnol ; César voulait rester Romain. Tout en demeurant fidèle à ses convictions, dit son illustre historien, il semble, dans les premières années de sa carrière, avoir évité avec soin de mettre entre ses adversaires et lui cette barrière infranchissable qui sépare toujours, après le sang versé, les enfants d’une même patrie. Il avait à cœur de conserver à ses hautes destinées un passé pur de toutes violences, afin que, dans l’avenir, au lieu d’être l’homme d’un parti, il pût rallier à lui tous les bons citoyens.

Plus tard, César prend à partie un de ces hommes exécrables tels qu’en créent les révolutions, un certain Rabirius, qui, au milieu d’une orgie, avait exposé sur un plat, aux outrages de ses convives, la tête d’un tribun du peuple, tué dans une émeute[14]. L’émeute avait été réprimée militairement, par ordre du sénat, et, à la vérité, César poursuivait moins le crime d’un assassin vulgaire que la prétention sou vent élevée par le sénat de se mettre au-dessus des lois en proclamant la république en danger. Les honnêtes gens; on sait que les partisans de l’oligarchie se donnaient ce nom, jetèrent les hauts cris, et Rabirius eut pour patrons tout ce que Rome renfermait de vieux politiques, consulaires, pontifes, censeurs. Cicéron fut son avocat. Il plaida, comme on dirait aujourd’hui, les circonstances atténuantes, rappelant que l’émeute avait été vaincue par l’oncle de César, le grand Marius, le père de la patrie[15], le sauveur de la liberté.

Il cita beaucoup la loi Porcia, qui ne reconnaît que le peuple pour juge lorsqu’il s’agit de la vie d’un Romain[16], Rabirius fut sauvé par une de ces supercheries légales protégées alors par une sorte de superstition; mais, quelques jours après, Cicéron, oubliant la loi Porcia, faisait étrangler presque furtivement les complices de Catilina. Alors les rôles étaient renversés. Cicéron était devenu accusateur et prêchait d’exemple la toute-puissance du sénat, César prêtait aux accusés le secours de la parole, non pour excuser leur crime, qui était manifeste, mais pour empêcher la violation de la loi Porcia et défendre la plus belle prérogative politique du citoyen romain. Catilina fut accablé ; le succès et la vanité tournèrent la tête à Cicéron, qui s’aliéna Pompée ; César seul grandit dans cette lutte, où il avait toujours soutenu l’honneur de son drapeau et les principes de son parti.

En s’alliant plus tard avec Pompée et Crassus, démentait-il sa conduite passée ? Nullement : car Pompée et Crassus, tous deux lieutenants de Sylla, désertaient leur parti et changeaient de politique. Pompée rendait au tribunal ses anciennes prérogatives : il retirait au sénat le pouvoir judiciaire dont ce corps avait honteusement abusé ; il décrétait enfin une amnistie en faveur des vaincus de la guerre civile. N’était-ce pas Pompée qui venait à César, soit par amour de la popularité, soit par instinct politique ? César avait trop de bon sens et d’esprit pour répudier ses propres principes quand un ancien adversaire les adoptait, et il n’était pas homme à imiter ces méprisables vaniteux toujours prêts à blâmer et à combattre une mesure dont ils ne sont pas les auteurs.

Parvenu au consulat, César continue à proposer ou à soutenir les projets de lois qui, depuis le temps des Gracques, étaient sans cesse écartés par le sénat, et que cependant les citoyens les plus éclairés croyaient alors les seuls propres à remédier aux trois grands maux de cette époque : la dépopulation de l’Italie, la misère croissante de la plèbe urbaine, et l’augmentation des esclaves coïncidant avec la diminution des hommes libres. Le premier cri d’alarme avait été jeté, au commencement du IIe siècle, par Tiberius Gracchus. Il avait proposé ses lois agraires ; elles furent repoussées et il périt avec elles. C. Gracchus les avait reproduites, et, comme son frère, était mort à la peine ; Drusus et tant d’autres avaient eu le même sort. Plus heureux et plus politique, César, en réduisant la mesure à de justes proportions, réussit à la faire adopter en dépit de tous les efforts, de toutes les subtilités légales et illégales mises en œuvre pour la combattre. Inutile, nous le pensons, de rappeler au lecteur que la loi Julia, de même que toutes les lois agraires, n’avait pas pour but une division nouvelle de la propriété. On ne prenait rien à personne. L’État disposait d’un territoire inculte, dont il ne tirait presque aucun revenu, et le partageait entre des familles pauvres, à la condition qu’elles le cultiveraient. Créer de petits propriétaires, avoir des laboureurs libres, c’était alors le grand problème. Tout le monde convenait de la nécessité d’un sacrifice, mais, dès qu’il était que9tion de partager l’ager publicus, le sénat, et avec lui tous les riches de Rome, s’écriaient qu’on allait ruiner la république et lui ôter ses meilleurs revenus. Or l’ager publicus était loué à vil prix en général, très souvent par une collusion entre le locataire et l’argent de l’Etat, de sorte que peu de personnes, et seulement celles qui auraient eu le moins besoin de ces terres, en profitaient. Au lieu de les cultiver, les locataires privilégiés y élevaient des troupeaux gardés par des esclaves, ou bien les convertissaient en parcs et en jardins de plaisance. César n’avait pas de peine à prouver que-la république pouvait se passer des revenus produits. par la portion d’ager publicus dont il disposait et, pour justifier de l’esprit vraiment politique dans, lequel son projet de loi était conçu, il faisait remarquer que le premier effet serait d’éloigner de Rome une partie de la plèbe urbaine, rendue par la misère turbulente et dangereuse. César était alors le chef du parti populaire, et, s’il eût été un factieux tel que ses ennemis l’ont représenté, il n’eût pas assurément travaillé à se priver du concours d’une multitude à sa dévotion. En pesant avec impartialité les témoignages qui nous restent sur la loi Julia, nous avons lieu de croire la grande opposition du parti oligarchique fondée sur ce seul fait, qu’elle était une loi agraire et qu’elle reproduisait quelques-unes des dispositions présentées par les Gracques. Son titre, plutôt que sa teneur, suffisait à effrayer le sénat. Cicéron la déclare pernicieuse, mais il n’y voit que la perte d’un revenu pour l’Etat[17]. Bibulus, collègue de César dans le consulat, essaya d’en arrêter la discussion à l’aide des subtilités du droit augural. Caton, pour empêcher qu’on allât aux voix, parla toute une journée. Ces misérables moyens d’opposition, qui ont trouvé des admirateurs, furent sans effet. César, qui avait montré la plus parfaite courtoisie à l’égard du sénat, et qui, pendant ces longs débats, avait fait preuve d’une grande patience, porta sa loi à l’assemblée du peuple et la fit adopter. Il n’est peut-être pas inutile de faire remarquer, à cette occasion, la différence entre la conduite de César et celle de Pompée. César, se plaignant de la mauvaise foi, des menaces de ses adversaires, supposant même que la violence serait employée pour empêcher le vote des tribus, et le fait semblait probable, fit appel à Pompée et lui demanda s’il pouvait toujours compter sur son appui. Assurément, répondit Pompée, et, si l’on tire l’épée, je viendrai à ton aide avec l’épée et le bouclier. N’est-ce pas là le langage du lieutenant de Sylla, toujours prêt- à faire intervenir la force des armes dans une question civile ? Tel était cet homme dont on a fait le défenseur de la république et de la liberté.

Nous le répétons, la vraie cause du triomphe de César est sa constance à poursuivre la réalisation d’une idée qu’approuvait la grande majorité des Romains. Il fut un de ces hommes carrés par la base, comme disait Napoléon Ier, qui marchent vers leur but d’un pas ferme, sans jamais se détourner. Ses adversaires n’avaient que des vues courtes et changeaient de tactique et de principes au jour le jour, selon le besoin du moment. Ils ne représentaient pas en réalité un grand parti, mais une coterie entichée de préjugés, favorisant tout abus ancien, contraire à toute innovation, car elle prenait l’état de choses qui faisait sa, grandeur pour l’équilibre éternel.

Cet aperçu, que nous empruntons à l’illustre auteur de l’Histoire de César, nous semble juste et fondé sur les faits. Il explique et justifie la politique de César, du moins jusqu’à la fin de son premier consulat. Nous attendons avec impatience la suite de cette belle étude qui nous promet un second volume au moins aussi .intéressant que le premier. Nous avons été frappés par la solidité des jugements portés sur César ; nous avouerons pourtant que son historien nous a paru céder parfois à cette séduction irrésistible, particulière aux grands hommes, que César exerça sur ses contemporains et qu’il exerce encore maintenant sur ceux qui lisent sa vie. Peut-être a-t-il un peu d’indulgence pour toutes les actions de son héros. Peut-être va-t-il trop loin en avançant que le bien public fut le grand mobile de César. Nous conservons quelques doutes. Celui qui pleurait à Gade devant la statue d’Alexandre, désolé de n’avoir pas encore un nom aussi grand que le Macédonien, n’eut-il pas un amour passionné de la gloire, la conscience de son génie, une ambition immense ? Mais y a-t-il des grands hommes dépourvus d’ambition ? Et, pour justifier César, n’est-ce pas assez que son ambition fût inséparable de la grandeur et du bien-être de sa patrie ?

 

— II —

Ce second volume, dont nous avons à rendre compte, est presque entièrement rempli par le récit de la conquête des Gaules, grande et intéressante époque de notre histoire nationale, où, malgré notre patriotisme gaulois, force nous est d’admirer le génie du vainqueur. S’il est pénible d’avoir été conquis, c’est une consolation de se dire quel homme et quels efforts il a fallu pour soumettre nos ancêtres, divisés entre eux et encore à demi barbares. César ne se vante jamais dans ses prouesses, il avait trop d’esprit pour cela. Il raconte simplement la lutte, longtemps incertaine, qu’il a soutenue ; il rend hommage à la valeur de ses adversaires. Il les a vaincus, mais il ne les a pas humiliés. On rapporte que, la dernière année qu’il passa dans la Gaule, uniquement occupé à réparer les désastres de la guerre, il entra dans un temple, probablement à Gergovie, où il trouva sa propre épée suspendue comme un trophée devant l’image de la divinité du lieu. Quelques mois auparavant, César avait couru risque d’être pris ou tué devant cette ville, et avait dû faire retraite assez vite pour oublier de ramasser ses armes. Ses officiers, en reconnaissant l’épée de leur général, voulurent l’enlever : Laissez-la, dit César ; elle est consacrée à un dieu[18]. Cette anecdote montre qu’il connaissait le peuple auquel il avait à faire. Une année, une seule, lui suffit pour effacer le souvenir de huit sanglantes campagnes, et, lorsqu’il mena ses légions en Italie et en Espagne, non seulement les Gaulois ne se soulevèrent point, mais ils lui fournirent de nombreux auxiliaires, braves et dévoués. C’est avec sa cavalerie gauloise qu’il obligea les lieutenants de Pompée à mettre bas les armes sur les bords de l’Èbre, et qu’il réduisit les Espagnes.

Napoléon Ier, dans ses remarquables dictées, se plaint de l’obscurité des Commentaires et du peu de renseignements qu’ils fournissent aux militaires qui les étudient. César, écrivait-il à Sainte-Hélène, ne dit jamais la force de son armée, ni le lieu où il se bat. Ses batailles n’ont pas de nom[19]. Sans doute nous regrettons que César ne soit pas entré dans plus de détails, mais une partie de l’obscurité que nous déplorons tient peut-être à ce que nous ne connaissons pas assez la langue dans laquelle les Commentaires ont été écrits. Il y a dans la nôtre bien des mots que les dictionnaires n’expliquent pas et que tout le monde comprend aujourd’hui. César a écrit pour ses contemporains, qui l’entendaient à demi-mot. Un jour, peut-être, reprochera-t-on à Napoléon d’avoir parlé de bataillons et d’escadrons, sans marquer le nombre d’hommes qui les composaient de son temps. Chaque profession a sa langue qui lui est propre, et, de la langue militaire des Romains, nous ne savons que ce que César nous apprend. Quant à donner un nom à ses batailles, nous pensons qu’il aurait été souvent embarrassé pour y parvenir. Outre la difficulté de faire accepter par ses compatriotes des mots tirés d’un idiome barbare, peut-être impossibles à figurer en caractères latins, quelques-uns des plus rudes combats qu’il ait soutenus et des plus décisifs ont été livrés dans des lieux éloignés de toute habitation. La défaite des Nerviens, par exemple, eut pour théâtre les bords de la Sambre, entre Hautmont et Neuf Mesnil, comme l’établit avec toute probabilité l’illustre historien de César, mais ni Hautmont ni Neuf Mesnil n’existaient alors, et l’on se battit à la lisière d’une immense forêt, où, selon toute apparence, pas un Romain n’avait encore pénétré. Si Napoléon Ier avait eu à sa disposition l’ouvrage que nous avons sous les yeux, s’il avait pu consulter les plans détaillés qui l’accompagnent, s’il en avait pu lire les notes instructives, résumé de tant d’études approfondies, il aurait suivi, campagne par campagne, la marche des armées gauloises et romaines, aussi facilement qu’il voyait sur ses cartes d’Allemagne les mouvements de Frédéric II et du maréchal Daun. On a beau avoir lu et relu les récits de César, on aura un nouveau plaisir à les trouver rajeunis en quelque sorte, et complétés par des explications dignes des méditations du politique, du militaire et de l’érudit.

Le charme particulier qu’offre la lecture des Commentaires a empêché les contemporains de César de traiter les mêmes sujets. Ils sont, dit Cicéron, droits et élégants dans leur nudité dépourvue de toute parure d’emprunt[20]. De là vient que, de son temps, personne n’a osé les retoucher, et, plus tard, on n’a fait que les copier ou les traduire. Nous sommes donc, nous autres modernes, privés des moyens ordinaires de la critique pour vérifier ses relations. Nul témoignage écrit ne nous est resté, qui puisse être comparé au sien. Mais, à défaut des livres que nous n’avons pas, le nouvel historien de César s’est appliqué à rechercher sur le terrain toutes les traces matérielles que le temps pouvait avoir conservées. Au premier abord on est porté à augurer mal d’une semblable étude, et à n’en attendre que des résultats nuls ou insignifiants. Comment, après vingt siècles, retrouver l’emplacement d’un camp, lorsque les fondations de tant d’immenses édifices ont disparu ? Ceux qui ont cherché en vain, à Lyon, les vestiges du grand temple d’Auguste, ceux qui, à Rome, n’ont trouvé, à la place de monuments magnifiques, que des ruines inintelligibles, n’espéreront pas sans doute qu’une terre continuellement labourée conserve le tracé d’une fortification de campagne. L’historien de César a deviné, et l’expérience a prouvé pourtant, qu’un camp romain, c’est-à-dire une enceinte formée par un fossé et un parapet, laisse des marques plus certaines et plus durables qu’une muraille bâtie à chaux et ciment. Partout, le grand destructeur, c’est l’homme. Il abat un palais pour bâtir une chaumière avec les matériaux. Il n’y a pas, dans le midi de la France, d’édifice antique qui ne montre les longs efforts des barbares pour arracher les crampons de métal destinés à relier les pierres entre elles. Nous accusons les barbares, mais ils ont fait moins de mal que les agents de la civilisation, qui détruisent avec suite et méthode. Combien de monuments romains ont servi de carrière à nos ingénieurs ! Qui retrouvera dans les bastions modernes de Narbonne les édifices antiques qui en ont fourni, les pierres ! Qui reconstruira tant de dolmens convertis en macadam ? Dans une fortification de campagne il n’y a rien de bon à prendre, le temps est le seul ennemi qu’elle ait à craindre, et, d’ordinaire, il ne parvient qu’à en changer l’apparence. Il la recouvre d’une sorte de déguisement qu’on apprend bientôt à deviner. Il est fort rare qu’un camp romain ne conserve pas un relief que sa régularité révèle, malgré les moissons ou les bois qui le recouvrent. Qu’on essaye de fouiller le terrain, aussitôt on retrouve le travail des légions. Si on ouvre une tranchée perpendiculaire à la ligne de fortification, quand bien même le parapet aurait été nivelé, le fossé sera toujours reconnaissable. Il est comblé de terre, bien entendu ; le parapet éboulé l’a rempli ; les pluies y ont entraîné maint dépôt successif ; mais ces terres et ces dépôts se distinguent à première vue du sol primitif, par leur couleur et leur stratification. Il suffit de les enlever pour mettre à nu les talus du fossé, si nettement dessinés, qu’on mesure avec la dernière exactitude l’angle sous lequel le prœfectus fabrum les a fait creuser.

C’est ainsi que, grâce aux explorations ordonnées et dirigées par l’Empereur, on a retrouvé quelques-uns des plus grands travaux de César. On peut voir aujourd’hui, autour d’Alise-Sainte-Reine, ses lignes de circonvallation et contrevallation, tandis qu’il ne reste plus vestige des remparts de pierre que Vercingétorix a défendus[21]. Des recherches du même genre. ont fixé d’une manière définitive l’emplacement de la ville d’Uxellodunum au Puy-d’Issolu, département du Lot. On sait que la circonstance la plus remarquable de ce siège et qui détermina la prise de la place, fut une mine conduite par les Romains de manière à détourner la source qui servait à la garnison. La galerie de mine a été découverte, .l’année dernière, conservant encore, à l’état de pétrification, les madriers de bois qui ont servi à la blinder, De pareils témoignages, on en conviendra, valent bien les récits de quelque rhéteur grec ou romain qui n’a jamais mis le pied dans la Gaule. Nous n’avons cité que les découvertes les plus remarquables et qui terminent une longue polémique dans laquelle maint érudit a commenté et tourmenté les Commentaires de César, tandis que la pioche des terrassiers allait résoudre la question. L’honneur d’avoir été saccagée par César est le noble sujet et l’ambition de plusieurs villes. Il s’en est trouvé trois qui prétendent à être l’Alésia de Vercingétorix, et au moins autant pour Uxellodunum. Il est vrai qu’on en compte neuf qui se sont disputé la gloire d’avoir vu naître Homère ; c’était dans le temps qu’on croyait encore à Homère.

César raconte plusieurs sièges mémorables et toujours avec des détails plus circonstanciés qu’il ne fait pour des batailles décisives. Il est évident qu’il compte parmi les opérations militaires les plus considérables, exécutées par ses ordres, le siège d’Avaricum, celui de l’oppidum des Aduatuques, enfin celui d’Alésia. Nous ne parlons pas du plus difficile de tous, peut-être, celui de Marseille, où l’art grec et l’art romain se trouvèrent aux prises. On remarquera encore avec quel soin, nous dirions presque avec quelle complaisance, il décrit les travaux pour la construction d’un pont sur le Rhin. Il semblerait que ce fût non pas un fleuve, mais un peuple qu’il eût dompté. N’est-il pas extraordinaire qu’il ne cite jamais ses officiers du génie, pour emprunter ce mot à la langue militaire de nos jours ? Il avait pourtant un général du génie, un prœfectus fabrum, et un homme habile dans son art. On connaît son nom, ou plutôt son surnom, mais ce n’est pas César qui nous l’apprend.

C’était ce Mamurra dont Catulle a dit :

Quis hac potest videre ? Quis potest pati,

Nisi impudicus et vorax et helluo,

Mamurram habere quod Comata Gallia.

Habebat unctum, et ultima Britannia ? [22]

Après Catulle, vient Pline, qui rapporte que Mamurra fut le premier des Romains qui s’avisa de bâtir une maison avec des colonnes et des revêtements en marbres précieux[23]. Ses richesses, il les devait à la libéralité, peut-être à l’indulgence de César. Il lui avait donc rendu des services signalés. L’empereur Napoléon Ier, avec sa sagacité ordinaire, fait la remarque suivante sur les travaux exécutés devant Alésia. César, dit-il, entassa dans ses lignes toute espèce d’ouvrages, des trous de loups, des abatis de bois, auxquels les soldats donnèrent des noms divers. Il paraîtrait donc que ces ouvrages étaient nouveaux pour eux[24]. A qui, demanderons-nous, doit revenir le mérite de l’invention ? Pendant le siège de Marseille, une tour fut élevée pour dominer le rempart et protéger les approches de l’assiégeant. La construction de cette tour est minutieusement décrite, mais de l’ingénieur pas un mot. Bien plus, d’après le texte de César, on pourrait conclure que les soldats travaillaient sans guide et comme d’instinct, ce qui assurément en inadmissible. Les légionnaires, écrit César, s’aperçurent qu’une tour leur serait fort utile pour résiner aux sorties de l’assiégé. D’abord ils la firent petite ; puis l’expérience, à qui tous les arts doivent leurs progrès, leur apprit qu’il fallait l’élever davantage[25]. Le moyen de croire que de pareils travaux, que des dispositions si ingénieuses ne fussent pas dirigés par un officier habile et expérimenté ? On remarquera que César se plaît à louer ses lieutenants toutes les fois que l’occasion se présente. Il parle dans les termes les plus honorables de P. Sylla, de Trebonius, de D. Brutus, de Labienus même, qui plus tard devint son ennemi acharné. Sur sa parole, on en tenté de prendre Q. Cicéron, le frère de l’orateur, pour un grand général[26]. D’un autre côté, on ne saurait supposer que César ne reconnût de mérite militaire qu’à ceux qui combattaient de la main. Pareille erreur se comprend chez un écrivain du moyen âge, chez Froissart par exemple, ce grand admirateur de beaux coups de lance, qui n’a pas un éloge pour les manœuvres de Du Guesclin, lorsqu’il détruisit une armée anglaise sans avoir livré un seul combat. César connaissait la guerre, et il a dit : Non minus est imperatoris consilio superare, quam gladio[27]. Nous ne pouvons nous empêcher de soupçonner que, dans le silence de César au sujet de Mamurra, il y a une sorte de condamnation, et qu’après l’avoir payé de ses services avec une largesse inouïe, après avoir peut-être toléré ses rapines pour mettre à profit ses talents d’ingénieur, il l’a puni en lui refusant sa part de gloire, la seule récompense dont César ne fut jamais prodigue.

En racontant les derniers efforts de la Gaule pour défendre son indépendance devant Alise et Uxellodunum, l’auteur de la Vie de César laisse voir plus d’une fois cette partialité patriotique, cette sympathie si naturelle, qu’après tant de siècles un Français ne peut refuser aux Gaulois ; mais le jugement de l’historien sur cette lutte suprême est tiré de considérations de l’ordre le plus élevé : Tout en honorant la mémoire de Vercingétorix, dit-il, il ne nous est pas permis de déplorer sa défaite. Admirons l’ardent et sincère amour de ce chef gaulois pour l’indépendance de son pays, mais n’oublions pas que c’est au triomphe des armées romaines qu’est due notre civilisation. Institutions, mœurs, langage, tout nous est venu de la conquête. Aussi sommes-nous bien plus les fils des vainqueurs que ceux des vaincus ; car, pendant de longues années, les premiers ont été nos maîtres pour tout ce qui élève l’âme et embellit la vie, et, lorsque enfin l’invasion des barbares vint renverser l’ancien édifice romain, elle ne put pas en détruire les bases. Ces hordes sauvages ne firent que ravager le territoire, sans pouvoir anéantir les principes de droit, de justice, de liberté, qui, profondément enracinés, survécurent par leur propre vitalité, comme ces moissons qui, courbées momentanément sous les pas des soldats, se relèvent bientôt d’elles-mêmes et reprennent une nouvelle vie. Sur ce terrain ainsi préparé par la civilisation romaine, l’idée chrétienne put facilement s’implanter et régénérer le monde[28].

La conquête des Gaules avec ses travaux et ses dangers de tous les jours, les soins d’une immense administration civile et militaire, ne suffisaient pas au génie de César. Au milieu de ses campagnes les plus difficiles, sur les champs de bataille même, il suivait la lutte des partis à Rome et il ne cessait de diriger ses amis, de maintenir ses alliances, de les fortifier et de les étendre. Son nom, sa pensée, intervenaient dans tous les débats de la curie et du forum, et il y semblait toujours présent et pour ses partisans et pour ses adversaires. Il ne négligeait aucun moyen pour s’attacher les hommes influents de son époque. Tout occupé des préparatifs de son expédition en Bretagne, il trouvait le temps de lire un poème de Cicéron et de lui adresser des compliments et des observations bienveillantes, car il avait reconnu que, pour avoir l’appui du grand orateur, il fallait admirer sa prose et même ses vers[29].

Cette prodigieuse activité de César subjuguant et civilisant les Gaulois, tandis qu’il prenait une part si considérable à tous les événements qui avaient lieu à Rome, rend la tâche de l’historien difficile. Mêler les guerres contre les barbares avec les intrigues du sénat et les débats de la place publique, c’est ôter au récit de la conquête des Gaules et son unité et une partie de son intérêt; c’est amoindrir le mérite du général, que de raconter ses opérations militaires par lambeaux, au lieu d’en marquer l’enchaînement et la savante conduite. Mais, d’un autre côté, n’est-il pas nécessaire de mettre sous les yeux du lecteur ce contraste si remarquable entre le génie de César se développant et grandissant au milieu des obstacles, tandis que l’oligarchie restaurée par Sylla précipite, par ses divisions et ses fautes, la ruine de la République ? N’est-il pas aussi curieux qu’instructif de comparer l’indolence de Pompée, si longe temps gâté par la fortune, maintenant endormi au milieu de ses flatteurs, avec ce prodige d’épouvantable vigilance, de vitesse, d’activité, qui bientôt laissera la Gaule conquise, pour voler en Italie[30] ? A chaque victoire de César correspond une émeute dans les rues de Rome, ou une crise politique provoquée par de mesquins intérêts; et, tandis qu’il arrête l’inondation des barbares qui menacent l’Occident, d’autres barbares, mais enfants de Rome, ont fait de la capitale du monde une sentine de crimes et de désordres. Le coup d’oeil qui embrasse ainsi la Gaule et l’Italie a vu la lutte fatale se préparer. Déjà on en devine l’issue.

Ainsi, dans ce vaste sujet, le double besoin de distinguer et de rapprocher des choses de nature si différente constitue une sorte de problème littéraire dont la solution paraîtra fort embarrassante à tous ceux qui comprennent l’importance de la composition dans un ouvrage historique. Cette difficulté a été heureusement surmontée par l’auteur de la Vie de César, et tous les lecteurs lui sauront gré, sans doute, du plan très simple, mais très habile, qu’il a suivi. La première partie et la plus considérable du volume est exclusivement consacrée aux guerres des Gaules. C’est un récit suivi tiré des Commentaires, car, ainsi que nous le disions tout à l’heure, nous n’avons pas d’autre guide, mais un récit divisé avec méthode, et accompagné d’explications savantes et substantielles, où les résultats de nombreuses recherches sont présentés avec une concision digne de César. La dernière partie du volume contient le résumé rapide de chaque campagne et des événements qui se passent en même temps à Rome et dans le monde romain, depuis l’an 696 jusqu’en 705, au moment où la guerre civile va éclater. La situation de la République est peinte à grands traits, mais avec précision avec exactitude.

Dix ans de travaux et de gloire ont fait de César l’homme nécessaire. Eloigné des tristes intrigues où s’agitent les continuateurs de l’œuvre ruineuse de Sylla, il est le seul qui ne soit pas usé, le seul qui tienne toujours le même drapeau, le seul qui ait le peuple derrière lui. Cependant le sénat est plus divisé que jamais ; la plupart de ses membres, ne songeant qu’à leur fortune privée, briguent des honneurs et des provinces à piller ; ils s’allient, s’abandonnent, se trahissent sans pudeur. Tout est à vendre, les consulats comme les arrêts judiciaires. Quelques hypocrites parlent encore des lois, mais personne ne se fait scrupule de les éluder ou de les enfreindre ouvertement. A tous les excès d’une corruption déplorable se joignent les violences. Il n’y a plus d’élection qui ne donne lieu à une émeute, et qui ne soit accompagnée d’incendies et d’assassinats. Jadis, plus d’une fois le sang coula sur la place publique, mais c’était dans la lutte passionnée des deux grands partis ou des deux grandes causes qui se partageaient la nation. Aujourd’hui les citoyens ne se battent guère. Le combat est entre des esclaves, des gladiateurs payés pour le jour des comices ; le cri de guerre est le nom d’un homme ; autrefois c’était un intérêt public. Il ne s’agit plus de l’autorité du sénat ni des franchises des tribuns. Qui l’emportera dans les comices, Clodius ou Milon ? On ne sait des deux qui est le plus mauvais citoyen ; on se demande qui a le plus de gladiateurs, et qui les paye le mieux.

Un pareil état de choses ne pouvait pas durer. Sylla avait voulu ramener le peuple romain aux institutions du IVe siècle de la République, et, après avoir impitoyablement abattu tous ses contradicteurs, après avoir massacré des peuples entiers, il avait abandonné sa tâche avec dégoût. Ce que Sylla n’avait pu faire, qui aurait osé l’entreprendre ? Tout le monde sentait la nécessité d’un grand changement dans les institutions, mais le sénat et les classes élevées étaient trop intéressés aux abus pour les réformer, le peuple trop dégradé et trop abruti, peut-être, pour demander autre chose que du pain et des spectacles. Rome absorbait les richesses des provinces au profit d’une caste privilégiée et ne leur donnait en échange ni les bienfaits d’une civilisation supérieure, ni un gouvernement juste et régulier, ni même la sécurité matérielle.

Toutes armes sont bonnes à la haine, et il n’y a sorte d’imputation qui n’ait été inventée contre César pour avoir mis fin à l’anarchie. On a prétendu qu’il était allé en Gaule pour s’y enrichir par le pillage d’une province encore vierge de l’avarice romaine. Suétone dit qu’il ne descendit en Angleterre que pour y chercher des perles[31]. Il fait du proconsul une manière de chevalier errant qui parcourt le monde, l’épée au poing, pour rapporter des cadeaux et des curiosités à sa dame. Suétone aurait pu ajouter que César avait passé le Rhin pour procurer à la toilette de Servilie les blondes nattes des Germaines. L’auteur de la Vie de César a fait justice des calomnies inventées par les vaincus de Pharsale. Il établit, et, selon nous, en toute vérité, qu’en partant pour les Gaules, et pendant tout le cours de ses campagnes, César ne songeait nullement à se préparer à la guerre civile, et même qu’il fut longtemps à s’y résoudre. Déjà, dans un précédent article, nous nous sommes élevés contre cette singulière erreur des écrivains qui, jugeant toutes les actions des grands hommes par les résultats, leur attribuent le don de prescience. Celui qui a la conscience de ses forces et de son génie se préoccupe en général beaucoup plus de tirer parti du présent que de prendre des dispositions pour un avenir éloigné ou incertain. Tel fut sans doute César, si prompt à saisir toute occasion offerte par la fortune. La province des Gaules lui fut conférée comme un poste périlleux, au moment où une formidable invasion des Helvètes insultait les frontières de l’Italie. En outre, pour César, une guerre contre les Gaulois avait quelque chose d’un devoir traditionnel de famille. Dans la maison de son oncle C. Marius[32], où il fut élevé, César dut contempler bien souvent des trophées d’armes étranges, suspendus dans le vestibule selon l’usage du temps[33]. Les premiers récits de guerre qu’il entendit des vétérans de son oncle furent les sanglantes batailles d’Aquœ Sextiœ et de Vercellœ, où Marius avait défait les Cimbres, que tous les Romains confondaient alors avec les Gaulois. Marius seul avait pu repousser ces barbares si redoutables, toujours prêts à descendre des Alpes et à dévaster l’Italie. Pour le neveu de Marius, les Gaulois furent ce que les Romains avaient été pour le jeune Hannibal, l’objet de ses rêveries de haine, de gloire et d’ambition.

On peut remarquer dans les Commentaires une trace curieuse de ce sentiment. César, qui parle si rarement de ses propres impressions, ne peut taire un mouvement de joie lorsqu’il raconte que les premiers barbares qu’il défit furent les Tigurins, peuplade qui jadis avait détruit une armée romaine et tué l’arrière-grand-père de sa femme Calpurnia, L. Calpurnius Pison. Ainsi, dit-il, César vengea non seulement les injures de la République, mais encore ses injures privées[34]. Il entra dans la Gaule avec l’idée qu’il succédait à Marius dans la mission de défendre les frontières romaines, comme il lui avait succédé dans la dire&ion du parti populaire. Il espérait faire mieux encore, et, au lieu de repousser les barbares, il voulait les accabler dans leur propre pays. Une nouvelle carrière s’ouvrait devant lui, pleine de péril et d’aventure. De quelle ardeur devait s’y élancer celui qui pleurait naguère devant la statue d’Alexandre ! Y avait-il place alors dans son esprit pour la pensée de former une armée en Gaule, avec laquelle il reviendrait dicter des lois à Rome, comme :avait fait Sylla, ce champion de l’aristocratie, qu’il détenait et qu’il n’eût jamais voulu prendre pour modèle[35] ?

Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, qu’en partant pour sa province, où il ne s’attendait à rester que cinq ans, César laissait à Rome des amis et des alliés puissants, sur lesquels il avait le droit de compter, car leurs intérêts étaient intimement liés avec les siens. Il avait enlevé Pompée aux optimates du sénat, il venait de lui donner sa fille. La plupart des tribuns du peuple étaient à sa dévotion. Grâce à sa liaison avec Pompée et Crassus, il avait dans le sénat même une majorité considérable. Il pouvait donc, et il devait emporter l’espoir qu’à son retour il retrouverait ses amis aussi attachés qu’auparavant à la cause commune, et il se flattait d’y ajouter un appui nouveau par la gloire qu’il allait acquérir. Tout porte à croire que ses vues ne s’élevaient qu’à faire prévaloir, comme consul, les principes qu’il avait constamment professés depuis son entrée dans la vie politique. Les grandes âmes, à l’instinct qui les pousse aux grandes actions, mêlent toujours ce sentiment profond qu’elles développent leur force, accroissent leur puissance, et préparent, par là même, le triomphe des causés qu’elles représentent.

Tels étaient, nous le pensons, les projets et les espérances de César, et longtemps toute son énergie tendit à les réaliser. Mais, en même temps, il est impossible que le grand pouvoir d’une armée permanente entre les mains d’un général heureux et aimé n’eût pas frappé un esprit comme le sien. Il se rappelait l’inutilité des efforts tentés par tous les réformateurs qui n’avaient eu d’autre moyen de succès que leur éloquence et la faveur du peuple. Les Gracques, M. Livius Drusus, et bien d’autres, avaient succombé à la peine avant d’avoir accompli leur tâche. Au contraire, Sylla, qui avait dominé tous les partis et constitué l’ordre de choses qui durait encore, Sylla s’était élevé au pouvoir par le prestige de ses victoires et l’avait conservé, grâce à l’appui d’une armée dévouée. Si Pompée, bien inférieur à Sylla, exerçait une autorité incontestée, il la devait sans doute, d’abord à ses succès militaires, puis à cette réunion d’heureux hasards qui lui avait donné, même en pleine paix, le commandement de nombreuses légions. Cette seule considération devait obliger César à rechercher la gloire des armes. A cette époque, il n’y avait pas un homme politique qui ne fît les mêmes réflexions, et, lorsqu’on voit le vieux Crassus solliciter la province de Syrie pour faire la guerre aux Parthes, il faut l’attribuer, non pas à son avarice, comme ont fait la plupart des écrivains, mais au soin de son intérêt politique, ou, si l’on veut, à son ambition. Pour conserver son influence à Rome et pour n’être pas effacé par des associés tels que Pompée et César, il sentait le besoin d’avoir une armée. Telle était, en effet, la situation de la. République, qu’il n’y avait de sécurité que pour qui se faisait craindre.

Les négociations qui précédèrent le passage du Rubicon sont assez mal connues, et on a longtemps disputé sur le point de savoir si César avait le droit de conserver le commandement de sa province et de son armée au commencement de l’année 705. Cicéron trouvait la question obscure[36]. Peut-on espérer aujourd’hui d’y porter une lumière nouvelle ? Après avoir exposé de la manière la plus claire et la plus impartiale toutes les pièces du procès, l’auteur de l’Histoire de César conclut que c’était un de ces cas où la légalité tue, et qu’en obéissant au sénat César se perdait et perdait la République avec lui. C’est, à notre avis, l’opinion la plus probable.

Il fut nommé consul pour l’année 695. Aux termes de la loi Sempronia [de C. Gracchus], dont nous reconnaissons le texte qu’imparfaitement, le sénat devait attribuer une province à chaque consul élu ; celui-ci pouvait s’y rendre et en prendre le commandement, soit pendant son consulat, soit après l’expiration de son année de magistrature. Or le sénat, qui avait vu avec grand dépit l’élection de César, s’en était vengé d’une manière peu digne d’une pareille assemblée. Il lui avait conféré l’inspection des voies publiques. Pour les Romains, cette charge était une province, mais il ne peut être douteux pour personne que tel n’était pas l’esprit de la loi Sempronia.

Un corps politique qui se permet de semblables taquineries y perd toujours beaucoup de sa dignité et de son pouvoir. En effet, un tribun du peuple fit rendre un plébiscite qui donna à César le gouvernement de la Cisalpine pour cinq ans, puis, bientôt après, le sénat, soit par crainte, soit par un de ces changements de majorité qu’explique la division des partis, ajouta à cette province la Gaule transalpine pour le même nombre d’années. En 698, sous le consulat de Pompée et de Crassus, la loi Trebonia prorogea pour cinq années nouvelles le gouvernement de César. Voilà les points fondamentaux de la discussion.

Plusieurs questions se présentent : il s’agit de savoir si ce gouvernement devait compter à partir du jour de la promulgation du plébiscite, ou bien à partir du commencement de l’année 695, époque du consulat de César, ou à partir de l’expiration de sa magistrature ou enfin à partir de la promulgation de la loi Trebonia. Nous ne connaissons ni la date précise ,du plébiscite, ni celle de la loi Trebonia, et l’on ne peut faire sur leur teneur que des conjectures fort hasardées, qui d’ailleurs ne pourraient ajouter que quelques mois, mais non pas une année, au gouvernement de César. Mais, comme le remarque fort judicieusement son nouvel historien, César aurait pu quitter Rome et prendre possession de sa province en qualité de consul, avant l’expiration de sa charge. Ainsi fit Crassus, qui partit pour sa malheureuse expédition avant la fin de son consulat. On en conclura naturellement que les adversaires de César avaient, en leur faveur, au moins l’usage, lorsqu’ils soutenaient que sa magistrature finissait légalement avec l’année 704. On remarquera encore que le continuateur des Commentaires, césarien déclaré, rapporte qu’on craignait quelque mouvement dans les Gaules au commencement de l’année 705, parce que la province allait perdre son redouté proconsul[37]. D’un autre côté, selon une loi de Sylla, d’ailleurs assez mal observée, nul n’était admis à briguer un nouveau consulat qu’après un intervalle de dix ans; voilà pourquoi César, qui ne pouvait être élu que pour l’année lob, devait se présenter aux comices en 705. Mais un plébiscite, rendu sur la proposition des dix tribuns du peuple et de Pompée lui-même, avait autorisé César à briguer un second consulat, quoique absent, et par dérogation spéciale aux règlements sur la candidature. Or le but de cette disposition ne saurait être méconnu, et il est évident qu’on voulait lui conserver sa province et son armée, car le seul prétexte pour ne pas exiger sa présence au moment des comices était que le service de la République le retenait loin de Rome. Au moment où cette loi fut adoptée, la concorde régnait encore entre les triumvirs. Peut-être donnait-on alors à la loi Trebonia une interprétation favorable aux prétentions de César, ou peut-être même avait-on laissé à dessein quelque obscurité dans sa rédaction. Plus tard, Pompée, déjà circonvenu par les ennemis de César, ayant fait adopter une loi sur les charges publiques (de jure magistratuum), qui rendait obligatoire pour les candidats leur présence à Rome, fut contraint de céder aux réclamations des tribuns, et confirma 1-exception déjà faite en faveur de César. Il l’inscrivit dans sa loi, mais un peu tardivement, comme il semble, et certainement d’une manière insolite, qui, dans nos idées modernes, serait complètement illégale, car il ajouta cette clause après que la loi avait été déjà gravée sur une table d’airain et déposée dans l’ærarium ou les archives de l’État[38]. Ce qu’il est important de noter, c’est que ces lois, ou obscures ou contradictoires, allaient être interprétées, en 704, dans un esprit absolument opposé à celui qui les avait dictées, car maintenant la rupture était complète entre César et Pompée ; les consuls étaient des ennemis déclarés du premier, et la majorité du sénat semblait disposée à suivre toutes leurs inspirations.

Examinons maintenant quelle était la situation de César revenant à Rome après avoir remis sa province et ses légions au successeur qu’on voulait lui donner. Il pouvait obtenir le triomphe, et probablement on n’eût pas osé le lui refuser, mais, en descendant du Capitole, les accusations allaient pleuvoir contre lui. Un grand nombre de personnages éminents les avaient préparées de longue main. Il y avait plusieurs années que Caton avait proposé de le livrer aux Germains. L’expédition d’Angleterre, le passage du Rhin, la plupart des conquêtes de César, fournissaient un prétexte à lui intenter un procès pour crime de lèse-majesté. En effet, la loi Cornélia De majestate (de Sylla) qualifiait de crime de lèse-majesté et punissait de mort toute expédition entreprise par un proconsul hors de sa province, tout traité fait par lui avec des rois ou des peuples étrangers, toute guerre non autorisée par le sénat. Gabinius venait d’être poursuivi pour un fait semblable[39], et bien que les actions de grâces décrétées à l’occasion des victoires de César pussent être alléguées comme preuve de l’approbation donnée à sa conduite, elles ne pouvaient pourtant empêcher les effets d’un procès politique intenté par ses adversaires. On sait quelle était alors la corruption des juges; le parti aristocratique leur aurait payé la tête de César au prix qu’ils auraient fixé. Mais ce n’eût peut-être pas ainsi qu’on eût procédé. Cicéron avait donné un exemple terrible, en faisant exécuter, malgré l’appel au peuple, la sentence capitale rendue dans la curie contre les complices de Catilina. Le crime de Lentulus et de ses coaccusés était précisément celui qu’on pouvait imputer au proconsul des Gaules : le crime d’avoir traité avec des nations étrangères. Qu’un sénatus-consulte déclarât la patrie en danger, un consul audacieux pouvait arrêter César et le juger séance tenante, exécuter aussitôt le décret, puis paraître devant le peuple terrifié, et dire : Il a vécu ! Toutes les manœuvres, toutes les violences que la haine suggérait étaient à craindre, et malgré ses habitudes de prudence et son irrésolution, le sénat, dans un moment d’entraînement et de confiance, pouvait, grâce à l’appui des légions de Pompée, avoir l’audace de tenter un coup d’État.

Au contraire, si César conservait sa province et son armée jusqu’au commencement de l’année 706, où il devait prendre possession du consulat, il demeurait protégé contre toute accusation par sa qualité de magistrat en exercice, et jouissait d’une inviolabilité légale, jusqu’à la fin de sa charge, c’est-à-dire jusqu’en 707. Au premier jour de cette année expirait aussi l’immense pouvoir de Pompée. Les deux rivaux rentraient à la fois dans la vie privée ; leurs querelles ne seraient plus soutenues par des légions. César réclamait donc pour lui-même l’exécution du plébiscite qui l’autorisait à garder sa province et à briguer le consulat sans venir à Rome, et, avec quelque apparence d’équité, il alléguait qu’après neuf ans de rudes travaux et de victoires il avait droit à n’être pas plus mal traité que Pompée, avec lequel, jusqu’alors, il avait partagé la faveur du .peuple romain. Dans son allocution aux soldats de la 13e légion, qui fut comme son manifeste, il se plaint qu’on n’ait point d’égard pour sa dignité[40]. Ce mot dignitas, un peu vague en latin comme en français, devint, par cela même, comme le cri de guerre de ses partisans, si bien qu’un de ses vieux centurions, qui menait à la charge la 10e légion, à la bataille de Pharsale, disait à ses camarades : En avant pour la dignité de notre général ![41] Ce que César voulait, c’est que l’équilibre fût maintenu entre les partis, qu’il obtînt pour lui-même un traitement égal à celui qu’on faisait à Pompée.

Sans doute, si l’on se reporte aux beaux temps des Camille. et des Cincinnatus, on s’indignera de voir un citoyen faire ses conditions au gouvernement de son pays et marchander en’ quelque sorte sa soumission aux lois ; mais il faut se souvenir qu’on est au VIIIe siècle de Rome, et se représenter l’épouvantable anarchie qui régnait depuis dix ans. Après avoir longtemps hésité entre toutes les factions, le sénat venait de se jeter dans les bras du parti aristocratique. Il accordait à Pompée beaucoup plus que ne permettaient les lois, dont il ne se montrait gardien jaloux que contre César. Il conservait à Pompée sa province d’Espagne sans qu’une guerre ou qu’un danger pressant servît de prétexte à cette dérogation aux lois et aux coutumes. Non seulement il lui maintenait l’imperium et une armée plus nombreuse que celle de César, mais encore il l’avait autorisé à demeurer en Italie et à gouverner les Espagnes par ses lieutenants. Pompée représentait en réalité le pouvoir exécutif, et les consuls n’avaient que l’autorité qu’il voulait bien leur laisser. Par déférence pour le texte d’une vieille loi, il ne franchissait pas l’enceinte du Pomœrium, mais le sénat sortait de la ville pour aller tenir séance au faubourg où était son quartier et conférer avec lui sur toutes les affaires publiques. En Italie, et aux portes mêmes de Rome, Pompée retenait les deux légions qu’on avait enlevées à César, sous prétexte de les envoyer contre les Parthes. En un mot, il exerçait de fait la dictature, et remarquons en passant que ces sénateurs si entichés des privilèges et de l’orgueil de leur ordre ne trouvaient dans Pompée ni cette bienveillance, ni cette politesse, ni ces ménagements que tout le monde s’accordait à louer dans César.

Il faut bien le reconnaître, au point où les choses en étaient venues, Rome n’avait que le choix entre deux maîtres. L’un avait de grands desseins, une ambition élevée, qui confondait la gloire de son pays avec la sienne propre, une capacité militaire et administrative prouvée par dix ans de succès éclatants, une générosité sans borne, une aversion encore plus d’instinct que de calcul pour la violence et la cruauté. Dans l’autre, on était choqué d’abord par une vanité insatiable, pour laquelle il fallait inventer tous les jours de nouveaux hommages et de nouvelles complaisances. Sans système politique et sans conviions, il s’était jeté dans tous les partis et les avait bientôt abandonnés, après s’en être servi pour ses intérêts particuliers. Sa réputation militaire était plus brillante que solide, son commandement, impérieux jusqu’à la dureté. Enfin un passé odieux et son apprentissage à l’école de Sylla faisaient pressentir qu’il pourrait être aussi cruel que son maître. Entre ces deux hommes le sénat choisit celui dont il attendait le maintient de tous les abus.

Il nous paraît constant que César se flatta plus longtemps que personne d’arriver à son but sans allumer la guerre civile. On dit qu’il avait acheté Curion, et les historiens, qui savent tous les secrets, ont dit combien de millions de sesterces. Curion, très décrié pour ses mœurs[42], mais homme d’esprit et bon orateur, ouvrit alors le seul avis qui, au jugement de tous les hommes impartiaux, pouvait conjurer la tempête. Il demandait, avec l’assentiment de César, dont il était devenu la créature, que les deux rivaux licenciassent leurs armées le même jour et redevinssent à la fois simples citoyens. Pompée, à qui on attribue fort gratuitement les sentiments du patriotisme le plus pur, avait alors une belle occasion d’en faire preuve. Accueillie d’abord avec faveur par les esprits modérés de tous les partis, cette proposition fut écartée par l’obstination de Pompée, le mauvais vouloir des consuls et la vanité du sénat, qui ne voyait dans les ménagements de César qu’une marque de faiblesse. La majorité décréta de fureur la déposition de César, sans tenir compte de l’intercession de plusieurs tribuns. Cette décision du sénat décida l’explosion de la guerre civile. Il est certain que, même à cette époque, aux derniers jours de l’année 704, César n’y était nullement préparé. Ses troupes étaient encore dans leurs cantonnements, au nord et dans le centre de la Gaule. En deçà des Alpes, il n’avait qu’une seule légion. Sa caisse militaire était vide, et, loin de pouvoir corrompre ses officiers et ses soldats, il était réduit à leur emprunter leur argent. Il passa le Rubicon avec environ 5.000 hommes, mais partout le peuple se prononça pour lui. Une promenade militaire le rendit maître de toute l’Italie[43]. Les villes lui ouvraient leurs portes, et les soldats levés pour lui faire la guerre accouraient se ranger sous ses drapeaux.

Même après le passage du Rubicon, César croyait encore possible une réconciliation avec Pompée, et il fit les plus grands efforts pour qu’il consentît à une entrevue, mais Pompée s’y refusa obstinément, ayant conscience de la supériorité de son rival. En effet, il avait toujours cédé à l’ascendant de César, et il le craignait autant dans son cabinet que sur un champ de bataille. Il était revenu d’Asie fort irrité contre César, qu’il accusait, non sans raison comme il semble, d’avoir séduit sa femme Mucia. Alors il ne l’appelait qu’Egisthe, car il aimait à se comparer lui-même au roi des rois, Agamemnon[44]. Peu de jours après son retour à Rome, il était intime avec César, et, à la prière de ce dernier, il se réconciliait avec Crassus, qu’il détestait. Les deux lieutenants de Sylla changeaient de politique et n’agissaient plus que sous l’inspiration du neveu de Marius. Il est probable que, même en 705, Pompée aurait pu être encore entraîné. César n’en doutait pas, et sa confiance en cette espèce de fascination qu’il exerçait explique les concessions qu’il était prêt à faire, lorsque la fortune se déclarait ouvertement pour lui.

Il y a des moments où les âmes les plus fortes et les plus habituées à cacher leurs sentiments les trahissent sous l’empire d’une grande émotion. Après la journée de Pharsale, César, qui avait vu tant de champs de bataille, ne put contempler sans horreur la terre couverte de cadavres romains, et un de ses lieutenants, Asinius Pollion, l’entendit s’écrier : Ils l’ont voulu ! Ils m’ont réduit à cette nécessité ! Moi, C. César, après toutes mes campagnes, si je m’étais éloigné de mon armée, ils me condamneraient ![45] Il y a dans ces mots un accent de vérité qu’il est impossible de méconnaître.

Nous ne saurions mieux terminer cet article qu’en citant les réflexions si remarquables que la conduite de César inspire à son historien.

César, qui si souvent avait affronté la mort sur les champs de bataille, ne devait-il pas aller l’affronter à Rome sous une autre forme, et renoncer à son commandement, plutôt que d’engager une lutte qui devait jeter la République dans tous les déchirements d’une guerre civile. Oui, si, par abnégation, il pouvait arracher Rome à l’anarchie, à la corruption, à la tyrannie. Non, si cette abnégation devait compromettre ce qui lui tenait le plus au cœur, la régénération de la République. César, comme tous les hommes de sa trempe, faisait peu de cas de la vie, et encore moins du pouvoir pour lui-même ; mais, chef du parti populaire, il sentait une grande cause se dresser derrière lui; elle le poussait en avant et l’obligeait à vaincre en dépit de la légalité, des imprécations de ses adversaires, et du jugement incertain de la postérité. La société romaine en dissolution demandait un maître ; l’Italie opprimée, un représentant de ses droits ; le monde courbé sous le joug un sauveur. Devait-il, désertant sa mission, tromper tant de légitimes espérances, tant de nobles aspirations ? Eh quoi ! César, redevable au peuple de toutes ses dignités et se renfermant dans son droit, se serait retiré devant Pompée, qui, devenu l’instrument docile d’une minorité factieuse du sénat, foulait aux pieds le droit et la justice ; devant Pompée, qui, de l’aveu même de Cicéron, aurait été, après sa victoire, un despote cruel, vindicatif, et eût laissé exploiter l’univers dans l’intérêt de quelques familles ; incapable d’ailleurs d’arrêter la décadence de la République et de fonder un ordre de choses assez solide pour retarder de plusieurs siècles l’invasion des barbares ! Il aurait reculé devant un parti qui lui faisait un crime de réparer les maux causés par les fureurs de Sylla et les rigueurs de Pompée, en rappelant les exilés ; de donner des droits aux peuples d’Italie ; de distribuer des terres aux pauvres et aux vétérans, et d’assurer par une administration équitable la prospérité des provinces ! C’eût été insensé. La question n’avait pas les proportions mesquines d’une querelle entre deux généraux se disputant le pouvoir : c’était la rencontre décisive entre deux causes ennemies, entre les privilégiés et le peuple ; c’était la continuation de la lutte formidable de Marius et de Sylla.

Il y a des circonstances impérieuses qui condamnent les hommes politiques soit à l’abnégation, soit à la persévérance. Tenir au pouvoir lorsqu’on ne saurait plus faire le bien, et que, représentant du passé, on ne compte, pour ainsi dire, de partisans que parmi ceux qui vivent des abus, c’est une obstination déplorable; l’abandonner lorsqu’on est le représentant d’une ère nouvelle et l’espoir d’un meilleur avenir, c’est une lâcheté et un crime.

 

Prosper Mérimée

 

 

 

 



[1] A. Filon, Mérimée, p. 101.

[2] P. 317.

[3] Revue de Paris, 15 mai 1898.

[4] Revue de Paris, 15 novembre 1895.

[5] Barbès.

[6] Une Correspondance inédite, p. 53.

[7] A. Filon, Mérimée et ses amis, éd. 1909, p. 254.

[8] Notons, en passant, qu'au moyen âge, ce mot, écrit tirant et tyrant, ayant peut-être une autre étymologie que turannos, avait le sens de persécuteur, bourreau, etc. Nous soupçonnons que l'idée moderne excitée par le mot tyran a été modifiée par la signification du moyen âge.

[9] CICÉRON, Ad. Atticus, passim.

[10] CICÉRON, Ad. Atticus, IV. (IV. 2).

[11] PLUTARQUE, Cato Majos, XXI.

Le même Caton vendait à vil prix ou chassait ses vieux esclaves, pour n'avoir pas à les nourrir, ce qui scandalisa à bon droit le bon Plutarque, qui, dit-il, se garderait de vendre un vieux boeuf, même inutile (Ibid. V).

[12] CICÉRON, Ad. Atticus, IX.

[13] IDEM, Ibid.

[14] Apuleius Saturninus, en 655. Les causes de cette sédition ne sort que très imparfaitement connues, mais le prétexte paraît avoir été une loi agraire rejetée par le Sénat.

[15] Marium quem vexe patrem patriæ, parentem, inquam, vestræ libertatis atque hujus-ce reipublicæ possumus dicere. (CICÉRON, Pro L. Rab, perd. reo, X, XXVII).

[16] Porcia lex libertatem civium lictori eripuit : Labienus, homo popularis, carnifici tradidit (CICÉRON, Pro C. Rab. IV, XII) Tu mihi étiam legis Pareiæ, tu C. Gracchi, tu horum libertatis, tu cujusquam denique hominis popularis mentionem facis, qui non modo suppliciis inusitatis, sed etiam verborum inaudita crudulitate violare libertatem hujus populi, tentare mansuetudinem, commutare, disciplinam conatus es. (CICÉRON, Pro C. Rab. IV, XIII)

[17] Præteræ si ulla res est, quæ bonorum animos vehementius possit incendere, hæc certe est, et eo magis quod portoriis Italiæ sublatis, agro Campano diviso, quod Vectigal super est domesticum præter vicesimam ? CICÉRON, Ad. Atticus, II (XV, I)

[18] PLUTARQUE, César, XXVI.

[19] Précis des guerres de César, p. 165.

[20] CICÉRON, Brutus, LXXIV.

[21] L'examen des nombreuses médailles trouvées dans ces fouilles suffirait seul pour établir l'identité d'Alise-Sainte-Reine avec Alésia. Toutes les médailles romaines sont des monnaies consulaires, toutes antérieures à l'année 702, date de la prise d'Alésia. La plus récente, apportée peut-être par une recrue est de l'année 700. Les médailles gauloises appartiennent à vingt-quatre peuples différents, et, sur quatre cent quatre-vingt-sept qu'on a recueillies, il y en a cent trois qui proviennent des Avernes. Plusieurs portent le nom et les types de Vercingétorix. Un autre chef arverne, Epasnactus, a fourni soixante et une médailles. On sait que cet Epasnactus, après avoir fait la guerre aux Romains, se soumit et fut nommé par César roi ou suprême magistrat de son pays. Les numismates distinguent deux types très reconnaissables parmi ses médailles, l'un antérieur, l'autre postérieur à sa soumission. Le premier est ainsi décrit : AR, tête tournée à droite. B, cavalier en costume gaulois au galop. EPAD.-Æ, tête tournée à droite. CICIIDVBRI. (Cicedubrigisfilius) B, même cavalier que sur la médaille précédente. IIPAD. (Epadnactus). — Voici maintenant le second type : AR et Æ, tête à droite, portant un casque à crinière à la romaine ; B, guerrier debout, tête nue, armé à la romaine, avec des cnémides et un bouclier rond, tenant de la main droite une enseigne romaine. Or, autour d'Alise, les soixante et une médailles d'Epasnactus appartiennent toutes au premier type.

Les ignorants demandent pourquoi, lorsqu'on regarde à ses pieds, on trouve tant de deniers romains, tant de monnaies antiques et si peu de pièces d'un franc et même de sous, Les érudits répondent que les anciens n'avaient pas de poches. Sans discuter ici cette grande question nous nous contenterons de rapporter un fait assez curieux ; c'est que plusieurs fois, autour d'Alise, on a trouvé de petits amas de médailles dans la concavité d'un umbo de bouclier. Il paraît que les soldats portaient ainsi leur pécule.

Nous citerons encore parmi les trouvailles faites dans les fouilles d'Alise des pointes de pilum, des épées légionnaires avec leurs fourreaux de bronze, des balles de fronde en plomb et plusieurs échantillons de ces chausse-trapes, stimuli, semés par les Romains en avant de leurs lignes ; enfin un magnifique vase d'argent, de travail grec, recueilli dans un fossé, du côté de la plaine des Laumes.

[22] CATULLE, XXX.

[23] PLINE, Hist. nat., XXXVI.

[24] Précis des guerres de César, p. 105.

[25] CÉSAR, De Bello. civ., II, VIII.

[26] CÉSAR, De Bello. Gall., V, VL et suiv.

[27] CÉSAR, De Bello. civ., II, LXXII.

[28] Histoire de J. César, p. 397.

[29] Il écrivait à Cicéron que les Grecs n'avaient rien fait de mieux ; puis, sans doute pour ne pas paraître exagérer la flatterie, il ajoutait qu'il avait trouvé, vers la fin, quelques négligences, qu'il y avait quelques passages faibles, rathumstera. On sait que les Romains de ce temps avaient recours au grec pour exprimer toutes les nuances délicates. Mais César n'avait pas deviné jusqu'où allait l'amour-propre de Cicéron, que ce mot grec paraît avoir un peu choqué (CICÉRON, Ad Q. Fratr. II, XVI, 5)

[30] CICÉRON, Ad. Atticus, VIII, IV.

[31] SUÉTONE, César, XLVII.

[32] IDEM, ibid., I. - VELLEIUS PATERCULUS, II, XLIII.

[33] PLUTARQUE, C. Gracchus, XV.

[34] CÉSAR, De Bello. Gall., I, XII)

[35] CÉSAR, Lettre à Oppius et Balbus. CICÉRON, Ad. Atticus, IX, VIII.

[36] CICÉRON, Pro. Marc., X.

[37] CÉSAR, De Bello. Gall., VIII, XXXIX.

[38] SUÉTONE, César, XXVIII.

[39] Il n'avait dû son salut qu'à la protection de Pompée.

[40] CÉSAR, De Bello. Civ., I, VII.

[41] IDEM, ibid., III, XCI.

[42] VELLEIUS PATERCULUS, II, XLVIII.

[43] Cœlius à Cicéron, CICÉRON, Div., VIII, XV.

[44] SUÉTONE, César, IV.

[45] PLUTARQUE, César, XLVI.