LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME IV — LES INSTITUTIONS DE L’ANTIQUITÉ

INSTITUTIONS RELIGIEUSES. — V. - LES PRATIQUES DU CULTE

 

 

LE SACERDOCE. - LES AUTELS ET LES USTENSILES DU CULTE. - LES SACRIFICES. - LES PRÉSAGES. - LA TRANSFORMATION CHRÉTIENNE.

 

LE SACERDOCE. — Le sacerdoce n’a jamais eu en Grèce l’importance que nous lui avons vue en Égypte ni celle qu’il a eue plus tard à Rome. Les prêtres ne composaient point un ordre distinct relevant d’un chef particulier. La dignité de grand pontife, qui à Rome fut si considérable, était inconnue des Grecs. Les prêtres étaient, chacun séparément, attachés aux différents temples, sans constituer un clergé. Ils n’exerçaient aucune juridiction, et bien, qu’ils fussent extrêmement honorés, leur pouvoir ne s’étendait pas au delà des cérémonies du, temple dont ils étaient les régulateurs. S’ils n’avaient aucun pouvoir spécial dans l’ordre politique, ils n’étaient pas davantage chargés de l’enseignement de la morale, qui était regardée comme absolument indépendante des questions religieuses. Aussi on ne voit en Grèce rien qui ressemble à nos guerres religieuses, et les philosophes, qui ont souvent attaqué les croyances religieuses, n’ont jamais été les adversaires des prêtres, qui étaient seuls en possession des rites, mais qui n’avaient aucun pouvoir en dehors du temple où ils régnaient en souverains.

Dans les principaux temples il y avait un grand prêtre, qui était le chef hiérarchique de toutes les personnes attachées au service du temple, et qui était toujours un personnage très considéré. La personne des prêtres était sacrée et inviolable, et ils appartenaient généralement aux premières familles de la cité.

La figure 647 représente un prêtre étrusque ; nous ne savons presque rien de l’organisation religieuse de ce peuple auquel les Romains paraissent avoir emprunté la plupart des rites qui distinguent leur culte. Il est en effet bien probable que fuma, qui est regardé comme l’organisateur de ces rites, et qui passait pour recevoir directement ses inspirations de la nymphe Égérie, n’a fait que transmettre aux Romains encore grossiers les coutumes et les cérémonies depuis longtemps en usage chez les Étrusques, qui étaient beaucoup plus civilisés. Ce n’est assurément pas chez les Grecs qu’il faut chercher l’origine du caractère si exclusivement politique du sacerdoce romain, car à Rome la religion et l’État ne font qu’une seule et même chose.

La religion romaine, dit M. Gaston Boissier, a été soumise à l’État, ou plutôt elle s’est confondue avec lui. Ce qui certainement a le plus aidé à ce résultat, c’est la manière dont se recrutaient les sacerdoces. Nos aïeux, dit Cicéron, n’ont jamais été plus sages ni mieux inspirés des dieux que lorsqu’ils ont décidé que les mêmes personnes présideraient à la religion et gouverneraient la république. C’est par ce moyen que magistrats et pontifes, remplissant leurs charges avec sagesse, s’entendent ensemble pour sauver l’État. A Rome, les dignités religieuses n’étaient pas séparées des fonctions politiques, et il n’y avait rien d’incompatible entre elles. On devenait augure ou pontife en même temps que préteur ou consul, et pour les mêmes motifs. Personne ne demandait à ceux qui voulaient l’être des connaissances spéciales ou des dispositions particulières ; il suffisait, pour arriver à ces charges comme aux autres, d’avoir servi son pays dans les assemblées délibérantes ou sur les champs de bataille. Ceux qui les obtenaient ne prenaient pas en les exerçant cet esprit étroit et exclusif qui est ordinaire aux castes sacerdotales ; ils continuaient à être mêlés au monde, ils siégeaient au sénat en même temps que dans ces grands collèges de prêtres dont ils faisaient partie ; leurs fonctions nouvelles, loin de les enlever au gouvernement de leur pays, leur donnaient plus de droit d’y prendre part. Ces soldats, ces politiques, ces hommes d’affaires, appliquaient aux choses religieuses ce bon sens froid et pratique qui les distinguait dans tout le reste. C’est grâce à eux qu’un large courant laïque circula toujours dans la religion romaine, que pendant toute la durée de la république et de l’empire aucun conflit ne s’est élevé entre elle et l’État, et que le gouvernement de Rome, malgré toutes ces démonstrations de piété dont il est prodigue, n’a jamais été menacé de devenir une théocratie.

Les fonctions religieuses, d’ailleurs, étaient de différentes sortes ; il y avait des prêtres chargés du culte de tous les dieux, et d’autres, qui étaient attachés au service particulier d’une divinité. On attribue à Numa l’institution des pontifes, ou prêtres de tous les dieux, car suivant Tite-Live, il n’y avait au temps de Romulus, ni pontifes, ni augures.

Il y avait à Rome plusieurs pontifes dont l’ensemble formait ce qu’on a appelé le collège des pontifes. Mais le nombre des prêtres qui le composait a varié suivant les époques. Sous Numa il y avait seulement quatre pontifes, tous pris parmi les patriciens, mais plus tard on en ajouta quelques-uns qui étaient plébéiens. Quand Sylla fut dictateur, il porta leur nombre à quinze, dont huit étaient appelés grands pontifes et sept petits pontifes. Mais ils ne formaient, ensemble qu’un seul collège, dont le chef était le souverain pontife. L’habillement de ces magistrats était la robe prétexte et leur personne était sacrée. Les pontifes avaient le pas sur les autres magistrats ; ils réglaient tout ce qui concerne le culte et les cérémonies, recevaient les vestales, faisaient la dédicace des temples, offraient les sacrifices, jugeaient de l’autorité des livres renfermant des oracles, et présidaient à tous les jeux donnés en faveur des divinités. Auguste prit le titre de souverain pontife et les empereurs romains imitèrent son exemple. Le souverain pontife, d’accord avec son collège, devait régler l’année et le calendrier et indiquer les jours fastes et néfastes, ce qui avait une grande influence sur les affaires publiques.

On attribue à Numa l’institution des famines : les trois principaux étaient le flamine dial, prêtre de Jupiter, le flamine martial, prêtre de Mars, et le flamine quirinal, prêtre de Quirinus (ou Romulus). Plus tard, le même nom fut également donné à d’autres catégories de prêtres, qu’on distingua des anciens par le titre de flamines mineurs. Le nombre de ces flamines mineurs a beaucoup varié, à cause des cultes nouveaux qui ont été successivement établis à Rome (fig. 648).

Les flamines portaient une coiffure particulière nommée apex, qui se composait d’un casque surmonté d’un petit cône allongé, entouré d’une houppe de laine. Il leur était défendu de sortir tête nue, et, comme en été le casque eût été trop lourd, on le remplaçait quelquefois par une coiffure analogue, mais plus légère (fig. 650).

Le flamine dial avait la supériorité sur les autres, et les flamines majeurs, ceux dont l’institution remontait à Numa, occupaient un rang beaucoup plus élevé que ceux qui furent institués postérieurement.

On donnait le nom de Saliens à douze prêtres de Mars, auxquels étaient confiés les ancilia ou boucliers sacrés. Le costume du prêtre salien est une tunique brodée, serrée autour de la taille par une ceinture en bronze, et par-dessus laquelle est un manteau appelé trabea. Ces prêtres portent une courte épée suspendue au côté, et une baguette avec laquelle ils frappaient sur les boucliers sacrés que leurs serviteurs portaient à travers la ville, suspendus à des perches (fig. 649).

Il y avait encore d’autres catégories de prêtres, comme les Augures dont nous parlerons bientôt, les Curions, qui étaient affectés au service religieux d’un quartier ou d’une corporation, etc. Mais ceux que nous aurons nommé précédemment étaient les plus importants.

Les fonctionnaires préposés à la surveillance des temples étaient des personnages fort honorés, et qui se reconnaissaient à dès insignes particuliers ; celui qui est représenté sur la figure 651 est pris dans un bas-relief qui est à Dresde. L’insigne qu’il porte est un balai de feuilles de laurier, ce qui fait penser qu’il devait être attaché au temple de Delphes, pour lequel on employait en effet des balais semblables. Au reste, l’allure de ce personnage n’est aucunement celle d’un domestique subalterne, et le balai qu’il tient en main est simplement l’insigne de son emploi, qui consistait à maintenir la propreté du temple et à mettre en place les objets sacrés. Ces surveillants des temples servaient en même temps de ciceroni aux étrangers qui visitaient l’édifice et leur place devait être assez lucrative, car elle était fort recherchée.

On donnait le nom de Camilles à des jeunes garçons qui occupaient dans les rites sacrés des païens un rôle analogue à celui des enfants de chœur dans nos églises. Ces enfants, qui devaient être de bonne famille et bien faits corporellement, assistaient les prêtres dans toutes les cérémonies. Ils portaient des cheveux longs et flottants et étaient généralement vêtus d’une robe à grandes manches, comme on le voit sur la figure 653, qui représente un Camille d’après une miniature du Virgile du Vatican. Toutefois cet usage qui, vers la fin de l’empire, devint très général, n’était peut-être pas très ancien, car une statuette plus ancienne nous fait voir un Camille portant simplement la tunique habituelle aux jeunes gens (fig. 652). Celui-ci, qui a les bras nus, porte à la main gauche un aspersoir et dans la droite la situla, ou seau, contenant Veau nécessaire à la cérémonie.

L’origine des Vestales, dont l’institution à Rome remonte à Numa, paraît originaire de la ville d’Albe, puisque suivant la tradition, Rhéa Sylvia, mère de Romulus et Remus, était une Vestale. Leur mission était d’entretenir sans interruption le feu sacré qui brûlait perpétuellement dans le temple de Vesta, d’observer les rites religieux de-la déesse, et de conserver les gages secrets des destinées de Rome, c’est-à-dire le Palladium ou les pénates du peuple romain. Les Vestales faisaient vœu de virginité pendant tout le temps qu’elles seraient au service de la déesse, c’est-à-dire pendant trente ans. Les dix premières années étaient consacrées à apprendre ce service, les dix suivantes à l’exercer, et les dix dernières à l’enseigner aux nouvelles venues. Pour entrer dans le collège des Vestales il fallait être exempte de tout défaut de conformation, appartenir à une famille libre et avoir ses parents vivants au moment où l’on entrait. Les novices étaient choisies par le grand pontife parmi les jeunes filles qui lui étaient présentées comme ayant toutes les qualités requises. Si une Vestale avait laissé éteindre le feu sacré près duquel elle était chargée de veiller, elle était sévèrement punie, car on voyait là un présage funeste pour la république, et ce n’est qu’après des cérémonies expiatoires qu’on le rallumait : encore n’était-ce pas en s’aidant de feu ordinaire, ce qui n’aurait pas été considéré comme assez pur, mais avec des rayons solaires concentrés sur certaines feuilles desséchées. La chasteté des Vestales, emblème de la chasteté de la déesse, devait être rigoureusement observée sous peine de mort. Quand le crime était démontré et la Vestale condamnée, on la plaçait toute vivante dans un cercueil et on conviait, à ses funérailles tous ses parents et amis : arrivé près de la fosse mortuaire, on l’y faisait descendre, après l’avoir recouverte d’un long voile et on bouchait la fosse avec de la terre. Ce supplice a été exécuté dix-huit fois depuis le règne de Numa jusqu’à celui de Théodose, c’est-à-dire pendant plus de mille ans (fig. 654).

Quelquefois un miracle prouvait l’innocence d’une prêtresse injustement accusée. C’est ainsi que la vestale Tuccia prouva son innocence en emplissant un criblé d’eau qui ne s’écoula point, et la vestale Claudia en traînant à elle seule sur le Tibre un vaisseau qui portait la statue de Cybèle, et qui était si fortement engravé que nulle force humaine ne parvenait à le faire mouvoir.

En revanche les Vestales jouissaient de très grandes prérogatives. Toujours précédées d’un licteur et portées dans des litières spéciales, elles recevaient les hommages de toute la population. Les magistrats les plus élevés leur cédaient le pas et faisaient baisser devant elles les faisceaux de leurs licteurs : si sur leur chemin elles rencontraient un condamné à mort, il était gracié par ce seul fait.

Un médaillon de Lucille, femme de Lucius Verus, nous montre six Vestales sacrifiant sur un autel allumé, devant un petit temple rond avec la statue de Vesta placée à l’entrée et en dehors du temple (fig. 655).

 

LES AUTELS ET LES USTENSILES DU CULTE. — Les premiers autels que les Grecs ont élevés étaient simplement des tertres de gazon ou de pierres grossièrement assemblées qu’on élevait devant l’image d’une divinité à laquelle on voulait offrir des sacrifices. Ces sanctuaires primitifs étaient habituellement placés près d’un arbre ou d’une source à laquelle on prêtait un caractère sacré. Avant les développements de l’architecture ils tenaient lieu de temples et tant que le paganisme a duré, la population des campagnes a continué à y venir faire ses dévotions. Sur une peinture de Pompéi, on voit un arbre sacré entouré d’un putéal ou margelle de puits formant un espèce d’enclos, près duquel s’élève une petite chapelle.

A l’époque du grand développement de l’art, les autels furent des petits édifices ronds ou carrés, qui ne diffèrent des monuments funèbres de même forme que parce qu’ils ont dans leur partie supérieure des ouvertures destinées au feu du sacrifice (fig. 656-657). La sculpture adopta comme motifs de décoration les objets que la piété des fidèles avait coutume de déposer sur l’autel. C’est ainsi que les bucrânes, c’est-à-dire la tête des animaux qu’on avait immolés et dépouillés de leur peau, les bandelettes sacrées qui avaient servi au sacrifice, les guirlandes de fleurs ou de feuillages, où les fioles contenant les parfums devinrent le motif ornemental de toutes les décorations d’autels, chez les Romains aussi bien que chez les Grecs (fig. 658-659-660). Quelquefois la décoration représente les attributs de la divinité spéciale à laquelle l’autel est consacré, mais il y a beaucoup d’autels aussi dont a décoration est mixte parce qu’ils sont dédiés à plusieurs divinités. Les sacrifices sanglants se faisaient toujours en dehors des temples. Une fumée de bonne odeur devait toujours se mêler aux sacrifices et c’est pour cela qu’on mettait des parfums sur la flamme sacrée. C’est pour qu’elle monte plus facilement vers le ciel que l’autel n’est pas placé dans le temple même, comme dans les églises chrétiennes, mais en avant du sanctuaire qui renferme la statue du dieu.

L’autel avait aux yeux des fidèles un caractère sacré. De là l’usage d’aller embrasser l’autel dans un cas de péril imminent, usage auquel nous devons un assez grand nombre de représentations d’un caractère en général très archaïque. C’est ainsi que nous voyons Ménélas, lancé à la poursuite d’Hélène, jeter son épée pour ne pas être tente de souiller l’autel par le sang de l’épouse coupable (fig. 661).

Les attributs des divinités auxquelles le temple était dédié faisaient naturellement le motif principal de la décoration des candélabres. Nous avons au Louvre deux magnifiques candélabres en marbre pentélique, où l’emblème d’Apollon et de Bacchus, auxquels ils sont dédiés, est parfaitement apparent.

Le n° 662 porte en effet tous les attributs d’Apollon et Diane, divinités dont le culte était presque toujours associé. Un buste d’Apollon radié, et une tête de Diane surmontée du croissant de la lune, apparaissent sur le piédestal dont les angles sont ornés de tête de griffon, animal consacré à apollon. Le taureau figure également sur une des faces du piédestal, étant considéré comme un emblème de la lune. Le fût est décoré de plusieurs zones de feuillages, les uns profondément découpés, les autres larges et unis. L’autel qui sert de base est séparé de la plinthe par des pieds de griffons sortant d’une belle masse de feuilles d’acanthe.

Le candélabre de Bacchus n’est pas moins richement décoré que le premier. Des tètes de bélier, animal consacré à Bacchus, décorent l’autel qui lui sert de support. Sur les parois de cet autel on voit une couronne, une lyre, et sur la troisième face une patère et un préféricule liés ensemble par une bandelette. Bien que les pieds de cet autel soient un peu écrasés, sa forme générale est plus élégante que celle .lu précédent. Le fût est également enrichi de feuilles et une rangée de têtes en demi-relief surmontées de feuilles d’acanthe supportent la coupe supérieure d’où s’échappe la flamme (fig. 663).

La figure 664 représente un superbe candélabre en marbre, qui paraît provenir d’un temple et qui a été découvert près de Naples. La base, supportée par des pattes de lions et des feuilles d’acanthe, est décorée de figures en relief et le fût, dont l’ornementation est riche et variée, est surmonté d’une belle coupe. Dans la figure 665, la base est formé par des bucrânes et des pieds de bœufs sortant de larges feuilles et la coupe qui termine la partie supérieure du candélabre est d’une grande élégance de forme. Malheureusement le fût présente une certaine monotonie, à cause des zones qui le divisent en parties à peu près égales et des feuillages qui, bien qu’alternés, se répètent d’une façon un peu uniforme.

Les têtes de bélier se retrouvent aussi sur le magnifique candélabre reproduit figure 666. L’autel repose sur des lions ailés, mais ce qui donne à ce candélabre un caractère tout à fait spécial, ce sont les oiseaux à long cou qui décorent les angles. Les ornements ne portent d’ailleurs aucun emblème qui puisse montrer à quelle divinité le candélabre était consacré.

Il y avait aussi de larges candélabres qui étaient fort bas, comme celui que nous montre la figure 667. Ceux-ci étaient destinés à porter de grandes flammes, car dans les cérémonies religieuses de l’antiquité, la flamme avait toujours une grande importance, parce qu’elle était sacrée. Souvent aussi les lampadaires avaient pour bases des sortes de trépieds comme celui que montre la figure 668.

Les grands siéges d’allure monumentale qui étaient placés dans les édifices religieux portaient généralement dans les ornements de leur décoration les attributs de la divinité à laquelle ils étaient consacrés. Ainsi les flambeaux qui décorent les angles du siége qui est représenté sur la figure 669 sont des attributs de Cérès, à qui il était probablement consacré.

Les principaux ustensiles employés dans les sacrifices sont figurés dans une frise antique que nous reproduisons eu plusieurs parties. La figure 670 nous montre d’abord, en commençant par la gauche, un thymaterion : c’est un petit vase dans lequel on brûlait l’encens en l’honneur des dieux. Il est surmonté d’un fleuron creux formant couvercle et destiné à contenir le parfum. Dans la frise que nous reproduisons, le thymaterion est accompagné d’une branche de laurier, arbre sacré qui, de même que la verveine, servait aux purifications. On brûlait quelquefois la branche de laurier, et on tirait des pronostics, suivant la manière dont elle se consumait.

Nous voyons ensuite un bucrâne, c’est-à-dire la tête décharnée d’un bœuf : ses cornes sont ornées des bandelettes du sacrifice. Dans les temps primitifs, quand on avait sacrifié un bœuf, on accrochait sa tête sur les temples, afin de perpétuer le souvenir du sacrifice, et on ornait ses cornes de bandelettes. Dans les grandes cérémonies, on plaçait des guirlandes de fruits ou de fleurs qui allaient d’une tête à l’autre : on en voit reproduites sur une foule de monuments funèbres et sur les frises des temples.

Le petit vase qui vient ensuite est un préféricule, c’est-à-dire un vase destiné à contenir la libation. Sa forme n’est pas toujours la même et il a quelquefois deux anses.

Le dernier objet qu’on voit dans la même figure est l’étui dans lequel on resserrait les couteaux destinés à égorger ou à dépecer la victime. Le sacrificateur l’attachait à sa ceinture au moyen de courroies qui passaient à travers un anneau. Cet étui était en bois recouvert de cuir et souvent orné de métaux précieux.

Le premier objet que nous montre la figure 671 est la patère dans laquelle on recevait le sana de la victime : elle est ici accompagnée de la hache du sacrifice.

Le simpulum, qui vient après la patère, était un petit vase pourvu d’un manche allongé ; on s’en servait dans les cérémonies religieuses, pour puiser le vin. Derrière le simpulum, on voit un maillet, masse pesante avec laquelle on assommait certaines victimes, au lieu de se servir du couteau.

Le large couteau à manche en tête d’aigle, qui vient après le simpulum, est la dolabra, dont on se servait pour découper la victime. Le couteau qui servait à l’égorger s’appelait secespita et le couteau avec lequel on l’écorchait était le culter excoriatorius.

Après le couteau à découper, nous voyons l’aspergillum, qui servait à asperger les assistants avec de l’eau lustrale. C’est un manche à pied fourchu et terminé par une touffe de crins. Le manche était quelquefois en métal, mais le plus souvent on se servait du pied même d’un animal, comme nous le faisons encore quelquefois pour les manches de nos couteaux ou de nos fouets.

La petite boite que nous voyons en dernier lieu sur cette figure est l’acerra, cassette à parfums employée dans les sacrifices. Ces cassettes étaient en métal ou en’ bois précieux orné d’or, d’argent ou d’ivoire. Les peintures antiques les montrent souvent entre les mains des camilles, jeunes desservants des autels.

Le premier objet qui est représenté sur la figure 672 est l’apex, sorte de bonnet en laine qui serrait la tête et se nouait sous le menton. C’était la coiffure des pontifes : elle tirait son nom d’une touffe de laine blanche qui garnissait le haut de la tête, mais qui n’est pas apparente ici.

Après l’apex, nous retrouvons le bucrâne dont nous avons déjà parlé, et en dernier lieu la peau de la victime qu’on a sacrifiée. Cette peau était employée dans certains rites religieux : c’est en s’endormant sur elle qu’on obtenait des dieux, par le moyen des songes, la connaissance de l’avenir.

On avait pour les libations des coupes de formes différentes. Chez les Grecs, les libations les plus ordinaires se faisaient avec du vin, mais dans les temples on n’employait pas la liqueur de grappes coupées avec un instrument, ou qui auraient touché la terre en tombant. Dans l’Odyssée, Ulysse honore les divinités infernales par trois libations successives de miel, de vin sans mélange, et d’eau pure. Jamais, dans les libations, l’eau n’était mêlée avec le vin. On faisait aussi quelquefois des libations d’huile. Quand on faisait une libation, on prenait grand soin que la coupe fût remplie jusqu’au bord.

Il ne faut pas confondre les coupes à libations, destinées à contenir du vin ou de l’huile, avec les patères, où l’on recueillait le sang des victimes immolées dans les sacrifices. La patère a la forme d’un plat ou d’une assiette pourvue d’un manche. Les figures 673 et 674 représentent des patères en bronze découvertes à Pompéi.

La chair des victimes, ou les fruits offerts en sacrifice, lorsqu’ils n’étaient pas sur l’autel, étaient déposés sur des tables à offrande dont on voit deux spécimens en bonze sur les figures 675 et 676.

L’encens et les aromates faisaient également partie des sacrifices et il fallait nécessairement des ustensiles particuliers pour les resserrer ou pour les faire brûler. On a retrouvé plusieurs boîtes à encens en bronze (fig. 677 à 680), elles sont généralement caractérisées par une petite chaînette qui est reliée par des anneaux au couvercle et au corps même de la boite. Ces boîtes à parfums s’employaient à peu près comme on fait aujourd’hui pour les encensoirs dans les églises catholiques. A l’aide de la chaînette à laquelle elles étaient suspendues, on pouvait les balancer pour répandre la vapeur odorante de l’encens en combustion.

Quelquefois aussi, on se contentait de jeter les grains d’encens dans la flamme qui brûlait sur l’autel. Enfin il y avait, notamment chez les Étrusques, des brûle-parfums d’une forme toute particulière, comme celui qui est représenté sur la figure 681-682. Il est pourvu de roulettes qui permettaient de le faire circuler pour répandre en divers endroits la vapeur des aromates qu’on y brûlait.

Les purifications étaient nécessaires pour l’admission aux sacrifices solennels, et on exigeait des prêtres un serment par lequel ils se déclaraient délivrés de toute souillure. Les assistants se purifiaient par des ablutions, et il y avait toujours à l’entrée des lieux sacrés un vase placé à cet effet et contenant de l’eau consacrée, c’est-à-dire dans laquelle on avait plongé un brandon pris sur l’autel. Ces ablutions étaient de différentes sortes ; l’ablution des pieds et des mains était la plus ordinaire. Quelquefois aussi le prêtre ou un desservant du temple faisait une aspersion, mais dans les grandes solennités la purification par l’eau consacrée devait s’étendre au corps tout entier. Les vases pourvus de deux anses mobiles que nous reproduisons sur les figures 683 à 685 paraissent avoir eu une destination sacrée. Il est probable qu’ils contenaient l’eau destinée aux purifications.

Il y avait aussi des vases en marbre, en bronze ou en terre cuite, qui avaient la forme d’un cratère. Ils avaient dans les festins qui accompagnaient souvent les cérémonies religieuses la même destination que les récipients du même genre dans les repas ordinaires. L’usage des banquets qui avaient lieu en même temps que les sacrifices, et où les convives étaient appelés à prendre leur part dans la chair des victimes et aux mets des libations, suffit pour expliquer la présence dans les temples et dans le trésor qui en dépendait d’une multitude de vases et de coupes dont la forme ne diffère pas de ceux dont on se servait dans la vie intime.

Les armées emportaient avec elles quelques-uns de ces vases sacrés, qui étaient employés pour les cérémonies religieuses, qui s’accomplissaient pendant la durée de la campagne. Il est probable qu’on peut attribuer cette origine aux beaux vases d’argent découverts près de Hildesheim, car ils portent presque tous des emblèmes religieux. Celui que reproduit la figure 686 est particulièrement riche par les arabesques qui le décorent et les griffons qui sont à sa base peuvent faire supposer qu’il était consacré à Apollon. Il est probable au surplus que les vases qui composent le trésor de Hildesheim ont fait partie du butin de quelque armée barbare, puisque l’endroit ou ils ont été trouvés n’a jamais fait partie du territoire occupé par les Romains.

Tous ces vases de l’époque romaine témoignent en général d’un très grand luxe, qui répond à une époque de scepticisme et de transformation religieuse, et n’est nullement une marque de piété. Dans les âges primitifs qui furent les plus religieux, il y avait, il est vrai, quelques sanctuaires très richement dotés et possédant un mobilier somptueux, mais dans tous les petits temples et surtout dans les chapelles rustiques, on employait pour Ies usages sacrés dès vases de bronze et même des vases de terre.

Quelques-uns de ces ustensiles communs prirent à cause de leur antiquité un caractère sacré aux yeux des populations, et de même que dans les églises chrétiennes on voit des reliques sans valeur à côté des plus riches trésors de l’orfèvrerie, les temples, même au temps de leur plus grande splendeur, conservèrent toujours avec un pieux respect les ustensiles dont on s’était servi primitivement, et malgré la pauvreté de leur aspect, ces vieux vases étaient souvent ceux auxquels la population attachait le plus grand prix.

 

LES SACRIFICES. — Les sacrifices formaient la partie la plus importante du culte chez les Grecs et chez les Romains. On distinguait les sacrifices publics ou faits au nom de la cité et les sacrifices particuliers, faits au nom d’une famille ou d’un citoyen qui voulait rendre hommage aux dieux. Enfin il y avait des sacrifices offerts par un chef de famille à ses dieux domestiques ou à ses pénates : ceux-ci ne se faisaient pas dans les temples ou dans les chapelles ouvertes au public, mais dans la maison et devant le foyer. On sacrifiait aux dieux -des objets inanimés, comme les fruits de la terre, du lait, du vin ou de l’encens-, ou bien on leur immolait des animaux, ou Même des hommes, dans les temps les plus reculés.

Les récits relatifs aux funérailles de Patrocle, au sacrifice d’Iphigénie ou de Polyxène, bien qu’appartenant à la mythologie plutôt qu’à l’histoire, prouvent au moins que les faits dont il s’agit étaient conformes aux usages ou aux idées reçues dans les temps héroïques. Les sacrifices humains sont assez fréquemment représentés sur les monuments étrusques.

Une peinture des hypogées de Vulci montre Achille immolant des captifs aux mânes de Patrocle (fig. 687). Cette scène de meurtre, dit Duruy, répondait si bien aux mœurs des Étrusques que, voulant représenter un épisode de l’Iliade, ils ont choisi le seul récit de cette nature qui se trouve dans Homère. Quantité de témoignages des auteurs anciens et ceux qu ils ont laissés eux-mêmes sur leurs monuments, attestent ce caractère odieux de la société étrusque. Macrobe dit que Tarquin faisait immoler des enfants à la déesse Mama, mère des Lares.

La légende de Tantale et celle de Lycaon, punis pour avoir servi de la chair humaine sur la table des dieux, ressemblent à une protestation du sentiment populaire contre l’usage des sacrifices humains. Cécrops et tous les législateurs mythiques, auxquels les Grecs attribuaient l’origine dés cérémonies de leurs cultes ; avaient, suivant la croyance populaire, ordonné d’offrir aux dieux des fruits de la terre ou de leur immoler des animaux.

Les sacrifices des premiers âges consistaient surtout en fruits, en racines et en glands. A ces rustiques offrandes on ajouta plus tard de l’encens et des parfums. Avant le sacrifice on couvrait l’autel de gâteaux d’orge, parce que l’orge passait pour la première graine que les Grecs employèrent à leur nourriture quand ils eurent renoncé à l’usage du gland. On sacrifiait aussi des animaux qui étaient en rapport soit avec celui qui offrait le sacrifice, soit avec la divinité à laquelle on l’offrait. Ainsi le berger sacrifiait plus volontiers un agneau, le bouvier une génisse, le pêcheur une anguille. Mais toutes les fois que la chose était possible on cherchait à satisfaire la divinité en consultant ses préférences.

On savait, par exemple, que Jupiter aimait les taureaux blancs ; Junon les génisses, les vaches, les brebis et les agneaux femelles ; Cybèle les truies pleines ; Cérès le verrat ou cochon mâle parce qu’il gâte les moissons ; Bacchus le bouc ennemi de la vigne. On offrait un cheval au soleil, une biche à Diane, une chienne à Hécate, une colombe à Vénus, etc. Les victimes offertes aux dieux infernaux devaient être noires.

La figure 688 reproduit, d’après une peinture de vase, un très ancien autel de pierres brutes, sur lequel brûle la flamme sacrée du sacrifice. La divinité à laquelle on va offrir le sacrifice est une très ancienne idole de style archaïque. Une figure ailée placée près de l’autel semble présider à la cérémonie. A gauche on voit le prêtre couronné de lauriers, qui se retourne pour parler à un jeune guerrier, qui conduit un taureau orné de ses bandelettes.

Un sacrifice est représenté sur la figure 689. Une victoire ailée, tenant un casque d’or surmonté d’un panache rouge, fait une libation sur un autel d’où s’approche un enfant ailé, qui conduit un agneau au sacrifice. Un autre enfant ailé tient un tableau, placé contre une petite chapelle et en face de l’autel : ce tableau représente Pallas tuant un géant. C’est donc à cette divinité que la Victoire offre un sacrifice. La petite chapelle est entourée d’arbres.

Les Grecs offraient toujours aux dieux les prémices des biens de la terre, consistant en fruits, légumes, gâteaux d’orge ou de froment. Quand on immolait des animaux, on choisissait toujours les plus gras et les plus sains, car les victimes devaient être sans défaut extérieur. On les ornait de bandelettes ou de guirlandes, composées avec les feuilles ou les fleurs de la plante consacrée à la divinité à laquelle on offrait le sacrifice.

Quand la victime était immolée, le prêtre offrait aux dieux le sang et les entrailles ; le reste se partageait entre les ministres du sacrifice et ceux qui l’offraient. On regardait comme un acte religieux de manger avec ses amis ce qui revenait des viandes immolées, ou de leur en envoyer une portion. Un usage analogue se retrouve dans le pain bénit des catholiques, seulement c’est du pain ou de la brioche que l’on mange, au lieu d’être de la viande.

La figure 690 nous montre le sacrifice au moment où la part des dieux est placée sur le feu. La divinité est un Hermès barbu, probablement un Bacchus, devant lequel un sacrificateur remue avec une broche les entrailles de la victime, qui cuisent sur la flamme sacrée. Un autre sacrificateur, placé derrière celui-ci, découpe les viandes sur une petite table, sous laquelle se voit la tête du bouc qui vient d’être sacrifié. Des bandelettes sacrées se voient dans le champ.

Des prières, qui répondent à notre benedicite, accompagnaient toujours le repas du sacrifice. Avant de le commencer, le prêtre, tourné vers les assistants, disait : Qui est ici ? et l’assemblée répondait : des gens de bien. En effet, la loi excluait du sacrifice les impies, les meurtriers et tous ceux qui avaient été condamnés pour un crime.

Les usages des Romains, pour les sacrifices, étaient peu différents de ceux des Grecs. Les animaux qu’on menait au sacrifice avaient souvent les cornes dorées. Quelquefois aussi, on leur parait la tête de fleurs et on leur plaçait sur le corps, soit une guirlande de fleurs, soit une large bande ornée, comme le montre la figure 691 : l’usage de la bande était surtout employé chez les Romains. Deux personnages couronnés de laurier conduisent les animaux : le prêtre, qui est le dernier, donne ses ordres au victimaire, placé devant lui. Celui-ci tient un bâton pour faire marcher l’animal et une hache pour le frapper. Les animaux, ainsi parés, étaient conduits au temple à travers les rues et les places publiques.

Le personnage couronné et tenant en main une branche de laurier, ornée de lemnisques, que montre la figure 692, présente les allures d’un sacrificateur. Cependant on y voit quelquefois un vainqueur dés jeux, qui vient de remporter la palme lemniscale.

Un bas-relief du Louvre nous montre la représentation d’un sacrifice chez les Romains. Il est probable que nous n’avons là qu’une partie de la composition qui a dit être beaucoup plus vaste et contenir une longue série de figures. Le premier personnage que nous voyons a gauche est le pope ou victimaire qui, nu jusqu’à la ceinture, tient d’une main une des cornes du taureau et de l’autre le large couteau (secespita) avec lequel il va l’égorger. Mais l’animal, avant d’être égorgé, devait être abattu : c’est probablement ce qui est en train d’arriver pour le second taureau dont nous voyons la tête basse et couronnée de fleurs. Le victimaire placé près de lui est en train de le frapper. Ces victimaires portent une espèce de jupon court bordé de franges (limus) et serré au corps par trois bandes de cuir. A droite sont deux camilles, jeunes desservants des autels, dont l’un vient d’ouvrir l’acerra, ou boîte à parfums, tandis que l’autre tient une torche allumée, faite de bois résineux ou d’épines blanches. Au second .plan, nous voyons des magistrats et un licteur tenant son faisceau dont on aperçoit la hache. Tous les personnages ont la tête ceinte d’une couronne de laurier. La scène se passe devant un temple, et à droite, en face des camilles, on voit une partie de l’autel (fig. 693).

Une scène du même genre est représentée sur la figure 694, où le victimaire frappe le taureau, à côté du trépied où brûle la flamme sacrée. Dans les deux figures qu’on vient de voir, l’animal immolé a la tête baissée et rapprochée du sol, ce qui semble indiquer que la victime est sacrifiée soit aux divinités de la terre, soit aux divinités infernales. Une miniature du Virgile du Vatican montre un bélier qu’on égorge en lui relevant la tête au lieu de l’abaisser : les sacrifices de ce genre ne pouvaient être offerts qu’aux dieux du ciel.

On donnait le nom de suovetaurilia à des sacrifices comprenant à la fois un taureau, un bélier et un porc. Un beau bas-relief du Louvre nous montre le suovetaurile (fig. 695). Le taureau, le bélier et le porc, sont amenés dans un cortége religieux, devant deux autels ornés de guirlandes. Le prêtre, la tête un peu baissée et recouverte par les plis de sa toge, répand les parfums sur les autels où sont placés les fruits : à ses côtés est le camille qui tient l’acerra. Onze personnages, vêtus de la toge et la plupart couronnés de laurier, marchent à sa suite. On remarque parmi eux le pope ou victimaire, qui tient sa hache, mais n’a pas le haut du corps nu comme on le voit habituellement. Le dos du taureau est orné d’une de ces larges bandes brodées dont on parait les victimes.

On donnait le nom de taurobole à un sacrifice expiatoire d’un caractère tout à fait spécial, et qui paraît avoir été pratiqué surtout à partir de Marc-Aurèle. On creusait en terre une fosse profonde, dans laquelle se plaçait celui qui offrait le sacrifice et on égorgeait le taureau sur une planche à claire-voie placée au-dessus de la fosse. Le sacrifiant recevait ainsi sur lui tout le sang de l’animal, et ce baptême sanglant était considéré comme une régénération mystique, qu’il fallait renouveler au bout de vingt ans.

Les figures 696 et 697 représentent un autel sur les faces duquel sont le couteau et la tête de taureau, qui servaient pour le sacrifice du taurobole. Ce monument a été découvert au commencement du siècle dernier sur la montagne de Fourvières.

Les sacrifices aux divinités champêtres présentent chez les Romains un caractère tout particulier, dont on peut se faire une idée d’après la figure 698, qui représente un sacrifice à Sylvain. Près d’un autel rond, dont le socle est entouré de plantes agrestes, une prêtresse, tenant dans la main gauche une sorte de corne d’abondance, verse sur la flamme la liqueur contenue dans une patère d’or. Elle est couverte d’une large draperie blanche qui lui recouvre la tête et a près d’elle un tout jeune enfant, un Camille couronné de rameaux verts et vêtu d’une tunique relevée par une ceinture. Cet enfant porte d’une main une guirlande de feuillage et de l’autre un plat chargé de fruits. De l’autre côté de l’autel, un joueur de flûte est suivi d’un autre enfant, qui a la poitrine nue comme les victimaires, et qui conduit vers l’autel un porc, dont le corps est ceint d’une bande d’étoffe rouge à raies noires. Deux pocillateurs, couronnés de feuillage et vêtus de blanc, occupent symétriquement chaque extrémité du tableau et tiennent un rhyton à tête de cerf dont la liqueur va tomber dans un petit vase qu’ils portent avec l’autre main. Tous ces personnages sont chaussés de brodequins noirs, qui, suivant les archéologues, dénotent un rite étrusque.

La petite chapelle, représentée sur la figure 699, d’après une peinture de Pompéi, est dédiée à une divinité champêtre ; les cymbales et les tympanons y sont suspendus. Un prêtre, qu’on voit au premier plan, porte d’une main un tympanon avec des grelots, et de l’autre il retient un panier posé sur sa tête couronnée de pampres.

 

LES PRÉSAGES. — Nous avons parlé plus haut de la pythie de Delphes et de la manière dont se rendaient les oracles d’Apollon. Les sibylles romaines étaient, comme la pythie de Delphes, des femmes inspirées de l’esprit prophétique qu’Apollon leur avait communiqué. Il y en avait dans plusieurs endroits, mais en Italie la sibylle de Cumes était particulièrement célèbre. Une sibylle de Cumes vendit à Tarquin les Livres sibyllins, recueil d’oracles réputés contenir les destinées de Rome et qui furent conservés au Capitole.

Le personnage représenté sur la figure 700 est un quindécemvir. On donnait ce nom à un collège de prêtres romains, chargés de conserver les livres sibyllins, et voués spécialement au culte d’Apollon. Ce prêtre, qui porte le costume grec, est en train de répandre des parfums sur la flamme d’un autel. Sa tête est ceinte d’une couronne de laurier dont les bandelettes retombent sur ses épaules. Des lauriers s’élèvent de chaque côté et le corbeau, oiseau prophétique, est perché sur l’un d’eux.

Les augures étaient des prêtres étrusques qui prédisaient l’avenir d’après le vol ou le chant des oiseaux et qui jouirent à Rome d’un très -grand crédit. Pour faire leurs observations, les augures montaient sur une tour, en se tournant vers l’Orient, de manière à avoir le nord à gauche et le midi à droite. Ils partageaient alors-le ciel en quatre régions avec le lituus, bâton recourbé qui est leur insigne, et sacrifiaient ensuite aux dieux en s’enveloppant la tête dans leurs vêtements.

Les augures formaient à Rome un collège spécial : l’emblème qui, sur les monuments, sert à les distinguer des autres prêtres, est le lituus qu’ils tiennent à la main ; ce bâton recourbé a quelque ressemblance avec la crosse de nos évêques. La figure 701, tirée d’une médaille de Marc-Aurèle, représente un augure tenant en main le lituus. Consultés par Romulus, les augures devinrent avec Numa une institution permanente.

Dès son arrivée, dit Tite-Live, à l’exemple de Romulus, qui avait pris les augures pour arbitres de sa souveraineté et de la fondation de Rome, Numa voulut qu’ils fussent également consultés sur son élection. Un augure, qui depuis fut établi par l’État pour exercer à perpétuité ce sacerdoce honorable, conduisit Numa au Capitole ; il le fit asseoir sur une pierre, la face tournée au midi ; l’augure à sa gauche, la tête couverte, prit place, tenant à la droite un bâton sans nœuds, recourbé par un bout, c’est ce qu’on appelle le lituus. Après avoir arrêté tous ses points de vue sur la ville et sur la campagne, adressé sa prière aux dieux, déterminé tout l’espace depuis le levant jusqu’au couchant, en plaçant la droite du côté du midi et la gauche du côté du nord, et désigné de même un point fixe en face, aussi loin que sa vue pouvait s’étendre, alors il passe le lituus dans la main gauche, et mettant la droite sur la tête de Numa, il prononce cette prière : Jupiter, si telle est ta volonté que Numa, de qui je tiens la tête, règne sur les Romains, fais-nous le connaître par des signes certains, dans l’enceinte que j’ai fixée. Il spécifie ensuite à haute voix la nature des auspices qu’il demande ; ces auspices paraissent et Numa, déclaré roi, quitte l’enceinte augurale.

Outre leurs observations sur le vol des oiseaux dans le ciel, les augures tiraient des présages avec des poulets sacrés qu’on entretenait à cet effet (fig. 702). S’ils dévoraient avidement le grain qu’on mettait devant eux ; le présage était réputé favorable, mais si les poulets refusaient la nourriture ou ne semblaient la prendre qu’avec répugnance, l’auspice était mauvais, et on renonçait généralement à l’entreprise pour laquelle on avait consulté. Cependant il y eut quelquefois des incrédules : un général romain, Claudius Pulcher, ayant pris des dispositions qu’il croyait bonnes pour une bataille qu’il voulait livrer, consulta, selon l’habitude, les poulets, qui refusèrent la nourriture. Le général, furieux, les fit jeter à la mer, en disant que puisqu’ils ne voulaient pas manger, il saurait bien les forcer à boire. Mais comme il perdit la bataille, on attribua sa défaite à son impiété et le crédit des poulets s’en augmenta d’autant plus.

Les repas des poulets, dit Pline, sont des présages solennels : ce sont eux qui, chaque jour, règlent la conduite de nos magistrats, et leur ouvrent ou leur ferment leurs propres maisons. Ce sont eux qui prescrivent le repos ou le mouvement aux faisceaux romains, qui ordonnent ou défendent les batailles. Les coqs ont annoncé toutes les victoires remportées dans tout l’univers. En un mot, ils commandent aux maîtres du monde. Leurs entrailles même et leurs fibres ne sont pas moins agréables aux dieux que les plus riches victimes. Leurs chants, entendus le soir et à des heures extraordinaires, forment des présages. En chantant toute la nuit, ils annoncèrent aux Béotiens cette fameuse victoire remportée sur les Lacédémoniens. Les devins l’interprétèrent ainsi, parce que cet oiseau ne chante point quand il est vaincu.

Ce n’est pas d’après le vol ou la nourriture des oiseaux que les aruspices tiraient leurs présages, mais d’après l’inspection des entrailles de la victime. Ces prêtres, institués par Romulus, devaient examiner si la victime était amenée de force à l’autel, ou si elle s’y rendait de bonne grâce, si elle mugissait ou bondissait au moment du sacrifice, ce qui était un mauvais présage. Si les entrailles présentaient un caractère maladif ou une difformité quelconque, le présage était considéré comme sinistre. Il. fallait aussi que la flamme montât en pyramide sans s’écarter à droite ou à gauche, et qu’elle consumât tout ce qui devait être brûlé sans en rien laisser subsister.

La science des aruspices, qui avait tant d’importance chez les Romains, venait des Étrusques. Un bas-relief du Louvre, d’autant plus intéressant que ce sujet est de la plus grande rareté, nous montre comment la cérémonie se pratiquait. Un taureau, qui vient de tomber sous la hache, est couché sur le dos et un victimaire retire les intestins de l’animal qu’il a éventré. Un autre victimaire, debout et à demi-nu, tient la hache sur son épaule, et dans la main gauche un petit vase qui contient le sang de la victime. Ces personnages portent une couronne de laurier que n’ont pas les deux aruspices, dont un semble annoncer au magistrat placé en face de lui le résultat de l’inspection des entrailles. L’aruspice porte une torche ou un léger faisceau de baguettes, beaucoup plus mince que n’étaient les faisceaux des licteurs : celui qui est placé derrière et dont on ne voit guère que la tête est pourvu des mêmes insignes. Ils sont vêtus d’un manteau qui n’est pas très ample et est fixé au milieu de la poitrine par une forte fibule. Mais la fibule que le magistrat porte sur l’épaule gauche est une restauration moderne, et probablement erronée, car la toge n’avait rien de semblable (fig. 703).

Nous avons vu que les augures et les aruspices étaient des prêtres chargés d’interpréter certains signes que l’on considérait comme une manifestation extérieure des intentions de la divinité, ce qui les rendait aptes à connaître et à prédire les événements futurs. Mais une foule de faits venant à se produire fortuitement étaient considérés comme des avertissements donnés par la divinité à un particulier, au sujet d’accidents qui pouvaient l’intéresser personnellement. C’est ce qu’on nommait les présages ; il n’y avait pas à leur sujet de théories bien déterminées, et chacun pouvait les interpréter à sa façon, mais l’usage avait fait prévaloir certaines idées d’après lesquelles on donnait une signification particulière à certains signes.

Tout le monde croyait aux songes et les considérait comme un avertissement du ciel. Mais les sonnes étant d’une nature très variée, l’interprétation qu’on en pouvait donner dépendait de la sagacité de chacun. On considérait aussi comme un présage les paroles fortuites ou les petits mouvements nerveux qui se produisent involontairement. Un battement de cœur subit indiquait la trahison d’un ami, un tintement d’oreille prouvait qu’on parlait de vous en ce moment, le tressaillement de l’œil était un signe favorable, et l’engourdissement du petit doigt était au contraire un signe défavorable. L’éternuement était considéré comme un présage à double sens et c’est pour lui donner un sens favorable que l’usage est venu de saluer la personne qui éternue en faisant des vœux pour elle.

Une chute était toujours considérée comme un mauvais présage, et un Romain qui, en sortant de chez lui, faisait un faux pas, rentrait aussitôt dans sa maison et y demeurait prudemment enfermé tout le reste du jour. La rencontre de certains animaux, comme les abeilles, était un bon présage, mais il y en a d’autres, comme le renard, dont la rencontre était considérée comme très défavorable. L’observation de la lumière de la lampe et de ses vacillations donnait également lieu à une foule de présages.

On avait certains moyens pour empêcher l’accomplissement des mauvais présages. Si la chose était de peu d’importance, il suffisait quelquefois de cracher promptement par terré Une foule immense de superstitions bizarres, qui subsistent encore dans nos campagnes, ne sont que des souvenirs inconscients des vieilles traditions païennes, d’après lesquelles le moindre accident était considéré comme résultant d’une intervention immédiate de la divinité.

 

LES CÉRÉMONIES. — L’attitude de la prière n’était pas la même dans l’antiquité que de nos jours. Au lieu de joindre les mains pour invoquer la divinité, on tenait les bras écartés avec les mains ouvertes, .comme le montre la figure 704, qui représente une adorante païenne. Ce geste s’est même conservé pendant les premiers temps du christianisme et il est reproduit sur les peintures chrétiennes des catacombes (fig. 705).

Les cérémonies du culte consistaient en sacrifices, en processions et en fêtes en l’honneur des divinités. On a quelques représentations concernant les cérémonies religieuses et notamment une peinture antique que reproduisent les figures 706 et 707.

La marche s’ouvre par une jeune fille jouant de la double flûte : ensuite une femme porte une corbeille dans une main et dans l’autre le guttus ou guttulus, vase destiné aux libations et qui laissait échapper la liqueur goutte à goutte. La troisième figure tient sur son épaule l’arche sacrée, contenant les symboles mystérieux de Bacchus. Le directeur de la cérémonie est assis et parle avec une femme appuyée sur une colonne (fig. 706).

Sur la figure 707 une prêtresse, de celles dites géraires, est assise sur un tabouret garni d’un coussin. Ses cheveux sont enveloppés d’un linge (mitra) ; elle tient dans une main une patère et dans l’autre une feuille (nymphée) servant d’aspersoir, dans les cérémonies religieuses. C’est également la forme qu’on donnait aux éventails (flabella) avec lesquels on excitait le feu sacré. Une joueuse de lyre est debout devant la prêtresse. Un vieillard, faisant les fonctions de Silène, joue du tympanon, et une joueuse de crotales danse devant une femme assise qui tient la double flirte. Les trois musiciennes ont des tuniques à franges et les pieds nus. La prêtresse seule est chaussée. Cette peinture a été trouvée dans les fouilles de Portici.

Les figures 708 et 709 représentent une procession étrusque dans laquelle on voit des personnages portant des offrandes et des guerriers dont un danse une sorte de pyrrhique. Les rites étrusques sont en général peu connus, quoiqu’on en ait des représentations assez nombreuses, par la raison qu’on manque de textes pour les expliquer. Mais en général, dans l’antiquité grecque ou romaine, les cérémonies les plus importantes étaient celles qui se rattachaient au culte d’une divinité spéciale.

Tels étaient, par exemple, les mystères d’Eleusis, qui se célébraient en l’honneur de Déméter (ou Cérès).

Les fêtes de Déméter à Éleusis duraient neuf jours et se renouvelaient de quatre en quatre années, pendant le mois d’août. Pendant les trois premiers jours, on offrait des sacrifices aux deux déesses, et on faisait des cérémonies préparatoires. C’était le quatrième jour, vers le soir, que se faisait la procession de la corbeille mystérieuse, qui était couverte d’un voile de pourpre et portée sur un char traîné par des bœufs. Les clames athéniennes suivaient le char à pas lents, et en portant de petites corbeilles couvertes, qui symbolisaient celle où Proserpine avait mis les fleurs qu’elle venait de cueillir lorsqu’elle fut enlevée par Pluton. Ça course aux flambeaux avait lieu le cinquième jour. En souvenir de Cérès qui, tenant en main le flambeau qu’elle avait allumé au mont Etna, errait de tous côtés en cherchant sa fille, les hommes et les femmes, dès que la nuit était venue, parcouraient la campagne d’Éleusis en agitant des flambeaux. Le sixième jour était consacré à Jacchus, c’est-à-dire Bacchus, considéré comme fils de Zeus et Déméter.

La statue du dieu, couronné de myrte, était escortée d’une immense procession qui partait du Céramique, faubourg d’Athènes, passait par les principales places de la ville et se rendait à Éleusis. Cette procession, qui comptait jusqu’à trente mille personnes, était extrêmement bruyante. Les hymnes religieux étaient accompagnés de danses bachiques, exécutées au son des trompettes et autres instruments sonores. Le septième jour était destiné aux jeux et aux combats gymniques : pendant le huitième et le neuvième, on accomplissait diverses cérémonies spéciales en l’honneur des déesses.

Les rites de l’initiation connus sous le nom de mystères d’Éleusis comprenaient des scènes mimiques et symboliques, où les prêtres et les initiés figuraient dans une sorte de drame religieux toute la légende de Cérès et de Proserpine, le rapt de la jeune fille, le deuil et la douleur de Cérès.

Pendant l’accomplissement du mystère des instruments d’airain imitaient les clameurs et la voix gémissante de la déesse, qu’on appelait la mère des douleurs. Les scènes d’allégresse succédaient aux gémissements quand Proserpine était retrouvée. Les initiés, obligés de décrire de pénibles circuits dans les ténèbres, en proie à des terreurs que produisaient des voix confuses, se retrouvaient ensuite au milieu des plus splendides clartés, au milieu des chœurs de danses et des harmonies sacrées. Ces changements à vue, ces soudaines transitions de l’obscurité à la lumière, de la douleur à l’allégresse, figuraient pour les initiés le passage du sombre Tartare aux béatitudes de l’Élysée, et devenaient ainsi un symbole de l’immortalité de l’âme et du bonheur promis aux justes.

Les mystères d’Éleusis étaient extrêmement célèbres. Les récompenses promises aux initiés après leur mort attiraient le peuple en foule à ces cérémonies où tout était mystérieux. C’était un devoir de se faire initier au moins avant la mort. Les homicides, même involontaires, les débauchés et tous ceux qui avaient eu une tache dans leur vie, ne pouvaient obtenir l’initiation ; on examinait scrupuleusement la vie et les mœurs de ceux qui venaient la demander. La grande initiation n’avait lieu qu’à Éleusis, dans une cérémonie qui revenait tous les cinq ans. L’hiérophante ou grand prêtre devait être citoyen d’Athènes, d’une existence irréprochable, et pratiquer le plus austère célibat. Les aspirants à l’initiation avaient droit, après plusieurs jours de purification, au titre de novice. Quand Néron alla en Grèce, il n’osa pas visiter Athènes, parce qu’il aurait été obligé de se faire initier, et que l’initiation lui était interdite comme parricide.

Par une association d’idées très familière aux anciens, la jeune déesse enlevée par le roi des morts et rendue plus tard à sa mère représentait non seulement la graine ensevelie sous la terre à l’automne, mais aussi l’âme humaine passant par le tombeau pour arriver à la vie bienheureuse. Ce rapprochement se présentait d’autant plus facilement à l’esprit des Grecs, que deux mots presque semblables exprimaient dans leur langue l’idée de la mort et celle de l’initiation. Mourir, dit Plutarque, c’est être initié aux grands mystères, et le rapport existe entre les mots comme entre les choses. D’abord des circuits, des courses, des fatigues, et dans les ténèbres, des marches incertaines et sans issue ; puis en approchant du terme, le frisson et l’horreur, et la sueur et l’épouvante. Mais après tout cela, une merveilleuse lumière, et dans de fraîches prairies, la musique et les chœurs de danse, et les discours sacrés et les visions saintes ; parfait maintenant et délivré, maître de lui-même et couronné de myrte, l’initié célèbre les orgies en compagnie des saints et des purs, et regarde d’en haut la foule non purifiée, non initiée des vivants, qui s’agite et se presse dans la fange et le brouillard, attachée à ses maux par la crainte de la mort et l’ignorance du bonheur qui est au delà.

Il y avait, dit Creuzer, pour la célébration des mystères, un rituel en forme, qui était attribué à l’antique Orphée, et qui, à en juger par quelques fragments, n’était peut-être pas moins détaillé que les prescriptions de Moïse aux lévites. Nous devons au savant Macrobe un de ces fragments, dans lequel est déterminé la manière dont Dionysos (ou Bacchus) doit être représenté en qualité de démiurge. Il y est fait mention avant tout du peplum de pourpre, semblable au feu, et de la peau bigarrée du faon, figurant le ciel parsemé d’étoiles ; ensuite du baudrier d’or, emblème du soleil levant et colorant le ciel des premiers feux de l’aurore ; enfin de la ceinture, emblème de l’Océan qui entoure la terre. C’étaient là des instructions pour le costumier ou stoliste, comme les Grecs d’Égypte appelaient dans leur langue une des divisions de la caste sacerdotale de cette contrée.

La ceinture mystique (fig. 710) est en effet représentée sur de très nombreux monuments et principalement sur des vases funèbres.

La figure 711, tirée d’un vase peint, montre une jeune fille tenant en main une grande ceinture. Nous croyons qu’on peut également rapporter au culte de Déméter les femmes tenant des corbeilles dont on voit si fréquemment la représentation (fig. 713 et 714). Ces corbeilles contenaient probablement des gâteaux d’orge et comme le culte de Bacchus était intimement lié à celui de Cérès, le gâteau sacré devait être accompagné de libations. La jeune fille représentée sur la figure 712 tient un vase et une coupe à libations.

Les Romains avaient aussi des fêtes importantes en l’honneur de Cérès. La procession des Ambarvales, qui se faisait tous les ans au mois de mai, parcourait les terres ensemencées, pour demander à la déesse la fertilité des campagnes. La fête des céréales, consacrée à la même divinité, ressemblait davantage aux cérémonies d’Éleusis, d’où elles tiraient leur origine. Au mois d’avril, les dames romaines, vêtues de blanc et portant des flambeaux, figuraient par leurs processions les voyages de Cérès à la recherche de Proserpine, et jeûnaient tout un jour en commémoration du jeûne que s’imposa Cérès jusqu’à ce qu’elle eût retrouvé sa fille. Plusieurs statues qu’on désignait autrefois sous le nom de Cérès sont aujourd’hui regardées comme représentant simplement des prêtresses de cette divinité (fig. 715). Il y avait d’ailleurs des personnes d’un rang élevé qui se faisaient représenter avec les attributs de la déesse des moissons. C’est ainsi qu’une jolie statue du musée du Louvre nous montre Julie en Cérès.

Nous avons décrit plus haut les cérémonies et les grandes processions que les Grecs accomplissaient en l’honneur de Bacchus. Les bacchanales romaines étaient à l’origine peu différentes de celles des Grecs. Les femmes seules y étaient admises et elles élisaient entre elles les prêtresses qui devaient présider à la cérémonie, qui avait lieu tous les mois. Quand plus tard les hommes furent admis à célébrer ces fêtes conjointement avec les femmes, il s’y introduisit des désordres tellement graves qu’on défendit aux personnes âgées de moins de vingt ans, de s’y mêler en aucune façon. Néanmoins les sujets de plainte étant devenus de plus en plus nombreux, le sénat finit par lés interdire tout à fait.

La fête des Panathénées, dédiée à Athènè, avait une très grande importance dans l’antiquité. On y recevait tous les peuples de l’Attique afin de les habituer à considérer Athènes comme la patrie commune. On conduisait en grande pompe le voile de la déesse, brodé par les jeunes filles d’Athènes, et chaque colonie amenait un bœuf sous forme de tribut à Pallas Athènè. Les bœufs servaient ensuite au repas qui suivait la procession. Il y avait des jeux en l’honneur de la déesse. Ils étaient de trois espèces : course équestre et aux flambeaux, combats gymniques entre les athlètes et lutte pour la poésie et la musique. Les poètes faisaient représenter leurs pièces et les meilleurs musiciens de toute la Grèce accouraient pour ces luttes. Le prix était une couronne d’olivier et un vase d’huile, car on n’oubliait pas que la déesse avait fait germer le premier olivier qui ait poussé dans l’Attique et la culture de cet arbre était devenue une source inépuisable de richesses pour le pais. Ces vases donnés en prix portaient le nom de vases panathénaïques (fig. 716). Plusieurs ont été conservés et on peut en voir un fort beau au musée du Louvre. Pallas Athènè est toujours figurée sur l’un des côtés et le revers représente ordinairement l’exercice pour lequel le prix a été décerné. On y voit aussi quelquefois le nom des archontes en fonctions. Pendant la procession, tous les assistants, hommes et femmes, tenaient en main un rameau d’olivier.

Les bas-reliefs sculptés sur la cella du Parthénon représentent les rites sacrés de la fête des Panathénées. On y voit la scène qui se passait dans le sanctuaire de l’Érechthéion, où le peuple n’entrait pas. Le but religieux de la fête était de couvrir la déesse d’un voile nouveau en remplacement de celui qui avait fait son temps. Hais le but politique était tout autre : il s’agissait de montrer que Minerve était Athénienne par le cœur, et qu’on ne pouvait invoquer sa protection si l’on n’était l’ami d’Athènes. On voit la prêtresse qui reçoit de deux jeunes vierges les objets mystérieux qu’elles lui apportent. Ces jeunes filles sont des enfants, car, d’après les rites, elles ne pouvaient avoir moins de sept ans ni plus de onze. Pendant la nuit qui précède la fête, dit Pausanias, elles prennent sur leur tête ce que la prêtresse leur donne à porter. Elles ignorent ce qu’on leur remet ; celle qui le leur donne l’ignore aussi. Il y a dans la ville, près de la Vénus des jardins, une enceinte où se trouve un chemin souterrain creusé par la nature. Les jeunes filles descendent par là, déposent leur fardeau, et en reçoivent un nouveau soigneusement couvert. Ce fardeau précieux contenait le vieux vêtement, et celui qu’elles rapportaient renfermait le nouveau. Comme la scène se passait la nuit, l’une d’elles tient un flambeau allumé. Pendant que la prêtresse reçoit la nouvelle parure de la déesse, le grand prêtre, assisté d’un jeune garçon, est occupé à plier l’ancien peplum.

Le public n’assiste pas à la scène mystérieuse du sanctuaire, mais les dieux, spectateurs invisibles, sont figurés assis et disposés en groupes symétriques. Parmi eux, on voit Pandrose, recouverte du voile symbolique qui caractérise le sacerdoce ; elle montre au jeune Érechthée, accoudé sur ses genoux, la tête de la procession qui s’avance vers le sanctuaire. C’est d’abord un groupe de vieillards à l’allure grave, qui sont enveloppés dans leurs manteaux et s’appuient presque tous sur leurs bâtons. Ils sont les gardiens des lois et des rites sacrés, car on en voit qui semblent donner des instructions aux jeunes vierges athéniennes qui défilent après eux. Celles-ci portent avec gravité le chandelier, la corbeille, les vases, les patères et tous les objets destinés au culte. Elles défilent lentement et d’un pas rythmé don t les grands plis tombants de leur draperie accentuent encore la calme tranquillité (fig. 717).

Après les Athéniennes viennent les filles des étrangers domiciliés à Athènes. Elles n’ont pas le droit de porter des objets aussi saints, mais elles tiennent en main les pliants qui serviront aux canéphores. Venaient ensuite les hérauts et les ordonnateurs de la fête, qui précèdent les bœufs destinés au sacrifice, puis des enfants qui conduisent un bélier. Des hommes les suivent, tenant des bassins et des outres pleines d’huile. Derrière ceux-ci, les musiciens jouent de la flirte ou de la lyre, et une suite de vieillards, qui tiennent tous en main un rameau d’olivier, terminent le cortége sacré. C’est alors que commencent à défiler les chars à quatre chevaux et la longue suite des cavaliers. On se rappelait que Minerve avait appris aux hommes l’art de dompter les chevaux et de les atteler au joug, et des jeux équestres accompagnaient toujours sa fête. Une suite de jeunes hommes, dont la chlamyde flotte au vent derrière leurs épaules, domptent leurs chevaux thessaliens qui se cabrent en leur résistant.

Cette grande cavalcade du Parthénon (fig. 718, 719), si célèbre comme ouvrage de sculpture, montre l’épisode la plus caractéristique de la fête des Panathénées. Toute la jeunesse athénienne était là, faisant parade de son adresse en équitation devant une population fière de la regarder.

Les Lacédémoniens avaient aussi une grande fête en l’honneur de Diane, mais elle a toujours conservé un caractère extrêmement barbare. Elle consistait surtout en flagellations d’enfants qui s’exécutaient devant l’autel de la déesse.

Les Adonies, fêtes en l’honneur du dieu Syrien Adonis, avaient lieu dans la plupart des villes grecques. Les femmes en grand deuil venaient pleurer devant l’image d’un jeune homme mort à la fleur de l’âge, comme avait péri Adonis, et après plusieurs jours passés à donner tous les signes de la plus profonde affliction, on faisait une grande procession en portant des rameaux et des fleurs printanières. Cette fête, qui répond pour l’époque à la Pâques des chrétiens, était un symbole de la nature, qui, après avoir vu mourir en hiver sa parure de végétation, assiste à sa résurrection dès que viennent les premiers jours du printemps.

Les Hécatéries étaient des fêtes en l’honneur d’Hécate, qui se célébraient aux nouvelles lunes : les gens riches faisaient dresser dans les carrefours des tables pleines de mets qu’ils offraient au peuple.

Les Saturnales, fêtes romaines en l’honneur de Saturne, se célébraient le dix-sept du mois de décembre et duraient trois jours, qui se passaient en réjouissances et en festins. Elles étaient destinées à rappeler l’égalité qui régnait au temps de Saturne, lorsque les hommes vivaient selon les lois de la nature et sans diversité de conditions. La statue de Saturne, qui était liée de bandelettes de laine pendant toute l’année, en était dégagée pendant sa fête, et dès que cette cérémonie était accomplie, les enfants se mettaient à courir par toute la ville en poussant les cris des saturnales. Alors la puissance des maîtres sur leurs esclaves était momentanément suspendue, les écoles étaient fermées, les tribunaux vaquaient, et on se faisait mutuellement des présents. Mais c’est surtout l’interruption des rapports habituels des esclaves avec leurs maîtres qui caractérisait ces fêtes. Ils changeaient entre eux de vêtements, et les esclaves étaient en quelque sorte maîtres de la maison pendant les trois jours que durait la fête. Non seulement ils avaient la liberté de dire et de faire impunément tout ce qui leur plaisait, mais ils mangeaient à la même table que leurs patrons à qui ils n’épargnaient pas les quolibets. La plupart des riches Romains quittaient leur domicile pendant ces jours-là et se rendaient à la campagne pour éviter le tapage et la familiarité gênante que ces fêtes entraînaient avec elles.

Les Terminales étaient des fêtes romaines en l’honneur du dieu Terme, qui avait son temple sur le mont Tarpéien. Le roi Numa avait établi cette fête pour éviter les discussions entre les propriétaires des biens : il avait fait placer des bornes sur la limite des propriétés de chacun et décidé que celui qui enlèverait ces bornes pourrait être tué impunément et que sa tête serait vouée aux dieux infernaux. Aussi les fêtes du dieu Terme se célébraient dans les champs. On ne pouvait y sacrifier rien qui eût vie, parce que l’on aurait regardé comme un sacrilège d’ensanglanter ces bornes. Ces fêtes étaient accompagnées de danses et de festins où les gens de la campagne se rendaient en foule.

Les Lupercales, ou fêtes en l’honneur du dieu qui protège les bergers en chassant les loups, avaient un caractère tout particulier. On attribuait à ce dieu le pouvoir d’empêcher la stérilité et c’est à cette croyance qu’il faut attribuer les singulières cérémonies par lesquelles on l’honorait à Rome. Les jeunes gens qui, au mois de février, célébraient cette fête, immolaient d’abord une chèvre à la divinité qu’ils voulaient honorer. Pendant le sacrifice ils se teignaient le front du sang de la victime, et s’essuyaient ensuite avec de la laine trempée dans du lait. Pendant la cérémonie ils n’avaient d’autres vêtements qu’une peau de bouc autour des reins, puis ils couraient à travers les rues dans cet état de nudité, frappant avec une sangle faite aussi avec la peau de l’animal toutes les femmes qu’ils rencontraient sur leur chemin. Les femmes romaines, surtout celles qui n’avaient pas eu d’enfants, s’approchaient avec empressement pour recevoir ces coups, que l’on croyait propres à préserver de la stérilité.

Les Fébruales, fêtes romaines en l’honneur des morts, avaient été établies par Numa et se célébraient au mois de février, d’où elles ont pris leurs noms. Le culte des autres divinités cessait et leurs temples étaient fermés pendant ces fêtes qui consistaient à offrir des sacrifices sur les tombeaux à la lueur des torches, et pendant lesquelles on ne contractait pas de mariages, parce que ces jours étaient réputés malheureux. Les Lémuries, autre fête en l’honneur des morts, qui se célébrait dans le mois de mai, avaient surtout pour but d’empêcher les ombres des décédés, ou les revenants, de quitter les enfers pour venir hanter la terre des vivants. Cette fête, très curieuse par les cérémonies superstitieuses qui s’y rattachaient, consistait surtout en petits présents que l’on faisait aux ombres pour les empêcher de gêner les vivants par leur présence. A minuit, chaque père de famille allait faire ses ablutions dans une fontaine voisine pour se purifier, et en s’en allant, il jetait par-dessus sa tête et sans se retourner des fèves qu’il avait dans la bouche et que l’ombre était censée ramasser. Ensuite, il frappait un coup sonore sur un vase d’airain en disant : ombre d’un tel, retirez-vous, parole qu’il devait répéter neuf fois de suite.

 

LA TRANSFORMATION CHRÉTIENNE. — Le christianisme, malgré les persécutions qu’il a endurées, n’a été, vu le point où étaient arrivés les cultes antiques, qu’une transformation à peine sensible. Le monothéisme était établi partout et les philosophes païens le proclamaient aussi bien que les chrétiens. Les cultes mystiques de l’Orient avaient complètement altéré le vieux paganisme grec et romain, qui vers la fin de l’empire n’existait plus que dans quelques cérémonies surannées.

La doctrine chrétienne, qui, à l’origine, était empreinte d’un caractère asiatique très prononcé, s’enrichit promptement des idées platoniciennes de la philosophie grecque, et le sacerdoce, dès qu’il put se constituer, chercha à adopter la savante organisation romaine, mais il ne parvint jamais à s’assimiler complètement à son modèle.

En effet, le souverain pontife des Romains était le premier des magistrats civils en même temps que le chef de la religion. C’est pour cela que les empereurs adoptèrent ce titre qu’ils auraient sans doute gardé, si les barbares n’avaient envahi l’Italie. L’évêque de Rome se constitua forcément chef de la catholicité, parce qu’il ne pouvait être ni le subordonné de l’empereur d’Orient qui était incapable de le défendre, ni le sujet d’un chef barbare, qui, en lui imposant sa volonté, aurait pu altérer le caractère de la doctrine. Le pape, ne pouvant être civilement au-dessus des autres souverains, le fut religieusement. C’est à cette circonstance spéciale que la doctrine catholique doit de s’être conservée intacte jusqu’à nos jours, triais c’est aussi à la même cause qu’il faut attribuer l’antagonisme, qui, depuis que la papauté est constituée, n’a cessé d’exister entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux.

 

Fin de l’ouvrage