LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME IV — LES INSTITUTIONS DE L’ANTIQUITÉ

INSTITUTIONS RELIGIEUSES. — III. - LE CULTE EN GRÈCE

 

 

LES TITANS. - L’OLYMPE. - LES DIEUX DU CIEL. - LES DIEUX DE LA TERRE. - LES DIEUX DES EAUX. - LES DIEUX DU FEU. - LES DIEUX DES ENFERS. - LES HÉROS. - LES DIEUX DOMESTIQUES.

 

LES TITANS. — On a supposé, dit M. Louis Ménard dans le Polythéisme hellénique, qu’à une époque indéterminée, mais antérieure aux temps, historiques, une transformation s’était produite dans la religion des Grecs ; le culte hellénique des Olympiens aurait remplacé le culte pélasgique des Titans, Héphaistos aurait succédé à Prométhée, Apollon à Hypérion, Zeus à Kronos. Il y a autant de raisons pour rejeter cette conjecture que pour l’admettre. Rien n’établit l’antériorité historique des Titans sur les dieux olympiens ; les uns comme les autres ont leurs analogues dans la religion védique.

Ce qui rend cette question extrêmement complexe, c’est que, d’une part, Homère, le chantre des dieux olympiens, est antérieur, chronologiquement, à Hésiode, le chantre des Titans, et que, d’autre part, la mythologie d’Hésiode a un caractère beaucoup plus barbare et plus primitif que celle d’Homère. Il y a là des traditions différentes, mais le culte des Titans s’est effacé peu à peu devant celui des dieux olympiens, sans toutefois disparaître complètement. Toutefois la différence de ces cultes nous apparaît sous une forme géographique plutôt qu’historique. Homère, habitant des villes maritimes où la civilisation est assez avancée, nous montre un Olympe bien ordonné, quoique composé d’éléments très divers : c’est ce qu’on pourrait appeler la mythologie des côtes et des îles. Hésiode, au contraire, qui est un berger habitant l’intérieur des terres, nous rapporte les traditions conservées dans des contrées montagneuses, peu fréquentées par les voyageurs et moins avancées en civilisation. Deux raisons nous autorisent à parler d’abord des Titans : non seulement ils sont dans la légende les ancêtres des dieux olympiens, mais leur culte ayant disparu plus vite a laissé moins de traces dans la fusion opérée par les Romains.

Il ne faut pas chercher dans les dieux de cette époque une généalogie bien nettement déterminée, car les autres mythologues ne sont pas toujours d’accord avec Hésiode. Après le Chaos, qui est antérieur à toutes choses, le Ciel (Ouranos) devint l’époux de la Terre et de leur union naquirent les Titans, dont les principaux sont le Temps (Kronos, plus tard confondu avec Saturne), Océan, le père des fleuves ; Atlas, personnification des montagnes ; Japet, l’ancêtre du genre humain. Les Éclairs (Cyclopes) et les Tempêtes (Hécatonchires), également nés du Ciel, apparaissent un moment, puis disparaissent sans qu’on sache où ils sont passés. C’est. que le Ciel, quand il lui naît des enfants de cette espèce, les replonge aussitôt dans le sein de la Terre, leur mère. Celle-ci pourtant, irritée de ce procédé, engagea les Titans à se révolter contre leur père : le Temps (Kronos) se mit à leur tête et, armé d’une sorte de faucille, appelée harpè, que lui avait remise sa mère ; il blessa grièvement son père et le réduisit à l’impuissance. Le sang qui, de la plaie céleste, tomba sur la terre, en fit sortir les Érinnyes  (ou Furies) ; celui qui tomba sur la mer fit naître Aphrodite (ou Vénus), personnification de l’attrait.

Quand le Temps eut chassé son père, celui-ci lui prédit qu’il serait à son tour détrôné et chassé par ses fils.

Le Temps nous apparaît bientôt comme l’époux de la Terre (Rhéa, plus tard identifiée avec Cybèle), et comme il détruit tout ce qu’il produit, les Grecs disaient qu’il dévorait ses enfants dès leur naissance. Rhéa gémissait d’avoir mis au monde tant d’enfants sans être jamais mère. Elle réussit pourtant à soustraire Zeus (Jupiter) à la voracité de son père, en lui substituant une pierre ; elle le cacha dans une grotte du mont Ida, où il fut élevé par les nymphes. Pour que Kronos n’entendit pas les cris de l’enfant, les Curètes frappaient leurs épées sur leurs boucliers, en dansant autour du nouveau-né.

Cependant, trompé par les perfides conseils de Rhéa, Kronos prit un breuvage qui l’obligea à rendre ceux de ses enfants qu’il avait déjà avalés, et qui, parvenus à l’âge d’homme, prêtèrent leur appui à Zeus, dans sa révolte contre son père. Les dieux partisans de Zeus se postèrent sur le mont Olympe ; les Titans occupèrent le mont Othrys, placé vis-à-vis. De ces positions, ils commencèrent une guerre furieuse qui dura dix années entières, lutte sanglante où l’avantage flottait égal entre les deux partis. Les Olympiens tiraient leur force principale du concours que leur apportèrent les Cyclopes (éclairs) et les Hécatonchires (tempêtes), que Jupiter avait retirés du gouffre où ils avaient été plongés. En souvenir de ce bienfait, les Cyclopes, ouvriers divins d’une taille gigantesque et qui n’ont qu’un œil au milieu du front, remirent à Zeus (Jupiter) le tonnerre, qui était enfoui dans les flancs de la terre. Ils donnèrent aussi à Poséidon (Neptune) le trident qui devint son attribut, et à Hadès (Pluton) un casque qui le rendait invisible. Les Titans, vaincus, furent plongés dans le Tartare, lieu obscur et affreux, que les dieux ont en horreur.

La Terre, voulant venger les Titans, ses premiers enfants, s’unit au Tartare et mit au monde l’effroyable Typhaon, le tremblement de terre personnifié. A côté des phénomènes prévus et périodiques, répondant à l’idée de loi, il y a des phénomènes irréguliers qui semblent contredire les premiers et entrer en lutte avec eux. Les orages, les volcans, les cataclysmes violents qu’on ne peut ni prévoir ni éviter, sont, aux yeux des anciens Grecs, des ennemis. de la règle, dès agents de destruction déchaînés contre les lois divines, toujours vaincus, mais toujours rebelles. Ces forces irrégulières et tumultueuses sont les Géants, fils de la terre et implacables ennemis des dieux. Ils recommencent une guerre terrible qui, dans la légende, se confond avec celle des Titans, dont les Géants paraissent n’être qu’un dédoublement.

Les fables qui concernent ces luttes semblent un vague récit des cataclysmes géologiques et la forme de serpents que prennent dans l’art les Géants fils de la Terre fait songer aux grands reptiles disparus (fig. 515). La légende reparaît sous mille aspects différents en changeant les noms des Géants et le détail de leurs combats contre les dieux, mais elle traduit sans cesse les mêmes impressions. L’ensemble de cette période mythologique comprend donc d’abord une phase de formation, et ensuite la lutte des forces désordonnées et irrégulières, qui sont les Titans et les Géants, contre l’établissement de la loi régulière de la nature établie par Zeus et les dieux olympiens.

La mer (Pontos) enfanté aussi des monstres : les Grées et les Gorgones sont les filles de Phorcys, vieillard qui commande aux flots. Aussi elles représentent l’épouvante, et l’une des Gorgones, Méduse, transforme en pierres tous ceux qui la regardent. C’est pour cela que son image apparaît souvent sur les meubles et surtout au fond des plats, où elle a pour mission d’écarter le mauvais sort et d’effrayer les esprits malfaisants qui hantent les maisons (fig. 516). La tête de la Gorgone est un emblème religieux qui se place sur l’égide de Jupiter et surtout sur l’égide de Minerve, où elle apparaît comme un trophée. C’est en effet Persée, fils de Jupiter, qui a tué la Gorgone, et c’est encore là un des traits qui attestent la victoire des Olympiens sur de vieilles divinités transformées en monstres hideux.

Plusieurs divinités, d’un caractère très ancien se sont absolument  modifiées sous l’influence des idées d’un autre âge. Ainsi Hermès, qui à l’origine était un dieu pastoral, devient dans l’Olympe le messager des dieux. D’autres s’effacent en quelque sorte pour s’enrôler à la suite d’une divinité d’origine plus récente, comme Pan, qui, après avoir été en Arcadie le symbole de la vie universelle, se retrouve à une autre époque dans le cortège de Dionysos (Bacchus). Enfin il y en a, comme Hécate ou les Euménides, qui n’ont jamais cessé d’être honorées, mais qui ont un culte à part, tout à fait distinct de celui des autres immortels.

Les croyances des Grecs ne constituent pas un tout homogène, en sorte qu’il est à peu près impossible de leur assigner un classement bien méthodique. En disposant par groupes spéciaux les dieux du ciel, de la terre, des eaux, du feu et des enfers, nous avons cherché à être aussi rationnel que possible ; mais plusieurs divinités pourraient facilement se rattacher à différents groupes.

 

L’OLYMPE. — Le choix que les Grecs ont fait du mont Olympe comme séjour des dieux prouve qu’ils, regardaient cette montagne comme la plus haute du monde. Dans l’impossibilité où on était de se figurer les immortels éternellement suspendus dans le ciel, on leur donnait pour demeure une montagne réputée inaccessible ; il n’est donc pas étonnant que les cimes neigeuses de l’Olympe, toujours environnées de nuages, soient devenues le séjour des dieux. Le mont Olympe a perdu tout son prestige, quand le mathématicien Xénagoras eut donné la mesure exacte de sa hauteur, et à la chute du paganisme, il n’était plus guère question de lui ; mais dans la période mythologique c’est là que se tenaient les assemblées des dieux.

Les dieux passent leur vie dans les festins et ne sont pas sujets aux maladies. Du haut de leur Olympe, ils règlent les lois de l’univers et leur providence intervient souvent dans les actes des mortels. Les dieux étant les forces de la nature personnifiée, chacun d’eux remplit dans l’ordre de l’univers une fonction déterminée, et si, dans les traditions mythologiques, on les voit souvent en lutte les uns contre les autres, jamais une divinité ne cherche à empiéter sur les fonctions d’une autre en s’opposant à sa décision.

Au sommet des divinités helléniques et les embrassant toutes dans son immensité est Zeus (Jupiter), le roi des dieux et des hommes. Quelle que soit la puissance que chacun des dieux peut exercer dans le rôle qui lui est assigné, Zeus conserve toujours le rang suprême, et au besoin il leur rappelle qu’il est le plus fort. Homère met le discours suivant dans la bouche du roi des dieux : Dieux et déesses, dit Zeus, voulez-vous l’éprouver vous-même ? Eh bien ! du haut du ciel, suspendez une chaîne d’or à laquelle vous vous attacherez tous, et malgré vos efforts vous ne pourrez faire descendre sur la terre Zeus, votre maître suprême ! Mais à mon tour, si je le voulais, moi, je vous enlèverais aisément avec la terre et la mer ; et si je fixais à l’extrémité de l’Olympe la chaîne qui vous tiendrait tous, l’univers serait suspendu devant moi, tant je suis supérieur en force et en puissance aux hommes et aux dieux.

Suivant la fable, Zeus, après sa victoire sur les Titans, aurait partagé l’empire du monde avec ses frères, se réservant le ciel, et laissant à Poséidon (Neptune) les mers et à Hadès (Pluton) le monde souterrain ou les enfers. Mais ces trois divinités, que la poésie a séparées, n’en. font qu’une en réalité, puisque l’art, tout en leur donnant des emblèmes différents, leur a conservé le même type dans la physionomie. En réalité, Poséidon n’est qu’un Zeus marin, comme Hadès n’est qu’un Zeus infernal.

Les dieux et les déesses, manifestations spécialisées de la puissance de Zeus, sont ses enfants ou ses épouses. En effet, outre Héra (Junon), la sœur et l’épouse du roi des dieux, qui parait spécialement comme reine du ciel, nous voyons Zeus contracter une multitude d’unions tantôt avec des déesses, tantôt avec des femmes mortelles. Ces hymens du dieu suprême ont toujours une signification, mais elle est différente quand l’épouse qu’il prend est une déesse, ou quand c’est une mortelle. Si c’est une déesse, elle représente simplement une manifestation différente de la force divine. Ainsi Zeus est l’époux de Métis (la Réflexion) ; dès qu’il l’a épousée, il l’avale, se conformant aux habitudes de sa famille, et met au monde une fille sortie de son cerveau, Athènè, (la Sagesse divine). Si brutale que paraisse cette antique légende, elle se comprend facilement : le dieu se nourrit de la Réflexion pour engendrer la Sagesse. Mnémosyne (la Mémoire) est une autre épouse de Zeus ; de l’union de la Mémoire avec le souffle divin naissent les Muses (l’Inspiration).

Avec Thémis (la Justice), Zeus devient père des Parques inexorables et des Heures (ou Saisons), dont rien ne peut arrêter la marche, parce qu’elles n’empiètent jamais l’une sur l’autre. Déméter (Cérès), personnification de la Terre féconde, et mère de Perséphone (Proserpine), qui est le grain de blé ; Latone, mère d’Apollon et d’Artémis (le Soleil et la Lune) ; Eurynome, mère des Grâces ou bienfaits, apparaissent tour à tour comme épouses de Zeus, parce qu’elles personnifient des qualités inhérentes à sa nature.

Les unions que Zeus contracte avec les femmes mortelles répondent dans la fable à une pensée différente : c’est de là que naissent les héros, comme Persée ou Hercule. Les héros sont les protecteurs des villes qui toutes ont la prétention de se rattacher à Zeus par une tradition quelconque. Ainsi Lacédœmon, époux de Sparta, est fils de Zeus et de Taygète ; les Arcadiens ont pour premier roi Arcas, fils de Zeus et Callisto ; les Crétois reçoivent des lois de Minos, fils de Zeus et d’Europe, etc. Ce n’est donc pas sans raison que Zeus est appelé le père des dieux et des hommes.

Le culte des dieux olympiens diffère de celui des Titans par un point essentiel. On honore les dieux olympiens en leur élevant des statues, tandis que les Titans n’en ont pas. Les très rares images que nous possédons des Titans appartiennent à la décadence, et encore ces images ne se montrent que dans dés bas-reliefs et dans un rôle accessoire. Les dieux qui répondent au génie artistique des Grecs sont donc .les dieux de l’Olympe.

Les emblèmes de ces dieux ont été adoptés également pour les dieux latins auxquels ils ont été assimilés dans la période romaine, ce qui jette une grande confusion dans les représentations qui les concernent. Cette confusion s’augmente encore par l’habitude qu’ont eue jusqu’à ce jour les écrivains français de désigner les divinités de la Grèce sous le nom que leur ont donné les Romains. Mais pour montrer les différences qui peuvent exister dans le culte des deux nations, il était nécessaire de conserver à chaque divinité le nom qu’elle portait chez la nation qui lui rendait hommage.

 

LES DIEUX DU CIEL. — Le père des dieux et des hommes, Zeus (Jupiter), représente dans l’ordre physique l’air vital qui pénètre toutes choses, et dans l’ordre moral, il est le lien des sociétés humaines, le gardien des traités, le protecteur des pauvres, des suppliants et de tous ceux qui n’ont que le ciel pour abri : Vois-tu, dit un fragment d’Euripide, cette immensité sublime qui entoure la terre de toutes parts ? C’est là Zeus, c’est le Dieu suprême. Varron dit aussi : Voilà pourquoi les toits de ses temples sont ouverts polir laisser voir le divin, c’est-à-dire le ciel ; on dit même qu’il ne faut le prendre à témoin qu’à ciel découvert. Les temples de Zeus, en effet ; étaient toujours découverts : ce sont les dieux de la terre qui ont des temples fermés.

Pour montrer le caractère d’universalité que l’antiquité attribuait au roi des dieux, Creuzer s’appuie sur une hymne orphique conservée par Stobée : Zeus fut le premier et le dernier, Zeus, la tête et le milieu ; de lui sont provenues toutes choses. Zeus fut homme et vierge immortelle. Zeus est le fondement de la terre et des cieux ; Zeus, le souffle qui anime tous les  êtres ; Zeus, l’essor du feu, la racine de la mer ; Zeus, le soleil et la lune. Zeus est roi ; il a créé toutes choses. Il est une, force, un dieu, grand principe de tout ; un seul corps excellent, qui embrasse tous-les êtres, le feu, l’eau, la terré et l’éther, la nuit et le jour, et Métis, la créatrice première, et l’Amour, plein de charmes. Tous ces êtres sont contenus dans le corps immense de Zeus.

La figure 517, d’après un bas-relief du putéal du Capitole, montre le dieu sous sa forme archaïque ; il est vêtu d’un grand manteau qui retombe en plis nombreux et droits et tient en main le sceptre et le foudre ; le sceptre est l’insigne du roi des dieux, et le foudre indique le pouvoir qu’il possède seul de lancer le tonnerre où bon lui semble. Parmi les attributs qui ne figurent pas ici, il faut signaler l’aigle : l’oiseau qui vole le plus haut dans les airs était pour les anciens un emblème de la majesté divine. La couronne de chêne caractérise le Jupiter prophétique, spécialement honoré à Dodone. Considéré comme dieu actif, Zeus est debout ; quand il combat les Titans, il est sur un char ; quand il se repose dans le calme et la victoire, il est assis ; c’est l’attitude qu’on lui voit le plus souvent dans les monuments.

Une monnaie de Cyrène (fig. 518 et 519) nous montre d’un côté le dieu assis et portant son sceptre, et, de l’autre, le quadrige ou char de victoire, traîné par quatre chevaux.

La forme de Zeus pendant la grande époque de l’art est celle d’un homme barbu, dans la force de l’âge. il est généralement nu depuis la tête jusqu’à la ceinture : sa chevelure retombe comme une crinière des deux côtés du front, qui est clair et radieux dans la partie supérieure,  mais bombé dans la partie inférieure. il a les yeux enfoncés, une barbe épaisse et touffue : sa poitrine est ample, mais il n’a pas les formes d’un athlète (fig. 520). Son attitude est toujours majestueuse et les statuaires ne le montrent jamais dans un mouvement violent.

L’aigle de Zeus joue un rôle assez important dans la mythologie ; c’est lui qui enlève le jeune Ganymède pour en faire l’échanson du roi des dieux. C’est pour cette raison que l’aigle du dieu apparaît souvent dans les statues antiques à côté du jeune Phrygien (fig. 521).

Zeus a été honoré dans toute la Grèce, mais il avait quelques sanctuaires particulièrement célèbres. C’est à Dodone, en Épire, qu’il prend surtout un caractère prophétique. L’oracle de Dodone était considéré comme le plus ancien de la Grèce : il était consacré à Zeus qui, dans les médailles de l’Épire, est couronné de chêne. (Voir t. I, fig. 393.) Les prêtresses de Dodone ont fait à Hérodote le récit suivant sur l’origine de cet oracle : Deux colombes noires s’étaient envolées de Thèbes d’Égypte, l’une en Libye, l’autre chez les Dodonéens ; cette dernière se percha sur un chêne, et, prenant une voix humaine, elle leur dit qu’il fallait en ce lieu établir un oracle de Zeus ; le peuple comprit que ce message était divin ; il fit donc aussitôt ce qu’il prescrivait. Les prêtresses ajoutent que l’autre colombe ordonna aux Libyens de fonder l’oracle d’Ammon ; celui-ci est aussi un oracle de Zeus. Les prêtresses de Dodone m’ont rapporté ces choses. La forêt sacrée de Dodone renfermait les chênes prophétiques, et les oracles se rendaient par le bruissement des feuilles. La tribu sacerdotale des Selles desservait le culte de Zeus pélasgique établi à Dodone.

Le temple de Jupiter Ammon, établi dans l’oasis de Libye, n’était guère moins célèbre que celui de Dodone. Mais comme cette divinité est le résultat de la confusion qui s’est établie entre Zeus, le dieu suprême des Grecs, et Ammon, le dieu suprême des Égyptiens de Thèbes, son calte était lié à des cérémonies qui pour la plupart se rattachent à l’Égypte. Zeus Ammon faisait connaître sa volonté en imprimant divers mouvements à la barque sacrée que les prêtres promenaient processionnellement.

De très anciennes traditions faisaient naître Zeus sur le mont Lycée en Arcadie. Il avait là un temple d’une haute antiquité et qui inspirait la plus grande vénération. Zeus arcadien est caractérisé par la couronne d’oliviers sauvages, ce qui le distingue de Zeus dodonéen, qui est couronné de chêne.

Toutefois, la tradition la plus répandue faisait de l’île de Crète le berceau du roi des dieux. C’est dans les grottes du mont Dictè qu’il avait été caché par Rhéa, protégé par les Curètes et élevé par les nymphes. C’est là qu’il avait tété le lait de la chèvre Amalthée et mangé le miel que lui apportaient les abeilles.

De nombreux temples ont été élevés à Zeus sur tous les points de la Grèce ; mais le temple d’Olympie, qui renfermait la fameuse statue de Phidias, était le plus célèbre. C’est près de ce temple que les Grecs célébraient les jeux olympiens, institués en l’honneur du roi des dieux.

Héra (Junon), la sœur et l’épouse de Zeus, est le lien de la famille, de même que Zeus est le lien de la cité. Déesse tutélaire du mariage et protectrice des unions chastes, Héra est pourtant altière et jalouse. Pour comprendre le rôle que la mythologie lui assigne à côté de Zeus, il faut se rappeler que le mariage grec, c’est-à-dire la monogamie, était opposé à toutes les habitudes des âges primitifs, où la polygamie était universelle. Zeus, dont les mœurs dissolues rappellent la vie des monarques orientaux, est obligé de se métamorphoser de cent manières différentes pour échapper à l’active surveillance de. la reine du ciel, déesse purement occidentale, qui prend dans l’esprit public le caractère d’une protestation. De là, l’humeur acariâtre que les poètes ont attribuée à Héra et que l’art a remplacée par une majesté grave, comme il convenait à la déesse qui représente l’épouse.

Depuis un temps immémorial, dit Ottfried Muller, le voile que prend la jeune fiancée, en signe de sa séparation d’avec le reste du monde animé, fut le principal attribut d’Héra (Junon) ; et dans les vieux simulacres de la déesse, il enveloppe souvent le corps tout entier (fig. 522) ; Phidias lui-même l’a caractérisée dans la frise du Parthénon par le voile rejeté en arrière de la fiancée. Dans les vieilles idoles, la déesse porte ou le disque qui se rapproche davantage de la forme ronde et que l’on nomme polos, ou le disque profondément échancré aux deux extrémités appelé stpéhanè. La figure 523 tient en main un disque rond.

On voit souvent aux côtés d’Héra un coucou ou un paon : le coucou est un souvenir de la fable qu’on racontait sur son union avec Zeus, et le paon un souvenir d’Argus, dont elle avait semé les cent yeux sur le plumage de son oiseau chéri.

Apollon, le dieu de la lumière et de l’harmonie universelle, était autrefois distinct du soleil (Hélios). Le Soleil voit tout et révèle ce qu’il voit : c’est lui qui dénonce à Héphaistos (Vulcain) l’infidélité de sa femme, à Déméter (Cérès) le rapt de sa fille ; le crime d’Atrée le fait reculer d’horreur. Toutes ces fables ne se rapportent pas à Apollon, à côté duquel on voit le Soleil formant un personnage distinct, dans un bas-relief qui représente Arès et Aphrodite (Mars et Vénus) surpris par Héphaistos. Le colosse de Rhodes représentait Hélios (le soleil), divinité spécialement adorée dans cette !le ; mais il ne représentait pas Apollon.

Néanmoins, c’est toujours comme divinité solaire qu’Apollon se présente dans l’art comme dans le culte. Apollon lance au loin ses flèches (fig. 524) parce que le soleil darde au loin ses rayons ; il est le dieu de la médecine et le père d’Esculape, parce que le soleil guérit les maladies par sa chaleur bienfaisante ; il est le conducteur des Musés et le dieu de l’inspiration, parce que le soleil préside aux harmonies de la nature ; il est le dieu prophète, parce que le soleil éclaire devant lui et voit par conséquent ce qui va arriver.

C’est encore à son caractère solaire qu’Apollon doit la couronne de laurier qui est un de ses emblèmes (fig. 525). Le laurier, l’arbre qui lui est consacré, est l’arbre dont la nymphe Daphné prit la forme pour échapper aux poursuites du dieu. Les mythologues modernes voient dans le mythe de Daphné une personnification de l’aurore. Ainsi quand nous disons : l’aurore disparaît dès que le soleil se montre, les Grecs disaient dans leur langage mythologique : Daphné s’enfuit dès qu’Apollon veut l’approcher.

Les flèches d’Apollon expriment les rayons du soleil, bienfaisants quand le dieu dissipe les miasmes des marais, comme dans la légende du serpent Python, nuisibles quand ils frappent de mort subite, comme dans la fable des enfants de Niobé.

Apollon est toujours représenté jeune et imberbe, parce que le soleil ne vieillit pas. Dans l’Apollon sauroctone (fig. 526), le jeune dieu est accompagné d’un lézard, qu’il vient sans doute d’agacer avec sa flèche pour le réveiller de sa torpeur et l’exciter à marcher. Apollon, dans ce caractère, est considéré comme le soleil levant ou le soleil du printemps, parce que la présence du lézard coïncide avec s’es premiers rayons.

Quand il n’a pas ses flèches, Apollon porte une lyre ; les anciens considéraient les astres, la succession des jours et des saisons, tout ce qui se meut dans l’univers, comme une immense orchestration réglée par la lyre du dieu. C’est pour cette raison qu’Apollon est le conducteur des Muses, et dans ce rôle, au lieu d’être nu, comme quand il tient son arc et ses flèches, il paraît vêtu de la longue robe de citharède (fig. 527).

Apollon est né dans l’île sainte de Délos, qui était flottante autrefois, car elle a surgi des eaux pour offrir un refuge à Latone, la mère du jeune dieu, qu’elle mit au monde sous un palmier (fig. 528). Il y revient souvent, et le cygne, oiseau qui lui est consacré, lui sert de monture lorsqu’il veut se rendre chez les Hyperboréens, pays situé aux confins de la terre et où se trouve le griffon, animal fantastique, également consacré à Apollon (fig. 529).

L’animal prophétique d’Apollon est le corbeau, dont le plumage était très blanc autrefois, mais est devenu noir, quand le dieu a voulu punir cet oiseau d’avoir révélé les infidélités de Coronis. Les oiseaux, qui vivent entre le ciel, où sont les dieux, et la terre où habitent les hommes, sont nécessairement &es oiseaux prophétiques. Aussi, c’est en observant leur vol que les anciens devins savaient prédire l’avenir. C’était ce qu’on appelait connaître le langage des oiseaux.

Mais, à mesure que le culte d’Apollon s’est développé, la divination a pris un autre caractère qui est surtout remarquable à Delphes, lieu où Apollon a tué le serpent Python et où il est particulièrement honoré.

Le temple de Delphes, dit Strabon, se trouve être le centre, ou peu s’en faut, de la Grècej’entends de la Grèce prise dans sa plus grande extension, au delà comme en deçà de l’isthme; on l’a même longtemps considéré comme étant le centre de la terre habitée : de là cette dénomination de nombril de la terre, qu’on lui a appliquée, de là aussi cette fable qu’on lit dans Pindare, de cieux aiglesd’autres disent deux corbeauxque Jupiter fait partir en même temps, l’un de l’Occident, l’autre de l’Orient, et qui se seraient rencontrés juste en ce lieu. On peut voir aujourd’hui encore, dans le temple de Delphes, l’image grossière d’un nombril entouré de bandelettes et surmonté de ce double emblème dont parle la fable.

Cette dénomination de nombril de la terre explique la forme particulière que prend quelquefois le trône d’Apollon, ou tout au moins l’espèce de coussin enveloppé de bandelettes sur lequel reposent les pieds du dieu (fig. 530). La même forme de cône arrondi se retrouve sur la figure 531, au-dessus du trépied sacré placé entre deux lauriers. Mais c’est le corbeau, l’oiseau fatidique du dieu, qui repose ici sur le nombril de la Terre.

D’après les traditions mythologiques, ce fut après sa victoire sur le serpent Python qu’Apollon prit possession du lieu où devait s’élever le temple de Delphes. Le serpent Python avait été autrefois en possession des secrets que révèle l’avenir, car il gardait l’oracle de la Terre à la source de Castalie. En mémoire de sa victoire, Apollon entoura le trépied de son temple avec la peau du monstre, et c’est pour cela que le serpent est souvent figuré sur les monuments qui représentent le trépied d’Apollon (fig. 532).

La prêtresse chargée de rendre les oracles d’Apollon à Delphes s’appelait Pythie ou Pythonisse. On choisissait pour cette fonction une très jeune fille, pauvre, appartenant à une famille obscure, ayant été élevée loin des villes et dans une ignorance absolue de toutes choses : Elle ne connaissait, dit Plutarque, ni essence, ni tout ce qu’un luxe raft né a fait imaginer aux femmes. Le laurier et les libations de fariné d’orge étaient tout son fard. Un jour pourtant, une pythie extrêmement belle fut enlevée par un jeune Thessalien, et cet événement, inouï dans les annales religieuses de la Grèce, causa un si épouvantable scandale qu’on fit une loi pour qu’à l’avenir une femme ne pût exercer les fonctions de pythonisse qu’après cinquante ans révolus. On choisit alors pour cela des femmes dont là vie avait toujours été très pure, qui n’avaient pas fréquenté les villes, et dont l’esprit était peu cultivé. Ce point était très important, parce qu’il ne fallait pas que la pythie, au moment de l’ivresse prophétique, pût mêler ses propres connaissances aux inspirations qu’elle recevait directement du dieu. Les suppliants qui se présentaient dans le temple pour invoquer l’oracle devaient se purifier dans l’eau sainte, avoir la tête couronnée de laurier et tenir à la main un rameau entouré de laine blanche. La pythie devait avoir jeûné trois jours et s’être baignée dans la fontaine Castalie avant de monter sur le trépied sacré ; après cela, on lui faisait boire quelques gorgées de l’eau de la fontaine et mâcher des feuilles de laurier. Dès qu’elle commençait à respirer la vapeur divine, on la voyait s’agiter, pâlir et rougir tour à tour, et donner tous les signes des spasmes les plus violents. Bientôt ses yeux devenaient fixes ; sa bouche écumait, tout son corps tremblait convulsivement, et elle se mettait à pousser des cris et des hurlements accompagnés de mots incohérents. Ces mots étaient recueillis par les prêtres, qui leur donnaient, avec une forme métrique, une liaison qu’ils n’avaient pas dans la bouche de la pythie. Quand l’oracle était prononcé, on retirait la malheureuse prêtresse et on la reconduisait dans sa cellule, où il fallait lui donner des soins pendant plusieurs jours, car elle était toujours malade en sortant de là. Dans l’origine, la réponse du dieu, telle que les prêtres la donnaient, était toujours formulée en vers ; mais un philosophe s’étant avisé de demander pourquoi le dieu de la poésie s’exprimait en mauvais vers, cette saillie se répéta et le dieu ne parla plus qu’en prose, ce qui porta atteinte à son crédit.

Comme la pythie n’était que l’instrument dont Apollon se servait pour communiquer avec les hommes, on la voit rarement représentée sur les monuments figurés. Mais le dieu apparaît lui-même sur quelques monuments et notamment sur des vases peints, comme celui que montre la figure 533, où on le voit assis sur le trépied. Les poissons et autres productions maritimes paraissent être une allusion aux colonies, qui ne s’établissaient jamais sans que l’oracle eût fixé le point où les émigrants devaient se diriger.

Le trépied était le meuble religieux spécialement consacré à Apollon. Beaucoup de trépieds étaient en or, mais ceux qui nous sont parvenus sont tous en bronze (fig. 534).

L’oracle de Delphes avait un caractère essentiellement politique, ce qui lui donna une importance beaucoup plus grande qu’à l’antique oracle de Dodone, qu’on consultait surtout pour connaître la direction des vents et les variations que réservait la température. Les luttes mythologiques se rattachant à la possession du trépied sacré indiquent assez l’importance qu’on y attachait et la tentative d’Hercule pour s’en rendre maître est figurée sur plusieurs monuments, notamment sur le beau candélabre que montre la figure 535. Mais, dans la période historique, Delphes fut à l’abri des convoitises particulières, justement à cause du caractère sacré que tous les peuples d’origine grecque attachaient à ce lieu. Aucune cité de la Grèce ou de l’Asie Mineure n’aurait commencé une entreprise sans avoir interrogé la pythie. Gygès, Crésus, et le dernier roi de Rome firent aussi consulter l’oracle.

Les richesses du temple de Delphes étaient immenses. Toutes les villes de la Grèce ou des colonies y avaient un monument, autour duquel se groupaient des dons et des statues, et la plupart d’entre elles possédaient dans la ville sainte un trésor considérable. Le dieu savait défendre les richesses dont il était dépositaire, et lorsque les Perses, et plus tard les Gaulois voulurent piller le temple, le dieu prouva sa puissance par des phénomènes surnaturels. Mais Delphes perdit son prestige sous les Romains, car le sanctuaire fut impunément pillé par Sylla et dépouillé par Néron qui abolit l’oracle et partagea le champ sacré entre ses soldats. Constantin enleva les dernières statues qui restaient à Delphes, pour les envoyer à Constantinople, et Théodose, en proscrivant les cérémonies’ païennes, arrêta pour toujours la source des revenus d’une ville qui, pendant plus de dix siècles, avait été le sanctuaire le plus vénéré de l’antiquité.

Apollon avait d’autres sanctuaires où on avait consulter ses oracles, notamment à Claros, à Milet et à Délos ; mais ils n’eurent jamais l’importance de l’oracle de Delphes. Plusieurs divinités ont eu comme Apollon le don de rendre des oracles, et l’antre de Trophonius a même acquis pendant quelque temps une grande célébrité. Mais Apollon a toujours été le dieu qu’on invoquait spécialement pour connaître l’avenir, et, quoique son crédit se soit beaucoup amoindri sous la domination romaine, il a persisté plus longtemps que celui d’aucune autre divinité du paganisme.

Les Muses doivent naturellement trouver leur place à côté d’Apollon. Dans la Piérie, dit Hésiode, Mnémosyne, qui régnait sur les collines d’Éleuthère, unie au fils de Kronos, mit au jour ces vierges qui procurent l’oubli des maux et la fin des douleurs. Durant neuf nuits, le prudent Jupiter, montant sur son lit sacré, dormit près de Mnémosyne, loin de tous les immortels. Après une année, les saisons et les mois ayant accompli leur cours et des jours nombreux étant révolus, Mnémosyne enfanta neuf filles animées du même esprit, sensibles au charme de la musique et portant dans leur poitrine un cœur exempt d’inquiétude ; elle les enfanta près du sommet élevé du neigeux Olympe, où elles forment des chœurs brillants et possèdent des demeures pacifiques ; à leurs côtés se tiennent les Grâces et le Désir dans les festins où leur bouche, épanchant une aimable harmonie, chante les lois de l’univers et les fonctions respectables des dieux. Fières de leurs belles voix et de leurs divins concerts, elles montèrent dans l’Olympe ; la terre noire retentissait de leurs accords, et sous leurs pieds s’élevait un bruit ravissant, tandis qu’elles marchaient vers l’auteur de leurs jours, ce roi du ciel, ce maître du tonnerre et de la brûlante foudre, qui, puissant vainqueur de son père Kronos, distribua équitablement à tous les dieux les emplois et les honneurs. Voilà ce que chantaient les Muses habitantes de l’Olympe, les neuf filles du grand Zeus, Clio, Euterpe, Thalie, Melpomène, Terpsichore, Érato, Polymnie, Uranie et Calliope, la plus puissante de toutes, car elle sert de compagne aux rois vénérables. Lorsque les filles du grand Zeus veulent honorer un de ces rois, nourrissons des cieux, dès qu’elles l’ont vu naître, elles versent sur sa Mangue une molle rosée, et les paroles découlent de sa bouche douce comme le miel. Tel est le divin privilège que les Muses accordent aux mortels.

L’art représente les Muses sous la forme de jeunes filles vêtues de longues robes. Elles furent peu à peu caractérisées par des attributs spéciaux et on assigna à chacune d’elles un rôle particulier.

Clio, la muse de l’histoire (fig. 536), tient à la main un rouleau, et Calliope, qui inspire les poèmes destinés à célébrer les héros, se prépare à écrire des vers sur une tablette (fig. 537). Érato est la muse de la poésie amoureuse. On l’invoquait dans les fêtes qui se donnaient à l’occasion des noces (fig. 538). La rêveuse Polymnie, qui préside à l’éloquence et à la pantomime, n’a pas d’attribut particulier ; mais elle est toujours enveloppée dans un grand manteau et dans l’attitude de la méditation ; sa tête est souvent couronnée de roses (fig. 539).

Melpomène, la muse de la tragédie, est coiffée d’un masque tragique, parce que la tragédie a été inventée pour célébrer les fêtes de Bacchus (fig. 540). Le masque et la couronne font aussi partie des attributs de Thalie, muse de la comédie ; mais son masque exprime le rire, et elle porte quelquefois le tympanon, sorte de tambour bachique, en usage dans les fêtes de Bacchus (fig. 541).

La figure 542, qui représente la muse Euterpe, nous montre une ample et longue tunique à manches, avec une large ceinture plate. Un grand manteau, jeté sur elle comme une chlamyde, mais fixé aux deux épaules par une agrafe, complète ce costume qu’on voit également à l’Apollon citharède, et qui passe pour avoir été porté par des musiciens. Euterpe, muse qui préside à la musique, tient en main une flûte, et Terpsichore, la muse de la danse, porte une lyre, parce que la poésie lyrique fait également partie de ses attributions (fig. 543).

Enfin Uranie, la muse de l’astronomie, tient d’une main une baguette touchant un globe, pour indiquer les signes qu’elle voit dans le ciel. Les anciens croyaient que les astres se mouvaient au son de la lyre d’Apollon, dont les accords réglaient la musique céleste, en sorte que pour eux l’astronomie était moins une science qu’un art émané de l’inspiration divine (fig. 544). Le sculpteur, pour mieux exprimer la rêverie céleste, représente cette muse accoudée sur un petit piédestal, auquel adhère également le pan de sa draperie.

Les figures dont nous avons donné la gravure passent pour être des imitations antiques d’ouvrages qui avaient une grande célébrité. Peut-être les originaux étaient-ils placés dans le vallon des Muses, situé au pied de l’Hélicon. D’après la description de Pausanias, ce vallon était rempli d’autels et de statues. Un des derniers écrivains païens, contemporain des invasions barbares, l’historien Zozime, parle de la destruction des images des Muses de l’Hélicon, qui avaient été conservées jusqu’au temps de Constantin. Alors, dit-il, on fit la guerre aux choses saintes ; mais la destruction des Muses par le feu fut un présage de l’ignorance où le peuple allait tomber.

Les Muses étaient très respectées, et la mythologie, si prodigue d’aventures galantes à l’égard de quelques déesses, n’en prête à aucune des neuf sœurs. Si le poète Orphée est quelquefois appelé fils de Calliope, c’est parce que le titre d’enfant des Muses était donné aux hommes que leur talent semblait mettre au-dessus des simples mortels. En effet, le talent des artistes était regardé comme un don spécial des Muses. Sur leurs statues, on lisait des inscriptions dans le genre de celle-ci : Ô déesses ! le musicien Xénoclès vous a élevé cette statue de marbre, monument de la reconnaissance. Chacun dira : Dans la gloire que lui ont acquise ses talents, Xénoclès n’a pas oublié celles qui l’inspirèrent. (Théocrite).

Les Muses sont quelquefois représentées avec des plumes sur la tête. Ce sont des trophées, qui rappellent la victoire des Muses sur les Sirènes, femmes à moitié oiseaux, qui étaient célèbres par leur cruauté autant que par la douceur de leurs chants. Les Sirènes, ayant osé se mesurer avec les Muses, celles-ci leur arrachèrent leurs plumes et s’en parèrent en signe de victoire.

Artémis (Diane) répond à la lune, comme Apollon répond au soleil. La ressemblance du croissant de la lune avec un arc d’or a fait donner à cette déesse les attributs d’une chasseresse. Une pierre sacrée, surmontée de cornes de cerf, paraît avoir été le plus antique symbole de la déesse des chasseurs arcadiens (fig. 545). Dans la figure 546, Artémis porte un flambeau, attribut qui m entre son caractère nocturne. Néanmoins, elle porte également l’arc, qui a été dans tous les temps son attribut distinctif.

Le type même de la déesse a subi dans le costume quelques modifications importantes. Dans les monuments de l’époque archaïque, Artémis porte une longue robe qui descend jusqu’aux pieds, comme on le voit sur les figures 547 et 548 ; on peut présumer que c’est ici la véritable Artémis arcadienne, que l’art a transformée plus tard sous l’influence des idées doriennes. En effet, dans les monuments d’une époque postérieure, Artémis est toujours représentée avec la tunique courte en usage parmi les Lacédémoniennes.

Ordinairement Artémis a l’attitude d’une personne qui court, tenant de la main gauche un arc et portant la droite au carquois qu’elle a sur l’épaule, comme pour en tirer une flèche. Ses cheveux sont relevés et noués sur le front, ou bien forment une seule touffe placée derrière la tête ou sur le sommet. Sa robe ne descend pas tout à fait jusqu’aux genoux et laisse une partie de la cuisse a découvert. On voit que c’est un costume fait pour ne gêner en rien la rapidité de la course. Souvent la déesse est accompagnée d’un chien ou d’un cerf ; mais alors le cerf, aussi bien que le chien, semble lui-même poursuivre d’autres animaux ; il figure là comme compagnon d’Artémis, dont il symbolise l’agilité. Telle est par exemple la fameuse statue du Louvre connue sous le nom de Diane à la biche (fig. 549).

Artémis a été identifiée avec Séléné, déesse lunaire de l’Asie-Mineure, à laquelle se rattache l’aventure d’Endymion, personnification du sommeil, et avec la Diane des Latins ; elle se confond avec celle-ci dans les monuments. Mais elle n’a absolument rien de commun avec la déesse asiatique désignée sous le nom de Diane d’Éphèse ; cette dernière, bien loin d’être une divinité chasseresse, est au contraire enfermée dans une gaine. Nous en avons donné la représentation plus haut (t. III, fig. 269).

L’hymne antique de Callimaque décrit exactement les goûts et les attributions d’Artémis : Chantons Artémis... (malheur aux poètes qui l’oublient !) Chantons la déesse qui se plaît à lancer des traits, à poursuivre les daims, à former des danses et des jeux sur la cime des montagnes. Rappelons ce jour où Artémis, encore enfant, était assise sur les genoux de Zeus, et lui adressait sa prière. Accorde, ô mon père ! accorde à ta fille de rester toujours vierge. Donne-moi, comme à Phébus (Apollon) un arc et des flèches... Non, mon père, ce n’est, point à toi d’armer ta fille ; les Cyclopes s’empresseront bientôt de me fabriquer des traits, de me faire un carquois. Mais donne-moi l’attribut distinctif de porter des flambeaux et de revêtir une tunique à franges qui me descendra jusqu’aux genoux, pour ne me point embarrasser à la chasse. Attache à ma suite soixante filles de l’Océan ; que vingt autres nymphes destinées à me servir aux heures où je cesserai de percer les lynx et les cerfs prennent soin de mes brodequins et de mes chiens fidèles. Cède-moi les montagnes. Je ne demande qu’une ville à ton choix ; Artémis descendra rarement dans les villes. J’habiterai les monts et n’approcherai des cités qu’au moment où les femmes, travaillées des, douleurs de l’enfantement, m’appelleront à leur aide. Tu sais qu’au jour de ma naissance, les Parques m’ont imposé la loi de les secourir, parce que le sein qui m’a porté n’a point connu la douleur et sans travail a déposé son fardeau.

Lorsqu’elle prend le rôle secourable de déesse qui vient en aide aux femmes dans les douleurs de l’enfantement, Artémis est invoquée sous le nom d’Ilithye.

Ilithye, divinité toujours vierge et qui ne voulut jamais recevoir aucun hommage, consacre tousses moments à venir en aide aux femmes dans le travail pénible de l’accouchement. Son nom est de bon augure, et quand on l’appelle trois fois, il est rare qu’on n’obtienne pas son assistance. La manière dont on invoquait la déesse nous a été conservée dans diverses pièces de l’anthologie grecque : De nouveau, Ilithye, à la voix de Lycenis qui t’appelle, viens ici prompte et secourable, procure-lui encore une couche heureuse. Elle t’offre aujourd’hui cet hommage pour une fille ; mais pour un fils, ce temple parfumé recevra un jour une bien autre offrande. L’anthologie nous présente encore cet autre exemple de remerciement : Après sa couche, Ambrosie, qui a échappé à d’amères douleurs, dépose à tes pieds glorieux, Ilithye, les bandelettes de ses cheveux et le voile dans lequel, après dix mois de grossesse, elle est accouchée de deux jumeaux.

Artémis était honorée sur plusieurs points de la Grèce, mais principalement dans le Péloponnèse. A Sparte, les jeunes filles exécutaient des danses en son honneur, et on fouettait les enfants devant son image pour les habituer à supporter les souffrances avec courage. Son culte était aussi très répandu sur les côtes du Pont-Euxin et notamment dans la Tauride, où avait été transportée Iphigénie. C’est peut-être par le voisinage des Scythes que le culte d’Artémis a pris dans l’origine un caractère farouche et sanguinaire, qu’il a d’ailleurs complètement perdu dans la grande époque de la Grèce.

Pallas-Athénè (Minerve), la fille de Zeus, sortie tout armée du front du roi des dieux, représente l’intelligence divine ; elle est à la fois la déesse guerrière qui protége la cité, et la déesse réfléchie qui instruit les hommes et les civilise. Aucune divinité ne peint mieux l’esprit grec, héroïque et industrieux tout à la fois, estimant au-dessus de tout le courage et l’intelligence.

Comme déesse de la guerre, Athénè est plus souvent invoquée sous le nom de Pallas ; comme déesse du travail elle prend le nom d’Erganè (l’ouvrière).

Un passage d’Artémidore, nous montre les fonctions multiples d’Athénè : Athénè est favorable aux artisans, à cause de son surnom de l’ouvrière ; à ceux qui veulent prendre femme, car elle présage que cette femme sera chaste et attachée à son ménage ; aux philosophes, car elle est la sagesse née du cerveau de Zeus. Elle est encore favorable aux laboureurs, parce quelle a une idée commune avec la terre ; et à ceux qui vont à la guerre, parce qu’elle a une idée commune avec Arès. Toutefois cette déesse ne fait pas double emploi avec Arès (Mars), car celui-ci représente surtout la fureur sanglante des mêlées, tandis que Pallas personnifie plutôt la tactique, ou, si l’on veut, la méthode dans l’art de la guerre.

L’olivier est consacré à Athénè, qui prend par ce fait un caractère agricole. La chouette, l’oiseau qui voit clair la nuit, est aussi un attribut de la déesse qui représente l’intelligence divine. Nous en avons vu déjà la représentation sur des monnaies d’Athènes (t. III, fig. 446 et 448). La quenouille et le fuseau sont dans ses attributs, parce qu’elle est la protectrice des ouvrières, comme on le voit dans cette invocation tirée de l’anthologie : Ô Athénè, les filles de Xuthus et de Melitè, Satyre, Héraclée, Euphio, toutes trois de Samos, te consacrent : l’une, sa longue quenouille avec le fuseau qui obéissait à ses doigts pour se charger des fils les plus déliés ; l’autre, sa navette harmonieuse qui fabrique les toiles au. tissu serré ; la troisième ; sa corbeille avec ses belles pelotes de laine, instruments de travail qui, jusqu’à la vieillesse, ont soutenu leur laborieuse vie. Voilà, auguste déesse, les offrandes de tes pieuses ouvrières.

Néanmoins ce sont les attributs guerriers, c’est-à-dire le casque, l’égide, la lance et le bouclier, qui apparaissent le plus souvent dans les monuments qui représentent la déesse. Un vase d’ancien style nous montre Cassandre qui, pour échapper aux poursuites d’Ajax, s’est réfugiée près d’une idole de Pallas (fig. 550). Cette Pallas troyenne n’a pas de casque, mais une espèce de bonnet d’une forme particulière. En Grèce, le casque de la déesse a des formes très variées : l’égide est une peau de chèvre, dont on se servait comme de bouclier dans les temps primitifs. L’égide de Pallas est presque toujours décorée d’une tête de Gorgone qui exprime la terreur dont elle frappe ses ennemis.

L’art, dit Ottfried Muller, qui eut, dans les temps primitifs, constamment devant les yeux l’image de Pallas, préférablement à celle de toutes les autres divinités, représenta dans les antiques palladiums, figurés avec le bouclier élevé et la lance brandissante, surtout la divinité combattante. Cependant il existait à la même époque des statues de cette déesse dans une attitude pacifique et assise ; on ne se contenta pas de lui mettre des armes aux mains, elle reçut, comme symbole de l’activité pacifique, la quenouille et le fuseau ; la lampe paraît avoir été également un ancien attribut de cette divinité. Dans les statues qui appartiennent à la période de l’art dont les progrès sont déjà sensibles, Pallas est constamment figurée dans l’attitude d’une femme qui se prépare au combat, marchant avec plus ou moins de vitesse, vêtue d’un péplos à plis raides et empesés, qui recouvre le chiton, et d’une immense égide, qui, placée quelquefois sur le bras gauche en guise de bouclier, couvrait aussi, outre la poitrine, le dos entier de la déesse ; dans les monuments de l’art moins anciens ; Cette égide est de plus en plus repliée sur elle-même. Les contours du corps, dans la partie des hanches et de la poitrine, n’ont presque rien de la rondeur des formes féminines ; les formes des cuisses, du bras, du dos, semblent au contraire avoir été modelées sur un corps du sexe mâle.

A partir du jour où Phidias eut achevé de dessiner le caractère idéal de la déesse, un sérieux plein de calme, une force qui a conscience d’elle-même, un esprit clair et lucide devinrent à tout jamais les principaux traits du caractère de Pallas. Sa virginité la place au-dessus de toutes les faiblesses humaines, elle est trop homme pour pouvoir s’abandonner à un homme. Le front pur, le nez long et fin, la ligne un peu dure de la bouche et des joues, le menton large et presque carré, les yeux peu ouverts et presque constamment dirigés vers la terre, la chevelure rejetée sans art de chaque côté du front et ondulante sur la ligne du cou, traits dans lesquels percent la rudesse et la grossièreté primitives, répondent parfaitement bien à cette merveilleuse création idéale.

Nous avons montré (t. III, fig. 632) la figure connue sous le nom de Minerve d’Eudœos, qui passe pour une des plus anciennes représentations de Pallas. Toutefois cette figure est assise, et la Minerve d’Herculanum (t. III, fig. 633), qui est debout et dans l’attitude du combat, présente une allure plus conforme au type employé dans l’époque archaïque. La fameuse statue qui décorait le fronton du temple d’Épine (fig. 551) nous montre comment la déesse était représentée dans la période qui précède immédiatement les guerres médiques. Elle est de style archaïque, porte l’égide sur les deux épaules, et tient sa lance dans la main droite, tandis que la gauche est passée dans un grand bouclier rond. Elle est préparée au combat, mais elle ne brandit plus sa lance selon la pose traditionnelle de la période primitive. Sur une médaille de la nouvelle Ilion, on voit Athénè portant sa lance sur l’épaule, conformément à un type qui paraît avoir existé fort anciennement dans la Troade (fig. 552).

Même lorsqu’elle n’a pas son attitude guerrière, Pallas conserve toujours ses armes. Ainsi la déesse apparaît au repos sur la figure 553, qui est tirée d’un vase peint. Mais lorsqu’elle tient en main son casque, au lieu de l’avoir sur la tête, la déesse est considérée comme présidait à la paix.

On en voit un exemple sur la figure 554, mais les monuments de ce genre sont d’une grande rareté. Dans les statues de la grande époque de l’art, Pallas tient le plus souvent en main une victoire, comme le montre la figure 555.

Dans tous les monuments antiques, Athénè est figurée avec des attributs guerriers, conformes à son rôle dans l’Olympe grec. Mais pour les Athéniens, la déesse protectrice est la grande divinité, qui pourrait en quelque sorte suppléer à toutes les autres, et on l’invoque dans toutes les circonstances de la vie. En effet, on peut croire qu’elle a une influence sur la navigation, puisqu’on lui doit la construction du premier vaisseau à voiles, le navire Argo. Enfin on l’invoque dans les maladies, sous le nom de Minerve Hygie, et elle est alors accompagnée d’un grand serpent qui boit dans une coupe, attribut ordinaire d’Esculape et d’Hygie ; un bas-relief qui décore un candélabre du musée Pio Clémentin la montre sous cet aspect.

La fameuse Minerve de Phidias, dans le Parthénon, était en ivoire et en or. La déesse était debout, couverte de l’égide, et sa tunique descendait jusqu’aux talons. Elle tenait une lance dans une main et dans l’autre une victoire. Son casque était surmonté d’un sphinx, dans les parties latérales étaient deux griffons, et au-dessus de la visière, huit chevaux de front s’élançaient au galop, image de la rapidité avec laquelle s’élance la pensée divine. La tête de Méduse figurait sur sa poitrine. Les bras et la tête de la déesse étaient en ivoire, à l’exception des yeux formés par deux pierres précieuses ; les draperies étaient en or et pouvaient s’enlever facilement, car il fallait, si la république se trouvait dans la détresse, qu’elle pût avoir recours au trésor public dont la déesse était dépositaire. Sur la face extérieure du bouclier, posé aux pieds de la déesse, était représenté le combat des

Amazones ; sur la face inférieure, celui des géants et des dieux ; la naissance de Pandore était sculptée sur le piédestal. Une pièce de l’Anthologie grecque compare la Minerve de Phidias, à Athènes, à la Vénus que Praxitèle avait faite à Guide : En voyant la divine image de Vénus, fille des mers, tu diras : Je souscris au jugement du Phrygien Pâris. Si tu regardes ensuite la Minerve d’Athènes, tu t’écrieras : Celui qui ne lui a pas adjugé le prix était un bouvier !

Toute la légende mythologique d’Athénè se rapporte à la ville à laquelle elle a donné son nom, et son culte, comme déesse protectrice d’Athènes, s’est développée avec la prospérité de cette ville et n’a disparu que quand Athènes déchue a embrassé le christianisme. L’histoire fabuleuse de la fondation d’Athènes se relie absolument à celle de la déesse.

Quand Athénè fut sur le point de venir au monde, Zeus (Jupiter) sentit un violent mal de tête et pria Héphaistos (Vulcain) de lui donner un grand coup de hache, pour faciliter la naissance de la déesse qui représente l’intelligence divine. Pour récompenser Héphaistos de ce service, le roi des dieux lui jura par le Styx de lui accorder la première demande qu’il lui ferait. On sait qu’après le coup de hache, Athénè sortit tout armée du front de Zeus. Dès qu’elle vit le jour, elle demanda à son père la permission de ne pas se marier, parce qu’elle voulait rester toujours vierge. Zeus céda aux vœux de sa fille et jura par le Styx qu’il n’y mettrait aucun obstacle. Athénè, satisfaite de ce que lui avait dit son père, s’en alla aussitôt ; mais Héphaistos arriva et, rappelant à Zeus la promesse qu’il en avait reçue, il lui demanda de la mettre à exécution en lui donnant sa fille en mariage. Le roi des dieux fut dans un cruel embarras. Il s’en tira en disant à Héphaistos d’arranger cela avec sa fille, parce que lui ne voulait pas s’en mêler.

Héphaistos n’en demandait pas davantage ; du moment que Zeus n’y mettait pas d’opposition, il se crut assuré de la victoire et se mit à courir après Athénè, qu’il atteignit bientôt. Mais la fière déesse, offensée de la manière dont il fit sa proposition, le reçut avec une telle rudesse que le dieu forgeron se vit forcé d’abandonner la place. Athénè étant partie de son côté entendit des petits cris d’enfant, et, se retournant, elle aperçut un nouveau-né -à l’endroit où Héphaistos lui avait parlé.

Émue de compassion, elle ramassa l’enfant, et le plaçant dans une corbeille, elle l’emporta dans son sanctuaire. Mais Athénè, qui ne pouvait se défendre de ses préoccupations ordinaires, s’aperçut en montant l’Acropole que sa ville n’était pas assez fortifiée du côté du couchant. Elle entra dans la maison de Cécrops, qui avait trois filles, Pandrose, Aglaure et Hersé, et leur ayant confié le panier qui était très bien fermé, elle leur défendit de l’ouvrir pour voir ce qu’il contenait et partit aussitôt pour chercher une montagne qu’elle jugeait nécessaire pour fortifier sa ville. Quand elle fut partie, Aglaure et Hersé, piquées par la curiosité, voulurent ouvrir le panier, malgré les remontrances de Pandrose. Mais une corneille qui avait vu la chose vint la raconter à Athénè, qui tenait déjà la montagne dans ses bras, et, dans sa surprise, la laissa tomber à l’endroit où elle se trouvait ; ce fut là l’origine du mont Lycabette.

Athénè punit cruellement Aglaure et Hersé, qui, prises d’une folie furieuse, se précipitèrent du haut de l’Acropole ; mais elle conçoit une telle affection pour Pandrose, qu’elle voulut qu’après sa mort on lui rendit les honneurs divins. Érechthée, devenu roi d’Athènes, s’empressa d’obtempérer à ce vœu, et il éleva un temple en deux parties, dont l’une fut dédiée à Athénè et l’autre à Pandrose. Tous les édifices ayant été brûlés pendant la guerre médique, le temple d’Athénè et de Pandrose fut reconstruit après la retraite des Perses, et c’est celui qu’on appelle Érechtheion, du nom d’Érechthée, son fondateur, qui avait là son tombeau.

Les légendes athéniennes sur la naissance d’Athénè, sortant tout armée du cerveau de Zeus, et d’Athénè se disputant avec Poséidon (Neptune) pour la possession de la ville, ont été reproduites sur plusieurs monuments (voir t. Ier, fig. 411 et 412).

Arès (Mars), dieu sanguinaire et détesté des immortels, n’a jamais eu une grande importance parmi les populations helléniques. Dans beaucoup de localités, ce dieu semble même avoir été à peu près inconnu, et si son culte a gardé en Laconie une importance plus grande qu’ailleurs, cela tient à la rudesse des habitants de cette contrée : Arès est la personnification du tumulte et de la mêlée. Pausanias, en décrivant une statue d’Arès qui était à Sparte, dit qu’elle était liée et garrottée afin qu’il n’abandonnât pas les Spartiates. Une belle statue du Louvre, qu’on désignait autrefois sous le nom d’Achille Borghèse, paraît être une représentation d’Arès, et l’anneau qui serre la jambe du dieu, tout près de sa cheville ; se rapporte peut-être à l’usage dont parle Pausanias. Ce dieu, du reste, ne présente pas d’attributs particuliers qui puissent le faire distinguer d’un simple héros comme Achille, auquel un anneau au-dessus du pied conviendrait également puisqu’il n’était vulnérable qu’au talon. Dans le bas-relief qui décore le putéal du Capitole, Arès est vêtu en guerrier ; il tient son casque d’une main, tandis que de l’autre il porte à la fois sa lance et son bouclier (fig. 556).

La divinité que les Grecs ont honorée sous le nom d’Aphrodite et les Latins sous le nom de Vénus parait avoir eu son origine dans le culte syrien d’Astarté, qui de l’île de Chypre s’est répandu dans les îles de la Grèce et ensuite dans l’Occident. Ce fait s’est traduit mythologiquement dans la Sable : la déesse, sortie de l’écume des flots sur le rivage de Chypre, navigue ensuite vers là Grèce et aborde à Cythère. Tout le monde est aujourd’hui d’accord pour attribuer à l’Asie l’origine non seulement de l’art grec, mais encore d’une partie des fables de la mythologie. Mais, pour ne parler que d’Aphrodite, il ne faut pas oublier que c’est en Grèce seulement qu’elle est devenue belle ; les images phéniciennes et cypriotes en sont la démonstration la plus évidente. Une peinture antique montre la déesse au moment où elle accomplit sur une coquille son voyage de Chypre à Cythère (fig. 557).

Aphrodite paraît avoir été à l’origine une divinité marine, mais l’esprit grec l’a complètement transformée. En même temps que l’art en faisait le type le plus complet de la beauté féminine, la croyance populaire voyait dans cette déesse une personnification de l’attrait irrésistible qui subjugue l’univers en lui imposant pour loi la perpétuité des races. Les fleurs naissent sous les pas de la déesse, dont l’union avec Adonis est un symbole du printemps. Adonis est une divinité syrienne ; car les fables de plusieurs contrées différentes sont venues se greffer successivement sur la conception primitive d’Aphrodite, .et ont enrichi sa légende d’une foule de traditions, peu concordantes entre elles pour le récit, mais toujours conformes à l’idéal populaire. Son unique raison d’être étant la beauté, nous la voyons tantôt protectrice du mariage, tantôt invoquée par les courtisanes comme leur divinité spéciale. Épouse d’Héphaistos (Vulcain) dans certaines contrées, d’Arès (Mars) dans d’autres, amante d’Adonis, ou d’Anchise, elle paraît toujours avec les dehors les plus séduisants, sans montrer jamais la retenue d’une jeune fille, ou la gravité d’une matrone. Son culte trahit souvent son origine asiatique par les désordres qui l’accompagnent.

Les figures de style archaïque représentant Aphrodite sont toujours drapées. C’est ainsi que la déesse se montre sur l’autel des douze dieux au Louvre (fig. 558). Coiffée de la stéphanè, elle a le corps enveloppé d’une ample draperie et tient dans la main gauche une colombe, oiseau qui lui est consacré.

Pline raconte que le sculpteur Praxitèle, à qui les habitants de Cos avaient commandé une Aphrodite, leur donna le choix entre deux statues, dont l’une était vêtue, tandis que l’autre était nue. Ils préférèrent la première, et Praxitèle vendit l’autre aux habitants de Cnide qui se félicitèrent de l’avoir achetée, car elle fit la réputation et la richesse du pays ; tous les amateurs de la belle sculpture venaient à Cnide pour voir ce chef-d’œuvre. En général, la nudité n’était admise que pour les déesses marines, et Aphrodite avait droit à ce titre, puisqu’elle était née de l’écume de la mer. C’est pour justifier ce titre que les sculpteurs placent souvent un dauphin à côté de la déesse, comme on le voit dans la Vénus de Médicis, célèbre statue antique du musée de Florence, qui passe d’ailleurs pour être une imitation de la Vénus de Praxitèle.

Aphrodite n’est pas toujours debout, lorsqu’elle sort de l’eau ; les sculpteurs aimaient aussi à la représenter au moment où elle va se lever, comme dans la figure 559. Mais la nudité complète de la déesse implique chez l’artiste l’intention de la représenter au moment où elle vient de naître ou bien où elle sort du bain.

Lorsque Aphrodite est considérée comme la mère féconde des êtres, elle est vêtue d’une légère draperie qui retombe jusqu’aux pieds en laissant un sein découvert, pour expliquer qu’elle est la nourrice universelle. Elle prend alors le nom de Vénus génitrice. Mais lorsqu’elle symbolise la puissance irrésistible de la beauté, elle reçoit le nom de Vénus victorieuse. Elle est alors à demi vêtue, pose un pied sur un casque pour montrer qu’elle est plus puissante que le dieu de la guerre, ou sur un rocher, pour exprimer sa domination sur le monde. Dans ce rôle, la déesse prend les allures fières d’une héroïne et semble trop sûre d’elle-même pour daigner sourire. La Vénus de Milo est, dans cette catégorie, la statue la plus célèbre parmi celles qui sont parvenues jusqu’à nous.

La figure 560 représente une statue du Louvre, qui, par son attitude, se rattache aux figures qu’on désigne sous le nom de Vénus victorieuses, et par son vêtement aux Vénus génitrices. Cette sculpture, dit le catalogue du musée, est remarquable à plusieurs points de vue, d’abord parce qu’elle représente un sujet unique, ensuite à cause des interprétations ridicules auxquelles elle a donné lieu. On y reconnaît généralement une Vénus vulgaire, déesse du libertinage, qui foule aux pieds un fœtus pour l’empêcher de naître Mais le prétendu fœtus sur lequel la déesse pose le pied droit n’est autre chose qu’une coquille dans laquelle on peut voir l’embryon de l’amour. En effet, Vénus étant la fille de l’onde, c’est une idée on ne peut plus poétique que de faire naître l’amour dans une coquille. Vénus préside à la naissance de tous les êtres, ce qui explique le mouvement de Vénus victorieuse, donné par la jambe droite. Quant au bras tenant une aile et à l’Amour placé sur un cippe, ce sont des additions modernes qui ne peuvent rien ajouter à la signification du groupe.

Il est certain que les courtisanes avaient pour Vénus une dévotion spéciale, mais la déesse avait plusieurs attributions, suivant la manière dont. on voulait lui rendre hommage. Les écrivains anciens distinguent la Vénus vulgaire et la Vénus Uranie ou céleste.

Pausanias, dans sa description de Thèbes, signale plusieurs statues de Vénus qui étaient de, la plus haute antiquité, puisqu’elles avaient été faites avec le bois des vaisseaux de Cadmus et consacrées par Harmonie elle-même. La première, dit-il, est Vénus Céleste, la seconde Vénus la Vulgaire, et la troisième est nommée Préservatrice. C’est à la Vénus préservatrice que l’on adressait des vœux pour être préservé des désirs coupables.

La tortue, emblème de la chasteté des femmes, était consacrée à Vénus céleste, et le bouc, symbole contraire, était consacré à la Vénus vulgaire. Nous ne connaissons aucune représentation de la Vénus préservatrice ; mais on peut en trouver un curieux exemple dans une décision du sénat romain, qui, d’après les livres sibyllins consultés par les décemvirs, avait ordonné qu’il serait dédié une statue à Vénus verticordia (convertissante) comme un moyen de ramener les filles débauchées à la pudeur dé leur sexe. C’est Valère Maxime qui raconte ce fait.

Les images de la déesse, qui se trouvaient dans toutes les maisons, étaient souvent accompagnées d’inscriptions qui en indiquaient le caractère.

Cette Vénus n’est point la Vénus populaire, dit Théocrite, c’est la Vénus Uranie. La chaste Chrysogone l’a placée dans la maison d’Amphiclès, à qui elle a donné plusieurs enfants, gages touchants de sa tendresse et de sa fidélité. Tous les ans, le premier soin de ces heureux époux est de t’invoquer, puissante déesse, et en récompense de leur piété, tous les ans tu ajoutes à leur bonheur. Ils prospèrent toujours, les mortels qui honorent les dieux.

Éros (Cupidon), l’Amour ou à proprement parler le Désir, apparaît dans la théogonie d’Hésiode comme un des grands principes de l’univers. La légende qui en fait le fils d’Aphrodite n’a prévalu que plus tard : elle est d’ailleurs aisée à comprendre, puisque la beauté fait naître l’amour. Ce dieu, qui n’a jamais eu dans la religion des Grecs une bien grande importance, était pourtant honoré d’un culte particulier dans la ville de Thespies. Son plus ancien simulacre était une pierre brute. Dans la grande époque de l’art, l’amour a pris les traits d’un adolescent et ensuite ceux d’un enfant potelé et pourvu d’ailes (fig. 561 et 562). L’arc, les flèches, le carquois et le flambeau sont les attributs ordinaires de l’Amour.

Vénus voyant qu’Éros (l’amour) ne grandissait pas et restait toujours enfant en demanda la raison, à Thémis. La réponse fut que l’enfant grandirait quand il aurait un compagnon pour l’aimer. Vénus lui donna pour camarade Antéros (l’amour partagé). Quand ils sont ensemble, l’Amour grandit ; mais il redevient enfant dès qu’Antéros le quitte. C’est une allégorie dont le sens est que l’affection a besoin d’être partagée pour se développer. Éros et Antéros, que l’on voit ensemble sur la figure 563, ne diffèrent pas l’un de l’autre et font l’effet de deux frères jumeaux.

L’Amour est souvent représenté à côté de Psyché, dont le nom veut dire âme et qui en est en effet le symbole. Psyché a les traits d’une jeune fille et est caractérisée par ses ailes de papillon.

Les Grecs admettaient que les âmes étaient des parcelles du feu céleste. De la sphère supérieure où elles vivaient avant leur existence terrestre, elles ont été attirées vers la terre par une sorte d’ivresse, par un désir qu’elles n’ont pas su dompter, et, en prenant un corps, elles ont perdu la notion du parfait, dont elles ne gardent plus qu’un vague souvenir. Dans la légende de Psyché, on voit l’invincible curiosité qui pousse Psyché, c’est-à-dire pâme humaine, à connaître la réalité des choses. Elle en est aussitôt punie et commence une vie d’épreuves et de travaux jusqu’au jour où, purifiée par la douleur, elle retrouve dans le ciel la place qu’elle y a conquise. En étudiant les sarcophages, on y voit l’histoire de Psyché reproduite sous toutes les formes, mais toujours avec la même pensée.

Toute la fable de Psyché n’est qu’une allégorie des joies et des douleurs que l’âme éprouve dans ses rapports avec l’amour. De très nombreux monuments montrent cette allégorie sous les formes les plus multiples. Dans notre figure 564, l’Amour et Psyché apparaissent sous la forme de deux enfants : Psyché, qui a des ailes de papillon, porte des bracelets aux bras et aux jambes ; l’Amour la tient embrassée.

Des roses cueillies sont à terre : un miroir, un rosier, un arc avec un carquois fermé, complètent la composition. La devise latine qu’on lit autour signifie : Chère âme, jouissons sans amertume. On remarquera que le dernier mot est grec, bien qu’écrit en caractères latins. Cette composition nous offre l’image de l’union parfaite et sans nuages. Mais sur la figure 565, l’Amour tient au contraire Psyché par les cheveux et s’apprête à la brûler avec son flambeau : c’est l’emblème des tortures de l’âme dominée par la passion.

La même pensée se trouve reproduite sous une autre forme sur la figure 566. Mais l’Amour pleure et semble déplorer l’acte qu’il est obligé d’accomplir. Il tourne la tête pour ne pas voir un malheureux papillon, symbole de Psyché, ou l’âme, qu’il tient suspendu au-dessus de la flamme de son flambeau. La figure qui est devant l’Amour est l’Espérance qui nourrit nos désirs, et celle qui est derrière est Némésis, qui les modère. Creuzer voit dans cette curieuse composition un emblème de l’âme qui, dans la lutte des passions contraires, s’altère et se consume, jusqu’au jour où, purifiée et retrempée par leurs flammes mêmes, elle passe dans le tranquille Élysée, pour jouir de s’es délices et aplanir aux hommes les voies salutaires de l’initiation.

Les Grâces sont trois sœurs qui se tiennent enlacées. Le terme de grâce signifie à la fois bienfait et élégance, et les anciens l’ont toujours entendu dans les deux sens. Les modernes ont négligé le premier pour ne s’attacher qu’au second ; mais il faut bien revenir à l’idée de grâce accordée, si l’on veut comprendre la signification de certains monuments antiques, Ainsi, dans un bas-relief du Vatican, nous voyons un malade remercier Esculape des grâces que le dieu lui a accordées, et le sculpteur a placé les trois sœurs dans leur pose traditionnelle, à côté du dieu de la médecine. Les Spartiates, avant le combat, avaient l’habitude de sacrifier aux Grâces, ce qui, à leurs yeux, signifiait assurément demander aux dieux la victoire.

Si le culte des Grâces était si répandu en Grèce, cela tient surtout à ce qu’on l’entendait presque toujours dans le sens de grâce accordée. Par la même raison, on ne voit pas que des temples spéciaux aient été élevés bien souvent en l’honneur de ces divinités ; mais elles avaient des chapelles dans la plupart des temples vies autres dieux.

Les Grâces se tiennent enlacées pour indiquer les services réciproques et l’aide fraternelle que les hommes se doivent (fig. 567) ; elles sont jeunes parce que la mémoire d’un bienfait ne doit pas vieillir. Le symbole de ces trois sœurs inséparables exprimait l’idée de service rendu, et leur rôle était de présider à la reconnaissance.

Il est plus difficile d’expliquer la nudité des Grâces, et cette nudité n’existe pas sur les plus anciens monuments. Quelques recherches que j’aie faites, dit Pausanias, je n’ai pas pu découvrir quel est le premier statuaire ou le premier peintre qui a imaginé de représenter les Grâces toutes nues. Dans tous les monuments de l’antiquité, les Grâces sont vêtues ; je ne sais donc pas pourquoi les peintres et les sculpteurs qui sont venus depuis ont changé cette manière ; car aujourd’hui, et depuis longtemps, les uns et les autres représentent les Grâces toutes nues. Nous savons que les Grâces sculptées par Socrate étaient vêtues, ainsi que celles qu’Apelle avait peintes. Il est donc probable que ce n’est que postérieurement à la domination macédonienne que l’usage s’est introduit de les dépouiller de leurs vêtements.

Hermès, divinité grecque, identifiée plus tard avec le Mercure des Latins, parait avoir été à l’origine une personnification de la puissance productrice de la nature. Hermès, dit M. Alfred Maury, était figuré primitivement par un morceau de bois surmonté d’une tête. A ce tronc d’arbre, qui simulait son corps, était fixé le symbole de la génération et de la production à laquelle il présidait. Telle fut l’origine des hermès, ou statues en gaine et ithyphalliques, que. la tradition hiératique renouvela à une époque où l’art était cependant bien loin de ces informes simulacres. Population pastorale, les Arcadiens devaient prêter à leur divinité favorite les traits et les habitudes qui leur étaient propres ; car, à toutes les époques et chez toutes les nations, les dieux ont toujours été faits à l’image de l’homme. C’est à cette circonstance qu’Hermès dut son caractère de divinité pastorale et son surnom de Criophore.

Ce caractère pastoral disparut d’ailleurs assez promptement, mais il se trouve caractérisé sur quelques monuments de style archaïque, où le dieu porte sur ses épaules le bélier, emblème de la fécondité du troupeau (fig. 568).

Habituellement Hermès ou Mercure personnifie l’échange, la transition, le passage d’un état à un autre, et de ce rôle multiple sont sortis ses fonctions dans la mythologie aussi bien que ses attributs divers dans l’art. Messager céleste, il porte aux dieux les prières des hommes et aux hommes les bienfaits des dieux ; conducteur des ombres, il est la transition entre la vie et la mort, dieu de l’éloquence et des traités, il fait passer dans l’esprit des autres la pensée d’un orateur ou d’un ambassadeur. Il est le dieu des gymnases, parce que dans la lutte il y a échange de forces ; il est le dieu du commerce et des voleurs, parce qu’un objet vendu ou volé passe d’une main dans une autre.

Sur les monuments de style archaïque, Hermès apparaît comme un homme dans la force de l’âge, avec une barbe épaisse et pointue ; il tient en main le caducée, emblème des ambassadeurs (fig. 569). A la grande époque de l’art, il prend la forme d’un éphèbe, souple et svelte, presque toujours imberbe, portant les cheveux courts, et présentant le type accompli des jeunes gens qui fréquentent les gymnases (fig. 570).

Comme messager céleste, Mercure a des ailes aux pieds et à la tête, mais jamais au dos ; il porte le pétase des voyageurs, pour indiquer ses incessantes pérégrinations. La tortue qu’on voit souvent près de lui rappelle qu’il est l’inventeur de la lyre et le coq qui l’accompagne quelquefois indique le dieu des gymnases. Enfin la bourse qu’il tient à la main caractérise le dieu de l’échange ; toutefois cet attribut se voit surtout dans les monuments de l’époque romaine.

Le caducée était dés une haute antiquité l’attribut distinctif et la sauvegarde des hérauts, des envoyés et des ambassadeurs, dont la personne était sacrée. Les suppliants voulant s’assurer un libre passage sur les terres de leurs ennemis portaient aussi le caducée ; néanmoins cet insigne est plus particulièrement affecté à ceux qui sont chargés de négocier les traités. C’est parce que Mercure remplit en quelque sorte cette fonction parmi les dieux qu’il porte le caducée : en effet, c’est lui qui est chargé de transmettre les ordres de Jupiter et qui sert ordinairement d’intermédiaire entre les hommes et les divinités. Le caducée de Mercure consiste en un bâton autour duquel sont enroulés deux serpents.

 

LES DIEUX DE LA TERRE. — Déméter (Cérès) est la terre personnifiée ; sa tête est couronnée de feuillages et plus habituellement d’épis. Son culte se rapporte primitivement à l’agriculture et elle est la première et la plus importante des divinités champêtres. Un bas-relief sculpté sur un autel de la ville Albani montre la déesse vêtue d’une tunique à manches et d’un péplos ; elle porte un sceptre dans la main droite, des épis et des pavots dans la main gauche (fig. 571). Les épis expriment la fécondité de la terre. La signification du pavot est plus obscure ; suivant certains philosophes, la rondeur de la tête de pavot représente le monde, ses inégalités les montagnes et les vallées ; la multitude de ses grains est un emblème de fertilité. Mais d’autres y voient, peut-être avec plus de raison, la plante salutaire dont la vertu soporifique endort les chagrins les plus cuisants. En effet toute la légende mythologique de Déméter repose sur la douleur qu’elle éprouve en apprenant le rapt de sa fille Cora.

Quelquefois Déméter porte la torche qu’elle alluma aux feux de l’Etna, pour rechercher sa fille Cora, que Hadès (Pluton) avait ravie. C’est ainsi qu’elle est représentée sur une célèbre peinture d’Herculanum (fig. 572). Dans ses recherches la déesse apparaît quelquefois sur un char attelé de deux serpents ailés, comme nous l’avons montré déjà sur une monnaie d’Eleusis, au revers de laquelle se voit une truie, emblème de fécondité (tome I, fig. 429 et 430). Quelquefois aussi, mais surtout dans les monuments d’une date plus récente, ce sont des taureaux qui traînent le char de la déesse (fig. 573). Enfin, même lorsqu’elle est au repos, Déméter conserve encore le flambeau qu’elle avait en main lorsqu’elle poursuivait le ravisseur de sa fille (fig. 574).

Déméter est la terre productrice, la mère de l’agriculture et de la civilisation. Cora ou Perséphone (Proserpine), la femme de Hadès (Pluton), la reine des ténèbres, représente la végétation qui revient tous les ans du royaume souterrain à la lumière du jour. Proserpine, dit Cicéron, est la graine des plantes. Elle est enlevée par un dieu souterrain, parce que les graines disparaissent sous la terre pendant l’hiver. Son retour à la lumière était regardé comme un symbole de l’immortalité de Pâme et on la rangeait à cause de cela parmi les divinités qui président à la mort. Un homme ne pouvait cesser de vivre que lorsque cette déesse, par l’entremise d’Atropos, avait coupé le cheveu fatal qui le retenait à la vie. De là venait la coutume de couper quelques cheveux de la tête d’un mourant et de les jeter à la porte de la maison, comme une offrande à Perséphone. Les Grecs adoraient avec reconnaissance la déesse qui les avait arrachés à la vie sauvage des forêts en leur apprenant l’art de semer le blé. Le sanctuaire principal de Déméter était à Éleusis ; tout le pays environnant était couvert de monuments en l’honneur de la déesse et qui rappelaient ses principales aventures.

C’est dans les champs d’Enna, en Sicile, qu’avait eu lieu le rapt de la fille de Déméter, qui fut entraînée par Hadès dans les enfers, mais lorsque Déméter l’eut retrouvée et eut obtenu du roi des dieux la permission de garder sa fille pendant six mois de l’année, elle vint à Éleusis et y fonda son culte.

Triptolème, l’inventeur de la charrue, en fut le premier grand prêtre. De nombreuses représentations le font voir assis sur le char ailé de la déesse, qui lui enseigne la manière de semer et de récolter le blé, pour qu’il puisse aller par toute la terre faire part aux hommes des bienfaits de Déméter, qui se tient devant lui avec son flambeau (fig. 575).

Dionysos (Bacchus) est le vin personnifié. Son culte, moins ancien en Grèce que celui des autres dieux, a pris de l’importance à mesure que la culture de la vigne s’est étendue. Il a subi d’ailleurs d’importantes transformations, et après avoir consisté dans l’origine en farces joyeuses, il a pris vers la fin du monde romain un caractère presque exclusivement funèbre, comme le prouve la présence de représentations bachiques sur une foule de sarcophages. C’est que le dieu du vin associait dans un même symbole la boisson ardente d’où naît l’ivresse et l’idée mystique de la mort et de la résurrection. Dionysos ou Bacchus apparaît dans l’art sous deux formes différentes. Sous sa forme la plus ancienne, c’est un homme dans la force de l’âge et pourvu d’une longue barbe. Les figures qui répondent à ce type sont désignées sous le nom de Bacchus barbu ou Bacchus oriental (fig. 576).

Quant au costume, dit Creuzer, il est vrai que Bacchus barbu et à l’attitude royale porte d’ordinaire l’ample et longue bassaride ; mais souvent aussi, sur les vases, il est vêtu de la nébride ou d’une courte peau de bête. Une couronne de lierre, rarement de laurier, ceint sa tête. Quelquefois il a la mitre, c’est-à-dire un simple bandeau dont les deux bouts retombent de chaque côté. Dans une main il tient une large coupe, ou un vase profond d’une forme particulière, appelé canthare. Ce vase est un de ses attributs spéciaux ; lui seul et tout au plus son assesseur Hercule le portent d’habitude. Dans l’autre main, il tient fréquemment la branche de lierre ou la férule.

La figure 577, d’après une peinture de vase, représente Bacchus oriental, tenant d’une main le canthare et de l’autre une branche de lierre.

Quand le dieu est nu et imberbe, on le désigne généralement sous le nom de Bacchus Thébain. Sous cet aspect, le dieu apparaît sous les traits de la première jeunesse et dans tout l’éclat de la beauté. Sa chevelure est ornée de pampres et de lierre et le raisin est dans ses attributs (fig. 578 et 579).

Thèbes est le lieu de naissance de Bacchus (Dionysos) ; Sémélé, fille de Cadmus, fut brûlée par la foudre de Jupiter, et le roi des dieux eut à peine le temps de tirer de son sein l’enfant qu’elle allait mettre au monde et de l’enfermer dans sa cuisse, où il resta jusqu’au jour désigné pour sa naissance.

Bacchus a été identifié de bonne heure avec le Bassareus Lydien, ou Bacchus oriental, caractérisé par sa grande barbe ; mais le Bacchus Thébain est toujours jeune, imberbe et d’une forme presque féminine (fig. 580). Son expression nonchalante indique un demi-sommeil, une rêverie langoureuse. Les satyres, les pans, les faunes, les bacchantes, les ménades, forment le cortége habituel du Bacchus Thébain aussi bien que du Bacchus oriental.

La vigne, le lierre et le thyrse sont des emblèmes qui se rattachent à la fabrication du vin ou aux effets qu’il produit. Le lierre passait dans l’antiquité pour avoir la propriété d’empêcher l’ivresse, et c’est pour cela que, dans les festins, les convives étaient souvent couronnés de lierre. Cette plante paraît aussi enroulée autour du thyrse, dont le bout se termine par une pomme de pin. Dans beaucoup d’endroits, en effet, la résine qu’on tire des pins entrait clans la fabrication du vin ; c’est pour cela que la pomme de pin figure parmi les attributs de Bacchus.

Le tigre, la panthère et le lynx accompagnent ordinairement Bacchus dans les scènes où il est représenté triomphant. Leur présence suffirait pour affirmer le caractère oriental qu’on trouve dans toutes les fables qui constituent sa légende. L’âne sur lequel on mettait les outres pleines de vin fait également partie du cortége bachique, où il sert habituellement de monture à Silène. Le bouc est spécialement consacré à Bacchus, et on donne de cela une raison mythologique. Le père de Bacchus, Jupiter, voulant le soustraire aux persécutions de Junon, l’avait, selon certaines traditions, métamorphosé en chevreau dans sa jeunesse. Sur une médaille de Laodicée, en Phrygie, on voit Jupiter tenant dans ses bras le petit Bacchus et à côté du roi des dieux paraît le jeune chevreau, dont l’enfant va prendre la forme. C’est pour cela que les compagnons du dieu, les satyres et les ægipans, participent tous de la nature du bouc. Enfin, comme le culte de Bacchus est souvent associé à celui de Cérès, le taureau, animal générateur qui personnifie la fécondité dé la terre, apparaît dans le cortège du dieu, qui revêt même quelquefois sa forme. On attribue cet emblème à l’assimilation qui a été faite quelquefois entre le Bacchus des Grecs et Osiris, le dieu égyptien qui s’incarne sous la forme d’Apis.

Les vertus guérissantes du vin ont fait souvent placer le serpent d’Esculape à côté de la ciste mystique. La ciste mystique est la boite ou le panier dans lequel on renfermait les objets sacrés qui servaient au culte de Bacchus. Le tympanon et les cymbales, dont on se servait dans les processions en l’honneur de Bacchus, font naturellement partie des nombreux attributs de Bacchus. Il en est de même des masques qui apparaissent fréquemment dans les monuments bachiques pour rappeler que ce dieu est l’inventeur de la comédie, qui a en effet pris naissance dans les vendanges. L’association des masques tragiques avec les fruits que Bacchus fait mûrir comme dieu de l’agriculture est frappante dans deux peintures de Pompéi où l’on voit deux masques placés sur un petit escalier, occupant le centre d’une niche qu’encadre une guirlande de fruits et de feuillages (fig. 581 et 582).

De tous les emblèmes de Bacchus, le plus curieux de beaucoup est la coupe, qui prend ici une signification mystique. Dans la doctrine du culte de Bacchus, dit Creuzer, le symbole du vase ou de la coupe avait une haute importance. Le vase s’appelait mystiquement le récipient des âmes, à quoi le fragment, mutilé par malheur, qui nous a conservé ce fait, ajoute cette légende sacrée qui l’explique : Lors de la descente des âmes en ce monde, la Nature, la grande formatrice (par conséquent Proserpine) fabrique des vases et y renferme les âmes comme dans une prison. Ainsi le corps, en tant que récipient des âmes, est assimilé à un vase, et de même le tombeau et le cercueil, comme récipients des corps.

Les principaux attributs bachiques sont représentés sur une peinture de Pompéi que nous reproduisons (fig. 583). Ils sont disposés, avec un désordre qui n’est pas sans art, sur les marches d’un escalier de marbre. Les deux animaux de Bacchus, le serpent et la panthère, jouent ensemble au bas de l’escalier. Des cymbales occupent le premier et le deuxième gradin : sur ce dernier, on trouve aussi une branche de laurier, arbre qui est quelquefois consacré à Bacchus, bien qu’il soit plus ordinairement considéré comme l’attribut d’Apollon. Un calathus, ou panier de joncs, d’où s’échappent une guirlande de feuillages, un thyrse, une coupe et un rhyton, occupe le haut de l’escalier avec un tympanon et un canthare à deux anses.

Le plus célèbre canthare qui soit parvenu jusqu’à nous fait partie de notre cabinet des médailles, oit il est connu sous le nom de vase de Ptolémée (fig. 584 et 585). Il est décoré d’attributs bachiques.

Ariadne, que Bacchus trouva endormie dans file de Naxos, où Thésée l’avait abandonnée, semble représenter comme lui l’ivresse éternelle, et la somnolence de son visage est bien d’accord avec l’expression habituelle du jeune dieu. La figure 586 nous montre une célèbre statue du Vatican qui représente Ariadne, bien qu’elle ait été longtemps connue sous le nom de Cléopâtre. Les figures d’Ariadne se mettaient souvent sur les tombeaux, comme tout ce qui se rapporte au cycle bachique. Nous avons de la peine à comprendre avec nos idées modernes comment les anciens pouvaient appliquer les scènes joyeuses des bacchanales sur des monuments funéraires. Riais pour les Grecs ; c’était un symbole d’immortalité ; on revient au bon sens après le délire de l’ivresse : il était donc naturel qu’on assimilât l’idée de la mort à celles du sommeil et de l’ivresse.

Dans les sarcophages, où Bacchus apparais si fréquemment sur les bas-reliefs, il est quelquefois représenté sous les traits du défunt, tandis qu’Ariadne ou Proserpine emprunte ceux de la défunte. Il y avait dans l’antiquité des fabriques de sarcophages qu’on préparait d’avance avec tous les attributs sculptés qui convenaient au monument. La tête de Bacchus et celle d’Ariadne étaient seulement dégrossies, afin qu’on pût y représenter le visage de ceux auxquels le tombeau appartiendrait. Apulée, dans ses Métamorphoses, parle d’une veuve qui fait sculpter l’image de son mari avec les attributs de Bacchus. Nous avons au Louvre un exemple de cet usage dans un monument très célèbre, qui est désigné sous le titre de Sarcophage de Bordeaux. Ariadne est à demi couchée à côté de Bacchus, entouré de son cortège de satyres et de ménades. La tête d’Ariadne n’est que préparée. Dans un autre bas-relief du Louvre, ce sont deux centaures, faisant partie du cortége de Bacchus et d’Ariadne, qui tiennent en main le médaillon des défunts.

Silène est l’outre personnifiée ; il fait naturellement les fonctions de père nourricier de Bacchus qui est le vin. Les formes grossières et obèses de Silène contrastent avec l’élégance de son nourrisson, comme sa lenteur contraste avec la légèreté habituelle des satyres et des ménades. Sa perpétuelle ivresse a besoin d’un guide. Dans les scènes bachiques, on le voit monté sur un âne, qui semble affaissé sous le poids énorme de son maître ventru, et soutenu par des satyres qui l’empêchent de tomber d’un côté ou d’un autre. L’âne est l’attribut naturel clé Silène dans le cortége bachique. Cet âne est d’ailleurs célèbre par le rôle qu’il a joué dans la guerre des dieux contre les géants ; car, ayant aperçu l’armée ennemie rangée en bataille, il se mit à braire de telle façon que tous les géants prirent aussitôt la fuite.

Les statues de Silène sont fort nombreuses, comme celles de tous les compagnons de Bacchus, car le cortége de ce dieu plaisait singulièrement aux artistes, qui l’ont représenté sous toutes ses formes. Tantôt il est seul (fig. 587), tantôt le père nourricier de Bacchus apparaît à côté du jeune dieu (fig. 588).

Les satyres sont les compagnons de Bacchus ; ils représentent d’une manière allégorique la vie joyeuse et déréglée des adorateurs du vin. Le satyre participe à la fois de la nature de l’homme et de celle de l’animal. L’animalité est marquée chez eux par une queue de bouc et des oreilles pointues, mais ils ont souvent des formes charmantes, quoique toujours dépourvues de noblesse (fig. 589). Les jeunes satyres avec leur petit nez camard, leurs rudiments de cornes, et les loupes qu’ils ont souvent sous le menton comme des chevreaux, ont toujours une expression de gaieté très caractérisée. Les satyres se mêlent souvent avec les pans et les ægipans, qui participent de leur nature et sont en outre pourvus de pieds de chèvre. L’art les confond également avec les faunes, qui sont des divinités latines de la même famille.

Toute cette troupe bondissante qui accompagne partout Bacchus, est adonnée à l’ivrognerie et passionnée pour la musique. Les satyres dansent en jouant des cymbales, courent après les nymphes, se reposent en faisant entendre avec leur flûte des accords joyeux. La création de ces types appartient surtout à la sculpture ; ce sont de purs caprices ; rien de philosophique n’a donné naissance à leur légende, et ils n’ont d’autre mission que d’égayer le jeune dieu, toujours à demi endormi dans les vapeurs du vin. Les attributs dés satyres sont la flûte, le thyrse, le syrinx, la houlette, les coupes, etc. Ils sont vêtus de peaux de bêtes et souvent couronnés de branches de vigne ou de lierre, les deux plantes consacrées à Bacchus. Ils sont la personnification des plus anciens vignerons et on les voit souvent portant les amphores qui contiennent la divine liqueur (fig. 590).

Sans cesse, dit Nonnos, la troupe connue des satyres s’enivre de coupes pleines jusqu’au bord ; toujours menaçants dans le tumulte, toujours fuyants à la guerre ; lions loin de la mêlée, lièvres dans le combat, habiles danseurs, plus habiles encore à épuiser à longs traits le vin des plus larges amphores. Peu de capitaines parmi eux apprirent, sous les ordres du valeureux Mars, l’art si varié de la guerre et surent faire manœuvrer les bataillons. Dans l’armée de Bacchus, les uns se revêtaient de peaux de bœuf toutes brutes, les autres se fortifiaient sous les peaux hérissées des lions ; ceux-ci s’entourent de la formidable enveloppe des panthères, ceux-là s’arment des plus longues massues ; tantôt ils passent autour de leurs reins des peaux de cerfs aux bois rameux, et s’en font une ceinture diaprée à l’égal du ciel étoilé ; tantôt, sur leurs tempes, autour de leurs fronts, s’allongent les pointes aiguës de leurs cornes ; de rares cheveux croissent sur leur tête raboteuse et viennent finir à leurs sourcils tortueux. Quand ils marchent, les vents ailés soufflent contre leurs oreilles raidies et le long de leurs joues velues ; une queue de cheval s’étend sur leur dos, s’arrondit autour de leurs reins et se dresse.

En Grèce, les hommes fabriquaient le vin et le piétinaient dans les cuves, mais c’étaient les femmes qui faisaient le plus souvent la cueillette du raisin, et les scènes de vendanges étaient accompagnées de farces la plupart du temps fort libres. Ce sont ces jeux que reproduisent sous une forme allégorique les innombrables bas-reliefs qui représentent des satyres poursuivant les nymphes. Ces nymphes prennent quelquefois la forme de satyresses, mais le plus souvent ce sont des bacchantes ou ménades, suivantes du dieu, qui sont caractérisées par leurs mouvements désordonnés, leur chevelure en désordre, et les serpents qui vivent familièrement avec elles. Le poète Nonnos nous a, fait connaître les habitudes des bacchantes qui ont accompagné le dieu dans la conquête des Indes.

Parmi les bacchantes, dit le poète Nonnos, celle-ci a entouré sa tête, d’un bandeau de vipères ; celle-là retient ses cheveux sous le lierre parfumé ; l’une fait vibrer dans sa main frénétique un thyrse armé de fer ; l’autre, plus furieuse encore, laisse tomber de sa tête dégagée de voiles et de bandeaux sa longue chevelure ; et les vents se jouent dans les boucles déployées des deux côtés de ses épaules. Tantôt elles agitent le double airain des cymbales en secouant sur leurs têtes les anneaux de leurs cheveux ; tantôt, en proie à des accès de rage, elles multiplient sous la paume de leurs mains les roulements des tambourins tendus ; et le bruit des combats gronde répercuté. Les thyrses deviennent des piques ; et l’acier que cache le feuillage est la pointe de cette lance ornée de pampres.

Les vapeurs du vin produisaient chez les ménades une sorte de délire qui se manifestait par des contorsions que les monuments de l’art reproduisent fréquemment (fig. 591). Il est très difficile de distinguer, dans les récits des auteurs anciens concernant les bacchantes, ce qui appartient à la mythologie et ce qui appartient à l’histoire, car le terme de bacchante signifie simplement une prêtresse de Bacchus. Les poètes les montrent parcourant les rues pendant la nuit ; demi-nues et simplement couvertes de peaux de bêtes fixées aux reins par des ceintures de lierre. Portant des thyrses ou des flambeaux, elles se précipitaient dans la campagne, échevelées, et se livraient à des courses sans fin et à des danses désordonnées, au son de la flûte et du tambourin.

Les monuments nous montrent quelques cérémonies bachiques. Sur une peinture de vase, nous voyons deux bacchantes échevelées dansant autour d’une idole très grossière en agitant des thyrses et des flambeaux. Une bacchante joue du tambourin et une autre semble mettre des aromates dans un vase placé devant l’image du dieu. Cette image est extrêmement curieuse, parce qu’elle nous fait connaître la forme primitive des représentations de Bacchus. Le dieu, dont la tète est barbue et couronnée, est une sorte de mannequin dépourvu de membres et reposant sur un poteau, devant lequel est une table qui supporte les vases sacrés (fig. 592).

Les autels consacrés à Bacchus étaient très nombreux dans toutes les campagnes. Une peinture de Pompéi en montre un auprès d’un arbre sacré (fig. 593). Le thyrse et le tympanon ne laissent aucun doute sur la signification bachique de ce petit monument.

Les fêtes de Bacchus étaient, comme celles de Cérès, destinées à remercier les dieux des bienfaits de la terre. Les rites observés pendant la procession se rapportaient à la légende du dieu. Une nombreuse troupe d’enfants, couronnés de lierre et tenant en main des pampres, couraient et dansaient devant l’image du dieu, placée sous un berceau de pampres et entourée de masques tragiques ou comiques. Tout autour, on portait des vases, des thyrses, des guirlandes, des tambours, des bandelettes ; et derrière le char venaient les auteurs, les poètes, les chanteurs, les musiciens de tout genre, les danseurs, tous ceux qui,, dans l’exercice de leur art, ont besoin de l’inspiration, dont le vin était considéré comme la source féconde. Quand la procession était finie, on commençait les représentations théâtrales et les combats littéraires en l’honneur de Bacchus, dont la fête avait toujours lieu en automne.

Ces fêtes ont eu d’ailleurs un caractère très différent, suivant les localités où elles ont été célébrées. En Grèce, elles paraissent avoir eu à l’origine une allure exclusivement champêtre. Autrefois, dit Plutarque, on célébrait les fêtes de Bacchus avec des formes simples, qui n’excluaient pas la gaieté : on portait en tête une cruche pleine de vin et couronnée de pampres ; puis venait un bouc soutenant un panier de figues et enfin le phallus, symbole de la fertilité ; mais aujourd’hui tout cela est tombé en désuétude et oublié.

Un luxe effréné accompagna plus tard les fêtes de Bacchus, qui dans plusieurs villes et notamment à Alexandrie, se célébraient avec la plus grande magnificence. Athénée nous a laissé une curieuse description de la grande procession bachique qui eut lieu dans cette dernière ville, sous le règne de Ptolémée Philométor. Le cortége de Bacchus, dit-il, était précédé de Silènes, les uns couverts d’une robe pourpre foncé, les autres de robes pourpre clair. Ils étaient suivis de satyres portant des torches ornées de feuilles de lierre en or. Après eux s’avançaient des victoires ayant des ailes d’or. Elles portaient des foyers à brûler des parfums, hauts de six coudées, ornés de branches de lierre en or. Ces victoires avaient des tuniques dont le tissu représentait diverses figures d’animaux et elles étaient ornées de la plus riche parure en or.

A leur suite venait un autel double, de six coudées, garni d’un feuillage de lierre en or, et autour duquel courait une guirlande de pampre d’or, attachée avec des bandelettes d’une bigarrure blanche. Derrière étaient cent vingt enfants, couverts de tunique de pourpre, portant de l’encens, de la myrrhe et du safran dans des bassins d’or. Après eux s’avançaient quarante satyres ceints de couronnes de lierre en or. Ils avaient à la main une autre couronne également en or. Leurs corps étaient peints en pourpre, en vermillon, et en diverses autres couleurs : deux silènes en chlamydes de couleur pourpre, avec des souliers blancs. L’un d’eux avait un chaperon et un petit caducée d’or, l’autre tenait une trompette. Entre eux deux marchait un homme haut de quatre coudées, en habit d’acteur tragique et avec un masque, portant une corne d’abondance toute d’or.

Derrière lui venait une femme de très belle taille, parée richement en or et en argent : d’une main elle tenait une couronne de persæa, de l’autre une palme. Après elle, s’avançaient les quatre saisons, bien parées, portant chacune les fruits qui leur sont propres : à leur suite, on portait un autel en or. Alors passèrent d’autres satyres couronnés de lierre d’or et vêtus de pourpre. Ils portaient un vase d’or à verser le vin. Le poète Philiscus, prêtre de Bacchus, et tous les gens attachés par leur profession au culte de ce dieu, les suivaient. On portait après eux des trépieds analogues à celui de Delphes, prix destinés aux athlètes. Celui qui était destiné aux adolescents avait neuf coudées de haut, et celui qu’on destinait aux hommes faits en avait douze.

Ensuite passa un char à quatre roues, traîné par cent quatre-vingts hommes ; il portait une statue de Bacchus, faisant une libation avec une tasse d’or. Ce Bacchus avait une tunique traînante, et, par-dessus, une robe d’un tissu transparent, et un autre vêtement de pourpre broché en or.

Sur ce char, et devant Bacchus, étaient un cratère de Laconie, un trépied et des tasses en or. On avait formé autour du dieu un berceau avec des pampres, du lierre et autres verdures, d’où pendaient des couronnes, des guirlandes, des thyrses, des tambours, des bandelettes, des masques tragiques, comiques et satyriques. Sur ce char étaient aussi les prêtres, les prêtresses, et les femmes portant les vans. On vit passer ensuite des Macédoniennes, dites mmalones, bassares et lydiennes, ayant les cheveux épars, et couronnées lés unes avec des serpents, les autres avec de l’if, de la vigne et du lierre. Celles-ci avaient des poignards à la main, celles-là des serpents.

Après elles s’avançait un autre char à quatre roues, large de huit coudées, traîné par soixante hommes et portant assise la figure de Nysa ; revêtue d’une tunique jaune brochée en or et d’un surtout de Laconie. Cette figure se levait artificiellement sans que personne y touchât : elle versait alors du lait d’une coupe et se rasseyait. Elle tenait de la main gauche un thyrse, autour duquel on avait roulé des bandelettes. Sa tête était couronnée de lierre et de raisins en or, enrichis de pierreries. Un feuillage l’ombrageait aussi. Aux quatre coins du char, on avait placé des torches d’or.

Ensuite venait un autre char long de vingt coudées et traîné par trois cents hommes. On y avait construit un pressoir plein de raisins. Soixante satyres foulaient, chantant au son de la flûte la chanson du pressoir. Silène y présidait et le vin doux coulait tout le long du chemin.

Ce char était suivi d’un autre, traîné par soixante hommes et portant une outre faite de peaux de léopards cousues ensemble. Il était accompagné de cent vingt satyres et silènes, tous couronnés et tenant en main des vases et des coupes d’or ; à côté on voyait un immense cratère d’argent, orné d’animaux sculptés en relief et entouré d’un cordon d’or enrichi de pierreries. Puis venaient dix grandes bassines et seize cratères en argent, une grande table d’argent de douze coudées et trente autres de six coudées, quatre trépieds, dont un en argent massif, et les autres enrichis de pierreries, vingt-six urnes, seize amphores semblables à celles des Panathénées et cent soixante vases à rafraîchir le vin. Toute cette vaisselle était en argent, celle d’or venait ensuite : d’abord quatre cratères avec de belles figures en relief, de grands trépieds et un buffet enrichi de pierreries, des calices, des urnes et un autel.

Seize cents enfants marchaient à la suite ; ils étaient vêtus de tuniques blanches et couronnés de lierre ou de pin. Ils portaient des coupes d’or et d’argent : les vins avaient été préparés de manière que ceux qui étaient présents dans le stade pussent en goûter la douceur. Ensuite venait un char contenant le lit de Sémélé, suivi d’un autre char, figurant une grotte profonde couverte de lierre et entourée de nymphes couronnées d’or. Deux sources en jaillissaient, l’une de lait, l’autre de vin, et il en sortait par en haut des pigeons, des ramiers, des tourterelles, ayant des rubans attachés à leurs pattes, de manière qu’en tâchant de s’envoler, elles pussent être prises par les spectateurs.

On vit ensuite figurer tout l’appareil de Bacchus à son retour des Indes. Le dieu, assis sur un éléphant, était vêtu d’une robe de pourpre, couronné de lierre et tenait en main un thyrse en or. Devant lui et sur le col de l’éléphant était un petit satyre couronné de branches de pin. Cinq cents jeunes filles vêtues de tuniques de pourpre et la tête couronnée de lins marchaient à sa suite et étaient elles-mêmes suivies de cent vingt satyres armés de toutes pièces, les uns en argent, les autres en bronze. Cinq bandes d’ânes montés par des silènes et des satyres couronnés étaient suivis de vingt-quatre chars attelés d’éléphants ; il y avait ensuite soixante chars attelés de deux boucs, huit attelages de deux autruches, sept de cerfs, et tous ces chars étaient montés par des enfants portant un thyrse et couverts d’habits de drap d’or.

Les chars attelés de chameaux qui vinrent ensuite marchaient trois de file et. étaient suivis de chariots attelés de mulets et portant les tentes des nations étrangères. Des femmes indiennes, mises comme des captives, les accompagnaient et étaient suivies d’Éthiopiens portant les présents ; six cents dents d’éléphant, deux mille troncs d’ébène, et soixante cratères d’or et d’argent. Puis deux chasseurs, portant des lances d’or, ouvraient une marche de deux mille quatre cents chiens de l’Inde ou de l’Hyrcanie, conduits par cent cinquante hommes portant des arbres auxquels pendaient toutes sortes de bêtes sauvages et d’oiseaux : on vit porter dans des cages des perroquets, des paons, des pintades, des faisans et nombre d’autres oiseaux d’Éthiopie.

Les troupeaux d’animaux venaient après : on y voyait entre autres cent trente moutons d’Ethiopie, trois cents d’Arabie, vingt-six bœufs blancs des Indes, huit d’Éthiopie, un grand ours blanc, quatorze léopards, seize panthères, quatre lynx, trois oursons, une girafe, un rhinocéros d’Ethiopie.

Enfin, sur un char à quatre roues, venait Bacchus, représenté au moment où il se sauva à l’autel de Rhéa, lorsqu’il était poursuivi par Junon. Priape était à ses côtés. Ce char était suivi de femmes richement vêtues et magnifiquement parées : elles personnifiaient les villes grecques des côtes d’Asie et portaient toutes des couronnes d’or.

Pan, très ancienne divinité pélasgique spéciale à l’Arcadie, est le gardien des troupeaux qu’il a pour mission de multiplier. Dieu des bois et des pâturages, il est venu au monde avec des cornes et des jambes de bouc, ce qui fait souvent naître une confusion avec les satyres qui portent les mêmes attributs. Nous avons au musée du Louvre une statue de Pan, très remarquable par le caractère d’animalité fortement prononcé dans des traits qui sont pourtant humains. Il y a dans cette création fantastique, moitié homme moitié chèvre, une telle harmonie, qu’on a l’idée d’un type mixte, bien plutôt que d’un monstre (fig. 594).

Les images primitives de Pan étaient pourvues d’un symbole dont la crudité significative n’avait alors rien de licencieux. Son culte, qui depuis s’est effacé devant celui des grandes divinités de l’Olympe, était extrêmement ancien en Arcadie et très certainement antérieur à toute civilisation. Quand l’éducation des bestiaux ne prospérait pas, dit Creuzer, les pasteurs arcadiens chargeaient de coups les idoles de leur dieu Pan, coutume qui atteste leur profonde barbarie en fait de religion.

Comme symbole de l’obscurité, Pan cause aux hommes les terreurs paniques, c’est-à-dire non motivés. A la bataille de Marathon, il inspira aux Perses une de ces peurs subites ; ce qui contribua beaucoup à assurer la victoire aux Grecs. C’est en raison de ce secours que les Athéniens lui consacrèrent une grotte dans l’Acropole.

Pan a été considéré par quelques philosophes comme un symbole du dieu universel qui régit tout dans la nature. La flirte aux sept tuyaux, qui est son attribut, représente suivant eux les sept notes de l’harmonie universelle, et la fusion des formes humaines répond au caractère, multiple de la vie dans l’univers.

Sous le règne de Tibère, un navire étant en rade, on entendit une voix qui criait : Le grand dieu Pan est mort ! Il est certain que son culte, qui était un des plus anciens de la Grèce, est un des premiers qui se soit effacé devant l’influence naissante du christianisme.

Le pasteur Aristée, fils d’Apollon et de la nymphe Cyrène, est aussi un grand éducateur de troupeaux, dont le culte était assez répandu dans les colonies grecques de la Cyrénaïque. Suivant les poètes, Aristée était surtout un éleveur d’abeilles, mais, dans les monuments de l’art, il apparaît toujours comme berger ; et son attribut spécial est la brebis qu’il porte sur ses épaules (fig. 595). Les artistes chrétiens ont adopté ce type, qui cet devenu le bon pasteur ; et la représentation du berger Aristée devient, pour eux une personnification de Jésus-Christ.

 

DIVINITÉS DES EAUX. — Neptune (Poséidon), frère de Jupiter, est un dieu des populations primitives de la Grèce, et la divinité nationale des Ioniens. Il a reçu en partage la mer, et pour les habitants des côtes il est le grand dieu qu’on invoque avant tous les autres. Il inspirait une terreur profonde, parce qu’on lui attribuait les commotions du sol, et quand il survenait un tremblement de terre, on cherchait à apaiser le courroux dû dieu : un coup de son trident suffisait pour agiter toute la terre et la faire s’entrouvrir. Le trident, qui n’était dans l’origine qu’un engin destiné à la pêche du thon, est devenu l’attribut ordinaire de Neptune (fig. 596 et 597).

Ce dieu, dont les représentations ne sont pas très communes, n’a’ pas dans l’art de type bien particulier, et son visage ne se distingue de celui de Jupiter que par une expression moins calme, des cheveux plus en désordre, et un caractère plus sauvage en rapport avec la violente de la mer. Le cheval, qui depuis des temps immémoriaux se trouvait uni aux sources par un rapport symbolique difficile à expliquer, est l’animal consacré à Neptune, qui passe même pour l’avoir créé.

C’est pour cette raison qu’il figure sur quelques monnaies au revers de la tête du dieu (fig. 598 et 599). Il sert habituellement de monture à Amphitrite, l’épouse de Neptune.

Amphitrite est la fille de Nérée, antique divinité marine qui personnifie plus spécialement la mer Égée. De son union avec Neptune sont nés les Tritons et les Tritonides, êtres mixtes qui participent de l’homme et du poisson et glissent sur les eaux à l’aide de leur queue fourchue. Ces monstres aux formes fantastiques sont souvent représentés soufflant dans des conques marines. Les chevaux des tritons sont bleus et armés de serres d’écrevisses.

C’est dans les profondeurs de la mer que Neptune a sa résidence habituelle ; là, il tient sous le joug ses coursiers impétueux. Veut-il quitter son humide séjour, alors, dit Homère, se couvrant de son armure d’or, il prend un fouet industrieusement formé et, montant sur son char, il rase la plaine liquide. Les monstres sortis du fond des abîmes, sautent autour de lui et reconnaissent leur roi.

Protée est le berger des troupeaux de Neptune, qui consistent en phoques et autres bêtes marines. Personnification du mouvement incessant des flots et de la couleur changeante des poissons, il est surtout fameux par ses nombreuses et rapides transformations. Il sait l’avenir, mais il ne le divulgue pas volontiers ; il faut l’y forcer.

Le culte de Neptune était répandu dans toutes les villes maritimes de l’antiquité, notamment à Corinthe, oit il y avait en son honneur des jeux célèbres.

Les navigateurs et les commerçants invoquaient Neptune non seulement pour, leur donner une bonne traversée, mais encore pour favoriser leur trafic. C’est ce que nous voyons dans un hymne orphique : Ecoute-moi, Neptune à la chevelure mouillée par les ondes salées de la mer, Neptune traîné par de rapides coursiers et tenant dans la main ton trident acéré, toi qui habites toujours les immenses profondeurs de la mer, roi des ondes, toi qui presses la terre de tes eaux tumultueuses, toi qui lances au loin l’écume et qui conduis à travers les flots ton rapide quadrige ; dieu azuré, à qui le sort assura l’empire des mers, toi qui aimes le troupeau armé d’écailles et les eaux salées de l’Océan, arrête-toi sur les bords de la terre, donne un bon souille aux navires et ajoutes-y pour nous la paix, le salut et les dons dorés des richesses.

Dans la mythologie primitive, la terre est une vaste plaine ondulée, qui présente la forme d’un disque et qu’entoure de toutes parts le fleuve Océan, époux de la titanide Téthys, qui personnifie les profondeurs de la mer. Le fleuve Océan, qui n’a ni source ni embouchure, forme un orbe immense qui s’alimente lui-même et donne naissance à toutes les mers, à tous les fleuves et à toutes les rivières. Il a trois’ mille fils, qui sont les fleuves et autant de filles, qui sont les nymphes Océanides. Dans l’art il ne diffère pas des autres fleuves, et apparaît sous la forme d’un vieillard à la chevelure humide, qui s’appuie sur son urne. On voit quelquefois des dauphins dans sa barbe.

Téthys, qu’il ne faut pas confondre avec la Thétis qui fut mère d’Achille, est une très antique divinité qui, de même que son époux, a été un peu délaissée durant la période historique de la Grèce. Aussi, on ne sait rien de bien particulier sur te culte qui leur a été rendu. Les fleuves, nés d’Océan et de Téthys, ont généralement la forme de vieillards barbus et couronnés de roseaux. La rame qu’ils tiennent à la main ou qui est placée près d’eux, indique qu’ils sont navigables, et ils sont en outre caractérisés par un emblème particulier, comme le sphinx ou le crocodile pour le Nil, la louve pour le fibre, etc.

En Grèce, les sources d’eau vive avaient un caractère sacré. Les anciens avaient pour elles une sorte de vénération religieuse, et considéraient le moindre filet d’eau comme le sanctuaire d’une divinité. Les nymphes en étaient la personnification, et leur vie se manifestait dans la nature parle murmure des ruisseaux et le mouvement perpétuel de leurs eaux. Aussi le culte des nymphes remonte à la plus haute antiquité et on les honorait par de fréquentes ablutions : c’est peut-être là qu’il faut chercher l’origine de l’importance énorme qu’ont eue les bains dans la société antique.

Chaque source était habitée par une nymphe, et la nymphée, c’est-à-dire la grotte par où l’eau s’échappait, était un lieu vénéré que l’art avait pour mission d’embellir. On décorait les grottes d’où s’échappait un filet d’eau et on les décorait habituellement de portiques et de statues. Cet usage se retrouve également dans l’Italie ancienne et particulièrement chez les peuples d’origine étrusque : la grotte de la nymphe Égérie est particulièrement célèbre dans l’histoire des origines de Rome. Les nymphées étaient très fréquentées par les pèlerins et elles servaient également de rendez-vous de plaisir : on disposait à l’entour des bancs et des sièges de pierre pour ceux qui venaient y chercher la fraîcheur. Des colonnes, des niches sculptées, des bas-reliefs, des inscriptions pieuses ornaient presque toutes les sources.

Sur les bords du lac d’Albano, on trouve les restes d’une nymphée, sorte de constructions consacrées aux sources et généralement creusées dans le flanc d’une montagne (fig. 600). La pièce principale était couverte d’une voûte en berceau et décorée de niche. Ces sortes de bâtiments étaient très fréquentés en été à cause de leur fraîcheur : sous l’empire ils devinrent surtout un lieu de rendez-vous pour les amoureux.

Les nymphes ont été dans l’antiquité l’objet d’un très grand nombre de représentations plastiques. Habituellement elles sont vêtues jusqu’à mi-corps et ont seulement le torse et les bras nus comme on le voit sur la figure 601.

Quelquefois pourtant elles sont entièrement nues, surtout lorsqu’on les employait pour la décoration des fontaines. Ainsi dans la figure 602 on voit trois nymphes se levant sur la pointe des pieds et soutenant avec leurs bras la vasque d’où s’élevait probablement un jet d’eau.

Toutes les nymphes n’avaient pas les mêmes emplois. Les dryades et les hamadryades sont la sève vivante et l’humidité des arbres dont elles partagent le destin. Les naïades, qui expriment plus particulièrement le murmure de l’eau, reviennent fréquemment dans les légendes, et leur rôle comme principe du mouvement des eaux est très bien rendu dans cette petite pièce de l’Anthologie grecque, faite à propos de l’invention des moulins à eau : Ô vous qui fatiguez vos bras à moudre le blé, ô femmes ! reposez-vous maintenant : laissez les coqs vigilants chanter au lever de l’aurore et dormez à votre aise : ce que vous faisiez de vos mains laborieuses, les naïades le feront, Cérès le leur a ordonné. Déjà elles obéissent ; elles s’élancent au bout d’une roue et font tourner un essieu ; l’essieu, par les rayons qui l’entourent, fait tourner avec violence la masse pesante des meules qu’il entraîne. Nous voilà donc revenus à la vie heureuse, paisible et facile de nos ancêtres : nous n’avons plus à nous inquiéter de nos repas, nous allons jouir enfin sans peine des doux présents de Cérès.

Les sources qui étaient réputées avoir des vertus médicinales étaient en Grèce l’objet d’une vénération toute spéciale, et les chapelles qu’on leur consacrait étaient toujours remplies d’ex-voto et de petites images pieuses, que venaient y déposer ceux qui avaient été guéris ou qui espéraient l’être. La figure 603 nous montre une de ces chapelles : on y voit des figurines sur le sol et des petites peintures contre la muraille, où sont les masques dont la bouche sert de fontaine.

Les Danaïdes, personnifications des sources de l’Argolide, sont quelquefois représentées sur des vases trouvés dans les tombeaux, et Creuzer cherche à établir un rapport entre cette fable et l’initiation aux mystères. L’urne brisée, dit-il, le vase fendu ou le crible, avec lequel les Danaïdes s’efforcent en vain de puiser de l’eau, sont les emblèmes de la vie misérable que mènent les non initiés. Leur existence est sans consolation, sans espoir et sans but. Même après la vie actuelle, ils demeurent dans la sphère de la matière. Cette idée, mise en rapport avec les mœurs grecques, donna naissance à l’image de ces femmes infortunées qui se consument dans un travail, dans des efforts sans fruit, qui s’obstinent à remplir des vases sans fond (fig. 604). Tout concourt à prouver que le mythe des Danaïdes enfermait sous son enveloppe symbolique le dogme de la foi antique des mystères. Les vases qu’elles portent sont nommés d’une manière significative, des hydries imparfaites ou sans résultat, sans fin, du mot même qui exprime la fin où tendent les mystères, la perfection ou la consécration qu’ils donnent, l’initiation. Les Danaïdes elles-mêmes étaient appelées les infirmes ou celles qui chancellent, qui manquent de base. Enfin, nous savons par Pausanias que Polygnote avait peint dans le Lesché de Delphes, parmi les supplices divers représentés dans son tableau de l’enfer, des femmes portant de l’eau dans des vases brisés et au-dessus desquels se lisait cette inscription : Elles n’ont point été initiées aux mystères.

 

DIEUX DU FEU. — Héphaistos (Vulcain) est un dieu d’origine phénicienne : il était originairement associé à Astarté, comme on le voit sur une monnaie carthaginoise (fig. 605). Astarté a été plus tard identifiée avec Vénus, divinité qui, dans d’autres traditions, était considérée comme l’épouse de Mars. Il en est résulté une confusion d’où est sortie la fable de Mars et Vénus, surpris par Vulcain et enlacés dans ses filets.

Chez les Grecs, Vulcain est le feu personnifié. S’il est petit et chétif à sa naissance, c’est que le feu commence par une étincelle. S’il est précipité du ciel sur la terre, c’est par allusion au tonnerre. Enfin il est boiteux et il a les jambes tortueuses, parce que la flamme ne présente jamais de lignes droites. Comme l’industrie est née de la découverte du feu, Vulcain est le dieu de l’industrie et présente sous ce rapport de grandes affinités avec Prométhée. Seulement Vulcain est plus spécialement le patron des forgerons et des ouvriers qui travaillent les métaux, tandis que Prométhée est invoqué de préférence par les potiers et par ceux qui travaillent l’argile. Le marteau a été de tout temps l’attribut de Vulcain.

La poésie présente Vulcain comme un artisan habile et ingénieur, mais aussi comme un être monstrueux, d’une conformation vicieuse, et d’un aspect burlesque. La plastique, dit Ottfried Muller, semble l’avoir représenté dans les premiers temps de l’art sous la forme d’un nain ; obéissant ainsi au penchant fortement enraciné dans le cœur humain qui le porte à concevoir précisément la force primordiale à l’état rudimentaire. Lorsque l’art fut perfectionné, il se contenta de représenter Vulcain sous la figure d’un homme vigoureux et laborieux, qui, comme d’autres dieux, fut figuré le plus souvent sous les traits ,d’un jeune homme, dans les premiers temps de l’art, et plus tard, ordinairement comme un homme barbu et dans toute la force de l’âge.

Le bas-relief sculpté sur le putéal du Capitole (fig. 606) montre Vulcain sous sa forme primitive et archaïque. Le dieu est imberbe et entièrement nu : au lieu du bonnet traditionnel, il a les cheveux relevés derrière la tête, sauf les deux tresses qui tombent. Une statuette en bronze du musée de Berlin (fig. 607) montre le dieu barbu, coiffé du bonnet conique et vêtu de l’exomis des artisans, qui laisse l’épaule et le bras droit à découvert. Il tient de la main droite un marteau et de la gauche des tenailles : l’une des deux jambes est plus courte que l’autre pour indiquer le dieu boiteux.

Une épigramme votive d’un forgeron à Vulcain nous a été conservée dans l’Anthologie grecque : Retirez de la fournaise ce marteau, ces cisailles, cette pince que Polycrate dédie à Vulcain. C’est en frappant à coups redoublés avec son marteau sur l’enclume qu’il a trouvé pour ses enfants une fortune qui chassera loin d’eux la triste misère.

Vesta (Hestia) est la personnification du foyer : dans chaque maison il y avait un autel où on entretenait perpétuellement du feu en l’honneur de cette divinité.

Il ne faut voir dans Vesta, dit Ovide, rien autre chose que la flamme active et pure ; et vous ne voyez aucun corps naître de la flamme. Elle est donc vierge à bon droit et aime à avoir des compa0gnes de sa virginité. Le toit recourbé du temple de Vesta ne recélait aucune image. Ni Vesta, ni le feu n’ont d’images. La terre se soutient par sa propre force ; Vesta lire donc son nom de ce qu’elle se soutient par sa propre force, mais le foyer est ainsi appelé et des flammes et de ce qu’il échauffe et fomente toutes choses. Il était autrefois dans les premières pièces de l’appartement : c’est de là aussi, je crois, que l’on a dit un vestibule, et que dans les prières, nous disons encore à Vesta : Toi qui occupes les premiers lieux. C’était la coutume autrefois de s’asseoir sur de longs bancs, devant le foyer, et de croire que les dieux assistaient au festin.

Les statues de cette divinité sont en effet de la plus extrême rareté, et il est quelquefois difficile de savoir si elles représentent une vestale ou la déesse elle-même. Sur l’autel triangulaire du Louvre, Vesta est représentée sous la figure d’une matrone recouverte d’un long voile et tenant en main un sceptre. Vesta, divinité vierge, qui ne consentit jamais à prendre d’époux dans l’Olympe, était profondément respectée des autres dieux. Une fois pourtant, le jovial Priape l’ayant vue profondément endormie voulut s’approcher d’elle pour l’embrasser, mais l’âne de Silène, qui se trouvait là, se mit à braire d’une telle force que Vesta et tout l’Olympe furent aussitôt réveillés. C’est en souvenir de ce service que l’âme a été consacré à Vesta.

La figure 608, d’après un bas-relief de style archaïque, représente Hestia, ou Vesta, coiffée de la s1éphanée, vêtue de la tunique longue et du peplum, retombant l’un et l’autre en plis nombreux sur la poitrine, et portant le sceptre dans la main gauche.

L’hymne homérique à Vénus décrit ainsi les fonctions de Vesta : Les travaux de Vénus ne sont point agréables à Vesta, vierge vénérable, la première enfantée par le rusé Saturne, et la dernière selon les volontés du puissant Jupiter. Apollon et Mercure désiraient épouser cette auguste déesse, mais elle ne voulut pas y consentir ; elle s’y refusa constamment et, touchant la tête du puissant dieu de l’égide, cette déesse fit le grand serment qu’elle a toujours tenu de rester vierge dans tous les temps. Au lieu de l’hyménée, son père la gratifia d’une belle prérogative ; au foyer de la maison ; elle reçoit toutes les prémices des offrandes, elle est honorée dans tous les temples des dieux ; elle est pour les mortels la plus auguste des déesses.

Comme personnification du foyer, le culte de Vesta se rattache directement à celui de la famille et des aïeux, mais en Grèce ce culte a toujours conservé un caractère essentiellement privé, et n’a pas été identifié comme à Rome avec celui de la cité. Aussi on ne trouve dans aucune cité grecque rien qui soit analogue au collège des vestales romaines.

 

LES DIEUX DES ENFERS. — Chaque homme a, suivant la croyance des anciens, une destinée inévitable, celle que lui ont filée les Parques ou Moires. Le pouvoir de ces divinités n’a jamais été bien nettement défini, mais elles semblent agir en dehors des dieux de l’Olympe qui ne peuvent empêcher leurs arrêts irrévocables. Elles sont au nombre de trois qui ont chacune un rôle particulier clans la vie humaine. Lachésis préside à la naissance, Clotho file la destinée pendant la vie, et Atropos coupe le fil, quand le terme de la vie est passé. Toutefois ce mode de figuration, bien que généralement admis, n’apparaît pas sur les monuments de l’antiquité, où le compas et le cadran solaire sont leurs attributs habituels. Les poètes les font figurer à côté de Pluton, ce qui les classe parmi les divinités infernales. Ces divinités étaient très redoutées, mais elles ne semblent pas avoir été l’objet d’un culte bien déterminé, sans doute à cause du caractère inexorable qu’on leur prêtait.

Pluton (Hadès), le frère de Jupiter, qui a reçu les enfers en partage et règne sur les ombres, est caractérisé par le boisseau qu’il porte sur la tête. Ce dieu a été identifié avec ; Sérapis et on le désigne quelquefois sous le nom de Jupiter infernal. Dans les monuments qui le représentent, on voit quelquefois à ses côtés Cerbère, lé chien à trois têtes qui est préposé à la garde des enfers (fig. 609).

Divinité mystérieuse et redoutable, Pluton était honoré d’un culte particulier. Les Grecs l’invoquaient en frappant la terre avec leurs mains et en lui immolant la nuit des brebis noires entre les cornes desquelles on faisait brûler de l’encens et auxquelles on devait avoir soin de tourner la tête vers la terre. Les cuisses de l’animal étaient spécialement consacrées au dieu des enfers. Des bois étaient consacrés à Pluton dans plusieurs lieux de la Grèce et ce dieu avait à Elis un temple qui ne s’ouvrait que trois fois par an. Le narcisse, le cyprès et le buis lui étaient consacrés.

Proserpine, que les Grecs nomment Cora quand ils la considèrent comme divinité agricole et fille de Cérès, et qu’ils désignent sous le nom de Perséphone dans son rôle de divinité infernale, est l’épouse de Pluton et la reine des ombres. Dans les funérailles, on lui offrait une boucle de cheveux du mort ; les fêtes de cette déesse avaient un caractère mystérieux. On lui sacrifiait des génisses stériles ; la chauve-souris, la grenade et le narcisse lui étaient consacrés.

Un hermès à trois faces, consacré aux trois Cabires ou grands dieux de Samothrace, représente le premier sous les traits de Pluton (fig. 612), le deuxième sous les traits de Proserpine (fig. 611), et le troisième sous les traits de Mercure (fig. 610). De petites figurines représentant Apollon, Vénus et l’Amour, décorent la base du piédestal sous ses trois faces. Ce monument énigmatique a donné lieu à bien des commentaires, mais il semble se rapporter au culte des dieux infernaux, Mercure étant le conducteur des ombres dans le ténébreux royaume qui leur sert de séjour.

Le départ des ombres et leur arrivée aux enfers figure sur quelques monuments. Quelquefois c’est Mercure qui amène une ombre devant le trône où siégent Pluton et Proserpine. Plus souvent, les âmes prennent la forme de petits enfants ailés, montés sur des Centaures qui cherchent par leur musique à distraire le voyageur des ennuis de la route (fig. 613). Souvent aussi ce sont des dauphins qui se chargent de conduire les âmes dans les îles des bienheureux. Toutes ces représentations, qui décorent de nombreux sarcophages, ont un caractère riant et aimable qui fait un singulier contraste avec les compositions terribles ou lugubres qu’on rencontre si souvent dans les monuments funèbres du moyen âge.

Suivant la croyance des anciens, les enfers s’étendaient dans une vaste contrée souterraine arrosée par deux grands fleuves, le Styx et l’Achéron, qui reçoivent comme affluents le Cocyte et le Phlégéton. C’est par le Styx que les dieux prononçaient leurs plus redoutables serments. L’Achéron est le fleuve que traversent les ombres sur la barque du nocher Caron, qui les fait passer sur la rive infernale. Aussitôt que l’Achéron est franchi, on rencontre Cerbère, le chien à triple tête, qui empêche qu’on ne sorte quand on est une fois entré. A leur arrivée, les ombres sont conduites devant Pluton. Mais bien qu’il règne sur les ombres, Pluton n’a pas pour mission de juger les actions des hommes : ce rôle appartient à Minos, Éaque et Rhadamante. Chaque homme reçoit d’eux le sort qu’il a mérité pendant ravie, mais la nature des châtiments et des récompenses n’a jamais été l’objet d’une croyance bien uniforme, et les poètes décrivent, chacun à leur guise, le sort qui nous est réservé après la mort,

Hécate apparaît sous plusieurs aspects : comme divinité vengeresse, elle préside aux expiations, comme déesse de la magie,. elle préside aux incantations, et c’est elle qui envoie sur la terre les monstres évoqués des enfers. Elle s’arrête dans les carrefours et près des tombeaux ; e’est là qu’on l’invoque pour les enchantements. Quand elle sent l’odeur d’un crime, elle fait aboyer les chiens infernaux qui forment son cortége.

On offrait à cette déesse, dit Creuzer, des sacrifices expiatoires, espèces de lustrations domestiques opérées par la fumée, que l’on célébrait le 30 de chaque mois, et où des œufs et de jeunes chiens étaient les objets essentiels. Les restes de ces animaux et des autres offrandes, joints à beaucoup de comestibles, devaient être exposés dans les carrefours et se nommaient le festin d’Hécate. Souvent les pauvres et les cyniques faisaient leur proie de ces débris avec une avidité qui était pour les anciens la marque de l’extrême indigence ou de la dernière bassesse. Le chien était l’animal consacré à Hécate. Des monuments montrent cette déesse avec un chien sur son sein, qu’elle semblé caresser. On la représentait elle-même avec une tête de chien, et peut-être était-ce là son ancienne forme mystique, celle sous laquelle elle était adorée dans les mystères de Samothrace, où l’on immolait des chiens en son honneur. Hécate avait aussi ses mystères, particulièrement à Égine, et dont on rapportait l’institution à Orphée. On voyait dans cette île plusieurs statues de la déesse ; une de la main de Myron, avec un seul visage, d’autres avec trois visages, attribuées au fameux Alcamène.

Antérieures à Jupiter et aux dieux olympiens, qu’elles nomment des divinités de fraîche date, les Furies représentent, dans l’opinion publique, l’antique justice, la seule que connaissent les peuples primitifs, la loi du talion ; à tout crime il faut un châtiment. Quand un meurtre s’est accompli, et surtout quand un fils ou un parent a trempé ses mains dans le sang de son père ou de ses proches, les Furies ne tardent pas à apparaître et font entendre leur chant funeste, entourent le criminel de leur ronde infernale et lui hurlent à l’oreille un hymne affreux dans lequel elles lui retracent son forfait. Nul mortel ne peut leur échapper : elles le poursuivent partout, comme le chasseur poursuit un gibier, et finissent toujours par l’atteindre. Ces inexorables déesses, qui ne connaissent pas ; le pardon, et que la prière ne peut toucher, sont reléguées au fond des ténèbres ; elles ne quittent leur sombre demeure que quand l’odeur du sang versé et les imprécations de la victime les appellent sur la terre. Divinités malheureuses, elles ne s’asseyent jamais au banquet des immortels. Dans les enfers, elles ont pour mission de châtier les coupables et de leur ôter tout espoir de miséricorde.

Les Érinnyes, ou Furies, sont les imprécations personnifiées de ceux qui meurent assassinés. Bien qu’elles ne s’occupent jamais que des meurtriers, elles étaient universellement redoutées. Le nom d’Euménides (bienveillantes), qui leur est aussi donné, vient de la terreur qu’on éprouvait en prononçant leur véritable nom. Elles avaient un temple à Athènes, près de l’Aréopage.

 

LES HÉROS. — Les anciens comprenaient sous le nom de Héros les personnages nés d’un dieu et d’une femme mortelle, comme Hercule, et ceux qui étaient nés, comme Achille, d’un mortel et d’une déesse. Les héros remplissent donc au point de vue religieux une place intermédiaire entre les hommes et la .divinité. Ils étaient l’objet d’un culte qui participait à la fois de celui qu’on rendait aux aïeux dans la famille, et de celui qu’on rendait dans la cité aux grandes divinités, ou dieux de la nature.

Le culte rendu aux héros n’était pas hiérarchisé suivant le mérite ou le pouvoir qu’on leur attribuait, mais il était fort inégal, puisqu’il y a des héros dont le culte a été en quelque sorte localisé dans la cité dont ils étaient des protecteurs, et d’autres qui étaient honorés partout. La légende des héros, très variée quant aux détails, repose presque toujours sur l’extermination d’un monstre qui désolait leur pays, et quand plusieurs traditions se confondent sur un même personnage, comme cela est arrivé à Hercule, il prend naturellement une très grande importance, à laquelle ne sauraient prétendre ceux dont les exploits ont conservé un caractère purement local.

Hercule est le type le plus complet du héros. Doué d’une force prodigieuse, et d’une bravoure à toute épreuve, il consacre sa vie entière au salut des hommes, dompte les monstres, combat les brigands, et se livre à de gigantesques travaux pour le bien de l’humanité : Il est le père de la race dorienne et le Péloponnèse est le lieu de ses premiers exploits. Toute la première partie de sa légende est d’un caractère purement hellénique et les traditions relatives son enfance ont toujours été populaires dans toutes les parties du monde grec. L’histoire des deux serpents qu’il étouffe dans son berceau (fig. 614) formait le fond des récits que les nourrices faisaient aux petits enfants et Hercule était le type que l’on proposait aux adolescents qui fréquentaient les gymnases. La légende du lion de Némée, celle de l’hydre de Lerne appartiennent également au Péloponnèse.

On trouve chez tous les peuples primitifs le souvenir d’un héros dompteur de monstres et redresseur de torts, mais la légende qui se forme sur son compte prend un caractère différent selon la localité. Ainsi la tradition concernant Hercule et Omphale est d’origine asiatique, et n’a été ajoutée que postérieurement à celles qu’on racontait sur l’Hercule grec. Il en est de même pour l’histoire d’Hercule et Antée, qui est une tradition libyenne, pour celle d’Hercule et Cacus qui est une tradition italienne, pour celle du triple Géryon et des colonnes d’Hercule qui paraissent avoir une origine phénicienne. Toutes ces fables sont venues à des époques inconnues grossir le mythe primitif d’Hercule, qui a fini par se rattacher par un point quelconque à l’histoire héroïque de tous les peuples de l’antiquité.

La peau de lion, souvenir du lion de Némée, a été adoptée partout comme l’attribut ordinaire du héros (fig. 615 et 616), ainsi que la massue avec laquelle il combat ses ennemis. Toutefois, sur un assez grand nombre de vases grecs, le héros est représenté avec le casque de l’époque archaïque, et ses armes ne diffèrent pas de celles que l’on portait à l’époque de la fabrication de vase.

L’histoire des douze travaux d’Hercule, et des travaux secondaires qui s’y rattachent, a été arrangée par les mythologues d’une date postérieure pour former un ensemble avec les traditions très différentes qui se rattachent au héros. On a voulu également voir dans Hercule une divinité solaire, et le chiffre de douze appliqué à ses principaux travaux se rapporterait ainsi aux douze mois de l’année.

Au point de vue de la chronologie mythologique, les héros peuvent se rattacher à trois périodes. Dans celle qui est antérieure à Hercule, Persée, le vainqueur de la Gorgone, peut être considéré comme le type le plus caractéristique. La légende qui le concerne est extrêmement barbare. Dans la fable des Argonautes on voit apparaître tous les héros de la seconde série, parmi lesquels est Hercule. Les plus importants sont Jason, chef de l’expédition, Méléagre, le vainqueur du sanglier de Calydon, Thésée, roi d’Athènes, dont les aventures semblent calquées sur celles d’Hercule, Castor et Pollux, ou les Dioscures, caractérisés par l’étoile qu’ils ont toujours sur la tête, etc. Enfin la troisième série comprend les héros qui prirent part à la guerre de Troie, et qui sont presque tous honorés comme fondateurs de cités.

A l’exception d’Hercule, qui â été absolument divinisé et des Dioscures, qui ont dans la mythologie un caractère à part, les héros n’ont eu en général qu’un culte purement local, et les honneurs qu’on leur rendait paraissent avoir été surtout des honneurs funèbres. On ne leur sacrifiait pas sur l’autel des grandes divinités, mais sur des tertres, et leurs principaux sanctuaires étaient des chapelles élevées dans les bois sacrés.

 

LES DIEUX DOMESTIQUES. — Outre les dieux auxquels on rendait un culte public, il y avait une foule de petites divinités, qui prenaient dans la maison un rôle assez analogue à celui de nos saints. Ces idoles prenaient souvent la forme d’un Hermès : la figure 619, d’après une terre cuite de Tanagra, montre une femme assise à côté d’un de ces Hermès et sur la figure 620, qui est aussi une terre cuite, on voit également un petit hermès à côté d’un jeune garçon.

Ces Hermès représentent soit une des grandes divinités, soit une petite divinité locale, pour laquelle une famille avait une dévotion particulière et qu’elle honorait comme sa protectrice. Souvent aussi ces représentations peuvent se rapporter au culte des aïeux qui était très répandu en Grèce et dans toute l’antiquité. Le culte qu’on avait pour ces images différait de celui que les catholiques rendent aux saints, en ce qu’il ne s’adressait pas à des reliques. Les pratiques se rattachant à ce culte avaient d’ailleurs un caractère absolument intime, et comme il n’y avait aucune église chargée de régler les cérémonies relatives aux pénates ou aux dieux protecteurs de la famille, elles ne pouvaient se déterminer que par traditions et devaient être extrêmement variables.