LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME IV — LES INSTITUTIONS DE L’ANTIQUITÉ

LA GUERRE. — II. - L’ARMÉE ÉGYPTIENNE

 

 

L’ORGANISATION MILITAIRE. - LES FORTERESSES. - L’ARMÉE NAVALE. - LES PRISONNIERS.

 

L’ORGANISATION MILITAIRE. — L’armée égyptienne comprenait la grosse infanterie, l’infanterie légère et les combattants en char. Tous ces corps avaient une destination différente.

La grosse infanterie était composée de soldats dont la tête et le corps, jusqu’à la ceinture, sont protégés par un grand bouclier. Elle porte comme arme offensive une lance dans la main droite et comme costume une tunique courte. Cette infanterie marchait en colonnes serrées, et avec une précision et une régularité qu’eut enviées Frédéric le Grand. Il est présumable qu’elle formait le corps principal de l’armée égyptienne (fig. 298).

Les troupes légères sont de deux sortes : d’une part, on voit des soldats armés d’un sabre recourbé et portant de la main gauche un petit bouclier ; leur tête est coiffée d’un casque, généralement orné à son sommet. Les autres sont des archers, vêtus de longues tuniques et portant un arc triangulaire avec un carquois sur l’épaule, comme on le remarque sur la figure 299, dans laquelle une troupe d’archers semble attendre un ordre pour commencer l’action. La figure 300 nous montre une autre catégorie d’archers qui ont, au contraire, une jupe très courte. Ceux-ci sont en marche : ils n’ont pas le carquois sur l’épaule. Leur arc, d’une forme très différente de ceux que nous avons vus dans la figure précédente, est dans une espèce d’étui qu’ils tiennent dans la main droite ; celle-ci est armée d’une hachette ou d’un petit sabre recourbé.

Ces soldats se mettaient généralement à l’avant-garde ou sur les derrières de l’armée : ils avaient pour mission de courir sur tous les points menacés, en attendant que les fortes colonnes du centre aient eu le temps de s’ébranler et de se mettre en mouvement. Les archers contribuaient grandement aux succès des armes égyptiennes : les uns combattaient à pied, les autres dans les chars, mais tous avaient pour mission de protéger l’infanterie, qui dans les batailles occupait toujours le centre.

On a beaucoup discuté la question de savoir si la cavalerie était employée dans l’armée égyptienne. Les Égyptiens, dit M. Chabas, furent de grands appréciateurs du cheval ; ils l’employaient aux mêmes usages que nous ; quoique l’usage des chars l’emportât sur celui de l’équitation, celle-ci, néanmoins, n’était pas négligée ; pour un grand personnage, c’était un mérite remarqué que la bonne tenue à cheval. Il existait, à l’époque pharaonique, des établissements publics où les chevaux étaient élevés et dressés surtout en vue de leur service à la guerre. Un grand nombre d’officiers y étaient préposés. D’un autre côté, on ne voit jamais de cavalerie dans les représentations de bataille. Quelquefois, il est vrai, on voit dans les bas-reliefs un cavalier isolé ; mais en étudiant le monument, on trouve que ce cavalier porte un costume étranger et fuit devant les Egyptiens, ou bien c’est un courrier qui va porter une lettre ou transmettre un ordre. Les peintures nous montrent, au contraire, que les chars avaient une très grande importance dans les manœuvres militaires, et Champollion-Figeac conclut de là qu’en parlant de cavalerie la Bible veut simplement désigner les hommes qui ne combattent pas à pied, mais sur des chars traînés par des chevaux.

Habituellement, les chars de guerre se distinguent par les carquois qui sont placés sur les côtés, et forment pour la décoration une ligne oblique très gracieuse (fig. 301). Les plus beaux chars, ceux qui appartiennent aux chefs des guerriers, ont des carquois beaucoup plus ornés que les autres. Le char que montent les Pharaons est en outre décoré d’un lion placé de chaque côté.

Les chars de guerre contenaient habituellement deux personnes : un cocher qui tenait les rênes pour diriger les chevaux, et un combattant qui est presque toujours un archer, bien qu’on en voie aussi qui portent le javelot, la hache ou le sabre recourbé. Quelquefois, mais jamais à la guerre et seulement dans quelques cérémonies, on voit trois personnages montés sur un char.

Le cocher se plaçait à gauche et le combattant à droite.

Dans les batailles, les chars avaient pour mission de porter le désordre dans les troupes ennemies et ils étaient certainement montés par des soldats d’élite. Le roi est presque toujours sur un char : les artistes le représentent d’une taille démesurément grande, armé de pied en cap et lançant des flèches contre les ennemis ou les frappant de sa hache. On voit souvent un lion qui suit ou précède le roi et paraît être mis là comme emblème de sa force.

La bannière royale d’Égypte est une espèce d’étendard surmonté d’un épervier. L’épervier est l’oiseau consacré à Horus, symbole des renaissances du soleil et emblème du soleil levant. Les Pharaons étant considérés comme fils du soleil avaient adopté naturellement les insignes du dieu avec lequel ils étaient identifiés. Chaque roi inscrivait sur sa bannière une devise particulière, mais dont le sens indiquait toujours son assimilation avec Horus.

Outre la bannière royale, chaque bataillon avait un étendard particulier sur lequel était ordinairement représenté quelque emblème vénéré, comme le cartouche du roi, la barque symbolique, ou des têtes de divinités, apparaissant soit sous leur forme humaine et avec leur coiffure caractéristique, soit sous la forme de l’animal qui leur est consacré, comme l’épervier, le lion, l’ibis ou le chacal : Pour être visibles à tous les yeux, ces enseignes se plaçaient. à l’extrémité d’une grande hampe. Elles étaient regardées par les troupes avec un respect religieux et devaient, par l’enthousiasme qu’elles excitaient universellement, contribuer beaucoup aux succès des armes égyptiennes (fig. 302 à 306).

Le porte-enseigne était toujours tin personnage important ; celui que nous représentons figure 304 tient un étendard orné de rubans et surmonté d’une coupe au-dessus de laquelle est placé un oiseau. il est coiffé d’une calotte noire et vêtu d’une jupe brun foncé.

Les armées égyptiennes étaient accompagnées de musiciens, qui dans les marches précédaient les corps. On en trouve des représentations figurées sur plusieurs monuments, notamment sur ceux qui passent pour être contemporains de Sésostris. Les instruments dont on se servait pour la musique militaire étaient la trompette et les tambours (fig. 307).

Les Égyptiens avaient deux sortes de tambours. Le tambour employé dans l’armée était oblong et on le frappait avec la main, comme le tympanon. Il se portait en bandoulière et se plaçait sur le dos pendant les marches. La caisse de ces tambours était en bois ou en cuivre, et les peaux étaient en cuir ou en parchemin. Nous en avons au Louvre un spécimen (salle civile, armoire H).

Depuis les temps les plus reculés, les Égyptiens ont fait usage de la trompette. C’est avec cet instrument qu’on appelait les troupes, comme nous le voyons dans une peinture de Thèbes, où les hommes qui jouent de la trompette restent en place, tandis que les troupes se rallient au son de l’instrument qu’elles entendent. Parmi les instruments de musique conservés au musée égyptien du Louvre, nous avons une trompette en bronze (salle civile, armoire H).

La trompette droite paraît avoir été surtout employée pour transmettre les ordres des chefs ; les monuments antiques nous montrent la trompette comme un instrument étroit dans toute la longueur du tube, jusqu’à l’embouchure où elle s’évase (fig. 308).

Le roi, qui était le chef suprême de l’armée, payait toujours de sa personne ; il distribuait à ses fils ou à ses grands officiers les commandements partiels. Les soldats étaient divisés en régiments subdivisés eux-mêmes en bataillons et en compagnies ; les officiers étaient hiérarchisés et possédaient chacun un commandement particulier. Nous trouvons de curieux détails sur les fatigues du métier des armes et les misères attachées à la vie d’un officier dans un papyrus de la XIXe dynastie, dont M. Lenormant a reproduit un fragment. Quand tu recevras cet écrit de prose cadencée, ah ! puisses-tu trouver agréable l’œuvre de l’écrivain.

Je veux te dépeindre les nombreuses tribulations de l’officier d’infanterie.

Tout jeune encore, il est renfermé dans la caserne.

Une armure qui le serre entoure son corps, une pièce défensive descend sur ses yeux ; la visière est sur ses sourcils ; sa tête est protégée contre les blessures.

Il se trouve serré comme un rouleau de papyrus, et ses mouvements sont gênés dans le combat. Te dirai-je ses expéditions en Syrie, ses marches vers les régions lointaines ?

Il doit porter son eau sur son épaule, comme les ânes leur charge.

Son dos est enflé comme celui d’une bête de somme et son échine est ployée.

Quand il est désaltéré par une eau corrompue, il faut qu’il retourne à la garde de nuit. S’il arrive à l’ennemi, il est comme une oie prise au filet, et ses membres n’ont aucune vigueur.

Quand il revient vers l’Égypte, il est comme le bois rongé des vers.

Si la maladie arrive et le force à se coucher, on le charge sur un âne.

Ses effets sont pillés par les voleurs et son serviteur l’abandonne.

Malgré ces plaintes, il paraît démontré que l’armée formait en Égypte une classe extrêmement importante et à laquelle se rattachaient d’importants privilèges. Les guerriers, dit Hérodote, reçoivent du peuple le nom de Calasiries et d’Hermotybies ; ils habitent les nomes ci-après énumérés, et toute l’Égypte est divisée en nomes. Voici ceux des Hermotybies : Busiris, Saïs, Chemmis, Papremis, l’île de Prosopitis, et la moitié de Natho ; les Hermotybies ont leurs domaines sur ces nomes ; leur nombre est de cent soixante mille hommes, quand ils sont au grand complet. Nul d’eux n’a jamais rien appris des arts mécaniques, mais ils se consacrent au métier des armes. Voici les nomes des Calasiries : Thèbes, Bubaste, Aphthis, Tanis, Mendès, Sébennys, Athribis, Pharbethis, Thmuis, Onuphis, Anysis, Myecphoris ; ce dernier nome occupe une île en face de Bubaste ; les Calasiries ont leurs domaines sur ces nomes. Leur nombre est de deux cent cinquante mille quand ils sont au grand complet. Il ne leur est permis de cultiver aucun art mécanique, mais ils exercent les arts de la guerre et se les transmettent de père en fils... Les privilèges suivants sont attachés aux guerriers, et hormis les prêtres, ils sont les seuls des Égyptiens à qui rien de semblable soit accordé : chacun d’eux possède, exempts d’impôts, douze arpents d’excellente terre ; l’arpent d’Égypte équivaut à un carré de cent coudées de cité, la coudée étant la même que celle de Samos. Ils jouissent tour à tour, et jamais les mêmes, de ces autres avantages : tous les ans, mille Calasiries et autant d’Hermotybies forment la garde du roi ; à ceux-ci, outre leurs terres, on donne, chaque jour, cinq mines de pain cuit, deux mines de chair de bœuf et quatre coupes de vin. Voilà ce qu’on donne aux gardes.

On voit que l’armée égyptienne, qui selon Hérodote présentait un effectif de quatre cent dix mille hommes en temps de guerre, constituait dans le pays une véritable aristocratie militaire, qui était en possession de terres qu’elle faisait cultiver et pour lesquelles elle ne payait aucune redevance au fisc. En revanche, chaque homme était obligé de s’équiper lui-même, et de se présenter, avec ses armes offensives et défensives, chaque fois qu’il en était requis pour une campagne. Cela arrivait assez fréquemment, soit que le roi voulût envahir un pays étranger, soit qu’il y eût lieu de réprimer quelque rébellion dans une province. L’armée devait en outre fournir le nombre d’hommes jugés nécessaires pour le service des garnisons établies dans les villes fortifiées, dont les principales étaient Péluse, Maréa, Hiéracompolis, Syène, Éléphantine et quelques autres places.

Le privilège qu’avaient les guerriers de ne rien payer au fisc ne pouvait manquer de déplaire aux rois, qui croient souvent avoir plus besoin d’argent que de soldats : nous voyons en effet un Pharaon tenter de l’abolir. Séthos, dit Hérodote, négligea beaucoup l’ordre des guerriers comme n’ayant aucun besoin de leurs services ; et parmi un grand nombre de marques d’indifférence, il alla jusqu’à les priver des douze aroures de terres labourables concédées à chaque individu de cet ordre par les rois ses prédécesseurs, et choisies dans les meilleures terres. Aussi lorsque peu de temps après une armée nombreuse, commandée par Sennachérib, roi des Assyriens et des Arabes, vint attaquer l’Égypte, aucun des guerriers égyptiens ne voulut marcher. Le prêtre-roi, inquiet de ce refus et incertain du parti qu’il devait prendre, entra dans le temple de Vulcain et vint déplorer aux pieds de la statue du dieu les malheurs qui le menaçaient. Pendant qu’il exhalait ses plaintes, le sommeil s’empara de ses sens, et il vit en songe le dieu debout, près de lui, qui le rassurait et lui promettait qu’avec le secours qu’il allait recevoir il n’aurait rien à redouter de l’armée ennemie. Le roi, se confiant à cette vision, rassembla tous ceux qui consentirent à le suivre, et marcha vers Péluse, qui est le point par lequel on peut pénétrer en Égypte, n’ayant avec lui aucun soldat, mais seulement un ramas de marchands, d’artisans et de journaliers. Il était à peine arrivé, qu’un nombre infini de"rats champêtres se répandirent dans le camp ennemi, et, pendant le cours d’une seule nuit, rongèrent si bien les cordes des arcs, les carquois et jusqu’aux attaches des boucliers, que l’armée, privée de toute espèce d’armes, fut contrainte de prendre la fuite le lendemain. Poursuivie par les Égyptiens, elle perdit beaucoup de monde. En mémoire de cet événement, on éleva dans le temple de Vulcain une statue de pierre qui représentait Séthos tenant dans la main un rat avec cette inscription : En me voyant, apprends à révérer les dieux.

Outre les troupes nationales, l’armée égyptienne comprenait des corps étrangers qu’on enrôlait parmi les nations alliées ou dans les pays conquis (fig. 309 à 311). Ces corps étaient divisés en régiments et disciplinés d’après les méthodes égyptiennes. Originairement, ces soldats auxiliaires étaient peu nombreux, et comprenaient seulement des tribus libyennes et éthiopiennes, qui après avoir été vaincues par les Égyptiens prenaient du service. Niais plus tard les Pharaons trouvèrent plus commode de prendre de véritables mercenaires étrangers qui, n’ayant aucun intérêt dans les affaires du pays, étaient plus spécialement dévoués à leur personne. Les historiens signalent ce fait comme une des causes de l’affaiblissement militaire de l’Égypte, qui, après avoir été, pendant plusieurs siècles maîtresse d’une grande partie de l’Asie, se trouva ensuite n’être pas en état de résister à l’invasion de Cambyse.

Ces causes de l’affaiblissement de l’armée sont très bien exposées par M. Lenormant dans son histoire ancienne de l’Orient : Les Égyptiens, pendant des siècles, se servirent principalement de troupes nationales, et chez eux le service militaire fut considéré comme un privilège, comme une distinction. Les corps d’auxiliaires étrangers étaient tenus alors dans une situation très inférieure à celle des corps indigènes ; ils n’arrivaient à y être assimilés que lorsque leur existence, conservée héréditairement pendant plusieurs générations, avait fini par en faire de véritables citoyens de l’Égypte, comme les Maloï sous le Moyen Empire et les Maschouasch sous le Nouveau. Psamétik désorganisa toute cette constitution de l’armée en donnant aux mercenaires grecs qu’il engageait le pas sur les troupes nationales. La troupe des guerriers indigènes y vit une violation flagrante de ses privilèges, et deux cent mille guerriers quittèrent spontanément la garnison où le roi les avait à dessein relégués pour aller former des établissements au delà des cataractes. Dès lors, le nerf de la puissance militaire de l’Égypte fut brisé. Les mercenaires grecs et cariens, dont se composèrent en majorité les armées égyptiennes, devinrent plutôt les instruments des rois que les défenseurs de la nation. La rivalité s’établit entre eux et le reste des guerriers, et l’Égypte fut livrée aux divisions intestines et à l’anarchie. Le jour où l’invasion persique arriva, le pays ne sut pas se défendre, et il suffit d’une bataille pour rendre Cambyse maître de toute la vallée du Nil.

 

LES FORTERESSES. — Les peintures des monuments nous font connaître la conformation des camps égyptiens. Ils étaient entourés d’une palissade dont un peloton de fantassins gardait l’entrée. La tente du roi ou du général, placée au côté opposé, était entourée de tentes plus petites, destinées aux officiers, et on voit à côté un lion apprivoisé et surveillé par un gardien armé d’un bâton. Les chevaux et les ânes sont rangés avec une symétrie parfaite sur un des côtés de l’entrée principale et les chars occupent l’autre côté en file régulière. Les harnais des chevaux occupent les intervalles, ainsi que ceux des ânes, qui consistent en un bât avec deux paniers et divers ustensiles pour le transport des vivres. Les exercices des chars et les manœuvres des fantassins s’exécutent à l’entour du camp, où ;l’on voit aussi des ambulances avec tout ce qui s’y passe. Avec la ponctualité si remarquable dans les peintures égyptiennes, rien n’est omis : ainsi on voit des soldats malades auxquels le médecin administre une potion, et des ânes malades pansés par les vétérinaires. De l’autre côté, parmi les recrues qui s’exercent, on voit un soldat indiscipliné qui subit sa peine et des officiers qui font leur inspection.

Les patrouilles circulaient continuellement autour du camp et des forteresses. La figure 312 nous montre une patrouille, où les soldats sont armés de javelines. Elle est commandée par un officier qui porte un petit sabre recourbé. Le même sabre se voit sur des personnages représentés sur les figures 313 et 314, mais ici une partie des soldats qui forment la patrouille sont des archers.

La figure 315 montre la rencontre de deux patrouilles : on voit les officiers croiser leur épée en se demandant le mot d’ordre. Dans la figure 316 nous voyons une patrouille de nuit, circulant avec une lanterne que tient un des guerriers. Pour se faire une idée de la régularité qui présidait aux manœuvres, il suffit de regarder le carré d’infanterie pesante, assez semblable à la phalange macédonienne, que nous avons reproduit fig. 298.

M. Prisse décrit ainsi une forteresse située au nord du village de Kouban dans la Nubie : Elle consistait en une vaste enceinte carrée, d’environ cent mètres de côté, formée par d’énormes murs en briques crues, bâtis en talus et soutenus, de distance en distance, par des éperons ou contreforts assez saillants. Cette enceinte régulière était percée d’une porte au milieu de chacun de ses murs. Les portes du nord et du sud étaient protégées uniquement par le fossé sur lequel s’abattait probablement un pont-levis, à en juger par les massifs de maçonnerie qui bordent la berge du côté de l’entrée. La porte de l’est, qui débouchait sur le désert et se trouvait la plus exposée à l’ennemi, était plus large que les autres et défendue par une tour qui flanquait le fossé. Enfin la porte de l’ouest, c’est-à-dire du côté du Nil, semble avoir été précédée d’une construction dont on voit encore quelques colonnes. Un fossé de huit mètres de large, séparé du mur par un terre-plein ou chemin de ronde, entourait les trois principaux côtés. Les fossés semblent avoir jadis communiqué avec le fleuve, et s’ils n’étaient pas constamment remplis d’eau, ils étaient susceptibles d’être inondés au besoin. On voit encore, à l’extrémité de la muraille méridionale, un conduit ou aqueduc souterrain bâti en grès, qui servait à conduire l’eau dans la place. Tout l’espace que renfermait cette enceinte est couvert de ruines de maisons bâties en briques, au milieu desquelles on remarque plusieurs tronçons de colonnes en grès et quelques portions de conduites d’eau. A l’angle oriental se voient les restes d’une rampe menant au sommet des murailles, qui, élevées d’environ dix mètres, présentent une longue plate-forme de trois mètres de large ; elles étaient probablement garnies de créneaux. Cette forteresse, bâtie pour arrêter les incursions des nomades sous les rois de l’ancienne monarchie, est extrêmement remarquable sous tous les rapports. Elle présente, comme les meilleurs camps romains, un système de défense qui permettait de résister à une longue attaque. Bien conservée après tant de siècles de durée, elle offre le plus beau spécimen des fortifications permanentes des anciens Égyptiens.

Parmi les nombreux monuments figurés qu’on a retrouvés dans les ruines de Thèbes, il faut signaler le siège d’une ville dont on escalade les murs, au pied desquels sont des machines de guerre soutenues par des soldats qu’elles cachent de manière à n’en laisser voir que les pieds. Des soldats qui ont pu approcher la muraille à l’abri de ces machines gagnent une échelle appuyée contre la muraille ; les combattants y montent, mais ils ne se servent pas seulement de l’échelle, car ils saisissent, pour se maintenir, les joints de pierres qui forment les murs du fort. On en voit même dont les pieds reposent entièrement sur ces joints, ce qui est difficile à expliquer, à moins que les assises ne fussent en retraite les unes sur les autres. Le fort, qui comprend plusieurs tours, est couronné d’un étendard percé de flèches, et on voit que le combat est déjà engagé dans l’intérieur, car des corps d’hommes sont précipités du rempart. Une de ces tours parait être la tour maîtresse, car elle est beaucoup plus grosse que les autres. Les boucliers que portent les assiégeants sont arrondis seulement dans leur partie supérieure, tandis que les assiégés en ont qui sont complètement ronds, ou de forme rectangulaire. Au pied du fort, des soldats lancent des flèches sur les soldats qui le défendent, et la lutte, engagée partout, semble encore indécise. Mais le roi, de stature colossale, arrive sur son char et tout fuit à son approche : le roi égyptien est toujours représenté victorieux (fig. 317).

On voit en effet sur les monuments des représentations de citadelles entourées de fossés remplis d’eau. Le roi d’Égypte est presque toujours figuré à l’attaque des places fortes : c’est en vain que des hommes armés se défendent du haut des tours. Rien n’arrêtera l’impétuosité du Pharaon. Du haut de son char, il foule sous les pieds de ses chevaux les morts et les vivants et décoche sur la ville ses flèches meurtrières, et la fuite précipitée de ses ennemis ne les empêchera pas d’être atteints.

La même donnée se trouve reproduite avec diverses variantes, et le Pharaon paraît toujours comme l’invincible héros auquel rien ne peut résister. Des étrangers assiégés dans une forteresse, élevée sur une montagne, sont, malgré leur position, si vigoureusement atteints par le Pharaon, qu’ils ne songent plus qu’à demander grâce. Une femme placée sur le haut des remparts élève son petit enfant dans ses bras pour implorer la pitié du vainqueur, et le désespoir a paralysé partout la résistance. Cependant le Pharaon, d’une taille gigantesque et monté sur un char de guerre richement décoré, lance ses flèches impitoyables contre les assiégés (fig. 318).

 

L’ARMÉE NAVALE. — La mer, émanation stérile de Typhon, le mauvais principe, était pour les Égyptiens un sujet d’horreur. Cependant le besoin de défendre les côtes a dû leur inspirer de bonne heure le désir d’avoir une flotte capable de porter des combattants. Sésostris, dit Diodore de Sicile, fit équiper une flotte de quatre cents voiles, et fut le premier prince de ces contrées qui fit construire des vaisseaux longs.

Les vaisseaux égyptiens que nous voyons figurer sur les monuments se distinguent par leurs proues décorées d’une tête de lion : ils sont pourvus d’un rebord assez élevé dans lequel on a pratiqué des trous pour laisser passer les rames. Les mâts et les voiles qu’on voit sur ces navires prouvent qu’on ne se contentait pas de l’action des : rameurs. Tout en haut du mât, qui se termine en fleurs de lotus, on voit un personnage qui, placé dans un poste où il peut apercevoir au loin, a sans doute mission de signaler les écueils, ou de surveiller les mouvements de la flotte ennemie. La forme de ces bâtiments est d’ailleurs très différente de celle des barques d’eau douce qu’on voit naviguer sur le Nil.

Dans les plus anciennes barques égyptiennes, l’aviron-gouvernail est remplacé à l’arrière par des matelots qui dirigent la marche au moyen de longues rames (fig. 319). Les rameurs ont été de tout temps très nombreux sur les navires égyptiens, mais cela n’empêchait pas la voilures Les barques de guerre sont pourvues d’un seul mât portant une longue vergue sur laquelle est carguée la voile. Au-dessus de la voile est quelquefois une espèce de niche en forme de cône renversé, où se tient une vigie pour faire les signaux. Ces navires, qui ne semblent pas avoir été en état de supporter une navigation au long cours, étaient munis de cordes à crochets pour saisir les embarcations ennemies. C’est ce qu’on voit dans la représentation d’un combat naval, où les soldats égyptiens recueillent les prisonniers échappés des barques renversées ou tombées à l’eau pendant la lutte. Des officiers postés à l’avant et à l’arrière du navire commandent aux soldats armés de glaives, de javelots, et surtout d’arcs et de flèches. Les rameurs obéissaient à un chef pourvu d’un bâton de commandement ; ils étaient protégés par un plat-bord.

Parmi les peintures de Médinet-Abou, une des plus curieuses assurément est celle où l’on voit une escadre égyptienne aux prises avec une flotte ennemie, et vigoureusement secondée d’ailleurs par une armée de terre ; ce qui semblerait indiquer que la scène se passe sur la côte d’Égypte, et que les soldats de terre et de mer commandés par le Pharaon sont occupés à repousser une invasion. Les Égyptiens se reconnaissent de suite à leurs airs de tête, à leurs costumes, à leurs longs boucliers cintrés par le haut, à leurs petits coutelas. Trois de leurs navires sont placés l’un au-dessus de l’autre sur les monuments, disposition qui tient à l’ignorance où étaient les artistes des lois de la perspective. Une quatrième barque a déjà doublé et coupé la flotte ennemie : elle la prend en arrière et s’avance pour agir de concert avec les trois autres.

Les bâtiments égyptiens ont peu souffert dans le combat : ils ont conservé leurs mâts, leurs voiles, leurs pilotes et leurs rameurs. Les soldats, dans leurs attitudes les plus animées : les archers décochent leurs flèches de toutes parts, tandis que d’autres guerriers brandissent leurs massues en attaquant l’ennemi, ou bien parent les coups derrière leurs grands boucliers. On remarque dans ce combat un abordage : un soldat égyptien, portant son bouclier attaché derrière l’épaule, est monté sur la partie la plus avancée de la proue du navire, et saisit par le bras un Indien qu’il s’apprête à frapper.

Au reste, la bonne tenue des vaisseaux égyptiens fait déjà présager la victoire, et deux de leurs barques sont déjà remplies de prisonniers ennemis dont les mains sont liées et qu’on a placés parmi les rameurs. La flotte ennemie, au contraire, est dans un état qui annonce sa défaite : elle est toute désemparée. Les bâtiments, privés de rameurs et de pilotes, semblent errer au hasard. Le vaisseau indien, qui le premier a débarqué ses troupes, va être pris par les Égyptiens : ceux qui le défendent n’opposent plus aux flèches du Pharaon qui les attaque en personne que les petits boucliers ronds dont ils sont armés ; d’autres, tout à fait sans défense, paraissent implorer la clémence du vainqueur. Partout règne le plus grand désordre : plusieurs navires ont perdu leurs agrès ; l’un d’eux a sombré sous voiles. La configuration de ces navires est d’ailleurs peu différente de celle des vaisseaux égyptiens : le Pharaon, placé sur le rivage, est comme toujours de taille gigantesque, et c’est autour de lui que l’action est le plus animée. On y voit les Indiens pêle-mêle, percés de flèches et morts ou mourants. Quelques-uns tombent de leurs barques et sont précipités dans l’eau, tandis que d’autres font de vains efforts pour les en retirer. On sent enfin que toute résistance est inutile pour cet ennemi envahisseur, qui a tenté une descente sur le rivage égyptien sans compter sur le Pharaon, fils du soleil.

Le bulletin de l’Institut égyptien nous donne la description suivante des bas-reliefs peints qui consacrent les victoires de la reine Hatasou dans le pays de Pount : La scène de débarquement nous montre les poissons de la mer Rouge, et la scène finale, car le tableau de la bataille est perdu, nous fait voir les types des habitants et les productions du pays. Le chef de Pount est représenté avec un bâton recourbé, comme en portent encore les pubiens d’aujourd’hui. Il a la peau foncée ; il est armé d’un poignard et vêtu d’un caleçon jaune ; sa femme et sa fille l’accompagnent ; elles sont toutes deux atteintes d’une espèce d’éléphantiasis. On voit également le butin enlevé par l’armée ; il consiste en girafes, dents d’éléphants, énormes lingots peints en rouge et qui sont probablement de cuivre (car le mot est resté illisible), des arbres emmaillotés dans des couffes, etc.

 

LES PRISONNIERS. — Les combats livrés par les rois d’Égypte sont fréquemment représentés sur les monuments. Le Pharaon est reconnaissable à sa taillé colossale : c’était pour les artistes égyptiens une manière naïve d’exprimer la supériorité de son rang et de son courage. Le plus souvent, le char du roi passe sur le corps des ennemis qu’il a étendus à ses pieds, tandis que d’autres implorent leur grâce.

Les scribes, qu’on voit dans toutes les représentations figurées des Égyptiens, ne pouvaient manquer d’avoir un rôle spécial dans les scènes militaires. Ils ne combattent pas personnellement, mais on les voit enregistrer avec le plus grand soin les mains droites coupées aux ennemis morts ; car c’est ainsi qu’on faisait la statistique de ceux qu’on avait tués. La ponctualité des habitudes égyptiennes se retrouve jusque dans cet usage barbare. Dans les peintures de Medinet-Abou, on voit des officiers égyptiens levant la main comme pour commander le silence, pendant qu’on fait l’énumération des mains qui viennent d’être rapportées. Un homme courbé et vêtu d’une longue robe les compte lui-même en les prenant une à une, tandis qu’un scribe, placé derrière lui, enregistre sur un rouleau de papyrus les chiffres qui lui sont dictés. On voit ici trente-huit mains : des scènes de ce genre se trouvent reproduites sur plusieurs monuments. Les scribes notaient également le nombre des prisonniers, qu’on voit toujours défiler par colonnes nombreuses devant le Pharaon, aux pieds duquel on vient déposer les mains coupées, comme un trophée de victoire.

C’est ainsi que les victoires de Ramsès sont représentées dans les peintures de Medinet-Abou, à Thèbes. Le Pharaon, pendant ce temps-là, est assis sur son char, dont les chevaux sont retenus par ses officiers, et il adresse une allocution à ses guerriers. Plus loin, le roi victorieux, tenant en main le fouet, guide lui-même ses chevaux pour retourner en Égypte : son char est précédé par des prisonniers enchaînés, et les princes du sang portent près de lui de larges ombrelles.

L’usage de lier les mains, aux prisonniers de guerre était universel dans l’antiquité. On emportait à cet effet des cordes : dans les peintures Militaires de Medinet-Abou, on voit des archers qui portent enroulées autour de la poitrine et par-dessous le bras gauche des cordes probablement destinées à cet usage. Dans une foule de peintures on voit des prisonniers attachés, et il semble qu’on se soit ingénié à lier les mains de ces malheureux dans une position aussi gênante que possible. Presque toujours une grande corde passée autour du cou des captifs les maintient à côté les uns des autres (fig. 320). On les voit ainsi défiler en longues colonnes qui se suivent et présentent quelquefois deux, trois et même quatre captifs de front. Les artistes égyptiens qui avaient besoin de montrer des prisonniers très nombreux, et qui ignoraient les lois de la perspective, en montrent quelquefois plusieurs rangées, les unes au-dessus des autres.

Les peintures qui représentent des captifs nous fournissent de précieux renseignements sur le costume des peuples avec lesquels les Égyptiens ont été en guerre.