LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME IV — LES INSTITUTIONS DE L’ANTIQUITÉ

INSTITUTIONS CIVILES. — IV. - LES THERMES

 

 

LES BAINS EN GRÈCE. - LES THERMES ROMAINS. - LES USTENSILES DU BAIN.

 

LES BAINS EN GRÈCE. — Il y avait en Grèce un très grand nombre de bains publics. Nous en voyons une curieuse représentation sur un vase de Vulci qui est au musée de Leyde. Une source jaillissant de deux mufles de lion est placée sous un portique supporté par ‘trois colonnes doriques et surmonté d’un fronton. Deux baigneurs, un homme barbu et un éphèbe, sont placés dans le petit édifice et reçoivent sur la tête et le dos les jets de la fontaine. Ce genre de bains, fort en usage dans l’antiquité, se donnait en manière de douches.

De chaque côté du petit édifice, nous voyons deux éphèbes dont les vêtements sont suspendus aux branches, des arbres voisins. L’un d’eux détache de l’arbre une petite fiole, un autre en verse le contenu sur sa main pour s’en frotter ensuite le corps (fig. 95).

C’était une coutume générale en Grèce de se baigner après les exercices qui avaient couvert le corps de sueur et de poussière. Cet usage, qu’on trouve déjà dans Homère, ne fit que s’étendre par la suite et on finit même par prendre tous les jours un bain avant le repas. Les Spartiates ne faisaient usage que de bains froids, et il en était de même anciennement dans toute la Grèce. Quand l’habitude des bains chauds commença à prévaloir, tout le monde y courut en foule, malgré les protestations isolées de quelques philosophes qui ne voyaient là qu’un raffinement de mollesse. Socrate ne venait que très rarement aux bains chauds et Phocion n’y parut jamais.

Sur un vase du musée de Berlin, on voit quatre femmes nues, placées dans des poses diverses, sous les jets d’eau lancés par quatre têtes d’animaux, dont deux de sangliers, une de lion et une de panthère. La fontaine est sous un portique supporté par trois colonnes doriques, reliées entre elles par une poutre à laquelle sont suspendus les vêtements des baigneuses (fig. 96). Un autre vase grec nous montre trois baigneuses, qui reçoivent sur leur corps l’eau qui jaillit de mufles d’animaux. Deux petits vases d’où la fumée s’échappe abondamment prouvent qu’elles vont se servir de parfums chauds. Les baigneuses sont dans l’eau jusqu’à mi-jambes, ce qui montre que le bassin où elles sont est peu profond ; elles reçoivent l’eau en pluie très fine. Les scènes de bains de femmes se passent toujours à l’intérieur de l’édifice, tandis que les scènes qui représentent des bains pour les hommes ont lieu sous le portique extérieur.

La figure 97, tirée d’un vase grec, montre une femme occupée à sa toilette. Elle tient un strigile, sorte de racloir dont nous parlerons plus loin et qui semble avoir été en usage pour les baigneurs des deux sexes, depuis une antiquité très reculée.

 

LES THERMES ROMAINS. — Les thermes ou bains publics comptent parmi les édifices les plus importants que les Romains avaient élevés. Ce qui caractérise l’architecture romaine, ce sont les grands établissements d’utilité publique, les thermes, les palais, les édifices qui demandent une grande agglomération de salles, où de nombreux services doivent trouver un emplacement convenable, où il doit y avoir des pièces de grandeurs différentes et en grand nombre. Le Romain est incomparable pour la disposition d’un plan compliqué et il est là vraiment original, car la Grèce ne lui offrait point de modèles, ni pour la dimension colossale des édifices, ni pour la disposition qui convient aux rouages d’une immense administration. Si, après avoir admiré les formes exquises et les belles proportions d’un monument grec, on se transporte tout à coup au milieu des thermes de Caracalla ou d’un autre établissement du même genre, on retrouvera des colonnes, des ornements, des formules connues, mais on verra en même temps que le génie de l’architecture romaine suit une direction très différente et qu’elle peut s’élever à une hauteur qui, quoique moins sublime, est peut-être plus grandiose.

Le programme que l’artiste avait à remplir est vraiment prodigieux. Il ne s’agit pas seulement d’avoir des salles pour les baigneurs, des bains chauffés à une température déterminée, des chambres pour déposer les vêtements, il faut encore des gymnases pour les exercices corporels, des promenoirs pour la circulation, des pièces pour les philosophes et les rhéteurs, des logements pour les employés de l’établissement, des magasins pour les provisions de bois destinés au chauffage, des réservoirs pour les eaux, sans compter la bibliothèque, les statues et les peintures si nombreuses qu’elles forment un véritable musée, des espaces découverts pour les jeux, des gradins pour les spectateurs, etc., etc.

Tous ces services différents demandent naturellement des grandeurs différentes pour les pièces, des dispositions particulières pour l’usage auquel chacune est consacrée, et dans tout cela il faut trouver un ensemble logique, où chaque partie se coordonne, où la confusion ne Soit nulle part, où une circulation incessante puisse avoir lieu sans gêner le service et où une décoration splendide soit à la hauteur du peuple romain pour qui l’édifice a été construit.

Évidemment le principe général de cet immense ensemble existait dans les gymnases grecs, mais les Romains, par le prodigieux développement qu’ils ont donné à leurs monuments, sont arrivés à créer un art qui leur appartient bien.

Dans les thermes de Caracalla, trois mille personnes pouvaient se baigner à la fois, et il y avait seize cents siéges en porphyre ou en marbre. Les plus célèbres édifices de ce genre avaient conservé les noms de ceux qui les avaient fait bâtir, Agrippa, Vespasien, Antonin, Caracalla, Titus, Dioclétien, Constantin. La décoration de ces établissements était splendide. C’est dans les thermes de Titus qu’on a retrouvé le groupe du Laocoon, et dans ceux de Caracalla qu’on a découvert l’Hercule et le Taureau Farnèse, le Torse antique, la Flore et les deux gladiateurs. Des statues, des bas-reliefs, des tableaux, ornaient les salles et les portiques dont le pavé est une admirable mosaïque (fig. 98).

Les thermes les plus complets se composaient de deux enceintes comprises l’une dans l’autre, et séparées par de belles promenades plantées de platanes et de sycomores. Les bains proprement dits occupaient les bâtiments du centre, tandis que les constructions extérieures renfermaient des portiques pour se promener, des salles pour la gymnastique et une bibliothèque pour les philosophes et les savants.

Dans le monument spécialement consacré aux bains il y avait des grandes salles disposées chacune pour un usage particulier, le caldarium, le tépidarium, le frigidarium. Il y avait en outre des salles où on se faisait suer, un bassin d’eau bouillante placé au milieu répandait des tourbillons d’une vapeur qui s’échappait ensuite par une ouverture du plafond : un bouclier rond qu’on manœuvrait à l’aide d’une chaîne fermait cette ouverture quand on voulait concentrer la vapeur et laissait pénétrer l’air quand on avait trop chaud. Les salles des thermes étaient chauffées par un fourneau souterrain appelé hypocauste : une curieuse peinture que nous reproduisons plus loin peut donner l’idée des procédés qu’employaient les anciens pour obtenir la chaleur nécessaire. L’eau était contenue dans un grand réservoir qu’alimentaient les aqueducs.

L’apodyterium est la chambre dans laquelle on se déshabillait et où on laissait ordinairement ses habits pendant qu’on prenait le bain. Celui des thermes de Pompéi (fig. 99) était entouré de bancs pour se déshabiller, et des chevilles de bois étaient fixées aux murailles pour suspendre les effets. Cette pièce est pourvue de trois portes ; celle qui est à droite au premier plan conduisait au bain chaud : quant aux deux qui sont placées au fond de la salle, celle qui est à main droite menait au bain froid et celle qui est à main gauche était l’entrée par laquelle on arrivait de l’extérieur.

La figure 100 représente une peinture trouvée, dit-on, dans les bains de Titus et qui n’existe plus aujourd’hui. A vrai dire l’authenticité de cette peinture a été contestée, et quelques-uns l’ont regardée comme un ouvrage d’un architecte de la Renaissance, préoccupé de la distribution des thermes antiques. Mais comme elle est citée par la plupart des archéologues comme une pièce importante et qu’elle est d’ailleurs extrêmement curieuse, nous avons cru devoir en donner la reproduction. L’hypocaustum qu’on voit au bas contient les fourneaux souterrains. Nous avons reproduit dans la première partie de ce travail le tépidarium des bains de Pompéi (tome I, fig. 612).

Le tepidarium est une pièce où l’on maintenait une température moyenne : on s’y tenait quelque temps pour empêcher que la transition fût trop brusque entre le sudatorium ou bain de vapeur et l’air extérieur. Il contenait des bancs de bronze, analogues à celui que nous donnons figure 101 et qui a été trouvé à Pompéi dans le tépidarium des bains de cette ville. Conformément aux préceptes donnés par Vitruve, cette pièce est contiguë à la chambre où on se déshabille (apodyterium) et à celle où se trouvaient les bassins pleins d’eau chaude (caldarium) ; la porte qui est à droite donne entrée dans cette dernière pièce. Les espèces d’atlantes qui supportent la corniche séparent les compartiments où l’on déposait différents objets appartenant aux baigneurs.

 

LES USTENSILES DU BAIN. — Dans les bains publics, les baignoires étaient souvent en marbre et en porphyre (fig. 102). Les particuliers avaient quelquefois des baignoires d’argent. On trouvait aussi des siéges d’une forme particulière sur lesquels s’asseyait le baigneur lorsqu’on répandait l’eau chaude sur son corps où qu’on l’enveloppait de couvertures pour l’inonder de vapeur. La figure 103 montre un de ces siéges : il est formé d’une table, qui est surmontée d’un bord circulaire assez bas, et percé en avant d’une échancrure en forme de fer à cheval ; cette échancrure servait, soit à l’écoulement de l’eau, soit à l’introduction du jet de vapeur. Chaque établissement de bain était pourvu de plusieurs sièges de ce genre.

Il y avait dans les établissements de bains des fauteuils roulants dont on se servait pour les personnes malades ou infirmes, que des esclaves pouvaient ainsi traîner d’une salle dans l’autre, et conduire jusqu’aux jets de vapeur. Un fauteuil de marbre, trouvé dans les bains d’Antonin à Rome, et qui fait aujourd’hui partie du musée Britannique, est pourvu de deux petites roues sculptées sur les côtés comme ornement : ce fauteuil paraît être une imitation de ceux dont on se servait pour les malades ; seulement ceux-ci étaient en bois et leurs roues étaient probablement plus grandes.

On annonçait au public que l’eau était préparée pour le bain en agitant des cloches qui étaient suspendues aux fenêtres, comme on le voit sur la figure 104, qui est tirée d’une peinture antique. Quelquefois la cloche était remplacée par un disque métallique sur lequel on frappait (fig. 105).

Une espèce de trousseau découvert à Pompéi montre des instruments de bains enfilés dans un anneau assez semblable à ceux auxquels nos ménagères suspendent leurs clefs. On y voit une coupe à anse, une fiole à parfums et quatre strigiles (fig. 106).

Le strigile est une sorte de racloir à l’aide duquel on faisait disparaître en grattant les corps étrangers qui avaient pu s’attacher à la peau dans le bain ou pendant les exercices de la palestre (fig. 107). Une poignée s’adaptait au strigile, dont la lame en bronze était recourbée en dedans, de manière à former une sorte de canal, dans lequel s’écoulait comme dans une véritable gouttière l’humidité ou la sueur que l’instrument exprimait de la peau. On mettait d’abord sur le strigile quelques gouttes d’huile, destinées à adoucir le métal et à ne pas écorcher la peau. Il y avait aussi des strigiles auxquels on adaptait une brosse.

Martial nous apprend que ces instruments se fabriquaient dans l’Asie Mineure. Ces brosses recourbées à manche de fer, dit-il, nous viennent de Pergame. Si tu t’en frottes bien le corps, ton linge n’aura pas si souvent besoin du dégraisseur.

Il y avait dans les établissements de bains des esclaves chargés de laver le baigneur, de le sécher en lui frottant la peau avec le strigile et de le parfumer ensuite. Juvénal parle de cet usage et la figure 108, qui représente une servante de bain, se rapporte assez bien à ce qu’il dit. Cette figure est tirée d’une peinture découverte dans le dernier siècle, et qui décorait une paroi d’une chambre sépulcrale sur la voie Appienne.

La figure 109 montre un jeune homme se rendant au bain, d’après une statue antique. Il tient à la main un strigile et une fiole à parfums. Pétrone nous a laissé la description suivante d’une scène de bain : Nous nous rendîmes aux thermes, dit-il, et là, nous passâmes promptement du bain chaud au rafraîchissoir. On venait de parfumer Trimalcion, et les trottoirs dont on l’essuyait étaient non pas de lin, mais du molleton le plus doux. Bientôt on l’enveloppa d’une peluche écarlate, puis on le plaça dans une litière précédée de quatre valets de pied à livrées magnifiques. Tandis qu’on l’emportait, un musicien s’approcha de lui avec une petite flûte, et, penché à son oreille comme s’il lui eût confié quelque secret, il ne cessa de jouer pendant toute la route.