LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME IV — LES INSTITUTIONS DE L’ANTIQUITÉ

INSTITUTIONS CIVILES. — II. - LES IMPÔTS

 

 

LES IMPÔTS EN ÉGYPTE. - LES IMPÔTS EN ASIE. - LES IMPÔTS EN GRÈCE. - LES IMPÔTS À ROME.

 

LES IMPÔTS EN ÉGYPTE. — En Égypte, ou l’argent monnayé n’était pas en usage, tous les impôts se payaient en nature. Les redevances qu’on devait payer à l’État se réglaient d’après la nature du sol, qui était divisé en trois catégories. Les terres cultivées devaient fournir une quantité déterminée de grains, les prairies des têtes de bétail - et les canaux des poissons. Ce système était dans sa naïveté assez conforme aux besoins du pays, et l’État payait ses salariés de la même façon. Chaque employé, chaque soldat, recevait souvent, en place d’une somme d’argent, une mesure de blé, de viande, etc.

L’immense corporation des scribes, qui était chargée de la perception des impôts, formait une administration très nombreuse et extrêmement paperassière ; notre société moderne, malgré son goût pour la bureaucratie, n’est pas encore arrivée sous ce rapport au point où en était l’Égypte ancienne. La comptabilité était tenue avec une admirable régularité jusque dans les plus petits détails. Un assez grand nombre de papyrus renferment des rapports administratifs ou des fragments de comptes relatifs aux deniers publics.

Les scribes étaient continuellement requis pouf toutes les affaires publiques ou privées, et on les voit sans cesse apparaître dans les scènes agricoles représentées dans la décoration des tombeaux. Pour assurer le contrôle et éviter les erreurs, il y avait souvent deux scribes chargés d’enregistrer les mêmes choses. Il est probable d’ailleurs que chacun de ces scribes représentait des intérêts contradictoires et que l’un relevait du propriétaire du domaine, tandis que l’autre était préposé à l’impôt qui se payait toujours en nature. Les scribes présentaient ensuite leur compte au propriétaire ou à l’intendant du domaine. Ainsi Joseph, qui était surintendant de toute la terre d’Égypte, et qui avait sous ses ordres tous les intendants particuliers, devait connaître jusque dans les plus petits détails la production agricole du pays qu’il était appelé à gouverner.

Aussitôt que la vendange était terminée, et le vin placé dans les amphores, on envoyait chercher le scribe, qui enregistrait immédiatement le nombre des vases qui étaient remplis. Il est même probable qu’il avait pour mission de vérifier si les vignerons ne commettaient aucune tricherie sur le contenu, car nous voyons sur des monuments (fig. 75) que les amphores sont rebouchées en présence du scribe qui établit son compte.

En Égypte, les rouages administratifs étaient très compliqués et les comptes les plus minutieux devaient être faits avec le plus grand soin. Aussi les scribes étaient extrêmement nombreux et on les employait dans toutes les circonstances de la vie. Aucun peuple n’a poussé aussi loin l’amour des comptes régulièrement tenus, et les Romains, qui étaient assez paperassiers par nature, sont encore restés bien loin des Égyptiens sous ce rapport.

Comme le plus petit objet était enregistré, et que les Égyptiens ont retracé partout les images de leur vie et de leurs habitudes, les scribes sont représentés dans l’exercice de leurs fonctions sur un très grand nombre de monuments. La figure 76 nous montre un scribe debout et tenant de la main gauche une tablette, sur laquelle il prend note des objets placés devant lui. Parmi ces objets, qui, suivant l’habitude des peintres égyptiens, sont représentés sans aucun souci de la perspective et paraissent en conséquence placés l’un au-dessus de l’autre, on remarque tout ce qui constituait alors la richesse mobilière. On y voit des vases, des pièces d’orfèvrerie richement travaillées, des petits sacs penchés, qui contenaient habituellement de la poudre d’or, des lingots de métal ronds ou rectangulaires, des plumés d’autruche, des pièces de gibier, etc. La figure 77 montre également des objets disposés méthodiquement, sans doute en vue d’être enregistrés par un scribe.

On a retrouvé des papyrus contenant divers comptes. Ce sont en général des listes de distributions de denrées faites à des ouvriers, des entrées de céréales, des reçus d’impôts, etc. Quand les comptes étaient établis, celui qui les avait faits les présentait au personnage qui l’avait employé, comme nous le voyons sur la figure 78. Ce personnage est de taille colossale pour caractériser son rang élevé ; il tient la canne de commandement et est accompagné d’un chien ou d’un chacal apprivoisé, conformément à un usage dont on trouve fréquemment la trace sur les monuments de l’ancienne Égypte. Le comptable, d’une taille beaucoup plus petite, tient un long bâton, en haut duquel sont fixés deux placets contenant les comptes, et présentant une forme analogue à celle de nos enveloppes de lettres.

Plusieurs monuments nous montrent des scribes occupés à leur travail.

C’est surtout dans les peintures et les bas-reliefs qu’on peut voir nettement la manière dont les impôts étaient perçus.

D’abord, à certaines époques déterminées, chaque habitant devait se présenter devant les magistrats de la province où il résidait, pour déclarer son nom, sa profession et ses moyens d’existence. Cette scène est figurée à Thèbes dans un monument extrêmement curieux (fig. 79).

Ce qui rend cette composition intéressante c’est qu’elle jette un jour inattendu sur les usages égyptiens. D’abord nous avons affaire à une corporation d’artisans, ou tout au moins aux habitants d’un même quartier qui viennent se faire enregistrer tous ensemble. Aussi celui qui marche en tête commence par poser devant les magistrats la bannière de sa corporation ou de son quartier. Puis nous voyons les salutations et les marques de respect données par les habitants : les premiers s’inclinent profondément et mettent une main devant leur bouche comme pour retenir leur haleine, et ceux qui viennent ensuite croisent un bras sur la poitrine. Mais tous laissent tomber une main devant le genou, c’est une marque de profond respect que nous retrouvons sur plusieurs monuments.

Un face d’eux un scribe inscrit les déclarations de chacun, et un autre personnage debout, tenant la longue canne qui est l’insigne du commandement, semble présider la scène et adresser des questions aux arrivants. Une fois que les déclarations ont été entendues, que la mesure de l’impôt dû par chacun a été fixée, les scribes vont se rendre sur place pour vérifier ce qui leur a été dit et percevoir la part qui revient au gouvernement. Cette perception de l’impôt sur les blés forme le sujet d’une peinture de Thèbes.

Deux scribes sont au milieu des tas de blé ; l’un inscrit les mesures de grains et l’autre les dicte probablement, en indiquant avec les doigts le nombre de mesures qu’on vient de verser devant lui ; une de ses mains est complètement ouverte, et l’autre a seulement deux doigts ouverts : nous en sommes donc au chiffre de sept mesures. Un homme placé devant eux s’apprête à emplir une mesure nouvelle qu’il va prendre sur un gros tas de blé, derrière lequel sont les propriétaires s’inclinant profondément en signe de respect et mettant, suivant le geste consacré, lin bras croisé sur la poitrine et l’autre pendant de manière que la main soit à la hauteur du genou. Ceux-ci sont suivis par deux nouveaux arrivants qui se prosternent jusqu’à terre, et qui viennent d’apporter de grands paniers de grains qu’on va mettre en tas et mesurer tout à l’heure devant les scribes.

Outre l’impôt qu’on percevait sur les produits du sol, il y en avait sur les manufactures. Il résulte, dit Champollion-Figeac, de diverses données historiques tirées de monuments, authentiques, et notamment de l’inscription de Rosette, que les temples, entre autres contributions au fisc royal, lui livraient chaque année une certaine quantité de toiles de byssus, et il arriva qu’à l’occasion de son couronnement, Ptolémée Épiphane fit aux temples de l’Égypte la remise non seulement des toiles qu’ils étaient en retard de fournir depuis huit ans, mais encore de celles des indemnités que le fisc pouvait réclamer pour une portion de ces toiles qui, ayant été fournies, se trouvaient inférieures à l’échantillon ; et ceci est une donnée curieuse, en ce qu’elle autorise à croire qu’il y avait dans ces temples des manufactures de toiles de byssus, et peut-être encore d’autres objets dont la consommation était considérable dans la classe sacerdotale.

La guerre était aussi une source de revenus très  considérables pour les Pharaons, dépositaires et possesseurs absolus du trésor public. Les Éthiopiens et tous les peuples habitant le voisinage de la vallée du Nit étaient tributaires des puissants rois d’Égypte. Les uns achetaient la protection du Pharaon auquel ils rendaient hommage en lui offrant des présents. Mais beaucoup plus souvent, nous voyons sur les monuments la représentation des tributs imposés par la force et nous pouvons nous faire par là une idée de ce qui, dans ces temps éloignés, constituait la richesse.

Les peintures qui représentent les peuples vaincus apportant aux vainqueurs le tribut qui leur est imposé peuvent aussi nous donner une idée des caravanes qui faisaient le commerce de l’Égypte. La guerre a quelquefois été l’auxiliaire du commerce et de l’industrie, et les victoires des Pharaons sur les peuplades sauvages qui vivent sur les confins de l’Égypte ressemblent à une conquête de la civilisation sur la barbarie. Ces troncs de bois d’ébène, ces dents d’éléphant, ces plumes d’autruche, ces lingots d’or, l’Égyptien saura les utiliser pour son industrie, comme il acclimatera les animaux utiles ou simplement curieux qu’il va chercher en dehors de la vallée du Nil.

La figure 80 nous montre une autruche conduite en laisse, derrière laquelle un homme porte des plumes et des veufs du même oiseau. L’autruche ne se trouvait pas dans l’Égypte proprement dite, mais dans les déserts de l’Éthiopie ou les habitants lui faisaient une chasse fort active, qui était pour la contrée une source de richesses, car les plumes d’autruche étaient fort recherchées des Égyptiens. Aussi cet oiseau était un objet important de commerce et nous le voyons plusieurs fois figurer parmi les tributs que les peuples de l’Éthiopie payent au roi d’Égypte.

Dans d’autres peintures on voit défiler quelques animaux que les Égyptiens tenaient aussi en grande estime (fig. 81, 82, 83).

Les Égyptiens paraissent avoir beaucoup aimé les plantes et les animaux qui leur semblaient extraordinaires, et c’était certainement là une branche importante de commerce, puisque nous en voyons toujours figurer dans la liste ou sur les représentations des tributs imposés aux peuples qu’ils avaient vaincus. C’est ainsi que dans les peintures nous voyons défiler des girafes, des autruches, des singes, des lions, des léopards. Les grands personnages avaient probablement des ménageries, mais comme le peuple était fort curieux de cette sorte de spectacle, les rois ne manquaient pas de faire figurer toutes sortes d’animaux extraordinaires dans les fêtes qu’ils donnaient.

Athénée nous a laissé une curieuse description de la somptueuse fête donnée à Alexandrie sous les Ptolémées, et on est étonné en la lisant de voir la ressemblance que présente cette fête avec des représentations peintes qui avaient été exécutées plus de mille ans auparavant. Nous extrayons du livre d’Athénée un passage fort curieux par l’énumération qu’y fait l’auteur des produits que l’Égypte tirait des pays étrangers. On vit alors, dit-il, arriver vingt-quatre chars attelés d’éléphants, soixante autres attelés de deux boucs, sept autres attelés d’oryx (antilopes) et quinze de bubales. Il y avait en outre huit attelages d’autruches, et tous ces chars étaient montés par des enfants couronnés de pin ou de lierre. Des chars attelés de deux chameaux et marchant par trois de front venaient ensuite et ils étaient suivis de chariots attelés de mulets, contenant les tentes des nations étrangères ; au-dessus on avait placé des femmes indiennes, ou d’autres contrées, mises comme des captives. Quelques-uns des chameaux portaient trois cents mines d’encens ; d’autres deux cents livres de safran, de casia, de cinnamone, d’iris et d’autres aromates. Près d’eux étaient des Éthiopiens portant des présents ; savoir, les uns six cents dents d’éléphants, les autres deux mille troncs d’ébène, d’autres soixante cratères d’or et d’argent et des paillettes d’or. Ils étaient suivis de deux chasseurs ayant des javelots d’or, et menant des chiens au nombre de deux mille quatre cents ; ces chiens étaient les uns de l’Inde, les autres de l’Hyrcanie, ou molosses, ou d’autres races. Passèrent ensuite cent cinquante hommes portant des arbres d’où pendaient toutes sortes de bêtes sauvages et d’oiseaux : on vit porter dans des cages des perroquets, des paons, des pintades, des faisans et nombre d’autres oiseaux d’Éthiopie. Enfin venaient cent trente moutons d’Éthiopie, trois cents d’Arabie, un grand ours blanc, quatorze léopards, seize panthères, quatre lynx, une girafe, un rhinocéros d’Éthiopie.

Sur une peinture on voit, derrière un groupe de femmes tenant leurs enfants, un homme portant des espèces de gâteaux et tenant de l’autre main une corde à laquelle est attaché un singe faiseur de tours (fig. 84). Enfin il y a des représentations oit les personnages tiennent simplement des fruits, des fleurs ou des oiseaux (fig. 85).

Le roi étant maître absolu de l’Égypte avait nécessairement un trésor considérable. On y accumulait non seulement des matières précieuses, mais encore les tributs prélevés sur les peuples vaincus. Néanmoins la plus grande partie du trésor consistait en lingots ou en vases d’or. Ces vases, provenant des tributs prélevés sur les vaincus, attestaient leur origine dans leur décoration même, qui dans un assez grand nombre de monuments figurés, représente des prisonniers enchaînés, comme nous le voyons tome Ier, figures 121 et 122.

Le trésor royal était naturellement gardé avec le plus grand soin. Il paraît néanmoins qu’il s’y commettait quelquefois des vols, et Hérodote raconte avec de piquants détails celui qui eut lieu sous le roi Rhampsinit. Ce roi, dit-il, posséda une immense somme d’argent, telle qu’aucun de ceux qui lui ont succédé n’a pu la surpasser ni même l’atteindre. Or il voulut thésauriser en toute sécurité ; il fit donc bâtir en pierres de taille une chambre dont l’un des murs était une partie de l’enceinte du palais ; de son côté, le constructeur, complotant contre ses richesses, imagina de disposer l’une des pierres du mur de telle sorte que deux hommes, ou même un seul, pussent facilement l’ôter. Dès que la chambre fut achevée, le roi y déposa ses trésors ; le temps s’écoula, et le constructeur, étant près de la fin de sa vie, appela ses fils (car il en avait deux) et leur raconta comment, dans sa prévoyance pour eux, et afin qu’ils eussent abondance de biens, il avait usé d’artifice en bâtissant le trésor du roi. Après leur avoir clairement expliqué comment on pouvait enlever la pierre, il leur en donna les dimensions, et leur dit que s’ils ne les oubliaient pas, ils seraient les intendants des richesses royales. Il mourut et les jeunes gens ne tardèrent pas à se mettre à l’œuvre ; ils allèrent la nuit autour du palais, ils trouvèrent la pierre de la chambre bâtie en dernier lieu, ils la firent mouvoir aisément et ils emportèrent une somme considérable. Lorsqu’il arriva au roi d’ouvrir cette chambre, il fut surpris de voir combien il manquait de vases à son trésor ; il n’y avait personne à accuser, les sceaux étaient intacts et la chambre fermée. Comme, à deux ou trois reprises, le nombre lui en parut diminuer toujours (car les voleurs ne se lassaient pas de piller), il prit ce parti : il ordonna que l’on fabriquât des piéges et qu’on les plaçât autour des vases qui contenaient son argent. Les voleurs vinrent comme depuis le commencement ; l’un d’eux entra, s’approcha d’un vase et soudain fut pris au piège. Il comprit aussitôt dans quel malheur il était tombé, il appela donc son frère, lui apprit l’accident et lui enjoignit d’entrer au plus vite. Coupe-moi la tête, ajouta-t-il, quand l’autre fut près de lui, car si je suis vu et reconnu, je te perds en même temps que moi. Le frère sentit qu’il avait raison, et il suivit son conseil ; puis ayant rajusté la pierre, il s’en fut à sa maison avec la tête du défunt. Au point du jour, le roi se rendit à son trésor, et fut stupéfait d’y trouver, dans le piège, le corps du voleur sans sa tête ; la chambre n’offrait aucune marque d’effraction, et l’on n’y apercevait ni entrée ni sortie. Dans l’incertitude où le jeta une telle aventure, il imagina un nouvel expédient : il fit suspendre, le long du mur, le corps du voleur, et, plaçant à l’entour des gardes, il leur commanda de saisir et de lui amener quiconque ils verraient pleurer ou gémir. Pendant que le corps était suspendu, la mère, terriblement exaspérée, s’entretenait avec son fils survivant ; elle finit par lui prescrire de s’ingénier à délier le cadavre comme il pourrait et de l’apporter en sa demeure, le menaçant, s’il n’obéissait pas, de le dénoncer au roi comme le détenteur de ses richesses. Comme sa mère le pressait durement et qu’il ne gagnait rien sur elle, malgré ses nombreuses instances, il eut recours à ce stratagème : il bâta des ânes, puis ayant rempli de vin des outres, il les chargea sur les ânes, qu’ensuite il poussa devant lui. Or, quand il fut en présence des gardes, auprès du corps suspendu, il tira à lui deux ou trois queues d’outres et les dénoua pendant qu’elles vacillaient ; le vin alors de couler et lui de se frapper la tête à grands cris, comme s’il n’eût su vers quel âne d’abord courir. Les gardes cependant, à l’aspect du vin coulant à flots, se précipitèrent sur le, chemin avec des vases pour en recueillir, comme s’il ne se répandait qu’à leur profit. L’homme feignit contre eux tous une grande colère, il les accabla d’injures ; ensuite, voyant qu’ils le consolaient, il fit semblant d’adoucir et de laisser tomber son courroux. Finalement il poussa ses ânes hors du chemin et rajusta le chargement, tout en se prenant à causer avec les gardes ; l’un de ceux-ci le plaisanta et s’efforça de le faire rire : en récompense il leur donna une outre. Ils se couchent aussitôt et ne songent plus qu’à se divertir, s’écriant : Assieds-toi, reste à boire avec nous. Il se laisse persuader et demeure avec les gardes, qui lui prodiguent des marques d’amitié ; il ne tarde pas à leur donner une seconde outre. A force d’user de ce breuvage libéralement offert, les gardes s’enivrèrent complètement, et ils s’endormirent au lieu même où ils avaient bu. L’homme saisit le moment, et, la nuit étant venue, il délia le corps de son frère, puis, pour les outrager, il rasa la joué droite de chacun des gardes, chargea le cadavre sur ses ânes et reprit son chemin, ayant exécuté les ordres de sa mère..... Lorsque l’on rapporta au roi toutes ces choses, il fut frappé de l’adresse et de l’audace de l’homme. Enfin il envoya dans toutes les villes, et fit proclamer qu’il lui accorderait impunité et bon accueil s’il se présentait devant lui. Le voleur vint plein de confiance. Rhampsinite l’admira grandement et lui donna sa fille en mariage, comme au plus ingénieux des hommes, estimant que les Égyptiens l’emportaient sur les autres mortels, et lui sur les Égyptiens.

 

LES IMPÔTS EN ASIE. - bous avons peu de renseignements sur le système employé pour la perception des impôts dans l’ancienne Asie. On sait que les gouverneurs et les satrapes prélevaient sur les provinces qu’ils avaient à administrer une somme qu’ils faisaient remettre au souverain dont le trésor était très considérable. Les descriptions que les auteurs anciens nous ont laissées sur les richesses des monarques asiatiques dépassent en somptuosité tout ce qu’on pourrait imaginer, et, d’après ces descriptions, on peut croire que les lingots d’or et d’argent accumulés dans leurs palais étaient la forme ordinaire sous laquelle ils percevaient leurs revenus. Cependant il est bien certain aussi que la plus grande partie des impôts se payaient en produits de différentes sortes, et notamment en bestiaux et en denrées alimentaires. Il était d’ailleurs assez difficile qu’il en fût autrement dans un pays où une grande partie de la population était, nomade et dont les troupeaux formaient l’unique richesse. En Assyrie, où l’état de guerre était à peu près permanent, l’impôt était un tribut prélevé sur les vaincus et de nombreux bas-reliefs représentent des prisonniers qu’on emmène et qui font partie du butin enlevé par les soldats (fig. 86).

En Perse, la monarchie était établie sur des bases plus fixes, et les représentations où l’on voit le payement du tribut ne montrent pas des prisonniers enchaînés qu’on traîne après les avoir dépouillés, mais des personnages marchant symétriquement sous la conduite d’un officier et portant les présents, qu’ils vont offrir à leur souverain. Nous avons montré déjà (tome Il, fig. 290 à 302), à propos du costume en Perse, plusieurs bas-reliefs représentant des scènes analogues. On sent que les tributs devaient se payer régulièrement, à époques fixes, et on ne trouve nulle part sur les monuments de Persépolis les scènes violentes si fréquentes sur les bas-reliefs assyriens.

 

LES IMPÔTS EN GRÈCE. — Une curieuse coupe, qui fait partie du cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale, est décorée d’une peinture de style archaïque, qui peut donner une idée de la manière dont l’impôt était perçu chez certains peuples grecs. Cette coupe est désignée sous le nom de coupe d’Arcésilas. Le personnage principal est assis sous une sorte de tente. Ses longs cheveux descendent sur ses épaules et il est coiffé d’un pétase dont la forme rappelle (fig. 87) celle des chapeaux chinois. Devant lui est une grande balance avec des hommes occupés à peser des marchandises. Que ce soit un marchand devant lequel on fait le compte de ses marchandises, ou un roi prélevant un droit sur les objets que l’on pèse, peu importe. Il est certain que les impôts ont été payés en nature, longtemps encore après l’invention des monnaies, et que les princes grecs de l’Asie Mineure, de la Sicile, de la Cyrénaïque ou de la Grèce propre, ont dû de tout temps prélever certains droits sur les produits du sol ou sur les objets manufacturés.

Les impôts étaient de diverses sortes ; outre les taxes, sur certains genres d’industrie et de commerce, il y en avait sur les citoyens, sur les affranchis, sur les propriétés. Les revenus de l’État s’augmentaient encore des amendes prononcées par les tribunaux. Dans la démocratie d’Athènes, on s’est efforcé souvent de faire peser l’impôt exclusivement sur les riches. La classe des grands propriétaires, possesseurs de terres, de manufactures ou de capitaux placés dans le commerce, avait à sa charge l’entretien et l’augmentation des forces navales de la république. Lorsqu’un armement maritime était ordonné, dit Robinson dans les Antiquités grecques, chaque tribu devait lever pour sa part un nombre de talents égal à celui des vaisseaux que l’on voulait équiper, et cette contribution était répartie en un nombre semblable de compagnies, composées quelquefois de seize personnes. Les sommes réunies étaient remises aux hiérarques, commandants des .vaisseaux. Dans la suite, tout citoyen dont la fortune montait à dix talents était obligé de fournir une galère à l’État, si elle montait à vingt il en équipait deux : on ne pouvait cependant, dans aucun cas,.exiger plus de trois galères et une chaloupe. Les citoyens dont la fortune ne s’élevait pas à dix talents se réunissaient en nombre suffisant pour en équiper une. Les archontes seuls étaient exempts de cette taxé, qui pesait sur les citoyens de manière à n’atteindre que les riches. Quiconque pouvait prouver qu’un citoyen dont la fortune était plus considérable que la sienne payait une moins forte partie de la taxe pouvait le forcer faire avec lui l’échange de ses propriétés.

 

LES IMPÔTS À ROME. — Pour établir les charges de la guerre et de la paix suivant les biens de chacun, le roi Servius Tullius avait établi cinq classes de citoyens, composées chacune d’un certain nombre de centuries, et qui prenaient rang suivant la richesse des citoyens qui formaient chacune d’elles. Si nous devons à Numa nos institutions religieuses, dit Tite-Live, Servius a eu dans la postérité la gloire d’avoir créé nos institutions politiques et fixé cette sage gradation des rangs et des fortunes. Dans cette vue, il établit le cens, opération si utile dans un empire qui devait être aussi étendu ; et au lieu qu’auparavant toutes les charges de la guerre et de la paix tombaient également sur chaque tête, elles furent réglées dorénavant en proportion du revenu. Il institua les classes, les centuries, et fonda sur la base de la propriété cet ordre admirable, qui n’a pas moins contribué à la paix intérieure de Rome qu’à sa gloire militaire. Une loi qui menaçait de prison et de mort quiconque négligerait de se faire inscrire avait accéléré le dénombrement. Quand il fut achevé, Servius ordonna par un édit aux citoyens, de toutes armes de se trouver à la pointe du Champ de Mars, chacun dans leur centurie. Là, toutes les troupes s’étant rangées en bataille, on immola un suovétaurilia et avec le sang des victimes on fit des lustrations solennelles. Cette cérémonie, par laquelle on terminait le recensement, s’appela la clôture du lustre. Ce premier dénombrement donna, dit-on, quatre-vingt mille citoyens. Fabius Pictor, le plus ancien de nos historiens, ajoute que ce nombre ne comprenait que les citoyens en .état de porter les armes.

Le recensement, qui avait lieu tous les cinq ans, se faisait par les soins des censeurs, magistrature qui eut une très grande importance sous la république, mais qui cessa d’exister sous les empereurs. Les censeurs s’occupaient également de la surveillance des mœurs, et avaient encore diverses attributions qui ont été plusieurs fois modifiées. Le recensement a eu lieu dès le début de la société romaine, parce que chaque citoyen était tenu de s’équiper à ses frais pour aller à la guerre, et son équipement militaire était différent suivant la classe à laquelle il appartenait. Les premiers Romains n’avaient ni industrie ni commerce, et comme, à l’origine, les soldats ne recevaient pas de paye, le butin pris sur l’ennemi était la manière la plus nette d’augmenter son patrimoine. A l’époque des grandes guerres, il fallut bien donner une paye aux soldats, qu’on retenait longtemps loin de leurs foyers et qui ne pouvaient plus cultiver leurs champs. Le trésor des rois vaincus, le pillage des villes conquises, les taxes imposées aux peuples soumis et le revenu des provinces annexées furent suffisants pour que le peuple romain se trouvât pendant un temps assez long peu chargé d’impôts. Mais pendant les guerres civiles il fut nécessaire de pourvoir à de très grandes dépenses, et comme à partir d’Auguste les Romains cessèrent d’être conquérants, il fut nécessaire de se créer des ressources.

Après les guerres civiles, Auguste établit un impôt sur les consommations. Cet impôt, assez modéré en apparence, puisqu’il ne montait qu’à un pour cent, rapportait énormément parce qu’il portait sur tout ce que l’on achetait sur les marchés ou dans les ventes publiques ; mais comme il s’étendait sur le corps entier de la nation, il fut toujours très impopulaire. En outre, ce genre d’impôt entraîna toujours de grandes difficultés pour établir un mode de perception équitable.

Comme une nombreuse et opulente classe de citoyens, dit Gibbon dans son Histoire de l’Empire romain, se trouvait exempte d’une taxe ou capitation qui ne frappait que sur les propriétaires des terres, les empereurs, qui voulaient aussi partager les richesses dont l’art et le travail sont la source, et qui ne consistent qu’en argent comptant, imposèrent personnellement tous ceux de leurs sujets qui s’occupaient de commerce. Ils accordèrent, à la vérité, quelques exemptions à ceux qui vendaient le produit de leurs propres domaines et quelques faveurs à la profession des arts libéraux ; mais toute autre espèce de commerce ou d’industrie fut traitée rigoureusement par les lois. L’honorable marchand d’Alexandrie, qui rapportait dans l’empire les diamants et les épices de l’Inde, le vil usurier qui tirait de son argent un revenu ignominieux, l`ingénieux manufacturier, l’adroit mécanicien, et jusqu’au plus obscur détaillant d’un village écarté, tous étaient obligés de donner aux préposés du fisc connaissance de leur recette et de leur profit ; et le souverain d’un grand empire consentait à partager le gain honteux des infâmes professions qu’il tolérais. Comme on ne levait que tous les quatre ans la taxe assise sur l’industrie, on la nommait la contribution lustrale.

Parmi les impôts établis par Auguste, pour subvenir à l’énorme entretien des armées cantonnées sur les frontières, un des plus lucratifs pour le trésor fut celui qui prélevait un vingtième de tous les legs et héritages. Cette taxe toutefois n’eut jamais un caractère absolu, en ce sens que les legs minimes n’y étaient pas soumis. Mais la taxe qui eut les conséquences les plus graves était celle qui se désignait sous le nom de capitation. C’était un impôt personnel qui se prélevait par tête. Au temps de l’empereur Constance le taux de la capitation était de vingt cinq pièces d’or par tête (environ 336 francs) ; Julien la réduisit à sept pièces d’or (environ 92 francs). Comme il n’était pas possible que cette somme fût payée régulièrement, à cause de l’irrégularité des fortunes privées, une seule cote se divisait souvent entre plusieurs pauvres, tandis que les riches étaient chargés de plusieurs cotes. Cet impôt toutefois ne portait que sur les personnes libres ; sous l’empire, la Gaule possédait, suivant Gibbon, environ 500.000 contribuables. Chaque ville, chaque district était assujetti à un tribut proportionné au nombre de ses contribuables.

Dans certaines occasions, les magistrats romains faisaient au peuple des distributions de blé, de pain, de vin on d’huile, comme le font aujourd’hui nos institutions charitables. Ces distributions se faisaient au moyen de bons, sur lesquels était marqué le nombre de mesures que le possesseur du bon avait droit d’aller toucher. Quelquefois ces bons consistaient en petites tablettes de bois, et d’autres fois c’étaient des boules creuses et portant écrite au dedans la quantité à recevoir (fig. 88). Les empereurs et les grands personnages qui voulaient se rendre populaires jetaient des bons de ce genre à la multitude, qui se disputait ensuite pour les avoir. La foule oisive qui pullulait dans les grandes villes vivait des libéralités des empereurs et de ses agents directs ; mais c’était aux dépens de la province, et à mesure que la campagne se dépeuplait, le nombre des mendiants augmentait dans les villes d’une façon effrayante. L’impôt, qu’il fallait sans cesse augmenter, produisait pourtant de moins en moins.

Tant que l’Italie jouit du privilège de l’exemption de l’impôt, dit M. Zeller dans son Histoire d’Italie, tant que les empereurs y répandirent l’or des provinces et les esclaves faits prisonniers sur l’ennemi, une prospérité factice cacha ces causes de ruine. Mais lorsque la capitation, l’indiction, l’or lustral et coronaire, pesèrent aussi sur l’Italie déchue, et que les provinces se disputèrent les esclaves pris sur les barbares, la misère, la dépopulation s’accrurent clans une proportion effrayante. Les grands propriétaires, à leur tour, les sénateurs surtout, qui ne pouvaient avoir de fonds et d’immeubles qu’en Italie, furent frappés ; et la petite propriété, écrasée, acheva de disparaître. Dans les villes, le corps des curiales, épuisé par la responsabilité des impôts qui pesaient sur lui, non seulement ne put entretenir les monuments, les murailles, les aqueducs des cités, mais tomba sous le poids des charges qui s’augmentaient tous les jours, et vit ses membres chercher à sortir de la curie pour se réfugier au moins parmi les colons. Les campagnes étaient témoins d’un mouvement contraire ; les petits possesseurs ruinés se réfugiaient dans les villes, comptant sur les distributions, cependant plus rares, de pain et d’huile. Augmentation des impôts, avec difficulté de plus en plus grande de les percevoir, misère toujours croissante dans les villes et dépopulation des campagnes, tel est le spectacle que nous offre l’empire romain à l’époque de sa décadence.