LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME IV — LES INSTITUTIONS DE L’ANTIQUITÉ

L’ÉDUCATION — II. - LA GYMNASTIQUE

 

 

LES ATHLÈTES. - LA COURSE À PIED. - LE SAUT. - LE DISQUE. - LE JAVELOT. - LA LUTTE. - LE PUGILAT. - EXERCICES DIVERS.

 

LES ATHLÈTES. — L’importance que les anciens Grecs attachaient à la force corporelle, les honneurs qu’ils décernaient aux athlètes victorieux, la place énorme qu’ils donnaient à la gymnastique dans l’éducation de la jeunesse, nous causent souvent un étonnement qui cesse dès que nous voulons bien en étudier les causes. Un artiste, un savant, ne se trouveraient nullement honorés d’être assimilés aux saltimbanques, qui font paradé de leurs muscles dans nos fêtes publiques ; mais si, après un grand désastre, un général sait arrêter l’invasion, préserver son pays de la ruine qui le menaçait, nos acclamations sont pour lui, notre confiance devient absolue, et en souvenir du danger dont il nous a préservés, et de ceux dont il peut nous préserver encore, nous sommes prêts à en faire l’arbitre de nos destinées. A un tel homme nous élevons des statues sur nos places publiques, et nous croyons honorer l’art et la science en décernant les mêmes couronnes à ceux qui excitent notre admiration dans les travaux de l’esprit. Or, à l’origine des sociétés, les choses de la guerre se décident non par l’esprit qui combine, mais par le bras qui frappe. Ouvrez l’Iliade, vous y trouverez une succession de combats d’homme à homme, mais vous n’y trouverez aucune vue d’ensemble, ni dans ceux qui défendent la ville, ni dans ceux qui l’attaquent. Les Grecs ne songent en aucune façon à entourer Troie pour affamer les habitants ; quand les Troyens s’avisent de sortir, ce n’est pas pour un mouvement calculé, c’est pour se mesurer avec les ennemis qu’ils aperçoivent. Le meilleur soldat, c’est le plus fort et le plus souple : s’il se trouve en face d’un ennemi qu’il croit plus fort que lui, il n’hésite pas à fuir. Quand Hector sort des portes de la ville, les Grecs en le voyant ne songent pas à l’entourer pour s’en rendre maîtres : quel que soit leur nombre, il les frapperait tous l’un après l’autre, il est plus fort qu’eux. Ils le savent et cherchent leur salut en se sauvant ; mais s’il se trouve en face d’Achille qui est plus fort que lui, il fuit à son tour. Un chevalier français du XIIIe siècle se serait fait hacher sur place plutôt que de reculer d’un pas ; mais l’âge héroïque de la Grèce n’a pas de ces délicatesses de sentiment. Les Spartiates ne fuyaient jamais, mais ce sentiment, inconnu pendant la guerre de Troie, ne s’est développé que plus tard, sous l’influence dorienne.

Le soldat de cette époque doit être robuste et dur au mal, car il lui faut frapper de rudes coups et endurer ceux qu’il reçoit sans montrer de faiblesse ; il doit être agile pour atteindre l’ennemi qui fuit devant lui, et éviter celui qui le poursuit ; il doit être prudent et savoir toujours contre qui il peut et doit se mesurer ; il doit être rusé, car il veut parer les coups de son adversaire et trouver l’endroit et le moment opportuns pour le frapper. L’éducation de la jeunesse sera donc tout entière consacrée aux exercices du corps et la Grèce se couvre de gymnases. Dans des temps de guerres continuelles, en face de dangers chaque jour renaissants, l’homme qui a un instant de répit ne songe qu’à se préparer aux luttes nouvelles qui l’attendent. L’égoïsme et l’indifférence ne lui serviraient de rien ; il sait que si la ville est prise, tous les hommes seront passés au fil de l’épée, les femmes et les enfants vendus comme esclaves. Se rendre habile dans la lutte, ce n’est pas seulement accomplir un devoir, c’est travailler pour sa propre sûreté. Aussi, comme toute la jeunesse accourt au gymnase, comme les vieillards sont attentifs à suivre ses exercices, comme les maîtres de palestre sont honorés, estimés, comme les femmes et les jeunes filles regardent avec admiration l’adolescent qui se distingue, celui qui promet d’être un jour la gloire et la sûreté de la patrie.

D’innombrables représentations plastiques nous renseignent sur la vie des athlètes et sur leurs exercices. Mais les renseignements qu’on peut y puiser sur les mœurs de la Grèce appartiennent à différentes catégories de monuments. C’est sur les vases peints qu’on trouve, sous leur forme archaïque, les habitudes intimes des gymnases, le costume des hérauts, des maîtres de palestre, des juges du jeu. Au contraire, les statues d’athlètes se rattachent presque toutes à l’art de la grande époque. C’est dans les gymnases que la sculpture grecque s’est développée, et comme les anciens n’avaient pas de cours d’anatomie, c’est en face des athlètes et devant la nature vivante que les jeunes artistes apprenaient les formes du corps humain. Les statues placées dans l’intérieur des gymnases servaient aux démonstrations des maîtres de palestre, et le mouvement que l’artiste leur avait donné était nécessairement de la plus parfaite justesse, sans cela on n’aurait pas pu le proposer pour modèle aux jeunes gens qui s’exerçaient. Dans les jeux Olympiques, on élevait une statue aux athlètes vainqueurs, et cette statue devait reproduire rigoureusement la cambrure du corps et l’attitude des membres qui avaient amené la victoire. Le bois sacré était rempli de ces statues dont Pausanias nous a conservé la description, et il est fort probable qu’elles étaient exécutées avec les conseils et, en quelque sorte, sous la direction des juges du jeu. Mais il est très important de remarquer que ces statues présentaient l’attitude du vainqueur, mais non ses traits.

Pour avoir droit à une statue iconique, c’est-à-dire étant un véritable portrait, il fallait avoir été victorieux dans trois exercices différents, ce qui était assez rare, et prouvait que l’athlète était bien équilibré dans toutes les parties de son corps, c’est-à-dire qu’il était parfaitement beau. En effet un coureur peut avoir les bras trop maigres, et un lutteur, admirablement doué pour la poitrine et les épaules, peut n’avoir pas une agilité suffisante dans les membres inférieurs. Mais un athlète apte à tous les exercices du corps est nécessairement un homme bien fait, et les statues que les sculpteurs fameux avaient exécutées d’après eux et en leur honneur pouvaient ensuite servir de règle ou de canon pour les jeunes artistes.

Si nous comparons la statuaire primitive des Grecs à celle de l’époque correspondante en France, nous y trouverons une différence fondamentale dans le point de départ. Le sculpteur du XIIIe siècle, chargé de représenter des saints dans l’attitude de la méditation et dont les muscles ne sont pas apparents, s’attache par-dessus tout à traduire les sentiments qui animent le personnage, et la tête est le point le plus important de son ouvrage. C’est le contraire qui arrive pour le Grec, préoccupé avant tout de l’attitude du corps, des proportions et de la forme des membres. Ainsi dans les statues de l’école d’Égine, qui accuse plus nettement que les autres la sculpture athlétique dans sa pureté, on est frappé du manque absolu d’expression dans les visages, tandis que le corps dénote une science énorme dans le mouvement et la forme musculaire.

Les athlètes sont une institution purement grecque, qu’il faut bien se garder de confondre avec les gladiateurs de Rome. Ceux-ci sont des prisonniers ou des affranchis, qui combattent dans le cirque avec des armes tranchantes, et se donnent la mort pour amuser la multitude. Cet usage barbare ne put jamais s’introduire en Grèce, et quand les Romains voulurent donner à Athènes un combat de gladiateurs les Athéniens répondirent qu’alors il fallait commencer par abattre l’autel que leurs pères avaient élevé à la Pitié.

Pour être admis à concourir dans les jeux solennels de la Grèce, il fallait être Grec de nation, homme libre, et avoir un passé honorable. Quand le candidat se présentait, un héraut lui posait la main’ sur la tête et le promenait tout autour du stalle, en demandant au peuple si quelqu’un avait un reproche à lui faire.

Cependant les cités s’élèvent, les républiques s’organisent, la civilisation se développe, et l’art militaire se transforme comme tout le reste. Quand viennent les guerres médiques, Miltiade et Thémistocle sont de véritables chefs d’armée, qui combinent un plan, calculent un mouvement d’ensemble, font agir des masses d’hommes dans un but déterminé ; Hector et Achille n’étaient que des héros. La vie athlétique se ressent des besoins nouveaux, et l’athlète change de caractère. La jeunesse se développe encore dans les gymnases, mais la philosophie et les lettres y tiennent une plus grande place qu’autrefois. L’admiration se partage entre un orateur qui sait persuader et un athlète qui sait frapper. La Grèce entière court aux jeux Olympiques, pour applaudir aux vainqueurs de la palestre ; mais ces vainqueurs sont des hommes spéciaux, car le titre d’athlète est maintenant une profession, et la palestre elle-même semble une salle de spectacle. Dans l’âge héroïque, où la vigueur physique était une nécessité, tout le monde était athlète, et il n’y avait de différence que dans la force où l’habileté de chacun. Les plus grands personnages tenaient à honneur de lutter, et la victoire dans les jeux était le plus beau titre de noblesse qu’un citoyen pût acquérir. Sous la période républicaine, on a pour les athlètes une admiration de dilettante, on leur tresse des couronnes, et les plus grands poètes tiennent à honneur de transmettre leur nom à la postérité ; mais la force est un ornement et n’est plus une nécessité, car la guerre ne se fait plus par combats isolés, d’homme à homme, mais par groupes compactes, agissant en vue d’un plan que le général a combiné et que le soldat ignore la plupart du temps. Aussi l’homme important dans la république, c’est le général, l’homme d’État, ou l’orateur, celui qui par un moyen quelconque pèse sur les destinées de la nation. L’athlète exerce une profession honorée, recueille des applaudissements, mais il n’a aucune influence dans les affaires de la cité.

Ce fut bien autre chose après la conquête romaine. La puissante organisation des légions repose tout entière sur la discipline : le soldat romain est une fraction d’armée et n’a d’autre responsabilité que l’obéissance qu’il doit à son chef. Dans l’organisation de cette formidable machine, la Grèce n’entre pour rien et ne peut guère s’y intéresser. A quoi bon faire tant d’efforts pour devenir souple et robuste, puisque cela ne sert à rien ? Les gymnases subsistent pourtant, mais les bains remplacent les exercices violents, et les lieux où la jeunesse se fortifiait autrefois servent maintenant à l’énerver.

Que deviennent alors les athlètes de profession ? D’abord ce ne sont -plus les hommes vigoureux et rompus à tous les exercices du corps. Autant d’exercices, autant de spécialités diverses : celui qui sait frapper avec force ne sait plus courir, et le coureur serait incapable de lutter. L’homme adroit à lancer le disque serait essoufflé s’il lui fallait sauter, et il y a des sauteurs de profession. Les vainqueurs de la palestre sont délaissés, car les lettrés s’intéressent aux luttes de la philosophie, et nullement aux coups de poing ; si le public regarde encore les athlètes, c’est pour se divertir un moment et non pour s’instruire. A la fin de l’empire romain, l’athlète a tout perdu, même la beauté, même la santé, et le médecin Galien nous apprend que les athlètes vivent peu, parce que leur profession les use rapidement. C’est qu’aussi leur genre de vie est tout autre qu’au début.

Dans l’âge héroïque, la gymnastique se compose d’un ensemble d’exercices destinés à équilibrer, dans une admirable harmonie, toutes les forces physiques de l’homme. Montre-moi ta poitrine, tes épaules, tes reins, disaient les maîtres de palestre aux jeunes gens qui se présentaient, afin que je sache à quel exercice tu es propre. Et alors les efforts se proportionnaient aux facultés de chacun, dans le but de le rendre sain, souple et vigoureux. Il ne suffisait pas que le corps fût rompu à tous les exercices, endurci à toutes les fatigues, on suivait un régime dur, austère, pour se préparer aux jeux solennels de la Grèce. Pour éviter les excès, la continence était ordonnée et le vin interdit. Il parait même que dans l’origine, les athlètes étaient d’une extrême frugalité et s’abstenaient de manger de la viande, pendant le temps qui précède les grands jeux. Mais les idées qu’on avait sur l’hygiène ayant changé, le régime que suivaient les athlètes se modifia également, et vers le temps d’Hippocrate, un athlète qui avait mangé de la viande ayant vaincu ceux qui s’en étaient abstenus, tous les autres voulurent suivre son exemple. Leur voracité devint bientôt proverbiale, et la légende brodant encore sur les récits populaires, on racontait que Milon de Crotone avait mangé tout entier un bœuf, qu’il avait tué d’un coup de poing, après l’avoir promené sur ses épaules. Sous la décadence, les athlètes, complètement abaissés dans l’opinion publique, étaient renommés pour la dissolution de leurs mœurs, et c’est probablement à cause des excès de tout genre auxquels ils se livraient que Galien dit qu’ils vivent peu et sont vite usés.

 

LA COURSE À PIED. — Dans les temps héroïques, les nécessités de la guerre exigeaient que l’on sût courir vite et longtemps sans se fatiguer. On faisait le plus grand cas de ceux qui s’étaient rendus habiles à la course : de là, l’épithète d’Achille aux pieds légers, qu’Homère donne à son héros. L’exercice de la course, qui était fort honoré dans les gymnases, exigeait chez ceux qui s’y préparaient un régime spécial (fig. 18).

On distinguait plusieurs espèces de courses, dont les principales étaient appelées la course simple et la course double. Dans la course simple on parcourait une fois la longueur du stade, c’est-à-dire environ cent vingt pas, et dans la course double, on revenait au point de départ, en faisant le tour du stade. C’était la plus estimée, et elle donnait droit à des prix qui consistaient généralement en vases d’argile, ou en bassins d’airain, comme nous le voyons par cette petite pièce de l’Anthologie : Le fils d’Aristomaque, qui, avec une incroyable célérité, remporta le prix de la double course, a reçu ce bassin d’airain travaillé au marteau pour prix de sa victoire.

Il y avait aussi des courses beaucoup plus compliquées, dans lesquelles il fallait faire plusieurs détours et tourner un certain nombre de fois autour de la borne qui servait de but ; enfin il y avait des exercices, où, au lieu de courir nus, les athlètes devaient être armés comme à la guerre.

 

LE SAUT. — Le saut présente quelques rapports avec la course à pied, mais il en diffère cependant assez pour que les Grecs aient cru devoir en faire un exercice spécial. En effet, si la course à pied demande, outre l’agilité des membres inférieurs, une certaine force dans la poitrine pour maintenir sa respiration, le saut, exercice qui consistait à franchir un espace de terrain plus ou moins considérable, exigeait surtout une grande vigueur dans le jarret. Quelquefois il fallait franchir un obstacle (fig. 19) et cet obstacle n’était pas toujours sans danger. D’autres fois l’athlète portait dans ses mains des haltères et exécutait au son de la flûte le mouvement qui lui avait été prescrit (fig. 20), car tous les exercices étaient rythmés.

 

LE DISQUE. — Le disque ou palet est une sorte de poids fort lourd, généralement en pierre ou en métal, que les concurrents lançaient aussi loin qu’ils le pouvaient. Les commencements de l’exercice du disque remontent aux temps mythologiques, et le bel Hyacinthe fut blessé mortellement par le disque d’Apollon. Selon Pausanias, l’invention de ce jeu est due à Persée, et on voit par Homère qu’il était fort en vogue au temps de la guerre de Troie. Quand Ulysse est reçu chez Alcinoûs, le roi des Phéaciens donne une fête en son honneur et les jeunes gens sont vaincus au disque par le héros d’Ithaque. Ulysse, sans quitter son manteau, se lève et s’empare d’un disque plus grand, plus épais et plus pesant encore que ceux dont les Phéaciens s’étaient servis ; il le fait tourner avec rapidité et le lance d’une main vigoureuse. La pierre résonne aussitôt, et tout le peuple se penche vers la terre lorsqu’il aperçoit le disque passer au-dessus de lui ; le disque vole au delà de toutes les marques en s’échappant avec impétuosité de la main du héros.

Le disque, qu’il soit en pierre ou en métal, était habituellement de forme lenticulaire et toujours extrêmement poli. Pour,lancer le disque, .les discoboles le tenaient de manière que son bord inférieur était engagé dans la main, et soutenu par les quatre doigts, tandis que la surface était soutenue par le pouce et la paume de la main. L’athlète, placé dans le stade, sur une petite éminence élevée à dessein, préludait à son exercice en agitant circulairement son bras, de manière à le lancer avec plus de force.

L’antiquité nous a laissé de superbes statues de discoboles. Celle de Naucydès, qui représente l’athlète au moment où il va lancer le disque, est la plus fameuse : elle est au Vatican, mais il en existe des imitations dans plusieurs musées. L’artiste a choisi le moment où le discobole, prêt à agir, concentre toutes ses forces et affermit ses pieds sur le sol. La perfection et la noblesse de cette statue en ont fait un des modèles classiques les plus étudiés dans nos écoles (fig. 21).

Une autre statue très célèbre dans l’antiquité montrait un discobole en action. Elle était de Myron et on en possède de belles imitations en marbre : les plus fameuses sont à Rome et à Londres. Malgré son mouvement tourmenté, si contraire aux habitudes calmes de la statuaire antique, le Discobole de Myron (fig. 22) était fort apprécié des anciens pour l’exactitude avec laquelle il rendait l’exercice du disque : Qu’y a-t-il, dit Quintilien, de plus contourné, de plus laborieux que le Discobole de Myron ? Et pourtant, blâmer l’exécution de cet ouvrage ne serait-ce pas montrer qu’on n’entend rien à l’art, en reprenant précisément ce qui en fait le mérite, la nouveauté et la difficulté vaincue ?

D’autres discoboles en action sont figurés sur des pierres gravées. Enfin il y a au musée de Naples un bronze fameux qui représente un jeune athlète, qui court pour voir la distance qu’il a atteinte avec son disque, car la victoire appartenait à celui qui le lançait le plus loin. Le même disque servait pour tous les concurrents et on faisait une marque à l’endroit que chacun d’eux avait atteint. Le disque se lançait habituellement comme nous l’avons dit : quelquefois pourtant, le centre était percé d’un trou dans lequel on passait une courroie au moyen de laquelle on le lançait. Le cabinet des antiques de la Bibliothèque possède un disque de granit.

 

LE JAVELOT. — L’exercice du javelot consistait à lancer, à une très grande distance, une arme légère et pointue, qui devait atteindre un but déterminé. On adaptait généralement une courroie de cuir au javelot pour en déterminer le jet. Riais la manière de s’en servir était différente suivant qu’on voulait lancer son arme le plus loin possible, comme pour frapper dans un corps compacte d’ennemis serrés, ou bien quand on était moins exigeant pour la distance, mais qu’on avait besoin d’une plus grande précision dans le jet, par exemple, lorsqu’on voulait atteindre un ennemi isolé sur le champ de bataille et que l’on tenait à le frapper personnellement. Cet exercice avait donc une grande importance pour former de jeunes soldats (fig. 23 et 24).

 

LA LUTTE. — La lutte était un des exercices les plus estimés : ceux qui s’y livraient se frottaient d’huile pour s’assouplir les membres, mais ils devaient ensuite se couvrir d’un sable très fin pour donner prise à leur antagoniste. Il y avait toujours sur le sol une couche épaisse de ce sable, qui était destiné à amortir les chutes. Quand l’exercice était fini, les athlètes enlevaient avec le strygile l’huile et le sable dont ils s’étaient frottés pour la lutte (fig. 25) ; ensuite ils allaient se laver et se rafraîchir dans le bain.

Il y avait dans les palestres grecques deux espèces de luttes dans la première, les lutteurs se tenaient debout et cherchaient par toutes sortes de moyens à jeter leur adversaire par terre. Les juges du jeu assistaient toujours à la lutte (fig. 26), pour voir si tout se passait bien dans les règles, car les coups de poing étaient absolument interdits dans cette sorte de lutte, où l’adresse consistait surtout à prendre son antagoniste au milieu du corps, et à lui faire perdre l’équilibre, comme on peut le voir dans la figure 27, qui est empruntée à un vase grec ainsi que la précédente. On voit ici que la lutte était accompagnée de joueurs de flûte, comme la plupart des exercices. Toutefois la lutte que nous voyons ici n’est qu’un exercice de jeunes gens, et non une véritable lutte d’athlètes, faite en présence des juges, comme celle que nous a montrée la figure 26. Dans les luttes d’athlètes, il fallait avoir terrassé trois fois son adversaire pour être proclamé vainqueur.

Dans la seconde espèce de lutte, les deux adversaires se tenaient mutuellement le corps serré et pouvaient tomber ensemble en se roulant sur le sable. Elle était beaucoup plus violente que la première et demandait en somme plus de force que d’adresse véritable. C’était un véritable combat corps à corps, dans lequel toutefois les coups de poing étaient interdits. Ce combat (fig. 28) pouvait durer fort longtemps, car il ne cessait que lorsqu’un des deux adversaires s’avouait vaincu et levait la main en signe de défaite.

 

LE PUGILAT. — Le pugilat était une lutte à coups de poing dans laquelle il était défendu de se saisir au corps. Les pugilistes sont armés de cestes, sorte de gantelets faits de courroies en cuir de bœuf dont on s’entourait le poignet.

Les coups que l’on se donnait ainsi étaient fort rudes, et pour en parer la violence on portait sur la tête une sorte de calotte qui protégeait les oreilles et les tempes. Néanmoins, il est arrivé quelquefois qu’un pugiliste a eu les oreilles brisées par le choc. La figure 29 représenté deux pugilistes accompagnés des juges des jeux. Ils se sont déjà donné de rudes coups, car le sang jaillit de leurs narines.

Les cestes dont les pugilistes se servaient étaient quelquefois formés d’un gros gant, comme on le voit sur la figure 29, mais le plus souvent ils se composaient de lanières de cuirs, qu’on garnissait quelquefois de boules en plomb pour rendre les coups plus durs (fig. 30 à 36). Ces luttes étaient en somme d’une extrême brutalité et il arrivait quelquefois que le vaincu succombait. Dans ce cas, le meurtre étant involontaire n’attirait pas sur celui qui l’avait commis les châtiments ordinaires de la loi, mais le meurtrier était privé des honneurs de la victoire et condamné à payer une amende. Certains coups étaient défendus, notamment celui qui a fait lu sujet des deux pugilistes de Canova et qui a entraîné la mort du vaincu.

Un très curieux bas-relief du Louvre, dont l’état de conservation laisse malheureusement beaucoup à désirer, montre deux athlètes qui viennent de se livrer à l’exercice du pugilat. L’un d’eux, qui est à demi couché, semble à peine reprendre ses esprits après les rudes coups que lui a portés son adversaire. Celui-ci, debout près de lui, tient en main un fragment brisé qu’on croit avoir été une palme ; deux vieillards placés près du vaincu semblent affligés de la défaite. La figure drapée, dont les bras sont brisés, est sans doute le maître de la palestre ou le juge du combat.

La lutte au pugilat ne cessait que lorsqu’un des adversaires consentait à s’avouer vaincu. Sur les vases peints nous voyons les pugilistes se donner de rudes coups et le sang qui leur sort de la bouche. La lutte d’Entelle et de Darès, dans l’Énéide, et surtout le curieux récit d’Apollonius, qui a raconté, dans son poëme sur l’expédition des Argonautes, le fameux combat d’Amycus et de Pollux, nous permettent de juger ce qu’était le pugilat aux temps héroïques, c’est-à-dire dans toute sa barbarie primitive : Sur ce rivage, dit Apollonius, était la demeure d’Amycus, roi des Bébryces (peuple de Bithynie), et les étables qui renfermaient ses nombreux troupeaux. Fils de Neptune et de la nymphe Mélia, Amycus était le plus féroce et le plus orgueilleux des mortels. Par une loi barbare, il obligeait les étrangers à se battre au pugilat contre lui et avait déjà fait périr ainsi plusieurs de ses voisins. Dès qu’il aperçut le vaisseau, il s’approcha du rivage, et sans daigner s’informer quels étaient les Argonautes, ni quel était le sujet de leur voyage : Vagabonds, leur dit-il fièrement, écoutez ce qu’il faut que vous sachiez. De tous ceux qui abordent chez les Bébryces aucun ne s’en retourne sans avoir auparavant essayé ses bras contre les miens : choisissez donc le plus habile d’entre vous au combat du ceste, afin qu’il se mesure à l’instant avec moi. Telle est la loi que j’ai établie : si vous refusiez de vous y soumettre, la force saurait bien vous y contraindre. Ce discours remplit d’indignation les Argonautes. Pollux, plus vivement offensé du défi qu’aucun autre, s’empressa de l’accepter et répondit ainsi : Arrête, qui que tu sois, et cesse de parler de violence. Nous obéirons volontiers à la loi ; tu vois ton adversaire et je suis prêt à combattre. Amycus, étonné de sa hardiesse, le regarde en roulant des yeux farouches. Près d’eux était un lieu commode pour le combat ; les Argonautes et les Bébryces se rangent à l’entour et s’asseyent séparément sur le sable. Lycorée, un des serviteurs du roi des Bébryces, jeta devant eux des cestes d’une force et d’une dureté à toute épreuve : Prends, sans tirer au sort, dit fièrement Amycus, et choisis ceux que tu voudras, afin qu’après le combat tu n’aies aucun reproche à me faire : arme tes mains et bientôt tu pourras dire si je sais former un gantelet de cuir et faire couler le sang des joues de mes adversaires. Pollux ne répondit qu’en souriant et ramassa les cestes qui étaient à ses pieds. Castor et Talaüs s’approchèrent pour les lui attacher et l’animèrent en même temps par leurs discours. Arétus et Ornytus attachèrent ceux du roi, bien éloignés de penser qu’ils rendaient pour la dernière fois ce service à leur maître. Bientôt les deux combattants s’avancent en tenant leurs mains pesantes élevées devant leurs visages. Le roi des Bébryces fond sur son adversaire comme un flot impétueux. Semblable à un pilote habile qui détourne adroitement son vaisseau pour éviter la vague qui menace de le submerger, Pollux, par un mouvement léger, se dérobe aux coups d’Amycus qui le poursuit sans relâche. Ensuite ayant bien, examiné les forces de son adversaire, et connaissant sa manière de combattre, il fait ferme à son tour, déploie ses bras nerveux et cherche les endroits qu’Amycus sait le moins garantir. Comme on voit des ouvriers assembler à grands coups les pièces d’un navire et faire retentir l’air du bruit de leurs marteaux, ainsi les deux combattants se frappent avec furie les joues et les mâchoires, et font sans cesse résonner leurs dents sous la pesanteur de leurs poings. La fatigue épuise enfin leurs forces, ils se séparent, et, tout hors d’haleine, essuient la sueur qui coule à grands flots de leur front. Bientôt ils courent de nouveau l’un sur l’autre, semblables à des taureaux furieux qui se disputent une génisse. Amycus, se dressant sur la pointe des pieds comme un homme prêt à assommer une victime, lève avec fureur un bras redoutable. Pollux penche la tête, évite adroitement le coup qui ne fait qu’effleurer son épaule ; et s’avançant aussitôt sur son adversaire, le frappe de toutes ses forces au-dessous de l’oreille. L’air retentit au loin, les os sont fracassés. Amycus, vaincu par l’excès de la douleur, tombe sur ses genoux et rend le dernier soupir. Une superbe statue du Louvre représente Pollux au moment où, après avoir évité le coup d’Amycus, il s’apprête à le frapper à son tour.

Nous terminerons en appelant l’attention sur un curieux bas-relief du Louvre, qui résume à peu près les exercices principaux. A gauche on voit une image d’Hermès placée sur sa gaine : on sait qu’Hermès était le dieu des gymnases. Il est ici représenté sous les traits d’un enfant, afin que tout soit à l’unisson. Nous voyons ensuite un des chefs de la palestre enfantine, enveloppé dans sa draperie et regardant deux petits discoboles, dont l’un se prépare à lancer son disque, tandis que l’autre, qui a fini son exercice, regarde s’il a atteint le but. Les lutteurs viennent ensuite, et entre eux la victoire n’est pas douteuse. Le milieu du bas-relief est occupé par un petit athlète vainqueur, qui pose un diadème sur sa tête ; il a à sa droite un joueur de flûte qui célèbre sa victoire, et à sa gauche le juge du jeu qui lui présente une palme. L’autre côté du monument nous montre le pancrace et le pugilat. Les pancratiastes qui cherchent à se renverser et dont l’un pince vigoureusement la caisse de l’autre, ont les bras tout à fait nus, tandis que les petits pugilistes sont armés de cestes.

Les enfants sont représentés ici plus jeunes qu’ils ne devraient être, puisqu’on n’était admis au gymnase qu’à treize ans. Ce n’est peut-être là qu’une convenance de la sculpture, mais il est certain que dès la première enfance, surtout à Sparte, on s’exerçait à la lutte bien avant que ces exercices pussent prendre un caractère régulier. Ces sortes de sujets se rencontrent très fréquemment sur les sarcophages ; on a dit que c’était pour montrer que la vie entière était une lutte. Peut-être est-il plus simple de supposer qu’on décorait de la sorte les tombeaux de ceux qui avaient eu des succès dans les jeux gymniques.

 

EXERCICES DIVERS. — Les haltères avaient, dans l’antiquité comme aujourd’hui, une grande importance dans les exercices gymnastiques. La figure 37 montre des éphèbes en compagnie de maîtres de palestres reconnaissables au vaste pallium dans lequel ils sont drapés, et au long bâton terminé par une branche de feuillage qu’ils tiennent en main comme signe d’autorité. L’un des éphèbes présente ses deux haltères avec lesquels il se prépare à faire quelque exercice, tandis que l’autre paraît étonné de ce qu’il vient de voir.

La figure 38 montre un exercice très usité dans les gymnases et qui consiste à tirer chacun vers soi un bâton relié par une corde au bâton que tient l’adversaire. Le plus fort entraîne nécessairement l’autre.